Mardi 18 octobre 2011
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Art contemporain - Examen du rapport d'information
La commission examine le rapport d'information de M. Jean-Pierre Plancade sur le marché de l'art contemporain en France.
M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur. - Madame la Présidente, mes chers collègues, lors de la précédente session, vous m'aviez chargé d'une mission d'information sur le marché de l'art contemporain. D'emblée, j'ai perçu les problématiques passionnantes qui sous-tendent ce sujet. Mais j'ai aussi pu prendre la mesure de la difficulté de traiter ce thème en auditionnant les différents acteurs concernés. J'ai enfin et surtout évalué toute l'urgence d'un sursaut pour qu'une véritable prise de conscience collective permette enfin de juguler le déclin de la scène française au sein de ce marché. D'ailleurs, je tiens à saluer le choix de la commission de la culture qui semble avoir produit une certaine émulation. En effet, deux mois après votre décision de me confier ce rapport d'information, le ministre de la culture décidait de convoquer, pour la première fois, des entretiens de Valois du monde des arts plastiques, afin d'aborder les réformes nécessaires pour relancer le marché de l'art contemporain ! Hasard du calendrier parlementaire, le ministre a présenté ses conclusions avant nous, voici quelques jours seulement. Je me réjouis de constater que certaines de ses propositions rejoignent mes préconisations qui reflètent les attentes, très fortes, de tous les acteurs de ce marché.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais apporter une précision de vocabulaire qui est importante. Plutôt que de parler d' « art contemporain », j'ai fait le choix de parler, dès que cela était possible, de l' « art d'aujourd'hui », l'art des artistes vivants. Selon moi, cette expression reflète mieux la réalité de cette catégorie, elle exprime davantage tous les potentiels et la variété des dimensions qu'elle peut revêtir puisqu'elle peut aussi bien concerner la peinture, la sculpture, le dessin, la photographie, que le design, la vidéo, les arts « numériques », les créations éphémères ou l'art de la rue. La notion d'art contemporain semble avoir été créée comme une formule marketing, qui a le défaut d'en faire un concept abstrait, inaccessible, et donc en apparence impossible à s'approprier pour le plus grand nombre. Or, l'art d'aujourd'hui c'est précisément le contraire, c'est un art qui bouscule, qui dérange, parfois subversif, qui pousse chacun à s'interroger sur le sens de la société, sur la culture collective, sur le sens de la vie. Il n'a pas échappé au phénomène de mondialisation qu'il incarne parfaitement puisque, au-delà de l'expression des interrogations sociétales, il est l'illustration d'une dynamique de marché qui a dépassé depuis longtemps le cadre national.
L'art d'aujourd'hui est finalement devenu un enjeu politique, social, économique et géopolitique dans une période d'extrêmes perturbations et de mutations profondes de nos sociétés. La réussite du Centre Pompidou-Metz incarne ces enjeux. Dans le même esprit, l'annonce du rachat par le ministère de la culture et de la communication de la Tour Utrillo initialement vouée à la destruction et rebaptisée « Tour Médicis » à Clichy-Montfermeil est sans doute un symbole, mais cette « Tour Médicis » mettra du temps à devenir une « Villa Médicis ». Or il y a urgence. Si la création de centres d'art en périphérie ou la constitution d'un réseau comme le réseau TRAM en Ile de France dans son ensemble ont pu démontrer une volonté d'ouverture vers de nouveaux publics, il faut maintenant prendre acte de l'importance de l'art comme vecteur de développement, dans nos banlieues comme dans tout le territoire. L'enjeu est celui de la démocratisation de l'art d'aujourd'hui : il ne doit plus être réservé à une élite financière ou artistique mais il faut le rendre accessible au plus grand nombre pour le faire vivre.
La première partie de mon rapport vise justement à situer le marché français de l'art contemporain dans un contexte mondial. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : alors que Paris occupait le premier rang mondial dans les années 1960, elle est désormais classée quatrième derrière New-York, Londres et Pékin dont la progression spectaculaire traduit un patriotisme culturel chinois aussi fort qu'artificiel selon les experts. Le prix de vente moyen d'une oeuvre de l'artiste chinois le plus vendu en Chine est de 730 000 euros contre 100 000 en France. Évidemment, des phénomènes structurels expliquent une telle évolution, avec le déplacement des fortunes et des marchés, et l'émergence de nouveaux acteurs. Concomitamment à ces mouvements mondiaux, on a observé une hausse vertigineuse des prix des oeuvres d'art vendues aux enchères. Les ventes mondiales d'art contemporain ont atteint 503 millions d'euros au premier semestre de l'année 2011, dont 9 millions en France. Le temps de la carrière n'est plus celui de la formation des prix, qui, pour beaucoup, apparaissent totalement déconnectés d'une valeur réelle, reposant sur des phénomènes de bulles spéculatives. L'hyper-financiarisation du marché de l'art a fait émerger des collectionneurs « stars » comme François Pinault ou Bernard Arnault, devenus des leaders d'opinion susceptibles de faire rois des artistes non moins médiatiques. Mais il faut, cependant, se méfier de l'arbre qui cache la forêt : s'il est légitime de dénoncer les dérives de l'art financiarisé et spéculatif, il faut ici rappeler que la condition des jeunes et des moins jeunes artistes n'est ni celle d'un Jeff Koons ni celle d'un Damien Hirst. Loin des strass et des paillettes du marché, nos artistes sont souvent des précaires et, trop souvent, des mal-aimés. Alors que les Américains et les Allemands, pour ne citer qu'eux, ont toujours soutenu leurs artistes, nous les sous-estimons. Mais il y a pire : ce « Nul n'est prophète en France » devient un « Nul n'est prophète nulle part », car ce désamour démonétise nos artistes, non seulement dans notre pays, mais également à l'étranger. Par rapport à leurs homologues d'autres nationalités, leurs oeuvres, à périmètre constant, sont en général évaluées à des prix dix fois moins élevés. Nos artistes souffrent d'un véritable « syndrome du zéro manquant ». La comparaison entre l'artiste allemand Gerhard Richter et l'artiste français Marc Desgrandchamps illustre parfaitement ce syndrome, puisqu'à carrière et qualité artistique égales, le premier se vend dix fois plus cher que le second.
Mais, plus que la France elle-même, c'est la situation de la scène française et le manque de clairvoyance des acteurs français qui peuvent inquiéter. Le contexte de la FIAC, qui ouvre ses portes cette semaine, en est le symptôme : si cette Foire a certes gagné en notoriété ces dernières années, faisant de Paris un passage obligé, la place des galeries françaises s'est en revanche affaiblie puisqu'elles n'y représentent plus que 30 % de l'ensemble des galeries exposées cette année, contre 37 % en 2010 et 40 % en 2009. Plus la sélectivité, numérique ou qualitative, augmente, moins les artistes de la scène française semblent avoir de chance d'être exposés et reconnus. Et ce phénomène est encore plus vrai à l'étranger.
Nous n'avons pas, en France, pris la mesure des enjeux géopolitiques de l'art : du Federal One, ensemble de projets culturels mis en place dans le cadre du New Deal par Roosevelt lors de la Grande Dépression, au soutien des agences de renseignement américaines à des artistes de l'expressionnisme abstrait comme Pollock, les États-Unis ont, très tôt, pris conscience de l'existence d'une dimension stratégique du marché de l'art. Nous devons, à notre tour, relever le défi, reconnaître et soutenir notre soft power, notre capacité d'attraction dans le domaine de l'art à une échelle mondiale ; la France en a les moyens.
Dans un deuxième temps, mon rapport aborde la question des spécificités françaises. Je ne m'attarderai pas ici sur l'ensemble des points évoqués car ils concernent en partie des questions récurrentes maintes fois abordées dans les débats sur le marché de l'art comme la fiscalité ou la réglementation des ventes volontaires que la récente loi de libéralisation a modifiée, et qui jusqu'à maintenant constituait un handicap. Juste un mot peut-être sur le dernier débat relatif aux oeuvres d'art et à l'ISF, pour dire que son effet sur le marché de l'art a été très néfaste et a encore jeté l'opprobre sur une France déjà bien mal engagée en cette matière. En revanche, permettez-moi de m'étendre plus longuement sur les spécificités propres aux acteurs de l'art français. Car, évidemment, le marché de l'art, ce ne sont pas seulement les ventes aux enchères. Cette approche serait beaucoup trop réductrice. Je reprendrai ici la notion d' « écosystème » utilisée par M. Alain Seban, président du Centre Pompidou, pour qualifier le monde de l'art d'aujourd'hui. L'écosystème résulte de l'interaction entre ses différents acteurs et réagit de façon sensible aux dysfonctionnements rencontrés par chacun. Or, certaines spécificités françaises, pour l'ensemble des personnes que j'ai auditionnées, peuvent expliquer que l'écosystème de l'art d'aujourd'hui soit grippé et ne puisse connaître un développement durable. Il s'agit en premier lieu du cloisonnement des acteurs du marché, chacun semblant cantonné dans un champ restreint d'action. Cela est d'autant plus étouffant pour le marché que les galeries, premiers lieux de présentation des artistes d'aujourd'hui, n'ont pas les moyens de les soutenir en raison des difficultés de financement. Le cloisonnement, c'est aussi celui de l'État, qui semble avoir favorisé une trop grande étanchéité des FRAC (fonds régionaux d'art contemporain) et du FNAC (fonds national d'art contemporain). Je me réjouis de voir qu'une des mesures du plan du ministre de la culture en faveur des arts plastiques vise à faire converger les acquisitions de ces deux institutions. Par le passé, certains dysfonctionnements ont parfois pu occulter les bénéfices d'un patrimoine exceptionnel, que les territoires ont su peu à peu constituer.
En outre, le CNAP (Centre national des arts plastiques) ne paraît pas aujourd'hui exploiter toutes les voies qui lui permettraient de soutenir l'art d'aujourd'hui, à l'image d'un CNC (Centre national de la cinématographie) dans le domaine du cinéma. Enfin, les institutions muséales telles que le Centre Pompidou ou le Palais de Tokyo dont le chantier en cours sera achevé en 2012, ont besoin de trouver les moyens d'une politique à la fois d'acquisition et de valorisation internationale suffisantes. Ces moyens doivent notamment viser à soutenir les artistes en milieu de carrière, qui ont été délaissés au profit des jeunes diplômés et des artistes confirmés. Le rôle de l'État doit désormais changer d'orientation. Il doit intervenir en tant que « facilitateur » du marché de l'art, comme garant de l'interaction fluide entre les acteurs de l'écosystème.
La troisième et dernière partie de mon rapport aborde ainsi ce que pourraient être les priorités de l'action en faveur d'un sursaut pour l'art d'aujourd'hui, visant à juguler le phénomène de déclin de la scène française. Tout d'abord, il faut que la France affiche clairement ses priorités pour que le marché puisse refléter un changement, une prise de conscience, une rupture avec le décrochage de notre pays sur la scène internationale. Cela passe par une présence renforcée des artistes de la scène française - et je tiens à préciser que je ne vise pas seulement les artistes de nationalité française mais ceux qui sont formés, qui créent en France - aux rendez-vous internationaux incontournables, ce qui nécessite de nouveaux outils financiers tels que les avances remboursables accordées aux galeries via un fonds géré par le CNAP, complétés par une garantie financière de l'IFCIC (Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles). Je me félicite que cette disposition ait été annoncée par le ministre. Cette présence devra nécessairement s'appuyer sur une diplomatie culturelle performante dont l'Institut français devrait être le chef d'orchestre. Il faut que les professionnels français puissent s'appuyer sur des antennes et des relais efficaces à l'étranger. Mobilité, fluidité, échanges sont les mots d'ordre qui doivent être retenus pour favoriser les expositions itinérantes, la circulation des oeuvres et la circulation des artistes, sur l'ensemble du territoire comme à l'étranger. Les commissaires d'expositions sont également concernés par cette mobilité, car ils sont les vecteurs du développement et de la valorisation de la scène française à l'étranger.
Les priorités et le rôle de facilitateur de l'État doivent ensuite viser à réunir les conditions d'un développement des collectionneurs privés. Ce sont évidemment les fondations, mais aussi les PME ou TPE qui pourraient bénéficier d'une mesure de démocratisation du mécénat à travers un aménagement de la loi éponyme. Les collectionneurs privés, ce sont aussi les collectionneurs individuels, qui peuvent également être visés par un tel mouvement de démocratisation, via certaines mesures fiscales visant par exemple à élargir à l'acquisition d'oeuvres d'art le principe de la réduction de l'impôt sur le revenu aujourd'hui accordée en contrepartie de dons aux oeuvres d'intérêt général ou d'utilité publique. Enfin les collectionneurs traditionnels n'oseront plus prendre de risque sans une sécurité juridique minimale. Or, à mes yeux, il y a deux types de collectionneurs : ceux qui gardent leurs oeuvres pour eux-mêmes, qui en ont la jouissance exclusive, et puis ceux qui partagent, qui prêtent leurs collections privées pour des expositions, au profit d'un large public. Pour ces derniers, et ces derniers seulement, je souhaite proposer une sécurisation de leur situation fiscale actuelle dans le code général des impôts. Évidemment, une telle proposition fait nécessairement réagir, car, en période de crise, il n'est pas évident d'envisager ce genre de mesure, mais, là encore, permettez-moi d'être un brin provocateur et surtout d'offrir des pistes pour l'avenir dans un esprit de démocratisation et de justice. Car c'est le rôle d'une mission d'information de lancer des idées avant-gardistes, mais aussi parce qu'au fond, l'idée d'associer l'acquisition d'oeuvres d'art à la notion d'utilité publique fait sens à mes yeux. Je pense sincèrement que la démocratisation de l'art devrait être perçue comme une priorité, même en temps de crise, voire surtout en temps de crise. Quant aux dations, qui enrichissent les collections publiques régulièrement, elles mériteraient d'être sécurisées, afin que le vide juridique de la procédure ne puisse déstabiliser des institutions comme ce fut le cas pour le Centre Pompidou avec l'annulation de la dation des héritiers de Claude Berri. Enfin, dans les priorités, j'évoquerai rapidement les mesures qui soutiendront la création française, à travers la professionnalisation des artistes-auteurs, une meilleure articulation avec l'enseignement supérieur ou encore la politique de logement des artistes.
J'espère que vous aurez compris que ce rapport d'information ne vise pas à faire une énième liste exhaustive de propositions, qui reprendraient nécessairement les travaux des précédents rapports sur le sujet. Ces derniers ont déjà apporté un éclairage précieux sur le marché de l'art. Il s'agit plutôt d'un témoignage dressant le contour du marché de l'art d'aujourd'hui, en présentant les acteurs et les enjeux, et proposant quelques pistes qui reflètent les attentes des parties prenantes rencontrées au cours des derniers mois. L'objectif est d'ancrer enfin de façon durable le sujet de l'art d'aujourd'hui dans les débats et d'en rappeler l'urgence, pour que la France ait encore le temps de réagir, de trouver les remèdes pour un art actuel en sursis.
Avant de répondre à vos questions, j'aimerais revenir sur un point précis : certes, nous l'avons vu, l'art est aujourd'hui un vrai marché, structuré, avec ses acteurs, ses enjeux et ses problématiques. Mais il n'est pas qu'un marché : il est aussi un lien social à forger, des destinées d'artistes à accompagner, une éducation au regard à fortifier. L'art nous ouvre le champ des possibles.
Mme Maryvonne Blondin. - J'ai une question sur la troisième partie de votre intervention. Vous avez évoqué brièvement l'enseignement artistique. Je me demandais quel était le périmètre de votre rapport. Est-il plus axé sur le marché de l'art contemporain ou peut-il déboucher sur la manière de sensibiliser les jeunes à cette éducation à l'art d'aujourd'hui ? J'ai apprécié votre conclusion.
M. Ambroise Dupont. - Ce sont des sujets passionnants et difficiles à cerner. Je pensais à l'information entendue ce matin sur Van Gogh qui était un peintre méconnu, qui ne vendait pas une seule oeuvre de son vivant et qui est aujourd'hui aux cimaises de l'art. Comment conciliez-vous la difficulté de reconnaître une oeuvre et celle de la faire rentrer dans un cadre institutionnel tel que vous le proposez ? Cela me paraît compliqué. Néanmoins, c'est essentiel. Si vous ne laissez pas cours à la libre appréciation et que vous entrez dans un mode de reconnaissance institutionnel de l'art, je pense que nous allons vers des dérives qui me paraissent insupportables.
Vous évoquez la possibilité pour les FRAC de revendre les oeuvres qu'elles ont achetées. Un FRAC qui aurait trouvé un Van Gogh que personne ne connaissait et qui le revendrait. Est-ce une bonne affaire pour le pays ? Ou est-ce que ce n'est pas une belle oeuvre d'art ?
Mme Bariza Khiari. - Vous avez évoqué une piste originale concernant l'ISF. Je ne la retrouve pas dans vos propositions.
M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur - Le champ du rapport est particulièrement vaste. J'ai l'ai modifié à plusieurs reprises pour le compléter.
La question de l'éducation artistique sera bien entendu évoquée dans le rapport. On a mis l'accent sur l'enseignement dès le plus jeune âge. Il faut éduquer l'oeil des enfants à la beauté. On souhaite aussi que dans l'enseignement supérieur les étudiants reçoivent des cours de formation à l'art. C'est important en termes de positionnement de la France dans le monde.
Comment reconnaître une oeuvre de qualité ? Le débat est éternel. Ce qui n'était pas de qualité hier l'est aujourd'hui. Ce qui n'est pas de qualité aujourd'hui le sera peut-être demain ou jamais. Cela fait partie du débat permanent que nous avons les uns et les autres. Les FRAC ont acquis un patrimoine exceptionnel. Globalement les régions s'y sont mises. Il y a toujours un risque lorsqu'on achète une oeuvre visuelle. On est obligé de constater qu'il existe un milieu artificiellement entretenu. C'est le temps seul qui sera juge. L'art contemporain est devenu un marqueur social. Il y a cinquante ans les collectionneurs appartenaient à une élite financière cultivée. Aujourd'hui ce n'est plus le cas. C'est une élite financière d'abord et cultivée si elle peut. J'ai acquis la conviction, sauf la bulle qui est une réalité absolue, que le placement le plus incertain est celui dans l'art contemporain.
J'évoque l'idée de pouvoir revendre des oeuvres acquises pour en acheter d'autres. Revendre est sans doute une provocation pour susciter la réflexion. L'idée générale concerne la possibilité de prêter ces oeuvres sur de longues durées, par exemple entre musées français et étrangers.
J'ai formulé la proposition suivante : sécuriser la situation fiscale des collectionneurs qui prêtent leurs oeuvres d'art en vue d'expositions ouvertes au grand public.
Mme Bariza Khiari. - Sécuriser ils le sont déjà puisqu'ils ne payent rien.
M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur. - Chaque année, en période de crise, il est envisagé de remettre dans le patrimoine assujetti à l'ISF les oeuvres d'art détenues par les particuliers. Cette proposition est catastrophique sur le plan mondial pour la France. Je pense qu'il y aurait une justice à l'appliquer à ceux qui gardent leurs oeuvres pour eux et à ne pas le faire pour ceux qui prêtent leurs collections. J'ai l'exemple d'un collectionneur à Montauban qui prête continuellement ses oeuvres et qui les restaure à ses frais après exposition. Il faut discerner l'usage public d'une oeuvre, même si elle est privée, de celui qui relève exclusivement du patrimoine personnel.
Mme Françoise Cartron. - Je n'arrive pas à identifier ce que veut dire la qualité d'une oeuvre. Ce peut être une émotion. Pour l'art contemporain ou l'art conceptuel, c'est une idée qui est véhiculée par une oeuvre. Lors de ma visite à la Biennale de Venise, je n'aurais pas pu m'exprimer sur la qualité d'une oeuvre alors que j'ai été sensible à des concepts, à des idées qui étaient mis en scène de façon plus ou moins épurée.
Vous avez parlé des reventes d'oeuvres. Il faut citer le rapport de M. Jacques Rigaud qui expose des idées très claires par rapport à l'inaliénabilité des oeuvres des collections publiques. Je me demande s'il faut rouvrir le débat.
Certes, on est pris, comme toute notre société, dans une espèce de bulle financière et autre mais j'ose penser que les grands collectionneurs sont avant tout des amateurs d'art. Je ne suis pas sûre qu'ils investissement là-dedans en pensant à la plus-value.
J'ouvre le chapitre de l'éducation artistique qui est un élément très important. Aujourd'hui, on a réintroduit une ligne « enseignement de l'art » mais qui se fait sans les artistes. C'est essentiellement livresque ou par vidéo. Je ne sais pas si c'est le meilleur moyen pour les élèves de s'approprier l'art et la démarche artistique.
La problématique qui se pose aux étudiants dans les écoles d'art concerne la préprofessionnalisation et le passage du monde de l'enseignement supérieur à ce à quoi ils se destinent. Il y a des choses à imaginer pour aider ces jeunes qui ont fait des études, qui possèdent des talents multiples et pour lesquels il y a un gâchis énorme par rapport à leur insertion professionnelle.
Je voudrais des précisions sur la proposition qui concerne la possibilité de disposer d'un quota d'ateliers-logements pour les artistes dans les constructions de logements sociaux.
M. Vincent Eblé - Je voudrais vous faire part de certaines réflexions.
Sur la question fiscale, je trouve intéressante la suggestion qui est faite de différencier selon que le collectionneur amasse pour son plaisir et son usage purement personnels, voire dans une logique purement spéculative, ou contribue à une dimension collective à partir de la collection qu'il a réunie. D'ailleurs, il existe depuis longtemps dans un autre domaine, qui intéresse également notre commission, un dispositif proche en ce qui concerne le patrimoine monumental et historique, celui de l'agrément fiscal qui autorise à déduire de ses ressources les charges d'entretien du monument en contrepartie de l'obligation de l'ouvrir au public. Se pose immédiatement la question du contrôle de ce dispositif. Comment apprécier cette accessibilité large du public à des oeuvres propriétés privées ? Cela relève sans doute plus d'une loi ou de ses décrets d'application. Cette proposition est intéressante mais sans doute à approfondir techniquement.
Je voudrais aborder la proposition qui envisage la possibilité pour des collections en principe inaliénables de permettre, en particulier pour l'art contemporain, de céder certaines oeuvres. Quelle est la mission de ces organismes, FNAC ou FRAC ? C'est de soutenir la création artistique la plus contemporaine mais pas forcément d'être dans une logique de patrimonialisation de leurs collections. Si certains artistes, du fait de la reconnaissance nationale ou internationale de leur travail, ont acquis une valeur marchande qui peut être considérable, l'idée, à un moment où l'argent public est rare, de remettre ces oeuvres sur le marché sous condition que la recette soit réaffectée à l'acquisition d'oeuvres plus récentes alimente le dispositif ; l'oeuvre ne disparaît pas, elle est cédée, elle sera propriété peut-être de collection publique, voire de collection privée. Le travail d'identification d'artistes émergents et la possibilité pour ces artistes d'intégrer des collections publiques par le biais des FRAC ne disparaissent pas. On pourrait définir des conditions, par exemple attendre que l'artiste soit décédé et se libérer ainsi de la logique dans laquelle sont les FRAC et le FNAC d'amasser, qui représente une lourde charge.
M. Jean-Jacques Lozach. - J'ai une demande de précision sur la proposition qui concerne la mise en place d'antennes-relais inhérentes aux spécialistes de l'art contemporain. Il y a là une volonté de territorialisation de l'art contemporain et de démocratisation. Est-ce qu'il s'agit d'aider à la mise en place d'un réseau de résidences d'artistes ou de galeries d'art ?
Ne faudrait-il pas réfléchir à une articulation entre des savoir-faire ancestraux et la création contemporaine ? Je prends l'exemple de la tapisserie d'Aubusson, qui correspond à un savoir-faire exceptionnel et qui connait un dépérissement économique phénoménal. Il y avait mille lissiers en 1900 et il n'en reste plus qu'une quarantaine aujourd'hui. Une des raisons essentielles de ce déclin est l'absence de création contemporaine appliquée à ce savoir-faire ancestral.
M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur - Je partage évidemment vos propos.
Sur la proposition qui concerne la revente d'oeuvres, je voudrais préciser que nous associons la Commission scientifique nationale des collections à cette réflexion en lui demandant de formuler des recommandations. C'est le modérateur.
Bien évidemment, il faudrait intégrer les métiers traditionnels à la création contemporaine pour les vivifier.
Il est important de disposer dans des grandes villes stratégiques à l'étranger de spécialistes de l'art contemporain qui soient des facilitateurs pour montrer la scène française. Je souhaite également que les directeurs d'institutions culturelles ne le soient pas à vie. Il y a nécessité d'irriguer le territoire national par des personnes compétentes et soumises à mobilité car l'art va très vite.
Mme Françoise Cartron. - On doit pouvoir faire circuler les oeuvres des FRAC dans tout le réseau régional, déjà dans les lycées, pour qu'elles soient accessibles au plus grand nombre.
Mme Colette Mélot. - Je voudrais attirer votre attention sur le dispositif du 1 % culturel qui, pendant très longtemps, a encouragé la création, a mis en valeur des créateurs et a permis de démocratiser l'art. Cette disposition est de moins en moins utilisée. On peut se demander pourquoi. Certes, elle est un peu complexe à mettre en oeuvre pour les collectivités territoriales, ce qui les amène à faire de moins en moins appel au 1 % culturel. Cela pourrait nous amener à le remettre au goût du jour.
M. Jacques Legendre. - On peut avoir aujourd'hui la crainte d'une trop grande consanguinité des professionnels de l'art. J'entends bien ce qui est proposé pour l'Institut français de créer un réseau de professionnels de l'art à l'étranger. Il faudra faire très attention de ne pas retomber dans certains travers de CulturesFrance qui entretenait depuis le VIe ou le VIIe arrondissement de Paris une forme d'art qui n'est pas nécessairement la plus créative et qui finissait par geler la création française plutôt que contribuer aux échanges.
Je suis un peu perplexe sur votre proposition d'offrir aux artistes en milieu de carrière les moyens d'une visibilité plus forte. Je ne sais pas très bien comment on définit un milieu de carrière pour un artiste. Il faut sans doute aider à la visibilité sans définir le moment qui serait celui d'un milieu de carrière. Certains commencent très fort très jeunes et puis s'étiolent ensuite. J'aimerais avoir quelques précisions sur ce point.
M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur. - Le rapport évoque le 1 % culturel. Effectivement, il n'est pas suffisamment utilisé. Cela dépend des collectivités territoriales. C'est une mesure utile.
Quand vous discutez avec des collectionneurs ou des institutions étrangères, la France a la réputation, depuis Jack Lang, d'avoir vingt-et-un fonctionnaires de l'art. Je ne critique pas cela puisqu'ils ont permis de relancer l'art d'aujourd'hui dans notre pays. Mon idée est de dire qu'on ne peut être à vie dans telle ou telle position. Il est important de faire tourner les responsables d'institutions au plan national et même international.
Il existe des artistes qui débutent, qui travaillent un peu et qui ont dû à mal à survivre économiquement parlant et il y a ceux qui sont confirmés. Entre les deux, on n'arrive pas à les mettre en valeur. C'est le rôle du Palais de Tokyo d'exposer les artistes en milieu de carrière.
Mme Catherine Morin-Desailly. - J'ai une interrogation par rapport à la proposition qui évoque l'installation de classes préparatoires publiques sur l'ensemble du territoire afin de démocratiser l'accès aux écoles d'art. Est-ce que cette proposition s'appuie sur un constat établi à partir de données sociologiques sur les élèves ? Est-ce qu'une évaluation a été faite du devenir des élèves qui étudient au lycée dans les filières spécialisées et de leur orientation ou non vers ces écoles d'art ?
M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur. - Les classes préparatoires aux écoles d'art sont essentiellement des écoles privées qui coûtent plus de 6 000 euros l'an. Il existe des écoles publiques mais elles sont peu nombreuses. Il est donc nécessaire de les développer. C'est l'Association nationale des directeurs d'écoles d'art (ANDEA) qui demande cette mesure.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie. Je prends note que nous demandons au rapporteur d'ajouter une proposition sur l'éducation artistique, c'est-à-dire l'éveil dès le plus jeune âge par le contact avec les artistes et les oeuvres.
Nous modifierons plusieurs propositions au niveau rédactionnel suite à nos réflexions pour lever certaines ambigüités.
Je précise que la proposition sur la revente des oeuvres d'art contemporain initie une réflexion avec la Commission scientifique nationale des collections.
Je pense que la proposition sur la limitation de la durée des mandats des dirigeants des musées, des FRAC et des centres d'art peut être portée par l'ensemble de la commission. Il serait d'une très jolie esthétique d'ajouter : « afin de faire circuler les talents » pour ne pas apparaître comme une gestion brutale des ressources humaines.
Sans relancer le débat fiscal, il me paraît intéressant de faire la différence entre ceux qui montrent les oeuvres et ceux qui les conservent chez eux comme un trésor.
Chers collègues, vous devez maintenant vous prononcer sur l'autorisation de publication de ce rapport avec les propositions telles qu'amendées. Qui est contre ? Qui s'abstient ? Je note une abstention.
Il est donc ainsi décidé d'en autoriser la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Mercredi 19 octobre 2011
- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -Décentralisation des enseignements artistiques - Communication
La commission entend une communication de Mme Catherine Morin-Desailly sur la décentralisation des enseignements artistiques.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Pour commencer, je voudrais que nous ayons simplement une pensée pour cette enseignante du lycée Jean Moulin de Béziers qui s'est immolée. Ce geste de souffrance qu'elle a voulu très démonstratif, si je vous le signale en ce début de réunion, c'est bien entendu par compassion et solidarité, mais également pour vous dire que j'ai reçu des mails de plusieurs de ses collègues nous signalant qu'elle a dit : « Je le fais pour vous » et qu'elle n'était pas en souffrance comme cela a été dit dans les médias. Je vous remercie.
Nous avons à l'ordre du jour un point d'étape de Mme Catherine Morin-Desailly sur la décentralisation des enseignements artistiques - vous pourrez lui poser quelques questions si vous le souhaitez -, puis l'examen du rapport de Mme Françoise Férat sur le patrimoine monumental de l'État.
Les auditions de celles et ceux qui ont été nommés rapporteurs sur des budgets commencent, et le travail est très dense. Certaines et certains d'entre vous ont souhaité me proposer que des membres - un par groupe - puissent être associés aux auditions dont ils prennent l'initiative. Je n'y vois aucun inconvénient ; je souhaiterais néanmoins que vous vous rapprochiez de ces rapporteurs, si un ou plusieurs thèmes vous intéressent, et je souhaite que la ou le rapporteur garde le monopole des questions et du dialogue avec les personnes auditionnées. Je vous remercie.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci Madame la présidente. Mes chers collègues, je me permettrai tout d'abord, à l'attention de nos nouveaux collègues, de rappeler brièvement l'historique des travaux me conduisant à vous présenter aujourd'hui cette communication. Cette dernière porte non pas sur l'éducation artistique à l'école, mais sur les enseignements artistiques prodigués dans les conservatoires et autres écoles de musique, théâtre et danse.
Le sujet est important tant en termes de démocratisation culturelle que de politique publiques. En effet, ce réseau a pour double mission de former les futurs professionnels et de permettre le développement des pratiques amateurs. Si seulement 3 % environ des élèves de ces établissements spécialisés font finalement de la musique, de la danse ou du théâtre leur métier, en revanche, tous les élèves concernés tirent, pour leur vie d'adulte, les bénéfices de cet apprentissage artistique. Ils y trouvent une source d'épanouissement personnel, soit en pratiquant librement leur art, soit en devenant un spectateur ou un amateur exigeant et averti.
Voilà quatre ans, notre commission m'a confié une étude sur ce sujet, compte tenu du retard pris dans la mise en oeuvre effective du volet « enseignements artistiques » de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
Cette loi a procédé à un aménagement de l'exercice des compétences des acteurs publics, selon le schéma suivant :
- les communes et leurs groupements - qui assument l'essentiel de la charge des conservatoires et écoles spécialisées - conservaient les responsabilités déjà exercées en termes d'organisation et de financement des missions d'enseignement initial et d'éducation artistique des établissements ;
- le département était chargé d'adopter un « schéma départemental de développement des enseignements artistiques », dans le souci, notamment, d'améliorer l'accès à ces enseignements ;
- la région devait organiser le cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI) dans le cadre du plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF), et d'en assurer le financement ;
- l'État continuait d'exercer ses prérogatives en matière de contrôle pédagogique des établissements et la responsabilité des établissements d'enseignement supérieur artistique.
Parallèlement, la loi avait prévu le transfert par l'État aux départements et régions des concours financiers qu'il accordait jusqu'alors aux communes ou groupements de communes pour le fonctionnement des conservatoires nationaux de région et des écoles nationales de musique, de danse et d'art dramatique.
Enfin, elle a défini les missions des établissements, avec le souhait de les élargir, pour répondre à toutes les attentes et aller de l'éveil artistique à la formation de l'amateur et du futur professionnel. Il s'agissait également de corriger les déséquilibres territoriaux et de remédier à l'insuffisante démocratisation de ces enseignements.
Parallèlement, le ministère a décidé d'une réforme pédagogique des enseignements artistiques, avec le nouveau cycle d'enseignement professionnel initial, le CEPI, sanctionné par un diplôme national (et non plus un diplôme d'établissement), ainsi qu'une révision des conditions de classement des établissements.
Le rapport que j'ai élaboré au nom de notre commission en juillet 2008 a permis d'établir un état des lieux, qui a été d'autant plus apprécié que personne n'avait entrepris un tel travail jusqu'ici. Ce rapport comportait aussi bien sûr des préconisations pour « orchestrer » une sortie de crise.
Car blocage et crise il y avait. Plusieurs raisons à cela :
- en premier lieu, j'ai dû pointer du doigt certaines carences de l'État, qui a insuffisamment accompagné la réforme et a fait preuve d'un regrettable déficit de méthodologie à l'égard des élus ;
- en second lieu, les régions - à quelques exceptions près - ont fait preuve d'attentisme, pour des raisons notamment financières au départ.
Elles ont mis en avant :
- d'une part, le manque de clarté sur les modalités du transfert des crédits de l'État, en l'absence de critères de répartition entre régions et départements ;
- d'autre part, la question du différentiel entre le coût prévisionnel de mise en place des CEPI, tel qu'évalué par les régions, et les crédits susceptibles de leur être transférés. Et la concomitance entre les transferts prévus par la loi et la fixation d'exigences plus élevées (en matière de qualification des enseignants, de structuration de la danse ou du théâtre, de diversification des disciplines...) a contribué à renforcer ces tensions... Ceci d'autant plus que l'interprétation de la réforme par certains professionnels avait suscité une inflation de projets.
En raison de cette posture d'attente des régions, le transfert des crédits de l'État (28,8 millions d'euros en 2008 ; 29,2 millions pour 2012) n'a toujours pas eu lieu.
Ce report a créé un contexte financier incertain qui a souvent freiné la dynamique engagée sur le terrain.
Cette réforme est apparue bien délicate à « orchestrer » et j'ai proposé des mesures en vue de sortir de l'» impasse » afin de ne pas laisser s'installer plus durablement un climat d'incertitude préjudiciable à notre système d'enseignement artistique.
J'ai repris ces préconisations dans une proposition de loi déposée en juillet 2009. Voici ses principaux objectifs :
- réaffirmer la mission prioritaire des établissements d'enseignement artistique : la formation des amateurs et le développement de leurs pratiques ;
- clarifier la vocation pré-professionnalisante du cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI) ;
- créer une commission régionale des enseignements artistiques, nécessaire lieu de concertation et de dialogue entre les différents niveaux de collectivités territoriales ainsi qu'avec l'État ;
- compléter le rôle des régions, d'une part en leur reconnaissant un rôle de « chef de file » au sein de cette commission et, d'autre part, en leur confiant l'établissement d'un schéma régional des cycles d'enseignement professionnel dans les domaines de la musique, de la danse et de l'art dramatique ;
- compléter le rôle de l'État en prévoyant qu'il coordonne, au plan régional ou interrégional, l'organisation des examens du diplôme national.
Enfin, le texte prévoit un transfert des crédits aux régions.
J'ai aussi posé une question orale avec débat au ministre de la culture en octobre 2009, afin qu'il exprime la position du Gouvernement sur ces préconisations.
Estimant que cette réforme ne pouvait être isolée du chantier d'ensemble de réforme des collectivités territoriales, le ministre s'est prononcé pour un examen de ma proposition de loi à l'issue de cette réforme, dont le volet répartition des compétences est cependant toujours, comme vous le savez, en suspens.
Puis les élections régionales et la loi de réforme des collectivités territoriales m'ont également contrainte à repousser la demande d'inscription du texte à l'ordre du jour de notre assemblée.
J'ai proposé de refaire le point cette année, afin de suivre l'évolution du dossier, et la pertinence d'une éventuelle inscription de ma proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat. A cette fin, et pour mesurer l'impact des expérimentations conduites dans certaines régions depuis trois ans, j'ai souhaité organiser un nouveau cycle d'auditions des différents acteurs concernés.
Je me réjouis que certains d'entre eux aient continué à s'impliquer :
- ainsi que je l'avais préconisé, l'État s'est en quelque sorte « rattrapé », en réactivant le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel et a mis en place, en son sein, un groupe de travail consacré au sujet. J'interviens d'ailleurs devant ce conseil demain matin ;
- les départements ont joué le jeu de la décentralisation, puisqu'ils ont mis en place les schémas départementaux des enseignements artistiques ;
- les communes et leurs groupements ont continué à assumer la lourde charge des conservatoires et écoles ;
- certaines régions sont exemplaires : ainsi, Poitou-Charentes, le Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes se sont fortement impliquées, dans l'esprit de la loi. Elles ont organisé un réseau efficace d'établissements pour mettre en oeuvre le CEPI.
En revanche, les autres régions ont pour la plupart fait preuve de frilosité, voire d'un repli, et le blocage de l'Association des régions de France (ARF) s'est cristallisé.
Pourtant, les expérimentations conduites dans les trois régions que j'ai citées incitent à un certain optimisme :
- La mise en place des CEPI n'entraîne pas de surcoût ou un surcoût faible, par rapport aux diplômes délivrés auparavant. Ainsi, dans la région Nord-Pas-de-Calais, le coût du CEPI musique classique est évalué à environ 7 780 euros par élève, soit un surcoût de 8 800 euros au total pour 170 élèves. En Poitou-Charentes, pour 163 élèves (dont 88 % étudiant la musique), le coût moyen d'un élève est estimé équivalent à celui des cursus antérieurs, soit 6 000 euros en moyenne (ce coût pouvant varier de 5 700 à 8 000 euros selon les établissements et les spécialités). En fait, lorsque de réels surcoûts sont observés, c'est lorsque de nouvelles missions sont développées, selon le bon vouloir des régions.
En outre, des économies d'échelle sont attendues. En effet, une organisation régionalisée révèle la vérité sur les effectifs. Ainsi les effectifs probables d'élèves en CEPI semblent avoir été surévalués, notamment dans certaines villes moyennes. Par ailleurs, dans les cursus précédents, les élèves étaient parfois inscrits dans plusieurs établissements et, par conséquent, comptés 2 fois.
En outre, si la région coordonne l'organisation du CEPI, elle peut situer judicieusement les enseignements en fonction de la réalité des effectifs. Comme l'indique la FNCC, pourquoi organiser dans une même région 6 CEPI d'un instrument rare avec des effectifs trop restreints ? Une mutualisation organisée intelligemment, dans le respect des spécificités historiques des territoires et des besoins des élèves, doit permettre un emploi pertinent de l'argent public. L'enseignement complémentaire peut être organisé de manière concertée pour permettre la circulation des élèves d'un établissement à l'autre, afin d'assurer un continuum de formation cohérent.
A l'avenir, certaines pratiques collectives pourraient être organisées en session régionale, le cas échéant avec la création d'un orchestre régional de jeunes.
Une telle approche permettrait d'éviter les risques, déjà observés, d'une inégalité de l'offre d'enseignements artistiques sur un territoire : les villes sont en effet tentées de pratiquer des discriminations tarifaires, dans la mesure où elles portent presque seules les établissements. Ceci illustre la nécessaire prise de compétence et le cofinancement des grosses structures culturelles par les intercommunalités...
Les exemples régionaux cités montrent qu'une instance régionale de dialogue, coordinatrice et organisatrice, est nécessaire, ainsi que je l'ai proposé et comme l'estiment les interlocuteurs rencontrés. Sans créer une nouvelle commission, pourquoi ne pas créer par exemple une sous-commission ad hoc au sein des COREPS (commissions régionales des professions du spectacle) ?
Autre point positif observé dans les régions pilotes : elles ont inscrit le CEPI dans le Plan régional de développement des formations (PRDF). Ceci est cohérent puisqu'il s'agit d'un cycle d'orientation et d'une préprofessionnalisation.
Je suis étonnée que les régions reconnaissant cet état de fait soient minoritaires. Pourtant, on ne peut nier que la vocation d'orientation du CEPI justifie que la région ne puisse s'en désintéresser. En outre, les régions sont les premières à souhaiter accueillir un pôle d'enseignement supérieur artistique et le CEPI s'inscrit dans la logique de ce continuum de formation que je viens d'évoquer... Les deux ne peuvent pas être déconnectés !
A cet égard, la déconnexion de facto entre réforme de la décentralisation des enseignements artistiques et organisation territoriale de l'enseignement supérieur artistique (avec la création d'une dizaine de pôles) ne facilite certes pas l'implication des acteurs concernés...
Ceci étant, force est de reconnaître la position ambigüe de l'ARF dans ce domaine.
Cette position a d'ailleurs été évolutive, puisque l'ARF a été un moment tentée de suivre l'avis des régions pilotes. Avec quelques contorsions - évidemment peu appréciées des professionnels qui ont hâte que l'on sorte de cette impasse -, l'ARF a simplement proposé que l'État transfère les crédits non pas aux régions mais aux communes gestionnaires des établissements d'enseignements artistiques. Pire qu'un statu quo, leur posture aurait conduit à un recul par rapport à la loi de 2004 et remis en cause cette démarche de décentralisation. En outre, cette vision était de courte vue : les villes concernées auraient ainsi conservé l'intégralité des charges, et ceci sans perspective de développement !
Dans ces conditions, j'ai jusqu'ici renoncé à demander l'inscription de ma proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat, en attendant que ses dispositions soient prises en considération dans une future loi sur les compétences des collectivités territoriales.
J'ai pris acte de la persistance du blocage mais j'espère que le verrou sautera prochainement, car mise à part l'ARF, ma proposition a reçu un soutien unanime des interlocuteurs que j'ai rencontrés, quel que soit le niveau de collectivité territoriale. Un récent rapport du CESE d'Île-de-France (Conseil économique, social et environnemental) l'a d'ailleurs relayée. Je compte sur l'effet « tâche d'huile » des régions pilotes et sur leur capacité à rassurer ceux qui craignaient un important surcoût lié à la réforme. Je compte sur la persévérance des professionnels, que je tiens à saluer. D'ailleurs, les régions qui s'impliquent le plus ont commencé par recruter des chargés de mission, professionnels reconnus par leurs pairs, qui ont pu jouer un précieux rôle d'impulsion. Au-delà, il appartient aux élus de se responsabiliser et de prouver que les enseignements artistiques sont réellement prioritaires à leurs yeux.
A travers cette communication, je souhaite alerter à nouveau sur l'urgence de la situation en vue de clore ce dossier par le haut.
L'enjeu est essentiel à différents niveaux :
- en termes d'aménagement culturel de nos territoires ;
- de sensibilisation des jeunes, qui sont aussi le public de demain, aux pratiques et à la création artistiques ;
- d'égalité d'accès aux formations pour les futurs professionnels et d'harmonisation des diplômes dispensés dans notre pays (je rappelle que trois régions délivrent d'ores et déjà le nouveau diplôme national).
C'est pourquoi, nous sommes dans l'ardente obligation de généraliser l'application de la loi de 2004, ce dont la majorité des régions se sont pour l'instant exonérées pour les raisons indiquées. Les inquiétudes de départ étant levées, il faut aller de l'avant.
En tout état de cause, les obstacles auxquels nous sommes confrontés dans ce domaine me semblent emblématiques des possibles écueils de la décentralisation. Nous devrions sans doute en tirer aussi des leçons pour les prochaines étapes de la décentralisation dans le domaine de la culture.
A l'occasion de l'examen de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010, de nombreuses voix se sont prononcées en faveur du maintien des compétences et des financements croisés.
Je rappelle cependant que l'ancien président de notre commission de la culture, Jacques Legendre, rapporteur pour avis de ce texte, avait souligné que le maintien des compétences partagées ne faisait pas obstacle à ce que, dans la mise en oeuvre d'un projet culturel local, une collectivité territoriale soit désignée chef de file.
Nous avions aussi soutenu la mise en oeuvre de « schémas d'organisation des compétences et de mutualisation des services ». Car la souplesse, que nous souhaitons tous, ne doit pas empêcher la coordination, voire la répartition des compétences.
L'exemple que j'ai ainsi approfondi montre bien les inconvénients et limites de notre « millefeuille » administratif ! Il nous faut simplifier le paysage territorial, au risque sinon de voir les citoyens subir les conséquences d'éventuelles « querelles de clocher ». Différences de sensibilités politiques des élus ou rivalités entre établissements doivent céder la place à l'intérêt général.
L'exemple consternant des enseignements artistiques milite en faveur d'une réelle clarification des responsabilités entre les différents niveaux de collectivités, chacun devant assumer ses responsabilités afin que les missions de service public soient assurées dans un souci d'équité. L'ambition doit être de porter la démocratie culturelle sur l'ensemble de nos territoires, au bénéfice de nos jeunes.
Cette clarification peut et doit, bien entendu, s'effectuer dans le respect des spécificités et de l'histoire propre de chaque territoire, surtout lorsqu'elles sont prégnantes, comme dans le domaine des enseignements artistiques.
Pour conclure, si des doutes ont pu légitimement être exprimés après l'adoption de la loi de 2004, je crois avoir démontré qu'ils n'ont plus lieu d'être aujourd'hui. La loi doit donc s'appliquer et cela se fera d'autant plus facilement que les aménagements prévus par la proposition de loi dont je suis l'auteur seront adoptés.
Certains préfèreraient certes en renvoyer l'examen à un futur texte général sur les compétences des collectivités, avec maintien des compétences croisées dans le domaine de la culture, mais ce serait dommageable de repousser au minimum à 2013 le règlement de ce dossier.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci madame Catherine Morin-Desailly. Vous l'avez tous entendu, c'est un délice de la continuité de l'institution que de pouvoir entendre le rapport tel qu'élaboré par Mme Catherine Morin-Desailly avec la frilosité des régions, leur courte vue et la critique de l'ARF. Et c'est un délice de l'alternance de pouvoir engager ce débat sur ce sujet peut-être avec d'autres vues. Cela n'enlève rien à la qualité de vos observations, comme notre engagement partagé pour les enseignements artistiques et ce qui se passe en termes de décentralisation. Vos observations concernent les surcoûts, des tarifs discriminants de la part de certaines villes tentées de s'occuper des leurs et de ne pas rayonner au niveau de l'intercommunalité et du territoire. J'ouvre donc pour quelques temps le débat. Nous n'allons pas au fond sur ce sujet, vous comprenez bien que ce qui est en perspective avec l'alternance, et la nouvelle majorité remet profondément en cause la réforme des collectivités ; et vous avez vous-même montré, madame Morin-Desailly, que ce chantier de la décentralisation des enseignements artistiques ne saurait être abordé sans qu'il soit articulé au rôle de chaque collectivité.
M. Jacques Legendre. - Mme la présidente, il y a un propos que je n'ai pas tout à fait compris. Vous avez parlé d'alternance : je crois qu'il y a au Sénat un changement de majorité, ceci est incontestable, mais on ne peut parler d'alternance que quand il y a un changement de majorité au niveau de l'État. Pour l'instant, il n'y a pas alternance, il y a simplement un changement de majorité et un changement de personnes à la tête du Sénat et de ses institutions. Alors les élections sont une chose ; les problèmes demeurent. Je crois que l'intérêt du rapport de Mme Catherine Morin-Desailly n'est pas à juger en termes de majorité ou de minorité au Sénat ou ailleurs ; c'est de voir qu'il y a actuellement des enseignements artistiques qui sont de la compétence en particulier des régions mais dans lesquels les communes sont également très engagées, et qu'il y a un débat pour savoir qui va payer et qui aura la responsabilité. Nous avions eu cette préoccupation dans cette commission lors des lois sur la réforme des collectivités territoriales. On avait souhaité de la souplesse et on avait été d'accord - j'avais fait un rapport sur ce sujet et nous avions pris un avis - pour soutenir la possibilité de faire appel aux départements et aux régions en matière de financement, car autrement on craignait qu'il y ait des problèmes. Ca n'exclut pas la nécessité de mettre de la cohérence et de l'ordre, et il me semble que ce qui vient d'être exposé par notre collègue, c'est ce souhait de permettre aux différentes collectivités de débattre entre elles et de se partager la tâche pour que la multiplicité des acteurs ne nous pousse pas vers des incohérences. Il me semble qu'on peut se retrouver sur cet aspect pratique : rassembler les financements qui permettent d'agir et mettre un petit peu d'ordre dans les responsabilités.
Mme Maryvonne Blondin. - Juste une demande de clarification. Mme Catherine Morin-Desailly pourrait-elle préciser si le transfert des crédits de l'État a été effectué ? Non, toujours pas. C'est un frein pour l'investissement des régions bien entendu. Je voulais vous signaler aussi une expérience assez originale en région Bretagne : quatre écoles d'arts plastiques se sont réunies (deux dans le Finistère, une dans le Morbihan et l'autre en Ille-et-Vilaine) pour créer un pôle mutualisé d'enseignement et c'est une première en France. Voilà une expérimentation qu'il aurait été peut-être bon de noter dans le rapport.
M. Jean-Jacques Pignard. - Je souhaite qu'il y ait un certain pragmatisme dans vos propositions, parce que tout dépend aussi des situations vécues. Je viens d'apprendre que la région Rhône-Alpes était exemplaire. Il y a effectivement beaucoup de chargés de mission, beaucoup de comités de pilotage, mais comme rien n'arrivait depuis des années, on s'est mis d'accord avec la ville de Lyon et la ville de Villeurbanne - qui ne sont pas de même couleur politique que le département - sur l'idée de fonctionner en syndicat mixte, le département prenant en charge 20 % de la masse salariale de chacun des établissements (ce qui fait quand même, pour le département du Rhône, un budget de 7 millions d'euros pour l'enseignement artistique alors que la région ne met rien). J'accepterais mal dans ce cas de figure que le chef de file soit régional, alors qu'on a trouvé un système d'accord entre les grandes villes et le département.
M. Pierre Bordier. - Je voudrais aborder un sujet qui à ma connaissance ne l'a pas été depuis le début de cette réunion. Qui porte les établissements d'enseignement ? La question a été posée. Jusqu'à maintenant, c'était assez souvent des collectivités relativement importantes : ou le conseil général, ou la ville, ou le département. Dans l'Yonne, nous avons depuis une vingtaine d'années essayé de mettre en place un réseau pyramidal, avec des écoles locales, des écoles de pays, des conservatoires à rayonnement départemental. Lorsque les problèmes de financement se sont posés entre la ville d'Auxerre et le conseil général, nous avons au terme d'une concertation assez longue créé un établissement public de coopération culturelle (EPCC). Donc j'aimerais savoir si d'autres départements sont dans ce cas-là, et savoir quelles sont les possibilités.
Il y a quelques mois, nous avons, au sein de la commission, vu avec notre collègue Ivan Renar comment faire évoluer la loi sur les EPCC, et j'aimerais savoir si on en sait un peu plus aujourd'hui, parce que nous avons trouvé un problème complètement inattendu : les salaires des professeurs étaient réglés ou par la ville ou par une association que nous avons créée au niveau départemental ; à partir du moment où tout a été regroupé dans l'EPCC, nous avons découvert que la taxe sur les salaires était due, alors qu'elle ne l'était pas antérieurement, ni par le conseil général, ni par la ville d'Auxerre. J'aimerais savoir ce qu'on peut faire dans ce cadre-là, et si c'est quelque chose qui fonctionne ailleurs.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Ce que j'ai voulu rappeler, c'est que la loi de 2004 est une bonne loi qui permet vraiment l'équité sur le territoire. En application de cette loi se posaient de très légitimes questions, et les professionnels d'ailleurs n'ont pas bien communiqué auprès de leurs élus pour expliquer le bien-fondé du CEPI. Depuis 2008, le rapport, les travaux et les auditions successives que nous avons réalisés, l'expérimentation que nous avons évaluée : tout démontre que les doutes, les questionnements peuvent aujourd'hui être levés. On a, au terme des 3 ans d'expérimentation dans les régions que j'ai citées (notamment Poitou-Charentes et Nord-Pas-de-Calais où il y avait un protocole d'expérimentation), levé ces doutes notamment sur les financements. C'était vraiment le point qui bloquait certaines régions ; aujourd'hui il est levé. On a donc tout lieu d'appliquer la loi, quitte à l'aménager à travers ce que j'ai proposé dans la proposition de loi. Cela n'empêche aucunement, je l'ai redit en conclusion, de s'appuyer sur les expériences et l'histoire de chaque territoire. La loi laisse place justement à cette organisation propre selon l'implication préalable de certaines collectivités par rapport à d'autres. Elle permet cette souplesse, c'est important de le rappeler.
Pour répondre à Mme Blondin : les crédits n'ont pas été transférés dans les régions, qui ne souhaitaient pas pour l'instant mettre en oeuvre tant que les doutes n'étaient pas levés. Ils ont été sanctuarisés dans la loi de finances ; j'avais demandé d'ailleurs au ministère de s'engager à bien sanctuariser ces moyens de façon à ce qu'ils ne partent pas ailleurs. Ce n'est donc pas l'État qui a refusé qu'ils soient transférés, ce sont plutôt les régions qui n'ont pas souhaité qu'ils leur soient transférés.
S'agissant des EPCC, je sais que notre collègue Ivan Renar a entamé des démarches auprès du ministère de la culture qui est lui-même en lien avec Bercy. On doit obtenir des réponses du ministère de la culture, mais notre commission doit bien sûr continuer à s'impliquer dans ce dossier.
Je pense avoir répondu à la plupart des questions. Ce qui m'importe de savoir, c'est si les uns et les autres ont bien conscience qu'il est important de porter au bout cette réforme si on veut garantir un enseignement de qualité qui soit équitable sur le territoire. Je crois qu'il en va de notre responsabilité, maintenant que le rapport a très largement levé les inquiétudes et les doutes, et que l'ensemble des élus et des associations ont fait savoir jusqu'à très récemment - tous, quelle que soit la sensibilité politique des élus - qu'il fallait désormais avancer dans l'application de la loi. Je voudrais savoir s'il vous semble opportun que la proposition de loi qui permet de compléter la loi de 2004 et surtout de renforcer ce souci d'aménagement culturel du territoire puisse être inscrite.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Votre intervention d'aujourd'hui ne crée pas les meilleures conditions pour aboutir à un consensus sur cette question importante. C'est dommage parce que c'est un sujet sur lequel chacun ici a de l'expérience et chacun a envie que le sujet progresse.
Patrimoine monumental de l'État - Examen du rapport en deuxième lecture
La commission procède à l'examen du rapport en deuxième lecture sur la proposition de loi n° 740 (2010-2011), modifiée par l'Assemblée nationale, relative au patrimoine monumental de l'État, dont le rapporteur est Mme Françoise Férat.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Autre processus de continuité de l'institution, puisque cette fois-ci nous sommes à l'arrivée d'une navette. Cette proposition a déjà été examinée en première lecture au Sénat, puis à l'Assemblée nationale, et Mme Férat en est rapporteur pour la deuxième fois. Madame Férat, vous avez la parole.
Mme Françoise Férat, rapporteur. - Merci madame la présidente. Mes chers collègues, l'heure est grave. Elle est grave car nous sommes aujourd'hui confrontés à une situation très particulière : nous devons examiner en deuxième lecture la proposition de loi que Jacques Legendre et moi-même avions déposée, avec une disposition dangereuse pour le patrimoine, introduite à l'initiative de l'Assemblée nationale.
Mais permettez-moi de vous rappeler les origines de ce texte qui vise à encadrer la dévolution des monuments historiques appartenant à l'État aux collectivités territoriales volontaires.
La première étape de ce processus de décentralisation fut mise en oeuvre en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Son article 97 prévoyait le transfert de propriété à titre gratuit des monuments historiques appartenant à l'État et gérés par la direction du patrimoine et de l'architecture du ministère de la culture. Le principe du transfert reposait sur le volontariat des collectivités territoriales qui devaient faire acte de candidature dans un délai d'un an. Le texte prévoyait qu'une convention rappelle les obligations en matière d'ouverture au public et de développement de la connaissance.
Une commission présidée par René Rémond, dont nos collègues Jacques Legendre et Yves Dauge faisaient partie, avait dressé la liste des monuments devant rester propriété de l'État sur la base de critères tels que la mémoire de la nation, la notoriété internationale, le rayonnement culturel, l'importance des moyens accordés, la nature du site ou l'acquisition récente par l'État.
65 monuments ont été ainsi transférés dont 6 à des régions, 16 à des départements, et 43 à des communes.
Alors qu'aucune évaluation de cette première vague de transferts n'avait été réalisée, le gouvernement proposa de relancer ce processus de décentralisation à travers un article rattaché au projet de loi de finances pour 2010. Deux différences majeures tranchaient pourtant avec l'article 97 de la loi de 2004 :
- premièrement, le champ d'application était très élargi et concernait tous les monuments historiques appartenant à l'État, pas seulement ceux gérés par le ministère de la culture. On passait donc d'environ 400 monuments à 1 700 ;
- deuxièmement, plus rien n'encadrait ce processus : ni dans le temps, ni sur le fond, puisque la référence aux critères de la commission Rémond avait disparu.
Notre commission avait souhaité encadrer cette dévolution en faisant adopter des amendements à l'occasion de l'examen de l'article 52 du projet de loi de finances. L'article visé fut ensuite censuré par le Conseil constitutionnel qui l'analysa comme un cavalier budgétaire. Mais une proposition de loi reprenant cet article fut déposée à l'Assemblée nationale dans la foulée. Le président Legendre confia alors à un groupe de travail un rapport d'information sur le Centre des monuments nationaux dans le contexte de la relance de la dévolution du patrimoine de l'État.
Ainsi, au mois de juillet 2010 je présentai les conclusions de ce groupe dans un rapport d'information intitulé « Au service d'une politique nationale du patrimoine : le rôle incontournable du Centre des monuments nationaux », rapport que je tiens à votre disposition. Adopté à l'unanimité, il proposait qu'un principe de précaution encadre toute relance de la dévolution avec la mise en place d'un Haut conseil du patrimoine (HCP) chargé de donner un avis avant tout transfert de propriété, s'inscrivant ainsi dans la logique de la commission Rémond.
Dans les mois qui suivirent, Jacques Legendre et moi-même avons déposé une proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État, reprenant les préconisations de ce rapport d'information. Ce texte fut adopté en première lecture au Sénat le 26 janvier 2011, puis modifié par l'Assemblée nationale le 5 juillet 2011.
C'est cette version que nous devons aujourd'hui examiner. Or, dans le flot de modifications rédactionnelles mineures opérées par l'Assemblée nationale, quelques amendements dangereux ont été adoptés, le principal portant sur l'article 7 de la proposition de loi.
Cette disposition modifie profondément la philosophie du texte. Elle fixe pour la convention de transfert une durée déterminée pendant laquelle la collectivité s'engage à mettre en oeuvre le projet culturel.
Vous comprenez donc qu'il s'agit d'une rupture totale avec l'idée du transfert à titre gratuit qui implique un projet culturel à durée indéterminée. Si notre commission avait prévu plusieurs mesures de précaution en cas d'échec du projet culturel par souci de réalisme, elle n'en n'avait pas fait un principe !
La version actuelle de l'article 7 est particulièrement dangereuse à plusieurs titres :
- tout d'abord, aucun seuil n'est prévu : le préfet et la collectivité pourraient très bien se mettre d'accord sur un projet culturel d'une courte durée, deux ans par exemple, puisque rien ne l'interdit en l'état et que le ministère de la culture n'a aucun contrôle sur ce point dans le texte ;
- ensuite, le garde-fou qui était prévu sur une durée indéterminée (prévoyant qu'en cas de revente du monument la collectivité prévient l'État qui peut s'opposer à la cession) n'est valable que pendant la durée fixée par la convention. Le retour à l'État n'est même pas nécessairement envisagé à titre gratuit dans ce cas !
Le seul « verrou » conservé est celui de l'avis du Haut conseil du patrimoine qui doit se prononcer sur le déclassement du domaine public avant toute revente. Mais à partir du moment où la collectivité aura respecté la convention, sur quels critères pourra-t-il fonder un avis négatif ? Le système que nous avions défini ensemble prévoyait un avis sur la base de l'évolution du projet culturel qui était alors prévu pour une durée indéterminée !
Cette disposition qui introduit une sorte de CDD (convention à durée déterminée) est par conséquent extrêmement dangereuse pour l'avenir du patrimoine monumental de notre pays.
Trois autres articles méritent à mon sens d'être modifiés et je vais vous proposer des amendements car leur rédaction peut être source de difficultés pour l'efficacité du principe de précaution qui était le fil conducteur de notre texte.
Il s'agit notamment de l'article 1er qui réintroduit la liste détaillée des critères de la commission Rémond dans le code du patrimoine, ce qui risque d'empêcher le Haut conseil de définir sa propre jurisprudence et de définir de nouveaux critères, par exemple à caractère social. Quant à la nouvelle version de l'article 13, elle empêche l'application directe de mesures telles que celles relatives à la protection du patrimoine mondial, pourtant très claires dans la proposition de loi.
Encore une fois, le vrai danger se situe dans l'article 7 pour les raisons que j'ai détaillées. Je crois qu'il est de notre devoir de montrer clairement que le Sénat, dans son ensemble, quelle que soit sa majorité, sera toujours vigilant pour défendre le patrimoine national. Ne pas amender ces dispositions reviendrait à renoncer à adresser un signal fort dans le cadre de cette navette parlementaire. Je sais que nous partageons la même inquiétude et le même désir ardent de définir les garde-fous qui sont plus que jamais nécessaires à la préservation de notre patrimoine.
Je vous remercie de votre attention.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci madame Férat. Vous pouvez vous exprimer, poser des questions à Mme Férat qui est très au fait de ce sujet puisque cela fait longtemps qu'elle suit l'évolution du texte, qu'elle en apprécie les améliorations, mais qu'elle en déplore aussi la dégradation subie à l'Assemblée nationale.
M. Jacques Legendre. - Un simple mot : je crois que nous étions tous très préoccupés ici au Sénat de voir assurée la protection de notre patrimoine d'intérêt national voire mondial. Nous avions essayé, en nous appuyant sur les travaux de la commission Rémond, d'encadrer l'action de l'État pour être sûrs que cette politique se déterminait non pas selon Bercy, mais selon le ministère de la culture. L'Assemblée nationale a semblé partager nos préoccupations, mais elle a ouvert quand même, nous semble-t-il, quelques brèches sérieuses dans le dispositif. Mme Férat nous propose de refermer ces brèches, et je souhaite personnellement que notre commission puisse la suivre ; dans le souci d'assurer de manière effective les conditions d'une protection du patrimoine national et de sa dévolution - on ne se l'interdit pas - à ceux qui souhaiteraient le recevoir, dans la clarté et en se protégeant contre toute mauvaise surprise.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci monsieur Legendre. (A Mme Férat) Je vous propose de nous présenter vos amendements.
Mme Françoise Férat, rapporteur. - Le premier de ces amendements concerne l'article 1er A. Je souhaiterais que nous puissions remplacer « préfet de département » par « préfet de région ». Par exemple, dans le Val-de-Loire qui fait 280 km de long, il nous semble que ce serait ennuyeux que ce soit le préfet de département qui décide alors que le préfet de région a cette vision plus large.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Y a-t-il des commentaires sur cet amendement ? Je vous propose de le mettre aux voix.
Suspension de séance de 5 minutes à la demande de M. David Assouline.
A la reprise de séance, la parole est donnée à M. David Assouline.
M. David Assouline. - Cette loi telle qu'elle revient de l'Assemblée, différents groupes de la majorité du Sénat considèrent qu'elle n'est pas acceptable et qu'il faut avoir un débat sur le fond en séance. La procédure va donc consister à l'amender, puisque nous considérons qu'elle n'est pas acceptable ; mais nous allons, sans rentrer dans les détails de la justification sur chaque amendement, voter contre et avoir un débat global en séance. C'est une démarche globale.
Mme Cécile Cukierman. - Brièvement, pour le groupe CRC : notre groupe n'avait pas adopté ce texte lors de sa première lecture. Le retour qui nous est fait de l'Assemblée nationale nous conforte dans les dangers que nous avions pointés. Pour les mêmes raisons, nous adopterons dans cette commission une logique globale qui consistera à rejeter les amendements proposés, nous aurons le débat en séance et nous interpellerons le ministre sur un certain nombre de craintes que font apparaître ces modifications par l'Assemblée nationale.
Mme Françoise Laborde. - Pour le groupe RDSE, nous sommes dans la même logique. Nous avions accepté cette loi, donc le départ n'est pas le même mais l'arrivée va être la même. Ce détricotage est très important : madame Férat, vous l'avez dit, l'heure est grave et nous sommes d'accord. Les amendements que vous proposez ne remettent pas le texte comme nous l'avions adopté et apprécié, donc je pense qu'un certain nombre de choses seront vues en séance par les uns et les autres et nous en référerons à notre groupe, mais pour aujourd'hui nous voterons contre les amendements.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Pour le groupe UCR, dans la mesure où notre rapporteur avait proposé un texte qui nous satisfaisait complètement, et qu'elle propose des amendements justement pour corriger le détricotage, bien sûr nous soutiendrons les amendements qui sont proposés.
M. Jacques Legendre. - Notre souci de protection du patrimoine est profondément sincère. Il n'est pas fonction d'une situation de majorité ou d'opposition. Nous l'avions montré ici en adoptant un texte qui n'avait pas nécessairement provoqué l'enthousiasme au niveau gouvernemental. Nous le montrons encore en proposant de revenir sur des dispositions qui viennent de l'Assemblée nationale, où l'alternance ne s'est pas produite. Par conséquent, nous montrons bien que nous recherchons la protection du patrimoine, et non pas l'alignement sur telle ou telle majorité politique du moment. Voilà pourquoi nous soutenons les propositions faites par Mme Férat ; et nous regretterions beaucoup que notre commission, qui est le lieu où l'on peut travailler au fond, renonce à utiliser ses pouvoirs pour s'en remettre uniquement à une discussion en séance publique où l'on sait que les votes sont parfois fonction de prises de position du moment qui ne proviennent pas nécessairement des collègues les plus avertis de ces questions.
M. David Assouline. - Vous savez comment, sur la question de fond, le groupe socialiste, mais pas seulement, s'est impliqué à travers M. Dauge et Mme Cartron. Vous savez que nous n'avons pas été entendus. Il y a eu un vrai travail avec des compétences, mais quand il a fallu arbitrer politiquement, les arbitrages n'ont pas satisfait M. Dauge. A tel point, et vous connaissez son côté plutôt constructeur et consensuel, qu'il a voté contre. Ces amendements sont venus de votre camp politique, pour aggraver les choses. Mais on savait que si on mettait le doigt dans l'engrenage avec un verre à moitié vide, peut-être que le verre serait complètement vide à l'arrivée ; et c'est exactement ce qui s'est passé. Comme c'est l'Assemblée nationale qui a eu gain de cause, je ne sais pas si ce qu'on va faire ici va résister non seulement à l'examen du Sénat, mais à l'Assemblée nationale en deuxième lecture. Nous ne voulons pas entrer dans ce processus. Nous reconnaissons tout à fait les convictions et le travail de Mme le rapporteur, mais c'est une position globale.
Merci monsieur Assouline. Mme Férat va vous proposer des amendements successivement, nous passerons au vote avant chacun. De nombreux parlementaires ont remis des délégations de vote. Si les amendements étaient acceptés, nous aurions un texte de commission, et c'est sur ce texte de commission que nous irions débattre pendant l'espace réservé du groupe socialiste, le 3 novembre. Si ces amendements sont repoussés, nous n'avons pas de texte de commission ; le débat en séance publique portera alors sur le texte adopté par l'Assemblée nationale. Vous avez encore alors la possibilité de l'amender jusqu'au 28 octobre à 11 heures dernier délai.
Mme Françoise Férat. - L'amendement n° 1 à l'article 1er A, alinéa 5, attribue au préfet de région et non à celui de département la charge de porter à la connaissance des collectivités les contraintes liées au patrimoine mondial et devant être prises en compte dans les documents d'urbanisme.
L'amendement n° 1 est rejeté.
L'amendement n° 2 à l'article premier, alinéa 2, supprime la liste détaillée des critères de la commission Rémond pour y faire simplement référence, afin de ne pas lier le Haut conseil du patrimoine qui doit établir sa propre jurisprudence.
L'amendement n° 2 est rejeté.
L'amendement n° 3 à l'article 7, alinéa 4, supprime la phrase faisant référence à une durée déterminée pour le projet culturel prévu dans le cadre des transferts à titre gratuit.
L'amendement n° 3 est rejeté.
L'amendement n° 4 à l'article 7, alinéa 5, est un amendement de coordination avec l'amendement n° 3 et propose de revenir à la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture.
L'amendement n° 4 est rejeté.
L'amendement n° 5 à l'article 13 précise que le décret d'application de la présente loi est prévu « en tant que de besoin », rendant possible l'application directe de certaines de ses dispositions.
L'amendement n° 5 est rejeté.
L'ensemble du texte est mis aux voix et rejeté.
La commission n'adopte donc pas de texte.
Mme Françoise Férat, rapporteur. - J'ai bien entendu le vote, et je le respecte. Mais il y a un mot qui a été prononcé par le président Legendre : « sincérité ». Je salue le travail qui avait été fait par la mission d'information, travail de fond puisqu'il avait recueilli l'unanimité. Je regrette évidemment ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, mais je crois qu'il faudrait que nous n'ayons pas de complexes sur notre rôle ici au Sénat. J'ai fait campagne, sans doute comme vous, une grande partie du mois d'août et de septembre, et ce qui revient souvent c'est : à quoi sert le Sénat ? Eh bien, sur un texte aussi important que celui-ci, qui n'est un texte ni de droite ni de gauche mais un texte que nous portons en nous, c'est une évidence : j'aimerais bien que nous fassions la démonstration du rôle essentiel du Sénat. C'est un formidable exemple où nous pouvons démontrer ce qui est notre apport au travail parlementaire.