Mardi 19 juin 2012
- Présidence de M. Philippe Dominati, président -Audition de MM. Yannick Noah, joueur de tennis et chanteur et Guy Forget, joueur de tennis
M. Philippe Dominati, président de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. - Mes chers collègues, nous accueillons deux anciens capitaines de l'équipe de France de tennis, M. Yannick Noah, aujourd'hui chanteur, et M. Guy Forget.
En préambule, je tiens à vous remercier de votre présence, messieurs, car vous êtes les premiers, depuis le début des travaux de notre commission d'enquête, à être auditionnés alors que, de par vos fonctions, vous ne relevez pas de la problématique qui nous intéresse. Jusqu'à présent, nous avons reçu des hauts fonctionnaires, des syndicalistes, des présidents d'organismes représentant soit des sociétés, soit des métiers, notamment des métiers du sport, en particulier le football.
Toutefois, et bien qu'il ne soit pas aisé d'individualiser tel métier ou telle catégorie, se posait la question de la participation d'un certain nombre de nos compatriotes, notamment de ceux qui exercent un métier à titre individuel, les artistes, les acteurs. C'est donc tout à fait naturellement que nous avons souhaité auditionner des personnalités présentant un intérêt dans le cadre de notre problématique, s'exprimant non pas en tant que représentant ou président d'une corporation ou d'un syndicat, mais en leur nom. Je vous remercie donc de votre présence, messieurs.
Votre audition est la première que nous effectuons à l'issue d'une longue période électorale. Le Sénat retrouve aujourd'hui sa sérénité naturelle et va reprendre ses travaux avec, nous l'espérons, le sérieux qui le caractérise.
M. Éric Bocquet, notre rapporteur, doit prochainement soumettre son rapport à la commission. Nous disposons donc d'un délai réduit.
Enfin, j'indique que l'un de nos collègues, contre qui l'un d'entre vous a engagé une procédure, a souhaité ne pas participer à nos travaux aujourd'hui afin qu'ils puissent se dérouler tout à fait sereinement. Il prie les autres membres de la commission de bien vouloir l'en excuser.
Messieurs, je vous rappelle, que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
En conséquence, je vais vous demander de prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Guy Forget et M. Yannick Noah prêtent successivement serment.)
M. Philippe Dominati, président. - Je vous remercie.
Souhaitez-vous, messieurs, faire un exposé liminaire ou préférez-vous répondre directement aux questions de M. le rapporteur, Éric Bocquet, ainsi que des autres membres de la commission ?
M. Yannick Noah. - Je répondrai aux questions.
M. Guy Forget. - On peut en effet passer aux questions.
M. Philippe Dominati, président. - La parole est donc à M. le rapporteur.
M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. - Je vous remercie, messieurs, d'avoir accepté l'invitation de notre commission d'enquête, qui travaille sur l'évasion fiscale depuis maintenant plusieurs mois.
Vous n'êtes pas auditionnés ce matin en tant qu'initiateur des systèmes. Comme l'a rappelé M. le président, nous avons auditionné pas moins d'une centaine de personnes depuis le début de nos travaux : entrepreneurs, représentants de grands groupes, de banques, avocats fiscalistes, syndicalistes, journalistes d'investigation, fonctionnaires des services de Bercy. Nous avons également effectué des déplacements, notamment à Jersey et à Bruxelles. Nous nous rendrons en Suisse à la fin de la semaine et à la City, à Londres, lundi prochain.
Je pense que, au terme de ces travaux, nous aurons une vision assez générale de l'évasion et de l'exil fiscaux.
Il nous a paru justifié de vous auditionner, messieurs, car le monde des sportifs et des artistes peut être concerné par le sujet que nous étudions. Encore une fois, je vous remercie de vous prêter à cet exercice de vérité, lequel demande un certain courage.
Vous appartenez sans doute à une catégorie de Français percevant des revenus élevés. En outre, votre notoriété est très grande, comme en témoigne la présence médiatique aujourd'hui, et vous êtes très populaires. Vous avez une grande visibilité nationale et internationale. À ce titre, dans le cadre de la mondialisation, vous avez été amenés à évoluer dans des ensembles très internationalisés. Or l'évasion fiscale s'appuie sur la concurrence effrénée que se font les pays dans ce domaine.
Pour commencer, j'aimerais connaître votre perception du système fiscal français, et, par comparaison, des systèmes fiscaux des pays où vous avez été amenés à séjourner au cours de votre carrière, lors de vos déplacements.
M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Guy Forget.
M. Guy Forget. - Bonjour à tous. Pour ma part, je peux vous parler des questions que les joueurs de tennis se posent lorsqu'ils passent professionnels.
Comme certains d'entre vous le savent - je vois que quelques journalistes tennistiques sont présents -, une carrière de joueur de tennis est assez courte. Aujourd'hui, les joueurs atteignent le top 100 à l'âge de vingt et un ou vingt-deux ans et arrêtent leur carrière aux alentours de la trentaine, à trente-deux ou trente-trois ans pour ceux qui « tiennent » le plus longtemps. Les carrières sont donc extrêmement courtes.
Pendant cette période, les revenus des joueurs proviennent essentiellement des tournois de l'ATP, l'Association des tennismen professionnels. Comme vous le savez, depuis maintenant dix ou quinze ans, les prize money des tournois tout autour de la planète ont considérablement évolué, et tant mieux pour la profession. C'est ainsi le cas du prize money de Roland-Garros.
Il faut savoir qu'un joueur qui évolue au-delà de la cent-vingtième place mondiale ne rentre pas dans ses frais aujourd'hui. Ainsi, un joueur qui est cent-quarantième ou cent-cinquantième au classement mondial et qui voyage tout au long de l'année perd de l'argent lorsqu'il joue le circuit !
Quant aux cent vingt meilleurs joueurs, ils essaient, quand ils atteignent ce niveau - je parle des joueurs de tennis en général, des Français mais aussi des autres -, d'optimiser leur temps de jeu, leur carrière étant très courte. Ils sont huit mois par an, voire neuf mois pour certains, en déplacement autour du monde. Ils essaient donc de résider dans les endroits les plus avantageux fiscalement pour eux.
Certains vivent aux États-Unis, en Floride, cet État étant beaucoup plus avantageux pour certains sportifs, y compris pour les Américains, du reste. On sait que, pour les joueurs italiens, parfois allemands, Monaco a été une destination très intéressante. Quant aux joueurs français, certains se sont installés en Grande-Bretagne, d'autres en Belgique, d'autres en Suisse, tout simplement pour optimiser le prize money qu'ils gagnent au cours des huit ou dix années qu'ils passent sur les cours.
Il faut savoir que les prélèvements fiscaux ne sont pas du tout les mêmes d'un pays à l'autre. En France, à l'époque où Yannick Noah et moi jouions, un prélèvement libératoire, de l'ordre de 32 % ou 33 %, était automatiquement effectué. Les joueurs étrangers y étaient soumis de la même manière.
Ce système a depuis évolué. Aujourd'hui, les joueurs français et étrangers sont imposés sur le territoire français à hauteur de 15 %. Ils font ensuite en fin d'année une déclaration complémentaire, dans laquelle ils font figurer leurs revenus tirés des tournois de Bercy, de Roland-Garros, de Metz, de Nice, de Marseille. Nous avons la chance d'avoir plusieurs tournois en France. Forts de cette déclaration complète, ils paient le complément. Ce complément, pour les cinquante meilleurs joueurs, vous vous en doutez, dépasse le plafond maximal. Certains joueurs, français ou étrangers, sont imposés quasiment à 50 % aujourd'hui.
Aujourd'hui, tous les joueurs de tennis professionnels, au-delà d'un certain niveau de revenus, sont imposés au taux de 50 %, taux qui sera peut-être amené à évoluer. Ce n'est pas pareil dans tous les pays. Dans d'autres pays, en Europe et ailleurs, la fiscalité est bien plus légère. C'est d'ailleurs peut-être une question sur laquelle il faudra revenir plus tard. On peut craindre en effet que certains joueurs - je parle des bons joueurs -, lorsqu'ils auront le choix entre venir jouer en France et être imposés à 50 % - peut-être plus à l'avenir - et jouer dans des pays voisins où la fiscalité est plus légère, ne préfèrent la seconde solution. Cela risque de pénaliser les tournois français.
J'ajoute que, si les joueurs, dont j'ai fait partie lorsque je jouais sur le circuit, décident de résider à l'étranger, c'est pour éviter une double imposition. Pour ma part, je suis toujours résident en Suisse. Ce pays ne pratique pas la double imposition. Ainsi, lorsque je payais 30 % ou 35 % de prélèvements obligatoires aux États-Unis, je n'étais pas ensuite soumis à une double imposition en Suisse, où je ne suis pas au forfait - je paie mes impôts comme un Suisse. Les joueurs français qui résident en France sont, eux, soumis à une double imposition sur les montants qu'ils gagnent à l'extérieur du territoire. Or la plupart des joueurs jouent beaucoup à l'étranger.
C'est une des raisons, entre autres, pour lesquelles de nombreux joueurs choisissent aujourd'hui de s'expatrier le temps de leur carrière afin d'optimiser leurs revenus. Ils souhaitent éviter une double imposition, laquelle n'est pas très avantageuse pour eux.
M. Éric Bocquet, rapporteur. - Vous avez évoqué les États-Unis qui, vous le savez, ont des règles fiscales particulières pour leurs ressortissants. Leurs nationaux sont imposés quel que soit leur lieu de résidence. Est-ce une exception américaine ? Nous pourrions proposer une telle mesure dans notre rapport. Pensez-vous qu'elle permettrait de réduire les incitations à l'exil fiscal ?
M. Guy Forget. - Je pense que, aujourd'hui, aucun sportif ne se soustrait à l'impôt, quel que soit l'endroit où il exerce son activité. Lorsqu'ils jouent aux États-Unis, les joueurs français et étrangers acquittent les 32 % ou 33 % d'impôts, suivant les États, sur leurs gains. De même, lorsque Rafael Nadal gagne Roland-Garros, parfois même Bercy, il paie 50 % d'impôts et plus. Si cela devait être plus à l'avenir, il paiera plus. Les sportifs n'ont pas d'autre option que de s'acquitter de ce qui est leur dûment réclamé.
Certains joueurs de tennis, je le répète, passent souvent huit mois par an à l'étranger et choisissent de s'exiler fiscalement pour optimiser les huit ou dix ans que dure leur carrière. Il en résulte un écart qui peut être de l'ordre de 15 % ou 20 %. Le petit matelas qu'ils auront ainsi mis de côté leur permettra, lorsqu'ils arrêteront leur carrière, de commencer une nouvelle vie - certains, dont je fais partie, n'ont pas leur baccalauréat et doivent repartir de zéro - de manière un peu plus sereine.
Tous les pays adoptent de nouvelles lois. Tous les sportifs, comme tous les citoyens de tous les pays du monde, se soumettent à ces lois.
M. Éric Bocquet, rapporteur. - Que pensez-vous de la proposition faite pendant la campagne présidentielle, laquelle va apparemment devenir une réalité et donner lieu à une disposition légale, de créer une nouvelle tranche d'imposition à 75 % ?
M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Yannick Noah.
M. Yannick Noah. - Bonjour, mesdames, messieurs les sénateurs.
Guy Forget a évoqué la position des joueurs de tennis professionnels, soit une cinquantaine de personnes.
Certains joueurs seront peut-être refroidis de devoir payer autant d'impôts, mais il faut tout de même savoir que cela ne concernera qu'une minorité.
Des tournois comme Roland-Garros ou Bercy sont des fenêtres importantes sur le plan international. Du fait de la tradition, de l'histoire du tournoi, on peut tirer des bénéfices d'une belle performance à Roland-Garros ou lors d'un grand tournoi, bien au-delà du prize money. Le prize money n'est pas tout. Je connais très peu de gens qui disent : « Rafael Nadal a gagné sept fois Roland-Garros, cela fait tant de millions d'euros ». Cela ne se calcule pas comme cela. Je pense que si, aujourd'hui, on proposait à Rafael Nadal de gagner Roland-Garros gratuitement, il viendrait malgré tout.
Pour aller plus loin, il me semble juste - mais la plupart de mes confrères ne partagent pas cet avis - que des joueurs de cet acabit, qui gagnent autant d'argent, puissent le partager.
C'est un débat qui mérite d'être soulevé.
M. Éric Bocquet, rapporteur. - L'objectif de notre commission est d'essayer de comprendre les mécanismes à l'oeuvre en matière d'évasion et d'optimisation fiscales. Ainsi, nous aimerions comprendre ce qui, concrètement, conduit un sportif de haut niveau, disposant de revenus élevés, à optimiser sa fiscalité.
J'imagine que l'entourage des joueurs professionnels joue un rôle. Qui intervient pour un joueur ? Son agent ? Une banque ? Un avocat fiscaliste ? Nous aimerions comprendre le rôle des uns et des autres. Quels sont les rouages de la mécanique de l'optimisation fiscale ?
M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Yannick Noah.
M. Yannick Noah. - Le premier responsable, le plus motivé, c'est le joueur qui joue et qui fait carrière. Comme l'a justement souligné Guy Forget, une carrière de joueur de tennis dure dix ans au maximum, quand cela marche bien. C'est vrai que, pendant ces dix ans, le joueur a à coeur d'optimiser ses gains, de faire des économies, sachant que, dans 95 % ou 98 % des cas, la reconversion reste un problème très important. Compte tenu de la brièveté de leur carrière, les joueurs font forcément un calcul différent.
Ensuite, comme l'a également dit Guy Forget, les joueurs commençant leur carrière très tôt. La plupart d'entre eux arrêtent leurs études au milieu du secondaire. Ils sont donc ensuite obligés de faire appel à des impresarios, à des avocats, à des agents, qui les guident, parfois bien, parfois moins bien. L'entourage est à ce moment-là responsable, sauf dans les cas de gens branchés, comme Guy Forget, qui s'y connaît bien. Guy, tu étais très bon, et tu le restes !
M. Éric Bocquet, rapporteur. - Monsieur Forget, que pensez-vous de cette question ?
M. Guy Forget. - C'est vrai que, aujourd'hui, dès qu'un jeune joueur pointe le bout de son nez, il est forcément repéré et par des marques et par des agents. Il existe deux ou trois grosses agences de joueurs de tennis aujourd'hui, qui sont d'ailleurs aussi un peu présentes dans le football. Elles proposent à ces joueurs de s'occuper de leur carrière. Leurs services vont du choix d'un entraîneur à la négociation des contrats et de certaines garanties sur les tournois. Elles peuvent également donner des conseils en matière d'investissements et de gestion du patrimoine. Elles vont jusqu'à donner des conseils en matière de délocalisation afin de permettre aux joueurs de bénéficier d'une fiscalité plus avantageuse. Elles gèrent l'intendance, réservent les billets d'avion.
Ces organismes sont très connus sur la place publique. Ils interviennent dans le monde du sport - la Formule 1, le football, du golf -, mais aussi du spectacle. Aujourd'hui, quasiment tous les joueurs professionnels, tous sports confondus, sont représentés par quelques-unes de ces grandes maisons.
Lorsqu'un sportif, quel que soit le sport qu'il pratique, commence, à vingt et un ans ou à vingt-deux ans, à avoir des rentrées d'argent qui lui permettent de vivre convenablement, il est effectivement encadré.
Après les cinq ou six meilleurs joueurs de tennis du monde, on dégringole très vite au cent vingtième du classement, lequel ne sera pas arrivé à mettre un centime de côté à la fin de l'année. Disons que les six meilleurs joueurs du monde se situent dans une catégorie bien à part. Les autres, jusqu'au vingt-cinquième joueur, vivent bien et peuvent finir leur carrière en ayant mis pas mal d'argent de côté. Ceux qui sont classés entre la cinquantième et la centième place peuvent, en fin de carrière, s'acheter une jolie maison ou un très bel appartement à Paris. Comme l'a indiqué Yannick Noah, ils redémarrent ensuite dans la vie active. C'est pour cela que, ne sachant pas jusqu'où ils vont aller, ces joueurs essaient très tôt, dès l'âge de vingt et un ou vingt-deux ans, d'optimiser leurs revenus en s'installant dans un pays voisin, où ils pourront chaque année économiser un petit peu plus. Ce « petit plus » fera peut-être la différence à l'arrivée.
Ces joueurs sont effectivement encadrés, car la plupart d'entre eux n'ont aucune notion de fiscalité. C'est vrai qu'en vieillissant...
Les joueurs jouent six à sept mois par an à l'étranger. Yannick Noah a évoqué les contrats publicitaires. Il a raison : pour des joueurs comme Rafael Nadal ou Roger Federer, le prize money qu'ils gagnent sur les cours est inférieur à ce que leur rapportent les contrats publicitaires. Toutefois, seuls quatre ou cinq joueurs, qui sont hors normes, sont dans ce cas.
La plupart des cent meilleurs joueurs gagnent beaucoup plus d'argent sur le circuit grâce à leurs performances sur le terrain. Les montants de leurs gains sont d'ailleurs officiels, on les trouve sur Internet. Ces joueurs essaient, parce qu'ils jouent beaucoup à l'étranger, d'économiser le plus possible.
M. Éric Bocquet, rapporteur. - Les joueurs qui montent sont-ils démarchés par des avocats fiscalistes, des banques, parfois étrangères ? Est-il possible que les structures gérant les contrats publicitaires, lorsqu'ils sont établis, soient implantées dans des territoires offshore, c'est-à-dire à fiscalité privilégiée ? Avez-vous connaissance de ce genre de situation ?
M. Guy Forget. - Non. Pour ma part, j'ai été représenté par la société IMG, qui est un groupe mondialement connu et qui a des bureaux à Paris, à Londres, à New York, bref sur tous les continents. Il y a probablement des agents free-lance qui sont domiciliés ailleurs, dont les structures sont situées dans des pays offshore, mais les grandes maisons dont je parle, qui représentent 80 % des joueurs aujourd'hui, sont implantées partout.
Oui, des banques proposent parfois un certain nombre de services, mais, en général, ce sont les agents qui présentent certaines alternatives aux joueurs. Ce sont aussi les parents, en particulier les parents de jeunes joueuses. Les jeunes filles sont en effet parfois très fortes sur le circuit à seize ans ou dix-sept ans, alors qu'elles n'ont même pas achevé leur scolarité. Leurs parents étant omniprésents, ce sont souvent eux qui s'occupent de l'aspect fiscal et qui se renseignent auprès d'agents, de banques, afin d'optimiser les revenus de leur enfant.
M. Philippe Dominati, président. - Merci, monsieur le rapporteur.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. - Je tiens d'abord à vous remercier d'être là, monsieur Noah, monsieur Forget.
Une grande partie des auditions que nous avons menées jusqu'à présent nous ont conduits à mesurer la différence entre la fraude et l'optimisation fiscales. Comme vous venez tout à fait clairement de l'expliquer, l'optimisation est une procédure absolument légale, consistant à utiliser de façon normale et régulière la législation en vigueur.
M. le rapporteur vous ayant posé la question que je souhaitais vous poser, je me contenterai d'une simple remarque.
Il y a tout de même une différence très importante entre la situation d'individus, de sportifs de haut niveau ou d'artistes, et celle des entreprises publiques qui, elles, s'organisent clairement, officiellement, pour avoir leur siège à l'étranger. Merci pour ces explications.
En tant que parlementaires, nous avons, nous aussi, un certain nombre de difficultés à faire comprendre nos rémunérations, nos modes de retraites, etc. Il y a un gros problème en France avec les gens qui gagnent de l'argent. Je tiens donc à dire que notre commission ne fait preuve d'aucune hostilité à l'égard des gens qui gagnent beaucoup d'argent.
L'objectif de cette commission était plutôt d'essayer de comprendre les mécanismes d'évasion fiscale et de faire la différence avec l'optimisation. Vous nous avez clairement expliqué ce qu'est l'optimisation, ce que nous comprenons fort bien.
M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. - Ma question a été pour partie également posée par M. le rapporteur, qui est toujours complet.
À mon tour, je remercie Guy Forget et Yannick Noah de se prêter à cet exercice, lequel n'est pas toujours facile.
Je reviendrai sur la question du degré d'indépendance des structures ou des agents qui s'occupent d'artistes ou de sportifs. Ces structures ne ponctionnent-elles pas, à la base, trop d'argent à l'artiste ou au sportif ? Ne conviendrait-il pas de mieux réglementer la profession d'agent ? Cette question est évoquée de manière récurrente dans l'hémicycle, mais n'est toujours pas réglée.
M. Guy Forget. - Je ne peux parler que de moi-même et des joueurs de tennis que j'ai encadrés pendant quelques années. Forcément, les agences qui proposent leurs services se rémunèrent en prenant un pourcentage sur les contrats.
M. Yvon Collin. - Cela nous paraît normal.
M. Guy Forget. - Il faut savoir que ces pourcentages sont négociables et non pas fixes. Sur les quinze ou vingt dernières années, ils ont d'ailleurs été revus à la baisse. Lorsque j'ai commencé ma carrière, mon agent percevait 25 % de la totalité de mes contrats et garanties. Puis ce pourcentage a diminué progressivement, parce qu'il y a eu de plus en plus d'agents, et ceux-ci ont essayé de réduire leurs marges.
Je crois savoir que les agents de certaines grandes stars perçoivent aujourd'hui moins de 10 % sur les contrats et garanties. Les choses sont donc assez transparentes.
Certains joueurs sont encadrés de A à Z, qu'il s'agisse de la fiscalité ou de la résidence principale. L'agent joue le rôle d'un concierge. Il s'occupe de l'envoi des raquettes, du matériel, de tous les problèmes liés à la carrière du joueur, dans la mesure où celui-ci est presque en permanence à l'étranger.
M. Yvon Collin. - Cela ne le fragilise-t-il pas un peu ?
M. Guy Forget. - Aujourd'hui, l'agent essaie d'être le plus convaincant possible et d'attirer le plus grand nombre de joueurs. Il propose un tas de services qui méritent effectivement rémunération. D'ailleurs, à force de réduire leurs coûts et de proposer de multiples services, certaines agences ont du mal à faire face. Quand vous prenez 8 % ou 10 % sur un contrat qui n'est pas très important et que vous devez suivre le joueur dans des hôtels à l'étranger et payer une secrétaire, cela devient difficile.
M. Yannick Noah. - Certains sports sont mieux organisés que d'autres. Les joueurs de tennis sont parmi les premiers sportifs à s'être professionnalisés, depuis 1968. Les premiers tournois ont été organisés par un avocat qui est toujours agent. Également très bon joueur de tennis, il a monté l'agence Proserv.
Les agences qui s'occupent des joueurs de tennis sont très bien organisées, très professionnelles et plutôt transparentes, si on les compare à celles que l'on peut trouver dans d'autres sports, où des gens qui ne sont pas de la profession se retrouvent agents et travaillent différemment. En tennis, c'est assez bien structuré, avec trois très grosses agences, Advantage International, IMG et Proserv. Je ne sais pas si elles existent toujours, car j'ai arrêté il y a un moment ! Elles avaient tous les joueurs. Mes copains sportifs dans d'autres disciplines n'étaient pas aussi bien encadrés que nous l'étions, et ce à tous les niveaux.
M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. - À mon tour, je remercie Guy Forget et Yannick Noah d'avoir accepté notre sollicitation. Pour notre commission d'enquête, cette audition arrive presque en fin de parcours. Nous avons désormais une vision globale des choses ; il restera ensuite à travailler sur les solutions.
En auditionnant deux grands tennismen, nous nous intéressons aux sportifs de très haut niveau en général, ainsi qu'aux hommes et femmes de spectacle, qui, du fait de leurs statuts et de leurs gains, sont parfois amenés à être imposés en dehors de nos frontières. Le tennis n'est donc pas spécifiquement visé au travers de cette audition, il me paraît important de le souligner.
Par ailleurs, l'ensemble des auditions que nous avons menées montre que la grande partie de l'évasion et de la fraude fiscales provient non pas, aujourd'hui, des sportifs ou des hommes et femmes de spectacle, mais plutôt du monde de l'économie ou de particuliers très fortunés, qui ont eu la chance de bénéficier de gros héritages et ont décidé de cacher leur patrimoine. Le niveau des revenus n'est donc pas seul en cause.
Nous vivons une période où l'exemplarité est particulièrement importante. C'est d'ailleurs davantage à ce titre que nous vous auditionnons, messieurs Noah et Forget.
Après avoir entendu M. Forget, je comprends bien que les joueurs de tennis classés au-delà du 120e mondial n'ont pas de problématique fiscale, puisque leur rémunération ne leur permet pas d'avoir un niveau de vie extraordinaire. Ceux qui sont visés, notamment au titre de l'exemplarité, sont plutôt les joueurs de très haut niveau et de premier rang, que l'on rencontre aussi dans le football et dans d'autres domaines plus artistiques.
À partir du moment où les joueurs ou joueuses de tennis ont bénéficié, en France, d'une éducation et d'un environnement sportifs, il ne semble pas illogique qu'ils puissent rendre, à un moment donné, ce qui leur a été collectivement apporté, notamment par la fiscalité à laquelle sont soumis l'ensemble de nos concitoyens.
Outre l'aspect collectif, il est du ressort de la collectivité de prendre en compte l'aspect individuel, à savoir le phénomène des carrières courtes. Il est aberrant que de grands champions olympiques, qui ont été l'honneur de notre pays, notamment en gagnant des médailles d'or, se retrouvent parfois, dix ou quinze ans plus tard, dans une extrême pauvreté.
À partir du moment où un homme ou une femme a porté haut l'honneur de notre pays, ne devons-nous pas collectivement considérer qu'il est de la responsabilité de la nation de lui permettre de vivre décemment jusqu'à la fin de ses jours ? Bien entendu, il conviendra d'approfondir une telle réflexion. Ne serait-il pas logique qu'un membre de l'équipe de France, quelle que soit sa discipline, ayant apporté beaucoup à notre pays en termes d'honneur et de représentation, bénéficie ensuite d'une retraite correspondant au salaire médian ?
Concernant l'imposition à 75 %, j'ai beaucoup apprécié le point de vue, que nous connaissions déjà, de Yannick Noah.
Madame Goulet, les parlementaires n'ont pas des revenus annuels de 1 million d'euros, mais peut-être quelque chose m'a-t-il échappé dans vos propos...
Mme Nathalie Goulet. - Ce n'est pas ce que je voulais dire !
M. Yannick Vaugrenard. - Être taxé à 75 % à partir de 1 million d'euros de revenus par an, ce n'est pas aberrant. Si l'on se réfère à la situation dans laquelle notre pays se trouve aujourd'hui, une telle décision relève de l'exemplarité. Yannick Noah a notamment évoqué la nécessité d'une indispensable solidarité, une solidarité citoyenne, qui doit être comprise par tous.
Toujours au nom de l'exemplarité, il est indispensable non seulement de tenir compte du phénomène des carrières courtes, mais aussi de faire comprendre à ceux qui ont la chance de gagner beaucoup qu'ils doivent participer au pot commun, pour payer les services publics, et notamment la formation des futurs joueurs de tennis. Dans la période que nous traversons, la responsabilité et l'exemplarité paraissent à tous indispensables.
Messieurs Noah et Forget, même si j'ai déjà cru entendre votre réponse, partagez-vous ce point de vue ? À partir du moment où un joueur de tennis, puisque nous évoquons aujourd'hui cette discipline, a reçu dans notre pays sa formation et son éducation, n'est-il pas logique qu'il participe à la solidarité nationale ?
Estimez-vous également logique que la collectivité nationale assure l'avenir d'un homme ou d'une femme ayant porté haut les couleurs de notre pays ?
M. Yannick Noah. - Les joueurs de tennis bénéficient d'un système de retraite permettant d'accompagner ceux qui en ont besoin. Aucun d'entre nous ne peut donc se retrouver démuni ou laissé complètement à l'abandon. Une telle organisation est propre au tennis.
M. Guy Forget. - Absolument ! Il s'agit d'une petite retraite, mais l'ATP, qui est l'association des joueurs de tennis professionnels, prélève, lors de chaque événement, un pourcentage du prize money, pour le remettre dans une espèce de pot commun. Yannick, vu son âge, va d'ailleurs bientôt commencer à toucher des mensualités, au cas où il serait dans le besoin !
M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. - J'ai eu le plaisir de recevoir Yannick Noah à Saint-Sébastien-sur-Loire, pour un excellent concert.
Je vous remercie tous deux d'avoir accepté de vous soumettre à nos questionnements et réflexions et de relever avec nous l'enjeu consistant à mieux comprendre l'évasion fiscale.
Vous avez été capitaines de l'équipe de France, vous avez remporté des coupes Davis à ce titre, et vous avez donc porté les couleurs de la France au plus haut niveau.
Yannick Noah mène désormais une carrière de chanteur, dont nous sommes fiers, puisque la popularité est au rendez-vous.
Vous êtes donc des icônes de notre nation. Pour des gens moyens ou modestes, qui vivent, en France, dans les quartiers, vous êtes un modèle d'exemplarité.
C'est la raison pour laquelle nous pouvons porter sur vos parcours un double regard : celui d'une nation fière des compétiteurs que vous avez été, fière d'un savoir-faire et savoir-être exemplaires, affirmant également la nécessité, au travers de la fiscalité, de votre présence sur son sol.
Entre 1991 et 1993, Yannick Noah fait le choix de vivre en Suisse. Guy Forget, il l'a dit très correctement à l'instant, a pris la même décision, qui n'est pas forcément comprise par les habitants de notre pays. Même s'il ne s'agit pas d'une fraude, on peut parler d'une évasion fiscale, ce qui relève donc bien de notre commission d'enquête. Parce que vous êtes ces icônes que nous voulons exemplaires, comme le disait mon collègue voilà un instant, une telle attitude ne peut pas être bien ressentie.
Je m'interroge donc : si vous avez fait ce choix, que vous avez justifié, comment peut-on imaginer qu'avec une imposition à 75 % des revenus de plus de 1 million d'euros - c'est votre cas et celui d'autres personnalités - les comportements changeront ? Je ne crois pas qu'une telle mesure incitera quiconque à revenir en arrière. Au contraire, il y aura selon moi une accélération du mouvement. Ainsi, ce que l'on veut gagner d'un côté, on le perdra de l'autre. Évidemment, on pourra toujours dire que reconnaître le drapeau français, rester dans son pays, payer ses impôts et être solidaire, c'est bien, mais, dans la réalité, on retombera très exactement dans ce que vous avez évoqué tout à l'heure : le phénomène d'une carrière courte et la recherche d'une optimisation, que vous avez justifiée avec courage auprès de nous, ce dont je tiens à vous remercier. Cette réalité est en effet la nôtre, et nous nous devons de la prendre en considération.
J'ai envie que nos vedettes, ceux qui portent les couleurs de la France aussi bien que vous avez pu le faire, ceux qui nous font honneur, ceux qui font que les populations vibrent, ceux qui nous donnent du plaisir, restent sur le territoire français. Vous nous avez donné du plaisir, Yannick, en 1983, quand vous avez gagné Roland-Garros, d'autant que cela ne s'est pas reproduit. Devant nos postes de télévision, nous étions fiers et enthousiastes de voir cette réussite et cette belle victoire.
Par conséquent, je pense qu'une imposition à 75 % n'est pas une mesure satisfaisante. Elle ne conduira pas aux bons résultats que j'attends de notre nation.
Je souhaite évoquer également la question de l'échelonnement, liée à la problématique des carrières courtes, qu'il s'agisse des sportifs ou des chanteurs, certains pouvant avoir un succès fou pendant une période très courte, ce qui n'est bien évidemment pas le cas de Yannick Noah. Le succès littéraire, celui d'un auteur de best-sellers, permet de bénéficier, sur une période extrêmement courte, de revenus tout à fait sympathiques. À un moment donné, au cours d'une carrière, on peut recevoir une promotion, source d'importants revenus qui ne durent pas forcément.
Dans une carrière antérieure, j'ai eu à aider un footballeur français très connu, d'origine sénégalaise. Il avait joué en division 1, à Nantes. Il était dans une situation catastrophique, et nous l'avions embauché comme chauffeur. C'est dire à quel point on peut facilement passer d'une vie où l'on gagne énormément d'argent à une situation miséreuse ! Tout à coup, on se retrouve dans une situation difficile, alors qu'on a appris à dépenser beaucoup à un très jeune âge, sans être forcément bien accompagné.
Ainsi le vrai problème est-il à mes yeux la question de l'échelonnement. Finalement, notre fiscalité porte sur les revenus d'une année, alors qu'en réalité on devrait considérer une période beaucoup plus longue. En effet, contrairement à la majorité des personnes, qui bénéficient de hauts revenus en fin de carrière, vous gagnez très bien votre vie en début de carrière, les situations plus difficiles apparaissant plus tard.
Les fiscalistes et les législateurs que nous sommes doivent s'efforcer de niveler un phénomène qui est à considérer à l'échelle non pas d'une année, mais d'une vie.
Je tiens à nos sportifs, je tiens à ce que vous êtes. Je suis très heureux de vous voir autour de cette table, ce qui me permet de vous demander votre avis sur la création d'un taux d'imposition de 75 %. Pensez-vous que la tentation de résider à l'étranger sera plus grande, malgré la bonne volonté de certains, dont vous faites partie ?
Par ailleurs, comment envisager un autre mode de fiscalisation, qui prendrait en considération le cas de figure d'un succès très court ? Au demeurant, vous avez tous deux, mais plus particulièrement Yannick, fait de longues carrières !
M. Yannick Noah. - Je m'exprimerai en mon nom, car je ne représente pas l'ensemble des sportifs et artistes.
J'ai arrêté ma carrière sportive il y a vingt ans, à une époque où les gains étaient nettement inférieurs à ce qu'ils sont aujourd'hui.
Aujourd'hui, si l'on fait partie des dix premiers mondiaux et qu'on ne tombe pas sur un escroc, on peut vivre et faire vivre sa famille pendant une, voire deux générations. La situation est donc très différente de celle que nous avons connue, où nous devions nous occuper de l'après-tennis quasiment le lendemain de la décision de partir à la retraite.
J'ai pris ma retraite en 1990 et j'ai décidé de m'installer en Suisse en 1991. Tout simplement, j'avais la crainte du lendemain. C'était avantageux pour moi. Toutefois, il aurait fallu adopter un certain mode de vie pour continuer à vivre à Montreux. Au bout de trois ans, le temps m'a semblé long et j'ai décidé de revenir en France, d'autant plus que, grâce à Guy, j'ai bénéficié alors de revenus inespérés, puisqu'il m'a permis de gagner la coupe Davis en tant que capitaine. Vingt-deux ans après, je te le dis : merci, Guy !
Un joueur de tennis perçoit la plupart de ses revenus à l'étranger. Je peux justement faire la différence avec le chanteur que je suis maintenant, qui fait « toute sa carrière », ou plutôt 80 % de sa carrière, en France. Il est hors de question que j'aille ailleurs. Je gagne mon argent ici, je paye mes impôts ici et, naturellement, je vis ici.
Je serais une vedette internationale sur le plan artistique, sans doute la question se poserait-elle : si, demain, je fais cinquante concerts aux États-Unis et que je gagne cinquante fois ce que je gagne ici - tout est multiplié par cinquante là-bas -, aurais-je envie de revenir payer mes impôts ici ? Certainement pas ! Même si j'adore chanter La Marseillaise, même si je suis prêt à me battre pour les couleurs de mon pays. C'est un point de vue personnel, peut-être égoïste. Mais le problème ne se pose pas. Je gagne mon argent ici, grâce au public français. Il me semble donc normal de partager avec lui.
En revanche, je ne peux pas conseiller à mon fils, qui a fait toute sa carrière aux États-Unis, de venir payer ici un impôt à 75 % ; ce serait aberrant !
Pour répondre à la question que vous avez posée, monsieur le sénateur, il me semble normal de payer un impôt à 75 %. Je ne suis pas à la tête d'une grande compagnie, qui posséderait plusieurs antennes à l'étranger. Vous aviez l'air d'avoir un avis très tranché sur ces 75 %, le mien aussi l'est assez.
M. Philippe Dominati, président. - La parole est à Michel Bécot.
M. Michel Bécot. - Messieurs Guy Forget et Yannick Noah, je vous remercie de votre présence.
Premièrement, je n'ai pas très bien compris le système de double imposition que vous avez évoqué. Il faudrait que vous nous apportiez quelques précisions sur ce point.
Deuxièmement, comment le joueur de tennis se déplace-t-il ? Ses voyages, ses chambres d'hôtel sont-ils pris en charge ? C'est un domaine que l'on connaît mal.
Troisièmement, il me paraît important de réfléchir ensemble, parlementaires, sportifs de haut niveau et artistes, à la mise en place d'une fiscalité plus appropriée, compte tenu du phénomène des carrières très courtes. Comme le disait tout à l'heure mon collègue, il faudrait considérer globalement les choses. Pour les grands joueurs, pour les dix ou quinze premiers du classement mondial, le problème ne se pose pas. Ainsi, Yannick Noah, qui a fait une double carrière sur le plan national, ne rencontre pas de difficultés particulières, mais d'autres, qui gagnent beaucoup moins d'argent, peuvent être amenés, à un moment donné, à payer beaucoup, se retrouvant ensuite un peu misérables.
M. Guy Forget. - Concernant les frais à supporter, contrairement au football ou à beaucoup d'autres sports, le joueur de tennis est son propre patron. C'est lui qui rémunère son entraîneur et son préparateur physique. Il a donc un certain nombre de charges.
Aujourd'hui, les frais de voyage d'un joueur figurant parmi les 100 meilleurs - je ne parle ni de Federer ni de Nadal, qui voyagent dans des conditions différentes avec un staff très important - s'élèvent à 125 000 euros environ par an, pour suivre le circuit. Il paye ses billets d'avion, ses repas, les salaires de son entraîneur et de son préparateur physique. Si sa chambre d'hôtel est prise en charge, il doit payer celles de son entraîneur et de son préparateur physique. Je crois que ce budget s'élève à 135 000-140 000 euros pour un joueur australien et à 120 000-125 000 euros pour un joueur européen. Pour certains, c'est un peu moins.
Les joueurs français résidant aujourd'hui à l'étranger sont au nombre de sept ou huit. Sur tous les revenus français qu'ils déclareront - on joue beaucoup en France, à l'occasion de la coupe Davis, de Roland-Garros, de Bercy, de l'Open de Montpellier, des tournois de Marseille et de Metz -, ils seront quasiment taxés à 50 %, comme le disait Yannick Noah tout à l'heure. Je sais que la tranche d'imposition maximale de l'impôt a été modifiée, mais j'ignore son taux exact, vous devez le connaître mieux que moi. Voilà pourquoi il y a une double imposition.
Rafael Nadal et Roger Federer, qui sont étrangers, doivent se soumettre au même processus, en remplissant une déclaration complémentaire à la fin de l'année, parce qu'ils ne jouent pas uniquement à Roland-Garros. D'ailleurs, ils ne s'en offusquent pas, ils jouent ces tournois, et ils les joueraient demain, comme l'a dit Yannick, même s'il n'y avait pas de prize money. En effet, en termes d'images, ces derniers représentent énormément pour eux. Néanmoins, ces joueurs sont taxés sur les montants qu'ils perçoivent.
Si je peux prendre la « défense » de ces joueurs français qui résident aujourd'hui à l'étranger, je rappelle que, sur tout ce qu'ils gagnent en France, ils en reversent la moitié. Quant à la question de savoir si c'est suffisant, voilà un autre débat. Convient-il d'échelonner l'impôt, à plus forte raison si on passe demain à 75 % ? Effectivement, ce sera toujours beaucoup d'argent ! Selon moi, c'est à vous, madame, messieurs les sénateurs, de réfléchir à une fiscalité à plusieurs paliers, étalée dans le temps. Je ne pense pas que les joueurs, aujourd'hui, puissent vous suggérer des idées. Je le sais, certains d'entre eux estiment normal de reverser 50 % de leurs revenus. Pourtant, à un moment donné, ils remarquent que, dans tous les autres pays du monde, aux États-Unis, en Australie, ils sont taxés à 30 % et non à 50 %, ce qui représente pour eux une économie de 20 points.
Aux yeux de ces six ou sept garçons, il s'agit d'une optimisation fiscale et, en aucun cas, d'une évasion fiscale. Pourtant, les médias et le grand public considèrent qu'ils fuient, pour ne pas payer leurs impôts, alors que ce n'est pas le cas.
M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois. - Je tiens tout d'abord à remercier Guy Forget, car, que l'on partage ou pas son opinion, son propos a le mérite d'être articulé et clair.
Monsieur Noah, dans votre vie professionnelle, comme sportif et comme artiste de variétés, ainsi que, bien entendu, dans votre engagement citoyen, vous avez toujours défendu, au sens large du terme, la justice sociale. Cette attitude vous honore. Or la justice sociale, dans une République comme la nôtre, repose d'abord sur la justice fiscale, celle qui permet de collecter l'impôt issu de la création de richesse individuelle et collective, de manière à pouvoir le redistribuer au mieux dans un souci d'équité, et donc de cette justice sociale que vous prônez.
Cette commission d'enquête sur l'évasion des capitaux n'est pas un tribunal administratif, mais elle cherche à comprendre l'état d'une situation préoccupante à plus d'un titre pour rétablir les finances de notre État, et vous connaissez l'ampleur de leur déficit.
Pour ce qui nous concerne, aujourd'hui, et mon propos s'adresse particulièrement à vous, nous voudrions comprendre, sans avoir à l'esprit un quelconque jugement moral, ce qui vous a conduit à « faire des économies », pour reprendre l'expression que vous avez employée, en Suisse, au cours des années quatre-vingt-dix. Vous avez évoqué ce point tout à l'heure, mais je crois utile d'y revenir.
« Faire des économies » : voilà une expression que vous avez utilisée publiquement, à plusieurs reprises, et encore aujourd'hui. Elle a été relayée par les médias, toujours sensibles à vos propos et prompts à les répercuter. Ce choix personnel de vous exiler fiscalement et le contentieux qui vous oppose encore au ministère du budget sont-ils en conformité avec l'esprit de justice sociale que vous prônez ?
Au travers de ces mêmes médias, vous apparaissez comme un exemple de réussite citoyenne, et nous nous en réjouissons. Les citoyens français imposés et appelés à l'être encore davantage, compte tenu de la situation économique, financière et fiscale qui est la nôtre, veulent tout simplement savoir ce que recouvrent véritablement votre attitude, vos engagements. Je m'exprime en tant que citoyen et me fais l'écho de ce que j'entends autour de moi, ici et là : il faut sortir d'une certaine ambiguïté entre la vertu civique, que tout le monde partage, et une problématique d'évasion fiscale, qui semblerait être encore la vôtre.
M. Yannick Noah. - Il m'avait semblé clair que cet aspect ne serait pas discuté aujourd'hui...
Je suis effectivement en procédure. Le fisc me réclame, au titre de l'année fiscale 1993 - il y a donc dix-neuf ans -, une certaine somme, que je conteste, pour des raisons que je ne vais bien entendu pas exposer ici. Certains pensent qu'il y a ambiguïté ; moi, j'estime que je défends mes droits, comme tout citoyen. Je conteste la somme qui m'est réclamée et continuerai à la contester jusqu'au moment où la justice décidera. À l'heure où l'on parle, je ne dois rien.
Pour ce qui est de l'exemplarité, il est effectivement très important de s'acquitter de l'impôt et, pour certains, plus rares, d'aller au-delà. Je ne suis pas venu ici pour expliquer combien je reverse à la société ni quand je le fais.
Encore une fois, je suis très déçu parce qu'on m'avait assuré que ce sujet ne serait pas abordé ici. Mais je ne suis pas non plus surpris...
Mme Nathalie Goulet. - Nous, si !
M. Yannick Noah. - J'espère que ma réponse vous convient.
M. Philippe Dominati, président. - Je ne sais pas ce qui vous a été dit, mais je ne vois pas quel sujet on n'aurait pas à aborder dans le cadre d'une commission d'enquête.
M. Yannick Noah. - Je parle de ma procédure.
M. Philippe Dominati, président. - Justement, on ne l'évoque pas.
M. Yannick Noah. - J'ai cru comprendre le contraire.
M. Louis Duvernois. - Je n'ai pas évoqué de procédure particulière. Monsieur Noah, vous êtes un citoyen comme moi, comme nous tous. Dans cette maison, nous avons liberté de parole, de ton, d'expression, pour autant que les choses soient exprimées d'une manière posée, réfléchie et respectueuse de l'autre, ce que j'ai fait avec vous.
M. Yannick Noah. - C'est bien ce que j'ai compris.
M. Philippe Dominati, président. - Il est évident que nous n'avons pas l'intention d'entrer dans des cas particuliers. C'est ce qu'ont dit d'ailleurs, je crois, l'ensemble de nos collègues.
M. Philippe Dominati, président. - Pour autant, nous sommes tout de même obligés de connaître la situation d'un peu plus près.
M. Yannick Noah. - J'ai cru comprendre qu'il s'agissait là d'un cas particulier.
M. Philippe Dominati, président. - Aucun détail n'a été évoqué.
M. Yannick Noah. - Vous m'avez nommé. C'est ce que j'appelle un cas particulier.
M. Philippe Dominati, président. - Je compléterai l'interrogation de mon collègue, car je me pose, moi aussi, des questions.
Nous avons interrogé les gens du football. Actuellement, se déroule l'Eurofoot ; cinq grands pays y participent : l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, l'Angleterre, la France, à qui nous souhaitons, nous aussi, un grand succès dans ce sport collectif. Il y a d'autres équipes engagées, à l'instar des Pays-Bas, mais, de ces cinq grandes équipes, celle de la France est la seule dont la majorité des joueurs qui la composent, parfois les deux tiers, doivent faire leur métier à l'étranger.
Je ne pense effectivement pas que quelqu'un désireux de faire carrière dans le sport le plus populaire du monde ait, entre 18 et 25 ans, l'exil fiscal comme principale préoccupation. Mais le constat est là, et il vaut aussi pour nos artistes, nos acteurs de cinéma, nos chanteurs, nos pilotes de formule 1. C'est pourquoi nous en sommes venus à vous convoquer, à vous demander de témoigner et de participer à nos travaux.
Il y a, c'est vrai, une certaine incompréhension. Vous avez eu cette phrase : « Je suis parti, j'avais peur, je voulais faire des économies ». Je le comprends très bien, car, voilà vingt ans, le contexte était différent. C'est la logique même. En même temps, vous soulignez le fait que vous avez eu une carrière courte.
Généralement, dans tous les métiers, sauf dans le vôtre, là où s'exprime un talent particulier, les personnes ne restent pas dix ans dans la tranche des hauts revenus. La plupart du temps, dans le monde des affaires, cela se passe en fin de carrière, les dernières années : on est rarement PDG de 25 à 65 ans ! On ne commence à percevoir des hauts revenus qu'à partir de 55 ans. Autrement dit, c'est une carrière courte, mais à l'envers. Voilà ce qui se passe pour de nombreux contribuables.
Vous avez mis l'accent sur le fait d'avoir une carrière courte et d'être, très jeune, face à des responsabilités sans savoir comment faire. Il est tout de même malheureux pour un pays que certains de ses concitoyens soient obligés de partir trois ans à l'étranger par nécessité de faire des économies, par angoisse de l'avenir. Vous avez évoqué à plusieurs reprises la nécessité d'optimiser, de faire des économies, conjuguée à une angoisse réelle, soulignant que vous avez pu revenir une fois l'optimisation effectuée. C'est une situation curieuse. Aux générations qui vous succèdent vous pourriez expliquer la nécessité de changer nos règles pour nous rapprocher des Allemands, des Anglais, des Espagnols, des Italiens.
Votre attitude est bizarre. Le propos que vous avez tenu tout à l'heure m'a étonné, pour ne pas dire choqué. Je comprends peut-être beaucoup de choses, mais, là, non. Vous nous avez dit en substance : « Je ne conseillerais pas à mon fils de venir payer 75 % d'impôts en France ; ce serait aberrant pour lui qui vit aux États-Unis, mais pas pour moi. Je suis en France. De toute façon, ma carrière est derrière moi ; je suis parti au moment où il le fallait ; mon public est français, alors je veux bien payer mes impôts en France, même à 75 % ». Tenir un tel discours, ce n'est pas faire preuve d'exemplarité !
Pour ma part, je suis plutôt partisan de laisser les talents s'exprimer. Je le dis tout à fait franchement, je trouve tout à fait anormal que, dès que quelqu'un réussit dans le cinéma, la science ou un autre domaine, il soit obligé de partir. Vous qui êtes parti puis revenu, expliquez-nous pourquoi. Je comprends l'interrogation de mon collègue Louis Duvernois.
M. Yannick Noah. - Il faut peut-être que je précise mon propos. Je ne conseillerai pas à mon fils de revenir en France.
M. Philippe Dominati, président. - Nous parlons de votre fils, mais cela pourrait être un ami.
M. Yannick Noah. - Il est engagé par une compagnie privée, la NBA, qui gère un sport professionnel où sont engagées des équipes privées. Beaucoup de monde se passionne pour ce sport, dont de nombreux enfants. Mon fils joue tous les soirs dans des salles pouvant accueillir jusqu'à 30 000 personnes. Il n'y a pas, ici, d'enceintes de cette taille. Les droits télé ne sont pas les mêmes, donc les revenus qu'il touche ne sont clairement pas comparables avec ceux qu'il percevrait en jouant ici au même niveau.
Vous avez cité l'équipe de France de football, dont la plupart des joueurs n'évoluent pas en France. Les joueurs de l'équipe de France de basket, eux, sont tous aux États-Unis ! Ils viennent jouer pour l'équipe nationale avec plaisir et s'acquittent de tous leurs « devoirs », mais leur profession les amène aux États-Unis. C'est à ce niveau-là que je trouverais aberrant un retour en France.
M. Philippe Dominati, président. - Ne serait-il pas plus intéressant d'engager une réflexion collective entre les élus et les personnes confrontées à cette situation ? Puisque cela ne se produit qu'en France, posons le problème plutôt que de nous arrêter à ce constat de joueurs obligés de partir aux États-Unis pour y faire leur carrière professionnelle, puis, après dix ans passés là-bas, une fois passé le pic de salaire, prêts à revenir en France et à se fondre dans le moule de la société française, avec ses interrogations et ses contraintes.
Dans notre pays, finalement, tout le monde est obligé de partir. Vous, vous revenez dix ans après pour soutenir l'instauration d'une tranche à 75 %. Peu importe, je n'entre pas dans le détail.
M. Yannick Noah. - C'est un raccourci !
M. Philippe Dominati, président. - Lors de son audition, nous avons demandé à M. Thiriez si c'était une bonne chose pour le football français, pour les clubs, pour la compétitivité. Vous-même avez parlé de compétitivité, et c'était intéressant : à tournoi comparable, avez-vous dit, nous manquerons de compétitivité.
Il est peut-être plus simple de dire les choses maintenant. Pourquoi attendre d'avoir le recul suffisant pour constater finalement cette perte de compétitivité ?
M. Yannick Noah. - Lorsque je jouais au tennis, je résidais en France. Certains sportifs français font toute leur carrière et leur après-carrière à l'étranger. Je vous ai parlé de mon séjour en Suisse. J'y ai passé trois ans. Si je suis revenu, ce n'est pas parce que, tout à coup, j'ai eu une opportunité.
J'ai pris l'exemple de mon fils parce qu'il évolue dans un sport très particulier. Le basket est un cas extrême. Par rapport à d'autres sports, il est quasiment impossible de continuer à mener une carrière en France à partir du moment où l'on atteint le haut niveau. Le phénomène n'est pas propre à la France, il touche d'autres pays européens. La plupart des joueurs continentaux, lorsqu'ils en ont la possibilité, partent à l'étranger.
À l'époque, seuls certains joueurs de tennis résidaient à l'étranger ; aujourd'hui, ils y sont tous. Je le souligne pour éclairer mon point de vue personnel et expliquer mon parcours. Oui, au bout de trois ans, j'ai décidé de revenir en France. Le mode de vie en Suisse ne me satisfaisait pas, même si j'avais envie de faire des économies.
M. Philippe Dominati, président. - Mon seul propos était de dire que l'audition d'aujourd'hui peut être pour vous l'occasion de vous expliquer, puisque nombreux sont ceux qui, en pleine période d'activité, se trouvent contraints de partir à l'étranger. Vous l'avez d'ailleurs indiqué vous-même tout à fait naturellement, mais d'une autre manière, en indiquant : « Si je donnais des concerts aux États-Unis, devant un public américain, peut-être que finalement, moi aussi, je me poserais la question du départ. ».
M. Yannick Noah. - C'est notamment pour parler de cela que nous nous voyons. La question est de savoir pourquoi certains s'en vont.
M. Philippe Dominati, président. - Compte tenu de votre expérience, il serait bon que vous vous adressiez aux générations actives qui se trouvent dans cette situation, pour leur expliquer en quoi l'optimisation est une réponse aux contraintes existantes, à la pression, qui, à un moment donné, est trop forte. C'est bizarre parce que vous donnez le sentiment de faire face à cette contrainte différemment, selon que vous êtes au coeur de la carrière ou après la carrière.
Mais je ne veux pas monopoliser la parole, et je la passe à M. Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. - Je suis surpris de l'intervention de mon collègue Louis Duvernois et de la vôtre, monsieur le président.
Je vous le dis franchement, je me demande si la question a été posée à Yannick Noah, pas seulement de manière suggestive d'ailleurs, parce que ses orientations déplairaient un peu...
Nous avons eu beaucoup d'auditions depuis quelques mois. C'est la première fois que je constate un tel comportement, mettant en cause personnellement l'une des personnes auditionnées. Permettez-moi de m'interroger sur les motivations de la question particulière qui a été posée.
Yannick Noah a justifié son départ pour la Suisse par la crainte de l'avenir. Les nombreuses auditions que nous avons menées nous l'ont confirmé, qu'il s'agisse d'organismes privés, largement conseillés par des avocats fiscalistes, ou de particuliers détenant, par héritage, un patrimoine, notamment immobilier, toute cette évasion fiscale, toute cette fraude est guidée par une forme de cupidité exacerbée. Ce n'est pas cette attitude qui ressort de la réponse de Yannick Noah, lui qui fait, chaque jour, la démonstration de son engagement humaniste.
Je ne comprends donc pas bien cette manière d'intervenir.
La question qui devra se poser à nous très clairement et très sereinement est celle de l'exemplarité, indispensable et ô combien nécessaire. Il aurait été intéressant, du reste, d'accueillir, dans le cadre de chacune de nos auditions, un « témoin citoyen », qui aurait pu donner sa propre opinion. Je pense à quelqu'un bien au-dessous de un million d'euros de revenus, touchant simplement le salaire médian, soit 1 600 euros par mois. Cela ne signifie pas, je le redis, qu'il ne faut pas être attentif au fait que les sportifs ont des carrières courtes.
C'est par une réflexion et une démarche collectives, non individuelles, que la solution pourra être apportée. Cela, ça nous regarde, c'est de notre responsabilité.
Parlons de tous ces sujets sereinement. J'attends de voir comment les uns et les autres se prononceront lorsque viendra le temps de faire, avec le rapporteur, qui a accompli un travail remarquable, des propositions. Ceux qui manifestent aujourd'hui une grande virulence proposeront-ils une diminution d'impôt généralisée ou une augmentation pour des contribuables qui peuvent participer à l'effort collectif. Nous verrons alors vraiment quel est le fond du fond de la pensée de chacun et, au-delà des discours, la teneur des différentes propositions, alors même que la situation actuelle est difficile, et parfois catastrophique.
Je regrette que l'on utilise le cadre d'une audition pour mettre en cause une personnalité qui a porté haut les couleurs de notre pays tout en montrant, par une démarche humanitaire quotidienne, qu'elle était au service du collectif.
M. Philippe Dominati, président. - Comme vous m'avez mis en cause, monsieur Vaugrenard, je vais préciser mon propos. J'ai bien noté votre proposition de témoin citoyen. Je laisse au rapporteur le soin de sélectionner un citoyen représentatif de la population française.
M. Yannick Vaugrenard. - Cela aurait été bien qu'il soit présent chaque fois.
M. Philippe Dominati, président. - Monsieur Noah, je ne pensais pas faire de la politique en vous interpellant, en réagissant à vos remarques. Je vous le redis, ainsi qu'à vous, monsieur Forget, nous vous remercions d'être venus. Il faut tout de même que nous puissions établir un dialogue, en l'occurrence avec des sportifs comme vous. Nous n'avons pas convoqué de footballeurs : comment en choisir un plus qu'un autre ? C'est pareil pour les chanteurs et les acteurs.
Vous, monsieur Noah, vous avez l'avantage d'être et sportif et chanteur. C'est pour nous une chance que d'entendre une personnalité appartenant à la fois au monde culturel et au monde du sport. Cher collègue Vaugrenard, sachez que j'aurais de toute manière posé ces mêmes questions, tant je suis exaspéré, vous le savez très bien, de voir un certain nombre de membres de nos élites quitter notre pays et l'hypocrisie qui consiste à glorifier certaines personnes.
J'ai pris l'exemple du football parce qu'il est d'actualité. Comment accepter que des footballeurs, des joueurs de tennis, des pilotes de formule 1, et même des prix Nobel soient ainsi contraints de partir, de s'exiler ?
Si vous voulez entrer dans l'explication politique et argumenter sur ce plan, je suis prêt à vous suivre. Mais je n'ai pas voulu faire de la situation de M. Noah un cas particulier.
J'ai simplement saisi l'occasion qu'il m'a donnée en évoquant, de façon très franche, le malaise ressenti par un jeune joueur de tennis de 23 ans, dont les préoccupations, dirais-je, se rapprochent de celles d'un membre d'une profession libérale, parce qu'il se retrouve seul face à ses responsabilités, même si les parents sont parfois présents. Ces préoccupations conduisent, comme cela a été dit, à optimiser, à économiser, à prévoir la retraite.
J'ai voulu profiter du sentiment d'incompréhension qu'il a mis en avant en parlant d'une situation qui lui était personnelle. C'est lui qui l'a évoquée, et je n'ai pas compris sa position. D'un côté, M. Noah a souhaité soutenir une proposition que vous défendez avec acharnement, ce que je comprends très bien, mais ce n'est pas le moment du débat budgétaire. De l'autre, il juge qu'un tel niveau d'imposition serait aberrant pour son propre fils.
Je n'ai en aucune façon souhaité remettre en cause la notoriété d'un sportif comme M. Forget, qui, sur ce plan, semble faire l'unanimité.
La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. - En tant que vice-président de cette commission, je n'ai pas la même lecture que celle qui vient d'être donnée. Il est à mon sens très important de laisser chacun s'exprimer librement et d'entendre un certain nombre de témoignages.
Nous accueillons aujourd'hui deux témoins, que je tiens évidemment à remercier une fois encore de leur franchise, qui nous apporte beaucoup, car il s'agit de comprendre comment les intérêts de chacun peuvent se rencontrer : ceux de joueurs foncièrement attachés au territoire dont ils ont défendu les couleurs ; ceux de nos concitoyens, soucieux de préserver l'image de la France. Voilà qui est fondamental.
À ce titre, il est aussi nécessaire d'aborder les points nous permettant, à un moment donné, d'avancer. J'en ai retenu trois : la tranche à 75 %, qui reste pour moi une interrogation ; l'échelonnement, pour essayer de visualiser la manière de prendre en considération les carrières courtes ; l'engagement sociétal des joueurs, évoqué par Yannick Noah, sur lequel il faudra aussi discuter.
Il pourrait être envisagé de mettre en place une contribution solidaire, au travers d'une prise d'engagement, ce qui impacterait, de fait, les mouvements en cours : c'est ce que fait déjà l'ATP dans le cadre de la mesure adoptée pour les joueurs de tennis et initiée par Yannick Noah. Ce sont de bonnes mesures, et il faut aussi en parler. Pourquoi ne pas tenir compte de cet aspect solidaire dans notre réflexion sur la fiscalité ?
Je tiens à remercier chacun d'entre vous, car cette audition a été un excellent moment d'échanges, monsieur le président.
M. Éric Bocquet, rapporteur. - Je voudrais sortir de ces considérations personnelles pour revenir à un cadre plus large. Je rendrai mon rapport dans quelques semaines. J'espère qu'il sera soutenu par la majorité de cette commission, sinon adopté à l'unanimité. Il consistera d'abord en un état des lieux général de la situation qui nous préoccupe. L'analyse mettra en évidence que c'est bien tout un système qui s'est mis en place à l'échelle planétaire. Nous avons eu l'occasion d'auditionner des hauts responsables d'entreprises industrielles et bancaires. Tous les domaines, y compris l'art et le sport, sont touchés par ce que je décrirai comme un cancer financier. Le club d'Arsenal a établi une société à Jersey, et je pourrais multiplier les exemples de ce type.
Tout cela suscite l'indignation, beaucoup d'indignation, au-delà même, il ne faut pas l'oublier, des murs de cette enceinte. C'est donc un phénomène très large que nous décrivons et tentons d'analyser. Nous ferons des propositions concrètes, y compris législatives, dans ce rapport qui sera soumis à l'échange, à la réflexion et au vote de chacun.
J'aborderai maintenant deux questions concrètes.
D'une part, seriez-vous scandalisés, l'un et l'autre, par l'idée de lier l'impôt à la nationalité, indépendamment du lieu de résidence ? Les Américains l'ont fait. Quel est votre sentiment à cet égard ?
D'autre part, nous allons nous rendre en Suisse en fin de semaine, comme je l'ai indiqué tout à l'heure. Nous sentons, côté Suisse, je dois le dire, une certaine nervosité, voire de la réticence, y compris dans le fait d'avoir à nous recevoir.
Quel est l'état de vos relations avec l'administration fiscale suisse ? Vous avez évoqué, monsieur Forget, un forfait applicable dans le canton où vous résidez. Avez-vous ressenti, dans la dernière période, un changement d'atmosphère, une espèce de regain de tension ?
Je le disais, l'indignation monte dans le monde depuis quelques années, avec la crise financière et économique qui fait rage. La Suisse se sent un peu montrée du doigt, stigmatisée. Avez-vous senti une évolution du climat par rapport à tous ces sujets ayant trait à la fiscalité et à l'imposition des résidents étrangers ?
M. Guy Forget. - Je n'ai pas perçu de changement dans les mentalités. Je ne suis pas au coeur du problème, n'étant ni expert fiscaliste ni avocat. Je ne suis pas dans ces circuits-là.
Je ne serai pas, non plus, concerné par la tranche de 75 %. Malheureusement ! J'aimerais bien l'être, mais je suis loin de ce niveau de revenus ! Personnellement, je ne suis pas au forfait, contrairement à certaines personnes qui viennent s'installer en Suisse. Je paie mes impôts comme un résident suisse : je fais une déclaration fiscale classique, basée sur mes revenus.
Je suis peut-être un petit loin de la réalité. Sans doute y a-t-il des gens, sur place, notamment dans la sphère financière, qui pourront vous renseigner mieux que moi.
M. Philippe Dominati, président. - Sur l'idée de lier l'impôt à la nationalité ?
M. Guy Forget. - Je n'ai franchement pas d'avis sur cette question très technique. Je sais que les États-Unis fonctionnent ainsi. J'ignore si d'autres pays le font aussi.
M. Éric Bocquet, rapporteur. - La Fédération française de tennis, en tant qu'instance qui vous fédère, met-elle en oeuvre une philosophie, une éthique, en son sein, par rapport à d'éventuels démarchages de jeunes joueurs prometteurs, et ce au regard de la fiscalité, de la citoyenneté ?
M. Guy Forget. - Non, pas du tout. La fédération a une mission qui consiste à faire la promotion du jeu et à détecter de jeunes garçons et filles. Nous avons la chance d'avoir, en France, un système fonctionnant très bien, grâce notamment au tournoi de Roland-Garros, qui génère des revenus considérables. Tout cet argent est réinjecté dans la formation et dans les clubs, ainsi que dans la réfection du stade de Roland-Garros, la fédération étant seule responsable de ces coûts et de ces investissements. Celle-ci est aujourd'hui totalement autonome et ne s'occupe pas du tout du tennis professionnel, sauf pour la Coupe Davis puisqu'elle incite effectivement nos meilleurs joueurs à disputer cette compétition.
J'ouvrirai une petite parenthèse à ce propos. On entend parfois des réflexions selon lesquelles certains joueurs sont bien contents de jouer la Coupe Davis. Pour avoir été sélectionneur de l'équipe de France, je tiens à souligner que nous avons la chance d'avoir des garçons qui, en permanence, représentent leur pays. Cela va vous paraître peut-être un petit peu curieux, mais, dans d'autres pays voisins du nôtre, même l'équipe nationale n'est plus une priorité pour les joueurs professionnels. Dans le football, jouer pour son pays est un objectif incontournable. Sachez que, dans notre sport, la France fait partie des pays qui ont la chance d'avoir des garçons prêts à défendre encore leur drapeau.
Dans certains pays, pour des considérations purement professionnelles, certains joueurs, pris par d'autres engagements, d'autres compétitions, font parfois l'impasse sur la sélection nationale. À cet égard, la FFT fait du bon boulot. Les joueurs français, même s'il en est qui résident à l'étranger, jouent le jeu ; heureusement qu'ils le font, car, autrement, c'est l'ensemble du tennis français qui serait pénalisé.
M. Yannick Noah. - Je voudrais ajouter que la fédération n'a pas pour objectif de conseiller les jeunes en matière fiscale.
M. Éric Bocquet, rapporteur. - Il n'y a pas d'accompagnement ?
M. Yannick Noah. - Non. Les jeunes, à partir du moment où ils deviennent espoirs, vers 15-16 ans, sont tout de suite contactés par des agents et managers qui viennent les conseiller.
M. Philippe Dominati, président. - Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
M. Yannick Noah. - En tennis, en tout cas, il est très rare que des joueurs, a fortiori les plus jeunes, se fassent escroquer. Ils sont bien accompagnés. C'est bien organisé.
M. Philippe Dominati, président. - Ne serait-il pas préférable que la fédération regarde un peu comment les choses se passent ?
M. Yannick Noah. - On peut parler d'une grande famille. On se connaît tous, qu'il s'agisse du président, du directeur technique national, des agents. Nous travaillons ensemble depuis longtemps. Lorsqu'un jeune espoir se révèle, il est tout de suite contacté ou recruté par IMG ou une autre agence, il ne part pas tout seul dans la nature.
M. Philippe Dominati, président. - Il me reste à vous remercier, messieurs, de ce moment de vérité, qui a été instructif pour tous les membres de la commission. Cela nous a permis de gagner du temps. Je vous remercie de nous avoir consacré un peu de temps pour répondre à nos questions.