Mardi 7 février 2012
- Présidence de Mme Jacqueline Gourault, présidente -Mutualisation des services dans le cadre intercommunal - Présentation, par MM. Yves Détraigne et Jacques Mézard, d'un projet de proposition de loi
M. Jacques Mézard, rapporteur. - En mai 2010, la délégation avait publié un rapport, intitulé « Un nouvel atout pour les collectivités territoriales : la mutualisation des moyens », constitué de trois études : une sur la problématique générale de la mutualisation, présentée par Alain Lambert ; une sur la mutualisation des moyens des conseils généraux, présentée par Bruno Sido ; une, enfin, sur la mutualisation des moyens dans le cadre intercommunal, dont Yves Détraigne et moi-même avions été chargés.
Quelques semaines après, le Sénat reprit plusieurs propositions de ce rapport lors de l'examen en deuxième lecture de ce qui allait devenir la loi de décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. Il le fit à l'unanimité. L'Assemblée nationale, puis la commission mixte paritaire, reprirent ensuite en substance les amendements du Sénat, malgré quelques réserves du Gouvernement vis-à-vis du droit communautaire : du recours facilité au procédé conventionnel (plutôt qu'à la création d'un organisme) au schéma de mutualisation, plusieurs propositions de la délégation se trouvent donc aujourd'hui inscrites dans le droit positif.
L'une d'entre elles n'y figure toujours pas : la création d'un coefficient d'intégration fonctionnelle, destiné à mesurer le degré de mutualisation entre une intercommunalité et les communes membres. C'est cette idée, qui avait germé dans l'esprit de Philippe Dallier dès 2006, que reprend le projet de proposition de loi que nous vous présentons aujourd'hui.
Le coefficient d'intégration fonctionnelle repose sur la même philosophie que le coefficient d'intégration fiscale dont il s'inspire, tant dans sa structure que dans son objectif.
Dans sa structure, tout d'abord, puisque, de même que le coefficient d'intégration fiscale mesure le rapport entre des ressources, le coefficient d'intégration fonctionnelle est appelé à mesurer le rapport entre des moyens : le rapport entre des moyens affectés à un EPCI et des moyens (bien sûr comparables) affectés à la fois à cet EPCI et aux communes membres.
Dans son objectif, ensuite, puisque, de même que le coefficient d'intégration fiscale sert à calculer une partie de la DGF, le coefficient d'intégration fonctionnelle est appelé à servir de référence pour le calcul d'une partie de la DGF dans le but d'inciter à la mutualisation.
Je crois utile de rappeler que le coefficient d'intégration fonctionnelle, tel qu'il a été proposé par la délégation et tel que nous vous le soumettons aujourd'hui, n'est pas un dispositif destiné à abonder la DGF : il ne s'agit pas, comme cela a souvent été fait, de donner simplement un bonus aux EPCI qui mutualiseront bien ; le dispositif, a fortiori dans le contexte actuel, doit être neutre pour les finances de l'État. Le coefficient d'intégration fonctionnelle servirait de support à un système de bonus-malus, dans lequel les intercommunalités qui mutualiseraient peu verraient leur dotation réduite récompenser celles qui feraient le plus d'efforts en la matière.
M. Yves Détraigne, rapporteur - Ce principe posé, comment calculer le coefficient d'intégration fonctionnelle ?
Il devrait reposer sur une mesure objective de la mutualisation. Celle-ci est délicate à obtenir, mais l'exercice n'est pas du tout impossible. Il implique de trouver des données répondant à deux conditions.
D'abord, ces données doivent exister dans tous les territoires intercommunaux : prendre telle donnée ici et telle autre ailleurs n'aurait pas de sens ; il serait par exemple aberrant d'intégrer les données relatives à la surveillance des plages qui, par hypothèse, n'existent que dans certains territoires. C'est une évidence, voire une tautologie, que de dire que la comparaison du degré d'intégration des EPCI doit reposer sur des éléments comparables.
Ensuite, les données de calcul du coefficient d'intégration fonctionnelle doivent résulter de décisions, et donc de choix, pris par les acteurs locaux. C'est une simple question de logique : le coefficient d'intégration fonctionnelle se voulant incitatif, il serait absurde de le moduler, à la hausse ou à la baisse, en fonction de choix qui échappent aux intéressés (notamment le champ des compétences obligatoires, qui varie selon les catégories d'EPCI).
Or, il existe bel et bien des données qui répondent à ces deux conditions.
Le rapport de la délégation, en mai 2010, avait souligné que tel était le cas des dépenses de personnels affectées aux services fonctionnels ou, si l'on préfère, aux services supports : ressources humaines, finances, informatique... quelles que soient leurs compétences, quelle que soit leur situation géographique, les EPCI et leurs communes membres font appel à de tels services.
La référence aux dépenses de personnels affectés dans les services fonctionnels est peut-être encore plus pertinente aujourd'hui qu'en mai 2010, car la loi du 16 décembre 2010 en a, depuis lors, donné une définition qui permet de les identifier, répondant ainsi à la condition d'objectivité des données : « Les services fonctionnels se définissent comme des services administratifs ou techniques concourant à l'exercice des compétences des collectivités intéressées sans être directement rattachés à ces compétences ».
Les frais des personnels affectés à ces services fonctionnels sont tout à fait identifiables : ou bien un agent est affecté à plein temps dans un service fonctionnel, et les frais correspondants correspondent à son coût salarial total pour la collectivité qui l'emploie ; ou bien un agent n'est pas affecté dans un service fonctionnel, et sa rémunération n'entre pas en considération dans le calcul du coefficient d'intégration fonctionnelle ; ou bien un agent ne travaille qu'en partie pour un service fonctionnel, et l'application d'une règle de trois permet de calculer la charge relative au dit service.
Le coefficient d'intégration fonctionnelle va donc viser à une mutualisation aussi poussée que possible des services fonctionnels, dont ont besoin aussi bien les EPCI que leurs communes. Pour cela, il va servir à comparer, entre les divers territoires intercommunaux, le rapport entre :
- d'une part, ce qui a été mutualisé, c'est-à-dire tous les frais de personnels afférents aux services fonctionnels et pris en charge par l'intercommunalité (que celle-ci soit l'employeur direct ou que les personnels en question soient mis à sa disposition) ;
- d'autre part, tous les frais en question, mutualisés ou non, c'est-à-dire toutes les dépenses que les communes membres et l'EPCI, tous réunis, consacrent aux personnels des services fonctionnels.
Le coefficient d'intégration fonctionnelle serait donc le résultat de cette fraction. Une fois calculé, se pose une autre question, à laquelle répond l'article 2 de notre projet : sur quoi faire porter le coefficient d'intégration fonctionnelle ?
Celui-ci doit en effet servir à moduler, à la hausse ou à la baisse, une partie de la DGF : mais quelle partie ?
Dans la mesure où il s'agit d'inciter à la mutualisation dans le cadre intercommunal, il serait logique que le coefficient s'applique à la dotation d'intercommunalité.
Pour autant, à l'heure où le législateur essaie de développer la péréquation, il serait sans doute malvenu de toucher -surtout pour la diminuer- à la part péréquatrice.
Il est donc proposé que le coefficient d'intégration s'applique à la part forfaitaire de la dotation d'intercommunalité. Cette part sera « pondérée » en fonction du coefficient de chaque EPCI.
J'insiste, comme l'a déjà fait Jacques Mézard, sur la neutralité de notre dispositif pour les finances de l'État : c'est un système de bonus-malus dans lequel on donne moins à ceux qui mutualisent peu, et davantage, pour y encourager, à ceux qui développent la mutualisation.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Juste un mot, pour conclure, sur l'article 3 de notre projet. Il prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2015 et ce, notamment, afin de nous donner le temps de réaliser des simulations. Avec la suppression de la taxe professionnelle, dont nous vivons aujourd'hui les conséquences, ainsi qu'avec la mise en place d'une péréquation horizontale, nous avons bien vu que les simulations étaient un point évidemment essentiel pour légiférer dans de bonnes conditions.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Je vous remercie pour cette présentation et je cède immédiatement la parole à nos collègues pour le débat.
M. Éric Doligé. - Je voudrais formuler quelques observations sur ce système qui, si j'ai bien compris, agit sur la DGF à la hausse ou la baisse, de sorte qu'au final le jeu soit à somme nulle. Lors des récents débats sur l'intercommunalité, on entendait l'argument selon lequel celle-ci contraignait les communes à entrer dans un dispositif communautaire. Or, celui qui nous est proposé tend justement à rouvrir le débat par son aspect coercitif, puisqu'il prévoit un système de malus pour les collectivités qui ne feraient pas un effort supplémentaire dans l'intégration plus poussée de l'intercommunalité. Par ailleurs, j'aurais souhaité qu'on puisse aussi encourager les départements à opérer davantage d'intégration en leur offrant également un bonus en cas d'intégration de leurs services.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Certes, mais une intégration sur quelle base ?
M. Éric Doligé. - Je pense à une intégration des services à différents niveaux de collectivités, qui permettrait de baisser les charges globales et donc de réaliser des économies et une simplification administrative dans le cadre de ce rapprochement. Cela pourrait être envisagé sous la forme d'un autre système que celui qui nous est proposé, la loi nous autorisant en effet à recourir à des expérimentations.
M. Michel Delebarre. - J'ai été confronté, ces dernières années, à la double peine et voilà que la proposition de nos collègues envisage une triple peine. Je m'explique. En tant que maire de Dunkerque et Président de la communauté urbaine, la première peine nous a d'abord été infligée par la suppression de la taxe professionnelle qui s'est traduite, sur notre territoire très industrialisé, par un coup de rabot sur une partie de nos ressources. La double peine est ensuite passée par l'instauration de la péréquation pour notre territoire disposant de ressources de taxe professionnelle. Je sens maintenant arriver la triple peine à travers la mutualisation et je m'interroge, car rien n'indique que celle-ci, tout comme la RGPP d'ailleurs, soit nécessairement positive. Je considère en effet que notre seule préoccupation doit être la qualité du service rendu à nos concitoyens. Or, il n'est pas certain que la mutualisation s'accompagne automatiquement d'une amélioration de celui-ci. Alors certes, elle peut générer des économies, ce qui peut être positif, mais cela peut paradoxalement se traduire par une moindre qualité de service pour les usagers. C'est pourquoi j'attends les premières simulations pour me prononcer sur ce dispositif complexe. Enfin, qu'en est-il des efforts de mutualisation qui ne seraient pas intégrés dans ce système ? Si je prends l'exemple de la politique d'insertion au sein de l'agglomération dunkerquoise, par exemple, qui repose à la fois sur l'intervention communale et communautaire mais qui est mise en oeuvre par une association, il s'agit bien d'un effort d'intégration des politiques, qui ne sera toutefois pas pris en considération dans votre dispositif parce qu'il ne s'inscrira pas directement dans les services de la structure intercommunale.
Mme Renée Nicoux. - Je suis, moi aussi, dubitative quant aux effets produits par la mutualisation, notamment s'agissant des conséquences pour la qualité du service rendu à la population, même si celle-ci peut s'avérer nécessaire dans certains cas et certains services. Sur le terrain, si la mutualisation des moyens peut se concevoir lorsque, par exemple, des emplois sont pris en charge au niveau de la communauté de communes en lieu et place de celles-ci, il y a des cas où elle n'est pas possible, notamment lorsque les communes ont des besoins spécifiques et doivent maintenir certains services, comme les services financiers par exemple. Dès lors, comment les maires vont-ils accueillir ce dispositif de bonus-malus ? Ne risquent-ils pas de se sentir dépossédés et de constater l'amorce d'une disparition des communes ?
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Je propose aux rapporteurs de répondre à cette première série d'interrogations.
M. Yves Détraigne, rapporteur. - En réponse à notre collègue Eric Doligé, qui redoute la dimension coercitive de notre dispositif, je voudrais dire qu'il s'agit davantage d'une démarche incitative. En effet, notre objectif n'est pas d'obliger mais bien d'inciter à la mutualisation, l'intercommunalité s'étant elle-même développée sur la base de telles incitations financières. Aujourd'hui, cette mutualisation paraît logique dans le cadre de la prise en charge croissante des services fonctionnels par l'intercommunalité et de la diminution, en contrepartie, des services propres aux communes membres. En ce qui concerne ensuite la question relative à la mutualisation des moyens des départements, de nombreux rapports du Sénat s'y sont intéressés, mais la réponse n'est pas tranchée quant aux dotations et aux services concernés.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - En réponse à notre collègue Michel Delebarre, qui redoute une « triple peine », pour reprendre son expression, je ne suis pas personnellement convaincu par sa survenance. En effet, je rappellerai d'abord, en ce qui concerne les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle, qu'une mission travaille actuellement sur ce sujet. En ce qui concerne ensuite la péréquation horizontale, ce n'est pas le principe du système péréquateur, qui fait l'objet d'un consensus assez général parmi nos collègues, surtout quand on regarde le montant global de celle-ci qui s'établit à 150 millions d'euros, mais davantage les méthodes de calculs employées pour son application qui font débat. Pour en venir à l'exemple de la politique d'insertion à Dunkerque, mise en oeuvre par une agence de développement à la fois municipale et communautaire, je tiens à préciser que notre dispositif n'a pas vocation à prendre en compte tous les efforts de mutualisation, mais de sélectionner des éléments communs pertinents, permettant de l'apprécier pour toutes les collectivités sur le territoire national, en se calant notamment sur les services supports. Alors certes, on peut considérer que la mutualisation n'est pas un but en soi, mais elle doit permettre de répondre prioritairement aux services de toutes nos communes. A titre d'exemple, j'observe, en tant que président d'une agglomération, que la ville-centre dispose d'un service instructeur en matière d'urbanisme, alors que les vingt-quatre communes autour font appel à la Direction départementale des territoires, situation qui ne peut perdurer, la solution de sagesse étant que le service centre devienne un service mutualisé, qui n'enlèvera d'ailleurs aucun pouvoir aux maires de ces communes. Ce n'est donc en rien une peine, et il ne s'agit pas seulement de valoriser ces services intercommunaux mais d'avoir un meilleur service rendu pour les citoyens avec une simplification administrative.
M. Michel Delebarre. - Pour reprendre le cas de l'urbanisme, lorsque cette compétence est assurée par une agence, que ce soit pour la ville-centre ou les autres communes, c'est bien celle-ci qui rend le service.
M. François Grosdidier. - Même en ce qui concerne l'instruction des permis de construire ?
M. Michel Delebarre. - Parfaitement. Chez nous, ce n'est pas la direction départementale des territoires mais bien l'agence d'urbanisme, autrement dit une structure régie par la loi de 1901 et dépendant des collectivités, qui rend ce service. Dès lors, je crains que dans la manière dont votre dispositif identifie la mutualisation au niveau de l'intercommunalité, ce type d'agence n'apparaisse pas, ce qui serait paradoxal puisqu'un malus serait prévu alors même qu'il y a un élément d'intégration.
M. Yves Détraigne, rapporteur. - Vous évoquez donc un cas où les doublons ont été évités grâce à cette agence, qui n'est ni une collectivité ni une intercommunalité. Mais c'est finalement tout l'enjeu de la mutualisation : proposer un service commun afin de ne plus laisser subsister de doublons. Il ne s'agit évidemment pas de « pénaliser » un ensemble commune-intercommunalité où ce problème ne se poserait pas.
M. Michel Delebarre. - D'accord, mais je ne parviens pas à comprendre comment vous entendez repérer ce qui n'est pas directement intégré dans les services...
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Cet exemple est tout à fait intéressant, puisqu'au fond il s'agit d'un service externalisé, la question de sa prise en compte se pose.
M. Edmond Hervé. - Il est même possible de compliquer le raisonnement, si l'on prend l'exemple d'une association départementale de maires, extrêmement bien organisée et qui réalise du conseil en matière de légalité. Voilà un excellent exemple d'intégration où il n'y a pas de service !
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Finalement, tous ces exemples en témoignent, il y a une volonté partagée par tous d'optimiser et de rationnaliser les services, ce qui est l'objectif principal que vous avez recherché.
M. Yves Détraigne. - Tout à fait.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - En ce qui concerne la mutualisation des moyens pour l'instruction des permis de construire, je voudrais prendre l'exemple de mon département, l'Hérault. Il y a cinq ans, lorsque les services de la direction départementale de l'équipement se sont déchargés de l'instruction des permis de construire suite à une réduction de leurs effectifs, par des départs en retraite notamment, la communauté de communes a immédiatement créé un service d'instruction de ces permis sous forme d'une prestation de service impliquant, par conséquent, la contribution financière des communes. Dans ce cas précis aucune économie n'a été réalisée et les communes ont dû financer ce qui était auparavant pris en charge par l'Etat. Enfin, j'ai relevé une anomalie dans le document présentant les articles du Code général des collectivités territoriales modifiés par ce projet de proposition de loi. Est-il normal que le texte proposé ne fasse référence qu'aux seules communautés urbaines ?
M. Yves Détraigne. - Non, nous veillerons à remodifier le texte si nécessaire, mais il est bien entendu question d'appliquer ce dispositif à l'ensemble des intercommunalités à fiscalité propre.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Simple interrogation, mais qu'en-est-il pour une communauté de communes qui se transforme en communauté d'agglomération ? Comment mutualiser les moyens des compétences obligatoires venant s'ajouter, tels l'habitat et les transports, alors que ces moyens n'existaient pas auparavant ?
M. Yves Détraigne. - La problématique ne se pose pas. Si ces moyens n'existent pas, rien ne peut donner lieu à mutualisation, il faut créer ces nouveaux services.
M. François Grosdidier. - Je tenais à faire part de mon étonnement quant aux propos tenus par notre collègue Michel Delebarre concernant la qualité du service rendu aux usagers. Ayant bénéficié d'une expérience en matière de mutualisation au sein de mon intercommunalité, celle-ci dépasse les clivages politiques et n'a jamais porté préjudice à la population. Au contraire, elle a toujours été mise en oeuvre dans l'intérêt des finances publiques des communes comme de l'intercommunalité. Par exemple, lorsqu'on mutualise les services informatiques d'une communauté d'agglomération, c'est au bénéfice d'un meilleur service public et du bon usage des deniers publics. Cela permet de redéployer le produit des économies générées vers d'autres services publics davantage en lien avec la population. La critique est donc malvenue. Il me semble assez évident que la dispersion des services sur un même territoire engendrera un coût plus élevé pour un résultat similaire, ou bien aboutira à un résultat moindre pour le même coût. Il est néanmoins des services où la proximité est un avantage supérieur, pour lesquels la mutualisation ne serait d'aucun intérêt et ne doit pas être obligatoirement envisagée. Il est important de rappeler que ce dispositif repose sur le volontariat des collectivités. Jusqu'à présent, nous avons beaucoup souffert de rigidités et de difficultés administratives et juridiques pour développer la mutualisation. Cela aboutissait, par exemple, à des situations paradoxales où, sur un même espace, la communauté d'agglomération ne pouvait faire intervenir les services communaux dans l'entretien des espaces verts, l'espace public se trouvant partagé entre les compétences communautaires et communales. Toutes les initiatives législatives, comme ce projet de proposition de loi, ne sont nullement une peine pour les communes, elles offrent au contraire des possibilités nouvelles à nos collectivités. Il serait donc déplacé de critiquer a priori ce dispositif, qui incite les collectivités à davantage de rationalité. En effet, il ne faut pas oublier que, parfois, certains refus ou résistances à la mutualisation ont eu lieu non pas dans l'intérêt du public mais suite à la poursuite d'intérêt personnels de certains élus ou chefs de service, ce qui est regrettable. En revanche, je partage tout à fait la préoccupation de la prise en compte des moyens de mutualisation par démembrement, notamment de l'agence d'urbanisme, de l'agence de développement ou toute autre structure. Cependant, dans ce cas, il faut veiller au respect d'une condition essentielle, celle de l'effectivité de la mutualisation. En d'autres termes, les collectivités se dépossèdent réellement et entièrement des services confiés à l'agence. Il ne s'agit pas de créer en plus une troisième structure dite mutualisée, alors même que les communes et l'intercommunalité conservent une part de ces moyens. Cela aboutirait à l'exact inverse de la mutualisation. Donc, sous cette réserve, je crois effectivement qu'on devrait pouvoir tenir compte des authentiques mutualisations, même quand elles se font par démembrement.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Merci. J'ajouterai que les associations d'élus ont mené un combat pour la mutualisation dans le sens ascendant, c'est-à-dire des communes vers l'intercommunalité, alors même qu'une directive européenne permettait les mutualisations seulement descendantes. En effet, il s'agit souvent pour le personnel communal, notamment de terrain, d'effectuer des services pour l'intercommunalité. Les associations d'élus se sont vraiment battues dans le sens de la mutualisation, et il convient de le relever.
M. Éric Doligé. - Pour bien comprendre, je voudrais savoir de quelles compétences il s'agit : les compétences obligatoires ou les compétences facultatives des EPCI ?
M. Yves Détraigne. - Il s'agit des compétences qui sont exercées par l'ensemble des intercommunalités, qui existent nécessairement dans chacune d'entre elles. C'est la raison pour laquelle il a été question de « compétences fonctionnelles ». Nous devons en rester là, pour que les comparaisons soient possibles et l'équité respectée.
M. Jacques Mézard. - Effectivement, nous ne voulons pas de mécanisme à géométrie variable. Il est nécessaire de faire des propositions qui suscitent le débat et fassent avancer les choses. Il faut noter que cette proposition est en-deçà des propositions de l'AdCF.
Il s'agit de voir si les règles qui sont mises en place à l'heure actuelle pour répartir la DGF sont intangibles ou non. J'ai comparé les montants alloués au titre de la DGF par habitant dans l'ensemble des communes de mon département : l'écart est de 1 à 8 ! Nous voyons bien que la DGF est déjà un instrument de péréquation, comme nous l'avions relevé dans un précédent rapport de la délégation. Dans ce cadre, se pose la question de savoir s'il n'est pas opportun de revoir les variables d'ajustement de sa part forfaitaire.
Mme Patricia Schillinger. - Je m'interroge sur la nécessité d'une loi à ce sujet. Pour l'instant, les mutualisations existent et fonctionnent.
M. Yves Détraigne. - Elles existent sur la base du volontariat. Si nous voulons encourager la mutualisation, nous devons mettre en place un système juridiquement opposable, ou en tout cas clairement incitatif. Tel est notre raisonnement. Heureusement qu'il existe un certain nombre d'expériences où la mutualisation fonctionne, et c'est parce que nous savons qu'elle fonctionne que nous souhaitons l'encourager. L'objectif est d'éviter les doublons.
M. Michel Delebarre. - Le cas de figure d'une intercommunalité avec une commune-centre et un certain nombre d'autres communes de taille réduite est un cas d'école. Mais il existe aussi des intercommunalités avec une commune-centre, des communes plus petites et quelques communes de taille plus importante, de vingt à vingt-cinq mille habitants. Or, dans ce cas, la mutualisation que vous encouragez est plus difficile à mettre en place. Une commune qui a vingt à vingt-cinq mille habitants se considère comme une ville avec ses fonctions propres et se sent plus autonome par rapport à l'EPCI. Si vous êtes convaincus qu'il faille encourager la mutualisation des fonctions centrales, et que ce projet doit aboutir sur un texte législatif, une période d'adaptation me semble nécessaire, surtout dans la mesure où la DGF est concernée. A défaut, le jeu serait inégal entre les territoires.
Une autre position pourrait être défendue : dans mon agglomération, nous avons fait beaucoup de mutualisations, mais sans toucher aux fonctions que vous évoquez. J'en ai donné une ou deux illustrations. Toutes les nouvelles compétences ont été mutualisées. Il serait dommage d'être sanctionné sur une part de DGF sous prétexte que la mutualisation a été insuffisante, alors qu'elle a eu lieu, mais sur d'autres fonctions que celles que vous envisagez. Certains élus pourraient être favorisés au motif qu'ils ont un peu touché à leurs fonctions centrales, alors qu'ils auraient en fait moins recours à la mutualisation que d'autres. Une certaine prudence s'impose.
M. François Grosdidier. - Ce que dit notre collègue est assez emblématique des difficultés rencontrées en matière de mutualisation. Pour ma part, je me rallie totalement à la proposition des rapporteurs. La mutualisation est plus facile s'agissant de ce qui est nouveau. Le véritable exercice, qui mérite justement d'être encouragé, me paraît être celui qui consiste à mutualiser ce qui existe déjà et n'a jamais été mutualisé. Je me souviens que mes nouvelles interrogations en tant que maire trouvaient souvent comme réponse cette phrase : « Nous avons toujours fait comme cela ». Il convient d'expliquer que ce n'est pas parce que « nous avons toujours fait comme cela » qu'il s'agit de la meilleure manière de procéder.
Nous avons finalement réussi à imposer à nos services communaux et intercommunaux la mutualisation du service informatique et de quelques autres services, bien que leurs exécutifs ne soient pas de la même couleur politique. Mais il a fallu surmonter des réticences. Or, cette mutualisation a été bénéfique, tant sur le plan financier que sur le plan de l'efficacité du service public. Je pense que l'effort de mutualisation doit porter aussi sur l'existant et ne pas être réservé à ce qui n'existe pas encore.
M. Michel Delebarre. - En ce qui concerne la mutualisation de la gestion des ressources humaines, elle me semble hors de portée. Qu'impliquera-t-elle ? Que le recrutement et la gestion soient mutualisés ? Les maires cherchent à garder cette responsabilité. Je suis prêt à vous suivre pour l'informatique parce qu'elle nécessite un support technique lourd et coûteux, mais je m'interroge sur la pertinence d'une mutualisation de la gestion des ressources humaines.
M. François Grosdidier. - C'est le problème du pouvoir de nomination. En matière d'urbanisme, les moyens sont mutualisés pour l'instruction, tandis que le pouvoir de décision reste au niveau municipal. Je ne sais pas dans quelle mesure ce principe est applicable aux ressources humaines. Je n'imaginerais pas que le maire renonce à son pouvoir de nomination ou de promotion. Par ailleurs, celui-ci dispose déjà d'un outil d'aide à la décision avec les centres de gestion. Dans ce cadre, j'ai aussi du mal à percevoir comment une mutualisation pourrait s'ajouter.
Mme Renée Nicoux. - Il est vrai que les ressources humaines sont très difficiles à mutualiser. A l'inverse, d'autres services pourraient tout à fait faire l'objet d'une mutualisation dans les petites communes et intercommunalités, comme celui des appels d'offre. Les petites communes ne sont pas en capacité de rédiger des cahiers des charges, alors qu'elles en ont de plus en plus besoin. C'est en termes de services plutôt que de personnels qu'il faudrait réfléchir.
M. Yves Détraigne. - C'est dans cet esprit que nous nous situons.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Dans toutes les intercommunalités, les mutualisations se font entre la ville-centre ou les villes les plus importantes et la communauté d'agglomération ou de communes. Lorsqu'il y a mutualisation, il ne faut pas s'imaginer que c'est l'ensemble des personnels de toutes les communes qui sont mutualisés. Les services qui se prêtent à la mutualisation sont ceux qui permettent un gain en matière d'efficacité et de gestion des deniers publics, comme l'informatique, les paies, les marchés publics... Il est évident que l'ensemble du personnel n'a pas à être mutualisé. Ce serait impossible. L'objectif est de renforcer une meilleure utilisation des deniers publics. Il s'agit d'un débat très important, surtout à une époque où la ressource financière devient rare - c'est le moins que l'on puisse dire - et où les services de l'Etat, qui apportaient beaucoup d'appui aux petites communes, ont presque disparu. Donc je pense que c'est une bonne démarche d'aller vers la mutualisation des services centraux et supports, qui constituent le socle commun de toutes les intercommunalités.
Je vais maintenant vous demander de vous prononcer sur ce projet de proposition de loi. Pensez-vous qu'il puisse recueillir l'assentiment de notre délégation ?
M. Michel Delebarre. - Je ferais preuve d'incohérence avec les propos que j'ai tenus aujourd'hui si je m'exprimais en faveur de cette proposition. Les interrogations que j'ai exposées demeurent, même si certaines précisions et clarifications m'ont été fournies. Cependant, je suis d'avis qu'un examen plus approfondi est nécessaire. Je ne dis pas que toute mutualisation est impossible, mais, si ce projet est adopté par le Parlement, alors il y aura une obligation de le mettre en oeuvre. Or, ce dernier introduirait un bonus-malus sur la DGF. Dès lors, votre incitation sera ferme, et, bien que j'aie conscience de la nuance existante, il me semble que la différence entre une incitation ferme à la mutualisation et une obligation de mutualisation est infime.
M. Jacques Mézard. - Je ne partage pas votre interprétation. En effet, il existe aujourd'hui divers coefficients que nous ne considérons pas comme des obligations à faire quelque chose : tel est le cas du coefficient d'intégration fiscale. Je considère plutôt ces coefficients comme une dotation de l'Etat, qui permet d'être plus ou moins indemnisé pour les choix politiques voulus par la collectivité territoriale.
M. François Grosdidier. - Pour moi, une incitation n'est pas une obligation et je trouve intéressant que la loi puisse prévoir une incitation à la mutualisation. Cependant, je n'ai pas le sentiment que nous ayons épuisé le débat. Aussi, je crois qu'il est un peu prématuré d'adopter ce projet de proposition de loi. Néanmoins, il serait dommage que tout ce travail ait été fait en vain.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - L'objectif de nos rapporteurs était de lancer le débat. Ils ont pris note des remarques de chacun. Par ailleurs, rien ne les empêche de déposer une proposition de loi que certains d'entre nous pourraient signer. Cependant, la proposition ne serait pas déposée au nom de la délégation.
M. François-Noël Buffet. - La proposition qui est faite nous interpelle. Comme beaucoup de collègues, je ne suis pas hostile à l'idée. Cela étant dit, certains points méritent encore d'être discutés afin de surmonter les contraintes que nous avons évoquées. Je pense pouvoir résumer la pensée de nos collègues en disant que personne n'est totalement enthousiaste pour adopter ce projet de proposition, mais que personne ne souhaite mettre un terme à ce projet. Je pense qu'il faudrait être plus précis sur certains points : en effet, mettre en place un dispositif relatif à des transferts de compétences ou de services, même à caractère technique, mérite des évaluations sur la portée de ces dispositions. Il en est de même pour ses conséquences sur la DGF. Je propose que nos deux rapporteurs avancent sur ces points particuliers et que le projet de proposition nous soit présenté à nouveau prochainement. Ils sont évidemment libres de déposer, dès à présent, une proposition de loi sur ce sujet.
M. Yves Détraigne. - Ce que vient de dire notre collègue résume la plupart des avis entendus ce soir. Nous devons davantage approfondir ce sujet.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Les rapporteurs sont face à un choix : soit ils déposent leur proposition de loi et le débat se poursuivra devant l'ensemble du Sénat, soit ils approfondissent certains points et reviennent devant la Délégation pour nous présenter leur texte. C'est à eux de choisir.
M. Yves Détraigne. - Nous ne souhaitons pas déposer une proposition qui sera modifiée maintes fois et qui fera l'objet de nombreux amendements. En effet, nous risquerions dans ce cas d'aboutir à un texte incompréhensible et très éloigné de l'esprit initial. Si vous estimez que ce projet a besoin d'être précisé et mieux encadré, nous allons le faire.
Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Nos rapporteurs décident d'approfondir leur réflexion. Je me mettrai en relation avec eux pour savoir quand ils seront en mesure de nous proposer un nouveau texte. Je vous remercie.