Mardi 26 juin 2012
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -Audition Mme Marie-Monique Robin, journaliste, réalisatrice du film « Notre poison quotidien »
Mme Sophie Primas, présidente de la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement. - Bonjour, Madame. Merci d'avoir répondu à notre invitation. Je suis Sophie Primas, élue des Yvelines, présidente de cette mission d'information demandée par Mme Nicole Bonnefoy, élue de Charente, qui a été sensibilisée à la question des pesticides par l'affaire Paul François que vous connaissez bien.
Mme Marie-Monique Robin. - En effet, j'ai contribué à révéler cette affaire et à donner à Paul François des outils pour se défendre.
Mme Sophie Primas, présidente. - Vous êtes très engagée dans la lutte contre les problèmes de pesticides et de perturbateurs endocriniens. Vous observez d'ailleurs de près les grands groupes de l'industrie phytosanitaire. Il nous a donc semblé intéressant d'entendre votre point de vue sur l'ensemble du sujet.
Mme Marie-Monique Robin. - Je n'aime pas trop le terme « phytosanitaire » car c'est une invention de l'industrie chimique pour nous faire croire que ces poisons agricoles ne sont pas des poisons. Je préfère utiliser le terme « pesticide » qui a le mérite de la clarté puisqu'il s'agit bien de produits conçus pour tuer des organismes vivants, même si cela a été oublié dans les campagnes. Pourtant, même dans la ferme de mes parents, nous parlions du « magasin de produits phytosanitaires » en pensant que ces produits soignaient les plantes. Je tiens donc à rappeler que ces produits sont faits pour tuer et ne soignent pas les plantes.
J'ai débuté l'enquête Notre poison quotidien dans la foulée de mon travail sur Monsanto dans lequel je montrais, à travers un film et un livre, comment cette multinationale américaine, grand producteur de pesticides, avait systématiquement caché la toxicité de ses produits et menti pour qu'ils restent sur le marché le plus longtemps possible. Je reviens justement du Japon où le film sort au cinéma et où le livre vient d'être traduit. Mon enquête a donc fait le tour du monde mais, à ce jour, je n'ai pas rencontré de problèmes judiciaires. Même si un certain nombre de personnes puissantes voudraient que je cesse mes travaux, les dirigeants de Monsanto ne m'ont pas, comme ils en ont l'habitude avec les journalistes ou les scientifiques, poursuivie en justice.
Quand j'ai terminé mon travail sur Monsanto, trois questions me revenaient sans cesse à l'esprit. Je me demandais tout d'abord si Monsanto constituait une exception. J'aurais aimé que cela soit le cas mais il n'en est malheureusement pas ainsi. En effet, toute l'industrie chimique depuis le début du XXe siècle ment systématiquement sur la toxicité de ses produits. L'industrie chimique et des pesticides sait que ses produits sont toxiques mais elle ne le dit pas aux autorités et fait tout pour entretenir le doute sur cette toxicité. Le problème est donc systémique.
Je me demandais ensuite comment étaient réglementés les produits chimiques et si l'on pouvait faire confiance aux normes édictées par les agences de réglementation. La réponse est malheureusement non. En effet, il est commun de dire que 100 000 produits chimiques ont été mis sur le marché depuis la Seconde Guerre mondiale mais que seulement 10 % d'entre eux ont été testés.
La dernière question que je me posais concernait l'éventuel lien entre l'exposition à ces produits chimiques et l'épidémie de maladies évitables relevée par l'OMS. Cette dernière entend par maladies évitables des maladies dont les causes peuvent être identifiées et donc supprimées. Ces maladies évitables sont les cancers, les maladies neuro-dégénératives, les troubles de la reproduction, de l'obésité, le diabète etc...
Pour répondre à cette troisième question, je me suis centrée sur notre assiette en menant des investigations sur les pesticides, les additifs alimentaires et les plastiques qu'on y retrouve.
Je suis persuadée que les pesticides ont effectivement un impact sur les utilisateurs mais je tiens à préciser que je ne suis que journaliste. Mon métier consiste à faire le tour du monde pour rencontrer des experts et des témoins pour mettre à la disposition des élus les informations recueillies dans un souci de recherche et d'un mieux vivre ensemble.
Il est vrai que la question des pesticides me touche particulièrement. Je suis née dans une ferme dans les Deux-Sèvres dans laquelle travaillaient cinq paysans dont deux sont morts prématurément d'un cancer et d'une leucémie foudroyante et deux se battent contre un cancer de la prostate et un cancer de la peau. Il a fallu que je réalise mon film sur Monsanto pour que mon père, le seul d'entre eux aujourd'hui en bonne santé et qui s'occupait alors des vaches laitières et non des cultures, réalise quelle était la cause de ces cancers. Je suis donc portée par une motivation personnelle qui ne m'empêche en rien d'exercer mon métier le mieux possible.
Au début de mes travaux, j'ai essayé de recenser les études sur la relation pesticides-cancers. Il en existe des milliers au sein desquelles il est très difficile de se repérer. J'ai néanmoins constaté que la revue systématique de la littérature scientifique effectuée par des Canadiens à la demande du collège des médecins de l'Ontario aboutissait aux mêmes conclusions que deux autres revues très sérieuses : il existe évidemment un lien entre l'exposition répétée aux poisons chimiques déversés dans nos champs depuis cinquante ans et certains types de cancers.
Il faut savoir que, en général, la population agricole a moins de cancers que la population globale mais qu'elle souffre beaucoup plus de certains cancers, à savoir les lymphomes, les leucémies - à cause du benzène -, les cancers de la peau, de la prostate et du cerveau.
Par ailleurs, je suis très heureuse d'apprendre que la maladie de Parkinson a enfin été reconnue en tant que maladie professionnelle. J'espère que d'autres maladies entreront également dans le tableau des maladies professionnelles afin que les paysans qui en sont victimes n'aient plus à mener le très long combat pour être reconnus et obtenir un soutien pour eux et pour leurs familles.
Concernant le risque sanitaire que représentent aujourd'hui les pesticides en France, je m'inquiète beaucoup du sort des agriculteurs mais j'ai aussi examiné les effets nocifs sur les consommateurs qui mangent des produits imprégnés de résidus de pesticides. Le problème est notamment lié à la réglementation actuelle. En effet, lorsque René Truhaut, un toxicologue français très réputé et très respectable, a eu l'idée de réglementer les produits chimiques au début des années 1960, à partir de l'idée « la dose, c'est le poison », il a développé le concept de la dose journalière acceptable ou admissible (DJA) qui est depuis devenu le fondement de toute la toxicologie et de toutes les agences chargées des réglementations (EFSA, ANSES ...).
Lors de la rédaction de mon livre, j'ai rencontré seize représentants d'agences de réglementation. Aucun n'a pu répondre clairement à mes questions car ils ne peuvent évidemment pas défendre un système indéfendable qui consiste à empoisonner la population à petites doses depuis quarante ans. Les agences de réglementation gèrent comme elles le peuvent un outil qui est, par essence, mauvais. La seule solution consisterait à revoir l'outil de fond en comble.
René Truhaut ne le savait pas à l'époque mais nous savons aujourd'hui que les perturbateurs endocriniens - des hormones de synthèse présentes dans de nombreux produits industriels - se retrouvent dans les végétaux sur lesquels ils sont appliqués et agissent sur la santé à des doses extrêmement faibles. Ces perturbateurs sont parfois sans conséquence à des doses élevées mais ils agissent de façon très importante à des doses infimes qui ne sont souvent même pas mesurées dans les tests exigés de l'industrie.
La littérature scientifique est très fournie sur le sujet. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de filmer un colloque scientifique à La Nouvelle-Orléans au cours duquel les chercheurs présentaient le concept d'origine foetale des maladies de l'adulte. En effet, des milliers d'études montrent que les cancers hormono-dépendants dont souffrent les personnes de trente ou quarante ans sont d'origine foetale, leur mère ayant consommé à un stade précis de sa grossesse un aliment contaminé par une hormone de synthèse.
Comme nous mangeons tous les jours des aliments non biologiques, nous consommons des résidus d'hormones de synthèse qui agissent à des doses extrêmement faibles et qui ont aussi la particularité d'interagir (effet cocktail). Si l'exposition se déroule in utero, les personnes peuvent développer vingt, trente ou quarante ans après des cancers de la prostate et du sein, des troubles de l'attention - de nombreuses études montrent ainsi que les animaux exposés à de très faibles doses de perturbateurs endocriniens développent des comportements autistiques, des troubles de la reproduction, du diabète ou de l'obésité.
Face à des molécules dangereuses, le principe de la DJA ne sert absolument à rien, car c'est le moment de l'exposition qui compte, d'autant que les études fournies par l'industrie pour définir cette fameuse DJA sont très discutables. Prenons l'exemple de la procymidone, un fongicide cancérogène et perturbateur endocrinien qui est enfin interdit en dans l'Union européenne et dont la DJA a été plusieurs fois abaissée. Lorsque je m'étonnais devant un représentant de l'Agence Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) que la DJA de ce produit, une valeur censée être sûre et scientifique et donc nous protéger dès sa mise en place, ait dû être diminuée à plusieurs reprises, mon interlocuteur avait bien du mal à me répondre.
Ce n'est cependant pas aux agences de réglementation qu'il faut jeter la pierre mais aux pouvoirs publics qui leur demandent de continuer à utiliser un outil qui ne sert à rien et qui, très clairement, protège les industriels. L'exemple récent du colorant caramel du Coca-Cola, cancérogène maintenant interdit en Californie mais non en Europe, montre bien que les normes sont des artefacts politiques qui servent à protéger les intérêts des industriels. Comme je le disais en préambule, Monsanto n'est pas une exception. Depuis un siècle, l'industrie a tout fait pour maintenir la DJA. En effet, le jour où la DJA sera remise en cause, les perturbateurs endocriniens devront être interdits car il est impossible de les réglementer.
Pour maintenir leurs produits sur le marché, les industriels utilisent ce que M. David Michaels, un épidémiologiste américain, aujourd'hui secrétaire adjoint du travail dans le Gouvernement Obama, appelle « la fabrique du doute », dans son livre « Notre produit, c'est le doute ». L'expression lui vient de l'industrie du tabac qui, dans un document déclassifié au moment des grands procès contre les cigaretiers, indiquait qu'elle vendait des cigarettes et du doute. Historiquement, la fabrique du doute a commencé dans les années 1920 avec l'essence au plomb. Devant le tollé général provoqué par la mise sur le marché de ce carburant, l'industrie a créé un laboratoire chargé de minimiser la perception des effets négatifs de l'essence au plomb. L'industrie du tabac a ensuite, à son tour, payé des laboratoires pour réaliser des études biaisées.
Ces études biaisées consistent à moduler les cohortes, de manière à mélanger les personnes exposées et les autres dans les groupes comparés et à retenir les temps d'exposition les plus courts possibles, ce qui permet d'obtenir les résultats souhaités. Découvrir ces biais demanderait un examen approfondi. Or, les données toxicologiques fournies par l'industrie pour être évaluées par les experts sont couvertes par le secret commercial et ne peuvent donc être consultées par personne.
Même après avoir travaillé sur Monsanto, je ne pouvais pas imaginer ce système incroyable. En 2001, le New England Journal of Medicine s'est lui aussi rendu compte qu'il était victime de ce système et que les revues scientifiques qu'il publiait étaient biaisées, ne donnaient pas une vérité scientifique, mais défendaient des produits. Ce grand journal britannique et treize autres revues scientifiques renommées, dont The Lancet, ont alors décidé d'exiger, au minimum, que les auteurs publient leurs conflits d'intérêts. Les revues se tiennent encore aujourd'hui à cette décision qui constitue un pas dans la bonne direction.
Même si les agences de réglementation publient, elles aussi, les conflits d'intérêts, le problème est que les experts censés évaluer les données toxicologiques transmises par les industriels n'analysent pas en profondeur ces études douteuses. Les sous-sols de l'OMS abritent ainsi quinze kilomètres de rayonnages de données transmises par les industriels que personne ne vérifie. Il est pourtant possible d'y trouver des mentions aussi étonnantes que celle d'« ovaires de lapins mâles ».
Mme Sophie Primas, présidente. - Voulez-vous dire que les autorisations de mise sur le marché de certaines molécules sont données sans vérification ?
Mme Marie-Monique Robin. - Oui. Et je vais même plus loin : toutes les molécules sont mises sur le marché sans examen sérieux.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comment les évaluations sont-elles réalisées par les agences ?
Mme Marie-Monique Robin. - Les agences reçoivent un résumé des données toxicologiques, élaboré par l'industrie. Quand elles arrivent à obtenir les données brutes et les confient à un laboratoire indépendant, les résultats sont généralement inverses de ceux donnés par l'industriel dans son résumé. Les experts des agences, qui n'ont généralement pas de lien avec l'industrie - sachant que, par ailleurs, il n'est pas facile de trouver des experts qui ne soient pas, d'une manière ou d'une autre, liés à l'industrie - se contentent de lire le résumé. Cependant, ils ne retiennent que les études qui suivent « les bonnes pratiques de laboratoire » ou BPL.
En effet, à la fin des années 1980, aux États-Unis d'Amérique, un énorme scandale a éclaté lorsqu'il est apparu que les études sur le désherbant Roundup - incluant les ovaires de lapins mâles ! - avaient été totalement bâclées par le laboratoire en charge de les réaliser. Les États-Unis ont alors créé une feuille de route pour encadrer les études conduites par l'industrie. Cette feuille de route oblige, par exemple, les laboratoires missionnés par les firmes à effectuer des notations quotidiennes sur le déroulement des travaux : ce sont les bonnes pratiques de laboratoire. Les laboratoires publics américains de leur côté n'appliquent pas cette feuille de route, d'une part, parce que son coût est très élevé, et d'autre part, parce qu'ils appliquent un autre système de validation, celui de la publication dans des revues scientifiques. Les données toxicologiques de l'industrie ne sont, à l'inverse, jamais publiées. Ce qui empêche le CIRC de classer des pesticides possibles cancérogènes, puisqu'il ne travaille qu'à partir des études publiées.
Nous sommes donc face à un système uniquement au service de l'industrie et dont les agences de réglementation sont, d'une certaine manière, complices.
Dans ces conditions, comment améliorer le système ? Mon premier constat est que les pesticides cancérogènes ou perturbateurs endocriniens ne peuvent pas être réglementés. Ils doivent être interdits. En effet, il est impossible de produire des aliments sains en les arrosant de poison chimique. M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, et M. Jean-René Buisson, président de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA), affirmaient, l'année dernière devant moi sur un plateau de télévision, qu'il était impossible de nourrir le monde sans recourir aux pesticides. Après avoir pris la question à bras-le-corps pendant un an, je peux vous assurer que c'est un mensonge supplémentaire. Ce sont, au contraire, les pesticides qui affament le monde car ils provoquent de nombreuses maladies dans les cultures.
Sachez également que 1 % seulement des pesticides atteignent leur cible dans les champs et que le restant part dans l'environnement. Nous appliquons donc un modèle totalement inefficace qui ne sert que les intérêts des industriels et qui asservit totalement les agriculteurs. Ces derniers ne savent même plus ce qu'est l'humus alors que c'est la meilleure manière de se protéger contre les parasites. Vous découvrirez dans mon prochain film qui sortira à l'automne que nous n'avons pas besoin de molécules dangereuses qui rendent malades les utilisateurs et les consommateurs.
S'agissant des autres molécules dont l'utilisation se poursuivra, les médicaments par exemple, il faudrait réformer le système d'évaluation en continuant à publier les conflits d'intérêts des experts et en créant plus de transparence grâce à des expertises contradictoires. Cela permettrait d'éviter le funding effect, théorie suivant laquelle le résultat de l'étude est prévisible selon la source de financement (firme ou laboratoire indépendant). Cela a été le cas pour l'aspartame et le bisphénol A.
Il faudrait aussi prévoir la possibilité de faire appel à des observateurs extérieurs choisis dans la société civile en fonction de leurs compétences. En effet, si les problèmes d'amiante, par exemple, ont enfin été réglés, c'est grâce à des acteurs de la société civile qui se sont emparés du sujet et non grâce à l'Académie de médecine ou à l'Académie des sciences.
Je souhaite finalement que les études soient payées par l'industrie mais conduites par des chercheurs indépendants sous le contrôle des autorités publiques. Je souhaite aussi que le souci de la santé publique passe avant le souci des industriels.
A ce sujet, je vous invite à lire l'ouvrage d'Ulrich Beck, La société du risque, qui montre que les risques sont partout autour de nous et qu'il faut les évaluer. En l'occurrence, évaluer le risque c'est mesurer les risques encourus par les citoyens et les bénéfices apportés par les produits, sachant que les agences de réglementation qui émanent des pouvoirs publics doivent faire passer le souci de la protection des citoyens avant celui des industriels. Malheureusement, c'est exactement l'inverse qui se produit depuis cinquante ans.
J'avais été entendue il y a quelque temps par le sénateur M. Gilbert Barbier à propos d'un rapport parlementaire sur les perturbateurs endocriniens, dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). J'avais été un peu déçue lorsqu'il m'avait annoncé les recommandations de ce rapport parce qu'il proposait d'indiquer sur tous les produits contenant des perturbateurs endocriniens la mention « déconseillé aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge ». Cela me semblait un peu léger au regard des risques encourus par ces populations. Lorsque j'avais indiqué à M. Gilbert Barbier que la seule solution était d'interdire ces molécules, il m'avait demandé ce que ferait alors l'industrie. J'ai été déçue qu'un sénateur soit si attaché à la défense des intérêts de l'industrie. Nous devons absolument réintroduire le souci du bien public dans le travail des agences de réglementation.
Je suis également très déçue de la récente prise de position de M. Stéphane Le Foll, nouveau ministre de l'agriculture, qui s'est opposé à une allocation de fonds européens pour des mesures agro-environnementales, car les agriculteurs n'en peuvent plus d'être malades et ont besoin d'un signal fort. M. Paul François a eu le mérite de libérer la parole dans nos campagnes. J'ai longtemps été considérée comme une traîtresse dans ma région natale mais, depuis que M. Paul François a eu le courage de dire que les pesticides l'avaient rendu malade et de créer l'association Phyto-Victimes, la parole se libère.
Il faut se préparer à un grand scandale sanitaire dans nos campagnes, aussi important que celui de l'amiante. J'espère que les politiques n'auront pas à se reprocher d'être restés les bras croisés. Le problème concerne aussi les consommateurs, bien entendu. Lorsque je présente mon film « Le monde selon Monsanto » et que je demande qui, parmi les spectateurs, connaît une proche, une voisine ou une collègue jeune qui souffre d'un cancer du sein, 90 % de la salle lève la main ! En conclusion, je suis persuadée que nous pouvons nourrir le monde sans ces produits chimiques dangereux. J'espère simplement que le nouveau Gouvernement sera au rendez-vous.
M. Joël Labbé. - Face à ce réquisitoire extrêmement à charge, il serait intéressant de prévoir une confrontation avec l'UIPP ou l'ANSES.
Mme Marie-Monique Robin. - J'ai eu l'occasion de débattre avec M. Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'UIPP qui a, depuis quelque temps, changé de discours sur le lien entre les pesticides et la santé des paysans.
En revanche, les lignes ne bougent pas à la FNSEA car ils ont très peur. J'étais récemment en contact avec un agriculteur de Montpellier qui souffre d'un cancer de la prostate, après avoir épandu pendant trente ans de l'atrazine dans ses champs. Il m'expliquait qu'il avait reçu une lettre de sa coopérative agricole demandant à tous les adhérents de signer une décharge en cas de cancer. Des salariés de coopérative on déposé des plaintes. Il faut savoir que les coopératives agricoles sont tenues par la FNSEA et que leur fonds de commerce est la vente de pesticides. Les membres de la FNSEA commencent aujourd'hui à prendre peur en voyant l'hécatombe qui se profile et qui ne les épargne pas eux-mêmes. S'ils ne prennent pas le problème à bras-le-corps dès maintenant, ils verront, dans quatre ou cinq ans, les membres des coopératives, les paysans et la société civile se retourner contre eux.
Jusqu'à récemment, on pouvait prétendre ne pas savoir à quel point l'exposition aux pesticides avait des conséquences dramatiques et comment les industriels entretenaient une politique du doute. Aujourd'hui, on ne peut plus ignorer cette situation. Pourtant, la FNSEA s'est opposée au classement comme maladie professionnelle de la maladie de Parkinson.
Nous sommes aujourd'hui à un moment clé où toutes les crises - énergie, biodiversité, climat, santé, économie - se rejoignent. Tous les acteurs que je rencontre sont conscients des liens entre ces crises. Nous avons donc besoin de signaux forts. Le Gouvernement ne peut pas reproduire le déni qui a été celui de la FNSEA. Cette dernière a d'ailleurs raison d'avoir peur car l'association Phyto-Victimes ne laissera rien passer. Elle affrontera les fabricants mais aussi les pouvoirs publics qui soutiennent ce système de mensonge ni les représentants syndicaux qui tiennent les coopératives agricoles et qui ne peuvent plus dire qu'ils ne savent pas.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Connaissez-vous la coopérative Triskalia en Bretagne ?
Mme Marie-Monique Robin. - Oui. Lorsque je vais en Bretagne pour présenter mes films, j'ai quasiment besoin de gardes du corps. J'avais ainsi été invitée à Rennes pour filmer un colloque ouvert au public organisé par la délégation régionale de l'agriculture. Lorsque je suis arrivée sur place, les coopératives agricoles de Bretagne ont interdit que je franchisse la porte et le préfet les a laissées faire.
Les coopératives sont bien des acteurs de « l'agro-business » le plus brutal. Elles s'inquiètent cependant car elles savent que les agriculteurs sont en train de se réveiller, même s'ils ont honte, comme se sont réveillées les victimes de l'amiante. Bien sûr, il ne s'agit pas de stigmatiser les agriculteurs qui sont les premières victimes de ce modèle corrompu. Nous ne sortirons pas de ce modèle sans une alliance entre les consommateurs, les agriculteurs et les politiques.
M. Henri Tandonnet. - Vous avez largement ciblé les femmes. Au-delà de l'alimentation, ne faudrait-il pas parler des traitements hormonaux ?
Mme Marie-Monique Robin. - Tout à fait, j'en parle d'ailleurs dans mon livre. Les hormones de synthèse responsables des cancers du sein sont présentes dans les emballages alimentaires, les aliments, les déodorants mais aussi les pilules contraceptives. En tant que mère de trois adolescentes, ce dernier point m'inquiète particulièrement. Les pilules contraceptives font partie du cocktail hormonal absorbé chaque jour par les femmes. Pour détecter au plus tôt les cancers du sein, il faudrait mesurer en permanence la charge hormonale corporelle, comme l'indique M. Andreas Kortenkamp dans un rapport présenté aux députés européens en 2008.
Cet effet cocktail est largement démontré dans une étude réalisée par un laboratoire danois. En effet, ils ont constaté que l'exposition in utero à trois perturbateurs endocriniens, à des doses très faibles mais en simultané, générait des effets démultipliés alors qu'il n'y avait aucun effet des produits pris séparément.
M. Henri Tandonnet. - Vous avez voyagé dans de nombreux pays. Estimez-vous que la France est en avance ou en retard en matière de réglementation ?
Mme Marie-Monique Robin. - Les États-Unis ont été précurseurs en matière de réglementation, en créant l'EPA et la FDA, jusqu'à la présidence de Ronald Reagan. Ce dernier a lancé une déréglementation afin de favoriser la mise sur le marché des produits. Entre-temps, l'Union européenne a commencé à montrer la voie avec le règlement REACH. Mais la France est à la traîne.
Ce qui se passe en France est dramatique. M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, a mis en avant une réglementation poussée tout en demandant des autorisations de dérogation pour 350 produits.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie.
Audition M. Christophe Hillairet, président de la Chambre interdépartementale d'agriculture d'Île-de-France
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous sommes très heureux de vous recevoir. Cette mission d'information a été lancée à l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy, élue de Charente, suite aux difficultés rencontrées par un agriculteur de sa région, M. Paul François. Notre mission d'information s'intéresse aux dangers des produits, appelés pesticides ou produits phytosanitaires suivant les interlocuteurs, utilisés essentiellement par les agriculteurs mais aussi par les particuliers et les collectivités territoriales. Il nous a semblé intéressant de comprendre le rôle des chambres d'agriculture et d'avoir le point de vue des céréaliers car, au cours de nos visites sur le terrain, nous avons surtout rencontré des viticulteurs et des maraîchers. Nous voudrions savoir si les agriculteurs sont conscients, ou non, des dangers des produits et dans quelle mesure ils reprennent le pouvoir sur le commerce des pesticides. Enfin, nous voudrions connaître quelles sont les propositions du monde agricole.
M. Christophe Hillairet. - Je vous remercie de me recevoir. Je voudrais vous expliquer le rôle des chambres d'agriculture dans le domaine de la préconisation des pesticides. En tant qu'agriculteur, je suis utilisateur de produits phytosanitaires et donc exposé à leurs dangers. Lorsque l'on me demande si le monde agricole est un pollueur, je réponds oui assez librement car je ne connais pas d'activité humaine sans incidences sur l'environnement et sur la santé. Ces incidences doivent simplement être gérées le mieux possible.
La circonscription de la chambre interdépartementale d'agriculture, que je préside, recouvre l'ensemble de l'Île-de-France sauf la Seine-et-Marne. L'Île-de-France compte aujourd'hui 5 000 exploitations professionnelles sur 578 000 hectares. 48 % du territoire francilien est donc consacré à l'agriculture. Les grandes cultures représentent 82 % de cette superficie et sont cultivées par 75 % des exploitations. Les unités d'élevage représentent 5 % des exploitations. Ce faible pourcentage s'explique par le refus des Franciliens de voir des élevages s'installer près de chez eux.
L'horticulture fait travailler 150 entreprises réparties sur un peu moins de 300 hectares et souvent situées en très immédiate proximité de l'agglomération. Elles sont donc les premières touchées par l'urbanisation, tout comme les pépinières, le maraîchage et l'arboriculture. La sylviculture concerne 283 000 hectares, soit 24 % du territoire francilien et 75 entreprises. Au total, plus de 70 % du territoire francilien est couvert par des activités naturelles.
Concernant l'usage des pesticides dans la deuxième moitié du XXe siècle, vous devez savoir que, pendant une longue période, les agriculteurs ont largement utilisé ces produits pour endiguer un certain nombre de problèmes agronomiques. La démarche est désormais un peu différente. La nouvelle génération d'agriculteurs se pose beaucoup plus de questions sur l'utilisation des pesticides et sur l'agronomie en général.
Dans le cadre d'Ecophyto, l'Île-de-France accueille 34 fermes de référence dont 9 dans ma circonscription et 25 en Seine-et-Marne. La surface agricole utile (SAU) totale s'élève à 6 900 hectares dont 4 300 sont engagés à ce jour. Nous avons mis en place des sessions de formation sur l'agriculture intégrée à l'intention de ces exploitations. Nous avons aussi organisé des démonstrations tous publics de désherbage mécanique. La chambre d'agriculture s'est en effet dotée de trois bineuses et préconise aux agriculteurs, en plus des itinéraires tout phyto, des itinéraires mixtes phyto/désherbage manuel.
Nous mettons ces bineuses à disposition des agriculteurs avant d'effectuer des comptages de mauvaises herbes pour évaluer leur efficacité. L'une de ces bineuses est affectée à une zone de captage prioritaire pour essayer de sensibiliser les agriculteurs à la protection de ces espaces sensibles. Toutefois, nous mettons cette action en place de façon pragmatique. Nous développons ainsi très largement le binage pour les cultures sarclées mais nous y renonçons lorsque les cultures ne le permettent pas.
Une spécificité de notre région est que les coopératives agricoles ne préconisent pas de produits phytosanitaires aux agriculteurs. Ce sont les techniciens des chambres d'agriculture qui se rendent dans les exploitations et qui effectuent des préconisations sans aucun lien avec les firmes. Nous ne vendons rien ; nous apportons seulement du conseil. Dans ce contexte, je ne vous cache pas que les relations avec les coopératives et les négoces sont un peu tumultueuses parce que nos programmes ne cadrent pas forcément avec leurs gammes de produits.
Nous tenons beaucoup à ce fonctionnement qui est la structure de base de notre chambre interdépartementale. La moitié de nos effectifs est d'ailleurs sur le terrain pour assister les agriculteurs. A la fin des campagnes d'essais, nous organisons des réunions pour présenter nos essais moitié phyto moitié désherbage mécanique mais aussi nos itinéraires en agriculture biologique. Nous avons aussi effectué dans le cadre d'Ecophyto une visite de micro ferme Arvalis à Boigneville.
Nos principales actions d'expérimentation concernent les itinéraires intégrés en blé tendre. Nous avons la chance d'être accompagnés dans ce projet par les conseils généraux de l'Essonne et des Yvelines qui financent des bandes d'agriculture intégrée. Nous avons fait le choix de localiser principalement ces bandes sur les captages prioritaires car ce sont les zones les plus fragiles.
C'est une grande chance de pouvoir s'appuyer sur deux conseils généraux qui ont bien compris la problématique de l'agriculture intégrée et la volonté de la profession d'essayer de trouver des techniques plus économes en intrants tout en permettant de maintenir les revenus des exploitations. Le conseil général des Yvelines finance les bandes intégrées à hauteur de 100 000 €, celui de l'Essonne à hauteur de 60 000 €. Ce dispositif fonctionne très bien puisque, chaque année, nous devons refuser des demandes d'agriculteurs, le plafond de financement étant atteint.
Nous effectuons aussi des essais de comparaisons variétales de blé tendre, aussi bien en termes de rendements qu'en termes d'économies d'intrants. Cette année, nous avons visité des parcelles d'essai où les maladies se sont vraiment développées et où nous pouvons examiner les résistances de chacune des variétés. Nous cherchons les variétés qui offrent un bon compromis entre résistance et rendement.
Comme je le disais, nous avons effectué un travail important au niveau des zones de captage. Ce travail est assez atypique puisque nous utilisons la méthode Aquaplaine développée par Arvalis. Cette méthode consiste à étudier la vulnérabilité des sols grâce à dix ou quinze prélèvements à l'hectare et à en tirer une cartographie des vulnérabilités. Lorsqu'une vulnérabilité très importante est identifiée, nous ne nous interdisons pas d'enherber les sols ou de passer en agriculture biologique. Si aucune vulnérabilité n'est constatée, nous maintenons nos cultures habituelles, y compris en zone de captage.
L'une des questions posées concernait les résultats de la mise en oeuvre du plan Ecophyto en 2018. Il m'est impossible de répondre à cette question car les cycles de l'eau et de la nature durent de cinq à cent ans suivant le type de sol. Vouloir effectuer un bilan des résultats d'Ecophyto au bout de quelques années seulement est illusoire. Je ne suis pas hostile à des mesures sur le plan environnemental, notamment sur les pesticides et sur l'azote, mais il faut pouvoir prendre un recul scientifique suffisant pour en mesurer les résultats.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Avez-vous mesuré les réductions d'usage de pesticides obtenues dans le cadre d'Ecophyto ?
M. Christophe Hillairet. - Il n'est pas pertinent de mesurer la pression annuelle des produits phytosanitaires. En effet, les résultats sont très variables suivant les conditions climatiques et la pression en termes de maladies. Cette année, par exemple, la consommation de produits sera certainement importante. L'année dernière en revanche, je n'ai quasiment pas utilisé de pesticides. Grâce à notre fonctionnement indépendant des firmes, nous n'avons aucun scrupule à conseiller aux agriculteurs de ne pas utiliser inutilement de produits.
Nous avons mis en place le Certiphyto dans nos départements. Environ 50 % des exploitants ont été formés mais nous nous heurtons à des difficultés de financement. En effet, si le dispositif a bien démarré, les caisses du Fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant (VIVEA) sont aujourd'hui vides, tout comme celles du Fonds national d'assurance formation des salariés et exploitations et des entreprises agricoles (FAFSEA), destinées à former les salariés agricoles. Nous avons donc choisi de ne pas recourir au FAFSEA et de demander aux agriculteurs de payer la formation de leurs salariés. Une autre difficulté concerne la formation des prestataires puisque les entreprises de travaux agricoles (ETA), qui sont généralement des micro-entreprises, ne connaissent pas du tout la notion de certification de l'entreprise.
Vous m'avez demandé si les agriculteurs qui obtiennent ce certificat se sentent mieux informés sur l'utilisation des pesticides. La réponse est non. Les agriculteurs d'Île-de-France sont plutôt bien formés puisqu'ils sont en moyenne titulaires d'un diplôme de niveau bac + 3. Le cycle de formation proposé ne leur apporte donc rien. La Chambre d'agriculture a décidé de compléter cette formation avec d'autres modules qui intéressent les agriculteurs. En effet, ils sont demandeurs de conseils sur l'utilisation des buses, sur l'optimisation des traitements (travail à demi-dose ou à quart de dose en fonction des conditions climatiques) ou encore sur le type d'eau à utiliser (dureté, température). Les agriculteurs sont vraiment demandeurs de préconisations techniques.
M. Henri Tandonnet. - Notre question concernait plutôt le volet prévention.
M. Christophe Hillairet. - La chambre d'agriculture n'a pas attendu Certiphyto pour mettre en place des formations sur ce thème. Elle a également monté un groupement d'achat pour les équipements de protection (EPI). Au-delà de la formation, nous avons des propositions concrètes à vous faire à propos des emballages, par exemple. Nous sommes en effet très demandeurs d'une normalisation des étiquettes. Aujourd'hui, un agriculteur qui recherche les phrases de risques sur l'étiquette d'un produit ne sait jamais où il doit regarder. Il serait bon de légiférer sur le sujet pour que la face arrière des bidons comporte systématiquement des informations et des pictogrammes présentés de façon uniforme.
Mme Sophie Primas, présidente. - Les agriculteurs lisent-ils les fiches de préconisations ?
M. Christophe Hillairet. - En ce qui me concerne, je les ai affichées dans mon local phyto. Mon salarié dispose ainsi de l'ensemble des fiches et des informations sur les phrases de risque.
Mme Sophie Primas, présidente. - S'agit-il d'une initiative personnelle ?
M. Christophe Hillairet. - Absolument. Par ailleurs, il me semble qu'un sujet a été totalement oublié dans les fiches de préconisations : le tracteur. Chaque année en septembre, je change les filtres à charbon de mon tracteur. Il devrait être obligatoire que les tracteurs soient équipés d'une cabine pressurisée et de filtres à charbon. C'est une bonne chose de s'équiper d'un masque avec filtre à charbon pour remplir le pulvérisateur mais cela n'a aucun sens si l'on passe ensuite des heures à inhaler le produit par le carreau ouvert du tracteur.
M. Joël Labbé. - Au plan national, les agriculteurs sont-ils nombreux à être exposés dans les tracteurs, certainement sans le savoir ?
M. Christophe Hillairet. - Oui. Lors de l'homologation, les produits phytosanitaires sont classés en fonction du risque encouru par l'utilisateur. Les phrases de risque sont clairement indiquées. En tant que tel, cela ne me choque pas. L'important est que nous travaillions sur tout le cycle d'exposition et sur la réduction des doses.
Une autre proposition consiste à standardiser les bidons. Nous travaillons aujourd'hui avec des bidons, qui pour des raisons commerciales, sont de contenances et de formes différentes. Nous aurions plutôt besoin de bidons normalisés mais aussi transparents ; cela nous éviterait d'avoir à approcher l'oeil du bidon pour vérifier si nous l'avons bien rincé. Je sais que certains plastiques transparents sont sensibles à la lumière mais il existe des procédés pour vérifier que le produit est encore efficace. Je sais aussi qu'il existe dans le secteur alimentaire des solutions pour que les bidons se vident automatiquement. Pourtant, nous continuons dans l'agriculture à les vider manuellement. Enfin, pourquoi ne pas normaliser les bouchons en mettant en place, comme dans l'industrie pétrolière, des clapets anti inhalation ? Je suis cependant conscient que ces améliorations auront un coût pour les agriculteurs car les firmes les répercuteront sur le prix de vente.
M. Joël Labbé. - Compte tenu des marges dégagées par les industriels, ils pourraient proposer ces améliorations sans augmentation des prix.
M. Christophe Hillairet. - Je ne me fais pas d'illusions, ils répercuteront toujours les changements techniques sur les prix. Les propositions que je viens de faire sont très simples mais elles sont importantes. En tant qu'utilisateur et agriculteur, je veux pouvoir utiliser des produits phytosanitaires en toute innocuité. Je pense qu'il est possible d'y arriver en prenant les mesures de précaution nécessaires.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Il faut en effet se protéger de ces produits dangereux mais il ne faut pas oublier qu'ils font aussi courir des risques aux consommateurs. Qu'en pensez-vous ?
M. Christophe Hillairet. - La concentration n'est pas du tout la même dans les deux cas.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - C'est nécessaire et évident de se protéger soi-même mais le danger ne s'arrête pas aux agriculteurs. Pourquoi ne pas envisager une agriculture sans produits phytosanitaires plutôt que d'améliorer les bidons ?
M. Christophe Hillairet. - Sortir son automobile le matin, c'est également dangereux. Ce n'est pas pour autant que vous roulez à vélo. Comme je le disais en préambule, je ne connais pas d'activité humaine qui n'ait pas d'incidences sur l'environnement ou sur l'homme.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Cela ne nous empêche pas d'étudier ces incidences et de les réduire.
M. Joël Labbé. - Toutes les activités n'ont pas d'incidence sur l'homme et sur l'environnement.
M. Christophe Hillairet. - Presque toutes, d'après moi. Cela étant dit, le plus désolant est que des personnes prennent des décisions en matière agricole sans rien connaître à l'agronomie. Je ne refuse pas de supprimer certaines phases d'utilisation des produits phytosanitaires à condition que des techniques de substitution soient identifiées. Au moment du Grenelle, les pouvoirs publics nous ont demandé de réduire de 50 % les produits phytosanitaires. Pourtant, Arvalis et l'INRA n'ont pas reçu de financements pour effectuer des recherches et mettre en place de nouvelles techniques. L'agriculteur est victime de ce paradoxe puisqu'il est soumis à de nombreuses interdictions mais n'a pas de solution de rechange.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - L'INRA n'a-t-elle pas pourtant démontré qu'une réduction de 30 % des produits phytosanitaires était possible aisément ?
M. Christophe Hillairet. - Cette expérimentation s'est déroulée près de chez moi, à Jouy-en-Josas. Nous avons donc pu la suivre de près. Sans mettre totalement en doute les résultats de l'INRA, je vous invite à aller voir les plates-formes d'essai. Vous constaterez que les parcelles ne sont pas en bel état.
M. Henri Tandonnet. - Je sais qu'il existe un mouvement en faveur de la disparition des produits chimiques en agriculture.
M. Christophe Hillairet. - Je suis tout à fait preneur de techniques autres que les produits phytosanitaires. Ainsi, nous savons très bien gérer le désherbage mécanique du maïs ou de la betterave. C'est beaucoup plus difficile pour le blé ou en cas de maladie. Je vous donne ces explications très librement car mon premier vice-président est un ingénieur agronome, agriculteur bio. Nous échangeons très régulièrement sur les techniques. Il m'explique que pour certaines productions bio, il est impossible de savoir à l'avance si elles pourront être entièrement menées à terme. C'est notamment le cas pour la tomate et la pomme de terre. Je suis finalement très favorable à des solutions alternatives mais interdire pour interdire n'a aucun sens.
Mme Sophie Primas, présidente. - Quels sont les besoins des chambres d'agriculture pour identifier des alternatives ?
M. Christophe Hillairet. - Il faudrait tout d'abord dissocier le conseil de la vente de produits phytosanitaires. Les coopératives et les négoces se préparent cependant à cette évolution puisqu'ils mettent en place des filiales chargées de préconiser et non de vendre des produits. Il n'est d'ailleurs pas toujours facile d'assumer une position indépendante. Récemment, Syngenta m'a reproché de ne pas avoir préconisé certains produits dont nous estimions que l'efficacité était insuffisante.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Entretenez-vous donc des liens avec les firmes malgré votre principe d'indépendance ?
M. Christophe Hillairet. - Oui, car le monde agricole est petit. Les présidents de coopérative sont membres des chambres d'agriculture. Les firmes utilisent les coopératives et les négoces pour s'adresser à moi et pour me reprocher de ne pas recommander un produit. Je ne cède évidemment pas car les firmes n'ont aucune prise sur moi.
Un autre aspect essentiel est d'accompagner l'INRA, Arvalis ou même les chambres d'agriculture dans la mise en place d'essais. 7 500 essais par an sont menés dans la chambre que je préside.
M. Joël Labbé. - Je suppose que vous êtes favorable à l'augmentation des moyens de la recherche publique ?
M. Christophe Hillairet. - Je demande plus de moyens pour la recherche publique mais aussi privée. En tant que chambre d'agriculture, nous sommes une structure privée mais tout à fait indépendante. L'essentiel est que les recherches soient conduites par des équipes indépendantes des firmes. N'oubliez pas que, même dans le public, certains chercheurs ont des relations très étroites avec les firmes.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - L'objectif doit-il donc être de mettre fin aux relations avec les firmes, aussi bien au niveau de la recherche que du négoce ?
M. Christophe Hillairet. - Tout à fait. J'achète mes produits phytosanitaires dans deux organismes, une coopérative et un négoce. Il est tout à fait anormal que des produits phytosanitaires soient réservés à certains réseaux, qu'il ne soit pas possible d'acheter un produit efficace sous prétexte qu'il est vendu en exclusivité dans un réseau autre que celui auprès duquel vous vous approvisionnez. C'est pourtant une pratique commerciale très courante.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que pouvez-vous nous dire des conditions de stockage des récoltes ? Les coopératives utilisent-elles des pesticides ?
M. Christophe Hillairet. - Techniquement, il est très facile de ne pas utiliser de produits phytosanitaires pendant le stockage. Il suffit d'assurer une bonne ventilation et une température adéquate. Nous avons d'ailleurs mis en place des formations sur le sujet. Il faut aussi savoir que les contrats de vente de céréales comportent une case dans laquelle il faut indiquer si la production a été ou non traitée pendant le stockage.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Des contrôles sont-ils effectués ?
M. Christophe Hillairet. - Non, puisqu'il n'est pas interdit de traiter les récoltes pendant le stockage. Je précise que, en cas de fortes températures au début de l'automne, il est parfois difficile de faire baisser la température des silos. Les insectes peuvent alors proliférer, rendant le traitement indispensable pour éviter de perdre la production.
M. Henri Tandonnet. - Une interdiction de traiter les céréales stockées est-elle concevable ?
M. Christophe Hillairet. - Éventuellement, à condition de prévoir la possibilité de traiter lorsque le lot est attaqué par des insectes. D'ailleurs, si je m'interdis d'utiliser certains produits, d'autres sont bien moins agressifs.
Mme Sophie Primas, présidente. - Les coopératives sont-elles toutes équipées de silos avec système de ventilation ? Pourraient-elles faire face à une interdiction de traiter ?
M. Christophe Hillairet. - Les coopératives sont toutes équipées mais pas toujours les exploitants. Des problèmes pourraient se poser en cas de surproduction car on est parfois obligé de stocker les céréales à plat. Les seuls silos non ventilés sont les silos de transit avant exportation. En effet, compte tenu de la fréquence des rotations dans ces silos, la ventilation n'est pas pertinente. Enfin, beaucoup d'agriculteurs stockent à plat.
Mme Sophie Primas, présidente. - Les agriculteurs ont-ils pris conscience de la dangerosité des produits phytosanitaires et du risque de maladies à leur contact ?
M. Christophe Hillairet. - Nos agriculteurs sont formés et savent pertinemment que les produits phytosanitaires sont dangereux - comme les résidus de produits médicamenteux contenus dans les boues d'épuration que l'on nous demande d'épandre en permanence dans nos champs.
M. Joël Labbé. - Vous faites preuve d'une grande lucidité. Je ne suis cependant pas certain qu'au niveau national les agriculteurs soient aussi bien formés et informés qu'en Île-de-France.
M. Christophe Hillairet. - Aux États-Unis d'Amérique, j'ai travaillé pendant un an pour une firme phytosanitaire, Dow Chimical. Je sais donc exactement comment fonctionne le marché des produits phytosanitaires. L'un des problèmes est que, dans les régions d'élevage, l'activité de production végétale est annexe, facultative. Pour nous, le pulvérisateur est le premier outil de l'exploitation. Dans une exploitation d'élevage en, revanche, il est très peu utilisé. L'attention portée à l'utilisation des produits phytosanitaires n'est donc pas la même dans les deux cas. Aux États-Unis, maintenant, les coopératives ne font plus que de la préconisation, tandis que des distributeurs complètement indépendants vendent les produits. En cas de durcissement de la réglementation sur les produits phytosanitaires, les premières régions qui connaîtront des difficultés seront celles où les produits phytosanitaires sont un outil annexe. J'ai récemment acheté un tracteur dans une région d'élevage. L'un des carreaux de la cabine était cassé. L'exploitant ne se préoccupait donc pas d'inhaler des produits phytosanitaires du matin au soir. Une telle attitude n'est pas responsable.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - En Île-de-France, les exploitations sont situées à proximité de l'habitat périurbain. Comment pouvez-vous être certain de ne pas retrouver des résidus de produits près des habitations ?
M. Christophe Hillairet. - Le code rural fixe un certain nombre de règles en matière de pulvérisation, notamment par rapport au vent. Je suis d'ailleurs en train d'équiper ma circonscription de stations météo tous les quinze kilomètres pour que les agriculteurs puissent consulter l'anémomètre.
La proximité avec l'habitat m'a cependant posé un problème en lien avec la chrysomèle. Nous avons été contraints d'arrêter la production de maïs parce que les riverains n'acceptaient plus les traitements aériens. Pourtant, le ministère de l'agriculture nous demandait de traiter pour éviter un problème sanitaire. Sous la pression des habitants, nous avons été obligés de renoncer à faire pousser du maïs dans certaines zones. Je précise que nous ne sommes pas responsables de la prolifération de la chrysomèle puisqu'elle est venue par les aéroports. Il faudrait éduquer les riverains aux réalités de l'agriculture car, au-delà de la question de la pulvérisation, ils n'acceptent plus l'agriculture proprement dite.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Existe-t-il une distance réglementaire entre les habitations et les champs cultivés ?
M. Christophe Hillairet. - Non.
M. Joël Labbé. - Je crois qu'il faut faire la part des choses. En effet, certaines personnes n'acceptent aucune activité agricole, mais il faut faire une différence entre les moissons et les pulvérisations aériennes. Ne faudrait-il pas recréer du lien entre l'urbain et le rural ?
M. Christophe Hillairet. - Je suis tout à fait d'accord mais nous avons besoin d'aide.
J'aimerais revenir sur l'agriculture biologique. J'y suis tout à fait favorable puisque je développe en ce moment un projet de pépinière d'agriculture biologique à Bretigny-sur-Orge. Cependant, trouvez-vous normal que, faute d'élevage, en Île-de-France, nous soyons obligés d'alimenter nos élevages en matière organique depuis la Bretagne ?
M. Joël Labbé. - La polyculture doit retrouver sa place en Île-de-France.
M. Christophe Hillairet. - Je suis d'accord, en théorie, mais nos concitoyens refusent l'élevage. Par ailleurs, est-il pertinent de mettre en place des parcelles d'agriculture biologique entre deux autoroutes ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Des dérogations sont-elles accordées en matière d'épandage aérien ?
M. Christophe Hillairet. - Nous ne faisons plus d'épandage aérien en Île-de-France. Les dernières dérogations ont été accordées il y a sept ou huit ans pendant la crise de la chrysomèle.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que cultivez-vous à la place du maïs ?
M. Christophe Hillairet. - Nous sommes limités à des systèmes de monoculture. Les exploitants alternent blé, colza et betterave. Notez d'ailleurs qu'il est aujourd'hui impossible de lancer des cultures biologiques de betterave faute de filière sucrière.
M. Joël Labbé. - Que pensez-vous de la vente libre de pesticides en jardinerie ?
M. Christophe Hillairet. - C'est une aberration d'utiliser ces produits sans formation. Je sais, par exemple, que certains agents des collectivités locales utilisent des pesticides sans formation ni protection. Pour les jardiniers amateurs, il faudrait peut-être améliorer le système de dosage. Vendre le produit tout formulé permettrait d'éviter des surdosages.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Il est bien indiqué sur les étiquettes que ces produits sont dangereux. De nombreux agriculteurs souffrent d'ailleurs de maladies graves, certains sont même décédés. Considérez-vous que ce sont des cas isolés ou que le sujet est global et doit être approfondi pour protéger les agriculteurs ?
M. Christophe Hillairet. - Je pense vraiment que c'est un problème dramatique et qu'il faut se pencher sur le sujet, notamment en évitant tout contact avec les produits. Cependant, je ne suis pas pour leur interdiction.
Mme Sophie Primas, présidente. - La solution serait-elle de prendre des mesures immédiates de protection des utilisateurs et, parallèlement, de mobiliser la recherche agronomique pour, à terme, remplacer une grande partie des produits phytosanitaires ?
M. Christophe Hillairet. - Oui, c'est exactement ce que je demande.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les firmes n'ont cependant pas intérêt à ce que des alternatives agronomiques soient identifiées.
M. Christophe Hillairet. - Les firmes pourraient, par exemple, se consacrer à l'amélioration des végétaux et à l'identification de génomes résistants. Ceci étant dit, n'oubliez pas que nos maisons sont pleines de produits dangereux. L'essentiel est de les utiliser à bon escient et avec la plus grande innocuité possible.
M. Joël Labbé. - Partagez-vous les interrogations sur la fiabilité des expertises avant la mise sur le marché ?
M. Christophe Hillairet. - Certains produits qui posaient problème sur le plan sanitaire ou environnemental ont été retirés du marché. Cela me semble tout à fait normal. En revanche, je regrette que des produits soient retirés du marché simplement parce que les firmes n'ont pas suivi la démarche d'homologation. Ces retraits placent en effet certains exploitants dans des situations délicates.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que pouvez-vous nous dire de la fraude ?
M. Christophe Hillairet. - A ma connaissance, il n'existe pas de fraude dans notre région. Il faut simplement prendre garde à la complexité du marché et à la possibilité que des produits soient en toute légalité réétiquetés en Belgique avant d'arriver en France. Lorsque je travaillais pour une firme américaine, un produit était formulé pour partie au Brésil puis transporté en France pour y être finalisé. Les firmes contournent ainsi les réglementations environnementales.
M. Joël Labbé. - Seriez-vous favorable à une législation européenne des produits phytosanitaires ?
M. Christophe Hillairet. - Absolument.