Mardi 25 octobre 2011
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Évaluation à l'école maternelle - Audition de M. Jean-Michel Blanquer, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l'Éducation nationale
La commission procède à l'audition de M. Jean-Michel Blanquer, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l'éducation nationale, sur l'évaluation à l'école maternelle.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - J'ai souhaité vous entendre aujourd'hui, monsieur le directeur général, à la suite des informations parues dans la presse concernant une évaluation en classe maternelle, qui a suscité un certain émoi, parce que, d'une part, le Parlement n'est que trop souvent tenu à l'écart d'arbitrages qui conditionnent la vie scolaire et l'éducation, et d'autre part, certains collègues et moi-même avons eu l'impression d'une réitération d'un célèbre débat sur l'inné et l'acquis. Je reprendrai les titres de la presse : « virus de l'évaluation des risques chez les jeunes enfants : le retour », « M. Chatel invente l'étiquetage des élèves de maternelle », « vers l'évaluation des enfants à risques dès cinq ans », « le ministre : "un repérage précoce est nécessaire" ».
Je sais que le ministre de l'éducation nationale a démenti cette information mais a cependant été évoquée la mise en place d'un outil de travail pour - je cite cette fois - « déceler les difficultés des jeunes enfants ».
Demain, nous devons examiner en commission une proposition de loi relative à la scolarisation en maternelle, c'est vous dire que nous sommes attentifs au sujet des jeunes enfants à l'école. Il m'a donc paru utile de vous entendre sur cette question.
M. Jean-Michel Blanquer, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l'éducation nationale. - Je vous remercie, madame la présidente, de l'occasion qui est offerte à la direction générale de l'enseignement scolaire de pouvoir donner des éclaircissements sur cette question qui a été présentée dans la presse. Les titres de la presse ne sont pas le meilleur point d'appui pour avoir une idée claire de cette question.
L'objectif principal de tout le système scolaire est d'arriver à ce que plus aucun enfant ou presque ne sorte de CM2 sans savoir lire, écrire et compter, c'est-à-dire sans maitriser les fondamentaux. Notre priorité est le niveau des élèves à la sortie de l'école primaire. Nous savons, par ailleurs, que beaucoup de choses se jouent avant six ans. Sur les 15 à 20 % des élèves qui sont en difficulté à la fin du CM2, la majorité d'entre eux peut être repérée dès l'âge du cycle 2, c'est-à-dire en grande section de maternelle, en cours préparatoire ou en CE1. Il s'agit de prendre à la racine les problèmes qui se posent.
Sous cet angle, il existe une stratégie qui repose sur trois points : la refonte des programmes de l'école primaire qui s'est centrée sur les apprentissages fondamentaux, la réforme de l'aide personnalisée qui permet à tous les élèves d'en bénéficier deux heures par semaine à l'école élémentaire mais aussi à l'école maternelle afin de donner toute son utilité au dispositif, et la question de l'évaluation en CE1 et CM2. Ces évaluations permettent de disposer d'éléments d'information sur le niveau des élèves dans toute une série de compétences très précises. Aujourd'hui, à toutes les échelles, on est capable de voir les progrès ou l'absence de progrès des élèves sur des notions très précises. Cela permet d'avoir véritablement un pilotage pédagogique fin à l'échelle des territoires, puisque les problèmes s'y posent différemment.
Ce triptyque suppose que nous ayons une action en maternelle, en distinguant le cycle 1 et le cycle 2. Comme vous le savez, la loi de 1989 a introduit cette notion de cycle qui est très importante et qui permet en particulier, s'agissant du cycle 2, d'avoir une approche complète de ce qui se passe en grande section, en cours préparatoire et en CE1. Explicitement, on considère depuis lors que la grande section est pour chaque enfant une préparation au CP, afin de lui permettre de disposer de toutes ses chances à l'entrée à l'école élémentaire.
L'école maternelle est, si on devait la définir, l'école du langage par excellence. Or la première inégalité, qui est la racine des problèmes qui apparaissent ensuite à la fin de l'école primaire, est l'inégalité devant le langage et le vocabulaire en particulier. On a donc des actions intensives à mener aussi bien pour la maîtrise du langage que pour le développement de la conscience phonologique. Dans ce contexte, depuis de nombreuses années, existent ce que l'on appelait les évaluations de maternelle qui se pratiquent selon des modalités hétérogènes. Elles ont fait l'objet de multiples travaux pour essayer d'améliorer les instruments existants. On a commencé à travailler au ministère sur un nouveau protocole comme un outil à disposition des enseignants. Ce protocole reposait sur les travaux d'un laboratoire de l'université de Grenoble, lui-même très articulé avec la recherche internationale et qui avait parachevé un travail permettant de fournir aux enseignants un protocole d'évaluation des élèves pour identifier les difficultés mais aussi les entrainements nécessaires pour en analyser la nature. Trois temps étaient envisagés : en novembre-décembre, pour tester les élèves, ensuite de janvier à mai, des entrainements dans le cadre de l'accompagnement personnalisé afin éventuellement de remédier aux difficultés des élèves et enfin, en cas d'absence d'amélioration, en mai-juin, pour prendre un certain nombre de dispositions avec la possibilité d'orienter vers un bilan médical si nécessaire.
Ce projet, qui était destiné aux inspecteurs, est sorti dans la presse de façon caricaturée. Or, il n'était pas terminé puisqu'on a mis l'accent sur les questions comportementales qui faisaient encore l'objet de discussions internes et qui constituent un vrai problème. Ainsi, un sujet d'intérêt général important qui renvoie à la question de l'école maternelle, et plus précisément de la grande section, a fait l'objet de polémiques.
Le ministre s'est exprimé pour rappeler qu'il s'agissait d'un outil facultatif, que la question des comportements ne serait pas prise en compte pour s'orienter vers les autres questions pédagogiques, en particulier la conscience phonologique qui fait déjà l'objet d'exercices mais réclament des outils toujours plus précis, et qu'il ne devait pas être confondu avec les évaluations de CE1 et de CM2 qui jouent un rôle tout à fait différent. Nous allons continuer ces travaux sur ce projet, notamment dans le cadre de concertations avec les syndicats. L'objectif est de fournir un outil utile dès cette année scolaire pour l'utiliser dans la prévention de l'échec en CP.
Des mots qui ont été notés comme ceux que vous avez rappelez, « risque » et « haut risque », étaient ceux du laboratoire dans un document daté du mois d'août, qui a été donné à la presse, probablement avec l'intention d'effrayer ; ce sont bien entendu des mots que nous ne retenons pas. Il s'agit de venir en aide aux élèves qui ont le plus de difficultés.
Mme Françoise Cartron. - Je trouve un motif de satisfaction dans votre exposé, mais je ne retrouve pas l'école maternelle dans laquelle j'ai enseigné. Ma satisfaction réside en ce que l'intérêt porté par des laboratoires de recherche participe à la reconnaissance du rôle essentiel de l'école maternelle. Cela m'encourage encore à défendre la proposition de loi que j'ai déposée pour rendre la scolarité obligatoire à trois ans et ainsi sanctuariser l'école maternelle et la distinguer de tout dispositif du type des jardins d'éveil.
Un enfant se construit dès le plus jeune âge et il est nécessaire que très tôt il soit confronté à des stimulations de tous ordres qui l'aideront à développer son intelligence et sa maîtrise du langage. Cela, notre école maternelle le faisait excellemment et était reconnue internationalement dans ce domaine. Elle savait s'adapter et construire des parcours pédagogiques différenciés.
Les évaluations que vous proposez m'inquiètent. C'est le lancement de la course au classement et à l'étiquetage. Il faut plutôt tenir compte des différences de rythmes et de maturité des enfants. Il faut laisser le temps aux enfants. Le mot « entraînement » que vous employez, je ne le reprends pas. L'éducation, c'est la stimulation et l'ouverture mais pas la répétition et l'entraînement.
Enfin, je tiens à souligner qu'il faut repenser la formation des maîtres car on n'enseigne pas en maternelle comme en élémentaire.
M. Jean-Michel Blanquer. - Je pense qu'il existe bien une spécificité très nette de l'école maternelle. La direction générale de l'enseignement scolaire en tient compte et en tire les conséquences. Nous faisons la distinction entre les petite et moyenne sections d'une part, la grande section, d'autre part. On retrouve trace de l'évaluation en grande section dès les années 70. Nous ne faisons rien de nouveau mais nous avons aujourd'hui affiné les outils et nous recourons aux comparaisons internationales. Nous n'avons ni à rougir, ni à nous endormir sur nos lauriers, si nous regardons la situation prévalant dans les autres pays européens. L'existence de programmes dès la maternelle permet de préciser les progressions attendues tout en construisant des stratégies ludiques d'apprentissage, qui n'ont rien à voir, je peux vous l'assurer, avec un dressage spartiate. Le mot « entraînement » n'implique pas de répétition mais le repérage de difficultés et de progressions.
Lorsque l'on connaît le rôle fondamental de l'école maternelle dans l'épanouissement de l'enfant et la préparation du cursus élémentaire, il serait désastreux de ne rien faire pour les 10 à 15 % d'élèves en grave échec dès le CP.
M. René Macron, chef du bureau des écoles. - Plus que le terme d'entraînement, peut-être faudrait-il employer le mot anglais « training » dont les connotations sont plus positives. Les dispositifs pédagogiques que nous utilisons sont appuyés sur les recherches menées à Grenoble par Michel Zorman et Catherine Bianco. Ils visent à éveiller la conscience phonologique des enfants. Ce sont des éléments de compétence qui peuvent être travaillés entre cinq et six ans beaucoup plus facilement qu'après. En revanche, le décodage nécessaire à l'apprentissage de la lecture intervient efficacement au CP. Un an après, ce serait trop tard, un an avant, trop tôt.
Il faut ajouter que tous les enfants n'en ont pas forcément besoin. Les enfants dont le système phonologique est en place ne seront pas soumis aux tests, mais il est très important d'identifier les causes des déficiences constatées chez les autres élèves. En outre, dans les outils de dépistage proposés aux enseignants, il est prévu un étalement de l'utilisation dans l'année pour tenir compte plus finement de l'âge des enfants.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - L'idée même d'une évaluation en maternelle n'est pas mauvaise, mais elle soulève quelques questions.
Je voudrais revenir sur le contenu de ces évaluations. Vous nous dites qu'il s'agit d'un outil de prévention, et vous nous parlez d'évaluer uniquement la question pédagogique et non psychologique ; mais les enfants évoluent de façon différente. Certains, par exemple, apprennent mieux avec la méthode globale et d'autres avec la méthode syllabaire : comment avez-vous pensé ces questions ?
Ensuite, y aura-t-il une trame fournie aux enseignants ? Ou bien est-ce que chacun créera son outil d'évaluation ? Qui corrigera, l'enseignant de la classe ou ses collègues ?
Enfin, une fois les résultats reçus, les contenus du CP s'y adapteront-ils ?
Mme Françoise Laborde. - En entendant votre exposé, on ne peut être contre tout. Mais je suis étonnée que monsieur le ministre ait laissé passer certaines choses...
M. Jean-Michel Blanquer. - Je vous rappelle qu'il s'agit de fuites. C'est un document de la fin du mois d'août, capté par on ne sait qui. Le ministre n'était pas décidé à ce stade à soutenir de tels propos.
Mme Françoise Laborde. - Je retire donc ce que j'ai dit. Bien que j'aie quitté mes fonctions de directrice d'école plus récemment, je vous rejoins sur cette différence de génération. Nous faisions nos outils dans chaque classe. La problématique actuelle, c'est le manque de formation. La mastérisation fait que nos jeunes enseignants manquent de recul, et qu'ils n'ont pas les moyens de se fabriquer leurs propres outils car ils n'ont pas de cours de pédagogie. Je me demande donc si cette batterie d'exercices n'est pas là pour suppléer la faiblesse de la formation.
Concernant la grande section, nous pouvons redouter qu'elle se transforme en mini-CP. Nous craignons que cela n'entraîne la disparition de l'école maternelle, et plusieurs propositions de loi ont été déposées à ce sujet.
Enfin, se pose le problème de l'évaluation. Elle crée une pression, pour les parents et les enfants, qui est négative et qui n'est vraiment pas nécessaire. Les missions récentes sur les apprentissages ont mis en exergue les effets négatifs de l'évaluation pour les enfants. On peut craindre que ce soient justement les élèves qui ont vraiment besoin d'aide qui seront alors mis de côté.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je me réjouis que l'on pose la question de la place de l'école maternelle dans la réduction de l'échec scolaire. Les propositions annoncées cependant, bien que tronquées par les médias, m'ont profondément inquiétée. L'évaluation est stigmatisante et elle contribue à créer une école du tri, une école du dépistage. Elle naturalise les différences au nom du principe d'égalité des chances. Je trouve cela dangereux. Or les parcours sont différents, et on ne peut pas avoir de schéma en la matière.
J'ai également du mal à croire à une maladresse, parce que ces idées ne sont pas nouvelles : je citerai le rapport du député Bénisti de 2004 « De la langue maternelle à la délinquance infanto-juvénile » et les propositions de Jean-Marie Bockel sur le repérage des troubles du comportement en 2010.
Non seulement cela va sélectionner les enfants, mais cela va aussi trier les enseignants et les établissements. Cela correspond à la logique de mise en concurrence que l'on cherche à introduire dans l'école en général. On veut repérer des conduites, mais supprimer les manifestations de souffrances sans en traiter les causes et les racines est complètement inefficace et très dangereux. On ne fera qu'aggraver la mésestime de soi et l'angoisse des élèves, des parents et des enseignants, dans une situation déjà complexe. L'étude sur le « burn-out » a pu être contestée par M. Luc Chatel, mais la question des conditions d'enseignement ne peut plus être ignorée. Elles se sont terriblement dégradées en raison du manque de formation. C'est un problème de mastérisation mais pas seulement : la formation continue aussi est en jeu. On a d'autant plus de mal à croire à une maladresse, par ailleurs, dans ce contexte de suppression des effectifs.
La prévention doit s'appuyer sur un postulat d'éducabilité, selon la capacité de chacun à comprendre et acquérir des codes, à apprendre à devenir élève à son rythme. Nous exprimons tous une grande inquiétude, et votre exposé n'a pas permis de la lever du tout.
M. Michel Le Scouarnec. - Je suis maire d'une ville où il y a cinq écoles, dont trois publiques, avec des populations très différentes. L'une se trouve en zone de renouvellement urbain, elle est donc un peu protégée par l'inspectrice d'académie. Ses effectifs sont plus légers qu'ailleurs, mais l'école a été maintenue grâce à un effort renouvelé depuis dix ans.
Les enfants avec des difficultés dès le départ ont été repérés, notamment sur les difficultés de vocabulaire ; et grâce à un travail avec des effectifs de 20 ou 22 enfants par classe, cette école est devenue la meilleure école à l'arrivée en 6e. Le réseau d'aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED) intervient également, mais ce sont surtout les effectifs qui ont permis ces résultats. Je m'interroge sur l'efficacité de ce type de réformes, si, dans le même temps, les effectifs explosent, avec les conséquences que l'on sait sur la délinquance.
Mme Dominique Gillot. - D'après ces interventions, il semble y avoir un sentiment d'inquiétude partagé. Personnellement, je mesure que vous vous livrez là à une démarche de rattrapage, mais les craintes persistent. Il s'agit-là d'une école de la compétition et du tri, avec des classements anxiogènes. L'école maternelle devrait rester un lieu d'accueil, d'éveil, qui permet de cultiver le plaisir d'apprendre, le plaisir de la découverte de ses aptitudes et des autres.
La méthodologie que vous proposez - que vous présentez certes avec prudence - répond à une pseudo-nécessité de la performance, dans une société de la réussite. Est-ce que nous allons vers une exigence de réussite, un droit opposable à la réussite scolaire ? Avec un esprit de « juste retour sur investissement » ? C'est très inquiétant.
Vous vous appuyez sur des travaux de spécialistes pour préconiser la généralisation de dispositifs que vous qualifiez « d'outils non obligatoires », mais qui visent à repérer les besoins spécifiques et qui seraient généralisés à l'ensemble des enfants. Quid des enfants à besoins vraiment spécifiques ? On se concentre sur la formation de l'élève parfait, au détriment de l'élève réellement handicapé. Il y a un glissement de la prise en charge des enfants handicapés, vers le traitement de l'ensemble des enfants avec les mêmes outils que les premiers. Ce glissement a déjà été observé par le passé. Il y a une confusion entre le rôle de la médecine scolaire spécialisée et celui des enseignants de l'éducation générale, qui doivent pouvoir se reposer sur ces personnels spécialisés pour prendre en charge les enfants qui ont vraiment des besoins spécifiques. Nous devrions préférer à la stratégie de lutte contre l'échec scolaire, une stratégie de pédagogie pour la réussite scolaire.
Je m'inquiète également de la prédominance de la grande section intégrée dans le cycle 1, au détriment des toutes petites sections et donc de la scolarité précoce.
Mme Cécile Cukierman. - Il est important de se souvenir du rôle d'épanouissement de l'école maternelle. C'est le lieu où se développe le plaisir au sens noble du terme, le goût de la rencontre. C'est par ce plaisir que l'on peut acquérir les apprentissages. Cela s'évalue et se quantifie difficilement, mais l'école maternelle doit rester ce lieu-là.
Je suis de plus en plus surprise lorsque j'assiste à ces réunions de rentrée où l'on intellectualise trop l'école maternelle : cela affole les parents. On crée la pression d'un apprentissage réussi avant la fin de l'année scolaire. C'est une logique qui voudrait que tout soit fait au même moment par tous les enfants ; or ils doivent pouvoir évoluer chacun à leur rythme. Les orthophonistes ont alerté sur cette tendance : il est aberrant de vouloir que tel son soit prononcé de telle façon à tel âge. Une évaluation globale et généralisée, c'est dangereux y compris pour l'évolution de l'enfant.
Sur les formations, s'il s'agit de donner les moyens aux enseignants de se créer eux-mêmes des outils adaptés à chaque élève (et là se pose le problème des sureffectifs), alors évidemment nous l'approuvons. Mais la logique d'évaluation que vous proposez est différente.
D'autre part, les grands absents dans votre discours sont les parents. L'évaluation met pourtant une pression sur tout le monde. Enfin, je me demande quelles seront les conséquences de l'évaluation. Y aura-t-il des moyens supplémentaires alloués au CP ? La grande section a certes une place « charnière », de passage ; mais alors pourquoi créer une évaluation qui marque la fin d'un cycle ? C'est un peu contradictoire.
M. Jean Boyer. - Mon intervention ne sera pas très différente, sauf peut-être sur le plan de la parité puisque les sénatrices semblent porter plus d'intérêt à l'enseignement. Sur le plan de la profession aussi, car je suis un ancien agriculteur.
Monsieur le directeur, madame la présidente, l'école maternelle n'est-elle pas l'arbre qui cache la forêt ? La forêt, c'est le malaise de notre société. Notre société est malade, et l'admettre, c'est reconnaître que la famille l'est aussi. Dans ma génération, il y avait une complémentarité entre l'école et la famille, un relais qui se faisait lorsque l'enfant rentrait à la maison et qu'on lui demandait ce qu'il avait appris. Aujourd'hui, les familles sont souvent éclatées. Peut-il alors encore y avoir une complicité entre enfants et parents ? Avant de regarder le détail de l'école maternelle, il faut prendre en compte la toile de fond. Ce n'est pas nous qui règlerons ce problème de la société. Mais si l'école a des difficultés, si les enseignants n'ont jamais eu autant de mérite, et s'ils n'ont jamais été aussi déçus, c'est parce qu'ils ne peuvent pas redonner tout ce qu'ils ont reçu.
Voilà la contribution que je voulais apporter, en tant qu'ancien, à la réunion d'aujourd'hui.
M. Jean-Étienne Antoinette. - La République intervient de manière différenciée dans certains territoires. Le risque de ces évaluations, c'est leur fiabilité dans ces zones différenciées, où le français est la langue étrangère et n'est pratiqué qu'à l'école. N'y a-t-il pas un risque de mettre de côté une catégorie de la population, si on généralise ces évaluations, et de les exclure définitivement ?
M. Jean-Michel Blanquer. - Chaque intervenant a exprimé un point de vue commun sur l'école maternelle : elle est particulière, essentielle, elle est l'école du plaisir et du langage. Le ministère est évidemment d'accord sur le fait que l'enfant ne doit pas être soumis à une pression qui n'a rien à voir avec sa classe d'âge. Nous devons éviter les malentendus sur ces bases, qui sont aussi les nôtres. C'est un sujet fondamental, et quand on voit tout ce qui se joue avant six ans sur les courbes d'évolution de l'enfant, on est convaincu qu'il faut y concentrer l'effort.
La grande question, c'est ce qui se passe concrètement dans les écoles maternelles au niveau pédagogique, dans les relations entre professeurs, parents et enfants.
Nous ne sommes pas dans la situation que les journaux avaient décrite. Il y a un problème de vocabulaire : le mot « évaluations » donne lieu à des malentendus, aussi nous utiliserons le terme « outils ». Les évaluations en école maternelle existent depuis 1970, tout dépend ce que l'on met derrière ce terme. Outre les principes que je viens d'énoncer, nous avons élaboré des méthodes différenciées qui soulèvent des questions auxquelles je vais répondre séparément.
Mme Sylvie Goy-Chavent a évoqué les contenus pédagogiques et leur adaptation en CP. Le mot-clé de notre politique est celui de « personnalisation ». L'objectif est de personnaliser le parcours de l'élève à travers certaines stratégies pédagogiques. Les deux heures de soutien par semaine en primaire sont un dispositif fondamental, qui produit des effets positifs. Nous fournissons de plus en plus d'outils de ce type aux professeurs pour réussir la personnalisation.
En ce qui concerne la transparence du Gouvernement vis-à-vis du Parlement, et que vous évoquiez également madame la Présidente, il y a un sujet. Le site destiné aux enseignants « Eduscol » ( www.eduscol.education.fr), qui est accessible à tout un chacun, diffuse de plus en plus de ces outils au service de la formation continue.
L'évaluation est une problématique présente sur toute la durée du cursus, jusqu'au baccalauréat. Mais elle se pose en des termes très différents en maternelle. Le livret personnel de compétences vise à identifier les compétences que l'enfant a acquises à chaque étape.
Madame Laborde, vous vous demandiez s'il s'agit d'une compensation au manque de formation. Nous ne faisons pas nôtre l'expression « batterie d'outils », et préférons parler « d'outils à disposition des enseignants ». Nous vous transmettrons sous peu les exercices en question, qui sont très intéressants. Le but n'est pas le rabâchage, ni de ficher les élèves ou de les stigmatiser. Il n'est pas de mettre une étiquette qui suivrait l'enfant toute sa vie. C'est simplement un outil qui permet d'identifier des problèmes pour y répondre, ce que les enseignants font déjà aujourd'hui en pratique.
Mme Gonthier-Maurin a parlé de naturalisation des différences et de sélection. Il faut être capable d'aller à la racine des problèmes, et cela suppose un travail d'équipe à l'échelle des écoles. Il y a eu également des soupçons de médicalisation des problèmes, et nous sommes conscients du sujet. Cet outil est l'une des façons d'y faire face. Plus de 10 % des enfants sont considérés à tort comme relevant d'un orthophoniste, alors que le chiffre réel avoisine les 4 ou 5 %. L'objectif est de démédicaliser le sujet, en ayant une série de tests permettant d'aller graduellement chez le médecin ; ensuite, chacun fait son métier, le professeur d'un côté et le médecin de l'autre. Notre outil est bien sûr évolutif, et ces débats ont lieu pour que nous puissions l'améliorer.
Monsieur Le Scouarnec, sur les effectifs réduits : la politique nationale a suivi cette logique depuis des années, surtout en zone d'éducation prioritaire, quand l'école le réclame. L'enseignant peut actuellement travailler pendant une demi-heure par semaine avec un petit groupe d'élèves (3 à 5 enfants), dans la même perspective de personnalisation.
Madame Gillot souhaite éviter une école du tri anxiogène. Il est difficile de passer sa journée à penser quelque chose, et de se le voir retourner sous forme d'accusation. L'école maternelle doit à tout prix ne pas être anxiogène. Nous y travaillons, et ce que nous faisons n'est pas parfait, mais croyez bien que le principe est celui-là. Dans le futur, la philosophie de l'évaluation sera affirmée, mais ce ne sera pas une philosophie anxiogène.
Quant aux enfants handicapés que vous mentionnez, je crois qu'il y a un consensus sur les progrès accomplis depuis 2005. Il y a eu une augmentation de 50 % du nombre d'enfants handicapés dans les écoles, et un effort national très important sur cette question. Cela montre la capacité de personnalisation du système, et sa capacité à maintenir le principe d'égalité.
Mme Cukierman pose la question des parents d'élèves. C'est évidemment une question clé. Le dialogue entre les familles et les écoles est primordial, à travers des opérations comme « la mallette des parents » qui se tient chaque année. Cette opération met en place un accueil des parents en début d'année, pour les informer sur les enjeux de l'école et diffuser des messages anti-anxiogènes.
Monsieur Antoinette, je vous remercie d'avoir mentionné l'outre-mer. Je suis heureux que vous terminiez par cet exemple, qui illustre la problématique d'adaptation. En effet, notre outil est fait pour être adapté, et d'abord aux élèves qui sont non francophones, pour des raisons culturelles. C'est l'accompagnement de ceux-là qui est important. Depuis deux ans et demi, les inspecteurs de l'éducation nationale de maternelle travaillent auprès des académies pour faire vivre ce principe d'adaptation. Nous n'oublions pas qu'à Mayotte ou en Guyane, le premier objectif est déjà de s'assurer que les élèves aillent à l'école dès trois ans.
Mercredi 26 octobre 2011
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Scolarité obligatoire à trois ans - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de Mme Brigitte Gonthier-Maurin et élabore le texte sur la proposition de loi n° 447 (2010-2011) de Mme François Cartron, visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Depuis la loi Ferry du 28 mars 1882, l'obligation scolaire a été progressivement étendue en aval, de 13 ans à 16 ans. Mais, en amont, malgré le développement des écoles maternelles à l'initiative de Pauline Kergomard, le début de l'instruction obligatoire est resté fixé à six ans. La proposition de loi n° 447 de Mme Cartron et du groupe socialiste renverse la logique afin de préserver et de conforter l'acquis social majeur que constituent les écoles maternelles. La même conviction m'animait lorsque je déposais avec le groupe CRC une autre proposition de loi visant à garantir le droit à la scolarisation dès deux ans. Nos propositions étaient d'ailleurs rejointes par le groupe RDSE dans un autre texte. La conjonction des dépôts de trois propositions de loi, distinctes mais convergentes, témoigne de l'importance que nous attachons tous aux premiers pas des élèves à l'école.
Au terme des auditions et des travaux que j'ai menés, j'ai acquis la conviction que l'école maternelle peut et doit jouer un rôle clef dans la réduction des inégalités et dans la lutte contre l'échec scolaire. Ce point fait consensus parmi les parents, les enseignants et les chercheurs, ainsi qu'au ministère de l'éducation nationale. Globalement, à condition de s'assurer de la qualité de l'accueil, une scolarité maternelle longue a des effets protecteurs à long terme sur la suite du cursus, réduisant en particulier significativement les redoublements à l'école élémentaire. L'école maternelle constitue donc un instrument de sécurisation des parcours scolaires. C'est un chaînon essentiel du système éducatif mais un chaînon fragile et menacé.
En effet, malgré l'importance fondamentale de l'école maternelle pour le développement des enfants et la facilitation de leur parcours scolaire, le ministère de l'éducation nationale a fait prévaloir une politique de réduction des coûts qui s'est traduite par un recul net du taux de scolarisation. Nous sommes statistiquement revenus trente ans en arrière, à la situation qui prévalait avant les années 80. Les suppressions de postes touchent d'abord, en effet, les missions facultatives de l'éducation nationale, quelle que soit par ailleurs leur importance sociale. La préscolarisation dès deux ans est la plus affectée. Tombée à 13,6 % nationalement, elle frappe durement des zones pourtant prioritaires comme le département de Seine-Saint-Denis par exemple. Les réductions de postes dans le premier degré n'ont pas épargné la prise en charge des trois à cinq ans. Si le taux de scolarisation demeure de 100 %, c'est que l'on a augmenté les effectifs par classe et ainsi dégradé les conditions d'accueil. Il n'est pas dit qu'à ce rythme, les écoles maternelles ne devront pas écarter dans les années à venir de plus en plus d'enfants, faute de places disponibles.
À cette pression budgétaire, s'ajoutent les effets de la réforme de la formation des enseignants. De l'aveu général, la mastérisation est inadaptée, parce qu'elle affaiblit la professionnalisation des futurs enseignants et complique leur entrée dans le métier. Les quatre rapports successifs Filâtre, Marois, Grosperrin et Jolion convergent sur ce point. Si l'ensemble du système éducatif est concerné, c'est bien à l'école maternelle et auprès des très jeunes enfants que les dommages risquent d'être les plus importants.
Enfin, il ne faut pas négliger l'impact des attaques symboliques qui ont tendu depuis 2007 à dévaloriser l'action des enseignants et à promouvoir des alternatives privées payantes, qui n'ont jamais démontré leur efficacité. Cette remise en cause a été durement ressentie par le corps enseignant. Elle participe à la dégradation de la condition enseignante, analysée dès 2008 par le rapport Pochard. L'actualité récente en témoigne tragiquement.
Face à ces attaques, j'estime que l'avancée à trois ans de l'âge de l'instruction obligatoire constitue une mesure de sauvegarde essentielle. C'est la première pierre du chantier de la refondation de l'école maternelle, aujourd'hui fragilisée dans ses moyens et dans sa fonction. Il faudra aller encore au-delà et engager une réflexion sur la mission et la fonction de l'école maternelle, qui permettra ensuite un travail sur les contenus et une remise à plat de la formation des enseignants. Parents et professeurs nous attendent là.
Sur le plan symbolique, l'intégration de l'école maternelle dans la scolarité obligatoire permettra la reconnaissance définitive de son statut d'école à part entière. Elle contribuera également à l'affirmation de son rôle fondamental à la racine du système éducatif. Elle est le lieu privilégié où progressivement se développe l'enfant et se construit l'élève dans le respect de sa personne et de ses besoins.
En outre, sur le plan juridique, la proposition de loi impose à l'État une obligation de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires à l'accueil et à l'instruction de l'ensemble des enfants de trois à cinq ans. Le passage d'une faculté, même si elle était exercée dans les faits, à une obligation constitue un verrou utile. Il contribuera à bloquer toute velléité de réduction de la scolarisation en maternelle à partir de trois ans. Il aidera à freiner la lente érosion des moyens matériels et humains consacrés à l'école maternelle.
Après examen, le texte ne présente aucune difficulté de conformité à la Constitution ou aux conventions internationales ratifiées par la France, en particulier à la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où seule l'instruction obligatoire est visée. La proposition de loi n'impose pas, malgré son titre équivoque, la scolarisation obligatoire. Elle ne remet donc aucunement en cause la liberté de l'instruction et le libre choix des familles. En outre, budgétairement, l'impact sur l'État et les communes devrait rester marginal puisque d'ores-et-déjà la totalité des enfants sont accueillis à partir de trois ans.
En revanche, j'attire votre attention sur la question de l'extension de l'enseignement privé en maternelle. En effet, le droit existant ne reconnaissant pas l'école maternelle comme élément de l'obligation scolaire, il n'impose pas aux communes de prise en charge financière du fonctionnement des classes maternelles privées. C'est une différence fondamentale avec l'école élémentaire. La jurisprudence du Conseil d'État distingue un seul cas d'obligation, celui où le maire a approuvé le contrat d'association de la classe maternelle privée. C'est pourquoi l'enseignement privé est peu présent au niveau de l'école maternelle. Dès lors que l'école maternelle sera intégrée à la scolarité obligatoire, les communes seront tenues de participer financièrement comme elles le font actuellement pour les classes élémentaires privées sous contrat. Une extension de la part de l'enseignement privé en maternelle est donc probable, surtout dans les régions comme le Nord ou la Bretagne, où il est traditionnellement bien implanté.
Cependant, je ne crois pas à un flux massif vers l'enseignement privé. En effet, l'interdiction du financement de l'investissement par les collectivités demeure en place. Sans l'aide des collectivités, interdite par le législateur, la construction et l'aménagement de locaux représentera une charge financière probablement trop lourde pour le privé. En d'autres termes, le financement de l'investissement constituera un frein très important au développement d'écoles maternelles privées.
Il convient, cependant, de mettre en garde contre deux effets pervers potentiels de l'extension de la période d'instruction obligatoire. Premièrement, il faut empêcher que la consolidation de la scolarisation à partir de trois ans ne serve de prétexte à une accélération du reflux de la préscolarisation à deux ans. Deuxièmement, il faut stopper la dérive à l'oeuvre de l'école maternelle vers l'école élémentaire, à la fois dans les missions, l'organisation et les apprentissages. Cette tentation de la « primarisation » de l'école maternelle existe déjà, notamment en grande section. L'intégration de l'école maternelle dans la scolarité obligatoire ne devra à aucun prix renforcer ce mouvement. Ce serait gommer sa spécificité et empêcher son adaptation fine aux besoins d'enfants en pleine transition cognitive et psychoaffective.
Pour consolider et préciser le texte de la proposition de loi, je vous proposerai d'adopter un certain nombre d'amendements. Ils viseront à :
- garantir l'homogénéité et la cohérence de l'ensemble des dispositions du code de l'éducation mentionnant l'instruction obligatoire ;
- tirer les conséquences du texte en matière de préscolarisation, ramenée de facto au seul accueil des enfants de deux ans ;
- maintenir l'école maternelle hors du champ de contrôle de l'assiduité scolaire, afin de préserver une certaine souplesse dans l'organisation de la journée pour les enfants de trois ans et surtout empêcher l'activation du mécanisme de suspension des allocations familiales prévu par la loi Ciotti du 28 septembre 2010 ;
- exiger une formation initiale et continue des personnels enseignants qui reconnaisse la technicité particulière de leur tâche et qui tienne compte des spécificités des enfants accueillis à l'école maternelle.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je donne la parole à l'auteure de la proposition de loi, qui est également rapporteure du budget de l'enseignement scolaire.
Mme Françoise Cartron. - L'exposé de Mme Gonthier-Maurin reflète bien l'esprit de la proposition de loi. J'ai voulu mettre l'accent sur le rôle fondamental de l'école maternelle dans le parcours scolaire et éducatif. Un texte législatif est nécessaire pour le mettre en valeur et le sanctuariser. Au cours de sa dernière audition devant notre commission, le ministre de l'éducation nationale a affirmé qu'en période de crise, comme celle que nous connaissons, nous avions un devoir d'ambition, une exigence d'éducation. Cette exigence doit commencer dès l'école maternelle. 130 ans après les lois Ferry, il est temps de mettre le droit en adéquation avec les faits, alors que notre société s'est considérablement transformée. Cela ne veut pas dire que nous allons faire de cette école maternelle une petite école primaire. Quelle école maternelle voulons-nous ? Comment peut-elle jouer ce rôle essentiel pour l'éveil, la formation, le développement des aptitudes des jeunes ? Ce pourrait être l'école du sensible et l'école du réel. Il faut que les enfants, en particulier de milieux défavorisés socialement ou culturellement, puissent avoir le même accès à ce monde du sensible, de l'émotion, de la rencontre avec le langage et avec les autres. Mais il est aussi nécessaire qu'ils découvrent ce monde du réel, car aujourd'hui les enfants de moins de trois ans subissent au moins trois quarts d'heure de télévision avant de partir à l'école. Il y a une distorsion entre le monde réel et le monde des images, qui peut être très préjudiciable. L'école maternelle est ce lieu qui permet à tous les enfants de retrouver le réel et le sensible et donc d'appréhender leur environnement. Dans la réalité des faits, 99 % des enfants sont scolarisés à trois ans. Autant en faire une obligation légale. Les parents adhèrent massivement à l'ambition de l'école maternelle et ont, pour certains, une demande dès deux ans et demi. Nous devons donner à l'école maternelle les moyens de fonctionner, redéfinir son rôle et nous interroger sur une formation des maîtres adaptée. Il y a un tel besoin d'écoles aujourd'hui, que des classes maternelles privées hors contrat se développent. Elles sont payantes. La liberté de choix des parents, aujourd'hui, c'est surtout la liberté de payer ! Il n'est pas normal que seuls ceux qui en ont les moyens, puissent faire accueillir leurs enfants alors que les enfants des familles modestes devront rester à la maison dans un univers culturel plus ou moins stimulant. L'école maternelle doit permettre à tous les enfants d'entrer progressivement dans les apprentissages et faciliter leur parcours scolaire. Cette proposition de loi est une manière d'affirmer le rôle prédominant de l'école maternelle dans le parcours des enfants de trois à seize ans.
M. Michel Le Scouarnec. - Ma région scolarise depuis longtemps les très jeunes enfants. 60 % des deux-trois ans étaient scolarisés jusqu'à 2007. Depuis, la réduction des postes a fait chuter ce pourcentage à 20 %. C'est un déchirement douloureux. Il y a des traitements inégalitaires entre communes et entre écoles d'une même commune. Or lorsque certaines écoles pouvaient accueillir des élèves de communes surchargées, elles n'en avaient pas le droit, et nous avons fait sauter ce verrou. De nombreuses manifestations se sont déroulées dans notre ville et d'autres communes. J'aimerais attirer l'attention sur l'âge réel d'entrée à l'école. Celui qui a deux ans en janvier, a déjà dépassé les deux ans et demi en septembre. Ce n'est plus le même enfant et son accueil à l'école maternelle doit en tenir compte. Au-delà de la proposition de loi, il me semble impératif d'inscrire dans le budget les postes nécessaires pour accueillir chacun et faire vivre convenablement nos écoles maternelles. Les résultats brillants des élèves bretons, que tout le monde reconnaît, viennent aussi de cette tradition de scolarisation précoce. L'école maternelle a un rôle fondamental dans la réduction de l'échec scolaire. Dans le Morbihan, il y a presque autant d'écoles privées que d'écoles publiques, mais elles accueillent les enfants dans les mêmes conditions grâce à des contrats d'association. Les communes versent de 450 à 850 € par enfant en maternelle. Je suis favorable à ce texte, mais il faut se donner les moyens d'accueillir aussi les enfants qui n'ont pas trois ans. Je voudrais évoquer enfin le dispositif du multi-accueil : certains parents laissent leurs enfants en multi-accueil, et pendant ce temps l'accès est bloqué pour les nouveaux-nés.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Je comprends les préoccupations de Mme Cartron mais la notion d'obligation me dérange, compte tenu des différences de rythme et de maturité des enfants. A trois ans, ce sont encore des bébés. Certains enfants ne sont pas du tout mûrs pour affronter la vie au sein de grands groupes. Je pense aussi aux maires ruraux. Comment mettre en place l'obligation de scolarisation à trois ans dans une classe unique ? Les élus vont-ils devoir embaucher une, deux, plusieurs Atsem, alors que leurs finances sont déjà plus que serrées ? Va-t-on leur demander de faire une fois de plus un effort supplémentaire ? Il faudra beaucoup de personnel pour remplir cette obligation, au vu du temps consacré à la propreté de l'enfant à trois ans. Ce texte risque de provoquer la suppression de ces classes uniques qui ont pourtant d'excellents résultats (statistiquement prouvés) et qui évitent aux enfants de faire des heures de transport. D'autre part, je n'aimerais pas qu'on confonde l'école avec une garderie. Les enseignants méritent bien mieux que cela.
M. Jean-Jacques Pignard. - La proposition de loi aborde des questions de fond qui ne peuvent pas être traitées aussi rapidement. On ne peut pas régler ces vraies questions par une pirouette. Sur le fond, il doit y avoir discussion. Une discussion large qui prendra en compte l'ensemble des aspects de l'école maternelle ; sur la forme, la proposition de loi relève de l'affichage politique.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Sachez que dans cette commission, nous échangeons sur le fond et que les accusations politiciennes peuvent être gardées pour la séance publique.
Mme Colette Mélot. - L'école maternelle est un point fort de notre système éducatif et je veux rendre hommage aux enseignants qui font un travail remarquable. Instaurer une obligation de scolarité, en revanche, n'est pas une bonne chose. Cela reviendrait à supprimer la flexibilité actuelle, alors que les enfants se développent à des rythmes différents. Je pense surtout à la propreté ou au sommeil. Peut-on vraiment imposer des journées complètes uniformément à tous les enfants de trois ans ? Le seul point sur lequel je suis d'accord, c'est la formation des enseignants. Les très jeunes enfants constituent un public totalement différent. Il faut réfléchir là-dessus.
M. Pierre Martin. - Je me range du côté de Mme Mélot. Notre école maternelle est une réussite et il faut s'en féliciter. La proposition de loi passe complètement à côté des parents qui ont un rôle essentiel à jouer. Ils ont le droit de choisir de mettre leur enfant à l'école maternelle ou dans une autre structure d'accueil ou encore de le garder à la maison. Une scolarisation précoce n'est pas du tout une garantie de succès pour le système éducatif. Regardons l'exemple de la Finlande où les enfants sont scolarisés à six-sept ans et qui connaît pourtant d'excellents résultats aux tests PISA. En France, on a reculé l'âge final de la scolarité pour qu'on soit plus longtemps scolarisé mais nos résultats se sont dégradés. Pour les deux-trois ans, il faut trouver des structures d'accueil spécifiques et diversifiées. Cela peut être à l'éducation nationale, cela peut être dans les jardins d'éveil et cela peut être la famille aussi.
Quant à la formation des enseignants, je ne crois pas que l'obtention d'un Master les aide auprès de très jeunes enfants. Je me rappelle le temps des écoles normales d'où sont sortis ces hussards noirs de la République qui mettaient tout leur coeur dans la classe. Ils avaient une passion et ils recevaient une récompense : la réussite de leurs élèves. L'obligation scolaire ne créera pas un meilleur accueil et une meilleure prise en charge des jeunes enfants.
M. David Assouline. - La scolarité obligatoire à trois ans est un fait réel, présent sur la quasi-totalité de notre territoire. Ne haussons pas le ton, car il s'agit de mettre le droit en conformité avec la réalité. Mais je vois bien que nous avons un véritable débat droite-gauche ! (Vives protestations). On peut se lancer des invectives (Bruits de fond) - je peux développer ?
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - M. Assouline, les mots magiques de « droite-gauche » ont soulevé un peu d'émoi, maintenant continuez votre propos calmement.
M. David Assouline. - On pourrait être rassemblés sur quelque chose de simple aujourd'hui : la scolarité à trois ans est pratiquée, donc elle correspond à une demande des parents et à une capacité de la République à répondre à cette demande. Donc l'inscrire dans la loi pourrait paraître évident : si ce n'est pas le cas, c'est que derrière il y a de l'idéologie.
Sur la question de l'obligation qui irait contre la liberté : c'est un débat récurrent. Mais si on va au bout de ce que vous dites, pourquoi la scolarité serait-elle obligatoire à quel âge que ce soit ? Si nous avons rendu la scolarité obligatoire à six ans - et à l'époque c'était déjà un grand bond - c'est parce que nous voulons qu'il y ait un moment où, dans un creuset commun, se construise une citoyenneté commune, quelles que soient les origines sociales de chacun. Aujourd'hui, dans les faits, c'est à trois ans.
Pourquoi trois ans ? Bien sûr, tous les enfants sont différents. Il y a des bébés à dix ans, il y en a qui ne sortent jamais de l'adolescence, il y en a qui sont vieux très vite... Ce n'est pas le problème. Le problème - et ce sera bientôt l'objet d'un débat de fond - c'est de réformer notre système éducatif qui ne fonctionne plus. Toutes les études nous disent, non pas que génétiquement on peut savoir à trois ans qui sera délinquant, mais bien que le taux de socialisation collective détermine beaucoup de la capacité à s'approprier le lien social et les apprentissages. L'effort doit donc être énorme sur cette tranche d'âge. L'obligation de scolarité ne signifie pas être présent 8 heures par jour : l'autonomie pédagogique doit permettre de s'adapter à trois ans. L'apprentissage à ce moment-là n'est pas le même qu'à quatre, cinq ou six ans, et il ne s'agit pas d'un moule collectif.
Un mot encore : dans les départements et territoires d'outre-mer, le problème c'est déjà de pouvoir appliquer l'obligation à six ans. Quand on a placé l'obligation à six ans, on s'est mis au diapason presque partout ; si on la place à trois ans, l'effort qui en résultera permettra non seulement de scolariser tout le monde à six ans dans tous les territoires, mais aussi de descendre progressivement à trois ans partout.
Mme Françoise Laborde. - C'est vrai que l'on affirme tout et son contraire selon ce qui nous arrange : que tout se joue avant six ans, qu'à trois ans les enfants sont encore des bébés - mais je vous rappelle qu'un enfant n'est pris à l'école maternelle que s'il est propre. Je vous rappelle que certains de ces bébés sont chez eux et regardent la télévision ; si on les considère comme des bébés, autant s'en occuper comme tels, en jouant avec eux etc.
J'ai fait l'école normale aux Batignolles, et j'ai appris et vu en tant que directrice d'école maternelle, qu'un enfant qui rentre en école maternelle doit prendre l'engagement de venir à l'école. Il a obligation de venir. Ça change l'image qu'on a d'une garderie : s'il y a une petite dévalorisation de l'école maternelle, c'est parce que justement, dans l'esprit des parents, elle n'est pas obligatoire. Si elle devient obligatoire, il y aura un respect, et peut-être une formation spécifique des enseignants. Les parents qui font le choix de ne pas mettre leurs enfants à l'école le font aussi ensuite au CP et en primaire : ce peut être pour des raisons religieuses, des raisons d'argent, ou autres. On a le droit de ne pas scolariser son enfant : peut-être qu'en maternelle aussi certains parents feront cette démarche.
Mais la maternelle a un rôle très important pour remettre l'enfant dans le monde réel et lui apprendre un certain vocabulaire, une syntaxe et une grammaire, que certains n'auront pas la chance d'avoir chez eux. Donc je suis pour l'école obligatoire à partir de trois ans. Je sais qu'il y a eu des propositions de loi pour une possibilité d'école à deux ans, non obligatoire. Je crois qu'on se retrouve tous sur les trois ans.
Par rapport à la classe unique, je n'ai pas compris en quoi la loi aura une influence. Dans les villages au contraire, si on rend l'école maternelle obligatoire, cela évitera peut-être de fermer des classes.
Mme Cécile Cukierman. - Plusieurs remarques. Tout d'abord je crois que le débat que nous avons ce matin n'est pas en opposition avec celui d'hier sur l'évaluation en classe maternelle. Je le redis, l'école maternelle est le lieu de l'épanouissement de l'enfant, qui est indispensable pour l'acquisition des apprentissages au cours des années suivantes. Rendre l'école maternelle obligatoire ne va donc pas en contradiction avec ce que nous avons dit hier. En revanche, parce que c'est l'école maternelle justement, l'évaluation n'est pas une bonne chose. Personnellement, je ne vois pas contradiction entre ce que nous avons discuté hier et ce que nous discutons ce matin.
Plus tôt l'enfant rencontrera l'autre, plus tôt nous permettrons ce que l'on appelle (expression que je ne fais pas mienne) « l'égalité des chances ». Ce n'est pas remettre en cause le rôle de la famille dans laquelle l'enfant évolue parallèlement et concomitamment avec l'école.
Nous avons un débat sur l'obligation : obliger, ce n'est pas uniformiser et faire rentrer dans le même moule tous les enfants. Ce qui se fait actuellement dans la volonté de différencier les enseignements démontre bien que l'école peut être obligatoire mais que l'on peut prendre en considération chaque enfant. Enfin, plusieurs interventions me gênent. On l'a dit, rendre l'école maternelle obligatoire c'est faire rentrer dans la loi ce qui est aujourd'hui une pratique courante. Je ne vois pas en quoi c'est gênant ; cela permettra même peut-être de déculpabiliser certains parents. Cela évitera de revenir à ce souhait de retour à cette bonne société où c'étaient les femmes qui gardaient les enfants. L'école obligatoire, c'est aussi permettre aux femmes et aux hommes d'avoir une activité. C'est aussi combattre les stéréotypes, car nous savons qu'ils se posent dès la petite enfance, sur la place des filles et des garçons. Une autre opposition dit que vivre en groupe ce ne serait pas s'émanciper ; personnellement je pense que l'on peut vivre collectivement dans le respect de chacun, et que c'est ça aussi notre République. Donner les moyens aux écoles d'accueillir tous les enfants est une bonne chose, et si cette loi pouvait être adoptée ce serait un grand pas en avant pour tous.
Enfin, dans les communes rurales, la classe unique est aussi ce lieu de rencontre. Que l'éducation nationale donne les moyens aux communes les plus isolées d'accueillir les enfants, c'est réduire la fracture de nos territoires qui se fait parfois et donc c'est plutôt positif pour les collectivités territoriales.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je soutiens l'exposé de Mme Cartron, que j'ai trouvé très convaincant. Pour répondre à Mme Cukierman, j'ose espérer que l'école maternelle n'est pas le seul lieu d'épanouissement de l'enfant, mais bien sa famille avant toute chose.
L'école maternelle est une réussite de l'éducation nationale : on a un corps d'enseignants assez remarquable, et les méthodes sont très bonnes. Si, comme l'a dit M. Assouline, il s'agit de mettre en conformité le droit avec la réalité, je pense que cette proposition ne peut être déconnectée d'un cadre plus global qui est la refonte sérieuse des rythmes scolaires. Ni dans l'exposé de Mme Cartron, ni dans celui du rapporteur, je n'ai entendu prononcer ce mot. Pour être une réussite, l'obligation de scolarité nécessite absolument de repenser le rythme de l'année, de la semaine, de la journée. Le système français est le plus déséquilibré qui soit, puisqu'on a le plus grand nombre d'heures dans le plus faible nombre de journées. La tranche des trois-six ans est la période où l'on est encore plus concerné par les rythmes scolaires. Il faudra avoir une concertation extrêmement approfondie avec les élus locaux, car il faut considérer non seulement les moyens mis à la disposition par l'éducation nationale mais aussi par les collectivités territoriales. Une refonte des rythmes nécessite de repenser le scolaire et le périscolaire, et nécessite (Mme Morin-Desailly demande le silence) un réaménagement de l'école. Je plaide pour qu'on ait une réflexion plus globale : déconnecter les choses les unes des autres n'est pas la garantie de la réussite.
Mme Dominique Gillot. - Tout le monde semble d'accord pour dire qu'il s'agit de mettre le droit en conformité. Il y a urgence à sanctuariser l'école maternelle. Il faut considérer deux volets parallèlement : d'une part, le volet éducatif, d'autre part, tout ce qui touche à la socialisation et à la citoyenneté. Entrer précocement à l'école maternelle permet de s'approprier les codes, les savoirs et les compétences qui seront utiles, à la fois, lors du cursus scolaire et pour l'apprentissage de la vie en collectivité. L'école maternelle doit rester le lieu privilégié d'apprentissage du vivre ensemble. Il faut bien entendu tenir compte particulièrement des enfants dont l'instabilisation affective et sociale freine le développement cognitif, et se donner les moyens de les accueillir comme tous les autres enfants. C'est pourquoi l'obligation scolaire à trois ans est essentielle. Obligation ne veut pas dire collectivisme, comme certains voudraient le faire penser, mais, en revanche, c'est ce qui permettra de résister aux dérives de l'individualisme et de tendre vers une véritable société des égaux.
Mme Marie-Christine Blandin. - L'horaire ne nous permet pas de mener une argumentation exhaustive sur le texte à partir d'un texte écrit ; mais la commission commence son travail et chacun s'habituera à son mode de fonctionnement. Il y a encore trois intervenants : je vous demande d'être brefs et je clos les inscriptions.
M. Jean-Pierre Plancade. - Je prends le risque de parler mais je ne suis pas enseignant. J'ai écouté tout le monde, les uns plus spécialistes que les autres. (M. Plancade et Mme Blandin demandent le silence). Au fond, on a tous le même souci : l'épanouissement de nos enfants. En réalité, le débat porte sur la notion d'obligation. Sur tout le reste, on a chacun notre point de vue mais ce n'est pas le lieu. Moi, je suis pour l'obligation, parce que je pense que la liberté ne s'apprécie que dans l'obligation. J'entends ce discours qui me séduit, qui n'est ni de droite ni de gauche : la « boboïsation » de l'éducation nationale, cette espèce de « Rousseauisme » qui fait qu'on s'adapte à l'enfant. Pour moi il n'y a pas de problème, si mes enfants ou mes petits-enfants ne vont pas à l'école, ils auront le niveau culturel tout de même. Mais je veux attirer l'attention sur la nécessité d'avoir un tronc commun obligatoire, comme M. Assouline l'a dit, qui fonde la citoyenneté. Dans certaines familles, s'il n'y a pas d'obligation, les enfants ne vont plus à l'école. J'entends vos remarques sur le fait que les enfants n'évoluent pas tous au même rythme, mais il y a des moyens de corriger cela au cours de la scolarité.
M. Vincent Eblé. - J'ai le privilège d'être tout récent parlementaire et très jeune dans la fonction. Quel est notre rôle de parlementaire ? C'est bien sûr d'infléchir la société, et de permettre que les choses se transforment. Mais nous pouvons parfois tenir compte d'évolutions qui nous ont précédés ! La réalité ici, ce n'est pas une loi qui l'infléchira considérablement, puisqu'aujourd'hui les enfants de trois ans sont scolarisés à 99 %. Il s'agit de tenir compte d'une situation de fait, qui éclaire de façon particulière la question de l'obligation. Il ne s'agit pas d'une obligation contraignante, puisqu'aujourd'hui les parents ont une liberté de choix totale et choisissent de mettre leurs enfants à l'école. Ce n'est pas parce que l'école va être obligatoire de trois à seize ans qu'en conséquence, elle sera uniforme. Il s'agit de prendre acte d'une réalité.
Le risque est, quand on fait une loi, qu'il y ait des conséquences ; et je suis amusé d'observer chez certains cette subite sollicitude pour les collectivités territoriales. Je ne vois pas en quoi cette loi qui n'est qu'une validation et une sécurisation, menace l'équilibre budgétaire des collectivités. Pas d'inquiétude, puisque de toute façon elles mettent d'ores et déjà les moyens nécessaires au bon déroulement de la scolarité en école maternelle ainsi que du périscolaire (accueil, demi-pension, transport scolaire). Sécuriser l'école publique pour tous dès trois ans me paraît fondamental.
M. Philippe Madrelle. - Parmi les objections, j'ai entendu parler des classes uniques. Je pense qu'on a tous constitué des regroupements pédagogiques intercommunaux pour sauver ces écoles dans les villages, et donc de sauver l'âme de ces villages. Je ne comprends donc pas cette objection.
Je voudrais conclure en constatant que tout le monde n'a pas la chance de naître dans un milieu socioculturel privilégié ; je suis sûr que l'école maternelle permet de remonter le décalage, et de finir par mettre tout le monde sur la même ligne de départ. C'est pourquoi je soutiens la proposition de Mme Cartron qui me paraît indispensable.
Des délégations du monde entier sont venues voir notre école maternelle, alors si l'on veut lui redonner sa vigueur et sa force, il faut voter cette loi.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous passons maintenant à la discussion des amendements. Aucun n'a été déposé par les membres de la commission, cinq amendements de la rapporteure sont donc à débattre.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Mme Cartron a bien reprécisé la philosophie et la visée de cette loi. La confrontation d'idées que nous avons eue ne me choque pas, au contraire elle peut éclairer nos projets.
L'objet de cette proposition de loi visait non seulement à sanctuariser l'école maternelle en la rendant obligatoire dès trois ans et créer une obligation de moyens humains et matériels ; mais aussi à attirer l'attention sur la nécessité d'avoir un travail de plus longue haleine sur l'ensemble du système éducatif. L'école maternelle doit participer très concrètement à avancer vers l'égalité, c'est-à-dire la capacité de chacun et chacune à posséder le plus haut niveau de connaissance et à exercer sa citoyenneté. De nombreuses études montrent les effets très positifs d'une scolarisation précoce, qui réduit considérablement les redoublements à l'école élémentaire.
De fait les trois ans sont scolarisés donc il ne s'agit pas d'explosion des financements ; cependant, il faut poser la question des moyens. Le nombre des élèves par classe est tout à fait inhumain.
Il ne s'agit pas de créer une obligation dès deux ans, mais simplement de laisser un droit ouvert pour les familles qui en feraient la demande. La différence de quelques mois à cet âge peut être considérable, il y a donc besoin de beaucoup de souplesse et de moyens particuliers. C'est pourquoi l'obligation n'est pas synonyme, dans notre esprit, de contrôle de l'assiduité, avec les suspensions d'allocations familiales qui y sont liées.
Il y a nécessité aussi d'une formation qui permette d'appréhender le tout-petit. Juste une précision pour terminer : la question des rythmes scolaires appartient au domaine réglementaire. Le ministère a toute latitude pour travailler sur ces questions, et évidemment il y a beaucoup à faire sur l'intégralité du système.
Mme Françoise Cartron. - Dans l'article L. 113-1 du code de l'éducation réécrit par la rapporteure, je propose de remplacer au deuxième alinéa « doit pouvoir être accueilli », qui me paraît trop impératif, par « peut être accueilli ». Je souhaite plus de souplesse.
M. François Rebsamen. - Je comprends le sens de l'amendement n° 1 : mes collègues essaient, malgré les difficultés budgétaires, de favoriser l'accueil des enfants de deux ans quand ils sont propres dans les écoles maternelles. Il y a d'ailleurs ces dernières années un fort recul de la scolarisation à deux ans. Mais viser ainsi les enfants de deux ans me semble compliqué, car les enseignants eux-mêmes ne peuvent les accueillir que lorsqu'ils sont propres. On ne peut avoir un devoir général d'aider à la scolarisation alors que tous les enfants de deux ans ne sont pas propres.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Mme Cartron, quelle est votre proposition finale ?
Mme Françoise Cartron. - Dans la même optique par rapport à ce distinguo entre enfants de deux ans propres ou non propres, l'expression « si sa famille en fait la demande » pose problème.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Il nous faut un texte, ou bien nous devons repousser et aller en séance. (Discussions) Je vous propose de différer au 28 pour une bonne rédaction commune, ça me semblerait de bonne pratique.
M. David Assouline. - Il n'y a pas d'automaticité à essayer de trouver quelque chose de conforme dans le code de l'éducation. Dans ce code, l'éventualité de la préscolarisation concernait tout le monde ; désormais, la préscolarisation à deux ans ne concernera qu'une minorité, on ne peut donc pas la mettre au même niveau et l'inscrire dans le code. Je suis donc pour absolument enlever ce paragraphe. Le code concerne les « obligations », pas les « possibilités ».
Mme Colette Mélot. - S'il y a obligation, on ne pourra plus faire valoir le critère de propreté. Tous les enfants devront « pouvoir être accueillis ». Je trouve bien dommage d'exercer une pression psychologique sur les parents et les enfants à ce sujet.
Mme Françoise Cartron. - Je veux juste rappeler que dans la loi, il y a : « la scolarisation doit être possible dès deux ans ».
Mme Marie-Christine Blandin. - C'est pourquoi je vous propose de ne pas statuer aujourd'hui sur cet amendement, pour que nous voyions s'il est nécessaire de l'aménager.
Le texte de la proposition de loi ainsi amendé est adopté.