Mardi 6 mars 2012
- Présidence de Mme Jacqueline Gourault, présidente -Audition de M. Gilles Carrez, président du Comité des finances locales
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - C'est en tant que président du Comité des finances locales que nous recevons aujourd'hui notre collègue député Gilles Carrez. De la péréquation horizontale au projet de banque ou d'agence pour le financement des collectivités locales, en passant les débats sur l'évolution des effectifs, l'actualité des débats auxquels notre invité prend une part active est riche, et ses analyses, je n'en doute pas, seront précieuses pour notre délégation.
M. Gilles Carrez, président du Comité des finances locales. - Il est vrai que l'actualité des finances locales comprend plusieurs sujets, et des sujets urgents dont je souhaiterais qu'ils fassent l'objet de discussions lors de la prochaine réunion du Comité des finances locales, prévue pour le 13 mars.
Le premier d'entre eux est celui du besoin de financement des collectivités territoriales pour 2012. Il est évalué entre 17 et 18 milliards d'euros. Peut-être avez-vous vu ou entendu parler d'un autre chiffre, de 22 milliards ? Ce second chiffre intègre en fait d'autres besoins de financement, à savoir ceux des hôpitaux et ceux des sociétés d'économie mixte (SEM). Si l'on se limite aux collectivités locales stricto sensu, autrement dit aux communes, intercommunalités, départements et régions, le montant à retenir est de près de 18 milliards.
J'insiste, car il est essentiel d'avoir bien cela à l'esprit : ce chiffre correspond à un besoin de financement. Il ne s'agit pas d'un déficit. Ce besoin de financement est stable et il n'y a pas de problème d'endettement des collectivités locales : leur stock de dettes est, lui aussi, stable, et représente environ 8 à 10 % de l'ensemble de l'endettement public.
Jusqu'à présent, pour couvrir ce besoin de financement, appel était fait aux banques, et notamment à DEXIA, et la couverture était assurée sans difficulté. Les quelques tensions de la fin de l'année 2011 ont été très vite réglées, par la mise en place d'une enveloppe de 5 milliards d'euros : 3 milliards dans un premier temps, répartis entre le réseau bancaire et la Caisse des dépôts, qui en ont assuré chacun la moitié ; puis, 2 milliards, en majorité pris en charge par la Caisse des dépôts. Sur cette enveloppe de 5 milliards, qui a permis d'assurer les besoins restant à couvrir fin 2011, il reste encore quelques crédits, évalués à un peu moins d'un milliard au milieu du mois de février. On peut considérer que cette somme, comprise entre 800 et 900 millions, relève du besoin de financement de l'année 2012.
Bercy estime que les banques mobiliseront environ 11 milliards d'euros. Pour moi, c'est sans doute le maximum de ce qu'elles pourront effectivement apporter. D'abord, parce que le financement des collectivités locales est un financement long, qui demande une grande consommation de fonds propres au sens de la nouvelle règlementation internationale dite de « Bâle III » ; c'est une considération importante, une contrainte pour les banques au moment où on leur demande, précisément, d'augmenter leurs fonds propres. Ensuite, les établissements de crédits ne trouvent pas la même compensation que celle que leur apportent les prêts aux entreprises, lesquelles déposent leur trésorerie auprès des banques ou utilisent les fonds prêtés pour des opérations, par exemple pour des fusions, qui contribuent à développer le chiffre d'affaires des banques ; il n'en va pas ainsi en cas de prêt à des collectivités locales, ce dont il faut avoir conscience. Enfin, après l'affaire des emprunts toxiques, les banques redoutent des poursuites en justice de la part des collectivités.
Ces considérations m'ont conduit à relativiser l'optimisme que traduisaient les prévisions initiales de Bercy, qui tablaient sur une participation des banques à hauteur de 14 milliards. Les calculs ont donc été revus à la baisse pour parvenir à ce chiffre de 11 milliards qui me paraît, je le répète, constituer le maximum de ce que nous pouvons espérer.
Ces 11 milliards des banques plus le petit milliard de reliquat de 2011 que j'évoquais tout à l'heure, cela fait environ 12 milliards, alors que les besoins sont de 18, sans parler des hôpitaux et des SEM.
D'où la question : comment couvrir le solde ? Deux possibilités s'offrent à nous. La première, dont j'estime qu'il est indispensable de la mettre en place immédiatement, consiste en une nouvelle opération, comme celle réalisée à la fin de l'année 2011, avec la Caisse des dépôts. Celle-ci est prête à mobiliser, d'ici la fin du mois de juin, 5 milliards d'euros ; le Gouvernement était plutôt dans l'optique de se limiter à 2 milliards mais, lors de la récente réunion à l'Élysée sur les finances locales, à laquelle participaient les présidents des associations d'élus, nous avons convaincu le Président de la République d'aller jusqu'à 5 milliards.
La seconde source de financement, c'est celle qui peut provenir de ce que l'on pourrait appeler « DEXIA nouvelle formule », c'est-à-dire le résultat de la « joint venture » entre la Banque postale et la Caisse des dépôts, qui détiendraient respectivement 65 et 35 % de cette nouvelle entité. Celle-ci commercialiserait les nouveaux prêts et serait opérationnelle à partir de juillet. Mais, pour commercialiser des prêts, il lui faut pouvoir se refinancer. C'est là qu'intervient une structure dite DEXMA (DEXIA Municipal Agency) qui aurait vocation, à la fois, à reprendre le stock de dettes de DEXIA et à assurer, en s'adressant aux marchés financiers, le refinancement des prêts que la co-entreprise Banque postale - Caisse des dépôts consentirait aux collectivités.
Avec la dégradation constatée du stock des dettes de DEXIA (environ 80 milliards d'euros pour la part française de la dette), la Caisse des dépôts s'est montrée réticente face à la perspective, envisagée à l'origine, de détenir près des deux tiers du capital de DEXMA. L'état du projet prévoit donc, à l'heure où nous parlons, le montage suivant : la Caisse des dépôts et l'État se porteraient chacun acquéreur de DEXMA à hauteur de 31,5 %, le solde revenant à l'ex DEXIA Crédit local. C'est donc un dossier qui a été substantiellement modifié par rapport au projet d'origine, avec une diminution importante de la participation de la Caisse des dépôts et l'entrée dans le jeu de l'État.
Cette nouvelle structure pourrait être opérationnelle en juillet, mais il n'est pas certain que pourra être tenu l'objectif initial, à savoir qu'elle prête 3 à 5 milliards aux collectivités dès l'année 2012. Cette incertitude renforce - et c'est ce que nous avons plaidé devant le Président de la République - la nécessité absolue de s'appuyer dans l'immédiat sur la première source de financement que j'ai évoquée, à savoir la Caisse des dépôts, et de ne pas en rester sur ce point aux 2 milliards évoqués par Bercy. Par chance, l'encours des livrets A a beaucoup augmenté, ce qui permet de dégager des marges de manoeuvre.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Quelle est la participation de La Poste dans le capital de DEXMA ?
M. Gilles Carrez. - Il est prévu une participation à hauteur de 5 %, appelée à augmenter progressivement. Nous parlons ici de sa participation dans le capital DEXMA, entité appelée à reprendre les dettes de DEXIA et à refinancer les prêts que consentira aux collectivités une autre entité, qui n'a pas encore de nom (on parle de co-entreprise entre la Banque postale et la Caisse des dépôts) : au sein de cette dernière, la Banque postale détiendra 65 % du capital.
La commission des Finances de l'Assemblée nationale a entendu, le 21 février dernier, MM. Jean-Paul Bailly et Philipe Wahl, respectivement président-directeur général du groupe La Poste et président du directoire de la Banque postale. A cette occasion, la complexité du dossier a été notée, notamment en ce qui concerne les transferts en provenance de DEXIA, mais il a également été indiqué que les choses semblaient s'accélérer. M. Wahl a rappelé l'objectif de disposer d'une structure permettant de livrer des financements aux collectivités dès le début de l'été prochain. C'est un objectif réalisable mais qui correspond à une vision optimiste, compte tenu de la complexité du dossier.
En ce qui concerne les prêts accordés aux collectivités, je sais que la Caisse des dépôts mène une réflexion pour affiner les conditions dans lesquelles ils sont attribués. L'objectif est de tenir compte du fait que les besoins de financement des collectivités varient selon les dépenses que les prêts contribuent à couvrir. Pour certains équipements, par exemple en matière d'assainissement, les besoins de financement sont plus longs que pour d'autres. L'idée est donc de tenir compte de ces différences et de substituer à des conditions uniformes des conditions affinées, par exemple en modulant la durée des prêts selon la durée de vie des investissements concernés ou d'intégrer des éléments à taux variable sur des indices à déterminer.
J'en viens maintenant au deuxième problème d'actualité concernant le financement des collectivités locales : la question de la création d'une agence.
Ce n'est manifestement pas un projet qui pourra se concrétiser en 2012. Bercy y est très opposé, estimant que cette agence ne pourra pas fonctionner sans une garantie de l'État, au moins implicite, et qu'elle augmentera donc l'endettement de l'État au sens des critères de Maastricht. Bercy demande donc qu'on lui démontre que, contrairement à ce qui se passe dans les pays où une telle agence existe, l'État ne sera pas appelé en garantie ultime.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Et qui, selon vous, pourrait être ce garant ultime si ce n'était pas l'État ?
M. Gilles Carrez. - Une solution, dont nous avons d'ailleurs discuté au sein de l'Association des maires de France, pourrait consister en un système de mutualisation reposant sur de grandes collectivités. La bonne notation de ces collectivités, reconnues pour avoir les reins solides, permettrait à l'agence d'emprunter dans de bonnes conditions sur les marchés financiers. C'est une piste intéressante à exploiter car, au fond, s'il y a un risque qui ne s'est jamais manifesté depuis cinquante ans, sauf cas rarissime comme on l'a vu à Angoulême, c'est bien celui d'une défaillance d'une grande collectivité ; s'il y a des débiteurs qui ont toujours correctement assumé leurs dettes, ce sont les collectivités territoriales. Au final, le risque à leur accorder des prêts est nul, surtout que la loi impose, d'une part, de traiter en dépense obligatoire le remboursement des emprunts et, d'autre part, de couvrir par des recettes de fonctionnement récurrentes non seulement les intérêts de la dette, mais aussi le remboursement en capital. Nous avons là un dispositif de régulation qui vaut toutes les garanties.
M. Charles Guené. - La frilosité de Bercy ne s'explique-t-elle pas par la crainte d'une ponction sur les fonds du Trésor ?
M. Gilles Carrez. - C'est effectivement une explication. En outre, comme le montage de la co-entreprise est compliqué, Bercy ne voudrait pas que les deux dispositifs, celui-ci et celui de l'agence, se télescopent et qu'il y ait concurrence entre les deux.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Il est évident que l'existence des deux projets en parallèle rend plus difficile la mise en place de l'agence de financement.
M. Gilles Carrez. - J'espère me tromper, mais il n'y a aucune raison que les financements bancaires auxquels nous étions habitués ne se raréfient pas. Dans cette perspective, tout le monde aurait à gagner à l'émergence de l'acteur supplémentaire que constituerait l'agence de financement des collectivités territoriales. Il n'y a pas de risque de concurrence entre les différents acteurs du financement, bien au contraire, et il est dans l'intérêt de tous que cette agence, qui prendrait en charge 2 ou 3 milliards d'euros, se mette en place. Avec le désengagement massif des banques, la faillite de DEXIA, nous avons une réelle impasse de financement qui semble tout à fait paradoxale, dans la mesure où les emprunteurs présentent d'excellentes garanties, sans parler de l'intérêt évident des investissements qu'ils effectuent. Je rappelle que plus de 70 % de l'investissement civil est réalisé par les collectivités locales.
M. Georges Labazée. - Mon expérience de membre de l'Observatoire national de présence postale me conduit à confirmer ce que dit Gilles Carrez. La situation de la Banque postale, qui est relativement jeune dans ces métiers, est saine. M. Wahl a bien confirmé que s'il se procurait l'argent à 10 ans, il ne le prêterait pas à 25 ans aux collectivités locales, mais à 10 ans.
Néanmoins, la Banque postale a un peu de mal à digérer qu'on lui ait accolé une partie de la dette massive de DEXIA dans le montage. Cela la rend très prudente. Pourtant, nous avions un précédent, celui du Crédit lyonnais, pour lequel avait été créée une structure de défaisance, dite consortium de réalisation (CDR). Pourquoi ne pas avoir fait la même chose vis-à-vis de DEXIA ? Si cela avait été le cas, la nouvelle entité aurait peut-être pu se mettre en place plus rapidement. N'oublions pas que le coeur de métier de la Banque postale, c'est le commerce, l'artisanat et les très petites entreprises ; ce n'est pas vraiment les collectivités territoriales.
M. Gilles Carrez. - Il y a deux entités bien distinctes : celle que nous appelons la co-entreprise (en l'occurrence entre la Banque postale et la Caisse des dépôts) et DEXMA.
C'est dans la co-entreprise que la Banque postale sera majoritaire. Philippe Wahl et Jean-Paul Bailly ont été très clairs : elle exercera la fonction de banquier classique et prêtera sur des maturités qui seront celles de ses propres financements. Si la co-entreprise se finance sur le marché à 10 ans, elle prêtera à 10 ans. DEXIA ne fait pas partie de cette structure, qui est une entité nouvelle.
J'ai cependant posé la question, lors de leur audition à l'Assemblée nationale, de l'avenir des personnels de DEXIA. On ne peut en effet contester que celle-ci, malgré ses déboires, avait des équipes compétentes, au savoir-faire reconnu. Nous avons tous pu l'observer, en tant qu'élus locaux. M. Wahl m'a répondu que la co-entreprise reprendrait bien une partie de ces personnels, sans vouloir cependant s'engager formellement sur un chiffre. Cela me paraît d'ailleurs grandement souhaitable. Comment voulez-vous, en effet, qu'une structure, qui ne serait composée que d'une trentaine de personnes à Paris, aille traiter des milliers de demandes de prêts, petits, moyens et grands, courts et longs, à taux fixe et à taux variable ? Elle a besoin d'un réseau, et celui de La Poste ne dispose pas, à l'heure actuelle, de l'expertise requise. Dans ce cadre, il serait dommage de ne pas exploiter celle des personnels de DEXIA.
En revanche, DEXIA reste dans la deuxième entité, DEXMA, qui est en quelque sorte le « back-office », l'entité qui recueille le stock de dettes et s'occupe du refinancement sur le marché. La première structure, celle à laquelle participe la Banque postale, ne sera pas amenée à se refinancer sur le marché. C'est l'entité DEXMA qui apportera les financements. Lorsque nous avions mis en place la structure de défaisance du Crédit lyonnais, c'était parce que les actifs étaient complètement dévalorisés : il s'agissait d'immobilier qui valait dix fois moins que ce qu'il avait été valorisé. Dans le cas de DEXMA, les 80 milliards transférés sont essentiellement des prêts aux collectivités territoriales françaises, qui, eux, correspondent bien, pour la majorité, à leur valorisation. Bien sûr, il y a 10 milliards de prêts toxiques ; sur ceux-ci, il appartiendra aux juges de se prononcer en cas de contentieux.
M. Georges Labazée. - Est-ce que les mécanismes de prêts seront régionalisés ? En d'autres termes, le dispositif prévu sera-t-il centralisé ou y aura-t-il une répartition équitable, de grande région à grande région ?
M. Gilles Carrez. - Cette question est importante ; elle se pose d'ores et déjà pour les 5 milliards débloqués par la Caisse des dépôts et, pour l'heure, nous n'avons pas de réponse ferme.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Quand j'ai entendu parler de DEXMA, je me suis fortement interrogée sur la pertinence du nom retenu. Je comprends maintenant qu'il ne s'agit que du « back-office » et que la nouvelle banque aurait un nom différent.
M. Gilles Carrez. - C'est quand même un nom qui devrait changer. DEXMA, cela signifie « DEXIA Municipal Agency », alors que les 80 milliards concernés ne concernent que des entités françaises... Pourquoi avoir un sigle anglais alors que les créances sont françaises ?
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Je retiens qu'il y a 10 milliards d'emprunts toxiques.
M. Gilles Carrez. - C'est ce qui ressort notamment de travaux comme ceux de MM. Gorges et Bartolone.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Pouvez-vous maintenant nous présenter l'évolution des effectifs dans les collectivités territoriales ?
M. Gilles Carrez. - Avant toute chose, je souhaite souligner que l'examen de ce sujet nécessite d'avoir des chiffres les plus objectifs possibles. Nous avons plusieurs sources à notre disposition : la Direction générale des collectivités locales, le ministère des Finances, ou encore les associations d'élus. J'ai choisi d'utiliser les chiffres présentés par l'Observatoire des finances locales. En effet, cet organisme existe depuis quinze ans et utilise la même méthode depuis lors. Il est vrai que ses statistiques sont basées sur les chiffres fournis par la Direction générale des collectivités locales, mais ils ont le mérite d'être présentés et discutés chaque année.
Ces chiffres montrent une augmentation substantielle des effectifs dans le bloc communal sur une période de dix ans. Or, les communes et intercommunalités n'ont pas été sujettes à des transferts de personnels pendant cette période.
Je tiens à préciser que dans les chiffres de l'Observatoire des finances locales, comme dans toutes les statistiques portant sur les effectifs des collectivités territoriales, il n'y a pas de distinction entre une augmentation due à un transfert de personnels et celle liée à des embauches stricto sensu. C'est d'ailleurs une distinction qu'il faudrait effectuer.
Mais, en tout état de cause, il se trouve que l'essentiel de l'augmentation des effectifs des collectivités n'est pas dû aux départements et aux régions.
En 2001, on dénombrait 1 325 114 personnes travaillant pour les communes et les EPCI, dont 111 000 emplois aidés. En 2008, elles étaient 1 485 279, dont 30 000 emplois aidés. Si l'n ne prend pas en compte l'évolution des emplois aidés, on constate une augmentation de 160 000 emplois, soit 22 000 par an. Déjà, il y a deux ans, j'avais remis un rapport au Premier ministre, avec Michel Thénault, qui démontrait que l'augmentation ne provenait pas des départements et des régions et que la croissance des effectifs dans les collectivités territoriales entre 1991-2001 était due, pour l'essentiel, au bloc communal.
Ce résultat est une déception pour les promoteurs de la loi Chevènement. En effet, on comptait beaucoup sur la mutualisation. Or, on a constaté que le développement de l'intercommunalité avait conduit à de nombreux recrutements. Les optimistes, cependant, diront que la mutualisation est pour maintenant...
M. Charles Guené. - En effet, auparavant il était juridiquement difficile de mutualiser les personnels.
M. Gilles Carrez. - Je souhaite voir, avec le Comité des finances locales, comment nous pouvons conduire une analyse par bloc, et aussi comment nous pouvons distinguer clairement les effectifs transférés des créations proprement dites par les collectivités.
Pour l'heure, nous avons quand même un ordre de grandeur : l'augmentation annuelle des effectifs dans le bloc communal, un peu plus de 20 000 par an, est à rapprocher du non-remplacement d'un départ en retraite sur deux au niveau de l'État. En effet, on est sur une diminution moyenne de 25 000 à 30 000 fonctionnaires d'État par an. Par conséquent, on observe que, pour chaque fonctionnaire d'État non remplacé, il y a pratiquement un fonctionnaire local embauché.
En tout état de cause, dans le dialogue constructif et objectif entre les collectivités territoriales et l'État que nous devons avoir, il conviendrait de se mettre d'accord sur des chiffres objectifs. Je crois que c'est possible.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Cet objectif, la mise en place d'un dialogue constructif et objectif, est important.
Je suis d'accord avec votre constat : pour le bloc communal, il n'y a pas eu de transferts de personnels décidés lors de l'Acte II de la décentralisation. Néanmoins, et le parallèle que vous faites entre la diminution des effectifs de l'État et l'augmentation de ceux du bloc communal est un élément de nature à le confirmer, les communes et intercommunalités ont dû faire face à des nouveaux besoins de nos citoyens ainsi qu'à des besoins que l'État n'assumait plus. Tel est le cas, par exemple, des conseils aux petites communes pour lesquels on a vu des intercommunalités prendre le relais de ce que faisait auparavant la Direction départementale de l'équipement (DDE). De la police à la petite enfance, en passant demain par l'urbanisme, nombreux sont les domaines dans lesquels ont dû intervenir les communes et intercommunalités pour répondre à des demandes des citoyens ou à des missions que l'État n'assumait plus.
M. Gilles Carrez. - Dans ma propre commune, l'augmentation des effectifs résulte de deux choses : les crèches et la police municipale.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - L'exemple de la police municipale est typique, mais on peut également évoquer le cas des passeports dont les démarches se font désormais en mairie. Le désengagement de l'État des territoires est indéniablement, au moins en partie, à l'origine de l'augmentation des effectifs. C'est un élément à prendre en compte dans nos discussions.
M. Gilles Carrez. - Certes, mais dans la période difficile que nous connaissons pour les finances publiques, il ne suffit pas de constater que l'État se désengage pour justifier l'augmentation des effectifs locaux. Les relations entre les collectivités territoriales et l'État sont complexes mais il y a un constat que nous devons faire, c'est que ce dernier a réussi à réduire ses effectifs.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Bien sûr... comme il faut reconnaître que la diminution des effectifs de l'État a une incidence sur ceux des collectivités territoriales. Dans mon département, par exemple, c'était la DDE qui s'occupait auparavant de l'entretien des berges de la Loire. Maintenant, ce sont les employés du bloc communal qui le font. Si on veut un dialogue constructif, il faut que chacun essaie de se comprendre : d'un côté, ne pas accuser l'État, mais, de l'autre, ne pas non plus accuser les collectivités.
M. Charles Guené. - La complexité du problème tient au fait qu'il y a de nombreux facteurs expliquant l'augmentation des effectifs locaux.
Nous parlions tout à l'heure de la mutualisation : jusqu'à présent, il y a eu très peu de mutualisation, car c'était juridiquement difficile et ce n'était pas dans les moeurs. Voilà un premier facteur. Maintenant, les textes permettent la mutualisation, mais depuis peu.
Autre facteur, propre aux communes rurales : l'organisation par elles de points relais services publics, qui n'est pas sans lien avec le désengagement de l'Etat.
Au final, l'augmentation des effectifs des collectivités territoriales est due à plusieurs facteurs explicatifs : les transferts de personnels, les difficultés juridiques concernant la mutualisation, la réponse à de nouveaux besoins, la substitution à certains services de l'État...
M. Gilles Carrez. - Dès le lendemain des prochaines échéances électorales, les collectivités locales et l'État devront s'imposer un dialogue sur des bases objectives. Par ailleurs, je suis persuadé que des gains de productivité sont possibles dans nos communes.
M. Charles Guené. - Le développement des pays a contribué à l'augmentation des effectifs du bloc communal. Je ne suis pas opposé aux pays, car beaucoup agissent efficacement, mais nous les avons structurés sous forme de syndicats ou d'associations et nous avons embauché du personnel. Nous devons désormais intégrer ces personnels dans nos intercommunalités et les faire travailler pour nous au lieu d'embaucher.
M. Rémy Pointereau. - Je souhaiterais avoir un éclairage sur l'évolution des effectifs des départements. Je suis surpris d'entendre que l'augmentation du personnel n'y aurait pas été exponentielle. En effet, la mise en place des 35 heures a conduit à un accroissement des effectifs de 10 à 12 %. Par ailleurs, des réformes telles que la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et celle du revenu de solidarité active (RSA) ont également dû avoir un impact.
M. Georges Labazée. - Le transfert des personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS) représente un effectif considérable.
M. Rémy Pointereau. - Concernant l'augmentation des effectifs dans le bloc communal, nous avons, dans ma communauté de communes de 9 000 habitants, embauché trois administratifs supplémentaires. En effet, nous n'avons pas pu reprendre certains personnels des communes, alors que cela aurait été plus logique vu que nous transférions à l'intercommunalité certaines de leurs compétences. Cela étant, ces recrutements nous ont permis de mettre en place de nouveaux services : la petite enfance, la gestion des déchets,... Néanmoins, nous avons vraiment essayé de faire le maximum en limitant autant que possible les créations de postes.
M. Gilles Carrez. - Pour les départements, l'évolution des effectifs est la suivante : en 2001, 181 436 personnes étaient employées par ces collectivités, dont 6 400 emplois aidés. En 2008, elles étaient 281 717, dont 4 000 emplois aidés. Ainsi, en sept ans, l'augmentation a été de 100 000. Mais ce chiffre comprend les transferts de TOS qui représentent selon moi au moins les trois quarts de l'augmentation des effectifs des départements.
Pour les régions, les effectifs sont passés de 11 596 personnes en 2001 à 73 843 en 2008. Là encore, l'essentiel de cette augmentation s'explique par les transferts de personnels. Par ailleurs, nous devons mettre ce nombre de 73 843 en parallèle avec celui de 1,5 million de personnes travaillant dans le bloc communal. L'essentiel des effectifs et de leur hausse ne se situe pas dans les régions.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Nous allons maintenant passer à la question de la péréquation horizontale.
M. Gilles Carrez. - Elle se met en place prudemment : au lieu des 250 millions de péréquation horizontale prévus initialement pour 2012, nous n'en sommes qu'à 150 millions.
Cependant, des effets importants ont déjà été constatés dans un certain nombre de collectivités contributrices, notamment les grandes villes.
Tout le débat est de répartir de la façon la plus équitable possible les prélèvements entre le monde urbain et le monde rural. Le Gouvernement avait fait initialement une proposition de répartition en six strates : moins de 10 000 habitants, entre 10 000 et 20 000, entre 20 000 et 50 000, entre 50 000 et 100 000, entre 100 000 et 200 000, plus de 200 000 habitants. Ce système a été remplacé par la proposition du Sénat qui prévoit un mécanisme s'inspirant de celui existant pour la dotation globale de fonctionnement, à savoir un système logarithmique de 1 à 2. Ainsi, plus une ville est peuplée, plus la somme versée par habitant sera importante. Un habitant d'une ville de 150 000 habitants comptera plus que celui d'une commune de 50 000 habitants. C'est un tel mécanisme qui explique que, pour la dotation globale de fonctionnement de base, le rapport par habitant aille de 1 à 2 : un peu plus de 60 euros dans une petite commune à un peu plus de 120 euros dans une grande ville.
Ce mécanisme de calcul est basé sur le postulat que, du fait de charges de centralité, les grandes villes sont soumises à des dépenses par habitant plus importantes que les petites. Ce postulat est aujourd'hui contesté par de nombreux élus qui font valoir que les petites communes et les communes rurales ont, elles aussi, des besoins en matière d'équipements publics : par exemple, ce n'est pas parce que l'on vit à la campagne que l'on n'a pas besoin de crèches.
Dans ce contexte, la formule adoptée au Sénat pour le calcul de la péréquation horizontale et reprise en commission mixte paritaire va faire l'objet de nouvelles réflexions, notamment dans le cadre du Comité des finances locales. A partir des simulations dont nous disposerons, nous examinerons s'il n'y a pas de cas aberrants ou de mouvements non souhaités par le législateur. Le cas échéant, nous proposerons d'apporter des correctifs dans la loi de finances pour 2013.
Cependant, à ce jour, nous n'avons toujours pas le bilan de la réforme de la taxe professionnelle du point de vue des collectivités locales, notamment la répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) par région, département, voire grande ville. J'ai demandé aux ministres concernés, ceux en charge du Budget et de l'Intérieur, d'en disposer au plus tôt pour la bonne information, et donc le travail, du Comité des finances locales. C'est essentiel, car cette réforme a potentiellement entraîné des transferts de ressources. La nouvelle contribution économique territoriale, qui représente 21 milliards d'euros, est composée pour 6,3 milliards d'euros par la cotisation foncière des entreprises (CFE) et 14,7 milliards d'euros par la CVAE. Il est donc très important de vérifier que pour la CVAE, les correctifs apportés, notamment la répartition en fonction des effectifs et des surfaces et non des valeurs salariales, sont efficaces. C'est pourquoi, lorsque nous l'avions mise en place, fin 2009, nous avions demandé un rapport au Gouvernement, qui devait nous être remis au plus tard fin 2011.
Cette juste évaluation des conséquences de la réforme est essentielle pour la péréquation, car celle-ci dépend évidemment de la richesse réelle des collectivités. Or, les cartes fiscales ont été complètement rebattues : la taxe d'habitation revient désormais dans son intégralité au bloc communal, le département récupère la taxe foncière des régions. Notre réflexion sur la péréquation horizontale suppose donc que les premiers résultats de cette réforme soient rapidement portés à notre connaissance.
M. Georges Labazée. - Je tiens à souligner que les chiffres que nous demandons sont ceux de 2010, et non ceux de 2011.
M. Gilles Carrez. - Vous avez raison de le préciser. Si, pour les collectivités, l'année 2010 a été une année blanche du fait de la mise en place d'une compensation relais, pour les entreprises, les chiffres de la CVAE et de la CFE sont disponibles pour l'année 2010. Nous avons donc, dans les faits, deux ans de recul : 2010 et 2011. Il serait intéressant de pouvoir les étudier.
M. Charles Guené. - Nous ne devons pas oublier que des modifications ont eu lieu entre-temps via les différentes lois de finances. Donc, si l'on veut réaliser des évaluations précises, il faut bien se donner le temps d'intégrer ces modifications.
M. Gilles Carrez. - Pour l'heure, nous souhaitons des montants agrégés : j'ai demandé, pour la réunion du Comité des finances locales du 20 mars prochain, à avoir la répartition de la CVAE et de la CFE entre les 22 régions, les 100 départements, ainsi qu'entre un certain nombre de grandes villes (car je comprends que nous ne puissions pas avoir tout pour les 36 000 communes).
Par ailleurs, nous devons également affiner les chiffres dont nous disposons sur l'évolution des effectifs des collectivités locales, en faisant apparaître les transferts de personnels.