- Mardi 10 juillet
2012
- Audition de M. Patrick Lorie, président de la Fédération Nationale des Métiers de la Jardinerie (FNMJ) et de M. Christian de Luzy, délégué FNMJ des établissements Truffaut, responsable du groupe « distribution des produits phytopharmaceutiques »
- Audition de M. Philippe Joguet, directeur développement durable, responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et questions financières de la Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution (FCD), de Mme Giulia Basclet, conseillère environnement de la FCD et de Mme Sandrine Lanfrit, responsable qualité exploitation non alimentaire de Carrefour France
- Audition de M. Philippe de Saint-Victor, directeur du pôle développement et prospective de SNCF-infra et de M. François Lauzeral, expert technique « géométrie de la voie et maîtrise de la végétation »
- Audition de M. Jean-Marc Bournigal, président de l'Institut national de Recherche en Sciences et Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture (IRSTEA), et de M. Pierrick Givone, directeur général délégué recherche innovation
Mardi 10 juillet 2012
. - Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -Audition de M. Patrick Lorie, président de la Fédération Nationale des Métiers de la Jardinerie (FNMJ) et de M. Christian de Luzy, délégué FNMJ des établissements Truffaut, responsable du groupe « distribution des produits phytopharmaceutiques »
Mme Sophie Primas, présidente. - Notre mission commune d'information a été créée à l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy, élue de Charente, au début de cette année. Elle regroupe vingt-sept sénateurs de toutes tendances politiques et appartenant à chacune des commissions du Sénat. Dans un premier temps, nous nous sommes donné pour objectif d'étudier les conséquences des pesticides sur la santé des utilisateurs.
A ce titre, nous avons déjà entendu des médecins, des chercheurs, des agriculteurs et des industriels,... La séance d'aujourd'hui est consacrée aux utilisateurs non agricoles, notamment aux « jardiniers du dimanche », si vous autorisez l'expression.
Nous avons donc souhaité entendre votre fédération, notamment pour mieux comprendre comment vous organisez la commercialisation des pesticides dans les magasins de votre réseau.
M. Patrick Lorie, président de la Fédération Nationale des Métiers de la Jardinerie (FNMJ). - Créée initialement, il y a vingt-cinq ans, pour gérer la convention collective applicable aux pépiniéristes, notre fédération regroupe aujourd'hui la majeure partie des grandes enseignes (Truffaut, Jardiland, Delbard, Côté nature, etc.), soit 600 à 700 magasins spécialisés dans le commerce des végétaux et des plantes, ou 85 % du chiffre d'affaires global des quelque 1 200 jardineries dénombrées en France. Notre spécificité provient de l'adaptation progressive de notre outil aux produits que nous commercialisons, c'est-à-dire aux végétaux. Cela suppose de disposer d'infrastructures particulières comme les serres pour respecter la plante et préserver ses qualités naturelles. Les produits naturels ou vivants représentent 65 % de notre chiffre d'affaires (45 % pour le végétal et 20 % en animalerie). Le reste provient de la vente de produits manufacturés améliorant les sols et préservant la qualité des végétaux, les pesticides ne représentant que 10 % de l'ensemble.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Qui sont vos fournisseurs de pesticides ? Les industriels vous démarchent-ils pour vendre leurs produits ?
M. Patrick Lorie. - Depuis près de trente ans, nous travaillons avec des grands groupes qui font référence sur le plan national pour certains produits.
M. Christian de Luzy, délégué FNMJ des établissements Truffaut responsable du groupe « distribution des produits phytopharmaceutiques ». - Il convient de préciser que l'on parle ici uniquement des produits phytosanitaires, ce qui exclut du champ d'analyse les biocides. Nos magasins fonctionnent avec les dix grandes firmes qui pèsent sur le marché et dont les marques bénéficient d'une certaine notoriété (Bayer, BASF, etc.)
M. Gilbert Barbier. - Etes-vous amenés à élaborer vous-même certaines molécules pour répondre à des demandes spécifiques de vos clients ?
M. Patrick Lorie. - Non. Nous nous bornons à acheter des produits finis en fonction de deux critères : l'efficacité des molécules et la notoriété de la marque.
M. Christian de Luzy. - Aujourd'hui nous n'achetons plus que des produits finis, mais il y a quelques années, Truffaut avait déposé des brevets sur certains produits. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, les procédures d'homologation des produits et les exigences de sécurité étant trop lourdes. En revanche, certains produits élaborés par les industriels restent vendus sous notre marque.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les grands groupes industriels vous démarchent-ils pour vendre leurs produits ?
M. Patrick Lorie. - On ne peut pas parler de démarchage à proprement parler, les liens commerciaux avec les grandes entreprises étant établis depuis longtemps. Certains groupes sont vraiment référents sur certains produits. En revanche, nous sommes davantage sensibles aux tendances. Je pense, par exemple, aux magasins Botanic qui ont choisi d'exclure de leur gamme les produits non « bio ».
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment sélectionnez-vous vos produits ? Vous ne pouvez pas vraiment tester leur efficacité ?
M. Christian de Luzy. - Non, nous ne la testons pas. Nous nous fions aux informations que les industriels nous donnent sur l'efficacité et aux références des produits.
M. Patrick Lorie. - Il peut nous arriver de tester a posteriori les produits sur le végétal lorsque l'on met en culture, comme pour les coloris des tulipes. Mais c'est rare.
Mme Sophie Primas, présidente. - Quelle part de marché représentez-vous pour les industries phytosanitaires ?
M. Patrick Lorie. - Les jardineries représentent 3 % ou 4 % du marché national, la FNMJ représentant 15 % de ce total.
Mme Sophie Primas, présidente. - Les fabricants vous proposent des gammes adaptées aux jardiniers amateurs, différentes des gammes professionnelles. Les industriels réalisent certainement un effort important en termes de marketing et de présentation, alors que vous ne pesez que 3 % à 4 % du marché. J'imagine donc que les produits sont excessivement margés ?
M. Christian de Luzy. - La grande distribution représente de plus grands volumes en termes d'unités vendues, mais elle vend surtout des prêts-à-l'emploi à faible valeur marchande. A l'inverse, les jardineries vendent de petites quantités de produits plus techniques. C'est pourquoi les particuliers préfèrent venir chez nous, plutôt qu'en grandes surfaces, pour bénéficier de conseils.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ne pesez-vous donc pas suffisamment pour imposer des tendances aux fabricants et négocier des tarifs sur les volumes ?
M. Christian de Luzy. - Nous parvenons à négocier quelques tarifs.
M. Patrick Lorie. - Ce type de produits procure 30 % à 40 % de la marge totale de nos adhérents et 10 % de leur chiffre d'affaires. Globalement, la marge des jardineries est proche de 3 % des ventes réalisées.
M. Christian de Luzy. - Mais nous réalisons les plus fortes marges sur la vente des végétaux et des produits de jardin, qui constitue notre métier de base.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Faites-vous de la publicité pour les produits phytosanitaires ?
M. Patrick Lorie. - Non. Les produits sont généralement promus par les fabricants eux-mêmes ou dans les grandes surfaces qui connaissent la plus grande affluence.
M. Christian de Luzy. - C'est ce qui fait la notoriété des marques.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Pouvez-vous réellement sensibiliser et former vos salariés à la dangerosité des produits si vous ne connaissez pas leur composition ?
M. Patrick Lorie. - A la base, nos employés ont généralement suivi des formations de pépiniéristes, de maraîchers, de marchands de terreaux ou de graines, d'agriculteurs ou d'horticulteurs du niveau BTA ou BTS agricoles. La vente de produits phytosanitaires est alors conditionnée alors par l'obtention de l'agrément DAPA (distribution et application de produits antiparasitaires), dont sont titulaires la plupart de nos vendeurs. Depuis la création du Certiphyto, nous avons mis en place, il y a trois ans, une pré-formation Certiphyto via « e-learning », en partenariat avec l'Ecole supérieure d'Angers et la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) du ministère de l'agriculture. 2000 personnes en ont bénéficié.
M. Christian de Luzy. - Les produits phytosanitaires ne sont pas tout à fait en libre service : ils sont placés dans des rayons bien identifiés avec des vendeurs formés à Certiphyto et disponibles pour donner des conseils. Les vendeurs doivent être capables d'identifier les maladies des plantes et de conseiller le consommateur pour lui recommander le traitement adapté. En revanche, nous avons refusé la vente en circuit fermé, contre l'engagement d'assurer la disponibilité d'un vendeur formé dans un rayon identifié.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quels types de conseils le vendeur donne-t-il ? Des indications relatives aux quantités, aux doses nécessaires, à la manipulation du produit ?
M. Christian de Luzy. - En fonction du problème à traiter et dans la mesure du possible, le vendeur oriente prioritairement le consommateur vers des méthodes alternatives douces, de préférence au traitement phytosanitaire. Il ne conseille un pesticide qu'en dernier ressort. La connaissance des méthodes « bio » et des modalités d'application des traitements phytosanitaires fait partie intégrante du programme de formation en « e-learning » que nous avons mis en place. La sensibilisation au respect de la nature et à l'agriculture biologique est largement développée dans la formation que nous dispensons à nos employés.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les vendeurs-conseils sont-ils affectés à un rayon en particulier ou peuvent-ils conseiller les clients dans plusieurs rayons ?
M. Patrick Lorie. - Chaque vendeur est normalement affecté à une zone définie du magasin. Les vendeurs associés au rayon des produits phytosanitaires sont spécifiquement formés pour délivrer des conseils relatifs aux traitements. En cas d'absence dans le rayon, ils sont appelés.
Mme Sophie Primas, présidente. - Vos vendeurs sont-ils intéressés au chiffre d'affaire du rayon phytosanitaire ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment sont-ils rémunérés ? Perçoivent-ils des primes en sus d'un salaire fixe ?
M. Christian de Luzy. - Ils peuvent percevoir des primes, liées au résultat global du magasin, au montant du « panier moyen », pas seulement au montant des ventes réalisées dans tel rayon en particulier.
Mme Sophie Primas, présidente. - Les solutions alternatives « bio » sont-elles plus onéreuses que les traitements phytosanitaires ?
Mme Jacqueline Alquier. - Traitez-vous les plantes que vous exposez ?
M. Patrick Lorie. - Les plantes exposées dans les magasins ne sont que très rarement traitées, car elles ont vocation à être vendues rapidement. En cas de traitement, elles sont écartées de la vente, car elles ne sont pas présentables en l'état, avec des pucerons par exemple.
M. Gilbert Barbier. - Ne vendez-vous que des produits phytopharmaceutiques sous clé ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - La FNMS n'est-elle pas opposée à la vente fermée ?
M. Christian de Luzy. - Nos produits sont vendus dans des rayons spécifiques avec des vendeurs-conseils. Nous sommes opposés à la vente fermée. De plus, nous ne vendons que des produits dont le risque est mesuré, ayant la mention EAJ (emploi autorisé dans les jardins). Cette mention a été créée en 2004 par le ministère de l'agriculture pour différencier les produits utilisés par les jardiniers amateurs et limiter les risques. En effet, les particuliers n'ont souvent pas conscience de la dangerosité des produits et ont tendance à surdoser. C'est le rôle du vendeur-conseil de prévenir les surdosages et les accidents liés à une mauvaise utilisation.
M. Gilbert Barbier. - Les produits phytopharmaceutiques que vous vendez sont-ils toujours présentés dans des emballages fermés ou sont-ils parfois vendus en vrac ?
M. Christian de Luzy. - Oui, bien sûr. Il n'y a pas de vente en vrac.
M. Gilbert Barbier. - Les vendeurs ne sont donc pas en contact direct avec les produits ?
M. Christian de Luzy. - Non. Pour les produits qui présentent un certain danger, tels que les insecticides, les bidons ont des bouchons de sécurité. S'agissant des autres produits, la plupart sont conditionnés en uni-doses ou en sacs prêts à l'emploi.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que pensez-vous du problème posé dans les grandes surfaces par le mélange des produits dans le chariot ou le panier de la ménagère ? Comment faire pour éviter que les pots de yaourts soient à proximité du Roundup ?
M. Christian de Luzy. - Il faudrait en effet que les magasins alimentaires isolent les rayons propres aux pesticides des autres rayons et prévoient un encaissement à part. Cela parait préférable !
M. Patrick Lorie. - Faut-il aller jusqu'à prévoir un encaissement distinct ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - La coexistence dans le même chariot des produits phytosanitaires et alimentaires laisse croire que les premiers sont inoffensifs.
M. Patrick Lorie. - Le nombre de paquets vendus en hypermarché est supérieur à celui des jardineries, mais le chiffre d'affaires est proportionnellement moindre. La grande distribution arrive à négocier des prix plus bas auprès des fabricants tout en maintenant les marges. Alors que ce n'est pas leur coeur de cible, les grandes surfaces écoulent des plantations et des produits phytosanitaires en grandes quantités. Elles représentent une concurrence rude pour les jardineries.
Mme Sophie Primas, présidente. - Vos vendeurs-conseils délivrent-ils également des recommandations relatives au dosage, aux équipements de protection nécessaires lors du traitement, au recyclage du bidon de pesticides vide ? Jusqu'où va le conseil ?
M. Patrick Lorie. - La formation dispensée via le « e-learning » va assez loin dans ces différents domaines.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Au-delà de la formation, y a-t-il un suivi des recommandations données ?
M. Patrick Lorie. - Nous n'avons pas encore mis en place de véritable suivi, le dispositif de formation étant relativement récent et concernant les quelque 4 000 vendeurs de notre réseau de magasins.
M. Christian de Luzy. - C'est le Grenelle 2 qui été le moteur de notre initiative en faveur du « e-learning » pour mettre en place la certification, en partenariat avec la direction générale de l'enseignement de la recherche (DGER). Nous avons apporté notre expertise et avons également insisté pour que des contrôles soient faits en aval et qu'ils puissent se traduire par la suspension de la certification. Mais un suivi sera effectif à compter du 1er octobre : des certificateurs vérifient alors le travail de nos vendeurs-conseils.
M. Patrick Lorie. - Pour répondre à votre inquiétude sur les surdosages, il convient de préciser que, le plus souvent, les firmes prévoient des doses uniques, prêtes à l'emploi, ce qui limite les incidents.
M. Henri Tandonnet. - Encore faut-il que les doses soient adaptées à l'usage qui en est fait, ce qui n'est pas toujours le cas ! Nous avons rencontré des cultivateurs en serre qui ont signalé l'inadaptation des doses aux petites surfaces.
M. Patrick Lorie. - Les cultivateurs utilisent des gammes professionnelles et nous ne vendons dans nos jardineries que des produits portant la mention « emploi autorisé dans les jardins d'agrément ». Il demeure que le surdosage est dangereux.
M. Christian de Luzy. - Pour les amateurs, les doses ne sont pas les mêmes. Un arrêté définit les quantités maximales et le conditionnement est fait de telle sorte que l'utilisateur ne puisse pas être en contact direct avec le produit : la pochette se dissout seule.
Mme Sophie Primas, présidente. - Et que penser des opérations promotionnelles sur des gros bidons de Roundup placés en tête de gondole, très souvent hors du rayon réservé aux produits phytosanitaires et donc sans vendeur-conseil à proximité ? Par ailleurs, que recommandez-vous pour les emballages vides ?
M. Christian de Luzy. - Concernant l'élimination des emballages, des indications figurent généralement sur le bidon lui-même. La mention DDS, déchets diffus spécifiques, correspond à une cartographie des lieux où l'on peut déverser les produits non utilisés. Les informations sont disponibles sur Internet sur le site de la FNMJ et des brochures sont à disposition dans les magasins de notre réseau.
Mme Sophie Primas, présidente. - L'indication est plutôt discrète...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ce sont les collectivités qui gèrent les déchetteries.
M. Henri Tandonnet. - Cela coûte d'ailleurs fort cher aux intercommunalités. Ne devrait-on pas instituer une participation pour aider les collectivités ?
M. Christian de Luzy. - Une redevance est prévue, je crois, pour financer les surcoûts des centres de tri. Le consommateur la paye et nous la reversons aux collectivités.
M. Henri Tandonnet. - Dans mon département, j'ai constaté que certains produits vendus en jardinerie ne sont pas autorisés en usage professionnel pour les producteurs de légumes par exemple. Est-ce une réalité ?
M. Christian de Luzy. - Cela n'existe pas, car la loi nous oblige à ne vendre que des produits qui ont l'agrément « emploi autorisé dans les jardins d'agrément » (EAJ). Le décret n'est pas encore paru. Il devait paraître avant les élections. Les formules vendues devront au préalable avoir reçu l'autorisation de mise sur le marché réservées aux jardiniers amateurs. Il y aura alors une séparation complète entre le monde professionnel et le monde amateur. La date butoir de mise en oeuvre de la directive pesticides est prévue au 1er janvier 2013, me semble-t-il. A l'inverse, pour se procurer des produits professionnels, il faut être en mesure de présenter la carte professionnelle Certyphyto.
M. Henri Tandonnet. - Il semble que des molécules actives interdites pour les usages professionnels puissent être autorisées à la vente aux amateurs...
M. Christian de Luzy. - C'est l'ANSES qui est responsable des règles applicables au secteur amateur. Nous sommes, il est vrai, dans une période transitoire.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - S'agissant du Plan Ecophyto et de l'objectif de réduction de 50 %, quelles actions avez-vous mises en oeuvre ?
M. Christian de Luzy. - Nous nous sommes beaucoup engagés sur le développement du bio-contrôle. Des consignes ont été données aux vendeurs-conseils pour qu'ils orientent prioritairement notre clientèle vers ce type de méthodes alternatives. C'est une nouvelle philosophie du jardinage, hélas dépourvue d'indicateurs d'efficacité.
M. Patrick Lorie. - On observe déjà cette tendance dans les gammes de produits offertes dans nos magasins, qui font une place de plus en plus grande aux produits « bio ». Il en découle forcément une diminution de la consommation de pesticides. Sur 5 mètres de rayons, au moins 2 mètres sont réservés désormais aux produits « bio ». Cela a forcément un impact.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Mais constatez-vous d'ores et déjà une diminution de la consommation des produits phytosanitaires ?
M. Christian de Luzy. - Nous n'avons pas les moyens aujourd'hui d'avoir des données chiffrées sur ce point. Nous aurions besoin de créer avec la DGAL un indicateur global à partir des références NODU (nombre de doses unités) et IFT (indice de fréquence de traitement) qui permettent de quantifier l'usage des produits phytosanitaires. Il conviendrait également de distinguer les quantités de produits vendues aux professionnels et aux amateurs, en créant un NODU spécifique pour le secteur amateur et les produits portant la mention EAJ. Cela devrait pouvoir se faire à partir des codes APE (activité principale exercée). Une réunion est organisée sur ces sujets avec la DGAL dès la rentrée de septembre. Mais je pense que le bio-contrôle est la voie à suivre et qu'il va se développer.
Mme Sophie Primas, présidente. - Combien représentent les produits « bio » dans votre chiffre d'affaires ?
M. Christian de Luzy. - C'est difficile à dire de façon précise, mais indéniablement la tendance est à la hausse. Cela dépend aussi beaucoup de la météorologie, notamment pour les fongicides et les insecticides. C'est pourquoi l'évolution doit être observée sur une période de deux à trois ans. Pour l'instant, les chiffres sont stables. Mais il faut communiquer dans la durée. Ce travail de longue haleine portera progressivement ses fruits. Il s'agit d'abord de limiter les excès et de changer les mentalités. Par exemple, nous pourrions inciter les particuliers à utiliser le paillage plutôt que les désherbants.
Mme Sophie Primas, présidente. - La part du chiffre d'affaire réalisée sur les ventes de produits « bio » augmente-t-elle ?
M. Christian de Luzy. - Je vous invite à visiter les rayons « bio » de Jardiland et de Truffaut. Les ventes de ces types de produits présentent des taux d'augmentation à deux chiffres !
Toutefois, il faut éviter les confusions. Les produits dits « bio » d'après le réglement de 2007 ne sont pas tous anodins. La bouillie bordelaise, par exemple, bien qu'elle soit un produit dit « naturel » n'est pas sans conséquence sur la nature et l'environnement, notamment en Charente, où rien ne pousse plus. Il faudrait qu'il existe pour les produits « bio » une batterie de tests comparable à celle qui prévaut pour les produits chimiques, pour identifier et isoler les produits dangereux.
Il est des produits naturels dangereux. La nicotine, par exemple, est naturelle mais dangereuse. Pour faire évoluer les amateurs, il faut utiliser leur langage.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Avec les publicités diffusées par les fabricants et la grande distribution, il est à craindre que les méthodes n'évoluent que très lentement et que la conversion des consommateurs au paillage ne soit pas immédiate... Comment acheminez-vous les produits vers vos espaces de vente ? Devez-vous respecter des conditions spécifiques de transport et de stockage ?
M. Christian de Luzy. - Vous avez malheureusement raison. Les produits de paillage étant issus du monde agricole, la force de frappe publicitaire est plus faible que celle des industries phytosanitaires. Il faudrait sans doute réfléchir aussi au positionnement de ces produits dans les rayons, où ils voisinent souvent avec des sacs de terreaux, alors qu'il serait plus pertinent de les placer à proximité des désherbants comme méthode alternative de désherbage.
Concernant les règles de transport, nous n'avons pas de contrainte particulière.
Concernant le stockage, il convient d'isoler certains produits et de les placer dans un endroit défini dans la réserve ; hors du contact des produits consommables ou des animaux. Une circulaire est en cours d'élaboration à la DGAL sur ces points.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - En revanche, ils peuvent cohabiter dans les chariots...
M. Christian de Luzy. - Je souhaitais revenir sur les « promotions girafe » qui consistent à offrir au consommateur une part de produit plus importante pour un prix identique. La FNMJ souhaite les supprimer mais elle se heurte aux groupes de pression des industriels. Nous avons besoin de votre aide sur ce point.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - L'UIPP s'est pourtant dotée d'une charte sur la publicité. Est-elle insuffisante ?
M. Christian de Luzy. - En tant que jardineries, nous travaillons davantage avec l'UPJ sur ces sujets. De même, nous sommes hostiles aux mélanges qui associent deux types de produits (un insecticide avec un herbicide par exemple) avec des actions combinées aux effets incertains. Nous avons signalé ce problème à la DGAL, mais attendons encore la réponse.
Audition de M. Philippe Joguet, directeur développement durable, responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et questions financières de la Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution (FCD), de Mme Giulia Basclet, conseillère environnement de la FCD et de Mme Sandrine Lanfrit, responsable qualité exploitation non alimentaire de Carrefour France
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. L'objectif de la mission commune d'information consiste à analyser l'impact des pesticides sur la santé. Nous nous intéressons prioritairement à la santé des utilisateurs directs, qui peuvent aussi être des jardiniers amateurs. Nous venons d'entendre les représentants des jardineries et sommes intéressés par le témoignage de distributeurs généralistes de pesticides pour jardiniers amateurs, car cette pratique nous préoccupe. Nous sommes également désireux d'entendre vos éventuelles recommandations.
M. Philippe Joguet, directeur développement durable, RSE et questions financières de la Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution (FCD). - Tout d'abord, nous vous remercions pour votre invitation.
La FCD est un syndicat professionnel soumis à la loi de 1884. Elle regroupe la quasi-totalité des enseignes de grande distribution généraliste, à l'exception d'Intermarché et de Leclerc. Ses adhérents représentent une part significative des ventes de produits phytopharmaceutiques destinés au grand public, soit 38 % des volumes vendus et 25 % du chiffre d'affaires. Les jardineries spécialisées assurent près de la moitié des ventes, les enseignes de bricolage environ 20 %.
Pour compléter votre information, je précise que les produits phytopharmaceutiques à destination non agricole représentent seulement 5 % du marché total. Sur cette part, environ deux tiers sont destinés aux jardiniers amateurs. Au total, la FCD ne représente donc que 1 à 1,5 % de la distribution totale des produits phytopharmaceutiques en France. Mais nous estimons cependant jouer un rôle important auprès du consommateur final pour conseiller un produit et la manière de l'utiliser.
Mme Sandrine Lanfrit, responsable qualité exploitation non alimentaire de Carrefour France. - Les acheteurs se renseignent beaucoup par Internet et assez peu auprès de nos vendeurs en rayon. ; ils privilégient l'achat d'un produit déjà connu. Nos clients préfèrent nettement les conditionnements prêts à l'emploi plutôt que des produits à diluer plus compliqués pour eux. Cette tendance permet de limiter les risques liés aux manipulations.
Mme Sophie Primas, présidente. - Cela vous posera-t-il un problème si la commercialisation des produits phytopharmaceutiques destinés aux jardiniers amateurs était restreinte aux seuls produits prêts à l'emploi ?
Mme Sandrine Lanfrit. - L'offre n'est pas toujours disponible sous cette forme.
M. Gérard Bailly. - De tels produits sont-ils plus dilués ?
M. Philippe Joguet. - En effet.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les clients ne risquent-ils pas de penser que la dilution diminue l'efficacité ?
Mme Sandrine Lanfrit. - Non, ils préfèrent cette présentation.
M. Jean-François Husson. - Il me semble que le « prêt à l'emploi » comporte un risque de surdosage. Globalement, le dosage de l'application des pesticides est plus compliqué pour les amateurs que pour les professionnels qui utilisent des pulvérisateurs bien réglés.
M. Philippe Joguet. - Vous avez raison, mais le produit amateur est moins nocif. Les modes d'emploi ne sont cependant pas toujours bien suivis par les jardiniers amateurs.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Constatez-vous une baisse - souhaitable - du volume des ventes de pesticides pour amateurs ?
M. Philippe Joguet. - Le plan Ecophyto 2018 tend à réduire de 50 % l'usage des produits phytopharmaceutiques, tous usages confondus. On n'observe rien de tel de la part des jardiniers amateurs, notamment parce que la mode du jardinage accroît la demande.
En revanche, Ecophyto 2018 a amené une évolution qualitative de l'offre. Certaines enseignes comme Carrefour ont retiré de leurs rayons les produits classés cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR) et ont développé l'offre compatible avec l'agriculture biologique.
Par ailleurs, les produits phytopharmaceutiques sont vendus en hypermarchés et dans les plus gros supermarchés mais pas dans les enseignes de proximité.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment effectuez-vous le référencement des produits proposés à la vente dans vos magasins ?
M. Philippe Joguet. - Je souhaite préciser à titre liminaire que les marques de distributeurs (MDD) sont quasiment absentes en matière de produits phytopharmaceutiques avec 3 % du marché. Les enseignes adhérentes à la FCD distribuent des produits de marques.
Mme Sandrine Lanfrit. - Les distributeurs comme Carrefour disposent de personnel spécialisé - dont un ingénieur qualité - pour les achats, qui sont effectués par appel d'offres répondant à un cahier des charges précis. Le service qualité formule des exigences commerciales et réglementaires - dont l'existence d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). Les fournisseurs peuvent également être audités par le distributeur.
Une fois les produits achetés, leur transport et leur stockage doivent respecter les conditions inscrites sur leur fiche de données de sécurité (FDS). La grande distribution est habituée à gérer ce type de contraintes qui s'imposent également pour d'autres produits, comme les aérosols ou l'eau de Javel.
M. Philippe Joguet. - En ce sens, notre qualité de généralistes de la vente constitue un atout. Il n'existe au demeurant pas de réglementation spécifique au transport et au stockage de produits phytopharmaceutiques, sauf lorsqu'ils sont classés « dangereux ». Ainsi, la présence d'une substance cancérogène impose la présentation dans une armoire fermée à clé. Tout ce qui est dangereux doit être séparé de l'alimentation humaine ou animale. Les FDS donnent toutes les indications et la base Quick-FDS est consultable en ligne.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ne trouvez-vous pas curieux de retrouver ensuite dans le même chariot ces produits à côté du steak ou du yaourt ?
M. Philippe Joguet. - Les emballages des produits sont étanches. Aucun problème n'a été signalé. Chez lui aussi, le consommateur sait faire la différence.
Mme Sandrine Lanfrit. - La grille du chariot permet à nos clients de séparer leurs achats.
Mme Sophie Primas, présidente. - Devrait-on aller jusqu'à des zones de vente fermées spécifiques aux pesticides ?
M. Philippe Joguet. - On y vient. Les enseignes anticipent la nouvelle réglementation en mettant en place, à des distances éloignées, des espaces réservés aux produits dangereux, en stockage comme en rayon. Pour les produits classés CMR, lorsque les enseignes ne les ont pas retirés de la vente, des logos obligatoires figurent sur les étiquettes.
Mme Sophie Primas, présidente. - Ne devriez-vous pas inciter tous les distributeurs à retirer de la vente les produits classés dangereux ?
Mme Sandrine Lanfrit. - Les enseignes et la FCD effectuent une veille réglementaire permanente permettant de suivre l'évolution des molécules et des produits. Nous disposons aussi d'une expertise sur les pesticides grâce à notre métier d'acheteurs de fruits et légumes, en traquant les résidus. Chez Carrefour, nous réagissons vite, notamment en retirant de la vente les produits pour éviter les mises sous clé.
M. Philippe Joguet. - Il est difficile pour les enseignes de mettre en place un dispositif de mise sous clé des produits proposés à la vente. Nos adhérents préfèrent donc souvent mettre fin à la commercialisation. Très absorbée, ces deux dernières années, par la mise en place, avant octobre 2013, de la nouvelle réglementation sur les produits phytopharmaceutiques, la FCD n'a pas souhaité retenir de normes plus strictes. Les bonnes pratiques s'échangent entre enseignes adhérentes à la FCD, mais chacune garde sa liberté.
Mme Sandrine Lanfrit. - En qualité de présidente du comité non alimentaire de la FCD, je confirme notre pratique d'échanges permanents.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - A-t-on besoin de personnel spécialement formé en rayon pour vendre les pesticides ?
M. Philippe Joguet. - Bien sûr. Le Grenelle de l'environnement a imposé la certification obligatoire, ce qui a modifié la donne : il nous fallait autrefois disposer d'environ une personne formée pour dix présentes en rayon. Avec la réforme, il faudra assurer la présence continue d'un vendeur détenteur du certificat, valable cinq ans. L'arrêté du 21 octobre 2011 a défini la formation, sur trois jours, nécessaire pour obtenir le certificat et les modalités d'actualisation des connaissances.
Mme Sandrine Lanfrit. - Pour Carrefour, 300 points de vente sont concernés et 1 200 personnes sont actuellement en formation dans toute la France en vue d'obtenir le certificat. Identifiés par un badge, les vendeurs devront conseiller les acheteurs en les dirigeants d'abord vers des pratiques respectueuses de l'environnement et en promouvant des méthodes alternatives.
Mme Sophie Primas, présidente. - Vu le coût induit par ces nouvelles contraintes, estimez-vous encore intéressant de vendre des pesticides pour jardiniers amateurs ?
M. Henri Tandonnet. - J'imagine que vos conseillers étant mieux formés, ils sont mieux payés. Que dit la convention collective ?
Mme Sandrine Lanfrit. - C'est à vérifier. En fait, les salariés détenant le certificat étaient habituellement des vendeurs qualifiés possédant le certificat de qualification pour les distributeurs et applicateurs des produits antiparasitaires à usage agricole. Ce diplôme ne suffisait pas à justifier une meilleure rémunération.
Mme Sophie Primas, présidente. - Auriez-vous des recommandations à suggérer ?
M. Philippe Joguet. - Il faut inciter à l'utilisation de méthodes alternatives, comme la binette, le paillage ou le désherbage thermique, mais il n'en existe pas pour toutes les cultures. Le consommateur aurait aussi besoin d'une base de données consacrée aux méthodes alternatives.
Mme Sandrine Lanfrit. - Les industriels n'ont pas forcément intérêt à une telle évolution, à l'inverse des distributeurs, qui vendent aussi des binettes, du paillage, etc.
M. Jean-François Husson. - A l'aune des déchets dangereux que l'on retrouve dans les déchetteries, les consommateurs ne semblent pas disposés à prendre de nouvelles habitudes.
Mme Sophie Primas, présidente. - Ne pourriez-vous pas vendre des stages d'apprentissage de méthodes alternatives ?
M. Philippe Joguet. - Nous n'y avions pas pensé. Cependant, nous travaillons à leur popularisation, notamment via l'initiative « Jardiner autrement » dans le cadre du plan Ecophyto 2018.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Le slogan publicitaire contestable attaché à cette initiative « L'abus de pesticides est dangereux » suggère que les pesticides en général peuvent ne pas être dangereux !
M. Philippe Joguet. - C'est le ministère de l'agriculture qui a choisi le slogan, pas la FCD.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions pour les informations apportées.
Audition de M. Philippe de Saint-Victor, directeur du pôle développement et prospective de SNCF-infra et de M. François Lauzeral, expert technique « géométrie de la voie et maîtrise de la végétation »
Mme Sophie Primas, présidente. - Créée en début d'année, la mission commune d'information sur les pesticides s'est focalisée sur l'incidence sanitaire de ces produits pour ceux qui les fabriquent, les transportent, les commercialisent ou les épandent, sans omettre les familles des intéressés, ni les riverains des zones traitées.
Après avoir amplement auditionné des représentants du corps médical et des acteurs de l'agriculture, nous ne pouvions négliger une grande entité comme la SNCF compte tenu de la superficie considérable qu'elle désherbe.
Le petit questionnaire que vous avez reçu peut servir de guide à votre intervention. Nous éprouvons un intérêt marqué pour la veille technologique mise en place par la SNCF et RFF.
M. Philippe de Saint-Victor. - Je suis en charge du développement durable au sein de la branche « infrastructures » de la SNCF ; M. François Lauzeral s'occupe de la maîtrise de la végétation.
Pourquoi désherbons-nous la voie et les pistes ? Pour des raisons de sécurité des circulations.
Une plate-forme de voies ferrées comporte en premier lieu le ballast, qui serait déstabilisé si des poches d'humidité se formaient. Or, les plantes peuvent provoquer l'apparition de telles poches, d'où la nécessité d'éviter toute végétation.
De part et d'autre du ballast, deux pistes permettent la circulation des agents d'entretien. Le cas échéant, ces mêmes pistes servent à évacuer les voyageurs d'un train en panne. Là encore, l'absence totale de végétation est impérative pour des raisons de sécurité du personnel.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Il m'est arrivé de voir de l'herbe pousser sur les voies. Cela ne me gêne d'ailleurs pas...
M. Philippe de Saint-Victor. - Moi, si ! Nous faisons circuler des trains vérifiant la géométrie des voies, car les rails doivent être parallèles et au même niveau. L'apparition d'humidité sous le ballast, qu'elle soit imputable à la végétation ou à la nature du terrain, crée un risque.
J'en reviens à la structure des voies ferrées. Chaque piste de circulation est longée par une bande large de deux à trois mètres, où l'existence d'une végétation contribue à maintenir la plate-forme, mais en évitant toute exubérance, afin de ne pas cacher les panneaux et feux de signalisation. Cette même précaution améliore la visibilité des automobilistes aux passages à niveau.
Enfin, les abords font l'objet d'une surveillance et d'interventions dont le but principal est d'éviter que des branches d'arbres ne viennent au contact des caténaires, notamment en cas d'intempéries.
Comment désherbons-nous ? Le désherbage chimique coûte environ 15 millions d'euros par an ; le débroussaillage mécanique et le fauchage de l'herbe reviennent à 75 millions d'euros chaque année.
Le désherbage chimique est assuré à 95 % par des trains désherbeurs. Ceux dits « à grand rendement » circulent à 70 km/h, alors que les trains régionaux ne dépassent guère les 30 km/h. Exclues lorsqu'il y a du vent, ces opérations ont un statut de travaux. Aucun train commercial ne peut donc circuler pendant qu'elles ont lieu, d'où l'intérêt des trains à grand rendement, qui n'empêchent la circulation que pendant une durée plus brève.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Lorsqu'il passe dans une gare, un train désherbeur continue-t-il à pulvériser des pesticides ?
M. François Lauzeral. - Pas lorsqu'il y a des voyageurs sur les quais. D'où, peut-être, l'herbe que vous avez pu observer sur certaines voies.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Mais il y a quasiment en permanence des gens dans les gares !
M. François Lauzeral. - Pas en permanence.
M. Philippe de Saint-Victor. - Il y a en général une à deux heures par journée sans passager sur les quais. Les trains régionaux peuvent donc intervenir sur les voies des gares, avec une vitesse pouvant techniquement atteindre 50 km/h.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quelle est la fréquence de ces traitements ?
M. Philippe de Saint-Victor. - La voie et les pistes des voies principales du réseau sont traitées par les trains à grand rendement une fois chaque année ; les trains régionaux interviennent avec la même fréquence en gare. Les trains régionaux réalisent aussi le désherbage sélectif des abords proches tous les trois à cinq ans environ.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quid des voies situées à proximité d'habitations ?
M. Philippe de Saint-Victor. - La question ne se pose pas : la proximité devrait être véritablement immédiate.
Mme Bernadette Bourzai. - Est-ce le cas des maisons des gardes-barrières ?
M. Philippe de Saint-Victor. - Les passages à niveau sont traités de façon mécanique mais aussi chimique avec des moyens routiers.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Est-on certain qu'il ne peut y avoir de dérive des produits épandus ?
M. François Lauzeral. - Étant les seuls à utiliser ce type de matériel, nous sommes dépourvus d'éléments de comparaison pour apprécier la dérive, mais nous avons constaté que la vitesse du train n'empêchait pas les herbicides de rester au sol... sauf lorsqu'il y a du vent ! Et nous ne traitons pas lorsque le vent souffle.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Le débit d'herbicides est-il calibré ?
M. François Lauzeral. - Le dosage est proportionnel à la vitesse du train, pour arriver à une quantité constante d'herbicides par hectare. La largeur traitée est bien sûr prise en compte.
Je précise en outre que les produits épandus à faible vitesse sont surmouillés afin d'obtenir des jets formés.
Nous utilisons des buses de gros calibre permettant d'obtenir des grosses gouttes peu sensibles à la dérive lors des traitements à vitesse élevée.
Vers 1925, les premiers désherbants utilisés étaient à base de chlorate de soude. Depuis le milieu des années 1970, nous n'utilisons plus que des herbicides de synthèse.
Généralisé vers 1985 sur les trains à grand rendement, l'injection directe et le dosage proportionnel intégral équipent l'ensemble des matériels d'application.
À l'étranger, ces opérations sont fréquemment sous-traitées : les Anglais utilisent des trains hongrois ; les Allemands ont recours à des trains désherbeurs appartenant entre autres à la société Bayer. Les Russes font comme nous.
Mme Sophie Primas, présidente. - On nous a dit qu'il n'y avait pas de désherbage des voies ferrées au Luxembourg.
M. François Lauzeral. - Cela m'étonne.
M. Philippe de Saint-Victor. - Toutefois, l'épaisseur du ballast utilisé sur les voies modernes, comme celles du TGV, rend son désherbage sans objet.
M. François Lauzeral. - Ainsi, le ballast des lignes à grande vitesse n'est jamais traité.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Prenez-vous des précautions pour ne pas polluer les eaux ?
M. Philippe de Saint-Victor. - Les sources captées sont protégées par des arrêtés préfectoraux définissant des périmètres autour des points d'eau. Les conducteurs de train disposent de feuilles de route indiquant les périmètres de protection des eaux.
Nous expérimentons plusieurs systèmes de localisation afin de fiabiliser le respect de la réglementation. Le dispositif d'asservissement des trains à grand rendement leur permet d'automatiser cette fonction. Des expérimentations sont en cours sur les trains régionaux.
Nous avons néanmoins subi quelques déboires sur des points d'eau.
M. François Lauzeral. - En Bretagne, région pilote sur ce point, un GPS déclenche une alarme sonore aux abords des points d'eau, un peu comme les GPS d'automobilistes signalent les radars. Pour la généralisation, nous pensons plutôt à un GPS de précision métrique permettant d'asservir les pompes.
Cela imposera toutefois l'obtention de bases de données fiabilisées de la part de l'ensemble des Agences Régionales de Santé.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment la ligne à grande vitesse desservant Angoulême sera-t-elle désherbée ?
M. Philippe de Saint-Victor. - Nous ne pouvons vous répondre, car nous ne connaissons pas le cahier des charges du concessionnaire. La SNCF n'est pas concernée.
M. François Lauzeral. - RFF réfléchit à des plates-formes qui ne s'enherbent pas. Les Suisses utilisent une technique de grave-bitume, comme une route réalisée sous le ballast, protégeant de façon définitive le ballast et les pistes de circulation contre toute apparition végétale.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quels produits et techniques mettez-vous en oeuvre ?
M. Philippe de Saint-Victor. - Nous utilisons des produits destinés aux professionnels et agréés pour les usages non agricoles par le ministère de l'agriculture, en excluant ceux classés « toxiques ».
M. François Lauzeral. - Le désherbage total est assuré grâce à des produits destinés aux professionnels. Nous les achetons par appel d'offres. À terme, nous devrons mettre en oeuvre, selon les cas, des préparations homologuées « désherbage total des voies ferrées » pour les voies et les pistes ou « entretien des zones herbeuses » pour les abords.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ces désherbants sont-ils livrés en conteneurs ?
M. François Lauzeral. - En conteneurs de 1.000 litres, en bidons, mais aussi en camions-citernes pour les trains à grand rendement.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment protégez-vous les personnes qui opèrent sur des trains désherbeurs ?
M. François Lauzeral. - Les opérateurs des trains n'ont pas de contact direct avec les produits lors des traitements et il n'est pas prescrit de protection particulière. Par contre, le risque est élevé lors des opérations de remplissage / vidage des réservoirs à produit et de dépannage. Les opérateurs sont alors équipés des protections individuelles indispensables. Au demeurant, chacun de nos six trains désherbeurs n'est chargé qu'une fois par an, au mois de février. Il n'y a pas de réassort jusqu'à la fin de la campagne, en juillet.
L'opération d'épandage ne laisse que des traces de produits sur les trains.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Y a-t-il eu des accidents ?
M. François Lauzeral. - Les trains ne déraillent guère.
M. Philippe de Saint-Victor. - Quelque 300 personnes travaillent à temps plein et à temps partiel au désherbage chimique, dont l'activité s'étale de mars à juillet.
Notre personnel est suivi par un médecin du travail, une cellule toxicologique formule des recommandations. Nous n'avons eu aucun signalement d'accidents du travail ni de maladie professionnelle, ni sur le plan institutionnel, ni de la part des partenaires sociaux.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quid du suivi de la santé des personnels après la fin de leur travail à la SNCF ?
M. Philippe de Saint-Victor. - Nos salariés restent habituellement à la SNCF jusqu'à leur départ en retraite. Ils sont donc médicalement surveillés après la fin de leur participation au désherbage, mais aucun suivi longitudinal n'a été mis en place pour les retraités.
Mme Sophie Primas, présidente. - Les pesticides peuvent provoquer l'apparition de pathologies quinze, vingt voire vingt-cinq ans plus tard.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Etes-vous partenaire du plan Écophyto 2018 ?
M. Philippe de Saint-Victor. - Nous avons contribué à sa mise au point, nous avons signé un accord avec l'État et RFF.
S'agissant de l'objectif à l'horizon 2018, nous avons mis en place notre système de mesure, en attendant l'élaboration de normes ministérielles. Une application logicielle est en cours d'installation. Au demeurant, notre consommation de pesticides a déjà baissé de 30 % depuis 2008.
M. François Lauzeral. - Nous avons supprimé le traitement de la partie ballastée des voies récentes où le potentiel d'enherbement est très faible. Historiquement, nous utilisions des doses inférieures à la réglementation. Ainsi, lorsque le glyphosate était homologué pour huit litres par hectare, nous n'en utilisions que six ; la dose maximale actuelle est de 5 litres par hectare, nous appliquons donc cette dose.
En conséquence de ces deux points, nous avons diminué la quantité mise en oeuvre.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que pensez-vous des méthodes thermiques ?
M. François Lauzeral. - Les méthodes à chaleur directe brûleraient les fils électriques ! Quant au désherbage à la vapeur, il est très consommateur d'eau et d'énergie fossile. Les Allemands ont expérimenté un « train usine à vapeur » qui s'est avéré peu efficace et très coûteux. A titre indicatif, nous évaluons à 13 m3 d'eau et 1.000 litres de fioul la consommation nécessaire au désherbage d'un kilomètre de voie ferrée. A 60 km/h, vitesse de nos trains en travail, cela représente la puissance de deux tranches de centrale nucléaire ou de 350 locomotives diesel à pleine puissance !
La binette n'est guère envisageable, puisque son emploi obligerait à empêcher toute circulation sur les voies pendant quatre heures d'affilée.
Mme Sophie Primas, présidente. - Ce serait une façon de résorber le chômage ! Il faut en parler à M. Jean-Marc Ayrault !
Mme Bernadette Bourzai. - Avez-vous trouvé un produit de substitution à la créosote pour le traitement des traverses de chemin de fer en chêne, dont ma région est largement productrice ?
M. Philippe de Saint-Victor. - L'utilisation de cet insecticide et fongicide sera très probablement interdite en 2018, mais nous n'avons pas encore trouvé par quoi la remplacer. Les sels de bore ou l'huile posent problème. Le remplacement par des traverses en béton coûterait trop cher.
M. François Lauzeral. - Les propriétés insecticides et fongicides de la créosote nous sont très utiles.
M. Philippe de Saint-Victor. - Pour en revenir au plan Écophyto 2018, nous avons divisé par trois la consommation d'herbicides en trente ans et par deux cette consommation en quinze ans. En augmentant l'épaisseur du ballast et grâce à la maîtrise de l'asservissement, nous espérons atteindre l'objectif de -50 % de pesticides utilisés à l'horizon 2018.
M. François Lauzeral. - Nous gérons directement le pilotage des pompes, mais il reste à asservir le traitement à la présence de végétation, même si l'on ne peut raisonnablement envisager de traiter exclusivement 3 dm² à 70 km/h. Malgré les déboires techniques rencontrés à ce jour dans la mise au point de cet asservissement, nous espérons qu'il sera opérationnel au cours des prochaines années, ce qui assurera de diviser par deux la consommation de produits herbicides à l'horizon 2018.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - N'y a-t-il pas un risque de traiter également les plantes situées chez les riverains des chemins de fer ?
M. François Lauzeral. - Ce cas de figure est rare, car nous connaissons les zones dangereuses pour le traitement. Bien sûr, le désherbage sélectif des talus peut accidentellement occasionner des dégâts chez les riverains, qui sont alors indemnisés.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quid du nettoyage des trains ?
M. François Lauzeral. - C'est un élément de l'accord-cadre de 2007, qui est à la charge de RFF. A ce jour, seuls deux ou trois sites sont convenablement équipés, afin de supprimer tout rejet d'effluents vers l'environnement.
M. Philippe de Saint-Victor. - Avouons-le : nous ne savons pas ce que nous aurions fait à la place de RFF.
M. François Lauzeral. - Le retour prochain à un gestionnaire d'infrastructure unifiée devrait améliorer la situation dans quelques années.
Mme Sophie Primas, présidente. - Comment le matériel utilisé est-il ensuite retraité ?
M. François Lauzeral. - Les bidons sont repris par Adivalor avec qui nous avons pu avoir des difficultés ponctuelles pour être désignés points de collecte car, dans la mesure où nous achetons directement aux fabricants, les distributeurs locaux n'acceptent pas toujours de reprendre des emballages de produits qu'ils n'ont pas vendus.
M. Philippe de Saint-Victor. - Au demeurant, nous n'avons guère le choix, puisque la réglementation des marchés publics interdit de les segmenter pour s'approvisionner auprès des PME.
Globalement, presque tout est repris par Adivalor, mais les containers de 1000 litres consignés repartent vers les producteurs et le traitement des camions-citernes est de la responsabilité du transporteur spécialisé.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Pourrez-vous me renseigner sur le traitement de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux ?
M. Philippe de Saint-Victor. - Nous devons vérifier ce qu'il en est.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ne peut-on éviter complètement d'utiliser les pesticides ?
M. Philippe de Saint-Victor. - La seule solution durable consiste à construire des plates-formes empêchant toute arrivée d'herbes, car toutes les solutions curatives reposent sur des traitements chimiques.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie.
Audition de M. Jean-Marc Bournigal, président de l'Institut national de Recherche en Sciences et Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture (IRSTEA), et de M. Pierrick Givone, directeur général délégué recherche innovation
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie d'être là ce soir devant cette mission d'information, demandée par Mme Nicole Bonnefoy, et consacrée à l'impact des pesticides sur la santé et l'environnement. Nous nous sommes concentrés d'abord sur la santé de ceux qui utilisent les pesticides, donc beaucoup sur le monde agricole.
Votre institut a-t-il été sollicité pour appuyer la réduction des pesticides ?
M. Jean-Marc Bournigal, président de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA). - Depuis un décret de février 2012, l'Institut national de la Recherche en Sciences et Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture (IRSTEA), a succédé au Centre de Machinisme Agricole, du Génie Rural, des Eaux et Forêts (CEMAGREF), dont il a repris les thématiques.
Mme Sophie Primas, présidente. - Pourriez-vous aborder les évolutions technologiques et, dans le cadre d'Ecophyto 2018, l'action de votre institut pour diminuer l'usage des pesticides.
M. Jean-Marc Bournigal. - Je ne suis président de l'IRSTEA que depuis trois mois. Auparavant, je travaillais au ministère de l'agriculture. Je me suis un peu occupé des pesticides dans le passé. M. Pierrick GIVONE, directeur délégué en charge notamment de la partie scientifique, pourra compléter mes propos.
Le champ de compétence de l'IRSTEA n'est pas directement lié aux pesticides mais plutôt à l'eau, à la gestion des risques naturels, à la gestion des territoires et aux écotechnologies, dont l'assainissement et les compétences en matière de machinisme agricole. C'est à ce dernier titre que l'institut est appelé à s'occuper des pesticides. En revanche, l'IRSTEA n'a pas de compétences agronomiques ? L'Institut est pas impliqué dans le plan Ecophyto 2018 qui se situe hors du champ de compétence.
Nos compétences en machinisme agricole nous ont conduits à étudier les pulvérisateurs, ainsi que d'autres types de machines, en accordant une attention particulière à l'ergonomie des machines agricoles.
Nous nous sommes donc préoccupés de la sécurité des travailleurs et de l'expologie des agriculteurs. D'où le travail conduit sur les pulvérisateur pour prendre en compte l'exposition potentielle complète de l'agriculteur depuis le remplissage du pulvérisateur jusqu'au nettoyage du matériel, en passant par l'étanchéité des cabines de tracteurs, les caractéristiques du pulvérisateur au sol sans omettre les moments où l'agriculteur descend du tracteur pour déployer les rampes d'épandage, nettoie avec ses mains les buses qui se bouchent, ni la phase de nettoyage final du matériel.
Ce bilan expologique va intéresser les industriels et le ministère de l'agriculture.
L'IRSTEA a été aussi saisi, par le Ministère de l'agriculture, de l'épandage aérien sur les bananeraies en outre-mer, qu'il s'agisse du traitement aérien lui-même ou du travail préalable de cartographie imposé pour pouvoir appliquer l'arrêté de 2004 sur le respect des zones de 50 mètres entre les bâtiments ou les cours d'eau permanents et l'épandage.
Nous avons aussi testé les matériels commercialisés- notamment toutes les buses - pour limiter la dispersion, mais également les rampes, aussi bien sur les avions que sur les hélicoptères. Nous avons enfin élaboré un logiciel de traçabilité à partir d'un repérage GPS, après avoir établi des cartographies.
Ce système a été mis en oeuvre parallèlement à un travail sur le développement de méthodes alternatives au sol, qui a conduit à tester tous les matériels existants, dont les canons au sol et les lances, peu ou pas du tout performants, notamment par comparaison avec les descriptions des catalogues (capacités, distances, répartition des doses, expologie).
Un nouveau système de traitement au sol mis au point par l'IRSTEA avec une nouvelle tête de pulvérisateur est en train d'être testé. Ce prototype préindustriel sera capable de gravir des pentes relativement importantes et de passer entre les bananeraies avec une perche qui monte à 7 mètres.
Notons que la chlordécone n'est jamais épandue de façon aérienne, mais au pied des bananiers.
Quant aux équipements de protection individuelle, ils ne sont pas testés par l'IRSTEA car cela n'est pas dans son champ de compétence.
En termes d'expologie, l'ANSES s'est autosaisie de l'efficacité des équipements de protection individuelle. Dans le cadre de la première partie de cette étude, l'IRSTEA a recensé l'ensemble des équipements de protection individuelle commercialisés sur le marché. Il a mené une enquête auprès des agriculteurs pour savoir comment ils utilisaient ces protections. Ce rapport sera rendu fin juillet ou début août 2012.
A titre d'exemple, les mauvaises pratiques suivantes ont été relevées. Les combinaisons - à usage unique - ne devraient être utilisées qu'une demi-journée. En réalité, les agriculteurs les utilisent plusieurs fois, ou ne les utilisent pas assez ou pas au bon moment. Ils sous-estiment les risques de contamination, notamment par la peau, lorsque la buse se bloque ou lorsqu'il faut plier ou redéplier les bras de la rampe d'épandage. Parfois, une cigarette est allumée sans ôter des gants souillés.
Une seconde phase de l'étude, non confiée à l'IRSTEA, tendra à évaluer l'efficacité des équipements de protection, de leurs textiles. L'efficacité des combinaisons n'entre pas dans le champ de compétence de l'IRSTEA.
Comme il a déjà été indiqué, l'IRSTEA a précisé l'expologie à travers l'ergonomie des machines, notamment en apposant des patches sur tout le corps des utilisateurs. La même méthode peut être appliquée aux équipements de protection.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Auriez-vous des recommandations à exprimer ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Des améliorations de matériel à suggérer ?
M. Pierrick Givone, directeur général délégué recherche innovation de l'IRSTEA. - Au sujet du traitement aérien, l'optimisation des systèmes en place a été atteinte en termes de rampe de pulvérisation, de traçabilité et de capacités des buses à développer une dérive minimale avec coupure automatique si l'avion ou l'hélicoptère pénètre sur une zone où il ne doit pas traiter.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Avant d'accorder une dérogation pour un épandage aérien, peut-être faudrait-il s'assurer qu'une cartographie a bien été établie ?
M. Pierrick Givone. - Dans le cas des bananes en Martinique et en Guadeloupe, l'IRSTEA a optimisé la chaîne complète, allant de la cartographie à la traçabilité, pour que les buses impliquent une dérive minimale. Il incombe ensuite à l'administration de vérifier la bonne application de l'arrêté de 2004 quant à la zone de 50 mètres, en fonction du dossier préalable déposé.
Le travail dans les départements d'Outre-mer a été compliqué par le fait que la situation cadastrale ne rendait pas compte de l'état réel du bâti, ce qui nous a obligés, avec l'aide de la profession, à retourner sur le terrain pour compléter les photos satellites les plus récentes disponibles.
L'utilisation d'une carte et du GPS permet, au retour, de constater de visu si les zones traitées sont bien celles prévues.
Mme Sophie Primas, présidente. - L'épandage aérien dépend-il de la situation météorologique ?
M. Pierrick Givone. - Les avions et les hélicoptères sont contraints par les conditions météo incluant une température et un vent spécifiques. S'ils ne respectaient pas ces conditions, la dérive des produits à répandre serait excessive. Il incombe aux préfets de vérifier. En général, cela est respecté puisque le traitement aérien s'effectue rapidement : il est inutile de se mettre en situation difficile pour gagner deux heures, au prix d'un traitement peu efficace.
Les recommandations de l'IRSTEA ne valent que pour la Martinique et la Guadeloupe, et seulement pour les bananiers, non pour le maïs ou le riz en Camargue, ni le polder en Guyane.
Même avec un traitement aérien optimisé, les zones d'exclusion liées à la présence de cours d'eau ou à celle d'habitations représentent au moins 20 % à 30 % des surfaces à traiter. D'où la nécessité de trouver une méthode terrestre alternative.
En Martinique et en Guadeloupe, il faut pouvoir travailler sur des pentes atteignant 45 % et dans des conditions climatiques nécessitant des aménagements. Un mât très élevé peut garantir une dérive minimale et le porteur au sol doit être adapté. Ce qui a été assez compliqué, d'autant qu'il faut assurer la stabilité du mât alors que le porteur chote sur un sol non préparé.
Mme Sophie Primas, présidente. - Y aurait-il encore des améliorations à apporter sur les pulvérisateurs, ou sur d'autres matériels ?
M. Pierrick Givone. - Seules les buses ont été testées de manière systématique, mais sur un banc d'essai et non en situation, pour déterminer celle qui limiterait au mieux la dérive. Mais ensuite, les buses se montent sur une très large gamme de machines et il est impossible de toutes les tester en situation.
Mme Sophie Primas, présidente. - Quelles sont alors vos recommandations d'emploi ?
M. Pierrick Givone. - Le classement des buses est effectué à partir d'essais en site avec du vent pour déterminer les coefficients de dérive.
Quand on traite les bananiers avec des fongicides, l'excipient est de l'huile, ce qui produit, lors de la pulvérisation, une taille et un poids de gouttes tout à fait différents que si le même produit était dilué dans l'eau. Il faut donc non seulement tester en situation vis-à-vis de la dérive, mais aussi utiliser les buses avec le type de produit générant un certain type de goutte, d'où l'impossibilité d'avoir une réponse générale sur tel ou tel type de matériel.
Autre exemple, si les gouttes sont de très petite taille et pèsent très peu et si la chaleur entraîne une vitesse ascensionnelle, la goutte ne retombe pas immédiatement sur la plante et risque de repartir.
Des tests en vraie grandeur sont nécessaires, mais difficiles à réaliser : il faudrait déposer des milliers de boîtes de Pétri pour étudier les effets du passage de l'avion. De tels tests ont été effectués sur la banane ; les généraliser serait hors de portée de l'IRSTEA.
Mme Sophie Primas, présidente. - Qu'en est-il des buses ?
M. Pierrick Givone. - Les buses ont été testées, mais leur efficacité dépend du climat, de l'air, chaud et froid, de la hauteur de passage de l'avion. D'où la nécessité d'intégrer ces résultats dès la conception des machines pour prendre en compte la sécurité, comme l'efficacité, très en amont afin d'éviter au maximum le contact avec les produits.
Il faut également prévoir de ne pas manipuler à mains nues le produit quand on remplit les pulvérisateurs, puis d'éviter tout contact par la suite grâce à des systèmes mécaniques évitant l'intervention humaine : automatiser au maximum le déploiement des rampes, tester les buses pour éviter qu'elles ne se bouchent en les dotant de systèmes de nettoyage.
L'important est que les fabricants de machines intègrent les risques dès la conception de celles-ci.
Ces producteurs travaillent en liaisons avec l'IRSTEA, puisqu'ils récupèrent les méthodes mises au point.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ces machines sont-elles produites par beaucoup de fabricants français, européens ?
M. Pierrick Givone. - Des fabricants de pulvérisateurs, il y en a un peu partout. C'est un marché assez pointu. Les fabricants de tracteurs sont sans cesse moins nombreux en France.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les pulvérisateurs très sécurisés coûtent probablement plus chers. Cela n'est-il pas dissuasif pour les agriculteurs ?
M. Jean-Marc Bournigal. - Si. D'ou la nécessité d'actions de sensibilisation, faisant prendre conscience aux agriculteurs des risques qu'ils courent.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ne leur a-t-on pas laissé croire pendant longtemps qu'il ne s'agissait pas de produits dangereux ?
M. Jean-Marc Bournigal. - Les étiquetages des produits phytosanitaires existaient déjà il y a vingt ans.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les agriculteurs faisaient confiance aux vendeurs...
M. Jean-Marc Bournigal. - Les étiquettes étaient relativement claires quant aux risques.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Elles ne sont pas toujours faciles à lire ...
M. Jean-Marc Bournigal. - Il n'est pas nécessaire de lire la liste de toutes les molécules mais seulement les mesures de sécurité à prendre.
Le Certiphyto a pour mérite de forcer les agriculteurs à se former, à connaître mieux le risque applicateur.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les jeunes agriculteurs sont-ils bien formés à cette fin ?
M. Jean-Marc Bournigal. - Normalement, dans les lycées agricoles comme dans les écoles de l'enseignement supérieur, cette dimension est intégrée dans les cours.
M. Pierrick Givone. - Il faut former les agriculteurs à manipuler les pesticides en ayant bien à l'esprit les conséquences éventuelles de contacts avec la peau et les muqueuses.
Ainsi, dans les enquêtes d'expologie, filmer en continu le comportement des gens permet de détecter un grand nombre de comportements à risque d'un point de vue général. Les ouvriers agricoles se protègent mieux que les responsables d'exploitations qui font les choses plus vite et dans l'urgence.
Mme Sophie Primas, présidente. - Qu'en est-il de la sécurité des cabines de tracteurs ?
M. Pierrick Givone. - Les cabines de tracteurs sont classées de 1 à 4 et sont testées avant d'être certifiées. La catégorie 1 correspond à la présence d'une cabine ; la catégorie 2 à une cabine protégeant de la poussière ; la catégorie 3 à une protection contre les poussières et les aérosols ; la catégorie 4 une protection contre les poussières, les aérosols et les gaz.
Pour la production de bananes, une cabine de classe 4 s'impose pour que les gens à l'intérieur ne soient pas tenus de mettre un équipement de protection. Dans ces cabines, des règles de comportement extrêmement strictes doivent être adoptées : ne pas sortir du tracteur avant la fin du traitement, car ces cabines sont en surpression ; démonter et mettre au sec les filtres spéciaux après la pulvérisation, changer ces filtres tous les six mois ou tous les deux ans ; Les comportements sont parfois décalés par rapport aux notices...
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Est-on certain de la protection offerte par les équipements de protection individuelle ?
M. Jean-Marc Bournigal. - Ils ont été testés, mais tout dépend de leur utilisation effective... Normalement, la combinaison ne doit pas servir plus d'une demi-journée ; il ne faut surtout pas la remettre.
Mme Sophie Primas, présidente. - Faudrait-il modifier la formation Certiphyto ?
M. Pierrick Givone. - S'agissant des bananeraies, l'IRSTEA a apporté des éléments pour que les formations des conducteurs d'engins prennent en compte l'ensemble des préconisations. Des milliers d'agriculteurs ont été rencontrés. Ces éléments sont ensuite tenus à disposition des organismes en charge de Certiphyto.
En réalité, il faut éliminer le décalage entre les préconisations et la pratique. Par exemple, il ne faut ni fumer, ni enlever ses gants et les remettre.
Il faut donc à la fois concevoir les outils pour réduire les risques inhérents au comportement humain et obtenir une bonne utilisation de ces outils. Le système ultime consiste à automatiser les traitements au maximum.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Pourquoi ne pas les éliminer ?
M. Jean-Marc Bournigal. - Je ne sais pas très bien ce qu'il nous resterait à manger...
Dans les années 1960, il y avait sans doute très peu de protection.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment mieux former ?
M. Pierrick Givone. - Pour les bananeraies, il a été nécessaire de filmer les personnes qui enlevaient leur combinaison pour leur montrer qu'ils se recontaminaient, alors qu'il y avait d'autres façons de faire. C'est comportemental : il faut toujours se mettre en situation.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment faire comprendre qu'il faille se protéger d'un produit qui va dans l'environnement et se retrouve dans l'alimentation ?
M. Jean-Marc Bournigal. - Il s'agit tout de même de biocides. Il existe des règles strictes pour leur utilisation ! Les gens ne peuvent s'exonérer de la totalité de leurs responsabilités alors qu'ils doivent avoir un local spécifique fermé à clé pour ranger les pesticides, respecter les conditions d'utilisation, tenir un registre...
Ces produits particuliers nécessitent des règles de comportements adaptées.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Pendant des années, les agriculteurs ont produit toujours davantage comme on le leur demandait, avec les excès que cela comporte ; ils ont fait confiance...
M. Jean-Marc Bournigal. - Sans porter de jugement sur le passé, près des deux tiers des molécules ont été interdites depuis au niveau communautaire et, pour les molécules CMR restantes, la substitution est obligatoire dès qu'elle est possible. Les produits sont aujourd'hui de meilleure qualité, les méthodes de traitement ont été améliorées, l'utilisateur est mieux informé et l'effet des molécules sur l'environnement n'est plus négligé.
Mme Sophie Primas, présidente. - Le danger n'est pas toujours consécutif à un accident du travail : on constate des maladies provoquées par vingt ans de pratique. Très peu de contaminations surviennent par action massive, hormis des réactions allergiques.
M. Jean-Marc Bournigal. - Il y a peu de risques aigus.
Mme Sophie Primas, présidente. - L'IRSTEA a-t-il travaillé sur les serres ?
M. Pierrick Givone. - Oui, pour étudier l'exposition et la qualité de la pulvérisation.
Mme Sophie Primas, présidente. - Avez-vous élaboré des recommandations particulières ?
M. Pierrick Givone. - Ce milieu confiné impose des protections individuelles accrues, des précautions spécifiques, notamment pour les délais de ré-entrée, qui son allongés.
À Montpellier, un tunnel sert à effectuer ce genre de tests, non avec des pesticides mais avec des fluides : on simule ce qui se passe dans une serre pour caractériser la dérive, la régularité...
Mme Sophie Primas, présidente. - Quels pourraient être les matériels agricoles alternatifs ?
M. Pierrick Givone. - On pourrait songer à un développement de machines intégrant, le plus en amont possible, des systèmes de vision identifiant les mauvaises herbes, associées à un dispositif d'élimination. Beaucoup été fait dans la vision automatique, mais il reste très compliqué d'identifier les mauvaises herbes à partir d'une reconnaissance automatique de forme.
Une autre alternative testée est l'électrocution des mauvaises herbes, sans produits chimiques. Une reconnaissance excellente permettrait aux automates d'intervenir de manière très ciblée à partir de la cartographie de la parcelle.
Les emplacements des traitements par engrais sont déjà repérés grâce à un logiciel qui permet d'intervenir à bon escient.
Mais cela reste une vision d'avenir. Des chercheurs y réfléchissent, mais ils sont loin du stade industriel, d'autant que, par nature, les plantes poussent et changent d'apparence.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Allons-nous vers des robots dans les champs ?
M. Pierrick Givone. - L'avenir pour les risques applicateurs, c'est la robotisation. Déjà des producteurs de Champagne sont intéressés car leurs rangs de vignes sont très étroits. Des robots pourraient être pilotés du haut du champ...
L'absence de toute possibilité de contact avec les pesticides réglerait le risque de contact. Ce serait un gain net. Tous les gains nets doivent être recherchés, d'autant que le matériel agricole coûte cher et la main-d'oeuvre encore davantage.
Il existe, aujourd'hui, des tracteurs couplés entre eux ; c'est déjà le stade industriel du développement de la robotisation. Par ailleurs, les CUMA permettent aux agriculteurs d'acheter du matériel à plusieurs.
Par exemple, dans le cas des bananeraies, les sept traitements annuels mutualisés sont effectués par avion. Le paiement se fait à l'hectare de bananes, après repérage des champignons détectés dans les parcelles. Cela permet de traiter dix fois moins.
Quand il faut traiter massivement de vastes zones, une flotte d'engins est alors nécessaire.
Enfin, nous vous transmettons les réponses écrites au questionnaire adressé par la mission.