Mardi 10 avril 2012
- Présidence de Mme Frédérique Espagnac, présidenteResponsabilité juridique des agences de notation - Table ronde
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Merci aux participants de cette table ronde, d'indiquer, en vous présentant, si vous êtes ou avez été conseils d'agences de notation.
M. Richard Parolai, avocat auprès du cabinet Orrick. - En qualité d'avocat, j'ai participé, depuis la fin des années 1980, à des opérations de titrisation ou de financements structurés, ce qui m'a conduit à être en contact avec des agences de notation, à la fois comme interlocutrices et comme clientes.
M. Thierry Bonneau, agrégé des facultés de droit et professeur à l'Université Panthéon-Assas. - Professeur spécialisé en droit bancaire et des marchés financiers, je n'ai jamais entretenu de relations commerciales avec les agences de notation.
M. Jean-Guillaume de Tocqueville, avocat auprès du cabinet Gide Loyrette Nouel. - Associé au cabinet Gide Loyrette Nouel, je travaille beaucoup sur la réglementation bancaire et financière et suis conseil d'agences de notation.
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Pour vous, les agences de notation sont-elles juridiquement responsables ?
M. Thierry Bonneau. - En principe, elles sont responsables à la fois aux plans civil et administratif, auprès de l'autorité européenne des marchés financiers (AEMF) depuis le règlement du 11 mai 2011, et au plan pénal.
Des difficultés se posent toutefois quant aux conditions de mise en oeuvre de leur responsabilité civile. Comment, du point de vue de l'investisseur, caractériser une faute ? Peut-il s'agir d'une faute légère ou seulement d'une faute grave et intentionnelle comme le prévoit la proposition de directive de 2011 ? Une faute civile pourra-t-elle être caractérisée indépendamment de toute qualification de celle ci, comme faute administrative, par l'AEMF ?
Quid du préjudice qui ne sera sans doute pas un préjudice plein dans la mesure où il devrait surtout s'agir de pertes de chances, sachant qu'il est peu probable qu'en cas de préjudice de faible importance, une action soit effectivement intentée ?
Qu'en sera-t-il enfin de la détermination du lien de causalité ? Certes, la proposition de règlement prévoit que seuls les manquements aux dispositions de celui-ci seront pris en compte, mais il instaure aussi une présomption à la charge des agences dés lors que les plaignants auront pu produire un certain nombre d'éléments, ce qui suppose l'accès de ces derniers à des informations détenues par les agences, faute de quoi, cette responsabilité resterait théorique.
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. - Tout à fait d'accord avec le professeur Bonneau. La responsabilité contractuelle vis-à-vis des émetteurs étant généralement bien encadrée, le vrai problème est celui de la responsabilité délictuelle vis-à-vis des investisseurs, ces derniers devant, selon le droit commun, prouver l'existence du triptyque faute, préjudice, lien de causalité.
Au-delà de ce régime, faut-il durcir la responsabilité civile des agences ? C'est ce que prévoit la proposition de règlement qui renverse la charge de la preuve, la difficulté d'accès aux données par les investisseurs donnant lieu à un renforcement des règles de transparence.
La question est en fait de savoir si les agences de notation doivent être plus mal traitées que les autres acteurs du monde financier et comment justifier une telle discrimination, sachant que, si elles ne peuvent laisser passer un éléphant dans un couloir, elles ne sont pas, à la différence des auditeurs ou des commissaires aux comptes, obligées de fouiller dans les livres des entreprises pour vérifier la sincérité des informations fournies.
M. Richard Parolai. - Les agences sont responsables comme l'est tout professionnel. Leur travail est à la fois très complexe, puisqu'il s'agit d'apprécier une probabilité de solvabilité à 5 ou 10 ans, et extrêmement complet eu égard aux nombreux outils auxquels elles font appel. Il faut bien qu'elles se fondent sur des hypothèses. Quand elles ont noté les subprimes, elles n'ont pas supposé que trois États américains feraient faillite au même moment - comment le leur reprocher ?
Si la crise a mis en lumière quelques dérives, la réglementation actuelle donne une certaine cohérence à la façon dont les différentes agences travaillent, ce qui n'empêche pas que la validité de leur intervention demeure, comme celle d'autres professionnels, entourée de certaines conditions.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Certains mots utilisés me surprennent quelque peu. Je veux bien que les agences ne sont ni l'oracle de Delphes, ni des commissaires aux comptes, mais on ne peut pas faire l'impasse sur le poids de leurs opinions. Au vu des conséquences, il est difficile de s'abriter derrière l'argument qu'il ne s'agirait que de simples avis. Les politiques que nous sommes ne peuvent rester inertes.
Vous évoquez une responsabilité fondée sur la faute grave, alors que cette responsabilité me semble être une réalité du simple fait que ces agences font tout pour être entendues. Lorsque les subprimes sont passées, en un an, de AAA à une situation de junk bonds ; lorsque, à l'occasion de la faillite de Lehman Brothers, les agences se contentent de nous dire qu'elles ne pouvaient pas croire que cela arriverait, en vertu du too big to fail ; lorsque, pour Enron, elles se réfugient derrière la fausseté des informations, on ne peut que s'interroger sur leur sens des responsabilités.
S'interroger aussi sur la responsabilité des émetteurs ou des banques d'affaires ? Les agences ne sont pas dans la situation d'un éleveur qui, en se contentant du pedigree d'un cheval, devrait savoir s'il va gagner le prix de l'Arc de Triomphe...
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. - Pour les subprimes, c'est un truisme que de dire que personne n'avait vu venir le coup. Les agences se basant, ce qui est une bonne méthode, sur des modèles historiques, elles n'ont pu anticiper la fin de la bulle immobilière. Sur Enron, Lehman Brothers et Parmalat, on peut toujours a posteriori affirmer qu'elles auraient dû prévoir les évènements, mais leur rôle n'est pas de vérifier les informations qu'elles reçoivent. C'est pourquoi j'insiste sur l'importance du considérant 35 du règlement de 2009, qui prévoit des sanctions contre les émetteurs qui transmettraient des informations non fiables. On peut toujours discuter du degré de diligence des agences mais tout cela reste subjectif.
Le poids de l'avis des agences est sans doute excessif. C'est que les investisseurs se sont trop appuyés sur elles, sans développer leurs propres capacités d'analyse. Et les régulateurs eux-mêmes utilisent les notations des agences comme références.
Faut-il renforcer leur responsabilité ? Je répète que les agences n'ont pas vocation à donner une garantie absolue de solvabilité et que même une notation triple A comprend un risque.
M. Charles Revet. - Votre réponse me choque un peu car les agences auraient dû apprécier l'impact de leurs avis et donc mieux vérifier les informations qui leur étaient transmises.
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. - C'est là le point essentiel. Il faut prendre ces informations avec prudence, sachant tout de même que, pour Enron et Parmalat, des commissaires aux comptes ou des banques d'affaires étaient aussi intervenus : les fraudes étaient tellement bien faites que nul ne les a vues.
M. Jean-Pierre Caffet. -L'impression générale est que les agences de notation, comme les autres acteurs des marchés, agissent dans une impunité totale. Nous rentrons d'une mission aux États-Unis où nous avons entendu des points de vue divergents, une agence étant allée jusqu'à prétexter que la crise des subprimes était la faute des particuliers qui fraudaient lors de l'octroi de crédits hypothécaires, une autre invoquant la complexité des facteurs expliquant le retournement du marché immobilier ou encore le changement très rapide de l'attitude des ménages américains vis-à-vis de la faillite personnelle. Les conséquences des agissements de ces agences sur l'économie réelle sont loin d'être négligeables, alors qu'elles ne sont - à vous écouter tous les trois - soumises qu'à un régime de responsabilité de droit commun.
Des contentieux ont-ils déjà été engagés en Europe ou la responsabilité des agences demeure-t-elle théorique ? Comment leur responsabilité civile pourrait-elle être mise en cause ? Et celle de ceux qui procèdent aux titrisations ? Ne va-t-on pas vers une divergence entre la réglementation européenne et la situation des États-Unis, régis par la loi Dodd-Frank ?
M. Thierry Bonneau. - Il y a un avant et un après règlement de 2009 modifié par le 11 mai 2011 ; il est peu probable que l'on assiste à des contentieux basés sur des faits antérieurs à ce texte.
La question du contrôle des informations renvoie à celle du statut des agences : ce sont des structures privées sans pouvoir d'inquisition. On pourrait envisager la création de structures publiques ou parapubliques, ce qui pourrait résoudre le problème posé par le fait que les agences sont rémunérées par l'émetteur.
M. Jean-Pierre Caffet. - Lorsque je demande un prêt immobilier à mon banquier, celui-ci ne se contente pas de mes déclarations, il exige des justificatifs. Peut-on émettre une notation sur un produit financier en se fondant sur la seule parole de l'émetteur ?
M. Thierry Bonneau. - On peut toujours demander des documents mais, en l'occurrence, ils proviennent du client. La question est de savoir s'il existe une obligation pour les agences de vérifier les documents qui ont été produits. La Cour de cassation a précisé qu'il ne revient pas aux banques de vérifier un K-bis, sauf si les circonstances créent une suspicion. Peut-être faudrait-il distinguer les situations normales reposant sur la confiance de celles où il conviendrait d'aller au-delà des documents reçus.
M. Charles Revet. - Nous sommes au coeur du problème. Compte tenu des conséquences de leurs décisions, les agences auraient dû, soit rappeler à partir de quelles données elles travaillaient et inviter chacun à procéder à ses propres analyses plutôt que de laisser leurs notes être perçues comme des vérités, soit procéder d'elles-mêmes à davantage de vérifications.
M. Thierry Bonneau. - Sur les paquets de cigarettes, il est indiqué que fumer tue. .. Il y a d'autres éléments importants dans cette crise, notamment la titrisation...
M. Jean-Pierre Caffet. - Nous sommes d'accord...
M. Thierry Bonneau. - On peut même titriser des créances douteuses. L'adoption de cette disposition m'avait tellement surpris que j'avais écrit un petit article à ce propos. Pourquoi demander aux banquiers d'être sérieux s'ils peuvent ensuite se débarrasser de ces produits ? Outre les agences de notation, doivent être abordées les questions de l'accès aux marchés financiers, de la qualité des produits et du contenu des contrats.
M. Jean-Pierre Caffet. - Dans quel texte cette disposition figure-t-elle ?
M. Richard Parolai. - Il s'agit de dispositions du code monétaire et financier adoptées dans une loi de 1988 modifiée en 1993.
Prenons garde à ne pas faire l'amalgame, d'une part, entre les risques corporate et souverains, pour lesquels les agences reçoivent des informations validées et auditées portant sur le risque de l'émetteur dans sa globalité et, d'autre part, les risques liés à des produits titrisés. Compte tenu de la construction de ces derniers, ce n'est pas le risque de l'émetteur qui importe mais celui des sous-jacents. On ne résoudra pas les problèmes posés par une catégorie avec des solutions valant pour l'autre.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Ce qui nous choque tous, c'est l'écart entre les conditions dans lesquelles les agences apposent leur signature et les conséquences de celle-ci. Lorsque M. de Tocqueville nous dit que les agences ne peuvent pas vérifier les informations et que leur avis ne constitue pas une garantie, alors que l'on sait quelles marges elles empochent, on ne peut qu'être choqué. Quelle autre profession aurait pu se comporter comme les agences, qui notent triple A un jour et junk bonds un an après ? Lorsque l'on indique sur les paquets de cigarettes que fumer tue, encore faut-il savoir ce qu'il y a à l'intérieur, ce qui n'est pas toujours le cas des produits titrisés.
La question se pose de ce que les Américains appellent la liability, dès lors que l'on ne peut passer outre les agences et qu'elles se trouvent avoir trop de pouvoir. En s'arrogeant le droit de noter les États, elles proclament leur sérieux et leur crédibilité, alors que la note de la France a été étudiée par deux analystes basés l'un en Espagne et l'autre en Allemagne. Quel amateurisme ! Quelle légèreté ! Pour la souscription d'une assurance-vie, on subit un examen médical complet...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ayant été commissaire aux comptes, j'admets tout à fait qu'il ne revient pas aux agences de refaire le travail des auditeurs. Mais à l'instar de ce qui prévaut pour cette profession, les agences ne devraient-elles pas être soumises à une obligation de moyens ?
Le fait que chaque agence dispose de sa propre méthode est une bonne chose. Une de leurs forces est de disposer de grilles d'analyses très pertinentes secteur par secteur. La principale difficulté tient à la façon dont elles pondèrent et hiérarchisent ces analyses partielles. Ne faudrait-il pas définir l'erreur d'analyse en la matière ?
Les agences se prévalent auprès des entreprises de leur capacité à dégrader les États-Unis ou la France. Dès lors que ces notations ne sont pas sollicitées, peut-on les laisser faire une publicité dont on voit les conséquences politiques ? Si je suis médecin, je ne publie pas mes diagnostics.
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. - Peut-on définir en droit l'erreur d'analyse ? Les agences n'ont qu'une obligation de moyens et leurs diagnostics sont aussi subjectifs que ceux d'un avocat ou d'un médecin. Sur quels critères objectifs les juger ? Méthodologie et conformité à la réglementation ne suffisent pas ; A ce jour, aucun pays n'a mis en place de régime de responsabilité pour les agences de notation.
Pourquoi sont-elles devenues aussi puissantes ? Un peu malgré elles ! Les marchés sont moutonniers...
M. Richard Parolai. - Du fait de la crise de 2007, elles sont stigmatisées mais, depuis la disparition des garants financiers, elles sont incontournables.
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. - Les marchés sont trop dépendants des agences de notation. Le régulateur est en partie responsable, il faut remanier au plus vite les textes sur l'obligation de recours au rating et diversifier les étalons financiers.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Comment définir la position du régulateur vis-à-vis des agences de notation ? Il ne surveille pas assez.
M. Thierry Bonneau. - Il n'est plus national mais européen.
Je voudrais revenir sur l'erreur d'analyse. Ce qu'il est possible de contrôler, c'est le processus de la notation, pas ses conclusions. Je crois aussi que le droit européen va imposer aux entreprises d'investissement et aux établissements de crédit des services dédiés à l'analyse et à la notation.
On doit faire la différence entre les particuliers et les professionnels. Les premiers doivent être avertis des risques encourus, quitte à être découragés. C'est le « Fumer tue ». Quant aux professionnels, il faut leur imposer des équipes suffisantes. On entend dire que la notation de la France aurait été le fait d'une équipe de trois personnes...
M. Aymeri de Montesquiou. - L'agriculteur que je suis s'est fait à l'idée qu'on ne prévoit pas le rendement à l'avance. Mais peut-on accepter qu'un titre évalué triple A devienne un junk bond en quelques mois ? Deux personnes peuvent-elles évaluer la France ? Les agences de notation sont rémunérées, elles ont une obligation de résultat.
M. Thierry Bonneau - On ne peut parler de responsabilité civile qui implique de faire la preuve d'un dommage et d'un lien de causalité. Il y a les constats que l'on peut faire et ceux que le droit permet... On retombe sur la question des class actions.
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. -Les décisions prises par les agences de notation émanent de comités d'analyse, et non de quelques individus.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Des comités dont les membres donnent leur décision par téléphone et depuis l'aéroport ! Sans trace écrite...
M. Jean-Pierre Caffet - Peut-on mieux réguler les activités financières et le secteur bancaire en amont des agences de notation? Doit-on réformer Bâle 3 ? La concentration aggrave-t-elle le risque systémique ?
M. Thierry Bonneau. - La réglementation des fonds propres et des normes prudentielles échappe à la France, elle est entre les mains du comité Bâle 3. La majeure partie de la réglementation prudentielle est européenne. Les ventes à découvert sont régies par un règlement du 14 mars 2012, pris à la suite d'une loi française du 22 octobre 2010.
Quant à la nécessité d'agir en amont des agences, vous prêchez un convaincu. Il faut leur imposer des exigences en termes d'organisation et prévoir un contrôle effectif par les autorités européennes, assorti de moyens.
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. -Il est très difficile de réglementer un secteur dans lequel les transactions sont si rapides. Le G20 serait-il compétent ? Quelles réponses donner ? Comment réguler en temps réel ? Bâle 3 ? Les banques maquillent leur bilan pour s'y conformer.
M. Charles Revet. - Que peut le législateur ? Au-delà du constat et des rapports, quelles inflexions apporter au droit national, européen ?
M. Thierry Bonneau. - La sécurité est du domaine du G20 et du conseil de responsabilité financière. En ce qui concerne la réglementation, trop de complexité nuit et peut même induire des risques systémiques. Certains produits financiers sont inutilement complexes.
M. Aymeri de Montesquiou. - Peut-on imaginer une procédure d'agrément pour les nouveaux produits financiers ?
M. Thierry Bonneau. - La France est un pays de liberté...
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. - Si le nouveau produit financier obéit à la réglementation existante, il n'y a pas de raison de le faire agréer préalablement. On peut en revanche imaginer intervenir a posteriori si l'on s'aperçoit qu'il a des effets pervers.
M. Richard Parolai. - L'AMF opère un contrôle a priori avant la mise sur le marché de certains produits financiers.
M. Thierry Bonneau. - Elle en a déjà écarté certains. Les règles sont très complexes.
M. Aymeri de Montesquiou.- Même les émetteurs ne les comprennent pas !
M. Thierry Bonneau. - Plus une règlementation n'est simple, plus elle est difficile à contourner.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Pourquoi l'Etat n'a-t-il pas engagé d'action contre Standard & Poors ? L'erreur est évidente.
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. - Des enquêtes sont en cours. A ce stade on ne peut dire grand-chose. Les principes de responsabilité civile doivent être établis.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Le préjudice ne fait aucun doute !
M. Thierry Bonneau. - Il faut être en mesure de l'évaluer.
M. Aymeri de Montesquiou Y-a-t il eu des sanctions internes chez Standard & Poors ?
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. - Il ne s'agit pas d'une erreur d'analyse mais d'une erreur informatique.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Quel est votre position sur les propositions de Bruxelles sur la responsabilité civile des agences de notations ?
M. Thierry Bonneau. - Elles ne visent que la faute grave, la négligence grave ou la faute intentionnelle. Il faut aussi prouver que la note qui aurait été donnée en dehors de toute faute aurait été différente. Si l'on veut être sévère avec les agences, il faut leur demander de prouver l'absence de faute. En tout état de cause, pour mettre en place un régime de responsabilité civile, il faut une présomption, et des obligations de communication de la part des agences.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - L'Europe et les Etats-Unis prennent des voies différentes, avec à la clé des régimes qui pourraient différer.
M. Jean-Guillaume de Tocqueville. - Cela pose en effet un problème de cohérence et de comparabilité internationale. Une des plus-values des agences est qu'elles ont des bases de données mondiales. Considérez qu'elles doivent intervenir dans un contexte réglementaire fluctuant : trois réglementations en trois ans...
Quant à leur responsabilité, il faut prendre garde aux effets pervers. Les agences pourraient refuser leurs services à certains investisseurs...
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Je vous remercie d'avoir éclairé la mission commune d'information.
Mercredi 11 avril 2012
- Présidence de Mme Frédérique Espagnac, présidenteAudition de M. François David, président de la Coface
Mme Frédérique Espagnac. - Je vous remercie d'être venu. Quelle différence faites-vous entre vos missions d'assureur de crédit, et celles des agences de notation ? Je crois savoir que vous avez songé à créer une agence de notation ; pourquoi ce projet a-t-il avorté ?
M. François David. - Le métier de la Coface est de garantir les entreprises contre le risque de non-paiement par leurs clients. Une entreprise souhaite avoir une assurance sur un client : moyennant une prime, elle s'adresse à nous. Si elle s'engage dans une transaction avec ce client et n'est pas payée, nous la remboursons.
Quand elle agit pour le compte de l'Etat, la Coface garantit les grands contrats à l'exportation de type Airbus, pour lesquels il n'existe pas d'assurance privée. L'Etat perçoit les primes et paye les sinistres. Cette activité est bénéficiaire depuis une dizaine d'années. Dans ce cadre, nous sommes prestataires de services pour l'Etat qui nous paye, et nous a renouvelé sa confiance tous les trois ans depuis notre création en 1948. Cette part de notre activité a cependant fortement décru, elle pèse aujourd'hui 4 % du chiffre d'affaires, contre 50 % à mon arrivée il y a quatorze ans. Ce n'est pas une diminution en valeur absolue, c'est que la part de l'assurance privée s'est considérablement accrue.
Pour son propre compte, la Coface garantit les entreprises dans les 67 pays où elle est implantée. Nos 120 000 clients vendent à 55 millions d'entreprises. Nous suivons donc la situation financière de ces 55 millions d'entreprises, ce qui nous donne une approche micro-économique extrêmement précise de la conjoncture mondiale. A partir des courbes de défaut de paiement, nous pouvons évaluer immédiatement la situation réelle d'un client et, par extrapolation, d'un pays. En macro-économie, on se trompe beaucoup, pas en micro-économie : si 30 000 entreprise thaïlandaises sont en défaut de paiement, on est certain que la situation globale de la Thaïlande va se dégrader. C'est pourquoi le FMI ou l'OCDE nous demandent des informations. Nous sommes contraints d'avoir une vision très précise de chaque client puisque nos erreurs nous sont coûteuses ; si nous nous trompons, nous devons rembourser. Quand les agences de notation se trompent, cela n'a aucune importance pour elles.
L'exercice de la notation est pour autant indispensable. On regarde le Michelin avant d'aller au restaurant, le Parker avant d'acheter du vin, l'Argus pour une voiture. De même, les entreprises qui commercent entre elles ont besoin de connaître les défauts de leurs clients, d'autant qu'avec le paiement à 90 jours, elles font deux fois plus de crédit que les banques.
Il existe trois types de notation. La notation corporate, celle des entreprises, repose sur des éléments statistiques indiscutables et est donc relativement facile. Il est plus difficile de noter les produits structurés, à l'origine de la crise des subprimes, puisqu'on ne sait pas ce qu'il y a dedans. C'est encore plus difficile pour les États : quelle statistique de faillite d'État pourrait-on avoir ? Nous, à la Coface, nous avons une vraie base statistique sur 55 millions d'entreprises. Quand un exportateur hongkongais s'adresse à la Coface de Hongkong pour savoir ce qu'il en est d'une entreprise thaïlandaise, il bénéficie de notre savoir accumulé.
Les agences de notation, elles, ne savent pas ce qu'elles notent. Une entreprise demande à être notée ; on veut se la garder au chaud, on va donc avoir un a priori positif. Trois quatre « clanpins » débarquent, regardent trois mois d'information et discutent avec un responsable. Après quoi, ils notent. C'est comme cela que, trois mois avant sa faillite, Enron était noté AAA par trois agences de notation. Nous, nous savions que les fournisseurs n'étaient pas payés.
Les trois grandes agences de notation anglo-saxonnes ne notent en France que soixante-dix entreprises, quand nous avons des données statistiques sur 55 millions. Elles ne s'intéressent pas au coeur du sujet, la situation des grosses PME.
Standard and Poors est venu nous proposer, il y a une dizaine d'années, de nous noter en insistant sur la grande faveur que cela représentait. Il fallait que je paie la modique somme de 55 000 dollars et, comme ils n'y connaissaient rien, que je rédige moi-même la fiche de notation.
Les agences se trompent régulièrement sur les entreprises. Quant aux produits structurés et notamment les subprimes, on ne sait pas ce qu'il y a dedans. Les banques ont vendu des subprimes à des véhicules financiers qui ont été notés AAA parce que les agences de notation les garantissaient. C'est la City Bank, donc... Et, sur les 5 000 véhicules financiers concernés, 90 % ont fait faillite.
Ainsi, les agences de notation ont un droit de vie ou de mort sur les entreprises, puisqu'elles déterminent leurs possibilités d'accès au crédit, et leur rôle n'est pas moindre au niveau des Etats : mal noté, un Etat ne peut plus émettre d'obligation à un taux raisonnable.
En août dernier, Standard and Poors dégrade les Etats-Unis de AAA à AA, se fondant sur la dette trop élevée. Le secrétaire d'Etat américain aux finances informe l'agence qu'elle a surévalué la dette de 2 000 milliards de dollars. Une paille ! Que répond l'agence ? Corrige-t-elle son appréciation ? Elle dit « Oui, sans doute, mais la situation n'est pas très claire, avec les Républicains au Capitole... »
Autre exemple, celui de la France. En termes de dette publique, de déficit commercial et de déficit budgétaire, la France fait mieux que la Grande-Bretagne, qui n'est pas dégradée. L'appartenance à la zone euro a-t-elle été déterminante ? Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir dégradé tous les pays de la zone euro, au lieu de quelques-uns ? L'exemple de la dégradation de la Tunisie au lendemain de sa révolution - beau message pour la jeunesse tunisienne ! -, en l'absence de toute donnée économique, achève de prouver que les agences font de la politique et pas de la finance. Lisez leurs rapports sur les différents pays : cela mérite au mieux 8/20 en première année de Sciences-po.
Alors qu'elles font 40 % de marge sur chaque note, on ne peut attaquer les agences en justice car elles s'abritent derrière le premier amendement de la Constitution américaine qui protège la liberté d'opinion. Elles notent et elles prétendent ne faire qu'émettre des opinions ! Une entreprise dégradée sur de faux critères ne peut demander de dommages-intérêts à l'agence, qui bénéficie donc d'une impunité totale.
C'est ainsi que les agences sont en très grande partie à l'origine de la crise de 2008-2009. Le président français et le commissaire européen en charge du marché intérieur s'en sont émus. Ils ont voulu faire quelque chose, mettre en place une autorisation pour les agences de notation souhaitant exercer en Europe. Qu'a proposé la commission de Bruxelles ? Augmenter les quotas de femmes dans les conseils d'administration, faire tourner les agences de notation, et donner 24 heures aux États avant la publication de la note. Jamais il n'a été question du contrôle des agences. On contrôle tout, le lait, les jouets chinois, les banques, pas les agences. Pourquoi n'y a-t-il pas d'autorité de contrôle, un organisme indépendant, qui sanctionne financièrement les erreurs, prononce l'exclusion ? Mystère. Et c'est pareil aux États-Unis. Il faut croire que les agences ont confié leur lobbying à des gens très intelligents.
Pourquoi ne sommes-nous pas une agence de notation ? Nous avons entrepris des démarches en ce sens, il y a un an et demi, mais notre actionnaire, Natixis, se refuse à être banquier et notateur. Ayant le plus grand respect pour lui, je m'incline. Je reste convaincu de la nécessité d'une agence qui concurrence les trois grandes, et qui ait notre connaissance du métier. Mon actionnaire veut vendre la Coface. Il considère qu'il n'y a pas assez de synergie - le grand mot à la mode ! - entre notre travail et celui de la banque. Mon souhait est qu'il vende à un actionnaire potentiel qui verrait là un chemin pour exercer la tâche de notation.
Mme Frédérique Espagnac. - Il y a des banques, parmi les actionnaires des trois grandes agences de notation.
M. François David. - Le profond respect que je porte à mon actionnaire m'interdit de le contredire. J'ai des acheteurs, reste à s'accorder sur le prix.
Mme Frédérique Espagnac. - Une offre intéressée par le projet d'agence de notation ?
M. François David. - Enthousiaste !
M. Charles Revet - La Coface est-elle spécifiquement française ? Comment se compose l'actionnariat de Natixis ? Si des agences de notation sont vraiment indispensables, que peut-on imaginer pour rendre le système plus efficace et plus sérieux ?
M. François David. - La Coface, malgré son nom, est aujourd'hui internationale, du fait de son implantation dans 67 pays. On pourrait supprimer le « F » mais notre nom se décline en adjectif et en verbe : « Êtes-vous cofacé ? ». Chaque unité est indépendante. A Singapour, Coface est une entreprise chinoise. J'y étais récemment. Un de nos employés de là-bas, un Chinois, me dit : « Il n'est vraiment pas facile d'apprécier la situation es entreprises chinoises ». Et il me raconte son voyage au fond d'une province de l'ouest, le chef d'entreprise qui, en guise de bilan, sort un bout de papier graisseux sur lequel traînent quelques chiffres écrits au crayon. Mon collaborateur constate une erreur d'addition. Qu'à cela ne tienne, on gomme et on corrige.
Natixis a deux actionnaires : la Banque populaire et la Caisse d'épargne. Elle a plusieurs filiales ; elle a vendu Foncia, elle souhaite vendre la Coface. Rien à dire.
Les agences de notation. Que faut-il faire pour que cela marche ? Un contrôle sérieux par un organisme qui serait à Bruxelles, près de la BCE, ou, idéalement, du FMI pour atteindre un niveau mondial. C'est un rêve, pas très difficile à réaliser si l'on en a la volonté politique. Il serait illogique, en tout cas, que l'on ait un contrôle plus sérieux de ce côté-ci de l'Atlantique que de l'autre.
M. Aymeri de Montesquiou. - Votre exposé nous ravit et nous consterne. La notion de responsabilité n'arrive décidemment pas à franchir l'Atlantique !
Notre objectif est de trouver un équilibre entre la liberté d'entreprendre et la nécessité d'un gendarme qui fasse valoir qu'on ne peut écrire n'importe quoi sans s'exposer à des sanctions. Quelles pistes nous suggérez-vous ? La notion de sanction est-elle acceptable par les Anglo-Saxons, malgré le premier amendement américain ?
M. François David. - Il faut éviter l'agence d'État. Les Chinois en ont une, qui note AAA l'État chinois et moins bien les autres. Les Allemands travaillent sur ce sujet : ne prenons pas de retard. Je quitte la Coface dans deux mois et n'ai qu'un souhait, que mon successeur défende avec autant de pugnacité que moi-même le projet de nous transformer en agence de notation.
M. Aymeri de Montesquiou. - Qu'en dit-on là-haut ?
M. François David. - Le président de la République encourage le projet. Je souhaite pour ma part qu'on fasse des notations d'entreprises. C'est possible juridiquement, c'est une question de volonté politique. Sur les trois grandes causes de la crise des subprimes, on a enregistré des progrès au niveau des banques et des paradis fiscaux : rien à signaler, hélas, du côté des agences de notation. Début 2008, on a entendu quelques bonnes volontés pour réformer le système. Depuis, rien n'a été fait.
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - La Banque de France note les entreprises.
M. François David. - Ses méthodes de travail sont différentes des nôtres : la Banque de France regarde les bilans, nous nous fondons sur l'expérience de paiement.
M. Aymeri de Montesquiou. - Il est tout de même paradoxal que les agences fassent de telles marges et connaissent un tel succès alors qu'elles sont presque unanimement mises en cause. On vante leurs brillants cerveaux puis on les accuse de légèreté...
M. François David. - On constate il est vrai une sorte de monopole de fait, l'idée de Michel Barnier de supprimer les passages obligés n'ayant pas abouti. Quant aux cerveaux, je ne demande pas qu'ils soient brillants, mais le front bas comme moi, celui des assureurs, dotés d'une solide expérience.
M. Charles Revet. - Pas de rêveurs !
M. François David. - Il faut porter un regard statistique sur les choses. Sur quelles statistiques, éléments, preuves se fonde-t-on pour évaluer les Etats ? Aujourd'hui, c'est n'importe quoi.
Mme Frédérique Espagnac. - Vous dites que les agences de notation ne savent pas ce qu'elles notent : est-ce une question de méthodologie, de moyens humains ou parce qu'elles n'ont pas une information aussi riche que la vôtre ? Peut-être une combinaison de ces trois facteurs ?
Au cas où la Coface deviendrait une agence de notation française ou européenne, ses activités concerneraient les entreprises. Quid des produits structurés, qui sont à l'origine de la crise ? Quelle est votre valeur ajoutée en la matière ? Qu'en est-il de la notation des États, qui n'a actuellement aucun sens, comme vous l'avez souligné ? Un investisseur est bien obligé d'arbitrer entre un produit structuré, une OAT française ou un titre grec.
M. François David. - Nous suivons tous les jours, depuis des années, la situation financière des entreprises. Nous disposons d'une expérience accumulée du risque-client, que ne possèdent pas les agences puisqu'elles ne suivent pas une même entreprise pendant des années. Leur métier et le nôtre sont différents. Si elles se trompent, elles n'en subissent aucune conséquence. D'où leur légèreté.
M. Jean-Pierre Caffet. - Que préconisez-vous ? Réglementer la profession en l'obligeant à se doter d'une base statistique ?
M. François David. - Oui, le contrôle peut se fonder sur l'examen de la base statistique, à condition qu'on leur dise d'arrêter si elle est nulle. La loi Dodd-Frank dit qu'elles doivent la montrer, sans ajouter qu'elles doivent arrêter ou l'amender. Les agences papillonnent.
Si la Coface devenait une agence de notation, elle serait excellente sur les entreprises : c'est notre métier, nous savons faire. Nous notons aussi les États, à la demande de Bercy, quand il faut décider des primes sur les grands contrats, en fonction du risque. Nous menons des enquêtes approfondies sur les États, avec une équipe exceptionnelle. Nous échangeons avec le FMI et l'OCDE. Nous nous sommes très rarement trompés. Il suffirait d'étoffer notre dispositif et nous ferions cent fois mieux que les agences. Avez-vous lu le rapport de l'Espagnol et de l'Allemand que vous évoquiez sur la France ? C'est de la littérature romantique !
Là où nous avons un manque, c'est sur les produits structurés. Nous ne savons pas faire, mais nous devons pouvoir nous en approcher, avec un peu de travail, des cerveaux, de bons professionnels.
M. Jean-Pierre Caffet. - Personne ne sait ce que contiennent ces produits.
M. François David. - Ils mélangent du très bon et du moins bon. Les agences de notation n'ont jamais fouillé. City Bank disait que c'était bon, elles ont noté AAA 5000 véhicules financiers dont 90 % ont fait faillite un an après.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Que pensez-vous de l'échelle de notation des agences ? La vôtre est-elle différente ?
M. François David. - Je peux vous parler de la nôtre. Pour les pays, nous avons quatre notes, de A, la meilleure, à D, la moins bonne. La note A se décline de A1 à A4. Chaque année, nous tenons une grande réunion de conjoncture sur le risque pays, très médiatisée, où nous annonçons nos notations. Dans la semaine qui suit, les ambassadeurs qui estiment que leur pays n'a pas été évalué à la hauteur qui devrait être la sienne demandent à me voir. Un jour, je reçois l'ambassadeur du Soudan, dont vous imaginez la note, qui me serre énergiquement la main et me demande si je connais la note de son pays. Je lui dis oui. Il ajoute tout de go : elle devrait être encore pire !
L'Algérie est particulièrement vigilante quant à sa notation par rapport aux autres pays du Maghreb. Un jour, le président Bouteflika, en visite officielle à Paris, demande à me voir : il est « extrêmement mécontent » de la note de l'Algérie, qui n'est pas, selon lui, à la hauteur des liens historiques, des relations culturelles de nos deux pays, etc ». Je lui réponds que nous sommes des tâcherons, que nous ne regardons que l'expérience de paiement des entreprises, les défauts de recouvrement des créances, que lorsque ces critères seront améliorés, la note pourra sans doute être réévaluée, qu'il ne s'agit que d'une note technique et en aucun cas politique. « La Coface devrait faire preuve de tendresse », me dit-il, droit dans les yeux. « Voici un terme qui ne figure pas dans le dictionnaire de l'assurance-crédit », lui ai-je répondu.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Votre grille est plus réduite que celle des agences de notation, ce qui me paraît plus juste, moins suspect...
M. François David. - Elle comporte sept échelons.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Et pour les entreprises ?
M. François David. - Il y en dix, comme à la Banque de France.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous ne faites pas de publicité ? Les journaux ne parlent pas de vos notes. J'ai le sentiment que vous faites les choses sérieusement, techniquement, sans abuser de votre position d'évaluateur pour exister dans les médias. Tout le contraire des agences, qui distribuent des notes même à qui n'en veut pas. Qu'elles notent des entreprises, soit, les marchés font leur oeuvre. Mais les États, qui ne sont pas demandeurs ? Cela me gêne, d'autant qu'ils évoluent dans un environnement institutionnel empreint de subjectivité.
M. François David. - Lors de notre grande journée de risque pays, en janvier, sont venus MM. Baroin, Trichet, Lamy, Mme Lagarde, ce qui attire les médias. Nos notes pays sont consultables gratuitement sur notre site Internet. Nous sommes moins médiatiques que les agences, parce qu'elles intéressent les journaux, en raison de leur statut d'agences de notation. Le jour où nous l'aurons, nous ferons les news.
M. Aymeri de Montesquiou , rapporteur. - Qui paie ? Les entreprises qui vendent ou celles qui achètent ?
Mme Frédérique Espagnac , présidente. - Dans votre projet tendant à ce que la Coface devienne agence de notation...
M. François David. - En ce cas, ce ne seraient pas les entreprises notées mais les banques, les chambres de commerce, des tiers qui s'intéressent à ces entreprises, ce qui serait beaucoup plus sain que la situation actuelle.
M. Aymeri de Montesquiou , rapporteur. - Ce n'est pas Jules II : il ne s'agit pas de vendre des indulgences ! Vous avez renoncé à votre projet, Euler-Hermes aussi, pourquoi ?
M. François David. - Parce qu'il n'est pas apparu fondamental d'en faire l'un des quatre piliers de nos activités. Les Allemands ont considéré qu'il n'y avait pas de business-plan rentable.
M. Charles Revet. - Natixis est votre actionnaire unique. Pourquoi ne vous a-t-il pas suivi ?
M. François David. - Actuellement, la mode est à la synergie, au core-business. Il y a quelques années, c'était tout différent : Bolloré dit qu'il tire sa force de l'absence de synergie ! Le métier de Natexis, c'est la banque, pas l'immobilier (Foncia) ni l'assurance-crédit, qui ne lui a jamais amené un client dans une agence. Comme les banques ont besoin d'argent, en raison de Bâle III, elle veut vendre. Il faut attendre qu'un prix favorable résulte de la rencontre d'un acheteur et d'un vendeur.
M. Aymeri de Montesquiou , rapporteur. - Quand les agences dégradent le même produit de AAA à junk bond en moins d'un an, il y a...erreur !
M. Aymeri de Montesquiou , rapporteur. - Il y a aussi une responsabilité à assumer.
M. François David. - Elles ne savent pas ce qu'elles notent.
M. Aymeri de Montesquiou , rapporteur. - Elles n'ont jamais reconnu leur erreur !
M. Charles Revet. - Elles ont dit : « ce n'est pas de notre faute » !
M. Aymeri de Montesquiou , rapporteur. - « D'habitude, les prix des logements peuvent baisser un peu, mais pas autant, les hypothèques sont prises sur un bien et non sur plusieurs... »
M. François David. - C'est de la folie !
M. Charles Revet. - Avec quelles conséquences !
M. François David. - Aux Etats-Unis, l'Ohio a attaqué trois agences de notation, pour la note qu'elles avaient donnée à des obligations acquises que cet État avait acquises, qui se sont révélés catastrophiques et lui ont fait perdre 450 millions de dollars. Le tribunal l'a débouté, au motif qu'il s'agissait d'une opinion, protégée par le premier amendement. Des agences sont attaquées devant les tribunaux australiens par des municipalités qui ont acheté des produits sur la foi de leur note. Je ne sais pas ce que donneront ces procès...
M. Jean Bizet. - Pensez-vous que ce manque de crédibilité de certaines agences favorisera l'émergence d'acteurs plus sérieux, comme pourrait l'être la Coface ?
M. François David. - J'ai passé des dossiers à MM. Baroin, Musca, à Mme Lagarde, au président de la République. Tout d'un coup, notre unique actionnaire nous a dit d'arrêter, pour ne pas risquer de se brouiller avec les entreprises, ses clientes, en raison d'une note qu'elles jugeraient insuffisantes. J'ai essayé de convaincre M. Pérol, en vain. Il faut attendre que nous ayons un nouvel actionnaire. J'ai quelques idées...
M. Jean-Pierre Caffet. - Pouvez-vous être plus précis ?
M. François David. - Cela relève du secret des affaires.
Mme Frédérique Espagnac , présidente. - Nous vous remercions.
Importance de la notation dans les décisions d'investissement - Table ronde
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Commençons par les présentations !
M. Peter Etzenbach. - En charge des investissements d'Allianz France, je gère des actifs d'un montant de 80 milliards d'euros, dont un portefeuille important d'OAT.
M. Jürgen Gerke. - Je suis directeur financier d'Allianz France. Au-delà des frontières hexagonales, l'ensemble du groupe gère 1 200 milliards d'euros de fonds, dont 80 % en obligations.
M. Patrick Barbe. - En charge de la gestion obligataire européenne chez BNP Paribas, représentant 110 milliards d'euros, je traite de comptes de clients qui ont des mandats dans tous les pays.
M. Eric Le Coz. - Lilliputien à cette table, je ne gère « que » 50 milliards d'euros dont la moitié en obligations internationales, de tous pays, dont des émergents, y compris de façon « active ».
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Les membres de notre mission sont issus pour la plupart de la commission des finances, mais aussi des commissions de l'économie, des affaires européennes, du développement durable et de la culture.
M. Peter Etzenbach. - Pour nos investissements, les notations sont une référence à la fois absolue, car nous n'investissons pas en-deçà d'un certain seuil, et relative, car nous comparons les rendements d'investissements...
M. Jean-Pierre Caffet. - ...de notation équivalente.
M. Peter Etzenbach. - Oui. La notation, c'est aussi un signal d'alarme. Je ne suis pas au jour le jour chacune des composantes de mon portefeuille. Les agences de notation le font. La dégradation de la note de certains investissements lance un signal qui me permet d'agir ou non.
La notation me permet aussi d'évaluer les performances de mon équipe, en fonction de ses objectifs de rendement et de risques. La notation est utilisée pour notre communication interne et externe, pour montrer la qualité de notre portefeuille. Elle valide nos choix auprès de nos assurés. La notation sert enfin à développer notre capital économique, les règles de Solvabilité II évaluant nos besoins en capitaux en fonction de la notation des obligations que nous allons acheter.
En tant qu'investisseur, je suis satisfait des agences de notation, qui fournissent un travail important.
M. Jürgen Gerke. - Les agences nous notent aussi : nous devons leur expliquer comment marchent nos affaires. Les règles de Solvabilité II, de Bâle II et III font référence à la notation, qui joue un rôle clé dans notre méthodologie d'évaluation des risques.
Quand je me fais noter, je constate que les agences regardent le passé et très peu le futur. Elles manquent d'ouverture sur l'avenir. Elles ont dégradé certains Etats un peu tard, entérinant ce que le marché avait déjà pris en compte.
Solvabilité II nous soumet à des règles différentes de celles de l'autorité de contrôle prudentiel (ACP) en France. Notre vision du risque selon l'ACP n'est pas la même que celle des agences de notation.
On peut reprocher à la notation d'être procyclique : que le marché soit haussier ou baissier, elle en amplifie les mouvements, notamment en cas de dégradation, dans le cadre des règles qui nous sont imparties par Solvabilité II, Bâle II et III.
M. Patrick Barbe. - Les agences ont connu un grand succès. Tout le monde utilise leurs notations pour mesurer les risques. Il est vrai que les règlements internationaux ont accentué les phénomènes induits, d'autant que les intervenants sur les marchés et les investisseurs achètent des émetteurs en fonction de leur notation, sans examiner eux-mêmes les risques encourus.
Il y a cinq ans, le risque d'Etat dans la zone euro était nul, de même que le risque bancaire. Aujourd'hui, quand vous êtes investisseur, vous ne pouvez plus gérer les dégradations !
Les investisseurs posent toujours les mêmes questions, sur le risque qu'ils prennent sur les émetteurs publics. Les agences ont remplacé la recherche interne que tout investisseur est censé mener et qu'il faut réactiver. Tous les clients professionnels, du fonds de pension nordique à la banque centrale asiatique, qui ont des années de réserves devant eux, ont fixé leurs règles de gestion en fonction du rating : pas de limite pour le triple A, limite pour le double A, pas plus de 5 % pour le A, interdiction ensuite. C'est ainsi que l'Italie a été exclue. Les fonds d'investissement n'achètent plus le marché dans sa globalité. Les règles du rating ne sont pas adaptées aux risques d'État, fondamentalement différents des risques de faillite qu'assument les actionnaires d'une entreprise et qui doivent s'évaluer à long terme. Or prévaut un court-termisme procyclique hors de propos, conçu pour évaluer les risques industriels, y compris bancaires, d'autant que Bâle III change la donne.
Le problème n'est pas que les marchés vendent tel actif dont la note est dégradée, mais d'abord qu'ils cessent d'acheter. Le comportement des investisseurs, assez rationnel malgré tout, a changé : ils regardent la note, non pas tous les jours, mais avant d'acheter et si celle-ci n'est pas suffisante à leurs yeux, ils n'achètent pas. Or ils doivent évaluer non un mouvement de marché, mais un risque sur la durée.
Les émetteurs paient les agences de notation. Est-ce justifié ? Certains États refusent d'être notés par certaines agences. Sont-elles indépendantes ? Dès lors qu'elles deviennent une référence pour tout le monde, il faut changer, réguler. Leur méthode est adaptée pour les risques des entreprises industrielles, évalués rationnellement à partir d'un taux de défaut, correspondant au risque de faillite de l'actionnaire de l'entreprise en défaut de paiement. Il en va tout autrement pour les États, qui peuvent restructurer leur dette : c'est le créancier qui est le premier touché, et non l'actionnaire. Les méthodes des agences de notation sont biaisées, car elles sont fondées sur le principe selon lequel l'actionnaire passe d'abord. Au nom de quoi elles préconisent de réduire les dettes des Etats, de couper leurs dépenses budgétaires.
M. Eric Le Coz. - Nous nous référons très peu aux agences de notation. Nous nous ne pouvons pas nous en affranchir pour autant, puisque le marché reçoit des pressions pour s'aligner sur les notations. Le changement de notation d'un pays affecte l'ensemble du secteur du crédit privé de ce pays. Nous ne considérons pas qu'il s'agisse d'un indicateur de risque pertinent. En 23 ans d'exercice, pas un seul événement de crédit n'a touché nos portefeuilles obligataires.
Les agences de notation font leur travail à partir de l'information dont elles disposent, dans l'instant présent. Il est vrai qu'elles ne se tournent pas assez vers l'avenir. C'est un défaut de l'analyse crédit en général, qu'il faut compenser par des diligences particulières. Une perversité est advenue dans le système, illustrée par le fait qu'on n'investit plus en-deçà du triple B ou du A. Les notations ne doivent pas nous déresponsabiliser. Nous sommes payés pour étudier sérieusement nos choix et protéger nos investisseurs. Pourquoi ne pas acheter de la dette espagnole ou italienne ? Les rendements sont attractifs. Mais si cela va mal, si je dois en sortir, à qui vais-je revendre ? En cas de dégradation, plus personne n'aura le droit d'en acheter, je ne pourrai pas prendre ma perte ou changer mon fusil d'épaule. Le risque systémique n'est pas appréhendé par la notation. Le risque, c'est la note. La titrisation des emprunts hypothécaires américains, notés triple A, c'était merveilleux ! Les gens en achetaient, parce que c'était triple A et parce que cela rapportait 15 points de base de plus que les bons du Trésor américains. Nous ne l'avons pas fait, parce que nous ne comprenions pas ce que c'était. Mais nous aimons le risque. J'ai acheté de l'emprunt brésilien en 2002, un mois avant l'élection de Lula, à 28 % sur cinq ans en euros, parce que je suis allé au Brésil étudier le risque. Nous devons faire notre travail.
Les agences de notation donnent quelques indications qui peuvent être utiles pour évaluer nos pertes en cas de défaut, mais leur impact est démesuré, par l'application qui est faite de leurs notations.
M. Aymeri de Montesquiou , rapporteur. - Je suis surpris qu'elles demeurent un passage obligé. Vous soulignez un double emploi, qui a un coût : on consulte les agences, mais on doit faire ses propres analyses. C'est une déresponsabilisation que d'acheter en se fondant sur un triple A. La leçon est d'autant plus dure ! Pourquoi, après Enron, les subprimes, Lehman Brothers, est-on toujours obligé de passer par ces agences qui se sont extraordinairement trompées ? Vous avez fait votre propre analyse sur la situation du Brésil. Avec les agences, on a bâti un système déresponsabilisant. Personne n'a pris de mauvaises décisions ! On brandit le premier amendement : « Nos avis étaient des opinions ». On proteste que « Ce n'était pas de notre faute » !
Il serait intéressant de démonter cet échafaudage pervers. Vous l'avez dit : les agences se bornent à analyser le passé. Elles disent la température d'hier comme si cela aidait à prédire celle de demain. Malgré cela, tout le monde veut connaître leur opinion. Ce système est malsain !
M. Peter Etzenbach. - En tant qu'investisseur, je suis responsable de l'objectif de rendement qui m'est fixé, qu'il y ait des défauts ou pas, et quelle que soit la notation. Celle-ci vaut comme référence. Nous devrions accroître la responsabilité des agences de notation pour leurs erreurs. Celles qu'elles ont commises sur les prêts hypothécaires américains ont été grossières. Elles auraient dû les anticiper et leur responsabilité n'a pas été mise en cause.
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Estimez-vous avoir subi des préjudices du fait des agences de notation ?
M. Peter Etzenbach. - Oui, nous avons perdu de l'argent sur les prêts hypothécaires américains en 2007, ce que nous aurions pu anticiper. Mais nous ne sommes pas allés plus loin en demandant un remboursement aux agences, parce qu'elles n'en ont pas les moyens et que la réglementation ne le permet pas.
M. Jean-Pierre Caffet. - Sur les prêts hypothécaires, vous vous êtes donc contentés de faire confiance.
M. Peter Etzenbach. - C'est l'une des leçons que je tire de 2007 et l'un des reproches que l'on peut faire aux investisseurs. Nous ne refaisons plus ces erreurs : au moment de faire nos choix d'investissements, nous ne regardons plus les notations que comme de simples références.
M. Charles Revet. - Ces notations sont-elles faites à la demande de l'émetteur ou à la vôtre ? La légèreté illustrée par plusieurs problèmes survenus ces dernières années vous a-t-elle conduit à modifier votre relation avec les agences ?
M. Patrick Barbe. - Nous travaillons à partir de nos recherches internes, sans reprendre directement les ratings dans la mesure où ils ne sont que coïncidents et non prédictifs, et où les conclusions que l'on en tire sont discutables dès lors que l'on sait que les agences forment leurs analyses à partir des road shows des émetteurs et qu'elles ne peuvent pas faire un suivi régulier, ne serait-ce que des 500 émetteurs réguliers. Il faudrait que les agences soient payées par les investisseurs.
Le marché obligataire de la zone euro a été construit pour les besoins des émetteurs, l'investisseur n'y trouvant pas les placements répondant à ses besoins précis et se contentant d'y acheter des titres parce qu'ils sont liquides.
En tant que société de gestion, nous effectuons notre propre rating indépendamment de la banque, en nous projetant à un certain horizon, même si ensuite il nous fait justifier nos choix vis-à-vis de nos clients, notamment par rapport aux fameux ratings des agences alors même qu'elles n'ont pas vu arriver le problème de la Grèce ou ceux du secteur des télécoms en 2002-2003.
Où est-ce que cela coince ? Dans le fait que tous les régulateurs ainsi que les nouvelles règlementations sont basées sur le rating. Or si celui-ci a pu fonctionner pour le secteur industriel auquel un certain nombre de règles statistiques s'appliquent, tel n'est pas le cas pour les risques bancaires ou souverains. Comme l'a dit Eric Le Coz, si j'achète du papier de l'État italien je dois penser à la façon dont je vais le revendre si sa notation est abaissée à triple B.
M. Éric Le Coz. - Une perversité du système est que certains investisseurs tels que les fonds des banques ne comptabilisent pas leurs actifs en mark to market, mais inscrivent les titres dans leurs livres à leur valeur d'acquisition et les amortissent tranquillement. Cela donne ensuite lieu à des gains phénoménaux ou à des pertes lorsque l'on se sépare de ces titres. D'où le caractère pitoyable des stress tests bancaires. Si les acteurs étaient responsabilisés par l'obligation d'établir un prix réaliste, les marchés s'ajusteraient plus rapidement que les agences ce qui éviterait la découverte, plus tard, de situations catastrophiques ou de risques systémiques.
Jürgen Gerke. - Avec le risque de court-termisme et de procyclicité. La nécessité de prendre en compte la fair value nous conduit en effet à comptabiliser les actifs à leur valeur au jour de la clôture de l'exercice alors même que celle-ci peut être très fluctuante et que notre passif a une maturité allant jusqu'à 70 ans. Illustration du problème posé par cette valeur au jour le jour : suite à la dégradation de la note de la France, le spread avec le Bund allemand s'est, de façon surprenante, restreint.
Comment intégrer cette volatilité lorsqu'un client nous confie son épargne avec pour horizon la retraite de ses petits-enfants ? Pourquoi n'est-il pas possible de faire autrement ? Parce que nous sommes dans une économie mondialisée et qu'il se trouve que les agences de notation sont à même de fournir des notations connues de tous. Certes, ce système n'est pas sans lacunes, mais il fonctionne. Ce que l'on peut en revanche lui reprocher, c'est d'être un oligopole.
Les notations des agences sont aussi prises comme référence obligée par les réglementations telles que Bâle III ou Solvabilité II, dont les modèles évaluent l'OAT française au même niveau que la dette grecque, ce qui est absurde. Ces régulations ne fonctionnent pas pour les États car elles sont très court-termistes. Même si l'on s'efforce d'y coller des patchs palliatifs, cela ne marchera jamais. Il faudrait trouver un dispositif applicable aux investisseurs de long terme, distinct de ce qui fonctionne à court terme et qui convient aux banques.
M. Jean-Pierre Caffet. - La remise en cause du principe de l'émetteur-payeur, que vous recommandez, peut-elle, au-delà de la solution de conflit d'intérêts, constituer une véritable réponse aux lacunes fondamentales des agences de notation ? Quelles pistes recommanderiez-vous pour régler la question du lien entre notation et réglementation ?
M. Patrick Barbe. - Je préconise la responsabilisation de l'investisseur, qui est aujourd'hui dans une situation assez passive, tout en sachant qu'il n'étudiera pas tous les émetteurs et procédera à un tri sélectif. Dans la mesure où il y a contradiction entre le souci de l'émetteur concentré sur le court terme et celui des investisseurs à long terme, seuls ces derniers peuvent obliger à une clarification de la méthodologie appliquée aux Etats et aux banques. Si les critiques des agences de notation sur la zone euro ne sont pas injustifiées, l'on peut en revanche se demander pourquoi elles n'ont pas été formulées il y a cinq ans.
M. Aymeric de Montesquiou, rapporteur. - Notre commission des finances le faisait.
M. Patrick Barbe. - Il y a cinq ans c'était inaudible. Reste que, si l'on avait suivi notre méthodologie, l'Italie n'aurait pas été conduite à s'endetter autant. Idem pour les ABS qui vont être ingérables. Il y aurait eu un ajustement permanent entre les spreads et le rating.
Personnellement, je pensais même que, vu son niveau d'endettement, l'Italie n'entrerait pas dans la zone euro. De même, n'importe quel gérant aurait pu, depuis dix ans, vous parler de la crise immobilière espagnole. Cela s'est-il vu dans les notations ? Non.
Nous avons besoin d'une réglementation pour inverser les choses et mettre fin à une situation paradoxale où l'épargne existe mais ne s'investit pas comme il le faudrait.
M. Jean-Pierre Caffet. - D'après vous, si les agences de notation étaient responsables devant les investisseurs, cela fonctionnerait ?
M. Patrick Barbe. - Nous demandons plusieurs fois par an aux agences de s'expliquer sur leurs méthodes, dont nous constatons qu'elles ne sont pas stables dans le temps. Aujourd'hui, lorsque les taux d'intérêt montent, elles dégradent les États. Ce n'est pas injustifié mais elles ne le faisaient pas auparavant. Si les méthodes employées étaient stables, nous pourrions les expliquer à nos clients.
M. Aymeric de Montesquiou, rapporteur. - Avec beaucoup de courtoisie, vous dressez un réquisitoire assez dur contre les agences. Les propositions de réglementation européennes sont-elles, à vos yeux, satisfaisantes ou encore insuffisantes ? Si l'on faisait entrer une nouvelle agence, l'accueilleriez-vous favorablement ? L'idée de rotation vous semble-t-elle sérieuse ou est-ce un gadget ?
M. Peter Etzenbach. - Certaines des propositions faites fin 2011 sont pertinentes, à commencer par la plus grande responsabilité des agences.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Mais c'est impossible vis-à-vis des États-Unis. Il ne s'agirait donc que d'une position européenne et non mondiale, n'est-ce pas ?
M. Peter Etzenbach. - Oui.
Il y a aussi la réduction de l'importance accordée aux agences dans les exigences réglementaires. Ce serait une bonne chose puisque nous sommes en fait notés par des agences américaines. Mais par quoi remplacer le système actuel ?
Une rotation des agences ? Non, nous préférerions avoir le choix entre un plus grand nombre d'agences, dont une européenne.
M. Charles Revet. - Nous avons compris qu'avec la mondialisation, il fallait des agences de notation, que le système fonctionnait mal avec des conséquences extrêmement graves, mais qu'elles ne vont pas se réguler d'elles-mêmes. Vous en appelez au législateur, mais que faire et à quel niveau, mondial, européen, ou national ?
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Souhaitez-vous une réglementation européenne ?
M. Éric Le Coz. - Je n'aurais pas plus confiance dans une agence européenne que dans une agence américaine. Comme l'a dit Patrick Barbe, nous n'avons pas confiance dans la méthodologie qui n'aboutit qu'à donner une photographie à un instant donné, sur la base de données partielles et sans prendre en compte les éléments dynamiques.
Ces informations appellent un travail d'analyse que beaucoup de gens ne font pas, ce qui crée des opportunités dans les deux sens. Certes, les agences n'ont pas vu arriver un certain nombre de crises, mais elles n'ont pas non plus prévu l'amélioration de la situation de l'Indonésie. Il suffit simplement que nous fassions proprement notre travail. Je souhaiterais que les régulateurs affranchissent les investisseurs institutionnels des contraintes de prise en compte des notations et ainsi les responsabilisent.
Les dettes souveraines sont par définition nationales. Si, après les élections du 6 mai, la Grèce nous quitte, nous nous retrouverons avec des drachmes...sauf peut-être pour la partie de la dette qui a été restructurée. Si les agences ne regardent pas de telles questions, nous ne pouvons pour autant pas en faire abstraction.
La création d'une autre agence ne me semble pas la solution. Vous avez un GPS et vous pouvez lui faire confiance bien que le gouvernement américain soit derrière ; mais cela ne vous dispense pas de garder les yeux ouverts sur la route. Ici, c'est la même chose : il faut responsabiliser les acteurs ! Nous achetons tous les jours des obligations non notées. Elles sont un peu moins liquides, mais si nous faisons notre travail correctement, il y a des opportunités phénoménales.
M. Jürgen Gerke. -Au plan économique, nous sommes mieux avec des agences de notation que sans, même s'il convient d'apporter de nombreuses améliorations.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Vous estimez donc que les agences de notations sont nécessaires ?
M. Jürgen Gerke. - Oui, d'une façon ou d'une autre, il faut une market place produisant une information disposant d'une certaine légitimité pour être utilisée dans le cadre d'une économie globalisée. Mais, il faut une cohérence entre les modèles et les règles, notamment celles posées par IFRS, Bâle 2, Bâle 3 ou encore Solvabilité 2.
Au plan politique, le bon niveau est européen. Chez Allianz, nous croyons que, pour garder l'euro, il faut une centralisation des décisions budgétaires, fiscales et sociales à Bruxelles et non plus à Berlin, Paris ou Athènes et ce, même si ce n'est pas ce que les opinions et les responsables politiques ont en tête. La réalité actuelle est celle d'une guerre économique entre la Chine, l'Europe et les Etats-Unis. Or, 3 arbitres sur 4 sont américains. Que dirait-on si l'arbitre d'un match PSG-OM venait du PSG ? La solution doit être apportée au niveau de l'Europe, qui est encore la première zone économique mondiale. Il ne s'agit pas seulement d'avoir une agence de notation européenne mais de peser de tout notre poids. Cela suppose notamment que le régulateur européen qui a inventé Solvabilité 2 ne tire pas dans le pied qui nous reste pour danser la valse avec les américains qui, eux, ne l'appliquent pas.
M. Éric Le Coz. - C'est la position de Mme Merkel et de l'Allemagne. L'Union européenne telle que nous l'avons connue depuis 1999, c'est fini. Soit nous sommes capables d'inventer une nouvelle union monétaire - c'est-à-dire aussi économique et fiscale - soit on fait tourner la planche à billets pour imprimer des francs.
M. Charles Revet. - Dans la mesure où la Constitution américaine interdit les recours contre les agences au motif qu'elles n'émettraient que des opinions, l'Europe pourrait-elle, à l'inverse, adopter des dispositions qui les autorisent ?
M. Éric Le Coz. - On accuse les agences de notations américaines de s'en être prises à un certain nombre de pays, mais n'oublions pas que, tout américaines qu'elles soient, elles ont commencé par dégrader la note des États-Unis.
M. Charles Revet. - Il faut prendre en compte les conséquences de ces décisions.
M. Éric Le Coz. - Ce ne sont que les résultats des gabegies passées.
M. Charles Revet. - Vous dites que les agences doivent être plus responsables mais comment fait-on et qui le fait ?
M. Jean-Pierre Caffet. -Que faut-il changer dans des réglementations comme Bâle 2 et Bâle 3 ?
M. Peter Etzenbach. - Pour Solvabilité 2, le principal enjeu est l'évaluation du risque souverain, les risques français, portugais ou grec étant aujourd'hui considérés comme de même niveau.
M. Jürgen Gerke. - Solvabilité 2 est un animal conçu avant la crise pour une application aujourd'hui et dont on sait qu'il ne marchera pas. On colle des patchs un peu partout pour le rendre viable. C'est un hybride et nous devons faire avec, ce qui est loin d'être idéal. Compte tenu de ses nombreuses lacunes, je pense qu'il faudrait revenir sur l'ensemble du dispositif.
M. Patrick Barbe. - Beaucoup de régimes de retraite ont défini des règles de risques fondées sur des modèles applicables aux risques industriels mais non valables pour les banques ou les États. Il y a actuellement un risque puisque chacun achète les titres des banques de son pays et de son État, les analyses permettant le rating de ces titres étant d'ailleurs particulièrement difficiles compte tenu des changements qui les affectent. Dés lors, on peut faire aux agences le reproche d'avoir décerné des notes alors qu'il existe des incertitudes.
Le vrai problème de la zone euro est que les comptes publics n'y sont pas présentés de façon homogène, ce qui oblige à un gros travail de recherche que tout le monde ne fait pas. Les choses seraient bien plus simples si ces comptes étaient harmonisés.
La BCE, censée contrôler les banques centrales de la zone euro, a un rôle déterminant à jouer en matière de définition des règles. Les agences et les législations nationales s'ajusteront ensuite en fonction de celles-ci, notamment des règles de collatéral sur les prises en pensions qui constituent une menace pour les banques espagnoles et italiennes ayant acheté trop de titres de leurs propres Etats. Est-il normal que, la BCE accorde, sur la base de ratings effectués par d'autres, des financements qui dépassent aujourd'hui 1 000 milliards d'euros ? La zone euro ne devrait-elle pas s'assumer ? En Asie, on nous demande d'ailleurs pourquoi nous ne régulons pas nous-mêmes la zone euro avec notre banque centrale.
M. Éric Le Coz. -Les États espagnol et irlandais avaient des finances saines a priori. Il n'y a pas matière à attaquer les agences de notations sur leur travail, mais plutôt à s'interroger sur le fonctionnement global de l'économie de ces pays, y compris les acteurs privés, qui, du fait des failles dans la construction de la zone euro, a conduit à faire basculer l'endettement privé vers une dette publique devenue excessive. Avec davantage d'agences ou de règles, les mêmes bonnes notes auraient été attribuées à ces pays. N'accordons à ces agences plus d'importance que les photographies qu'elles nous donnent à voir.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Pourquoi, lorsqu'elles ne disposent pas de tous les éléments, les agences ne disent pas simplement qu'elles ne savent pas faire ?
M. Éric Le Coz. - C'est pour cela qu'il faudrait que les investisseurs prennent l'initiative des notations : parce qu'évidemment c'est une question que nous leur poserions.
M. Jean Bizet. - La mondialisation fait désormais partie de notre quotidien. Lorsque nous avons créé la monnaie unique, nous avons commis l'erreur collective de ne pas prévoir davantage de coordination de nos politiques économiques, ce qui devrait être corrigé grâce au mécanisme européen de stabilité.
M. Éric Le Coz. - Si tout le monde ratifie le traité.
M. Jean Bizet. - Cela devrait fonctionner à partir de douze États, le refus de l'un d'entre eux de s'engager dans l'équilibre budgétaire serait un très mauvais signal adressé au marché.
Toujours est-il qu'une pièce manque dans ce puzzle : une agence de notation européenne avec une méthodologie différente. Il faudrait aussi changer le fonctionnement de la BCE. Nous ne pouvons pas en rester à l'article 13 du traité sur l'Union européenne. Mais chaque chose en son temps, les Allemands ne nous permettront pas de changer les statuts de la BCE tant que nous n'aurons pas démontré plus de vertu.
Je n'ai pas le sentiment que vous, investisseurs, soyez très demandeurs de l'agence européenne que l'on vous apporte pourtant sur un plateau. Je m'interrogeais sur sa crédibilité face aux trois grandes agences anglo-saxonnes mais, au vu des imperfections de ces dernières, a-t-on le choix ? L'Europe n'évolue que lorsqu'elle est face au précipice.
M. Patrick Barbe. - Plus il y a de concurrence entre les agences, mieux c'est. Pour autant, je ne suis pas convaincu que cela change la donne, si l'on n'a pas une norme de risque universelle. L'important c'est la méthodologie, la qualité des données surtout lorsqu'il s'agit de risques souverains.
M. Jean Bizet. -L'Union européenne pourrait le faire...
M. Patrick Barbe. - Le nouveau mécanisme d'alerte fondé sur une dizaine de critères, dont la balance courante, apporte effectivement des critères de prévision relativement précis qui faisaient jusque lors défaut.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Nous avons auditionné avec beaucoup d'intérêt le président de la Coface. Pensez-vous que celle-ci pourrait être une agence de notation, bénéficiant de surcroît d'un background structuré et renforcé ?
M. Peter Etzenbach. - C'est une question un peu délicate pour nous car le groupe Allianz possède Euler-Hermes, entreprise cotée à Paris qui réalise 40 % du marché mondial de l'assurance crédit, partagé avec la Coface et l'espagnol Atradius. Cet oligopole représentant environ 85 % du marché mondial, vous retrouvez à peu près le même oligopole que chez les agences de notation. Le groupe Allianz a estimé qu'il n'était pas opportun de créer une agence de notation au sein d'Euler Hermes, sachant toutefois que nous en possédons déjà une, Hermes rating, qui travaille sur demande des investisseurs selon un modèle économique spécifique. Si nous utilisions toutes les données de cette société, il y aurait nécessairement un conflit d'intérêts, à moins que l'on ne mette en place des cloisons étanches. Le même problème se poserait pour la Coface, qui intervient à la fois pour son propre compte et pour celui de l'État. Certes, elle serait bien placée pour jouer ce rôle au vu des connaissances économiques dont elle dispose mais, du point de vue éthique, ce ne serait pas satisfaisant.
Il faut construire une structure à part. Tel est le choix que nous avons fait. Même si d'autres solutions avaient été esquissées, notamment par l'Union européenne il y a vingt ans, comme de créer une Exim bank européenne. Si ce projet avait été mené à bien, nous n'aurions pas cette discussion aujourd'hui.
Mme Frédérique Espagnac Nous vous remercions.
Audition de M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF)
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Je vous remercie d'avoir accepté de répondre à notre invitation. Je vais vous laisser la parole pour une intervention liminaire puis les sénateurs présents vous poseront des questions complémentaires.
M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF). - Merci beaucoup pour votre invitation à venir m'exprimer dans le cadre de votre mission d'information relative aux agences de notation.
Depuis le début de la crise, ces agences ont connu une ascension sur le baromètre de la notoriété. Si les gens connaissent leurs banques, ils ont aussi découvert en quelques mois ces autres acteurs des marchés financiers. Le « triple A » est devenu fin 2011 un sujet de conversation courante.
Cette notoriété s'est encore renforcée avec les diagnostics erronés dressés sur les produits subprimes. Nous avons tous entendu parler de l'excellente notation de Lehman Brothers quelques semaines avant sa faillite.
Toutefois, il serait facile de jeter l'anathème sur ces agences car quelles que soient les critiques souvent légitimes que l'on peut porter sur leurs actions, elles ne sauraient être tenues pour les seules responsables ni même les principales responsables des crises financières successives. Les responsabilités sont partagées. Les décideurs ont accordé une importance excessive aux notations en les plaçant au coeur de leurs décisions économiques et politiques. Les investisseurs ont fait de ces notations un critère ultra dominant dans leurs choix d'investissement. Et les régulateurs bancaires et financiers ont consacré le recours aux notations dans leurs propres réglementations.
Ces agences n'ont fait que combler un vide laissé par les investisseurs, qui ont délaissé l'analyse technique des risques, et par les entreprises, qui ont réduit les fonctions de conformité et de contrôle interne. Dans son rapport de 2009 sur les agences de notation, l'AMF appelle à une « désintoxication de la notation », en encourageant les investisseurs à réaliser eux-mêmes leurs propres analyses, en particulier lorsqu'ils investissent dans des produits structurés. Il est essentiel que chacun, banques et investisseurs institutionnels, remplisse pleinement son rôle en matière d'analyse des risques.
Je vais d'abord vous préciser quel est le rôle de l'AMF avant d'indiquer quels progrès ont été réalisés en ce qui concerne l'encadrement de l'activité des agences de notation.
En application de la loi de sécurité financière du 1er août 2003, l'AMF publie annuellement un rapport sur le rôle des agences de notation, leurs règles déontologiques, la transparence de leurs méthodes et l'impact de leur activité sur les émetteurs et les marchés financiers. En 2011, L'AMF a ainsi publié son septième rapport. L'AMF n'a eu de cesse de plaider pour une réforme ambitieuse de la régulation des agences de notation, et ce bien avant la crise de 2008. Ainsi avions-nous attiré l'attention sur certains aspects préoccupants des transferts de risques réalisés dans le cadre de la titrisation et sur le caractère inapproprié du système de notation des produits de financement structuré. A notre initiative, l'organisation internationale des commissions de valeur (OICV) a engagé des travaux conclusifs sur le rôle des agences de notation dans le cadre de la notation de ces produits, travaux conduits en étroite coordination avec le Forum de la stabilité financière.
La loi de sécurité financière nous a donné toute latitude pour inclure dans nos rapports des développements sur les sujets qui nous paraissent pertinents d'un point de vue économique. A titre d'exemple, notre rapport de 2006 s'est focalisé sur la notation des fonds d'investissement et des sociétés de gestion. En 2010, notre rapport s'est intéressé aux notations souveraines. La notation des crédits aux entreprises a fait l'objet d'une partie dans chacun des sept rapports.
Depuis l'adoption du règlement européen de décembre 2009, les agences sont soumises à une procédure d'enregistrement. Durant l'été 2010, les demandes d'enregistrement ont été transmises au Comité européen des régulateurs de marchés de valeurs mobilières (CESR) et instruites individuellement par les autorités nationales compétentes. L'AMF a été désignée, pour la France, comme autorité compétente pour l'enregistrement et la supervision des agences. Un collège d'autorités compétentes a été mis en place pour permettre un examen conjoint des demandes d'enregistrement. J'insiste sur ce point important à mes yeux : ce n'est pas l'AMF, pour les agences établies en France, qui a décidé seule mais bien un collège de régulateurs européens.
Cette procédure d'enregistrement s'est déroulée en deux phases principales : d'abord, une phase d'examen de l'exhaustivité du dossier, puis une phase d'examen de la conformité du dossier au règlement européen et aux recommandations que le CESR, prédécesseur de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), avait publiées en juin 2010.
Les filiales nationales des trois principales agences, Standard & Poor's, Fitch Ratings et Moody's, ont été enregistrées par l'AMF pour la France. De même, elle a « certifié » l'agence japonaise JCRA qui n'a pas de présence en Europe.
Depuis le 1er juillet 2011, la supervision des agences relève de la compétence de l'AEMF, dont vous avez auditionné le président, M. Steven Maijoor. Il n'est donc pas utile que je revienne en détail aujourd'hui sur les compétences de l'AEMF.
Dans le cadre de notre mission relative aux abus de marchés, le secrétaire général de l'AMF peut décider d'ouvrir une enquête. Cela a été le cas en 2011, après que Standard & Poor's a indiqué avoir diffusé par erreur, le 10 novembre, à certains de ses abonnés, un message faisant état d'une dégradation de la note de crédit de la France. A ce jour, l'enquête est toujours en cours. Je tiens toutefois à préciser que toutes les questions touchant à l'organisation des agences et à l'application de leur méthodologie sont de l'entière compétence de l'AEMF.
J'en arrive à la question de la réforme de la réglementation applicable aux agences.
Nous connaissons tous les reproches faits aux agences : une situation d'oligopole ; une absence historique de régulation du secteur, portant sur la méthodologie, le mode de financement, le niveau de transparence des agences ; un problème de conflit d'intérêts structurel, les agences étant payées par l'émetteur du titre qu'elles notent ; un effet « pompier pyromane », puisque chaque information négative tend à renforcer la crainte des investisseurs de sorte que chaque dégradation de notation a un impact fort et cumulatif. La dégradation d'une note aggrave la difficulté à rembourser la dette.
Les Etats-Unis ont pris de l'avance dans la mise en place de mesures concernant les agences de notation. Dès 2006, des procédures d'homologation des agences auprès de la Securities Exchange Commission (SEC) ont été mises en place, au titre du régime des « Nationally Recognized Statistical Rating Organisations » (NRSRO). Puis, la loi Dodd-Frank a renforcé les missions et moyens de la SEC dans son rôle de supervision des agences. Mais on a aujourd'hui le sentiment que le Congrès ne souhaite pas aller beaucoup plus loin en matière de règlementation des agences.
L'Europe a rattrapé très vite son retard sur les Etats-Unis. Une série de mesures ont été prises : publicité des méthodes d'évaluation et des documents sur lesquels les agences ont travaillé ; notation des produits complexes avec un symbole clairement distinct de celui utilisé pour la notation de la dette des Etats ; interdiction d'exercer le métier de conseil ; rotation interne des analystes tous les cinq ans.
En novembre, Michel Barnier a présenté de nouvelles pistes de réforme. Le premier principe est celui de la « désintoxication », en particulier par le déréférencement réglementaire. Il faut toiletter les textes européens qui font référence à la notation des agences. Le deuxième principe est la clarification de la responsabilité civile des agences. De nombreux émetteurs privés que je rencontre demandent qu'il soit possible de mettre en cause la responsabilité des agences lorsqu'il y a une erreur sur la notation d'une entreprise ou d'un titre.
Plus concrètement, les principales propositions en discussion parmi les Etats membres et avec le Parlement européen sont :
- l'obligation pour les agences de rendre public leur rapport et de prévenir tout émetteur, y compris les gouvernements, vingt-quatre heures avant la sortie d'une note ;
- un régime harmonisé de responsabilité civile pour faute lourde ;
- l'obligation pour les produits de finance structurée d'être notés par au moins deux agences ;
- l'obligation de publier une note pondérée indiquant la part des différents facteurs ;
- l'interdiction aux acteurs possédant une participation de plus de 5 % d'une agence de se faire noter par elle.
D'autres dispositions restent en discussion, notamment la rotation des agences. Par cette mesure, la Commission européenne souhaiterait ouvrir le jeu et introduire plus de concurrence, ce qui n'est pas du goût de toutes les agences.
L'objectif est de parvenir à une orientation générale lors du conseil ECOFIN de mai. Côté Parlement européen, les discussions se feront a priori en commission ECON le 24 avril avec un vote le 21 mai et un passage en séance plénière en juillet.
Quant au concept de « désintoxication », une réflexion est en cours sur les moyens d'éviter le recours mécanique aux notations et de réduire la dépendance aux agences, en particulier dans la réglementation existante. Mais il faut garder à l'esprit que s'il est possible de mettre en oeuvre un déréférencement des agences dans certaines normes sectorielles, la difficulté réside dans les alternatives envisageables en pratique. Les investisseurs et les banques devraient développer leurs propres capacités d'analyse crédit, mais ils n'en ont pas toujours les moyens. On peut souhaiter à tout le moins que les informations nécessaires à une analyse complète soient mises à leur disposition de la même manière qu'elles le seraient pour une agence. Il y a là un véritable souci de traitement « égal et équitable » dans la transmission d'informations essentielles.
S'agissant de la notation des dettes souveraines, l'enjeu est de réfléchir aux critères de notation, qui doit reposer sur les fondamentaux économiques et non sur les conditions de marché ou sur des analyses géopolitiques générales. Le but n'est pas de codifier les méthodologies des agences, mais que les agences indiquent quelle est leur méthodologie, les modifications qu'elles y apportent, la pondération entre les différents critères et que les Etats en soient informés.
Si la critique envers les agences de notation est légitime, la dénonciation ne suffit pas. Elles sont des thermomètres qui mesurent la fièvre des marchés, mais ce thermomètre a pris aujourd'hui trop de place et sa fonction a été surévaluée. Le député européen Pascal Canfin, qui soutient un encadrement strict des agences, a dit justement « qu'un thermomètre ne porte aucun diagnostic, ne fait aucune recommandation et ce n'est pas le cas des agences de notation ». Le rôle joué par les agences dans les différentes crises est le symptôme d'un système financier malade de son opacité. La réforme des agences de notation doit donc s'inscrire dans le cadre plus global d'une refondation de notre système financier.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Vous avez la réputation d'être un homme compétent et rigoureux mais peut-être êtes-vous aussi un peu indulgent...
Je pense en effet que les agences de notation ont été à l'origine de véritables catastrophes et qu'elles ont commis des erreurs d'analyse dramatiques. Pourtant, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, il est encore indispensable de s'adresser à elles pour avoir accès aux marchés financiers ! Il me paraît aujourd'hui nécessaire de réagir face aux excès de la haute finance et d'envisager une réforme de grande ampleur du système financier.
Les agences doivent être davantage responsabilisées car, à l'évidence, elles ne se contentent pas d'émettre des opinions. Une régulation renforcée doit être mise en place mais elle ne peut l'être qu'à l'échelle internationale, sans quoi des déséquilibres apparaîtraient. A cet égard, le Fonds monétaire international (FMI) ne pourrait-il pas jouer efficacement le rôle de « juge de paix » ?
Par ailleurs, l'AMF, qui rédige un rapport annuel, n'aurait-elle pas pu mieux anticiper les problèmes que nous connaissons et jouer un rôle d'alerte ? Concernant la fausse information diffusée par Standard & Poor's, qui a pu avoir des conséquences financières sérieuses, que va-t-il concrètement se passer ? Enfin, est-il acceptable qu'une équipe composée de seulement deux analystes étrangers, basés l'un à Madrid l'autre à Francfort, prétende noter la dette de la France ? Nous avons auditionné ce matin M. François David, président de la Coface, qui nous a indiqué que son entreprise disposait d'une expertise bien plus solide pour la notation de la dette des Etats ou des entreprises.
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - A quelle échéance pensez-vous conclure l'enquête ouverte au sujet de la fausse information diffusée par Standard & Poor's en novembre dernier ?
M. Jean-Pierre Jouyet. - Comme le rapporteur, je suis persuadé qu'il est indispensable de rendre les agences de notation plus responsables. Il n'est pas normal que des agences américaines qui exercent en Europe s'abritent derrière le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis pour nous dire qu'elles émettent de simples opinions. Le prix de l'indépendance, c'est la responsabilité. Il n'est pas concevable que les agences veuillent à la fois être indépendantes et irresponsables.
L'AMF aurait-elle pu sonner l'alarme plus tôt ? En réalité, avant 2008, nous n'avions pas les moyens d'encadrer la méthodologie des agences ni de contrôler leurs éventuels conflits d'intérêts. Le précédent commissaire européen en charge du marché intérieur, M. Charlie McCreevy, était opposé à la régulation financière, ce qui nous a fait perdre cinq années dans ce domaine. Nous ne sommes cependant pas restés inertes : responsable du bon fonctionnement des marchés financiers, l'AMF a ouvert des enquêtes sur les relations entre certains émetteurs et leurs agences de notation. Un grand émetteur français s'est plaint par exemple du traitement que lui avait infligé une agence de notation, notamment en matière de délai d'information. Nous avons mené une enquête et envoyé nos observations à l'agence. Par ailleurs, une enquête est en cours sur l'information erronée diffusée par Standard & Poor's. La directrice des enquêtes qui m'accompagne vous apportera des précisions à ce sujet.
Le agences de notation rendent possible la comparaison internationale des titres de dette, ce qui leur donne un pouvoir considérable dans le cadre de marchés financiers globalisés. Mais elles doivent être contrôlées et régulées car leur activité ne se limite pas à celle d'un thermomètre qui mesurerait un risque de défaut. Parfois, le thermomètre fait monter la fièvre. Une réforme ne peut cependant être décidée au niveau national mais seulement à l'échelle européenne.
Concernant la notation de la dette souveraine, on peut réfléchir à la création d'une fondation, qui assumerait la fonction d'un juge de paix. Vu les conséquences de la notation sur les choix démocratiques des Etats, l'instance qui les note doit être une autorité crédible et incontestable.
En tant qu'européen, je me dois enfin de réagir à votre dernière remarque concernant la nationalité des analystes qui notent la dette française. Je ne crois pas que des analystes étrangers soient moins bien placés que des Français pour noter notre dette souveraine. Je puis vous dire qu'à l'AMF nous rencontrons régulièrement des équipes du FMI, composées d'experts étrangers, qui connaissent parfaitement le dossier de la régulation des marchés financiers en France. La nationalité n'est donc pas à mes yeux un problème.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Ce n'est pas la nationalité des analystes qui me gêne mais le fait qu'ils soient basés à l'étranger : il me semble qu'ils percevraient mieux la situation s'ils résidaient en France.
Mme Sophie Baranger, directrice des enquêtes et de la surveillance des marchés à l'AMF. - Je me trouve dans une position délicate dans la mesure où les enquêtes diligentées par l'AMF sont secrètes, ce qui ne me permettra sans doute pas de répondre à toutes vos questions. Concernant la fausse information diffusée par Standard & Poor's en novembre dernier, je peux vous indiquer que notre enquête vise d'abord à répondre à deux grandes interrogations : la diffusion de cette information était-elle vraiment une erreur, comme l'affirme Standard & Poor's ? Et des positions opportunes ont-elles été prises pour bénéficier de la diffusion de cette information ? Les investigations se poursuivent et notre objectif est d'aboutir d'ici à la rentrée.
M. François Fortassin. - Je voudrais donner le point de vue d'un élu de base sur les agences de notation. J'ai le sentiment, en écoutant nos auditions, que les agences vivent dans un monde virtuel mais qui a des conséquences bien réelles pour la population. J'ai peur que la démocratie elle-même soit en danger, en raison de la désespérance d'un nombre grandissant de nos concitoyens. Nous en sommes tous collectivement responsables. Il y a des périodes historiques où il faut savoir se révolter. Je suis pessimiste sur l'action des agences de notations compte tenu de toutes les informations qui nous sont communiquées.
M. Jean-Pierre Jouyet. - Je comprends ce que vous dites. Au cours de l'année écoulée, nous avons assisté à la crise de la dette souveraine, que l'on ne saurait cependant imputer entièrement aux agences de notation : il y a eu aussi des dérives de la part des Etats, des tromperies sur les comptes, tout n'est donc pas blanc ou noir.
Mais il est vrai qu'il faut davantage encadrer les agences, vérifier leur méthodologie et s'assurer que leur évaluation s'appuie bien sur les fondamentaux. Ce qui me frappe ces derniers mois, ce sont les variations de notes qui se sont produites. Or, un changement de note sur la dette souveraine a des conséquences sur l'ensemble des acteurs financiers puis sur les entreprises. Il a donc une dimension systémique, qui dépasse son effet sur la seule dette de l'Etat.
Alors que l'Italie était jugée dans une situation passable, du point de vue de la dette, en juin dernier, sa situation était considérée comme catastrophique au mois d'août ! Il n'y a pourtant pas eu de modification de ses fondamentaux. Ce qui a changé est seulement le jugement porté sur sa situation politique. Je suis de même frappé par ce qui s'est passé en début de semaine sur l'Espagne : alors que le gouvernement espagnol vient de présenter des mesures de redressement, dont on peut certes discuter, je suis surpris que les agences choisissent ce moment pour mettre ce pays sous surveillance, alors que sa situation objective n'a en rien changé.
On ne peut isoler le problème posé par les agences de la dégradation, plus générale, du fonctionnement des marchés. On est allé trop loin dans la désorganisation des marchés financiers, qui se caractérisent par l'absence de confrontation transparente de l'offre et de la demande, 50 % des transactions échappant aux régulateurs. Le rôle central occupé par les agences est un symptôme de ce dérèglement, qui peut poser un problème démocratique : les citoyens n'accepteront pas que perdurent indéfiniment des opérations de marché opaques, désordonnées, avec des effets systémiques mal compris.
M. Jean Bizet. - L'ampleur des dettes souveraines, dans un contexte de globalisation financière, nous place dans une situation difficile. Les notes des agences américaines ayant des effets induits importants sur nos économies, je me demande s'il n'y a pas là, en arrière-plan, une guerre économique qui ne veut pas dire son nom. N'est-il pas temps de créer une agence de notation européenne, dotée d'une expertise et d'une méthodologie qui nous éviteraient de reproduire les erreurs des agences actuelles ? Si l'on réformait, de surcroît, le statut de la Banque centrale européenne (BCE), nous pourrions envisager l'avenir avec plus de sérénité. Depuis la création de la monnaie unique, qu'il fallait mettre en place, nous sommes pénalisés par le manque de coordination des Vingt-Sept en matière de politique économique. S'il est vrai que l'Europe attend souvent d'être au bord du précipice pour se réformer, je crains que celui qui est devant nous ne soit le dernier.
M. Jean-Pierre Jouyet. - Je suis d'accord pour dire que nous avons une responsabilité collective, mais ce qui m'intrigue c'est le moment choisi pour dégrader une note. L'été dernier, la note de certains Etats européens a été dégradée, ce qui a eu des répercussions sur les banques, puis, au début du mois de septembre, l'alimentation en dollars de plusieurs banques européennes et françaises a été coupée, ce qui a entravé le financement de grands projets d'infrastructures ou industriels, qui ont ainsi été laissés aux banques américaines. Il y a donc eu des attaques tendant à une déstabilisation, dont le résultat est qu'une crise née aux Etats-Unis s'est finalement développée en Europe.
M. Jean Bizet. - Vous êtes l'un des rares à dire les choses aussi clairement.
M. Jean-Pierre Jouyet. - J'ai pour habitude de dire les choses assez clairement, ce qui me vaut parfois des compliments mais aussi des critiques...
Pour sortir de la nasse dans laquelle nous nous trouvons, je pense que nous devrions mettre en place un vrai gouvernement économique européen, avec un Trésor européen, une agence de la dette européenne et des titres européens, peut-être pas des eurobonds dans l'immédiat, mais des project bonds par exemple.
Une agence européenne de notation devrait plutôt avoir le statut d'une fondation. Créer une agence publique serait en effet une opération coûteuse, que ni le budget européen ni les budgets des Etats membres ne permettraient de financer ; par ailleurs, une agence européenne qui ne serait pas certifiée aux Etats-Unis n'aurait guère plus d'influence que l'agence chinoise...Une fondation serait donc mieux à même de jouer le rôle de juge de paix.
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Vous avez indiqué que le rôle de juge de paix pourrait être assumé par une fondation ou par le FMI. Laquelle de ces deux formules aurait votre préférence ?
M. Jean-Pierre Jouyet. - Dans un système idéal, ce serait le FMI qui serait chargé, en dernier ressort, de l'observation des Etats. Aucune décision ne pourrait être prise sur les marchés avant certification par le FMI. Cela n'empêcherait pas la BCE de jouer le même rôle dans la zone euro, avec une articulation entre des organismes régionaux et le FMI à l'échelle internationale. Obtenir un accord sur ce sujet serait difficile, nos amis anglo-saxons n'étant pas forcément partisans d'une telle évolution, mais je pense que c'est un dossier qui mérite que l'on prenne une initiative.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Je voudrais revenir sur un point qui a été abordé précédemment. Quand on emprunte une voie en sens interdit, on s'expose à une sanction, que la faute ait été commise volontairement ou non. Quand la faute existe, il faut la sanctionner ! Les effets d'une dégradation de la notation sont de grande ampleur. En Grèce, les contribuables qui s'acquittent de leurs impôts sont pénalisés. Et au nom de quoi décrète-t-on qu'en Italie tout va bien au mois de juin et qu'en août, c'est la catastrophe ! Peut-on penser qu'il n'y a pas assez de bons analystes dans les agences ? Comment des entreprises comme Enron ou Parmalat, qui étaient bien notées, ont-elles pu faire faillite sans que les agences l'anticipent ? Elles ont bien une responsabilité dans ces échecs, dont les conséquences sont terribles. Je suis interloqué quand on invoque le premier amendement de la Constitution américaine, qui ne doit pas avoir cours ici. Une régulation est indispensable, d'abord au niveau européen. Les agences gagnent beaucoup d'argent, leurs marges sont colossales : quand on est si rentable, on doit être responsable et éventuellement sanctionné.
M. Jean-Pierre Jouyet. - Comme je l'ai indiqué, je suis favorable à ce que l'on développe la responsabilité des agences. Votre mission apportera déjà beaucoup si elle met l'accent sur ce point. Les agences doivent être indépendantes dans leur jugement mais responsables de leurs actes. Il faut également contrôler l'expertise. Les agences doivent avoir les bons experts et travailler sur les fondamentaux, non sur la base d'informations de marchés. Elles n'ont pas vocation à refléter les sentiments de marchés.
Il est souhaitable d'avoir un plus grand nombre d'agences de notation. Mais ce n'est pas l'AMF qui a décidé que la Coface ne se transformerait pas en agence de notation... En Allemagne, des groupes qui étaient dans l'assurance-crédit ont développé une activité de notation.
Enfin, que la faute soit volontaire ou non, ce n'est pas le problème : nous sanctionnons régulièrement des dysfonctionnements de marchés qui sont la conséquence d'actes involontaires. On sanctionne par exemple des sociétés de gestion qui sont dépourvues de systèmes de contrôle interne adéquats.
Mme Sophie Baranger. - S'agissant de l'enquête en cours, notre objectif n'est pas de déterminer si la faute est volontaire ou non mais de vérifier si la thèse de l'erreur avancée par l'agence est fondée. Ses conséquences en seront examinées par le collège de l'AMF, puis, le cas échéant, par la commission des sanctions, qui se demanderont si la communication de cette information a été trompeuse pour le marché.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Les banques ont aussi leur part de responsabilité : quand on constate que Goldman Sachs a assisté la Grèce, que ses comptes ont été truqués, et que les agences ont noté sans rien remarquer, on peut se demander s'il n'y a pas une connivence entre les banques et les agences.
M. Jean-Pierre Jouyet. - Je pense que votre mission devrait exiger que l'on vérifie tous les conflits d'intérêts et toutes les relations qui peuvent paraître suspectes entre les acteurs du système financier. Pour avoir exercé d'autres responsabilités dans le secteur financier, je peux témoigner que les banques ne sont pas mécontentes d'embaucher de très bons experts qui ont travaillé auparavant dans les agences de notation. Je n'en dirai pas plus sur ce sujet.
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - L'AMF a-t-elle d'autres enquêtes en cours concernant les agences de notation ?
Mme Sophie Baranger. - Non, mais il y a eu par le passé des enquêtes qui touchaient à des problématiques de notation. Ainsi, un émetteur a eu à subir les conséquences d'un changement de note intervenu alors qu'il émettait un produit financier. Dans une autre affaire, des rumeurs de dégradation d'une note se sont accompagnées d'opérations suspectes. Ces enquêtes n'ont pas donné lieu à sanction par la commission des sanctions.
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Des investisseurs nous ont indiqué ce matin qu'ils étaient devenus moins dépendants de la notation et que la crise avait peut-être eu au moins cette vertu. Partagez-vous ce sentiment ?
M. Jean-Pierre Jouyet. - C'est une question difficile. J'ai le sentiment personnel qu'il y a une prise de conscience chez les pouvoirs publics, chez les émetteurs, chez les investisseurs, ainsi que dans l'opinion publique, que les notes ne pas des « vaches sacrées » et qu'il faut les considérer avec précaution. On est moins prêt à se laisser faire et on regarde de plus près ce que font les agences, qui sont peut-être en voie de banalisation.
M. Jean Bizet. - Il s'agit tout de même d'une victoire à la Pyrrhus...
M. Jean-Pierre Jouyet. - Oui, tant que l'on n'aura pas résolu les problèmes que l'on a évoqués. Quand la note d'un pays est dégradée, les conséquences restent douloureuses.
M. François Fortassin. - Concernant la Grèce, on a quand même laissé faire une série de choses après l'entrée de ce pays dans la zone euro, qui conduisent à s'interroger sur les responsabilités des uns et des autres.
M. Jean-Pierre Jouyet. - C'est vrai, mais c'est un autre sujet qui nécessiterait que je revienne devant vous pour vous exposer plus longuement mon point de vue.
Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Je vous remercie.