Mardi 26 avril 2011
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -Projet de programme de stabilité - Examen du rapport d'information
La commission procède à l'examen du rapport d'information de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur le projet de programme de stabilité transmis par le Gouvernement à la Commission européenne conformément à l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
M. Jean Arthuis, président. - Le Parlement va, pour la première fois, voter cette année sur le projet de programme de stabilité que le Gouvernement doit adresser aux institutions de l'Union européenne.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - L'article 14 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 (LPFP 2011-2014), qui résulte d'une initiative du Sénat, dispose : « A compter de 2011, le Gouvernement adresse au Parlement, au moins deux semaines avant sa transmission à la commission européenne (...), le projet de programme de stabilité. Le Parlement débat de ce projet et se prononce par un vote ». Cette année, ce vote correspondra à l'application de l'article 50-1 de la Constitution, selon lequel « devant l'une ou l'autre des assemblées, le Gouvernement peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un groupe parlementaire au sens de l'article 51-1, faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s'il le décide, faire l'objet d'un vote sans engager sa responsabilité ». L'article 12 du projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques, actuellement en cours d'examen par l'Assemblée nationale, prévoit quant à lui que « le Gouvernement adresse à l'Assemblée nationale et au Sénat, avant leur transmission aux institutions de l'Union européenne, les projets de programme de stabilité établis au titre de la coordination des politiques économiques des Etats membres de l'Union européenne ». Le projet de loi constitutionnelle ne mentionne donc pas de vote du Parlement. Il devra évoluer sur ce point, comme le proposent nos collègues députés.
Les Etats ont modifié le code de conduite qui régit le format et le contenu des programmes de stabilité pour prévoir une transmission des programmes au plus tard à la fin du mois d'avril, et non plus en décembre, en amont des discussions budgétaires nationales. C'est ce qu'on appelle le « semestre européen ». La Commission de Bruxelles propose une modification en ce sens du règlement 1466/97 qui régit les programmes de stabilité, à laquelle les Etats ont donné leur accord et qui est actuellement examinée par le Parlement européen.
La Commission et le Conseil se prononceront sur les projets de programme entre juin et juillet. En France, le Parlement pourra à nouveau se prononcer, cette fois sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution, qui permet des « résolutions européennes ».
En pratique, le document transmis par le Gouvernement se présente sous la même forme que le programme de stabilité 2011-2014 qui aurait dû, dans l'ancien dispositif, être transmis au mois de décembre 2010. Il s'agit donc plus d'un report de quatre mois du programme de stabilité 2011-2014, avec des données à jour de l'exécution 2010, que d'une présentation anticipée du programme 2012-2015. Il faudra préciser l'articulation entre le « semestre européen » et la réforme du pacte de stabilité.
A ce stade de l'année, l'information sur l'exécution 2010 est encore lacunaire. Le document notifié à la Commission européenne le 1er avril 2011 porte sur des données provisoires. Le compte de la Nation provisoire pour 2010 ne sera publié que le 13 mai prochain. Les données actuellement disponibles indiquent les soldes par niveau d'administrations publiques, mais le montant des dépenses et des recettes seulement au niveau agrégé.
Les programmations de finances publiques sont en France multiples et redondantes. Les programmes de stabilité ont pour base juridique l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Le présent projet de programme de stabilité correspond au treizième depuis la fin des années 1990. Par ailleurs, l'article 50 de la LOLF prévoit que le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances comprend une programmation triennale des finances publiques. Il y en a eu neuf depuis le projet de loi de finances pour 2003. Enfin, les lois de programmation des finances publiques (LPFP), qui n'ont pas de caractère contraignant, sont prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution. Il y en a eu deux : la loi du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 et la loi du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.
Depuis un an, on assiste à un phénomène remarquable : la programmation ne se détériore plus, et même s'améliore légèrement. Le programme de stabilité 2010-2013, adressé à la Commission en janvier 2010, prévoyait un déficit de 8,2 points de PIB en 2010, 6 points en 2011, 4,6 points en 2012, 3 points en 2013 et 2 points en 2014. La LPFP 2011-2014 de décembre 2010 prévoyait un déficit de 7,7 points de PIB en 2010, la suite de la trajectoire étant maintenue inchangée. Le projet de programme de stabilité 2011-2014 maintient inchangée par rapport à la LPFP 2011-2014 la trajectoire pour les années 2012 à 2014, mais revoit en légère baisse le déficit de 2010 et 2011 : 7 points de PIB en 2010 (chiffre notifié par l'Insee à la Commission européenne le 1er avril 2011, au lieu de 7,7 points, et 5,7 points de PIB en 2011, au lieu de 6 points). Si la pratique récente constitue incontestablement une amélioration, l'objectif de ramener le déficit public sous le seuil des 3 points de PIB en 2013 est loin d'être acquis, comme on va le voir.
Deux raisons essentielles expliquent que les trajectoires de solde des programmations de finances publiques n'aient quasiment jamais été respectées. Tout d'abord, les hypothèses de croissance retenues - généralement 2,5 %, voire 3 % dans le cas des scénarios dits « hauts » - sont, toujours ou presque, trop optimistes. Une règle de bonne gestion serait de toujours retenir une hypothèse de 2 %. En effet, l'expérience montre que personne n'est capable à l'automne d'une année donnée de prévoir la croissance de l'année suivante. Par ailleurs, comme sur longue période la croissance est de 2 %, en retenant ce taux on est sûr d'avoir raison à long terme, alors qu'avec une hypothèse de 2,5 %, on est sûr d'avoir tort. Lors de l'examen du projet de LPFP 2011-2014, notre commission des finances a proposé d'inscrire dans le dispositif du texte un scénario alternatif de croissance à 2 %, qui conduisait à un déficit public sensiblement supérieur. Le Gouvernement a finalement accepté d'inscrire dans le rapport annexé que si la croissance était de seulement 2 %, il prendrait les mesures supplémentaires nécessaires pour respecter la trajectoire de solde. Le projet de programme de stabilité maintient l'hypothèse de 2 % pour 2011 et abaisse très légèrement l'hypothèse pour 2012, ramenée de 2,5 % à 2,25 %, alors que le consensus des conjoncturistes est actuellement de 1,7 % pour chacune de ces deux années.
La seconde raison essentielle du non respect des trajectoires de solde tient au fait que le rythme de progression des dépenses publiques en volume est presque toujours sous-estimé, puisqu'il est fixé à un taux généralement de l'ordre de 1 %, alors que l'exécution moyenne est de 2,4 % depuis 2000. Depuis le début de l'année 2010 les programmations retiennent une hypothèse encore plus ambitieuse, de 0,6 %. C'est l'hypothèse du programme de stabilité 2010-2013, de la LPFP 2011-2014 et du projet de programme de stabilité 2011-2014. On pourrait penser a priori que la faible croissance des dépenses en 2008, 2010 et, selon le présent projet de programme de stabilité, 2011, marque une inflexion de tendance. Toutefois cette modération proviendrait de phénomènes exceptionnels : respectivement, une forte inflation, une diminution de l'investissement public local et la fin du plan de relance. Au total, la croissance en volume des dépenses publiques en 2010 et 2011, de 0,6 % dans chaque cas, serait en réalité de l'ordre de 1 % sans ces facteurs exceptionnels.
Plusieurs phénomènes devraient inciter la France à mieux respecter les programmations. Tout d'abord, il faut conserver la confiance des marchés en la soutenabilité de la dette publique française. N'importe quel Etat ayant une dette publique élevée peut faire défaut, dès lors que les marchés ont des doutes sur sa capacité à honorer ses engagements, et lui imposent en conséquence des taux d'intérêt élevés. Par exemple, un Etat ayant une dette publique de 100 points de PIB peut stabiliser celle-ci en points de PIB avec un « simple » équilibre primaire si le taux d'intérêt sur sa dette est de 4 %, mais doit dégager un excédent primaire de 6 points de PIB avec un taux d'intérêt de 10 %. Il faut donc que les marchés croient en la volonté de la France de ramener à brève échéance son déficit public sous le seuil de 3 points de PIB. Je rappelle à cet égard que le mécanisme européen de stabilité financière doit sa notation « triple A », notamment, à celle de la France, dont une éventuelle dégradation de la note pourrait donc avoir des conséquences systémiques.
M. Aymeri de Montesquiou. - Pourquoi la France conserve-t-elle sa note « triple A » ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Parce que nous inspirons confiance. En particulier, nous avons de bonnes perspectives de croissance.
Un deuxième facteur susceptible d'inciter les gouvernements à mieux respecter les programmations de finances publiques, c'est que le pacte de stabilité devrait bientôt être significativement renforcé. Le « paquet législatif » présenté par la Commission européenne le 29 septembre 2010, qui doit être adopté en juin prochain, comprend notamment trois propositions de règlements tendant à réformer le pacte de stabilité. La réforme comporterait deux innovations majeures. Tout d'abord, la limitation de la dette publique à 60 points de PIB deviendrait contraignante. Ensuite, des sanctions seraient adoptées par « vote inversé », c'est-à-dire qu'il faudrait une majorité qualifiée pour s'opposer aux sanctions proposées par la Commission. Le 15 mars 2011, le Conseil Ecofin a toutefois estimé que, pour que les sanctions puissent être imposées par « vote inversé », il faudra qu'auparavant le Conseil ait adopté une recommandation à la majorité qualifiée.
M. Jean Arthuis, président. - Serait-il envisageable de demander à la Grèce un effort supplémentaire, en lui imposant une sanction ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Un troisième facteur qui pourrait inciter le Gouvernement à mieux respecter les programmations de finances publiques, c'est l'évolution du droit interne. La LPFP 2011-2014 et le dispositif que le Gouvernement prévoit de mettre en place à la suite de la prochaine révision de la Constitution reposent sur la fixation d'un plafond de dépenses et d'un plancher de mesures nouvelles sur les recettes. La LPFP 2011-2014 est un « bon jalon ». Elle est plus robuste et facile à utiliser que le projet de programme de stabilité, dont les principaux montants sont exprimés non en milliards d'euros, mais en points de PIB. L'effort qu'elle prévoit sur les dépenses et les recettes est malheureusement « sous-calibré », en raison de l'optimisme des hypothèses de croissance. La disposition précitée introduite dans le rapport annexé à l'initiative de la commission des finances, selon laquelle le Gouvernement s'engage à respecter la trajectoire de solde si la croissance est de 2 %, ne constitue pas une solution véritablement satisfaisante à ce problème. La future loi organique devra garantir le réalisme des hypothèses de croissance retenues par les lois-cadres de programmation des finances publiques. Je vous rappelle que depuis le printemps 2010, la commission des finances plaide pour deux règles : une « règle de responsabilité », selon laquelle le Gouvernement ne s'engage que sur un plafond de dépenses et un plancher de mesures nouvelles sur les recettes ; mais aussi une « règle de sincérité », imposant de construire les lois financières à partir d'hypothèses prudentes, de façon à éviter le « double langage » et à crédibiliser la trajectoire de convergence, en ne laissant de place qu'aux « bonnes surprises ». Il serait à cet égard possible de s'inspirer d'exemples étrangers. En Allemagne, les huit principaux instituts publient des prévisions conjointes et respectées. Les Pays-Bas et, plus récemment, le Royaume-Uni, ont chargé un organisme indépendant de déterminer les hypothèses économiques utilisées pour élaborer les lois de finances.
M. Aymeri de Montesquiou. - Ne faudrait-il pas retenir systématiquement une hypothèse de croissance de 2 %, et affecter les suppléments de recettes résultant d'éventuelles « bonnes surprises » au désendettement ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Bien entendu. Toutes choses égales par ailleurs, une croissance de 2 % au lieu de 2,5 % en 2012 obligerait à prendre des mesures supplémentaires sur les dépenses et les recettes comprises entre 6 et 10 milliards d'euros. Inscrire un tel effort supplémentaire dans le programme de stabilité permettrait de se préparer aux décisions qui pourraient devoir être mises en oeuvre par le projet de loi de finances pour 2012.
Le projet de programme de stabilité suscite certaines interrogations.
Tout d'abord, on peut se demander quelle est la nature de l'engagement du Gouvernement en matière de solde. Le projet de programme de stabilité indique que « le Gouvernement est déterminé à poursuivre sa politique de consolidation des finances publiques afin de ramener le déficit public à 3 % du PIB à l'horizon 2013, quelle que soit la conjoncture ». On peut supposer que cette « détermination » concerne non seulement l'objectif de solde de 2013, mais aussi celui des autres années de la programmation. Si la croissance était moins forte, il faudrait prendre des mesures correctrices.
Ensuite, l'objectif de ramener la croissance des dépenses publiques de plus de 2 % à 0,6 % en volume est, comme je l'ai indiqué, ambitieux, mais encore insuffisamment documenté. En prenant en compte les seules mesures réellement documentées, on arrive plutôt à un taux de l'ordre de 1 %. Pour atteindre cet objectif de 0,6 %, il faudra réaliser des efforts supplémentaires par rapport à ceux actuellement prévus. Par ailleurs, l'article 4 de la LPFP 2011-2014 impliquerait des objectifs de dépenses publiques inférieurs en 2011, 2012, 2013 et 2014 de respectivement 7 milliards, 5 milliards, 3 milliards et 1 milliard d'euros, par rapport aux chiffres que l'on peut reconstituer à partir du projet de programme de stabilité.
En outre, les hypothèses de croissance sur lesquelles repose ce document sont, comme je l'ai indiqué, manifestement optimistes.
Le projet de programme de stabilité se distingue du programme de stabilité 2010-2013 par une hypothèse d'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB comprise entre seulement 1 et 1,1, contre 1,2 dans le précédent programme de stabilité, et l'objectif de dépenses publiques est un peu mieux documenté. Cependant, il est à craindre que, comme il y a un an, des différences méthodologiques avec la Commission européenne suscitent des divergences sur le point de savoir si le déficit structurel se réduirait bien d'au moins 1 point de PIB par an. Surtout, les principales faiblesses du programme de stabilité précédent n'ont pas été corrigées : il n'y a toujours aucune marge de sécurité pour ramener le déficit à 3 points de PIB en 2013 ; les hypothèses de croissance sont toujours optimistes ; malgré les progrès faits en ce domaine, le ralentissement de la croissance des dépenses publiques est toujours imparfaitement documenté. Au total, il paraît difficile de ne pas adopter, vis-à-vis du présent projet de programme de stabilité, une attitude dubitative, tout en souscrivant à ses objectifs.
Il ne serait pas invraisemblable que le Gouvernement doive annoncer à l'automne 2011 une dizaine de milliards d'euros de mesures supplémentaires sur les dépenses et les recettes, par rapport à celles actuellement prévues. La situation est en effet paradoxale. La LPFP 2011-2014 reposait sur l'hypothèse d'une croissance de 2 % en 2011 et 2,5 % en 2012. Or, le consensus des conjoncturistes prévoit une croissance de 1,7 % en 2011 comme en 2012. Le Gouvernement lui-même a revu son hypothèse de croissance pour 2012 à la baisse, de 2,5 % à 2,25 %. A la fin du mois de mars, le ministre du budget laissait entendre que 6 milliards d'euros de mesures supplémentaires pourraient être nécessaires en 2012 pour compenser le fait que la croissance soit moins forte que prévu. Pourtant le Gouvernement présente un programme de stabilité affichant un retour du déficit à 4,6 points de PIB en 2012 sans mesures supplémentaires. En retenant des hypothèses prudentes, on peut estimer que si la croissance était de 1,75 % en 2011 et 2 % en 2012, le déficit public s'en trouverait accru en 2012, toutes choses égales par ailleurs, d'environ 0,5 point de PIB, soit 10 milliards d'euros.
Il ne faut donc pas relâcher l'effort. Par exemple, si la croissance du PIB était de 1,75 % par an et si les dépenses publiques augmentaient chaque année de 1,5 % en volume, le déficit public ne diminuerait quasiment pas.
M. Jean Arthuis, président. - Il faut inviter le Gouvernement à exprimer les principaux montants du programme de stabilité en milliards d'euros, et non en points de PIB, afin de permettre une comparaison effective avec la LPFP 2011-2014.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - L'article 50-1 de la Constitution, sur le fondement duquel le Sénat va se prononcer, prévoit un simple vote sur une déclaration du Gouvernement. Il n'y a pas de texte que l'on puisse amender. C'est très insatisfaisant. Une résolution, par exemple sur la base de l'article 34-1, serait préférable.
M. Jean Arthuis, président. - Les résolutions sur la base de l'article 34-1 échappent largement aux commissions.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il serait en effet préférable de recourir à une procédure similaire à celle prévue pour les résolutions européennes, prévue par l'article 88-4 de la Constitution.
M. Jean Arthuis, président. - Cela serait d'autant plus justifié que les programmes de stabilité sont les matrices des lois de finances.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il faut que les programmes de stabilité comprennent des montants exprimés en milliards d'euros, qu'ils reposent sur des hypothèses de croissance déterminées selon une procédure neutre, et qu'ils comprennent une pluralité de scénarii.
M. Jean Arthuis, président. - Une croissance moins forte chaque année a un effet cumulatif sur le déficit public. Au terme des conférences sur le déficit tenues au printemps 2010, deux objectifs emblématiques d'économies ont été assignés au budget de l'Etat, consistant à réduire de 10 % les dépenses de fonctionnement sur la période 2011-2013, avec un effort de 5 % dès la première année de programmation. Au total, la diminution effectivement constatée dans la loi de finances pour 2011 ne correspond qu'à 0,5 % des crédits de titre 3.
Mme Nicole Bricq. - Le rapporteur général, citant des propos tenus en 2006 en séance publique par notre ancien collègue Alain Lambert, a rappelé l'année dernière au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, lors de l'examen du projet de LPFP 2011-2014, que les Français ne paient pas leur baguette de pain en dixièmes de points de PIB. Il n'a pas été entendu !
La trajectoire de solde du projet de programme de stabilité n'est pas crédible. La croissance sera moins élevée. En particulier, l'inflation pèsera sur la consommation des ménages. Les dépenses d'investissement des collectivités territoriales vont repartir à la hausse, alors qu'on entrera dans la seconde moitié du cycle électoral municipal. On peut s'étonner que malgré une hypothèse de croissance de 2,5 %, le Gouvernement suppose que l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB sera à peine supérieure à 1. Souhaite-t-il minorer l'augmentation prévisible du taux de prélèvements obligatoires ? Il n'a pas de stratégie économique. Celle-ci s'est résumée à la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, que l'on s'emploie actuellement à « détricoter ». Il faut faire d'autres choix de politiques publiques pour avoir une croissance de 2,5 %. Le recours aux articles 50-1 et 88-4 de la Constitution ne permettra pas au Parlement de voter sur le programme de stabilité dans des conditions satisfaisantes.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Faut-il adapter le calendrier budgétaire en conséquence du « semestre européen » ?
M. Joël Bourdin. - Si l'on a une croissance faible une année donnée, on n'augmente que le déficit conjoncturel, alors que si l'on ne respecte pas la norme de dépenses, on augmente le déficit structurel. Ne pourrait-on pas construire les programmations sur la base d'hypothèses de croissance égales à la croissance observée, par exemple, au cours des trois dernières années ?
M. François Fortassin. - Il est étonnant que la France soit notée « triple A », alors que la dette publique est passée de 20 points de PIB au début des années 1980 à plus de 80 points de PIB aujourd'hui. Ne pourrait-on pas améliorer considérablement le solde public en supprimant les « cadeaux fiscaux » ?
M. Albéric de Montgolfier. - Une insolvabilité de certains conseils généraux ne pourrait-elle pas menacer la soutenabilité de la dette publique française ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - En réponse à notre collègue Albéric de Montgolfier, je rappelle que le solde des administrations publiques locales est inclus dans celui des administrations publiques. Par ailleurs, le déficit des administrations publiques locales est habituellement assez faible, de 0,5 point de PIB au maximum, parce qu'elles appliquent la « règle d'or », consistant à n'emprunter que pour investir. Des problèmes de solvabilité de certaines collectivités territoriales ne remettraient pas en cause la soutenabilité de l'ensemble de la dette publique, qui consiste pour 80 % en celle de l'Etat. Les questions soulevées par nos collègues François Fortassin et Nicole Bricq méritent d'être discutées en séance publique. En réponse à notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx, je rappellerai qu'en Allemagne, les principaux éléments de cadrage de la loi de finances pour l'année n+1 sont définis dès le mois d'avril de l'année n. Cela serait-il possible en France ? Il faut que le Parlement se prononce sur les programmes de stabilité sur la base de l'article 88-4 de la Constitution. Il doit être associé à la prise en compte des observations de la Commission européenne, pour éviter que son rôle soit vidé de sens.
M. Jean Arthuis, président. - Nous pourrons aborder le sujet avec les responsables communautaires, lors du séminaire de la commission des finances qui se tiendra à Bruxelles les 2 et 3 mai prochains.
M. Joël Bourdin. - J'approuve pleinement les analyses du rapporteur général.
M. Jean Arthuis, président. - Le Parlement doit indiquer quelles économies concrètes doivent selon lui être réalisées. Sinon tous nos discours ne seront que pure gesticulation !
A l'issue de ce débat, la commission autorise la publication de la communication du rapporteur général sous la forme d'un rapport d'information.
Mercredi 27 avril 2011
- Présidence de M. Jean Arthuis, président, puis de M. Joël Bourdin, vice-président -Niches fiscales - Table ronde
La commission procède à l'audition conjointe de MM. Jonathan Bosredon, sous-directeur du financement de la sécurité sociale, Henri Guillaume, inspecteur général des finances, Philippe Josse, directeur du budget, Mme Marie-Christine Lepetit, directeur de la législation fiscale, et M. Jens Lundsgaard, chef adjoint de la division des statistiques et des politiques fiscales à l'organisation de coopération et de développement économique (OCDE) dans le cadre d'une table ronde sur les niches fiscales.
M. Jean Arthuis, président. - Mes chers collègues, notre table ronde de ce matin porte sur la définition et la méthode de chiffrage de ce que l'on a l'habitude d'appeler les dépenses fiscales et les niches sociales.
Cette table ronde trouve son origine immédiate dans un amendement, retiré en séance publique, de notre collègue Nicole Bricq au projet de loi de finances pour 2011. Dans son amendement, notre collègue prévoyait de charger le conseil des prélèvements obligatoires de définir, chiffrer et évaluer les dépenses fiscales et les niches sociales. Le rapporteur général Philippe Marini et moi-même nous sommes alors engagés, en échange du retrait de l'amendement, à ce que la commission des finances se penche, dès 2011, sur la question de la définition et du chiffrage des dépenses fiscales et des niches sociales. Il nous semble en effet que c'est plutôt au Parlement de définir ce qu'est une dépense fiscale ou une niche sociale.
La présente table ronde trouve également son origine dans les II et III de l'article 9 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014. Ces dispositions, insérées à l'initiative de notre collègue Gilles Carrez, prévoient en effet le gel en valeur des dépenses fiscales et des niches sociales à périmètre constant. Cette norme ne pourra être appliquée de façon satisfaisante s'il n'y a pas de consensus sur ce que sont les dépenses fiscales et les niches sociales.
Le système actuel de définition et de chiffrage des dépenses fiscales et des niches sociales nous semble devoir être refondu et clarifié. Il ne s'agirait pas nécessairement de faire quelque chose de très différent de ce que l'on fait actuellement, mais de le faire sur la base de concepts clairement établis et admis par tous.
En effet, aujourd'hui, le concept de dépenses fiscales n'est réellement défini nulle part. Le fascicule des « Voies et moyens » indique qu'il s'agit de mesures contraires au principe de « généralité », mais il ne précise pas quel sens il donne à ce principe.
La manifestation la plus emblématique des limites du système actuel, c'est que, depuis 2006, environ 75 milliards d'euros de dépenses fiscales ont été « déclassées » en « modalités de calcul de l'impôt », sans que la définition de la notion de dépense fiscale ait officiellement été modifiée.
A cela s'ajoute, dans le cas des niches sociales, le fait que l'article LO 111-4 du code de la sécurité sociale les définit de manière purement juridique, comme des réductions, exonérations, réductions d'assiette et abattements. Dans ces conditions, que se passerait-il si les exonérations de charges sur les bas salaires étaient intégrées au barème ? Cesseraient-elles d'apparaître comme des niches sociales, et d'être développées dans l'annexe 5 des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ?
Je salue nos intervenants et les remercie de leur présence. Peut-être pourrions-nous entendre, pour commencer, M. Jens Lundsgaard, chef adjoint de la division des statistiques et des politiques fiscales à l'OCDE, qui nous donnera d'entrée de jeu des éléments de comparaisons internationales, pour apprendre ce que font les autres États.
Nous pourrions ensuite entendre les principaux acteurs du chiffrage des dépenses fiscales et des niches sociales en France :
- Mme Marie-Christine Lepetit, directeur de la législation fiscale ;
- M. Philippe Josse, directeur du budget ;
- M. Jonathan Bosredon, sous-directeur du financement de la sécurité sociale.
Enfin, M. Henri Guillaume, inspecteur général des finances, pourra-t-il nous faire part des réflexions qu'il a eues au sujet de la définition et du chiffrage des dépenses fiscales et des niches sociales. Je rappelle que M. Guillaume est chargé de rédiger le rapport d'évaluation des niches fiscales et sociales que le Gouvernement doit remettre au plus tard le 30 juin 2011 au Parlement, conformément à l'article 13 de la loi du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.
Nous vous avons fait parvenir la semaine dernière une liste de points susceptibles d'être abordés. Peut-être pourriez-vous commencer chacun par un bref exposé liminaire, d'une dizaine de minutes. Après quoi, nos collègues pourraient vous poser leurs questions.
M. Jens Lundsgaard, chef adjoint de la division des statistiques et des politiques fiscales à l'OCDE. - Pour commencer, je voudrais souligner que la France a réalisé d'importants progrès, depuis quelques années, en ce qui concerne l'information sur ses dépenses fiscales. En particulier, cette information est plus détaillée. Cette amélioration de la qualité de l'information relative aux dépenses fiscales se constate également dans d'autres pays. Ce type d'exercice s'avère particulièrement utile dans le contexte actuel d'assainissement des finances publiques.
Comment procéder ? Il apparaît difficile d'identifier un modèle que l'on pourrait appliquer à chaque pays. Cela relève davantage d'une démarche pragmatique. La France peut élaborer et raffiner ses concepts à partir de l'expérience des autres pays. De ce point de vue, trois États semblent particulièrement intéressants : l'Australie, l'Italie et le Royaume-Uni. Ces pays sont en effet parmi les plus avancés dans l'estimation de leurs dépenses fiscales. En Italie comme au Royaume-Uni, le Gouvernement évalue les dépenses fiscales à 10 points de PIB. Cependant, lorsque l'on élargit la perspective, les résultats sont différents. Ainsi, au Royaume-Uni les dépenses fiscales au titre de l'impôt sur le revenu sont évaluées à 5 points de PIB. Cependant, plus de la moitié de ce chiffre, soit 3 points de PIB, correspond à l'absence de taxation de la première tranche de revenu. De même, certains revenus de retraite et certaines prestations de sécurité sociale ne sont pas imposables. Il s'agit à certains égards de dépenses fiscales.
M. Jean Arthuis, président. - Le barème progressif de l'impôt sur le revenu pourrait presque apparaître comme une dépense fiscale...
M. Jens Lundsgaard. - Si l'on élargit la perspective, on peut distinguer plusieurs catégories de dépenses fiscales et il faut se demander pourquoi elles posent problème. D'une part, elles ont pour conséquence une réduction des recettes publiques. D'autre part, elles sont susceptibles d'avoir des effets indésirables.
La plupart des pays ont établi des évaluations des dépenses fiscales relatives à l'impôt sur le revenu, aux impôts sur les entreprises ou à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). En revanche, peu de pays disposent d'évaluations des dépenses fiscales concernant les impôts sur l'énergie et les taxes environnementales, où elles sont pourtant très nombreuses.
Nous nous efforçons donc d'établir, à l'OCDE, une méthode pour évaluer les dépenses fiscales associées à ces impôts.
La France, à travers sa réflexion en cours sur la définition et le chiffrage des dépenses fiscales, pourra sans doute nous aider à améliorer nos travaux dans ce domaine.
M. Joël Bourdin. - Je voudrais avoir une précision. Lorsque vous mentionnez l'estimation des dépenses fiscales à hauteur de 10 % du PIB, intégrez-vous les effets de la progressivité de l'impôt ?
M. Jens Lundsgaard. - Si l'on retire l'effet de progressivité et le fait que les recettes de sécurité sociale ne sont pas imposables, on aboutit au Royaume-Uni à des dépenses fiscales non de 5 points de PIB, mais plutôt de l'ordre de 1 point de PIB.
M. Jean Arthuis, président. - Cette estimation prend-elle en compte l'ensemble des impôts et exonérations sociales, soit tous les prélèvements obligatoires ?
M. Jens Lundsgaard. - Il s'agit d'une estimation officielle des autorités britanniques. Les cotisations sociales jouent dans ce pays un rôle moins prononcé qu'en France.
M. Jean Arthuis, président. - Après cette vision supra-nationale, nous allons affiner la définition française. Nous comptons sur Mme Lepetit pour nous donner quelques clés de lecture des dépenses fiscales et des niches sociales.
Mme Marie-Christine Lepetit, directeur de la législation fiscale. - Mon propos sera bref et descriptif et portera essentiellement sur les sujets fiscaux. Je voudrais insister sur les démarches menées depuis cinq ans, notamment dans le cadre de la préparation des budgets, pour améliorer le pilotage des dépenses fiscales. Notre objectif est de construire un document commun à l'Exécutif et au Parlement susceptible de renforcer le pilotage des finances publiques, et pas seulement un document théorique et extensif, qui ne serait pas utile dans cette perspective.
De manière analogue à ce qui existait au Royaume-Uni, le Gouvernement a pris le parti de distinguer les dépenses fiscales dérogatoires et spécifiques, correspondant à une politique publique définie, des mécanismes de calcul de l'impôt qui peuvent avoir pour conséquence de baisser les recettes. Je citerai par exemple les mécanismes de décote ou le quotient familial. Il estime que mélanger ces deux catégories ne contribuerait pas à améliorer le pilotage des finances publiques, car elles obéissent à des finalités très différentes.
Nous sommes partis de deux types de travaux, au moins au stade de la genèse. D'une part, le rapport du Conseil des impôts de 2003 sur la fiscalité dérogatoire, qui invitait les pouvoirs publics à reconfigurer le concept de dépense fiscale. D'autre part, le benchmark international. Si vous regardez le « Voies et moyens » actuel, vous pourrez constater que la définition des dépenses fiscales a évolué depuis 2003. Nous avons aussi modifié cette définition pour prendre en compte un rapport de l'Assemblée nationale de 2008. Cependant, cette définition est peut-être insuffisamment précise.
Les dépenses fiscales peuvent être définies comme des normes dérogatoires par rapport à une norme standard. Pour caractériser un dispositif de dépense fiscale, le critère de généralité doit être notre « fil rouge », et non pas l'ancienneté des mesures. Ce parti pris a notamment eu pour conséquence que certains éléments autrefois considérés comme relevant de la norme sont aujourd'hui classés comme des dépenses fiscales, tandis que d'autres, qui étaient classés comme des dépenses fiscales, ne le sont plus. C'est le cas du quotient familial, de la décote, de l'effacement des doubles impositions ou de la répartition dans le temps d'un impôt.
A l'inverse, ont été intégrées dans la liste des dépenses fiscales les dépenses fiscales des collectivités locales compensées par l'État.
Néanmoins, nous avons continué à produire des données sur les anciennes dépenses fiscales, afin de disposer d'une vision de long terme de leur évolution. Nous avons également profité de ce travail de redéfinition pour enrichir les documents budgétaires d'informations qui n'y figuraient pas auparavant, par exemple le nombre de bénéficiaires de tel ou tel dispositif, l'isolement des dépenses fiscales à fort enjeu...
Enfin, nous avons tiré toutes les conséquences de la LOLF, en présentant les dépenses fiscales par mission et par programme, dans le sens d'une logique de politique publique cohérente. Nous avons aussi réalisé une somme des dépenses fiscales pour suivre en tendance l'évolution des grandes masses financières, que l'on peut trouver dans le premier article des lois de finances.
Le deuxième point que je voudrais aborder concerne le chiffrage. En effet, au milieu des années 2000, 56 % des dépenses fiscales faisaient l'objet d'un chiffrage, contre plus de 90 % aujourd'hui, avec en outre des indications relatives à la fiabilité des données. C'est donc une démarche importante.
M. Guillaume vous parlera mieux que moi de la question de l'évaluation, puisqu'il pilote le travail d'évaluation des dépenses fiscales en vue du rapport qui doit être remis au Parlement au mois de juin. Il est certain que le chiffrage n'épuise pas la question et qu'il faut franchir une étape supplémentaire en essayant de mesure l'efficacité, l'efficience, le caractère obsolète ou non, la cohérence des dispositions fiscales. C'est un travail difficile, dans lequel la France a pris du retard, mais où elle est désormais engagée dans une démarche forte.
Enfin, je voudrais souligner un point qui doit être amélioré, car il peut être la source de malentendus, celui de la question de la norme de référence. Celle-ci doit être spécifiée. Force est de constater qu'actuellement, les documents budgétaires ne fournissent pas cette indication. Nous n'avons pas la même vision que la Cour des Comptes sur ce sujet. Selon nous, la norme de référence provient du vote par le Parlement de normes fiscales à caractère général. Au contraire, la Cour voit dans la norme de référence un concept absolu, théorique, universel, quelque peu désincarné. Par exemple, nous avons changé la norme de référence sur l'impôt sur le revenu, car il nous semble que nous sommes passés récemment d'un système fondé sur l'impôt progressif à un système redevenu dual, où nous avons clairement un barème progressif qui s'applique à certaines catégories de revenus et, désormais, pour tous les revenus de l'épargne, un barème progressif certes, mais capé à un taux proportionnel de 19 %.
La notion et la quantification des dépenses fiscales dépendent en réalité de la définition de la norme, qui peut évoluer au gré des votes du Parlement. Elle a ce caractère potentiellement évolutif en fonction des votes de la représentation nationale.
Le Gouvernement souhaite compléter cette définition. Ce travail contribuera nécessairement à révéler le perfectionnement indispensable de nos documents.
Il existe des impôts pour lesquels cet exercice de reclassement est resté imparfait, car l'exercice de détermination de la norme de référence n'a pas été mené à son terme. Il s'agit notamment des impôts pour lesquels il y avait, au moment où l'on a réfléchi à ces questions, dans le débat public, des enjeux de discussion importants, qui auraient pu gêner des opérations de reclassement et de déclassement. Nous n'avons pas voulu perturber le débat politique à l'époque par des mécanismes d'amélioration de la documentation. Je vais donner deux illustrations de ces difficultés rencontrées. En ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit, certains mécanismes de familialisation ne sont pas traités comme des dépenses fiscales, alors qu'à l'inverse, certains mécanismes relatifs aux donations le sont. Cela s'explique en partie pour cette raison contingente.
Il en va de même pour la TVA. La liste des taux réduits signalés ou traités comme dépenses fiscales n'est pas complète. En effet, de nombreuses mesures de taux réduits ne figurent pas dans cette liste. Cette réalité peut poser des interrogations. Le « fil rouge » n'est pas toujours très clair. Historiquement, les taux réduits de TVA se rattachent aux dépenses de première nécessité. Quant on regarde les textes européens et la pratique de la France et d'autres pays, on constate que le champ du taux réduit est plus divers.
En conclusion, je pense que le travail de définition et d'affichage de la norme mené par le Gouvernement et le Parlement sera une oeuvre utile.
M. Jean Arthuis, président. - Votre démonstration est saisissante, mais vos dernières remarques sur la TVA me laissent perplexe. Cela montre toute la difficulté de cet exercice de définition.
M. Philippe Josse, directeur du Budget. - Je voudrais tout d'abord apporter une précision. La direction du Budget n'est pas « leader » dans cette réflexion. En effet, c'est la direction de la législation fiscale qui est en charge de la question doctrinale de qualification de la norme de référence. Sur la question du chiffrage, la direction du budget participe aux prévisions de recettes. La direction du trésor traite plus particulièrement les dépenses fiscales associées à la TVA et à la prime pour l'emploi (PPE), tandis que la direction du financement de la sécurité sociale s'occupe des niches sociales.
Même si elle n'est pas l'acteur principal de ce travail de définition et de chiffrage, la direction du budget, en tant que maître d'ouvrage de l'élaboration des documents budgétaire, se sent évidemment concernée, puisque l'objectif ultime est de contribuer à la réduction des déficits publics. Nous travaillons donc en lien avec la direction de la législation fiscale.
Ensuite, je voudrais souligner les progrès accomplis en matière de chiffrage et d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales depuis quelques années. Le phénomène est indéniablement beaucoup plus maîtrisé aujourd'hui, à travers la création de normes de dépenses fiscales et le monopole de fait des lois de finances pour les dispositions fiscales. Des progrès de méthode ont également été réalisés. Je pense que nous franchirons une nouvelle étape avec l'exercice d'évaluation piloté par l'inspection générale des finances et Henri Guillaume, qui permettra d'éclairer des points restés obscurs.
Troisièmement, je souhaiterais faire un point de méthodologie sur la norme de référence et les méthodes de chiffrage. Concernant la première, il faut être conscient qu'il y a toujours des éléments de convention, qui doivent être explicites. Marie-Christine Lepetit et moi-même avons décidé, en préparant cette audition, de proposer au ministre de préciser, dans le fascicule des « Voies et moyens », à quelle norme déroge chaque dépense fiscale. Il faut mettre les choses sur la table. Cet exercice de transparence, qui découle de la préparation de cette audition, constituerait un vrai progrès.
En ce qui concerne les méthodes de chiffrage, il faut distinguer l'évaluation des dépenses ex ante, lorsqu'elles en sont au stade du projet, et ex post, lorsqu'elles sont instaurées et ont commencé à produire leurs effets. Nous avons deux types de méthode : l'utilisation des données fiscales existantes et les simulations. De plus, il faut être conscient que le chiffrage est plus ou moins évident selon le type de dépense fiscale. Ainsi, les exonérations, abattements et déductions sont plus difficiles à évaluer. Par exemple, en ce qui concerne les exonérations, les abattements et les déductions, il faut procéder à des reconstitutions d'assiette. A l'inverse, l'évaluation des taux réduits, crédits d'impôts ou réduction d'impôts s'avère moins problématique.
De plus, il existe aussi des conventions sur les modalités de chiffrage. En ce qui concerne les niches sociales, lorsque l'on calcule leur coût, on se base sur un taux de recouvrement à 100 %. Or, dans les faits, ce taux est inférieur. La convention a donc un effet majorant. Il s'agit également de s'interroger sur l'exhaustivité du concept de niche sociale. Nous n'évaluons pas, en effet, les niches sociales hors PLFSS. Enfin, la dépense fiscale locale n'est recensée dans le « Voies et moyens » que s'il s'agit d'allègements compensés par l'État. Mais les abattements ou exonérations votées par les collectivités locales ne sont pas chiffrés. Une telle évaluation, aussi complète, serait sans doute beaucoup plus complexe à mettre en oeuvre, et je ne peux prendre aucun engagement à ce sujet.
M. Jean Arthuis, président. - Cela présenterait pourtant un intérêt certain au plan local.
M. Philippe Josse. - Oui, cela représenterait un vrai progrès. Je prends cela comme une commande. On va regarder ce qu'on peut faire. Enfin, je précise que nous ne disposons pas de données sur les dépenses fiscales liées à la fiscalité affectée à des personnes autres que les collectivités territoriales, la Sécurité sociale et l'Etat. Mais, de toute façon, nous nous employons à combattre celles-ci.
Je dirai enfin un mot sur la notion de « niche sociale », qui n'est pas satisfaisante. D'ailleurs, on ne l'utilise pas juridiquement. De fait, la formule utilisée dans la loi de programmation des finances publiques est « réductions, exonérations ou abattements d'assiette s'appliquant aux cotisations et contributions de sécurité sociale affectées aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale ou aux organismes concourant à leur financement » ....
Nous pourrions aussi parler de « dépenses de cotisations et de contributions sociales ».
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Pourquoi ne pas parler de « dépenses de prélèvements obligatoires » ?
M. Philippe Josse. - Oui, ou encore de « dépenses de ressources sociales » ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ce dernier terme serait contre-intuitif, personne ne le comprendrait !
M. Philippe Josse. - En tout cas, la dénomination de « niche sociale » n'est pas adéquate. J'avoue une relative impuissance à surmonter cette difficulté lexicale !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Nous pourrons sans doute vous aider dans ce travail de terminologie.
M. Jean Arthuis, président. - Pour être bucolique, nous pourrions parler de la « mauvaise herbe sociale ». Je propose à M. Jonathan Bosredon de prendre la parole.
M. Jonathan Bosredon, sous-directeur du financement de la sécurité sociale. - Dans un laps de temps très court, quatre rapports de la Cour des comptes, du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Gouvernement ont permis de faire évoluer le contenu de l'information relative aux niches sociales et à la constitution des annexes 5 aux projets de lois de financement de la sécurité sociale, que nous avons enrichies année après année. Depuis l'origine, le recensement des niches sociales a été corrélé à un effort de rationalisation et d'encadrement des dispositifs concernés.
Il faut veiller à ce que le recensement des niches sociales s'articule correctement avec celui des dépenses fiscales effectué à travers l'annexe « Voies et moyens », afin qu'il n'y ait pas d'omissions. Ensuite, et comme pour la dépense fiscale, la niche sociale se définit par rapport à une norme à laquelle elle déroge. Nous travaillons à définir plus précisément la norme que nous retenons, dans le même esprit que ce que fait la direction de la législation fiscale pour le « Voies et moyens ». Enfin, les chiffrages sont accompagnés de leurs sources et de leurs méthodologies d'évaluation. Nos chiffrages sont moins difficiles à élaborer que pour la dépense fiscale : nous disposons des déclarations des entreprises qui nous permettent d'isoler clairement le coût des dispositifs dérogatoires. De plus, les prélèvements sociaux sont plus homogènes que les prélèvements fiscaux et en général proportionnels. J'ajoute enfin que la contribution sociale généralisée (CSG) a vu son universalité renforcée grâce au recensement des niches sociales. Elle souffre désormais très peu de dérogations.
L'annexe 5 regroupe cent vingt dispositifs et soixante-cinq dispositifs d'assiette forfaitaire et de taux réduits, soit 40 milliards d'euros au total, dont 31 milliards d'euros au titre des exonérations de cotisations et 9 milliards d'euros pour les exemptions d'assiette. Les exonérations concernent principalement la politique de l'emploi, avec les exonérations Fillon, pour 21 milliards d'euros, et les exonérations sur les heures supplémentaires, pour 3 milliards d'euros. Les exemptions d'assiette sont des mécanismes puissants et se répercutent immédiatement sur les ressources des régimes complémentaires et de l'assurance chômage. Compte tenu du champ couvert par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, ces répercussions ne sont pas retracées dans l'annexe 5. Lors de l'élaboration de nos réponses au questionnaire que vous nous avez adressé, nous avons constaté qu'il n'existait pas de dispositifs spécifiques aux régimes complémentaires ou à l'assurance chômage. Il serait envisageable de faire mention, dans l'annexe 5, de l'effet des exemptions d'assiette sur ces régimes.
M. Jean Arthuis, président. - Merci pour cet éclairage. Venons-en à présent à l'évaluation en cours des dépenses fiscales, dont M. Henri Guillaume va nous livrer les premiers éléments de diagnostic.
M. Henri Guillaume, inspecteur général des finances. - Je précise d'emblée que les développements qui vont suivre n'engagent que moi. La mission que je préside trouve son origine dans l'article 12 de la loi de programmation des finances publiques du 9 février 2009, qui dispose que le Gouvernement présente au Parlement une évaluation de chaque niche dans les trois ans suivant son évaluation. La démarche a été formalisée par un courrier du Premier ministre demandant aux ministres du budget et des finances de piloter conjointement l'évaluation de l'ensemble du stock existant des dépenses fiscales et des niches sociales. Une lettre de mission m'a été adressée le 23 avril 2010. Nous sommes donc au travail depuis un an.
Nos travaux s'appuient sur le cadre et la méthodologie d'évaluation définis dans le rapport de septembre 2009 de Véronique Hespel, inspectrice générale des finances. Nous n'avons pas à rougir de nos travaux, car les pratiques étrangères récentes et de même inspiration apparaissent d'un volume moindre. L'Allemagne vient de finaliser une revue portant sur vingt mesures à enjeux et la Grande-Bretagne a publié en mars les résultats d'une revue de cent quinze dépenses fiscales.
Notre base de travail est constituée par les dépenses fiscales et les niches sociales identifiées comme telles dans les documents budgétaires, indépendamment des dépenses budgétaires afférentes à la même mission ou au même programme. Ont également été écartées les mesures postérieures à la loi de programmation des finances publiques pour 2009-2012, soit cinquante-trois dépenses fiscales retirées des cinq cent quatre présentées dans l'annexe au PLF pour 2011.
Le comité d'évaluation est composé de deux types de membres. Ceux des directions directement en charge de l'identification et de l'évaluation des dépenses fiscales et niches sociales, soit les directions de Bercy, la direction de la sécurité sociale, l'IGF et le contrôle général économique et financier, ainsi que ceux des directions qui ont participé à l'élaboration et à l'exploitation de données chiffrées destinées à alimenter les études effectuées, principalement la direction générale des finances publiques et l'INSEE. Des acteurs privés ou publics ont également été associés aux travaux d'évaluation : des organismes publics comme le Centre de recherche en économie et statistique (CREST), les ministères de la recherche, du développement durable, de l'outre-mer et de l'agriculture, des experts privés - pour un coût non négligeable - et enfin des universitaires et des chercheurs.
La méthode d'évaluation retenue repose sur le raisonnement en quatre points identifié en 2009. Le premier point concerne l'identité de la dépense, sa description juridique et technique, son historique, ainsi que le recensement des autres dispositifs et/ou dépenses budgétaires concourant au même objectif. Puis nous procédons au chiffrage de la mesure et à l'identification des bénéficiaires, en précisant la norme fiscale de référence par rapport à laquelle est effectué le chiffrage, l'évaluation du coût de la mesure et l'analyse des modalités de chiffrage. Pour l'évaluation en tant que telle, le comité a élaboré une grille d'évaluation destinée à orienter le service évaluateur et à faciliter la standardisation de la restitution des différentes évaluations. Ces éléments sont principalement destinés à permettre une réponse simple et objective à ces deux questions : quels sont les effets directs constatés sur les bénéficiaires du dispositif étudié et quels sont ses effets économiques, sociaux et environnementaux ?
La mesure de l'efficacité, de l'efficience et de la pertinence des mesures résulte de la réponse apportée à plusieurs questions. La mesure remplit-elle les objectifs visés au regard des effets directs constatés sur les bénéficiaires et des effets indirects économiques, sociaux et environnementaux ? La mesure est-elle compatible avec les objectifs d'autres politiques publiques ? L'outil fiscal lui-même est il plus ou moins efficient que l'outil budgétaire et serait-il moins coûteux budgétairement et plus efficace économiquement ou socialement de recourir à d'autres outils pour atteindre les mêmes objectifs ?
La revue porte sur quatre cent cinquante et une dépenses fiscales et soixante-huit niches sociales représentant un enjeu financier d'un montant total de 101 milliards d'euros. Deux types d'exercices d'intensité différente ont été menés, en fonction des enjeux financiers identifiés sur les mesures évaluées. Neuf missions d'évaluation approfondies ont été menées ou sont en cours, représentant cent vingt dépenses fiscales et vingt-sept niches sociales identifiées en tant que telles dans les documents budgétaires, pour un enjeu total de 40 milliards d'euros. Toutes les autres dépenses fiscales et les niches sociales font l'objet de fiches individuelles d'identification, de chiffrage et d'évaluation, avec une attention particulière pour les mesures de plus de 100 millions d'euros.
Du point de vue de l'organisation des travaux, chaque direction est responsable de ses évaluations, mais des échanges permanents sont assurés avec le comité d'évaluation. Cette mission représente une charge de travail supplémentaire considérable pour les directions et services membres du comité. De plus, certaines évaluations sont parfois difficiles ou impossibles à mettre en oeuvre, du fait d'objectifs non identifiables, multiples ou trop anciens.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Dans ce cas, il faut les supprimer !
M. Henri Guillaume. - Je laisse ceci à votre appréciation. Nous manquons parfois de données mobilisables. Dans le cas du logement, et hormis pour le « Borloo ancien », le nombre de logements ayant bénéficié des dispositifs successifs de faveur ne peut être qu'estimé, faute de données disponibles... Dans d'autres cas, c'est la profondeur historique qui est insuffisante, comme pour le crédit d'impôt recherche. En somme, l'exercice est très difficile mais constitue une expérience utile pour le pilotage futur de l'obligation d'évaluation des mesures nouvelles.
M. Philippe Marini , rapporteur général. - La question dont nous traitons est centrale ! Que l'on en soit à se poser ces questions de méthode en dit long sur les progrès à accomplir en termes de gestion de notre système de prélèvements obligatoires. Nous sommes collectivement responsables d'un tel maquis...
Nous devrions globalement parler d'allègements de prélèvements obligatoires, ce qui englobe les impôts d'Etat, les impôts locaux, les prélèvements sociaux ou les taxes affectées. Par ailleurs, nous pourrions rechercher une distinction entre les mécanismes de portée structurelle et aux effets puissants, des mécanismes interventionnistes de portée sectorielle ou destinés à influencer le comportement de tel ou tel agent économique. Enfin, je crois qu'il demeure des « trous noirs », s'agissant notamment des impôts d'Etat affectés à la sécurité sociale, qui sont absents de l'annexe « Voies et moyens ». Garantir l'exhaustivité des recensements opérés me paraît donc indispensable.
S'agissant de la règle puissante de gel en valeur des niches, prévue par la loi de programmation des finances publiques, je souhaiterais que le directeur du budget nous précise quelle interprétation il en fait et quelle application il compte lui donner. Plus largement, comment prendre en compte la dépense fiscale et les niches sociales dans la norme de dépense ?
M. Philippe Josse. - Sur ce dernier point, la bonne solution est d'avoir deux normes. Je ne suis pas sûr qu'il faille fusionner la norme de dépense et la norme de dépense fiscale, car les techniques de contrôle du respect de ces normes diffèrent. Contrôler la norme de dépense est simple et rustique : cela se pilote à l'euro près, en gestion. En revanche, pour la dépense fiscale, une fois que le droit est créé pour un contribuable, il est compliqué de le remettre en cause en cours d'année !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il faut fermer le guichet !
M. Philippe Josse. - Dans ce cas, cela revient à mettre en oeuvre un système de subvention budgétaire : autant budgétiser la dépense. Mais en l'état actuel des choses, je ne crois pas opportun de fusionner les deux normes, au risque de dégrader la portée de la norme de dépense budgétaire, dont la puissance tient au caractère limitatif des crédits. S'agissant du gel en valeur de la dépense fiscale, il faut rappeler qu'elle ne s'applique pas d'une année sur l'autre, mais sur l'ensemble de la période de programmation...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - ... ce qui donne une grande liberté à l'exécutif, car on ne pourra que constater a posteriori le respect de la norme et qu'il ne sera plus temps d'en tirer les conséquences ! C'est une norme en trompe-l'oeil !
M. Philippe Josse. - Compte tenu des mesures ambitieuses prises en loi de finances pour 2011, l'objectif n'est pas hors d'atteinte. Mais il est vrai que la dynamique naturelle de la dépense fiscale est celle de l'impôt, donc le zéro valeur est difficile à tenir.
Mme Marie-Christine Lepetit. - L'impact d'une réforme fiscale sur la dépense fiscale est très complexe à évaluer : en témoignent les exemples de la réforme de la taxe professionnelle ou de l'impôt de solidarité sur la fortune. La hausse ou la baisse d'une dépense fiscale peut ainsi provenir tant de la réforme du dispositif en lui-même que de la réforme de l'impôt auquel il déroge.
S'agissant de la typologie des dépenses fiscales, le crédit d'impôt présente une nature spécifique, en ce qu'il est presque assimilable à une dépense budgétaire : quelle que soit la situation du contribuable, un droit lui est ouvert, qu'il soit imposable ou non. Un traitement particulier sera donc peut-être nécessaire.
La catégorisation proposée par le rapporteur général entre mesures structurelles et mesures spécifiques rejoint notre propre questionnement. Elle nous a conduits à reclasser certaines mesures, jusqu'alors considérées comme des dépenses fiscales, parmi les modalités de calcul de l'impôt. Cependant, seules figurent dans le fascicule des « Voies et moyens » les modalités de calcul de l'impôt correspondant à d'anciennes dépenses fiscales, « déclassées » à partir de 2006. La question qui demeure est celle de savoir si certaines des autres modalités de calcul de l'impôt ne devraient pas faire l'objet d'un suivi particulier, dans une perspective d'évolution de la politique fiscale dans son ensemble, de changement de l'économie générale de certains impôts. Mais où s'arrêter ? Faut-il inclure la moindre taxation des premières tranches de l'impôt sur le revenu ? Le quotient familial ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est une décision politique à soumettre au Parlement !
M. François Marc . - Je m'interroge sur l'exhaustivité du recensement des mesures faisant l'objet d'une évaluation. Qu'en est-il des mesures qui, année après année, font l'objet d'un déclassement ?
M. Jean-Pierre Fourcade. - L'inspection générale des finances évalue le coût, mais aussi l'efficacité des mesures. Sur ce second point, comment expliquer que, dans votre comité, ne siègent pas les représentants des bénéficiaires ou des initiateurs, y compris au sein des administrations, des dispositifs dérogatoires ? Des dérives apparaissent en matière de logement, il faut entendre les personnes qui ont proposé ces mesures ! Par ailleurs, je suis très demandeur des résultats de vos travaux sur l'outre-mer. Il y a un gisement d'économies considérable, mais il ne faut pas perdre de vue que les mesures existantes sont un soutien indispensable à l'activité. De même, qu'en est-il des mesures en faveur des services à la personne et de leurs effets sur l'emploi ? Enfin, il est discutable de considérer qu'un taux réduit de TVA constitue systématiquement une niche fiscale.
Mme Nicole Bricq. - Tout nomenclature a sa part d'arbitraire. Mais nous allons bénéficier des travaux de l'IGF, de l'enrichissement de l'annexe « Voies et moyens » et des travaux du rapporteur général, qui apporteront des clarifications bienvenues. Les parlementaires ont parfois l'impression que la dépense fiscale est une commodité pour échapper à la contrainte maastrichtienne et que la frontière est très poreuse entre dépense fiscale et modalité de calcul de l'impôt. Je renvoie aux débats sur la « demi-part veuves » ou sur les niches en matière d'épargne réglementée. S'agit-il de mesures structurelles ou de mesures ciblées ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est au Parlement de décider !
Mme Nicole Bricq. - S'agissant de l'évaluation, nous considérons qu'elle doit être glissante. Comme le montre l'exemple du crédit d'impôt recherche, les mesures mettent du temps à monter en puissance et la dépense fiscale a tendance à galoper au rythme de l'optimisation fiscale ! En outre, une mesure qui ne remplit pas ses objectifs doit être supprimée et il est, en dernière analyse, préférable de mettre en oeuvre des subventions budgétaires plus aisément contrôlables.
S'agissant de la TVA, certains taux réduits ne sont recensés nulle part. J'observe que, dans d'autres pays de la zone euro, on réfléchit à un taux intermédiaire de TVA, au demeurant déjà proposé par notre commission. Si des taux réduits deviennent intermédiaires, il conviendra d'en compenser les effets, notamment s'agissant des produits de première nécessité.
J'en termine avec la mission d'évaluation. En quoi vont consister vos « fiches » sur les dépenses moins importantes ? Procéderez-vous à une reconstitution consolidée par impôt ? Cela nous semble très important compte tenu du « mitage » de certains impôts, et en particulier de l'impôt sur les sociétés. Et si l'on en revient à la distinction proposée par le rapporteur général, le bénéfice mondial consolidé est-il une dépense fiscale ou non, est-il une mesure structurelle ou catégorielle ?
M. Éric Doligé. - Je souhaiterais obtenir une précision de M. Josse, qui nous expliquait qu'en ce qui concerne les niches sociales, on compensait à 100 %, alors que l'on sait que le recouvrement réel est inférieur. Pourriez-vous nous indiquer à combien s'élève le recouvrement théorique ? Quelle est la différence entre 100 % le recouvrement théorique ? Enfin, quelle est la charge pour l'Etat ?
Mme Marie-Christine Lepetit. - Pour répondre à vos questions, je vais me concentrer sur la question du concept et, notamment, sur l'exemple de la TVA. Il manque dans le tome II des « Voies et moyens » une définition de la norme de référence utilisée dans le cas de la TVA. Dès lors, il existe un manque de clarté et de transparence, et il serait utile que soit posé ce qui devrait être considéré, en France, comme la norme en matière de TVA. Mais cela relève à mon sens des parlementaires.
Cette norme de TVA peut varier selon les pays. Par exemple, le Danemark pratique un taux unique. En France, on pourrait estimer que nous avons une norme de TVA à deux taux, pour l'essentiel un taux normal, et par exception un taux réduit, sur les produits et services de première nécessité. Mais, lorsque l'on dit ça, on fait déjà un choix et cela implique de définir ce que l'on entend par biens de première nécessité. Doit-on par exemple y inclure les services culturels ?
Concernant un taux intermédiaire, compris entre le taux normal et le taux réduit, de l'ordre de 12 %, dans un contexte où le taux réduit serait réservé aux biens et services de première nécessité, si vous décidiez que certains services qui n'en sont pas doivent être taxés à ce taux intermédiaire, le quantum de dépense fiscale s'apprécierait alors comme étant égal à la consommation du bien ou service considéré multipliée par la différence de taux entre le taux normal (19,6 %) et ce taux intermédiaire. Si, par exemple, les travaux dans le logement et la restauration devaient être taxés à 12 %, ils seraient considérés comme des dépenses fiscales. Le montant de dépense fiscale afférent serait la différence entre 19,6 % et 12 %.
On peut aussi inverser le raisonnement. Quelle est la définition d'un bien de première nécessité ? Lorsque l'on regarde les biens étiquetés sous cette dénomination, on s'aperçoit qu'il n'y a pas forcément de logique. Certains produits sont dedans, d'autres non. De fait, cela pourra aboutir à ce que l'on en déclasse certains.
Au total, il y a bien deux questions : une norme standard française, dont le Parlement décide, et, ensuite, l'exercice de classement et de quantification des chiffrages correspondants.
M. Henri Guillaume. - Sur le champ de l'évaluation, je confirme que nous avons retenu tout ce qui figure dans les documents budgétaires, avec la limite temporelle indiquée tout à l'heure, à savoir que l'on ne prend pas en compte ce qui est postérieur à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012. C'est une convention, mais il fallait une base de départ, qui représente tout de même 100 milliards d'euros. Mais rien n'empêche d'élargir le champ de la réflexion.
M. François Marc. - Je souhaiterais préciser ma question en prenant un exemple concret : le carburant détaxé pour les aéronefs de tourisme privé, qui représente un coût de 3,5 milliards d'euros par an. Or, cette disposition a cessé d'être considérée comme une dépense fiscale en 2009, mais elle impacte l'impôt sur les sociétés !
M. Henri Guillaume. - Nous avons considéré le chiffrage de cette dépense pour 2011.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Cette mesure ne peut pas être considérée comme une dépense fiscale, dans la mesure où il s'agit d'une règle obligatoire en vertu d'une convention internationale.
M. François Marc. - Vous l'avez fait pour 2011 mais pas au-delà ? Cela signifie-t-il que l'ensemble des mesures déclassées disparaîtra de votre champ d'étude ?
M. Henri Guillaume. - Pour l'instant, oui.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ceci traduit un affinement de la méthode et le fait que sur ces sujets, en réalité, le travail économique avait pris beaucoup de retard. De même, au Parlement, on ne s'attachait pas suffisamment à faire ressortir de l'annexe « Voies et moyens » tout ce qu'elle contenait ! Nous n'étions pas assez vigilants.
M. Henri Guillaume. - Pour répondre à Mme Bricq, chaque dépense fiscale fera l'objet d'une fiche spécifique. La partie évaluation sera plus ou moins approfondie selon les données dont ont dispose. De plus, nous effectuerons des évaluations approfondies, en lien avec des experts, ce qui représente un travail très lourd. Il y aura donc deux types de produits sur chaque dépense fiscale.
En ce qui concerne leur efficacité, il est difficile de répondre maintenant sur l'ensemble des dépenses fiscales. D'où l'intérêt d'une évaluation glissante systématique, dont je suis personnellement partisan.
J'indiquerai franchement à M. Fourcade que je dispose de cinq cents fiches, et que si l'on devait convoquer l'ensemble des acteurs concernés par les dépenses fiscales, nous serions tout le temps en réunion ! Cela dit, sur certaines dépenses fiscales, tel le crédit d'impôt développement durable, nous avons travaillé en concertation avec le ministère compétent, en organisant une mission conjointe. Dans tous les cas, nous recherchons un cadre de référence commun, auquel réagiront ensuite les ministères.
La direction générale du trésor a mené l'évaluation approfondie des niches relatives aux services à la personne, à travers des méthodes économétriques. De même, le rapport de l'IGF est également en voie de conclusion en ce qui concerne l'évaluation des dépenses fiscales en faveur de l'outre-mer.
M. Philippe Josse. - Je voudrais apporter deux précisions. Le taux de recouvrement réel est de 98 % en métropole et de moins de 90 % en outre-mer. Je voulais, à travers ma remarque, insister sur le caractère forcément conventionnel des méthodes de chiffrage, qui peuvent légèrement biaiser l'évaluation, à la hausse ou à la baisse.
Mme Bricq disait que les dépenses fiscales constituaient un moyen d'échapper à « l'oeil » maastrichtien. Non, c'est un moyen, mais c'est tout aussi grave, de contourner la norme de dépense. En revanche, en termes de déficit public, qui est le critère maastrichtien, créer de la dépense fiscale crée du déficit.
Mme Nicole Bricq. - Je vous interromps sur ce point. C'est un débat qui n'en finit pas. Le ministre a annoncé une réduction des niches fiscales de 3 milliards d'euros. A partir de là, cela entraîne forcément une hausse des prélèvements obligatoires.
M. Philippe Josse. - Cela entraîne une hausse des recettes.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il s'agit d'améliorer le rendement des prélèvements obligatoires.
Mme Nicole Bricq. - Je vois que nous aurons du mal à nous mettre d'accord.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - En termes de solde, on ne peut qu'être d'accord, mais nous divergeons sur la présentation et la tactique. Je dirais que c'est une réduction de dépense quand vous direz que c'est une augmentation des recettes. Voilà qui nous réconcilie !
M. Joël Bourdin, vice-président. - Pour conclure, je souhaiterais connaître les réactions de M. Lundsgaard à nos débats.
M. Jens Lundsgaard. - Il s'agit d'un fort bon débat, qui renforce le mouvement de transparence engagé, et qui faisait encore défaut il y a quelques années. Sur la TVA, je préciserai que dans la plupart des pays, l'ensemble des taux réduits sont inclus dans les dépenses fiscales.
M. Joël Bourdin, vice-président. - Il me reste à remercier nos intervenants pour les éclairages qu'ils nous ont apportés sur cette question complexe.