Mercredi 13 juin 2012
- Présidence de Mme Michèle André, vice-présidente -Révision des valeurs locatives - Communication de MM. François Marc et Pierre Jarlier, rapporteurs spéciaux
La commission entend une communication de MM. François Marc et Pierre Jarlier, rapporteurs spéciaux, sur la révision des valeurs locatives professionnelles et commerciales.
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - Le 22 février dernier, nous présentions le bilan de la révision expérimentale des valeurs locatives professionnelles dans cinq départements. Comme nous nous y étions engagés alors, nous revenons aujourd'hui devant vous proposer des mesures concrètes. Celles-ci pourraient être prises dès la loi de finances rectificative de juillet de manière à relancer une réforme retardée par le calendrier électoral.
Quelques mots, d'abord, de l'expérimentation de 2011. C'est la loi de finances rectificative du 29 décembre 2010 qui, à son article 34, a posé le principe de la révision. Le calendrier suivant avait été retenu : une expérimentation dans cinq départements - en l'espèce, l'Hérault, le Pas-de-Calais, le Bas-Rhin, Paris et la Haute-Vienne- généralisée en janvier 2012 pour une application des nouvelles bases révisées en 2014.
Le 18 janvier dernier, le Parlement a reçu l'excellent rapport de la DGFiP, qui dessinait des pistes d'adaptation. Le report des décisions en raison du calendrier électoral n'a pas empêché notre commission d'inscrire la révision des valeurs locatives à son programme de contrôles budgétaires. Ce travail de contrôle poursuivait un objectif précis : déposer des amendements pour mettre fin à la période d'incertitude tout en profitant de l'appui des associations d'élus et de la motivation de l'administration fiscale.
La révision ne concerne que les locaux professionnels, soit 3,3 millions de locaux environ. A ce stade, rien n'a été prévu pour les locaux d'habitation, qui sont au moins dix fois plus nombreux. Le système reposera, comme aujourd'hui, sur des valeurs locatives administrées, non sur les valeurs vénales. Chaque année, interviendra une mise à jour annuelle via les déclarations annuelles de résultats.
Enfin, l'étanchéisation de la révision par rapport aux valeurs des locaux d'habitation est garantie. Le rapport entre le produit tiré des locaux professionnels et le produit tiré des locaux d'habitation reste identique. Le mécanisme utilise un coefficient de neutralisation qui recalculera des valeurs locatives pour les locaux professionnels.
Le taux de l'impôt foncier restera unique et identique pour les deux types de locaux. Ce coefficient de neutralisation, calculé une fois pour toutes lors de l'entrée en vigueur de la révision, s'appliquera uniquement au stock, c'est-à-dire aux locaux existants. Il disparaîtra lors de la révision des valeurs des locaux d'habitation. La collectivité percevra donc le même produit, sous réserve d'une modification physique des bases, à la baisse ou à la hausse.
M. François Marc, rapporteur spécial. - Nous en arrivons au coeur du sujet, à savoir aux ajustements qu'il faut apporter au processus de révision décrit par la loi.
La réunion de février dernier et les auditions avaient fait ressortir deux difficultés, à commencer par des cas aberrants de hausses très importantes dans le secteur sanitaire et social. Nous avions envisagé de réserver un traitement spécifique pour cette catégorie de locaux, tels que les maisons de repos et de retraite ou encore les centres médicaux sociaux et crèches afin de leur éviter des hausses excessives de taxation. Toutefois, il est apparu, grâce à l'examen attentif de la DGFiP et des services du cadastre, que les écarts constatés s'expliquaient très souvent par des erreurs de saisie ou de classement lors de l'évaluation. Par exemple, une maison médicalisée luxueuse a été classée couvent franciscain ! Autre explication : les superficies avaient fait l'objet d'une mauvaise évaluation au départ ou avaient évolué sans que les glissements successifs soient déclarés. Prenant acte de ces explications, et au nom de l'égalité devant la loi fiscale, nous avons écarté l'hypothèse d'un traitement spécifique que d'autres secteurs, telle la culture, auraient pu réclamer. En revanche, pour corriger les situations qui resteraient aberrantes après le nettoyage des fichiers, nous envisageons de donner aux collectivités territoriales la faculté de décider d'abattements ou de réductions.
Deuxième question à traiter, la méthode de neutralisation. Doit-elle porter sur les valeurs locatives ou sur les taux ? Dans les deux cas, le système sera complexe puisque plusieurs taux ou plusieurs valeurs coexisteront en fonction du nombre de collectivités concernées. Les associations d'élus, notamment l'AMF et l'AdCF, penchaient plutôt pour une neutralisation par les taux, ce qui n'est pas le choix de la DGFiP. La neutralisation par le recalcul des valeurs apparaît préférable. D'une part, comment expliquer aux contribuables l'existence d'un taux réel aux côtés d'un taux voté qui resterait théorique ? D'autre part, prévoir plusieurs taux alors que le processus d'unification des taux est en cours dans de nombreuses collectivités provoquerait un véritable imbroglio.
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - Pour la suite des opérations, nous proposons de procéder en deux étapes. La première consistera à prendre les mesures indispensables à la reprise du processus de révision dès la loi de finances rectificative de juillet. Nous avons travaillé, avec la DGFiP et la DLF, à des propositions d'amendements.
Il fallait, premièrement, résoudre le cas des locaux industriels qui bénéficiaient d'un effet d'aubaine par rapport aux locaux professionnels. Le scénario alternatif de la DGFiP consistant à maintenir à l'écart les locaux industriels nous a paru justifié et nous l'avons intégré à nos propositions.
Deuxièmement, l'impact de la révision des valeurs locatives professionnelles sur la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) et la taxe d'habitation. Dès lors que la TEOM constitue une taxe annexe à la taxe foncière sur les propriétés bâties établie sur la même base et, sauf exonérations spécifiques, portant sur les mêmes locaux, il faut lui appliquer le coefficient de neutralisation par souci d'homogénéité. Il faut également faire un sort spécifique aux 74 000 locaux professionnels soumis à la taxe d'habitation parce qu'ils sont utilisés par des associations à but non lucratif et qui pourraient subir des hausses très fortes. Dans ces deux situations, nous approuvons le principe d'une mise à l'écart des effets de la révision.
Troisièmement, le calendrier. Nous proposons de le décaler d'un an afin de tenir compte des six mois de retard pris dans la publication du rapport de la DGFiP et des six mois de la période électorale.
Quatrièmement, le lissage. Certaines impositions connaîtront des évolutions non négligeables, quoique les montants en valeur absolue relativisent leur importance. De là un lissage, à la hausse comme à la baisse, sur cinq ans portant sur les écarts d'impositions. Cela nous amènera à 2020, une date qui correspond à la prochaine échéance municipale. Ce lissage interviendra à la hausse comme à la baisse pour ne coûter ni à l'Etat, ni aux collectivités. Nous avons fixé le seuil d'application du lissage à 10 % d'évolution de la cotisation ou à 200 euros. Cela présente l'avantage de constituer un montant raisonnable pour des locaux professionnels sans entraîner de perte de trésorerie excessive pour les collectivités. Dans cette hypothèse, environ 50 % des locaux professionnels seront concernés.
Ce lissage s'appliquera aux locaux existants, que leur propriétaire change ou non, à la date d'entrée en vigueur des nouvelles valeurs locatives, le 1er janvier 2015. Les nouveaux locaux se verront directement appliquer les nouvelles cotisations. En revanche, en cas de changement de propriétaire, le lissage en cours continuera d'être appliqué.
M. François Marc, rapporteur spécial. - La seconde étape vise à restaurer l'équité fiscale, un point consensuel aujourd'hui. Elle interviendra lors du projet de loi de finances pour 2013.
Elle consiste, d'abord, à renforcer le rôle des collectivités territoriales dans le contrôle de l'assiette de la taxe foncière. La nouvelle procédure de révision donne un pouvoir décisionnel aux commissions locales, notamment pour délimiter les secteurs, fixer les tarifs de chaque catégorie, classer les locaux et décider l'application de coefficients de localisation. Nous souhaitons accroître la participation des collectivités, si elles le souhaitent. De fait, elles connaissent souvent mieux le terrain, ce qui permet de contrôler la réalité de l'assiette de la taxe foncière. Nous avions imaginé, au début, un mécanisme de délégation sur le modèle du contrôle de l'assainissement individuel. Toutefois, la voie conventionnelle fonctionne bien dans ce domaine, d'après les services de l'État. Ceux-ci se sont engagés à diffuser très largement auprès des services déconcentrés une convention-type et à inciter les DRFiP à les proposer aux collectivités volontaires. Nous attendons une implication réelle de l'administration sur ce sujet important.
Ensuite, le moment est venu d'étendre la révision des valeurs aux locaux d'habitation, une évolution qu'appelle logiquement la mise en place du coefficient de neutralisation qui n'a d'autre vocation que de préserver l'équilibre entre les fiscalités ménages et entreprises. Nous proposons d'adopter une démarche identique : des valeurs locatives administrées, une expérimentation portant sur un nombre plus limité de départements, la définition de secteurs locatifs dépassant le strict cadre communal, la définition de catégories de locaux et un lissage des évolutions qui sera peut-être plus long afin de tenir compte d'écarts plus importants.
D'autres sujets seront à traiter. En particulier, lorsque la révision des valeurs des locaux d'habitation mettra fin à l'application du coefficient de neutralisation, nous en viendrons à un affichage des taux d'imposition réels qui modifiera le potentiel fiscal et le coefficient d'effort fiscal. La DGCL, que nous avons saisie, produira des simulations précises des conséquences de la réforme sur les dotations de l'Etat et sur la répartition des fonds de péréquation. Le rapport de bilan de l'expérimentation devra également proposer des adaptations de la législation et peut-être de nouveaux critères de répartition de la DGF. Le champ des investigations devra donc être particulièrement étendu pour éclairer le Parlement sur les conséquences de la révision des valeurs locatives.
Pour le calendrier, vu la complexité du dossier, il est raisonnable de prévoir un texte pour le projet de loi de finances pour 2013. Nous demanderons au Gouvernement un engagement ferme en ce sens afin d'engager la concertation au premier semestre 2013 et de démarrer l'expérimentation au second semestre 2013. Ainsi, après un bilan en septembre 2014 et d'éventuels ajustements, nous pourrons généraliser la révision en 2015 pour une entrée en vigueur en 2016. Ce calendrier assurerait un délai minimal entre la révision des valeurs des locaux professionnels et celle des locaux d'habitation. Il est, de plus, adapté au calendrier politique : les débuts de quinquennat et de mandat municipal sont préférables pour mener à bien des réformes de fond. Quoi qu'il en soit, notre voeu, Pierre Jarlier l'a souligné, est d'aller vite : le sujet est sur la table depuis longtemps, l'expérimentation a eu lieu, il faut désormais passer à la mise en oeuvre de la révision.
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - Permettez-moi de donner quelques explications sur le document qui vous a été distribué...
M. Philippe Dallier. - C'est effectivement nécessaire !
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - ... et qui comporte deux tableaux : l'un présente les évolutions de l'effet de la révision des bases en pourcentage et l'autre présente, en valeur absolue, le montant de l'effet de cette révision. Ainsi, les ateliers - ATE2 dans la nomenclature de la DGFiP - verraient leur taxation augmenter de 61 % à Paris, une progression à relativiser au vu du montant de l'augmentation qui serait de 673 euros. Les hôtels de deux à trois étoiles, HOT2, enregistreraient une hausse de 80 % à Paris correspondant à 2 028 euros, contre 48 % et 1 275 euros dans la Haute-Vienne. Prenons un dernier cas, celui des boutiques traditionnelles, MAG1. Pour elles, la progression serait de 28 %, soit 176 euros à Paris.
Mme Michèle André, présidente. - Les cas aberrants sont-ils courants ou marginaux ?
M. François Marc, rapporteur spécial. - On peut relever des cas incompréhensibles dans chaque département. Dans l'Hérault, la DGFiP a identifié l'exemple d'un institut médico-éducatif destiné à l'accueil des enfants présentant de légers troubles du comportement ou des déficiences légères. Les locaux, très modernes, avaient été classés monastère franciscain ! Depuis 1970, la superficie de l'établissement a augmenté de 59 %, une évolution qui, semble-t-il, n'a pas été prise en compte. De plus, le prix du m2 a augmenté sensiblement, passant de 29 euros en 1970 à 173 aujourd'hui.
A y regarder de près, il serait rationnel, dans la plupart des cas détaillés par la DGFiP, d'appliquer à ces établissements la nouvelle méthode de calcul. Pour les cas résiduels et exceptionnels, les collectivités territoriales pourraient décider des abattements ou des réductions.
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - Les cas aberrants, nous l'avons dit, concernent notamment le secteur sanitaire et social. Sans procéder aux corrections de surface qui s'imposent éventuellement, 10 sur 150 établissements classés dans la catégorie des centres médico-sociaux et crèches (CLI2) dans l'Hérault enregistrent des hausses supérieures à 200 %. A Paris, 38 établissements sur plus de 400 sont concernés. D'après ces chiffres, la part serait donc d'environ 10%, avant correction de surface.
M. Vincent Delahaye. - Pourquoi repousser d'un an la mise en oeuvre de la révision des valeurs des locaux professionnels ? Je ne vois pas bien en quoi le calendrier électoral justifie ce choix, puisque les avis d'imposition seraient envoyés juste après les municipales de 2014.
Le but de la révision, si j'ai bien compris, est de corriger des anomalies entre contribuables, non d'alourdir la fiscalité locale. Au passage, on a commencé par les locaux professionnels pour des raisons politiques, non techniques. Si tel est vraiment le but de la réforme, pourquoi supprimer la neutralisation après cinq ans ? Le coefficient de neutralisation tiendra-t-il compte du lissage ?
Enfin, les services fiscaux ne tiennent pas toujours compte de l'avis des élus dans les commissions communales des impôts locaux. Il faudrait dès à présent un peu plus de souplesse pour corriger les anomalies flagrantes.
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - Notre calendrier tient simplement compte de la période électorale et du retard de publication du rapport que nous avons attendu six mois. De plus, nous devons donner à l'administration le temps de généraliser l'expérimentation, sachant que la fenêtre de tir est assez étroite entre le traitement des impôts nationaux et locaux.
Le système doit être suffisamment souple pour respecter l'esprit de la décentralisation. Les commissions départementales des valeurs locatives des locaux professionnels, créées par la loi à l'occasion de la révision des bases, seront composées de dix élus, de neuf contribuables et de deux représentants de l'Etat. Saisies des propositions de révision, elles pourront amender les nouveaux modes de calcul. Ceux-ci reposeront sur l'identification de secteurs définis, non plus commune par commune, mais au sein de chacune d'entre elles et, si besoin est, rue par rue ou, au contraire, à un niveau supra-communal.
Ces commissions départementales discuteront en particulier de la définition des secteurs, les commissions locales étant consultées. Si les deux ne parviennent pas à un accord, une commission départementale composée différemment servira d'instance d'appel.
M. François Marc, rapporteur spécial. - Notre volonté est de neutraliser les évolutions des recettes des impôts. D'où le lissage, à la hausse comme à la baisse, durant cinq ans.
Au terme, plus lointain, de l'ensemble des opérations de révision, la valeur locative réelle des locaux professionnels et d'habitation sera prise en compte. Les collectivités pourront alors ajuster leur taux d'imposition qui s'appliquera aux deux types de locaux.
Le dispositif prévu a vocation à corriger les inégalités, non à modifier les recettes. Une fois que les collectivités disposeront d'une base beaucoup plus juste, elles décideront de leur politique fiscale. Le but est d'éviter toute hausse intempestive d'impôt sauf si l'enquête révèle que de nombreuses surfaces ont été camouflées.
M. Philippe Dallier. - C'est une certitude !
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - Les commissions départementales, où siègeront des élus, joueront un rôle dans la définition des valeurs et des secteurs et, donc, dans la répartition des produits au sein des locaux professionnels.
M. Philippe Dallier. - Plus j'entends parler de neutralisation, moins je comprends ! La neutralisation implique que le produit global de l'impôt reste le même. Or si les valeurs sont révisées et que l'on applique le même taux, le produit sera logiquement supérieur. Il faudra alors soit corriger en baissant le taux, soit verser les surplus à un pot commun. Dans la seconde hypothèse, les collectivités les plus pauvres, parce qu'elles ont souvent des taux plus élevés, seraient le plus touché. C'est inacceptable. Dans la première, cela suppose une neutralisation par le taux que vous refusez.
M. François Marc, rapporteur spécial. - La révision entraînera évidemment des évolutions. Sinon, à quoi bon l'entreprendre ?
M. Jean Arthuis. - Le lissage concernera à la fois ceux qui payeront plus mais aussi ceux qui payeront moins ?
M. François Marc, rapporteur spécial. - Le lissage permettra d'étaler dans le temps les effets de la réforme.
La neutralisation ne vise pas à traiter les cas individuels. Si l'on revalorise les seuls locaux professionnels, les entreprises paieront plus que les habitants. Les associations d'élus proposent d'appliquer un deuxième taux, théorique, pour ramener la masse collectée sur les entreprises à son niveau d'avant la réforme. Ce serait un mauvais choix, car la feuille d'impôt deviendrait incompréhensible. La solution consiste, pour nous, à modifier les bases en leur appliquant un taux unique qui a pour effet de ramener la masse à due proportion.
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - Raisonner sur les taux serait source d'innombrables difficultés dans les collectivités qui sont en train de lisser leurs taux.
M. Philippe Dallier. - Dans l'immense majorité des cas, la valeur locative progressera. Pour quelles raisons baisserait-elle ? La dégradation des locaux ?
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - Cela dépend des types de locaux. Surtout, nous raisonnerons désormais en prenant en considération un zonage. Or certains territoires sont plus attractifs que d'autres.
Mme Michèle André, présidente. - Tout à fait, par exemple les boutiques de centre-ville ferment les unes après les autres à cause de l'installation de zones commerciales en périphérie. Pour elles, la valeur locative diminuera.
M. Jean Germain. - Par des mesures techniques, on bride souvent les libertés des collectivités territoriales. Depuis une quinzaine d'années, les pouvoirs fiscaux des régions, des départements, des communautés d'agglomération, des communautés de communes et des communes elles-mêmes ont été rognés. La suppression de la taxe professionnelle et la stagnation des contributions de l'Etat ont eu un impact majeur sur les finances et les investissements des collectivités territoriales. Qui peut prévoir ici l'évolution de la CVAE ? Peut-on traiter de la révision des bases locatives sans prendre en compte la réforme de la décentralisation ?
Tout le monde souhaite la modernisation des valeurs locatives. Mais peut-être faudrait-il trouver un juste milieu entre des valeurs locatives fixées pour cinquante ans et un mécanisme qui prévoit une réactualisation tous les ans. En outre, on parle de conventionnement. Les collectivités n'ont pas à se substituer à l'État à qui elles versent déjà un pourcentage sur tous les impôts prélevés en leur nom. En revanche, elles doivent décider des impôts qui leur reviennent. Cela implique d'affiner le fonctionnement des commissions départementales et de mettre fin aux écarts aberrants dès maintenant. Nous n'avons pas besoin de conseillers référendaires à la Cour des comptes pour relever les situations anormales.
Faut-il répercuter sur les taux ou sur les bases ? Politiquement, le choix de la DGFiP et de nos collègues n'est peut-être pas rationnel. De fait, les dégrèvements sur la taxe d'habitation, l'abattement général, l'abattement pour charge de famille ou l'abattement pour des personnes en-dessous d'un certain seuil de revenus, que les collectivités peuvent décider ne sont pas pris en compte pour déterminer le potentiel fiscal et le coefficient d'effort fiscal et, donc, les dotations de l'Etat. Il faut prévoir un correctif pour répondre à la demande des associations d'élus.
Souvenons-nous de la justice absolue de Robespierre, cela s'est mal terminé pour les autres, comme pour lui !
Mme Michèle André, présidente. - Vous êtes bien pessimiste !
M. Jean-Claude Frécon. - Lorsque Mme Pécresse nous a présenté le volumineux rapport de la DGFiP en janvier, elle s'est inquiétée d'aberrations qu'on explique mieux aujourd'hui. Ne faudrait-il pas un rectificatif écrit ?
La neutralisation par les taux me semblait préférable mais, quand la moitié du territoire français est en cours de lissage de taux, la solution est effectivement de raisonner sur les bases.
Je suis favorable à des modifications dès le collectif de juillet. La réforme a été reportée d'un an car le rapport initial devait paraître six mois plus tôt, d'où le décalage.
La seconde étape interviendra lors du projet de loi de finances pour 2013 avec une application en 2015, voire 2016. Le plus tôt possible après les élections municipales de 2014 sera le mieux.
Vous avez parlé d'une convention type pour définir les rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales. Or la tenue du fichier relevait jusqu'à présent de l'État. Va-t-il financer les collectivités qui vont tenir ce fichier à jour ? Les commissions communales des impôts directs comprenaient un représentant de l'État. Depuis une dizaine d'années, les contrôleurs du cadastre ne se déplacent plus, se contentant d'envoyer des papiers à remplir. La plupart du temps, les commissions enregistrent les propositions de l'administration. La voie conventionnelle me laisse sceptique.
Pourquoi réduire le périmètre de l'expérimentation pour les locaux d'habitation ?
M. Éric Doligé. - Les révisions des bases locatives sont des exercices intellectuels intéressants, mais la réalité colle rarement à la fiction de nos analyses. Des corrections seront-elles possibles, une fois la réforme mise en place ? La révision devra être mise en phase avec la réforme territoriale. Enfin, sera-t-elle applicable outre-mer ?
Mme Michèle André, présidente. - C'est une excellente question, d'autant que certains départements, comme Mayotte, n'ont pas de cadastre.
M. Jean Arthuis. - La mise en oeuvre de cette réforme s'est toujours profilée à l'horizon... Les valeurs locatives devraient tendre vers la valeur marchande des biens qui serait actualisée sur la base des opérations de cession.
Quid des valeurs incorporelles ? Pour les magasins, plus le loyer est faible, plus la valeur incorporelle est élevée.
Le lissage est sympathique pour ceux qui vont payer plus, mais ceux qui devraient payer moins devront attendre cinq ans de plus alors que, depuis des années, ils ont été surtaxés. Si vous coupez la queue d'un chien petit bout par petit bout, c'est plus douloureux. Je vous suggère, au nom de l'équité, de la couper d'un coup bien net !
Si la neutralisation s'effectue par la valeur, il y aura une valeur au plan départemental et une autre au plan communal ou intercommunal. Quelle complexité ! Pourquoi ne pas préférer un ajustement par les taux ? La valeur serait alors la même, quelle que soit la collectivité qui appelle l'impôt.
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - S'agissant de couper la queue du chien, mieux vaut garder une marge : les hausses pourraient être très brutales. Au reste, cinq ans avant l'entrée en vigueur définitive de la réforme, cela est relativement court. Nous devons trouver un juste milieu pour que la réforme aille à son terme.
Si l'on modifie les taux, il y en aura forcément plusieurs, sans compter les difficultés techniques réelles que nous avons déjà évoquées. Les représentants des associations d'élus n'étaient pas farouchement opposés à l'utilisation des bases, mais ils s'interrogeaient plutôt sur l'affichage de l'impact de la mesure. Peut-être faut-il trouver une formule d'affichage sur l'effet base.
M. Jean Arthuis. - Pour le foncier bâti, il y a un prélèvement au profit du département et un autre au profit du couple commune - communauté de communes. Si vous ajustez la valeur, vous aurez automatiquement des valeurs différentes.
M. Vincent Delahaye. - Sans compter qu'il peut y avoir des abattements différents !
M. Jean Arthuis. - Il existe certes des écarts de valeurs, mais les taux sont les mêmes pour tout le monde.
M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - M. Arthuis a évoqué la valeur marchande des biens. Pour en avoir une idée précise, il faudrait enregistrer suffisamment de cessions dans chaque secteur. Cela nous a semblé plus simple de nous en tenir à la valeur locative.
M. Doligé souhaite, à juste titre, que le dispositif puisse être évalué rapidement afin de l'améliorer si nécessaire. Dès la fin de la première année, un rapport pourrait permettre d'apporter les ajustements législatifs nécessaires.
Le conventionnement prévu est volontaire, monsieur Frécon. Ce dispositif existe déjà à Valencienne, à Lille et à Bayonne où il fonctionne plutôt bien. Si l'on veut éviter les pertes en lignes, qui existent déjà, il faut une coopération entre les services de l'Etat et les élus locaux pour mieux cerner la réalité des bases. D'autant que, depuis la réforme des permis de construire, le système est désormais déclaratif. Les collectivités ont donc intérêt à cette formule.
Enfin, monsieur Germain, si nous voulons une taxation juste, il faut un réajustement régulier des valeurs.
M. Jean-Claude Frécon. - L'exemple des trois villes citées est éclairant : ce sont toutes des grandes collectivités. Que se passera-t-il pour les communes et les intercommunalités qui n'ont pas les moyens de recruter du personnel ? Il faut faire attention aux conséquences financières d'un tel conventionnement.
M. Vincent Delahaye. - D'accord sur le calendrier, mais les échéances électorales ne sont pas la bonne explication.
Faut-il prévoir un lissage ? Je suis, comme Jean Arthuis, d'avis qu'il n'est pas forcément utile. J'aimerais une réponse claire sur la neutralisation : est-elle, comme je me le figure, définitive et prélevée sur le stock de manière globale, afin qu'on ne nous reproche pas de vouloir augmenter les impôts ?
Il faudrait, sans attendre la réforme, introduire de la souplesse dans les commissions communales des impôts. Dans mon département, les représentants de l'administration repoussent nos demandes en nous renvoyant à notre responsabilité d'adopter un texte global.
M. Jean Germain. - Effectivement, il y a là un véritable sujet : quel est le pouvoir des élus locaux dans ces commissions ? De toute façon, les ménages subissent déjà des injustices, entre autres, parce que l'État a imposé un taux moyen lorsqu'on a transféré le foncier bâti aux communautés de communes et aux communautés d'agglomération.
Tenir compte du calendrier électoral n'est pas dirimant pour les élus, du moins s'ils veulent gagner les élections. En revanche, il est injuste d'appliquer un taux moyen départemental, fixé par l'État, communauté de communes par communauté de communes, car cela aboutit à une hausse de la taxation des ménages, sans que les communes aient pu intervenir.
M. Jean Arthuis. - Certes, mais seules les collectivités qui votent le taux peuvent décider d'éventuels abattements...
M. François Marc, rapporteur spécial. - Merci à chacun des intervenants d'avoir donné de la hauteur à ce débat technique. Jean Arthuis nous a invités à regarder l'horizon, Eric Doligé à porter nos regards vers l'outre-mer, Jean Germain à mettre en perspective cette réforme dans le cadre plus global de la décentralisation. L'objectif est double : plus de justice fiscale, mais aussi davantage d'autonomie pour les collectivités territoriales dans la fixation des taux. C'était bien, si je ne me trompe, l'ambition de la décentralisation. Nous avons donc tout intérêt à appliquer ces fameux taux à des bases qui soient les plus équitables possible.
Concernant les dotations de l'État, on peut parler, plus que d'injustice, d'iniquité quand l'État attribue des moyens aux collectivités territoriales en fonction de potentiels fiscaux qui ne reflètent pas la réalité. Il faudra y revenir.
Les aberrations, si l'on se fonde sur l'expérimentation, concernent environ 10 % de l'ensemble. Cela dit, pour les cliniques, après correction de surface, les chiffres des évolutions de cotisation passent de 119 % à moins 2 % à Paris et d'un pourcentage de hausse de 163 % à 25 % dans l'Hérault. Dans plus de quatre cinquième des cas, la mauvaise évaluation initiale de la superficie expliquerait donc la hausse. Par prudence, nous avons prévu de laisser aux collectivités territoriales la possibilité de corriger les anomalies restantes.
M. Jean Arthuis. - A ce propos, un jour ou l'autre, il faudra en finir avec la dualité entre hôpital public et clinique !
M. François Marc, rapporteur spécial. - Pour la convention-type et la répartition des charges entre l'État et les collectivités, je commencerai par rappeler que Philippe Laurent, que nous avons auditionné au titre de l'Association des maires de France, a dit avoir largement couvert le salaire de l'agent que sa collectivité a recruté par les rentrées fiscales supplémentaires qu'il a générées. Nous serons naturellement attentifs aux éventuelles compensations financières à apporter en cas de transfert de charge de l'État vers les collectivités territoriales.
Les commissions départementales ont, de par la loi, un rôle décisionnel : délimiter les différents secteurs, fixer les tarifs de chaque catégorie, classer les locaux et décider des zones d'application de coefficients de localisation. Les représentants des élus, qui disposent de 10 places sur 21, pourront y suivre l'application du dispositif et proposer les corrections nécessaires.
Avec 30 millions de locaux d'habitation, contre 3 millions pour les locaux professionnels, la sagesse est de réduire le nombre de départements où l'expérimentation sera menée. Imaginez le chantier si l'on expérimentait la révision à Paris, d'autant que les effectifs de la DGFiP ont fondu du fait de la RGPP...
M. Jean-Claude Frécon. - La DGFiP est très motivée et rien n'oblige à retenir les mêmes départements... Pour Paris, on pourrait imaginer de s'en tenir à un seul arrondissement pour avoir une idée.
M. François Marc, rapporteur spécial. - Le cas de l'outre-mer a été posé par Eric Doligé. Il nécessitera effectivement un traitement particulier.
Nous avons écarté les valeurs marchandes, monsieur Arthuis, et nous nous en sommes déjà expliqués. De même, nous avons répondu sur la neutralisation : si, dans un même département, des taux différents étaient appliqués en fonction des territoires, l'incompréhension des contribuables serait immense.
Enfin, le lissage : il s'appliquera à la hausse comme à la baisse afin de ne pas déséquilibrer les recettes. En somme, nous allons créer du bonheur durable pour le contribuable qui verra son impôt baisser année après année !
A l'issue de ce débat, la commission donne acte de leur communication aux deux rapporteurs spéciaux et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.