Mardi 3 juillet 2012

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

Pesticides, santé et prévention des risques professionnels - Table ronde

Mme Sophie Primas, présidente. - Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous remercier d'avoir accepté de participer à la deuxième table ronde de notre mission sénatoriale d'information. Ouverts au public et à la presse, nos travaux de cet après-midi figureront sous forme de vidéo sur le site du Sénat.

Constituée à la mi-février 2012, la mission commune d'information sur l'impact des pesticides sur la santé et l'environnement a débuté ses travaux au début du mois de mars 2012. Elle devrait les achever à la fin du mois de septembre ou, au plus tard, au début du mois d'octobre 2012. Cette mission a été créée à l'instigation de Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de Charente, alertée par plusieurs agriculteurs victimes de pesticides, dont M. Paul François, aujourd'hui président de l'association Phyto-Victimes.

La mission sénatoriale a souhaité orienter ses premiers travaux en direction des personnes directement en contact avec les substances et les produits pesticides, qu'il s'agisse des fabricants ou des utilisateurs : les agriculteurs, les épandeurs professionnels, les agents des collectivités territoriales, les jardiniers amateurs, les employés d'entreprises utilisant ces substances, les riverains de l'industrie ou de l'agriculture, les habitants des collectivités territoriales et les familles de ces personnes.

Il est tout de suite apparu impossible à la mission, dont j'ai été élue présidente et Mme Nicole Bonnefoy rapporteur, de traiter l'ensemble du sujet qui lui était confié. C'est pourquoi il a été envisagé que les questions liées à l'alimentation et à l'environnement soient traitées dans un second temps dans le cadre d'une mission d'information complémentaire.

Une mission commune d'information a la particularité d'être composée de sénateurs membres de chacune des commissions permanentes du Sénat. Tous les groupes politiques y sont représentés. Pour les vingt-sept sénateurs membres de cette mission, il s'agit d'abord de s'immerger dans un sujet extrêmement technique et vaste pour parvenir ensuite à une analyse partagée de la situation et à des préconisations. La table ronde d'aujourd'hui s'inscrit dans le cadre d'une soixantaine d'auditions déjà réalisées au Sénat et de quatre déplacements en province : en Charente, dans le Lot-et-Garonne, en Bretagne et dans le Rhône, pour des journées de visites et d'auditions. L'ensemble représente déjà à ce jour un dialogue avec plus d'une centaine de personnes qui sera retranscrit dans un second tome de comptes rendus. Les auditions des ministres, des administrations, des agences de recherche, de chercheurs à titre individuels, des principales parties prenantes (industrie chimique, industrie phytosanitaire, industrie du jardin et des plantes, syndicats de salariés, associations de victimes, monde agricole dans sa diversité), les visites de terrain ainsi que la lecture des documents remis par les personnes entendues, d'articles et d'ouvrages de référence permettent, en quelques mois, d'approfondir la question posée.

Je souhaite que la présente table ronde permette aux membres sénatoriaux de cette mission d'enrichir encore leurs connaissances à votre contact et de recueillir à travers nos échanges le supplément de sagesse et de clairvoyance indispensable à l'élaboration de nos recommandations.

Au nom de la mission commune d'information, permettez-moi de vous remercier à nouveau pour votre contribution à nos travaux.

Un questionnaire assez large vous a été adressé préalablement à cette réunion. Je vous propose de faire un tour de table afin de nous donner successivement vos points de vue sur la question de la prévention des accidents et des maladies professionnelles.

Comment évaluez-vous les conditions de travail des personnes que vous représentez ? Comment ces conditions évoluent-elles dans le temps ? Comment la notion de risque industriel ou sanitaire est-elle prise en compte ? Que pensez-vous des comités locaux d'information et de concertation (CLIC), de leur efficacité et de leur mode de fonctionnement ? Quel est votre point de vue sur les équipements de protection individuels (EPI) ?

Nous serons intéressés par vos appréciations sur le rôle des différents partenaires : syndicats, comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), médecin du travail, organismes de conseil et industriels. Enfin, nous serons attentifs à vos avis sur le problème de la reconnaissance des maladies professionnelles, de la suspicion à la détection, jusqu'à l'inscription au tableau des maladies professionnelles.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Je voulais avant tout vous remercier d'avoir répondu favorablement à notre invitation à participer à cette table ronde. Nous avons tenu à vous rassembler aujourd'hui de manière à favoriser un échange qui enrichira notre réflexion. Nous sommes extrêmement intéressés par votre expérience et par les améliorations que nous pourrions apporter à la réglementation ou à la législation sur le sujet qui vous préoccupe.

M. Pierre Berthelot secrétaire général chargé des conditions de travail, Confédération Française Démocratique du Travail, Fédération Générale de l'Agroalimentaire (CFDT-FGA). - Je représente la CFDT mais je suis, par ailleurs, militant à la Fédération générale agroalimentaire, dans laquelle se retrouvent des salariés des coopératives qui distribuent les produits, des salariés de la production et des salariés des exploitations agricoles qui utilisent ces produits.

Il faudrait mettre en place des techniques de production qui limitent la fréquence et le volume des traitements avec des pesticides. En effet, avec moins d'exposition, le risque est plus faible. L'INRA doit pouvoir réfléchir à des modes de production permettant de diminuer l'exposition des acteurs de la production agricole.

Par ailleurs, les équipements de protection industrielle (EPI) ne sont pas totalement satisfaisants. Il faut aller plus loin dans la recherche de leur efficacité. Il existe aujourd'hui une grande carence dans la protection des opérateurs eux-mêmes.

Quant à la survenue d'accidents, nous proposons d'inscrire sur les produits pesticides un numéro d'appel vers une ligne permettant à la fois de déclarer des accidents d'utilisation de pesticides et d'obtenir des conseils post-accident.

En ce qui concerne les instances de représentation du personnel (IRP), les entreprises agricoles emploient généralement moins de cinq salariés. Il n'existe pas d'IRP sur site ; en revanche, des commissions paritaires et des CHSCT sont organisés au niveau départemental. Néanmoins, ces instances fonctionnent difficilement car, souvent, les salariés ne peuvent pas se libérer. Or, pour les très petites entreprises (TPE), ces instances constituent le lieu adéquat pour promouvoir la prévention.

A noter qu'il reste des progrès à faire en matière d'études épidémiologiques afin de mieux apprécier l'impact des pesticides sur la santé des opérateurs et des populations environnantes.

Nous voulons insister également sur les dangers de l'exposition des salariés, hommes et femmes, par rapport à leur capacité de reproduction, ainsi que sur la protection des enfants à naître. Il est en effet difficile de savoir quand et comment opérer par prévention un retrait du travail des femmes qui, au début de leur grossesse, ne savent pas forcément qu'elles sont enceintes. Si l'enfant à naître est affecté en raison du travail de la femme enceinte, est-ce bien à l'assurance maladie de prendre en charge cet enfant alors qu'il s'agit d'une conséquence liée au travail ? Ne serait-ce pas plutôt aux caisses d'accident de travail maladie professionnelle (ATMP) de prendre en charge ce qui relève d'une conséquence du travail ?

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Connaissez-vous des cas précis de telles affections ?

M. Pierre Berthelot (CFDT-FGA). - Non, je n'ai pas de cas d'accident à présenter mais dès lors qu'un produit chimique cancérogène ou mutagène ou toxique pour la reproduction (CMR) est utilisé, il existe un risque. La question se pose de savoir quand opérer le retrait par prévention de femmes enceintes d'un travail qui les expose à ces produits CMR, et de déterminer qui paie en cas de conséquence sur l'enfant à naître.

M. Gautier Bodivit, Syndicat National des Cadres d'Entreprises Agricoles (SNCEA/CFE-CGC). - Je suis chargé du développement du SNCEA. Ma première remarque concerne les utilisateurs qui veulent faire remonter de l'information quand ils ont été contaminés par des produits pesticides. En 2004, la SNCEA avait mis en place un numéro vert pour faciliter les signalements en cas de contamination. Nous avons remarqué par le biais de ce dispositif que lorsque les salariés ou les exploitants ont été contaminés, une grande partie ne fait pas remonter les informations parce qu'il apparaît souvent que l'accident résulte d'une négligence de leur part. Pour éviter de se faire mal voir par leur entreprise, ils préfèrent ne rien dire. Peut-être faudrait-il réfléchir à d'autres outils pour aider ces personnes à faire remonter ces informations ?

Mon deuxième point concerne la mise en place des CHSCT. Actuellement, ces commissions paritaires sont présentes dans la moitié des départements en France. Nous souhaitons développer ces structures sur l'ensemble des départements, leur donner davantage de moyens et développer les liens avec les médecins du travail et les chercheurs pour créer une synergie et bénéficier d'avis d'experts supplémentaires.

Concernant les équipements de protection industrielle (EPI), nous nous référons au rapport publié en janvier 2010 par l'AFSSET concernant les normes de protection des EPI. Ce rapport indique clairement que les classes de protection telles que définies dans les normes harmonisées ne permettent pas de juger du niveau ni de la durée de protection offerts par les combinaisons de types 3 et 4. Un travail est en cours sur ce sujet, notamment par l'ANSES, et nous comptons considérablement sur ces travaux pour centraliser les informations et formuler des propositions.

S'agissant des maladies professionnelles, le dernier tableau établi concerne la maladie de Parkinson et nous réfléchissons à l'élaboration d'un tableau sur les hémopathies. Les syndicats de salariés sont plutôt favorables à l'allongement de la liste des maladies professionnelles mais la question du financement se posera inévitablement.

Mme Sophie Primas, présidente. - La question n'est-elle pas d'abord sanitaire ?

M. Gautier Bodivit (SNCEA/CFE-CGC). - Tout à fait, le problème est sanitaire mais dans une logique de réparation. Vient ensuite le problème de la connaissance scientifique.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Connaissez-vous des personnes ayant déposé des dossiers de demande de reconnaissance de maladie professionnelle ?

M. Gautier Bodivit (SNCEA/CFE-CGC). - Pas personnellement.

M. Pierre Berthelot, CFDT-FGA. - Plusieurs personnes se sont vu opposer des refus de reconnaissance de maladie professionnelle et interpellent à nouveau la MSA en raison de la publication du tableau sur la maladie de Parkinson.

M. Gautier Bodivit (SNCEA/CFE-CGC). - Pour terminer, la France est, selon moi, le pays le plus avancé dans l'Union européenne en matière de prévention et est prise comme modèle par plusieurs pays européens.

M. Francis Orosco, Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC), président de la Fédération CFTC Chimie, Mines, Textiles et Energie. - Je représente la CFTC et je suis président de la Fédération CFTC Chimie, Mines, Textiles et Energie.

Pour nous, il est important de pouvoir augmenter le nombre d'inspecteurs du travail. La formation spécifique des membres des CHSCT à l'utilisation et à la manipulation des produits pesticides est également importante. Par ailleurs, il faut améliorer le confinement et le stockage des produits dans les établissements, ainsi que l'efficacité des EPI, en partenariat avec les CHSCT mais aussi avec les élus du personnel des opérateurs qui utilisent ces EPI. Il faut aussi amplifier le rôle des CLIC en intégrant non seulement les riverains à risque mais l'ensemble de la population. Par ailleurs, il serait souhaitable que les médecins du travail ne soient pas salariés des entreprises fabriquant les produits pesticides. Cette neutralité est importante. Créer une coordination entre les chercheurs et les médecins du travail afin d'apporter de l'information spécifique aux salariés serait également intéressant.

Mme Sophie Primas, présidente. - De quoi avez-vous peur ?

M. Francis Orosco (CFTC/Chimie). - Nous n'avons peur de rien mais l'information sur les risques est parfois biaisée. Pour rappel, il avait été assuré à la population que le nuage radioactif de Tchernobyl s'était arrêté à la frontière française. Aujourd'hui, des produits dangereux sont utilisés mais les salariés qui les fabriquent ou qui les utilisent ne sont peut-être pas totalement informés des risques qu'ils encourent. Les entreprises se doivent d'informer et de protéger leurs salariés mais elles ne sont pas contraintes d'évaluer les risques à long terme sur la santé de ceux-ci. Cette réflexion fait écho à la nécessité de faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles. Certaines entreprises ont parfois des réticences à reconnaître leurs torts, comme ce fut le cas pour l'amiante.

M. Michel Costes, Confédération Générale du Travail (CGT) - Fédération de la Chimie. - Nous représentons la CGT et je suis personnellement membre de la Fédération de la Chimie. Le questionnaire que vous nous avez envoyé est très intéressant mais il y manque la dimension du statut des travailleurs. Or toutes les questions que vous posez sont liées au statut des travailleurs. Sans statut, les salariés ne peuvent pas adhérer à un syndicat, ils ne disposent pas de CHSCT, ils ne s'inquiètent pas des maladies professionnelles, etc. Nous ne pouvons pas avancer à la place des salariés. Il faut que ces derniers s'organisent, ce qui nécessite un statut. Avec un grand nombre d'intérimaires et de saisonniers dans les entreprises, les CHSCT tournent à vide.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quelles sont les proportions d'intérimaires et de saisonniers dans les entreprises ?

M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie. - Cela dépend des entreprises. Les entreprises d'exploitation emploient de nombreux intérimaires et saisonniers. Les entreprises productrices de pesticides emploient également de nombreux intérimaires et, en outre, sous-traitent, ce qui pose le problème de la formation des sous-traitants, de leurs moyens, etc. La mise à disposition et l'utilisation d'EPI sont également conditionnées par le statut des salariés. De même, les syndicats ne peuvent pas être pérennes si les salariés qui le constituent ne le sont pas non plus. Face aux produits pesticides, les CLIC n'apporteront rien. Les questions qui nous intéressent n'y sont pas abordées. En ce qui concerne la reconnaissance des maladies professionnelles, nous avons de nombreux doutes. Les pathologies des travailleurs ne sont pas forcément connues ni déclarées. Ces questions dépassent largement le cas des pesticides.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le statut des salariés que vous appelez de vos voeux permettrait-il de suivre les salariés dans le temps ?

M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie. - Un statut permettrait surtout aux salariés de s'organiser pour réfléchir à leurs conditions de travail et de protection. Les salariés précaires ne s'organisent pas parce qu'ils risquent de perdre leur travail à chaque instant.

M. Joël Labbé, sénateur. - Nous savons que les exploitations agricoles emploient des intérimaires saisonniers par nécessité mais vous évoquez également le cas des sociétés de production de ce type de produits pesticides. Ce fait est-il confirmé par les représentants des sociétés présents ?

M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie. - La présence d'intérimaires chez les fabricants est moindre que chez les exploitants mais elle existe, notamment chez les sous-traitants de ces fabricants.

Mme Jacqueline Alquier, sénatrice. - Nous avons visité l'une de ces entreprises et le problème de l'emploi de saisonniers et de main d'oeuvre étrangère s'y était posé, ainsi que le problème de la formation. Le coût de cette formation pour une entreprise dont la production est saisonnière est très élevé et il semble difficile de pérenniser ces emplois de saisonniers ou d'étrangers tout au long de l'année. Vous êtes-vous également posé cette question relative à la formation ?

Mme Sophie Primas, présidente. - L'entreprise qui nous a reçus nous a clairement expliqué qu'une partie non négligeable du temps de ces salariés en contrats à durée déterminée est passée en formation.

M. Noël Ballay, responsable industriel de la société Bayer CropScience en France. - Je suis ingénieur de formation et responsable industriel de la société Bayer CropScience en France. Au sujet des intérimaires, je voudrais mentionner la différence qui existe entre les deux étapes de fabrication des produits. Pour la première étape de synthèse de la matière active, les entreprises fonctionnent généralement en continu toute l'année sous un régime le plus souvent de type 5x8. La loi interdisant l'intérim toute l'année, ces entreprises emploient très peu d'intérimaires.

La seconde étape de la fabrication, celle de la formulation associée au conditionnement, permet de passer de la matière active à un produit fini et commercialisé, à travers différents distributeurs et coopératives, aux agriculteurs. Cette étape suit complètement la demande et la charge de travail est plus élevée au printemps, au moment où les ventes de produits sont les plus importantes. Il est courant d'avoir des doublements ou des triplements de la charge de travail au cours de l'année, ce qui nécessite l'adaptation des ressources humaines au moyen du recours à des intérimaires. Ces intérimaires représentent environ 15 % à 20 % du personnel de ces entreprises, soit une proportion gérable. Il est capital de former cette main d'oeuvre et de prévoir une durée de contrat permettant à ces intérimaires de s'adapter à leur fonction et de jouer un rôle vraiment efficace.

Les entreprises de sous-traitance pour la fabrication de produits phytosanitaires suivent la même saisonnalité et emploient donc, à peu près, les mêmes proportions d'intérimaires. Ces intérimaires suivent plusieurs jours de formation et leurs tâches sont clairement définies. Il leur est généralement attribué les tâches les moins qualifiées et les moins exposées aux produits chimiques parce que leur formation restera toujours partielle. Cette proportion d'intérimaires chez les fabricants n'a rien à voir avec celle que l'on peut trouver dans l'agriculture au moment des récoltes.

M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie. - La formation est également liée au statut. Dans l'intérim, la sous-traitance de maintenance emploie de plus fortes proportions d'intérimaires, soit entre 30 % et 40 %.

M. Joseph d'Angelo, CGT. - Fédération de l'Agroalimentaire. - Il existe un grand problème d'information des salariés. De nombreux salariés n'ont pas forcément conscience des risques qu'ils encourent du fait des produits qu'ils manipulent. Ce constat général est particulièrement vrai dans l'agriculture. Ensuite, les élus au CHSCT bénéficient actuellement d'une semaine de formation qui peut être renouvelée au bout de quatre. Cette formation est notoirement insuffisante, surtout dans les industries qui manipulent des produits chimiques.

J'ai eu l'occasion de participer à des colloques durant lesquels des experts discutaient de molécules. Il en ressortait une contradiction entre les experts sur la nocivité ou l'absence de nocivité d'un produit. Il est donc absolument nécessaire de poursuivre les recherches pour établir des certitudes.

Enfin, trop peu de maladies professionnelles sont déclarées. Les statistiques de la CNAMTS et de la MSA font état d'un nombre de cas dérisoire qui ne peut pas refléter la réalité.

M. Eric Beynel, secrétaire national de l'Union syndicale Solidaires, en charge des questions de santé et de conditions de travail. - Je suis chargé, au niveau de l'Union syndicale Solidaires, de suivre toutes les questions de santé et de conditions de travail. Je ne n'appartiens ni à l'agriculture, ni à la chimie.

J'interviendrai à deux niveaux, à savoir ce qui peut être fait au plus proche des salariés et ce qui peut être fait au niveau général, avec, notamment, les autorisations de mise sur le marché. D'abord, je voudrais rappeler que la meilleure des préventions est l'absence de risque.

Solidaires et les associations Générations futures et Phyto-Victimes ont organisé, il y a quelques mois, un colloque pour essayer de faire le point sur les conséquences pour la santé de l'exposition aux pesticides. Mon avis sera donc très critique.

Cela étant, les pesticides sont aujourd'hui largement utilisés. Certains sont autorisés et d'autres sont interdits ou ont vu leur autorisation de mise sur le marché retirée mais ils circulent toujours malgré tout. Nous avons assuré la défense de salariés qui ont été exposés à des produits normalement retirés du marché et ayant provoqué des conséquences dramatiques sur la santé de ces salariés. Le renforcement des contrôles et des moyens de l'inspection de travail constitue l'un des points important sur lequel il conviendrait d'insister. Par ailleurs, de nombreux salariés ne disposent pas d'IRP. Je ne pense pas que les commissions paritaires départementales constituent une solution satisfaisante au vu des difficultés qu'ont déjà les organisations syndicales qui siègent aux CHSCT pour faire avancer les questions liées aux conditions de travail. Pour les salariés, notamment ceux des très petites entreprises qui participeront à des élections de représentativité à la fin de l'année, aucune instance ne sera issue de ces élections. Nous pensons qu'il serait intéressant de constituer des IRP au plus près des salariés, non pas au niveau départemental mais au niveau d'un bassin d'emploi, avec des représentants spécialisés en matière de risques des produits phytosanitaires. Enfin, Solidaires estime que la réforme récente des services de santé au travail (SST) n'a pas réglé le problème de la démographie médicale ni celui de l'indépendance des médecins du travail. Il existe de grandes marges de progrès pour accroître la reconnaissance des maladies professionnelles, notamment en favorisant la confiance des salariés dans ces services de santé.

De nombreux articles de presse sont parus sur le fonctionnement de l'ANSES. Nous devons agir face à cette question importante de l'exposition aux produits pesticides et de l'autorisation de la mise sur le marché. Dans nos conclusions, nous proposerons une réforme importante du système d'autorisations de mise sur le marché. Il est aberrant de transférer à l'État la responsabilité des altérations de la santé des travailleurs qui auront lieu. Il revient aux fabricants de pesticides d'assumer cette responsabilité et de s'assurer que les équipements de protection industrielle pour se protéger des produits qu'ils fabriquent existent bien.

M. Pierre Carrie. - En abordant les EPI, nous oublions souvent de mentionner l'engin qui épand le produit. Or, lorsque l'agriculteur a fini d'épandre le produit, il enlève son masque mais il reste au volant de son tracteur sans le décontaminer. Il existe un défaut de formation à ce sujet.

Mme Sophie Primas, présidente. - La formation Certiphyto ne répond-elle pas à cette exigence ?

M. Pierre Carrie. - Non, pas vraiment.

Dr Patrick Levy, médecin conseil de l'Union des Industries Chimiques (UIC). - Je suis plutôt un généraliste de la prévention des risques chimiques et pas forcément un spécialiste des produits phytosanitaires. Je parlerai du processus d'évaluation des risques au sens large, de la toxicologie et, enfin, de différents points qui ont trait aux impacts sanitaires, à la réparation et au fonctionnement de la médecine du travail.

Les substances actives dont il est aujourd'hui question font partie des substances les mieux évaluées au monde en termes d'impacts sanitaires et environnementaux. Cette réglementation a cinq ou dix ans d'avance sur toutes les autres réglementations. La richesse de cette réglementation permet l'acquisition de connaissances en amont sur les dangers des substances, qui sert à l'ensemble du processus d'évaluation des risques, de la phase de formulation de la substance active à celle de l'utilisation finale. Grâce à ces données, les substances actives et les mélanges sont accompagnés d'informations pertinentes (fiches de sécurité, notices d'information, étiquetages, etc.) permettant une information appropriée à chaque niveau de la chaîne.

Au stade de la fabrication des substances actives et des mélanges, l'employeur porte la responsabilité de l'évaluation des risques qui est réalisée sur la base de méthodes quantitatives et qualitatives. Cette évaluation des risques a longtemps servi de modèle au développement de méthodes d'évaluation des risques chimiques, tous secteurs confondus.

Quant à la maîtrise des risques sur les lieux de travail, elle fait appel à la hiérarchisation des moyens de maîtrise, d'abord le remplacement des molécules présentant des profils de danger élevés (en particulier les CMR), ensuite le confinement avec des moyens techniques permettant de contenir les risques d'exposition à la source, puis la protection collective et enfin, en dernier recours, la protection individuelle.

À cela s'ajoute la mise en place progressive de la traçabilité des expositions professionnelles qui relève du code du travail et qui impose à l'employeur d'élaborer le document unique et la fiche de prévention des expositions. Cette fiche permet de tracer les expositions aux risques durant toute la vie professionnelle d'un salarié et de lui remettre une attestation d'exposition. Cette traçabilité a été mise en place en 1993 pour les produits cancérogènes et elle a été élargie, en 2001, pour les CMR et, en 2003, pour l'ensemble des agents chimiques. La fiche d'exposition vient d'être transformée en fiche de prévention des expositions qui prend en compte d'autres risques, tels que le bruit, qui font partie des facteurs de pénibilité. Au départ à la retraite, cette fiche permet la remise d'un document pour faciliter, le cas échéant, la mise en place d'une surveillance médicale post-professionnelle appropriée pour les anciens salariés qui le souhaitent. Durant la vie professionnelle, la médecine du travail prend en charge les salariés mais, à leur départ, notamment en retraite, leur suivi médical est financé par la sécurité sociale. Il appartient à l'ancien salarié de déclencher le processus et de se signaler.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ce signalement entraîne-t-il des examens spécifiques ?

Dr Patrick Levy (UIC). - Il existe de nombreuses familles de produits chimiques. Un arrêté précise, pour certaines substances chimiques, les examens complémentaires à réaliser dans le cadre d'une surveillance médicale post-professionnelle. Dans les autres cas, il appartient au médecin traitant ou au médecin spécialiste désigné de réaliser les examens complémentaires qu'il juge nécessaires.

M. Joël Labbé, sénateur. - Vous émettez des affirmations en tant que médecin. Nous aurions besoin de connaître votre statut, de savoir si vous êtes indépendant ou lié à l'industrie chimique.

Dr Patrick Levy (UIC). - J'ai ma propre entreprise qui assure des prestations de conseil auprès de l'Union des Industries Chimiques et j'agis en tant que médecin conseil en charge des questions de santé et de sécurité au travail et, par ailleurs, de santé environnementale. Je suis lié à l'UIC par un contrat.

M. Joël Labbé, sénateur. - Vous affirmez que les substances dont nous parlons sont les mieux évaluées au monde et que l'évaluation des risques est extrêmement pertinente. Au cours de nos auditions, au sujet des autorisations de mise sur le marché, nous avons recueilli des éléments en contradiction avec ce que vous avancez.

Estimez-vous que les EPI sont suffisamment éprouvés ? Combien faut-il d'EPI dans une exploitation classique pour que ne soit pas engagée la responsabilité de l'employeur ? La reconnaissance de maladies professionnelles est extrêmement difficile et renvoie à une question de financement. Ne faut-il pas que la société qui met un produit sur le marché atteste de l'existence de l'EPI pour se protéger contre ce produit ?

Dr Patrick Levy (UIC). - D'une façon générale, les préconisations qui sont faites par les metteurs sur le marché auprès de leurs clients les engagent car elles résultent d'une évaluation des risques qui conduit ou non à recommander l'utilisation d'EPI selon les circonstances. La responsabilité est bien assumée par le metteur sur le marché à ce niveau. Maintenant, il est évident que l'utilisateur porte aussi sa responsabilité au niveau de l'utilisation de l'EPI. Lorsqu'il est question d'EPI, il faut réfléchir au choix de l'EPI, à l'adéquation avec l'opérateur, au stockage et à la gestion individuelle.

En ce qui concerne l'expologie, la responsabilité de l'employeur est évidente mais pour aller vers l'épidémiologie et avoir suffisamment de puissance pour conclure, il faut des effectifs extrêmement importants qui ne sont généralement pas à la portée d'un établissement. Il s'agit d'une organisation extrêmement lourde qui nécessite le recours à l'InVS pour lancer des études épidémiologiques. Or, pour faire de l'épidémiologie de qualité, il faut collecter les informations relatives aux expositions mais aussi les informations relatives à l'état civil, au cursus des opérateurs. Ces informations ne sont pas toujours disponibles pour réaliser des études de base. Il reste des efforts à accomplir en termes de traçabilité.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Vous avez parlé de la mise en place dans l'industrie chimique d'une traçabilité des expositions du salarié, y compris post-professionnelle. J'imagine que cette traçabilité a été mise en place parce que la dangerosité des produits est connue. Ne pensez-vous pas que cette traçabilité devrait être également réalisée auprès de ceux qui utilisent ces produits au quotidien (agriculteurs, etc.) ?

Dr Patrick Levy (UIC). - En effet, la traçabilité des expositions devrait accompagner le produit durant tout son cycle de vie.

M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie. - La vraie vie ne ressemble pas du tout à celle décrite par le Dr Patrick Lev. Les dirigeants des entreprises ne sont parfois même pas informés des dangers relatifs aux produits qu'ils fabriquent. Comment voulez-vous qu'ils relayent cette information aux salariés par la suite ? Le Dr Patrick Levy est expert pour l'UIC et non médecin du travail.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il n'existe aucune ambiguïté, nous avons invité le Dr Patrick Levy comme consultant de l'UIC mais il est quand même médecin.

Mme Isabelle Delpuech, responsable corporate stewardship, sécurité utilisateurs et agriculture durable de Syngenta, adhérent de l'Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP). - Je suis agronome de formation. J'ai travaillé dans la recherche et, depuis vingt-cinq ans, je travaille dans des sociétés phytosanitaires comme agronome dans différents domaines (R&D, affaires règlementaires, marketing, communication, relations avec les industries de l'agroalimentaire, etc.). Depuis huit ans, j'exerce le métier de stewardship, à savoir l'accompagnement des pratiques pour mieux gérer la manière dont sont utilisés nos produits en termes d'incidence sur l'environnement et la santé des utilisateurs. Je travaille dans l'entreprise suisse Syngenta mais j'interviens aujourd'hui en tant que membre de l'UIPP.

Les produits phytosanitaires mis sur le marché sont évalués d'une manière très pointue. Avant la mise sur le marché d'une nouvelle substance, dans le cadre d'une formulation, nous mesurons la quantité de matière active à laquelle est exposé un agriculteur en tenue de travail - c'est-à-dire avec une cote de travail et à mains nues, donc sans équipement normé - au cours de son activité professionnelle. Cette quantité de matière active est comparée à des valeurs toxicologiques de référence comme la dose d'exposition acceptable pour un utilisateur (AOEL) pour qu'il n'existe aucun risque sur sa santé. Nos molécules ne sont autorisées à être mises sur le marché que lorsque l'agriculteur de la vraie vie est exposé à des valeurs inférieures à ces seuils toxicologiques.

Il existe des mesures de sécurité à imposer au niveau des mains essentiellement avec le port de gants. Le texte du ministère de l'agriculture et de la MSA fait un point très étayé sur l'exposition des agriculteurs. Il est très clairement indiqué qu'il n'est pas possible de parler d'exposition de façon générale. Il faut regarder les phases de travail qui sont les plus exposantes. Or, pour l'agriculteur, la phase la plus exposante correspond au moment où il manipule le produit très concentré, soit le chargement de son pulvérisateur. Cette phase compte pour deux tiers des contacts avec le produit. Ce sont essentiellement les mains qui sont exposées. Nous devons réussir à faire passer cette information très importante, à gagner la bataille des mains.

Je me suis permis de vous apporter un emballage de nos produits : l'un des principaux domaines de progrès pour sécuriser les pratiques concerne véritablement le produit et son conditionnement. Il est vrai que la meilleure façon de sécuriser consiste à réduire le danger, soit potentiellement le produit phytosanitaire. Les emballages sont aujourd'hui sécurisés. Ils n'ont rien à voir avec ce qui existait dans les années 1950 et 1960. En interrogeant les agriculteurs sur le terrain, nous nous sommes rendus compte que le premier contact avec le produit intervenait au moment où l'agriculteur retirait l'opercule thermo-scellé de l'emballage. Ces opercules thermo-scellés sont en train de disparaître de nos emballages. Par ailleurs, ces emballages sont très importants en termes d'information. Il faut que l'agriculteur sache à quel produit il a affaire. Les étiquettes de nos produits sont ainsi de véritables documents d'informations utiles pour les agriculteurs, sur lesquels il faut probablement communiquer au niveau de la profession.

Mme Sophie Primas, présidente. - Peut-être cette information scientifique présentée sur les emballages est-elle trop riche ?

Mme Isabelle Delpuech, Syngeta et UIPP - Cette information dense est traduite en français et un paragraphe spécifique sur la sécurité de l'applicateur mentionne toutes les précautions de bon sens auxquelles l'utilisateur doit penser. Faire connaître ces étiquettes et pouvoir y travailler avec les utilisateurs serait intéressant.

Mme Sophie Primas, présidente. - Les nombreux scientifiques que nous avons auditionnés nous ont affirmé que la dose ne faisait pas le poison et que des doses très faibles de pesticides pouvaient être inhalées ou au contact des utilisateurs à certains moment, ce que les autorisations de mise sur le marché ne testent pas. Par ailleurs, ces autorisations de mise sur le marché n'évaluent pas non plus les maladies chroniques qui apparaissent tardivement, ni les adjuvants et les effets cocktail.

Mme Isabelle Delpuech, Syngenta et UIPP. - S'agissant des doses, dans les années 1950-1960, les produits organochlorés ou organophosphorés présentaient une toxicologie intrinsèque bien plus significative que celle des produits aujourd'hui sur le marché. Ces produits étaient en outre utilisés à des dosages importants, soit 1 à 2 kg de matière active par hectare, mélangé(s) à 200 ou 300 litres d'eau. Ils étaient sous forme de poudre et conditionnés dans des fûts métalliques ou des sacs en papier difficiles à refermer.

Des efforts ont été réalisés en relation avec les utilisateurs pour essayer d'améliorer toutes ces facettes des produits. Aujourd'hui, la famille de molécules la plus représentée sur le marché est celle des pyréthrinoïdes, issue de la copie des fleurs de pyrèthre qui étaient utilisées depuis longtemps. En outre, ces pyréthrinoïdes sont utilisés à des doses de 100 ml par hectare, toujours mélangés à 200 à 300 litres d'eau. Il ne s'agit plus de poudres mais de solutions aqueuses et de granulés solubles conditionnés en microcapsules. La manipulation et le contact avec le produit ont été considérablement réduits.

Dans le cadre des autorisations de mise sur le marché et de l'évaluation préalable, à savoir la mesure de l'exposition et la comparaison de la mesure par rapport à un seuil toxicologique de référence, seuls trois produits sur les cent que commercialisent Syngenta mentionnent sur leur étiquette le port obligatoire d'un EPI de type normé. Tous les autres produits sont utilisables sans EPI de type normé. Dans l'industrie de fabrication de ces substances, il faut porter des EPI de type normé mais pas forcément dans le monde de l'agriculteur. Aucun de nos produits ne requiert de tels EPI, sauf pour la protection des mains.

M. Henri Tandonnet, sénateur. - A la suite des autorisations de mise sur le marché, suivez-vous l'évaluation de ces produits dans le temps pour savoir s'ils n'induisent pas d'effet pervers ? Suivez-vous leurs utilisateurs ?

Mme Isabelle Delpuech, Syngenta et UIPP. - Nous suivons bien sûr la façon dont les produits sont utilisés mais nous ne sommes pas habilités à assurer la traçabilité de nos produits. Nous suivons les évolutions de la mise en oeuvre des produits, en particulier au niveau des machines, pour les mettre en relation avec les modèles qui nous permettent de travailler sur les expositions lors de l'évaluation du risque.

M. Joël Labbé, sénateur. - Plusieurs scientifiques nous ont affirmé que la dose ne fait pas le poison. Vous êtes extrêmement rassurante. Pour les autorisations de mise sur le marché, les évaluations préalables sont réalisées par les fabricants eux-mêmes et l'organe qui délivre ces autorisations de mise sur le marché ne dispose pas des moyens de contrôle nécessaires ni de tous les éléments d'information, notamment sur les secrets de fabrication. Le Dr Patrick Levy mentionnait la lourdeur de la conduite des études épidémiologiques mais certains tests sont aujourd'hui réalisés sur des animaux. Il faudrait que ces tests soient communiqués à des scientifiques qui devraient être neutres pour mener des études comparatives. Sinon, comment pouvez-vous nous affirmer qu'il ne s'agit pas de produits hautement toxiques ? Certes, aujourd'hui, les produits n'ont plus l'air aussi dangereux qu'il y a quarante ou soixante ans, mais n'est-ce pas plus pervers ? Nous ne maîtrisons pas les doses d'exposition sur la durée, non plus que l'effet cocktail et les adjuvants. Ces éléments font naître des doutes qui, normalement, devraient conduire à faire jouer le principe de précaution.

M. Gérard Le Cam. - Les nouveaux pouvoirs du CHSCT lui permettent de demander à la direction d'une entreprise de financer des études et des expertises par des consultants externes. Ces pouvoirs sont-ils utilisés ? Il semble qu'une première étude ait été menée sur l'empoussièrement des ateliers chez Bayer.

M. Noël Ballay, responsable industriel de la société Bayer CropScience en France. - Effectivement, la loi permet aux CHSCT de faire réaliser des études pour les éclairer sur les risques identifiés dans la société. Je n'en ai pas connaissance chez Bayer mais elles existent.

Mme Jacqueline Alquier, sénatrice. - Il a été question de la pulvérisation des produits sur des grandes cultures de plein-air. Dans les cultures sous serre, notamment maraîchères, quel est le niveau de protection des salariés saisonniers qui, le lendemain de la pulvérisation, manipulent les plantes ? Sont-ils informés des conséquences de leur exposition ?

Mme Isabelle Delpuech, Syngenta et UIPP. - Nous sommes d'accord avec vous sur la nécessité de travailler de manière plus approfondie et partenariale sur certains usages. Ces interventions en culture doivent se faire après le respect d'un délai de ré-entrée. En culture sous serre, ce délai doit être prolongé. Nos produits sont principalement à voie de pénétration cutanée. Nous devons faire progresser la protection par le port de manches longues, d'un pantalon et de gants et une hygiène stricte consistant à changer de vêtements après l'exposition. La prise de conscience fait partie des éléments sur lesquels nous accueillons avec beaucoup d'intérêt et de satisfaction la création du Certiphyto. Il s'agit plus d'aspects d'hygiène que de stricte sécurité.

M. Wahib Ouazzani, ingénieur affaires techniques et réglementaires au département solutions pour la protection individuelle du groupe 3M et président de la commission « protection respiratoire » du Syndicat National des Acteurs du Marché de la Prévention et de la protection (SYNAMAP). - Je suis ingénieur de formation et j'appartiens à la société 3M qui fabrique, entre autres, des équipements de protection industrielle (EPI). Nous savons que les utilisateurs de pesticides s'exposent à un danger. Pour se protéger, contrairement à l'environnement industriel qui est contrôlé et dans lequel la protection collective peut être facilement adaptée, dans le milieu agricole la protection collective ne semble pas suffisante. Il est impératif d'utiliser des EPI. Or aujourd'hui encore, trop d'utilisateurs de pesticides ne portent pas d'EPI. Ce constat souligne une lacune en matière d'information et de sensibilisation aux risques auxquels un utilisateur de pesticides est exposé. Pour ceux qui souhaitent se protéger, il manque également une certaine connaissance pour déterminer l'EPI à acheter.

Deux documents ont été édités par le Ministère de l'Agriculture sur l'utilisation des EPI en milieu agricole. L'un concerne l'utilisation de vêtements et de lunettes de protection et l'autre concerne l'utilisation de masques de protection respiratoires. Néanmoins, il existe un vrai défaut de sensibilisation des utilisateurs aux dangers de leur exposition et un manque d'information sur la manière d'utiliser les protections.

Partant de ces différents constats, nous proposons d'augmenter la sensibilisation des agriculteurs aux risques auxquels ils peuvent être exposés lorsqu'ils utilisent des produits pesticides, en amplifiant le rôle des MSA qui sont en contacts des agriculteurs. Le SYNAMAP travaille par ailleurs avec des réseaux de distribution pour le milieu agricole sur des documentations pour simplifier le discours technique de protection. Quant à la bonne utilisation des EPI, nous recommandons de rendre obligatoire une formation, dans laquelle seraient expliqués le choix d'un EPI et la bonne manière de l'utiliser. En ce qui concerne l'utilisation, nous recommandons l'obligation de porter des EPI en cas d'utilisation de pesticides.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il est souvent reproché à cette industrie l'important nombre de produits d'importation, la difficulté à mettre ces EPI et surtout à les supporter longtemps. Quelles améliorations pouvez-vous apporter ?

M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP. - Nous sommes bien conscients de ces remarques. En ce qui concerne les produits d'importation, il revient à la répression des fraudes de vérifier la conformité des EPI commercialisés en France. Il est évident que le port d'EPI n'est pas naturel et provoque une gêne pour l'utilisateur. Le rôle des fabricants consiste à limiter au maximum cette gêne en travaillant non seulement sur l'efficacité mais également sur le confort des EPI.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment contrôlez-vous l'efficacité des EPI ?

M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP. - Avant leur commercialisation, les EPI sont contrôlés par des laboratoires notifiés indépendants et agréés par la Communauté européenne (CE). Il s'agit d'une obligation légale. Ces EPI sont testés par rapport à un échantillon de produits et de molécules représentatifs des produits utilisés dans le milieu de l'industrie et dans le milieu agricole.

Mme Sophie Primas, présidente. - Comment travaillez-vous avec les industriels ?

M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP. - Les industriels utilisent les EPI pour se protéger contre les produits pesticides sur lesquels ils travaillent. Ils sont sensibilisés à la nécessité de se protéger par le port d'EPI.

Mme Sophie Primas, présidente. - Travaillez-vous avec des CHSCT, des représentants des ouvriers de l'industrie, des agriculteurs ?

M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP. - Pour qu'un EPI soit porté, il faut que l'utilisateur l'accepte. Quand nous développons un produit, nous réalisons des tests d'essai auprès des utilisateurs avant la mise sur le marché. Cette étape est propre à chaque fabricant car le confort n'est pas normalisé.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Combien de temps un EPI peut-il protéger un utilisateur ?

M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP. - Cela dépend de l'utilisation. En milieu agricole, nous pouvons travailler sur des types d'activité pour essayer d'estimer des durées de vie moyennes des EPI utilisés. Il existe des indicateurs pour informer l'utilisateur qu'il doit changer d'EPI. Certains EPI sont jetables après une seule utilisation et d'autres sont réutilisables mais ces derniers ne sont pas forcément recommandés pour le milieu agricole.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ne peut-on craindre que des agriculteurs achètent des EPI réutilisables et les lavent ?

M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP. - Certes, il existe un vrai défaut de connaissance par rapport à l'usage adéquat des EPI.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le SYNAMAP a-t-il été intégré dans la formation Certiphyto ?

M. Wahib Ouazzani, groupe 3M et SYNAMAP. - Oui.

Mme Isabelle Delpuech, Syngenta et UIPP. - Toutes les difficultés ici évoquées sont à l'origine du préalable très clairement exposé qu'un produit phytosanitaire n'est autorisé sur le marché que dans le cas où un agriculteur sans EPI au sens normé est exposé à une quantité de produit qui ne le met pas en danger. En effet, il faut prendre conscience de la difficulté du port d'EPI dans la vraie vie. L'aspect jetable d'une combinaison normée heurte complètement une valeur fondamentale du monde agricole, à l'exception des gants. Un travail a été réalisé en commun entre Syngenta et un fabricant d'EPI, avec l'appui d'un groupe d'agriculteurs et de conseillers de la MSA, pour fabriquer un EPI qui soit avant tout un outil de sensibilisation et de communication vers l'utilisateur. Ce tablier de protection permet de faire passer de l'information aux agriculteurs en rappelant les grandes mentions de l'étiquette.

Mme Michèle Guimon, responsable du pôle risques chimiques, département expertise et conseil technique de l'Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). - L'INRS a pour objectif d'assurer la santé et la sécurité de l'homme au travail. Nous avons pour mission d'identifier les risques et les dangers, d'analyser leurs conséquences sur la santé et la sécurité de l'homme au travail et de développer et promouvoir des moyens pour maîtriser les risques. L'INRS est géré par un conseil d'administration paritaire composé de représentants d'organisations de salariés et d'organisations d'employeurs. Il est financé par des cotisations provenant du fonds accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale. De par son appartenance et son mode de financement, l'INRS exerce son action au profit des entreprises du régime général de la sécurité sociale. Les entreprises et salariés agricoles relèvent, eux, de la MSA.

Dans le domaine des phytopharmaceutiques, les secteurs professionnels qui relèvent du régime général de la sécurité sociale sont ceux de la fabrication des produits phytosanitaires, de leur distribution et de l'entretien des espaces verts. L'INRS est agréé par les ministères du travail, de la santé, de l'agriculture et de l'environnement pour enregistrer les compositions de certains produits chimiques mis sur le marché français. Ces produits chimiques sont classés très toxiques, toxiques, corrosifs. Les produits phytopharmaceutiques sont aujourd'hui exclus du champ d'application des déclarations obligatoires. L'INRS n'a pas connaissance des compositions de ces produits ni de leur danger. Ces produits sont soumis à une autorisation de mise sur le marché par le ministère de l'agriculture après examen par l'ANSES.

La fabrication des produits phytopharmaceutiques comprend deux étapes : la synthèse chimique puis la formulation. Cette fabrication relève du secteur de la chimie, dans lequel tous les risques professionnels sont pris en compte, y compris le risque de sous-traitance et de travail intérimaire. La nature des risques est très variable puisqu'elle dépend de la molécule de base, des intermédiaires et des procédés mis en oeuvre. La prévention des risques chimiques repose sur une évaluation des risques précise et rigoureuse. Il s'agit d'éviter les risques en les supprimant, de les évaluer, de substituer ce qui est dangereux par ce qui ne l'est pas, ou moins, de mettre en place, en priorité, des mesures de protection collective puis des mesures de protection individuelle, de former et d'informer les salariés quant aux mesures d'hygiène et de sécurité. Le code du travail compte des dispositions très précises sur la prévention du risque chimique. Plus un produit ou procédé est dangereux, plus les règles à respecter pour protéger le salarié sont strictes.

S'agissant des EPI, comme les produits phytopharmaceutiques sont très complexes, il est difficile pour l'utilisateur de trouver l'EPI adapté. L'une des solutions consisterait à ce que le fabricant de produits phytosanitaires donne à l'utilisateur des indications précises sur les EPI conseillés.

M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie.. - Deux corps de métiers n'ont pas encore été abordés aujourd'hui, celui des douaniers et celui des dockers. Pourtant, ces professionnels sont également exposés à des produits chimiques et à des pesticides, dont certains sont interdits en France.

Mme Virginie Garcia, responsable qualité NUFARM SAS, pour l'Union des entreprises pour la Protection des Jardins et espaces publics (UPJ). - Dans le monde de l'industrie, des progrès très importants ont été réalisés au niveau de la réglementation avec un cadre règlementaire conséquent et ciblé. Les autorités visitent les sites industriels plusieurs fois par an.

Nous avons des comptes à rendre à ces autorités en termes de suivi de l'exposition du personnel, avec les fiches d'exposition par molécule. Nous travaillons beaucoup à l'amélioration du poste de travail pour éviter le contact du personnel avec le produit. Dans les ateliers de NUFARM où sont manipulées des molécules cancérogènes ou mutagènes, aucune femme ne travaille afin de protéger de manière préventive les femmes enceintes par prévention. La réglementation a vraiment évolué en termes de mise en place de mesures de prévention et d'information des salariés avec notamment les CHSCT qui se réunissent chaque trimestre et visitent les ateliers. En termes d'information, le fabricant doit informer à l'utilisateur final via les emballages, les étiquettes, etc. Néanmoins, il existe un décalage entre le monde industriel, aujourd'hui très réglementé et qui assure la sécurité des employés, et les utilisateurs finaux pour lesquels nous ne parvenons pas au même degré de sécurité.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Nous retrouvons notamment ce manque d'information et de sensibilisation au niveau de la vente de ces produits en grande surface, par exemple, où ils sont exposés à côté d'autres produits de consommation courante. Ce type de commercialisation n'est pas forcément favorable à une sensibilisation au port d'EPI pour l'utilisation de ces produits.

Mme Virginie Garcia, UPJ. - Il existe effectivement une marge de progrès dans ce domaine. L'information est disponible mais la sensibilisation à la relativité du danger du produit fait défaut au niveau des utilisateurs finaux.

Mme Sophie Primas, présidente. - Aujourd'hui, rien n'empêche un particulier de déverser cinq litres de désherbant sur 3 m² de pelouse.

Mme Virginie Garcia, UPJ. - Certes, rien ne l'en empêche. Le fabricant doit communiquer une recommandation mais il n'est pas possible de vérifier l'utilisation par un individu particulier dans la vraie vie.

M. Joël Labbé, sénateur. - Quelle est votre clientèle ?

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Nous couvrons les jardins amateurs et les jardins publics.

M. Joël Labbé, sénateur - Pour le « jardinier du dimanche », l'emballage du produit est-il explicite quant aux doses à utiliser ? Les représentants des pouvoirs publics recommandent aux jardiniers amateurs d'éviter d'utiliser des produits reconnus comme toxiques. En ce qui concerne les collectivités territoriales, nombre d'entre elles n'utilisent plus de produits phytosanitaires. En effet, il a été prouvé que ces produits ne sont pas forcément nécessaires et qu'il existe des alternatives.

Mme Virginie Garcia, UPJ. - Les recommandations et les produits ne sont pas les mêmes pour les jardiniers amateurs et pour les usages professionnels. Il faudrait réfléchir à un passage d'information différent parce que de nombreuses informations ne sont actuellement pas assimilées par les utilisateurs.

M. Jean-Nicolas Moreau, directeur du cabinet Res-Euro Conseil. - Notre cabinet s'occupe à la fois de stratégie de régulation sociale et de santé au travail. Nous formons à longueur d'année des élus et des présidents de CHSCT. La difficulté de ces discussions a trait au fait que produire, transporter et utiliser représentent des situations très différentes vis-à-vis des pesticides. Il s'agit, pour le premier cas, de l'industrie chimique, pour le deuxième cas, du transport spécialisé, et pour le troisième cas, des utilisateurs variés, avec des statuts de salariés complètement différents d'un secteur à l'autre et des manières de gérer le travail réel au quotidien extrêmement variées.

L'ensemble des inquiétudes exprimées par les représentants du personnel remontent jusqu'à nous lors des formations CHSCT : la sous-déclaration des maladies professionnelles, les valeurs limites d'exposition professionnelle qui ne sont pas suffisamment indiquées sur les produits, les valeurs limites d'exposition biologique, etc. Les élus de CHSCT sont parfois sollicités par les familles de personnes qui sont décédées peu de temps après leur départ de l'entreprise. Une question se pose sur le suivi de ces salariés. Personnellement, je pense qu'il n'entre pas dans la mission de l'élu de CHSCT d'assurer un suivi individuel des salariés sortis de l'entreprise. Il existe un secret médical et le droit pour tout citoyen de ne pas être sollicité par quiconque, sauf par son médecin, sur son état de santé. Maintenant, si un élu CHSCT est sollicité par une famille, il lui revient, bien entendu, d'aider cette famille à monter le dossier juridique.

La formation initiale, en particulier dans le milieu agricole, est insuffisante. Il faudrait vérifier que ces formations initiales sont bien généralisées. Il est également nécessaire de généraliser ces formations dans les écoles d'ingénieur, en particulier en chimie, afin d'apprendre aux élèves ce qu'est un CHSCT et de leur faire appréhender la santé au travail pas uniquement comme une réponse procédurale à une réglementation juridique. La directive de 1989 et la loi de 1991 sur la santé au travail nous ont fait passer d'une approche mécaniciste à une approche dynamique de la santé au travail. Le document unique donne souvent lieu à des centaines de procédures et seul l'ingénieur de sécurité s'y repère. Or selon la directive de 1989 et la loi de 1991, cette évaluation des risques doit être pluridisciplinaire, participative et favoriser le dialogue social.

De nombreux éléments ont porté sur les fiches de données de sécurité (FDS) et sur la relation entre ces fiches et l'adaptation des EPI. En ce qui concerne les espaces verts, peut-être faut-il reprendre l'idée de la loi de modernisation sociale sur la formation des délégués du personnel à la sécurité. Le site www.travaillermieux.gouv.fr commence à avoir une certaine aura en matière de mise à disposition d'éléments utiles pour la santé au travail mais il nécessite une amélioration quant aux produits phytosanitaires.

M. Noël Ballay, Bayer CropScience. - Il est intéressant de considérer les usines de production comme une espèce de laboratoire par rapport à ce qui se pratique en agriculture. Si un agriculteur manipule au plus une centaine de kilogrammes de pesticides par an, dans les usines qui les fabriquent, les salariés en manipulent chaque année plusieurs centaines de tonnes chacun. Or l'accidentologie dans l'industrie chimique est environ cinq fois inférieure à la moyenne des autres métiers en France et l'industrie des pesticides se situe dans le premier quartile de l'industrie chimique avec une accidentologie beaucoup plus faible. En France, pas une seule maladie professionnelle n'a été déclarée en lien avec les pesticides. On ne peut en déduire que les personnes n'osent pas les déclarer alors qu'ils n'hésitent pas à demander une reconnaissance de maladie professionnelle pour les troubles musculo-squelettiques (TMS). Ces bons résultats viennent en partie d'un engagement généralement très fort des directions de l'industrie chimique qui a probablement créé une certaine culture depuis des années. Le point difficile concerne la formation.

Le CHSCT et le médecin du travail ont des rôles très importants. Il faut que le CHSCT se serve de ses nombreuses prérogatives. Malheureusement, il se pose souvent un problème de formation. Le mandat des CHSCT ne dure que deux ans en France, soit à peu près le temps nécessaire pour que ses membres soient correctement formés. Peut-être faudrait-il allonger leur mandat ?

Quant au débat entre médecin interne et médecin externe, nous avons une usine avec un médecin salarié et une autre avec un médecin externe. Nous travaillons aussi bien avec l'un qu'avec l'autre, avec des avantages et des inconvénients dans chaque cas. Le médecin externe présente l'avantage de voir d'autres usines et de pouvoir faire des comparaisons pour nous aider sur certains aspects tandis que le médecin interne a une très bonne connaissance de l'entreprise et va rapidement au coeur du sujet. Il n'existe pas de compromission du médecin interne lié au fait qu'il est salarié de l'entreprise.

Enfin, les CLIC se sont concentrés jusqu'à maintenant sur les plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Je ne pense pas qu'elles soient le meilleur organe pour régler ce problème.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Vous parlez de la formation des agriculteurs mais je parlais également de la formation de vos réseaux commerciaux.

Mme Isabelle Delpuech, Syngenta et UIPP. - Dans le cadre d'Eco-phyto 2018 et de l'axe 4 de Certiphyto, toute personne qui vend doit être formée par Certiphyto.

M. Pierre Berthelot, CFDT-FGA. - Le secteur de la production agricole comprend principalement des très petites entreprises qui n'ont pas de document unique. Le risque phytosanitaire est tabou chez les exploitants agricoles qui sont farouchement opposés à l'établissement du tableau professionnel de la maladie de Parkinson et de l'exposition aux produits phytosanitaires. Nous devons faire des efforts pour pénétrer le milieu, sachant qu'ils nous voient souvent comme une opposition à leurs méthodes techniques de travail. Par ailleurs, les exploitants agricoles n'ont pas de médecine du travail et leur assurance d'accidents de travail est encore très récente, ce qui peut expliquer qu'ils déposent très peu de demandes de reconnaissance de maladie professionnelle. La conceptualisation de la santé au travail des exploitants agricole est encore neuve. Un travail de fond est nécessaire pour sensibiliser les exploitants et inverser la tendance. Enfin, une vraie question se pose sur la protection des travailleurs des départements d'outre-mer, notamment dans l'industrie de production de la banane.

M. Joseph d'Angelo, CGT - Fédération de l'Agroalimentaire. - La partie patronale nous a décrit un monde du travail idyllique. Quand un salarié déclare un trouble musculo-squelettique (TMS), il est souvent arrivé à un point auquel il peut plus travailler, ce qui n'est pas le cas pour les salariés confrontés à des produits chimiques qui ne sont pas forcément malades tout de suite. Dans le métier de paysagiste, l'impératif économique a toujours primé sur l'impératif de santé. Les missions des ouvriers dans les parcs et jardins sont généralement très courtes et l'installation de toilettes, de lavabos et de vestiaires est souvent trop coûteuse par rapport à la durée du chantier. Très souvent, ces ouvriers déjeunent dans leur véhicule avec les produits chimiques à proximité. Ils n'ont pas la possibilité de se laver les mains, etc.

M. Michel Costes, CGT-Fédération de la Chimie. - Je ne peux pas laisser M. Nicolas Moreau définir les limites des compétences des élus du CHSCT. Si les élus du CHSCT décident d'accompagner les salariés en déclaration de maladie professionnelle, ils le feront.

M. Jean-Nicolas Moreau, Res-Euro Conseil. - Il existe une loi qui, par sagesse, n'a pas confié au CHSCT de mission d'accompagnement médical. En revanche, je suis entièrement d'accord avec vous pour affirmer que si une famille demande à un élu de CHSCT de l'aider à monter un dossier médical en vue d'une reconnaissance de maladie professionnelle, l'élu ne peut pas refuser.

M. Eric Beynel, Union syndicale Solidaires. - Dans un avis de septembre 2011 pour l'autorisation de mise sur le marché d'un herbicide classé irritant pour l'oeil, l'ANSES préconise le port de gant et d'un EPI de catégorie 3 (combinaison de type 5-6), sachant que les EPI de catégorie 3 protègent contre les risques graves ou mortels. Or, la recommandation du port d'une combinaison de catégorie 3 de type 5-6 est dénuée de sens car il s'agit d'un EPI prévu pour protéger des particules solides alors que l'herbicide concerné est liquide. En outre, la combinaison de type 6 prévue pour la protection contre des liquides n'offre qu'une faible protection en cas d'éclaboussure accidentelle légère. Or, l'utilisation de cet herbicide est recommandée par le biais d'un pulvérisateur à rampe ou à dos. L'utilisateur est donc exposé à des risques d'éclaboussures et de coulures. L'avis de l'ANSES met en danger les utilisateurs.

Tant que le problème du pesticide n'aura pas été traité à la source, à savoir au moment de la mise sur le marché, nous n'avancerons pas. Il s'agit d'un problème de compétences et de moyens. Souvent, l'ANSES émet des avis à partir des analyses que lui transmettent les fabricants de produits ou d'EPI mais il ne s'agit pas d'avis indépendants.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je souhaite vous remercier pour la sincérité de l'ensemble des prises de parole. Je suis désolée de la brièveté du temps imparti pour vos interventions. Vos contributions écrites sont les bienvenues.