Mardi 21 juin 2011
- Présidence de M. Serge Lagauche, président -Examen du rapport
M. Serge Lagauche, président. - Les conclusions de notre mission seront présentées demain lors d'une conférence de presse. Le rapport de plus de 100 pages que nous examinons aujourd'hui est celui de la mission commune d'information - j'y insiste -, non de la commission de la culture et de l'éducation.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Je commencerai par le constat. L'école a globalement réussi sa démocratisation : 100 % d'une classe d'âge est scolarisée jusqu'à 16 ans et 65 % jusqu'au baccalauréat, soit trois fois plus qu'en 1980. Les enseignants, ce dont témoignent nos auditions, sont extrêmement impliqués et motivés. Néanmoins, ils sont lassés des dysfonctionnements du système. Les plus jeunes d'entre eux sont souvent affectés aux postes les plus difficiles, notamment dans les zones d'éducation prioritaire (ZEP), avec une formation insuffisante. L'école ne satisfait pas à l'exigence républicaine, qui est la réussite de tous les élèves. Aujourd'hui, un enfant d'ouvrier a 17 fois moins de chances d'intégrer une grande école qu'un enfant d'enseignant ou de cadre supérieur et la probabilité d'un échec scolaire est quatre fois supérieure. Le creusement des inégalités scolaires, un fait indéniable qui ressort des enquêtes PISA (Programme for International Student Assessment) de 2000 et 2009, est d'origine sociale. Contrairement à d'autres, la France n'a pas su tirer profit du choc salutaire de la première enquête de l'OCDE. Pourtant, dès 2000, la commission du débat national sur l'avenir de l'école présidée par Claude Thélot l'avait déjà constaté : « notre école va bien pour les enfants qui vont bien ».
Comment expliquer cette évolution ? Premièrement, notre logique de moyens. Avec un budget de plus de 60 milliards, la France se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE. En revanche, notre manière de répartir les crédits diffère de celle des pays qui réussissent : nous privilégions l'enseignement secondaire. A mon sens, le problème n'est pas celui des moyens - 35 000 professeurs supplémentaires en 2011 pour 140 000 élèves en moins -, mais de leur utilisation. Je soutiens le principe du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux car, disait Claude Thélot, il y a de la fécondité dans la contrainte. Cependant, cette politique a des limites. D'une part, une limite financière puisque la masse salariale s'est stabilisée seulement en 2011 : de fait, les années précédentes, l'impact a été atténué par des mesures catégorielles, le glissement vieillesse technicité (GVT) et le poids des pensions ; d'autre part, une limite pédagogique : par facilité, on a supprimé des classes en milieu rural. Mieux aurait valu s'attaquer aux options dans le second degré, très consommatrices en personnel et peu efficaces sur les résultats scolaires, d'après différents intervenants auditionnés. Je souhaite une application du « un sur deux » moins aveugle, qui soit accompagnée par une véritable réforme structurelle.
Deuxième cause, l'opacité du budget de l'Éducation nationale relègue le parlementaire au rôle de « contemplatif » du système. Chaque année, nous ne passons que trois heures à étudier un budget de 60 milliards, et n'avons aucun moyen d'action sur les 29,4 milliards qui vont à l'enseignement du second degré. L'utilisation de ces crédits, fort peu lisibles malgré la LOLF, est essentiellement décidée au moyen de circulaires et de décrets relatifs au statut des enseignants et aux obligations de service, quand ce ne sont pas des expérimentations comme l'ex-programme Clair. Qui plus est, le recours à « l'euro éducatif », cette dotation d'emplois équivalent temps plein travaillés déléguée aux académies et convertie en dotation globale horaire affectée à chaque établissement, ainsi que le décalage entre l'année civile et l'année scolaire, ajoutent à la complexité d'un budget qui semble réservé aux seuls initiés. Redonnons sens à l'autorisation budgétaire, comme je le proposais déjà en 1999 dans le rapport « Enseignants - Mieux gérer, mieux éduquer, mieux réussir ». Le Parlement est loin de se désintéresser de la question scolaire : depuis un an, il a adressé 403 questions au ministre de l'Éducation nationale, soit deux fois plus qu'au Garde des Sceaux.
La troisième cause est d'ordre structurel. L'organisation de notre système est très centralisée, pyramidale : les décisions sont prises rue de Grenelle, où l'on reste attaché à la culture du B.O. - le Bulletin officiel - et de la circulaire ; les expérimentations imposées d'en haut se concrétisent difficilement, tandis que les initiatives locales donnent de bons résultats. Le ministère peine à définir des priorités : en 2008, il en proposait plus de 15 ; depuis, ce nombre a augmenté... Ce système, qui ne favorise pas, suivant les mots de Thierry Bossard, la « culture d'initiative dans les établissements », n'est plus adapté ; notre société a besoin de plus de souplesse, de réactivité.
Enfin, autre difficulté, de nature culturelle, nous avons longtemps pensé que l'égalité des chances passait par l'égalité des moyens.
J'en viens à nos propositions. Leur but est de rompre avec la logique de moyens pour instituer une logique de résultat. Cela suppose d'évaluer, mais aussi de définir des priorités et de s'y tenir -de nombreuses personnes auditionnées y ont insisté. L'idée est également de bâtir une organisation « cellulaire », si je puis m'exprimer ainsi, avec un véritable pilotage : à l'État d'assurer le respect de l'équité sur l'ensemble du territoire, à la région de veiller à la cohérence du système ; enfin, aux bassins de formation de mettre les établissements en réseau, et non en concurrence. La méthode doit être le partenariat avec les collectivités territoriales. Ces dernières sont prêtes à s'investir pourvu qu'on ne leur demande pas d'être réduites au rôle de simple contributeur.
Premier axe, redonner sens à l'autorisation budgétaire, c'est-à-dire rendre au Parlement son pouvoir d'arbitrage. « Trop de priorités tue la priorité »... La réformite aiguë du ministère et la « boîte noire » que constitue son budget privent le Parlement de sa capacité d'arbitrage. Au vu du montant du budget de l'Éducation nationale et de l'importance stratégique du savoir, c'est pourtant à la représentation nationale de décider, et non au ministère. Cela suppose de refondre l'architecture budgétaire afin de hiérarchiser les priorités et, donc, les moyens grâce à une évaluation des actions éducatives exprimées dans la monnaie de droit commun, et non en « euros éducatifs ». L'organisation, six mois avant la rentrée scolaire, d'un débat d'orientation budgétaire sur l'adéquation des moyens de l'Éducation nationale aux objectifs fixés participera du renforcement du rôle du Parlement. Enfin, il faudra soumettre les expérimentations à une concertation préalable et prévoir leur évaluation systématique.
Deuxième axe, privilégier l'initiative locale, la complémentarité des réseaux et le dynamisme des partenariats. Pour parachever la réforme pédagogique de 2005, je prône la constitution de réseaux du socle commun, pilotés par un comité directeur associant le principal du collège et les directeurs des écoles. Car quand les savoirs fondamentaux ne sont pas acquis, l'échec scolaire, et souvent social, est au bout du chemin. Ces réseaux s'accompagneront utilement de regroupement d'écoles à condition de tenir compte de la géographie des territoires. De fait, la proximité du service public, notamment en montagne, je le sais pour être un élu de Haute-Savoie, s'évalue essentiellement en temps de transport, et non en kilomètres. Ce constat vaut également pour les territoires insulaires et ultra-marins. En outre, les regroupements devront faire l'objet d'une concertation approfondie avec les collectivités territoriales. C'est nécessaire pour favoriser l'adhésion aux projets et la cohérence des politiques publiques concourant à la prise en charge éducative de l'enfant, qu'il s'agisse des transports scolaires, des cantines, des équipements sportifs, de la santé, de la sécurité, mais aussi du soutien scolaire, des aides sociales aux familles ou encore de l'apprentissage de la langue française aux parents et aux enfants migrants. Le regroupement de treize écoles rurales dans la Somme, le département de notre collègue Daniel Dubois, pour créer trois écoles modernes, équipées en technologies numériques performantes, constitue, à mon sens, un exemple à suivre. Cette expérience réussie, grâce à l'initiative courageuse des élus locaux et à l'accompagnement sans faille de l'Éducation nationale, prouve que les territoires ruraux peuvent être de véritables foyers d'innovation scolaire. Pour autant, il n'y a pas de recette miracle. La clé du succès est l'adaptation aux territoires et la gestion partenariale.
Cette nouvelle stratégie territoriale, dans laquelle les recteurs joueront un rôle pivot, reposera également sur des partenariats stratégiques forts entre les services de l'État. Politique éducative et politique de la ville, hélas parfois divergentes, sont les deux bras armés de l'État. Or nous voulons un État efficace, non un État manchot. Pour ce faire, il faut mettre en cohérence la géographie de l'éducation prioritaire sur celle de la politique de la ville et concentrer les ressources sur les territoires les plus défavorisés. Assumons que l'égalité des chances passe par une inégalité de traitement budgétaire. Par exemple, dans les ZEP, les élèves devraient bénéficier systématiquement d'une aide aux devoirs le soir, laquelle serait partie intégrante des missions de l'Éducation nationale.
Afin d'articuler les actions complémentaires menées sur la famille, l'école et l'environnement socio-économique de l'élève, nommons, dans chaque région, un « préfet éducatif ». Celui-ci élaborera le « contrat de stratégie éducative régionale » (CESR), un nouvel instrument juridique destiné à mettre en cohérence les actions des collectivités et celles de l'État, ainsi qu'à suivre son application. Ce document, par lequel sera enfin reconnue et valorisée la contribution des collectivités, tiendra également compte des milieux économiques.
Troisième axe, donner aux équipes pédagogiques une responsabilité collective dans la réussite des élèves. Cela suppose une évaluation fiable de chacun des maillons de la chaîne : des réformes et expérimentations, des académies et, enfin, des établissements qui sont le coeur du « réacteur scolaire ». Comme au Portugal, il faudrait charger le chef d'établissement de l'évaluation pédagogique individuelle des enseignants ; en contrepartie, la présidence du conseil d'administration reviendrait à une personnalité extérieure, ce qui donne de très bons résultats dans l'enseignement agricole. Outre une évaluation externe des établissements, qui serait rendue publique, développons l'auto-évaluation, pratiquée à l'étranger mais aussi dans l'académie de Strasbourg, chère à Fabienne Keller. Enfin, je défends la contractualisation entre rectorats et établissements. On pourrait imaginer, au sein de la dotation globale, une enveloppe fléchée sur des objectifs collectifs à atteindre par établissement en fonction desquels l'avancement des enseignants pourrait être modulé.
Quatrième axe, reconnaître la spécificité du métier d'enseignant en ZEP. Peut-on continuer à accepter que les jeunes enseignants soient presque systématiquement affectés dans les établissements les plus difficiles, que les équipes tournent souvent trop vite pour qu'un projet d'établissement soit porté dans la durée, que les enseignants en éducation prioritaire bénéficient d'aussi peu de contreparties, que les difficultés dans les ZEP s'aggravent avec l'assouplissement de la carte scolaire ? Pour une politique efficace d'égalité des chances, il faut interdire l'affectation de fonctionnaires stagiaires ou néo-titulaires dans un établissement classé en ZEP et réguler les mouvements intra et inter-académiques afin de stabiliser les équipes pédagogiques ; adapter les différences d'obligations de service entre corps d'enseignants et entre enseignants du même corps en fonction du degré de difficulté de prise en charge des élèves, et non du concours passé ; revaloriser le statut d'enseignant en ZEP par la création d'une classe exceptionnelle accessible après quinze ans de service dans ce type d'établissement ; revenir à une sectorisation plus stricte des élèves dans l'éducation prioritaire.
Ces quinze propositions visent un but commun : sortir de la « logique des silos » pour renforcer les transversalités et « jouer collectif » à la fois entre ministères, entre État et collectivités, entre les différents niveaux de collectivités et au sein de l'Éducation nationale. A chacun de prendre ses responsabilités et de faire place au règne de l'intelligence territoriale et collective pour, en un mot, restaurer la confiance de tous dans notre système éducatif.
Pour finir, je veux remercier les membres de notre mission de leur participation à ces travaux qui se sont déroulés dans un climat serein. Nous avons su discuter dans le respect des opinions de chacun, ce qui est le propre de la démocratie. Merci également au président, pour la manière dont il a conduit nos débats, et aux collaborateurs du Sénat.
M. Serge Lagauche, président. - Je propose de consacrer les premières questions à des demandes de précision avant de discuter les conclusions.
Mme Catherine Procaccia. - Quand vous parlez de responsabilité collective des établissements, visez-vous également les écoles ? En outre, que le premier axe porte sur la revalorisation du Parlement me gêne. C'est important, mais peut-être ne faut-il pas le placer ainsi en tête.
Mme Maryvonne Blondin. - La nouvelle architecture budgétaire proposée prévoit un programme consacré à la lutte contre les inégalités scolaires et, en son sein, une action E, baptisée « action sociale ». Je préférerai la nommer « action socio-médicale » car il ne faut pas oublier le rôle des médecins scolaires et des infirmières.
M. Daniel Dubois. - Une observation purement formelle : la « classe mobile », dans la Somme, compte 30 ordinateurs portables, et non trois. Ensuite, parmi les co-financeurs, il faudrait également citer la région Picardie.
M. Yannick Bodin. - Un rapport de plus de 100 pages, quel travail formidable ! Merci à tous ceux qui ont concouru à son élaboration, quel que soit le contenu du document. Le terme de « réacteur scolaire » n'est pas bienvenu par les temps qui courent...
Mme Fabienne Keller. - Les propositions ont une qualité prospective et un caractère très structurant : elles portent sur l'organisation du système éducatif. La constitution de réseaux du socle commun améliorera la cohérence entre école primaire et collège. Nous n'avons qu'à y gagner, comme l'ont montré les réseaux ambition réussite (RAR) dans les quartiers difficiles. Ce dispositif, au passage, résoudra l'éternel problème de l'absence de statut de l'école primaire. D'ailleurs, la mise en réseau entre écoles et collège existe déjà pour les contrats aidés.
Vous proposez des mesures énergiques pour les ZEP. Interdire l'affectation de stagiaires ou néo-titulaires est un bon principe, tout en sachant que la pratique sera certainement différente. De fait, les directeurs d'établissement disent tous avoir besoin de ces « jeunes qui ont la foi ». Pour résoudre cette question, ne faut-il pas s'en prendre également à l'absence de mobilité des enseignants dans les établissements ? Certes, revenir sur ce point est un tabou syndical...
Encore une fois, je salue l'engagement des membres de la mission et ces propositions structurantes. De fait, le temps éducatif, qui est un temps long, n'est pas celui du politique.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Madame Procaccia, le terme d' « établissement » recouvre aussi bien les établissements du secondaire que les écoles. Plutôt que d'aborder le problème sous l'angle des statuts, nous avons privilégié la fluidité entre les deux niveaux. D'où les réseaux du socle commun dont la tête serait le principal du collège. Le Parlement est peu associé à la politique éducative : l'utilisation des 29,4 milliards de l'enseignement du second degré dépend du seul ministère. Le Parlement doit retrouver sa place dans un domaine aussi stratégique. Sinon, à quoi servons-nous ? Les quelques avancées obtenues dans les débats parlementaires sont souvent remises en cause par des décrets ou des circulaires du ministère. Avec la circulaire, nos propositions sur le droit à la formation professionnelle se sont réduites comme peau de chagrin. En 1999, j'étais déjà le rapporteur d'une commission d'enquête sur la gestion du ministère de l'Éducation nationale. Le but était de rendre du sens à l'autorisation parlementaire. Douze ans plus tard, rien n'a changé !
La simple logique de présentation nous fait partir du niveau national pour aboutir à l'échelon local.
Madame Blondin, nous nous limitons à une simple proposition en matière budgétaire, car la commission des finances est seule compétente en ce domaine. L'action du programme que vous avez évoquée recouvre les aspects médicaux et sociaux.
Nous n'oublierons pas la région Picardie, Monsieur Dubois. Par ailleurs, je suis disposé à remplacer le mot « réacteur » par celui de « moteur ».
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Je remercie Fabienne Keller pour ses commentaires. J'ai, en effet, passé l'âge des rapports à l'eau tiède.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je vous rassure, celui-ci ne l'est pas !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - La commission propose, l'exécutif dispose et j'assurerai le service après-vente. Si nous ne brisons pas les tabous, alors qui le fera ? Il ne s'agit pas de provocation contre les acquis et l'on doit agir dans la concertation. Il convient de se poser des questions.
M. Jean-François Humbert. - C'est la moindre des choses.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - En 1950, il fallait dégager une élite ; l'objectif actuel est de laisser le moins d'élèves possible sur le bord de la route et d'assurer la justice sociale. Il est donc légitime de prendre en compte le temps passé par certains enseignants dans des classes difficiles. Cette reconnaissance est nécessaire ! D'où la suggestion d'un échelon exceptionnel.
M. Daniel Dubois. - Je propose de compléter la constitution de réseaux du socle commun, proposée au point 1 de l'axe 2, par la création d'un conseil exécutif local associant élus et travailleurs sociaux relevant du conseil général. En apportant transparence et partenariat au réseau de socle commun, ce conseil serait un facilitateur de diagnostic, permettant d'être réactifs.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Je suis un partisan convaincu des partenariats.
Mme Maryvonne Blondin. - On ne l'a pas assez écrit.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Je propose de mentionner « les partenaires concernés ».
M. Serge Lagauche, président. - Il ne faut pas être traumatisé par les enquêtes PISA : n'oublions pas que de nombreux enseignants travaillent bien, qu'ils obtiennent des résultats. N'indiquer que les remèdes à ce qui ne va pas pourrait réveiller les susceptibilités du corps enseignant. Il conviendrait de développer le constat, tout en insistant un peu plus sur l'engagement des collectivités territoriales. Avant d'aborder les difficultés, rappelons ce qui est positif.
Par ailleurs, les propositions du rapport ne sont pas hiérarchisées, alors que certains objectifs peuvent être atteints plus vite que d'autres. Pourquoi ne pas demander aux rectorats de publier chaque année le bilan des expériences réalisées ? Le rapport n'a pas pour ambition de déboucher sur un texte fondateur. D'ailleurs, je me méfie des grandes lois, qui ne recouvrent jamais l'ensemble du sujet. Indiquons une progression. Pourrions-nous suggérer une méthode plus percutante à propos des ZEP ? Nous n'avons guère trouvé trace d'enseignants ayant signé pour cinq ans... On pourrait avancer assez rapidement sur ce point, de même que sur l'attribution d'une prime à ceux qui font cette démarche. De la même façon, une meilleure coordination entre l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et la carte scolaire pourrait intervenir à brève échéance.
M. Jean-François Humbert. - Le président de la mission vient d'évoquer des éléments qui figurent en introduction du rapport, notamment le fait que l'Éducation nationale ait globalement réussi, grâce aux enseignants, qui sont les piliers du système. Il suffirait sans doute d'étoffer cette partie.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Je fais amende honorable. J'ai mentionné sans doute rapidement, au début de ma présentation, la massification de l'enseignement et l'implication des enseignants, d'ailleurs souvent lassés par les dysfonctionnements d'un système qui les dessert.
M. Serge Lagauche, président. - Cela représente une page sur une centaine...
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - J'en viens aux priorités du rapport. Limité à son organisation territoriale, l'objectif de notre mission n'était pas de refonder l'Education nationale. Dans ce cadre, on peut distinguer quatre priorités.
La première consiste à supprimer l'organisation pyramidale, qui ne répond pas aux besoins de souplesse et de réactivité. Si la grande entreprise dont je suis issu avait conservé son organisation pyramidale d'il y a 30 ans, elle aurait disparu.
La deuxième priorité est d'y voir clair sur le plan budgétaire grâce à l'euro de droit commun, afin de rétablir le lien entre l'autorisation parlementaire et l'affectation des enseignants.
La troisième priorité concerne l'évaluation, inexistante aujourd'hui.
Enfin, nous voulons privilégier le recours au contrat plutôt qu'à la loi. Dans ce domaine, seuls trois grands textes sont intervenus en 30 ans, les lois Savary, Jospin et Fillon, mais des dizaines de réformettes ont été introduites par décret ou par circulaire. La décision est prise par l'administration, par circulaire.
Mme Catherine Procaccia. - L'enquête PISA n'est pas si catastrophique pour la France, car elle met notre situation en parallèle avec celle de pays non comparables. Je suggère d'en relativiser les conclusions.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - PISA n'est pas mon livre de chevet. L'herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin. En outre, tout progrès doit être apprécié en fonction du point de départ.
Je ne le veux pas transférer en France tout ce que nous avons observé au Portugal ou en Pologne, mais le conseil d'établissement portugais, par exemple, mérite d'être médité, car il associe les parents, le monde socio-économique et les partenaires sociaux.
On peut éventuellement s'inspirer de ce qui se passe ailleurs, non reprendre les mêmes dispositifs.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - La mission et son rapport sont importants. Je vais néanmoins émettre un avis négatif.
Nous n'avons guère eu le temps d'examiner ce texte très épais. Je souhaite que mon groupe y annexe une contribution.
M. Serge Lagauche, président. - C'est prévu.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Ce que nous voulons, ce n'est pas revenir 40 ans en arrière, mais bien réformer autrement. Bien que nous déplorions le peu de cas fait des chercheurs, nos critiques ne visent pas les auteurs du rapport. Celui-ci constate la multiplication de réformes tous azimuts, et correspondant à un projet de société, que je ne partage pas. Je rappelle leur effet déstabilisateur et leur généralisation hâtive, comme pour le programme Clair. Après avoir souligné à juste titre le fiasco de l'assouplissement de la carte scolaire, le rapport propose de revenir à son respect strict.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Dans les zones prioritaires !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Là où l'assouplissement est source de ghettos. Ni le recrutement d'enseignants sur profil par le chef d'établissement, ni la mise en réseau ne sont à la hauteur du défi.
Le rapporteur estime que l'Education nationale a globalement réussi la démocratisation de l'enseignement. Nous ne sommes pas d'accord ! Seule la massification a été conduite à bien... avec 160 000 sorties sans qualification et le creusement des inégalités sociales. M. Jean-Yves Rochex parle de démocratisation quantitative, déplaçant les inégalités sociales sans les supprimer.
Enfin, le rapporteur estime que la part consacrée à l'Education nationale va croissant. C'est vrai pour le pays, pas pour l'État.
Quant aux propositions, elles sont pour l'essentiel de la même veine que celle figurant dans les rapports de Frédéric Reiss et de Jacques Grosperrin, voire de la circulaire ministérielle de rentrée. D'ailleurs, le rapport fait référence à l'économie de la connaissance la plus compétitive.
Si ces propositions étaient concrétisées, le service public de l'éducation subirait une nouvelle dégradation : l'élève a presque disparu, au profit des besoins du territoire et de l'employabilité ; la formation des enseignants est escamotée, à l'heure où tant de jeunes sont envoyés devant des classes sans autre forme de procès.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Je l'ai dit.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Cela me pose problème, car le recrutement national par concours est un fondement de l'Education nationale. Le recteur de l'académie d'Amiens a conforté mon sentiment en nous disant : « l'entreprise est l'avenir de l'école, mais l'école est le futur de l'entreprise ». Je ne peux accepter que l'employabilité soit désormais l'objectif principal, au détriment de la formation la plus poussée pour tous. La maîtrise du savoir et l'épanouissement individuel sont des enjeux démocratiques. L'école et la communauté éducative ont un rôle essentiel à jouer pour ceux qui n'ont aucun autre moyen d'accéder à la connaissance.
Au risque d'être schématique, je dirai que ce rapport propose de réaliser l'école du socle commun. Sans être hostiles au principe de ce dernier, nous nous interrogeons sur sa hauteur et sur sa forme, quand la nouvelle architecture budgétaire sera mise au service de l'employabilité. Si j'ai bien compris, vous proposez de mutualiser l'offre de formation publique et privée, alors que le secteur public assume seul un certain nombre de missions : voyez l'enseignement agricole. Mis en place au nom de l'équité, le socle commun contrarie l'égalité réelle, car il constitue l'horizon indépassable des uns, mais une simple étape pour ceux ayant vocation à poursuivre leurs études. En outre, je m'inquiète de l'évaluation binaire des connaissances dans un livret de compétences devenant un fichier.
Concrètement, le contrat l'emporte sur la loi, alors que les chefs d'établissement voient leur marge de manoeuvre fondre pendant que leur autonomie s'étend. Lors d'un colloque, l'un d'eux a dit que l'autonomie consistait à faire plus avec des moyens réduits et moins prévisibles. Dans une conception restrictive des dépenses, la proposition de l'euro ne permettra pas de faire face à cette problématique.
Sur le plan pédagogique, je crains un retour en arrière, sans le moindre bilan de l'autonomie.
Nous risquons une réelle dégradation de l'égalité sociale et territoriale, car l'existence de programmes nationaux ne suffit pas à l'asssurer.
Je ne partage pas les orientations de ce rapport sur l'école.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Je n'ai lu ni le rapport Grosperrin, ni le rapport Reiss.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Il y a pourtant une grande convergence de vos pensées. Vous pourriez adhérer à l'UMP...
M. Jean-Claude Carle. - Dans un État de droit, la loi prime sur le contrat, mais j'estime qu'elle doit se borner à tracer le cadre imposé à celui-ci.
M. Yannick Bodin. - Le rapporteur a raison de dire que notre mission s'est déroulée dans une ambiance excellente. Il est également dans le vrai en affirmant que nous n'avons pas tous la même façon de voir les choses.
Nous approuvons certaines de ses propositions, qui figurent d'ailleurs dans des textes déposés par ma famille politique, mais d'autres nous mettent mal à l'aise. Je pense notamment à l'organisation proposée pour le monde rural, à la création de « préfets éducatifs », au sens concret de l'évaluation et à l'effectivité de la sectorisation dans les seules zones d'éducation prioritaire. S'est-on bien compris ? Nous ne voulons pas que la carte scolaire ne soit respectée que dans les ghettos.
Les points positifs sont insuffisants à nous faire voter le rapport ; les points négatifs ne peuvent suffire à justifier un vote contre, bien que la balance penche du côté des insuffisances. Par exemple, nous estimons impensable de ne pas évoquer les métiers de demain, alors que le rapport aborde sans cesse les nouvelles missions. Il faudra bien former les maîtres, les directeurs, les chefs d'établissement, les inspecteurs d'académie, les recteurs et même le ministre ! Comment aborder toutes ces questions sans préciser le rôle de chaque acteur ? Il y a un décalage surréaliste entre les bonnes intentions du rapport et les reculs imposés par le ministre. Le rapporteur est lancé dans une course sans fin. Avec les mesures annoncées, l'Education nationale coûtera bien plus cher qu'aujourd'hui. Nous aimons trop le rapporteur pour le mettre en difficulté. À en croire Le Monde, la droite veut faire évoluer l'école en 2012 en lui accordant l'autonomie, comme elle l'a fait pour l'enseignement supérieur. Laissant le rapporteur prendre ses responsabilités, nous lui souhaitons bon courage pour ses relations avec le futur candidat UMP à l'élection présidentielle !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - Je ne crois pas aux « grands soirs » de l'éducation, mais à l'évolution dans la concertation et la négociation. Il revient au législateur de tracer la voie, pour laisser la contractualisation s'opérer sur le terrain.
Je ne suis pas ministre et je n'ai pas placé ma mission de rapporteur sous le signe des échéances électorales à venir. Comme toujours, je suis parti sans a priori. J'essaierai d'assurer le service après-vente en étant fidèle à notre travail, tout en sachant que faire aboutir nos propositions ne sera pas facile. Le succès viendra par le bas, non par le haut.
Mme Catherine Procaccia. - Directement concernée par les établissements situés dans les zones d'éducation prioritaire, je sais que ces structures découragent, sauf les professionnels qui les ont choisies. Dans le Val-de-Marne, on refuse les mutations demandées par des enseignants dont les conjoints exercent leur activité ailleurs. Résultat : les intéressés quittent l'enseignement.
M. Serge Lagauche, président. - Le rapport reflète bien l'ensemble des auditions et des opinions. Dans une période de choix politiques et vu les récriminations qui montent du terrain, nous ne pouvons croire à certaines orientations, ni en accepter d'autres. Cela vaut pour la révision générale des politiques publiques (RGPP) comme pour la formation des enseignants, pour lesquels le ministre propose une orientation en deuxième année de master. Nous ne participons pas au vote et déposerons une contribution reflétant le découragement suscité par la politique actuelle.
Les propos du président de la République, rapportés dans Le Monde, nous restent en travers de la gorge. Il faut regagner la confiance des gens dont on veut faire évoluer le travail. À l'évidence, les collectivités territoriales seront encore plus sollicitées, sans la moindre contrepartie. Dans le secteur de Daniel Dubois, il a fallu s'arc-bouter pour obtenir quelque chose. Partout, c'est la volonté des élus qui fait évoluer la situation.
Nous reconnaissons que la mission a très bien travaillé.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - J'ai été particulièrement sévère avec le ministre quant à l'absence de formation des maîtres : je lui ai même « tanné le cuir » !
M. Yannick Bodin, président. - C'est pourquoi le sujet méritait un chapitre.
M. Daniel Dubois. - Je voterai ce rapport. Un enseignant, très attaché à l'Education nationale, l'a décrite comme un « véritable laminoir ».
Ce rapport propose une déconcentration accrue, de vraies évaluations et un partenariat à créer. Aboutir à une véritable éducation est une ambition nationale à partager. C'est vrai aussi sur le plan local, pourvu que les territoires puissent s'engager dans la transparence.
Contrairement aux années précédentes, aucun départ d'enseignant n'a été constaté cette année dans mon territoire, ce dont je me félicite. Pour mieux apprécier le fonctionnement de l'école, je souhaite une évaluation, certes pas dans l'intérêt des élus, mais dans celui des enfants. La situation actuelle n'est pas satisfaisante.
Les pistes tracées par le rapport méritent d'être creusées. C'est un long chemin !
Mme Françoise Laborde. - Ne souhaitant pas verser dans la politique politicienne, nous ne prendrons pas part au vote.
Le rapport contient des idées intéressantes, notamment grâce aux comptes rendus d'auditions ou de rencontres, en France ou à l'étranger. Nous ne pouvons toutefois le voter, en raison du problème de la formation. Il n'y aura pas de fermeture de classes l'année prochaine, annonce le président de la République, mais il a fait le ménage en 2011 ! Certains enseignants restent sur le carreau, alors que l'on en cherche d'autres à Pôle emploi. Pour moi, il n'y a qu'un enseignement, il est public !
Comme Mme Keller, je constate que nous sommes coincés dans ce rapport, car nous aurions envie d'aller plus loin, alors que notre but n'est pas d'élaborer une nouvelle loi d'ensemble sur l'Éducation nationale. La frustration est réelle.
Mme Colette Mélot. - Cette mission a fourni un travail remarquable, avec de nombreux déplacements en France et à l'étranger. Nous avons tous constaté l'inadéquation du système aux réalités du pays. Une évolution est donc indispensable et, s'il n'y a pas de solution miracle, certaines expérimentations ont fait leurs preuves. Je pense notamment à la mise en réseau du système scolaire, des services sociaux et des services municipaux au sein d'une même ZEP. Déployer une offre éducative territoriale fondée sur la complémentarité des réseaux et le dynamisme des partenariats est une excellente idée.
Le rapport est adopté.