Mardi 26 avril 2011
- Présidence de M. Claude Belot, président -Rôle et organisation du corps préfectoral dans l'accompagnement de la décentralisation - Audition de M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur
La Délégation procède à l'audition de M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur.
M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur. - Je suis accompagné de Jean-Benoît Albertini, préfet, actuellement secrétaire général adjoint du ministère de l'Intérieur avec le titre de directeur de la modernisation de l'administration du territoire.
Nous sommes persuadés, au ministère de l'Intérieur, que nous devons faire « respirer » nos territoires : même si une politique d'État est forcément nationale, voire européenne, ses conditions d'application doivent être adaptées aux régions, départements et territoires. En d'autres termes, les objectifs que le pouvoir central fixe au corps préfectoral dans les différentes actions nationales (sécurité, emploi, logement,...) doivent être atteints selon des modalités qui requièrent de la souplesse. Il y a donc un équilibre à trouver, auquel nous sommes très attachés.
L'organisation territoriale de l'État a considérablement évolué ces dernières années. Son administration a été réorganisée à partir de quelques principes, parmi lesquels ce que l'on pourrait appeler la régionalisation de l'action nationale : la conduite des politiques publiques passe par le niveau régional même si, bien sûr, cette régionalisation est modérée par des compétences qui restent départementales : la sécurité, le contrôle de légalité, la police des étrangers,... Cette réorganisation s'est traduite par des regroupements de services régionaux et par des regroupements de services départementaux, sans qu'il n'y ait plus de reflet avec l'organisation ministérielle. Le choix a été fait de conférer à l'autorité préfectorale une plus grande capacité à agir et à parler au nom de l'État dans sa complétude, avec une tendance croissante à ce que les préfets soient les représentants territoriaux de tous les organismes nationaux, y compris pour ceux à vocation sectorielle comme l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat ou l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Il y a donc une volonté gouvernementale, depuis 2007, d'avoir une unité de la parole et de l'action de l'État territorial.
Notre organisation reste néanmoins très départementale : outre les domaines que je citais tout à l'heure et qui restent de la compétence départementale (la sécurité, la police des étrangers et le contrôle de légalité), le préfet de département n'est pas sous l'autorité hiérarchique du préfet de région. C'est un point important, politiquement mais aussi juridiquement, puisque les décisions du préfet de département ne peuvent pas faire l'objet de recours devant le préfet de région. Il s'agit donc d'une organisation qui se veut souple pour répondre aux différentes sollicitations.
M. Claude Belot, président. - J'ai connu trois phases dans les relations entre les élus locaux et les préfets. Avant la décentralisation, les élus, sans pour autant être au « garde-à-vous » devant le préfet, devaient prendre en considération le fait qu'il présidait aux destinées départementales et que le budget dont il disposait dans ce cadre était d'autant plus important pour les communes que la région n'existait pas encore en tant que collectivité ; les élus locaux arrivaient néanmoins à mener des actions utiles et efficaces, que les préfectures regardaient avec bienveillance en général. Puis est venu le temps de la complicité entre l'État et les collectivités territoriales, avec un nouvel équilibre des pouvoirs qui a fait d'eux de véritables partenaires dans la conduite des politiques au niveau local. Aujourd'hui, nous sommes entrés dans une troisième période : même si les préfets restent marqués par le sens de l'intérêt général et le souci du dialogue avec les élus, l'administration territoriale de l'État, elle, n'est plus du tout animée par cet esprit de complicité et de partenariat ; elle est devenue une administration de contrôle, de surveillance, une administration dont la raison d'être semble être de tenir à l'oeil les élus. Elle n'hésite pas à nous adresser des lettres comminatoires, voire menaçantes, lorsque nous prenons des initiatives d'intérêt général. Je l'ai personnellement constaté : lorsque, par exemple, j'ai décidé récemment d'aménager une base d'aviron sur un lac, j'ai reçu un courrier d'une virulence qui aurait été inconcevable quelques années auparavant, allant jusqu'à évoquer la perspective de sanctions pénales ; je trouve inacceptable que des fonctionnaires emploient un tel ton à l'égard d'élus. Je dois dire que, lorsque j'ai montré ce courrier à mon préfet, il en a été abasourdi ; il n'en demeure pas moins que de tels comportements existent (peut-être parce que certains fonctionnaires de l'État, avec la disparition des subventions, n'ont plus d'autres moyens d'affirmer leur existence) et qu'ils sont évidemment fort mal vécus par les élus.
M. Éric Doligé. - Certains - dont je ne suis pas - font un rapprochement entre la régionalisation au niveau de l'État et une potentielle régionalisation au niveau des collectivités. Ils considèrent ainsi que la régionalisation de l'État devrait conduire à la suppression des départements. C'est un raisonnement que je réfute totalement et je souhaiterais que vous nous confirmiez qu'il ne correspond pas à votre opinion.
Ma seconde observation porte sur les interlocuteurs des collectivités territoriales. Beaucoup moins nombreux que par le passé, leur concentration permet des relations de proximité plus directes avec le préfet. Celui-ci a un rôle de facilitateur ; le traitement des dossiers peut se faire avec plus d'efficacité et dans des délais moindres. Je considère que cette évolution est positive.
M. Henri-Michel Comet. - Je confirme que l'organisation de l'État ne cherche pas de miroir dans l'organisation des collectivités territoriales et inversement ; l'État est dans une démarche régionalisée, alors que la logique des collectivités est totalement distincte. Le Président de la République s'est d'ailleurs clairement exprimé sur ce point.
En ce qui concerne les contrôles de l'administration, qui seraient devenus plus pointilleux, il est incontestable qu'une tendance de fond de notre société est la judiciarisation. C'est un état de fait, qu'on le déplore ou non, qui impose aux différents partenaires de marquer le terrain de leurs interventions de manière plus précise aujourd'hui. Il faut néanmoins rappeler que les actes obligatoirement transmis à l'autorité préfectorale dans le cadre du contrôle de légalité ont été réduits, par le législateur, de plus d'un tiers en moins de six ans. La marge de liberté des collectivités territoriales s'en est trouvée considérablement élargie. Aujourd'hui, les parlementaires semblent dans une démarche plutôt hésitante sur les perspectives du contrôle de légalité, comme si un palier avait été atteint. On l'a vu il y a deux ans, lorsqu'ils se sont opposés à une proposition du Gouvernement tendant à réduire le nombre d'actes d'urbanismes obligatoirement transmissibles.
Ma conviction est que l'interlocuteur naturel et privilégié des élus est manifestement l'autorité préfectorale, quelle qu'elle soit (préfet de région, de département, d'arrondissement). En effet, ses membres ont une vision pluridisciplinaire et complète des sujets vis-à-vis des collectivités. Je constate que, quelles que soient les qualités techniques ou les compétences juridiques des directions déconcentrées, l'élu a tendance à s'adresser au corps préfectoral, ce qui compense largement l'éloignement prétendu des services de l'État.
Enfin, il est vrai que l'État dispose de moyens de plus en plus comptés. L'un des ressorts de la réorganisation est la rigueur économique ; le Président de la République a appelé les services de l'État à « faire mieux avec moins ». Pour cela, les doublons sont éradiqués, notamment par la mutualisation des fonctions logistiques. Parallèlement, les services se modernisent : le grand public bénéficie par exemple de l'apport des nouvelles technologies dans la logistique liée aux passeports. Il en va de même pour le contrôle de légalité : cet automne, nous mettrons sur le marché un dispositif totalement dématérialisé et automatisé du contrôle de légalité budgétaire. Cette réorganisation de l'État, si elle est adossée à une baisse assumée de ses moyens, a bien pour ambition d'offrir des services de qualité égale ou supérieure aux citoyens ou aux élus.
M. Yves Détraigne. - Je suis élu municipal depuis 1983 et maire depuis 1989. J'ai observé, sur cette période, une évolution du métier de préfet ; auparavant, le préfet et le sous-préfet étaient plus présents sur les affaires gérées au quotidien par une collectivité locale, et moins sur les grands projets structurants. Aujourd'hui, le préfet me semble avoir pris de la hauteur par rapport à la gestion quotidienne et s'occuper davantage de grands dossiers, tels que ceux relatifs à l'aménagement du territoire ou engageant l'avenir du département ou de la région. Du fait de cette moindre implication sur la gestion quotidienne des collectivités locales, il y a un certain décalage entre l'approche du préfet lui-même et l'approche de certains de ses services. Ces derniers réagissent, selon les cas, de deux manières différentes : certains n'osent plus rien faire, gênés par la perspective de devoir intervenir eux-mêmes auprès d'un élu ; à l'inverse, d'autres services se montrent très pointilleux sur les détails. Il en résulte une certaine instabilité pour les collectivités locales : selon le fonctionnaire qui va recevoir votre délibération ou être chargé de votre dossier, deux affaires de même importance pourront être traitées différemment. Ces réactions différentes posent évidemment problème aux élus et nous interpellent quant au positionnement du préfet.
M. Henri-Michel Comet. - Le métier préfectoral a connu trois évolutions importantes ces vingt ou vingt-cinq dernières années :
- il y a d'abord eu la reconnaissance avérée d'une plus grande liberté des collectivités locales avec ses corollaires : une plus grande souplesse dans la décision, une plus grande responsabilité... Ce point est désormais profondément ancré dans l'esprit des membres du corps préfectoral dans leur ensemble ;
- les membres du corps préfectoral se sont ensuite vu demander de s'occuper de plus en plus des affaires de l'État stricto sensu. De ce fait, leur action s'est concentrée sur les deux missions relevant de ces affaires : la gestion de l'État au niveau territorial et la participation à ses politiques (emploi, logement...) ;
- enfin, les membres du corps préfectoral doivent participer pleinement au maintien d'un service de qualité à l'égard de tous les partenaires de l'État, en particulier des élus. A titre d'exemple, il y a deux ou trois ans, la décision a été prise de supprimer l'ingénierie territoriale, reconnaissant l'autonomie de gestion des collectivités. Cette décision a été difficile pour les petites collectivités locales. Nous avons donc corrigé cette décision par des éléments de solidarité de conseil aux élus. Bien entendu, nous avons d'autres partenaires auxquels nous nous efforçons d'apporter les meilleurs services ; par exemple, les années 2008 et 2009 ont révélé que l'autorité préfectorale avait un rôle important à jouer auprès des acteurs économiques.
En ce qui concerne la variété des positions des services de l'État et des collaborateurs des préfets, je reconnais que ces évolutions n'ont pas été assimilées par tout le monde. Il est vrai aussi qu'il faut que les fonctionnaires des services déconcentrés de l'État fassent preuve de discernement. Le comportement du fonctionnaire d'État ne peut pas être le même sur toutes les parties du territoire : il doit savoir s'adapter, c'est bien ce qu'on lui demande. Je continue à revendiquer une certaine adaptation au territoire, même s'il s'agit d'une politique d'État.
M. Jean-Benoît Albertini, secrétaire général adjoint du ministère de l'Intérieur. - Nous pourrions ajouter une quatrième dimension sur les tendances longues qui viennent d'être identifiées : celle de l'affirmation du pouvoir de direction du préfet sur les services, spécialement au niveau départemental. L'un des points saillants de la réforme de l'administration territoriale (REAT) est la création de structures interministérielles au niveau départemental avec les directions départementales interministérielles (DDI). Leur caractéristique est précisément d'être modelée sur une forme qui n'est plus la transposition locale du découpage ministériel : cette forme de découpage reste assez largement présente au niveau régional, mais non au niveau départemental. Certes, nous étions déjà juridiquement dans un régime où le préfet était le « patron » des services déconcentrés de l'État. Ça l'est plus encore aujourd'hui, puisque ces structures sont réellement interministérielles et, par conséquent, décloisonnées de leurs rattachements verticaux. Elles sont dans une animation et dans un positionnement territorial qui les mettent de plus en plus en relation avec les besoins locaux et l'interlocuteur de proximité qu'est le préfet par rapport aux élus.
Le volet organique de cette réforme est aujourd'hui largement avancé, même achevé : les structures sont en place. Nous en sommes à présent au stade d'un second souffle (qui peut expliquer les remarques faites sur le temps d'ajustement ou sur la réactivité différenciée selon les services) : bâtir une référence stratégique en définissant les priorités pour notre territoire dans une vision qui sera mieux partagée, plus interministérielle, plus simple et plus accessible pour les élus, à partir d'une impulsion qui sera celle qui naîtra de la relation entre le préfet, les élus et les services de l'État (en nombre plus réduit, plus concentré, plus interministériel et plus transversaux).
M. Antoine Lefèvre. - Durant mon premier mandat de maire, j'ai connu cinq préfets en sept ans. Ceci interpelle les élus. Quelle est votre réflexion sur la relation de confiance qui peut s'instaurer entre des préfets et des collectivités, avec une telle durée moyenne de séjour ?
M. Henri-Michel Comet. - Avant les années 1985-1986, les préfets restaient à leur poste beaucoup plus longtemps, parfois une dizaine ou une vingtaine d'années. Depuis lors, aucun préfet n'a été en poste plus de dix ans. Au secrétariat général du ministère de l'Intérieur, nous estimons que, en termes de bonne gestion du corps préfectoral, une bonne moyenne de durée de poste est de l'ordre de trois ans. Aujourd'hui, nous constatons statistiquement une durée égale à deux ans et deux ou trois mois. Dans la gestion du corps, nous sommes donc dans la partie basse de ce que l'on estime être la période « idéale ». Nous faisons la même analyse, avec des nuances selon les fonctions ou la taille des arrondissements, pour le corps des sous-préfets.
M. Éric Doligé. - J'ai battu un record en faisant exploser les statistiques, puisque dans le département du Loiret, j'ai eu trois préfets durant l'année 2010. Je prends cet exemple afin d'indiquer qu'il est extrêmement difficile pour des élus locaux de gérer de telles situations. A mon sens, sauf cas exceptionnel, une durée de trois ans répondrait correctement à une exigence de bonne adaptation et de traitement correct des dossiers.
M. Jacques Mézard. - Comme le rappelle notre collègue et ami François Fortassin : « Tous les préfets sont excellents mais il y a des degrés dans l'excellence ». Sur le plan de la durée en poste, j'ai observé, en qualité de président d'une communauté d'agglomération, une réalité de terrain : six préfets en neuf ans. Cela me semble tout de même trop rapide.
Sur le fond, il me semble qu'il y a eu une dilution des pouvoirs des préfets, surtout lorsqu'ils ne sont pas préfets de région. D'une manière générale, on constate ainsi que de nombreux dossiers relèvent de la décision du préfet de région. Il en est ainsi, notamment, pour le dossier des programmes de développement et de modernisation des itinéraires routiers (PDMI), que j'ai vécu avec un décisionnel qui était manifestement le préfet de région. Ceci n'est qu'un exemple parmi d'autres.
On observe ainsi le siphonage par le haut, puisque les dossiers remontent à la préfecture de région, et une dilution par le bas, avec la diminution de la voilure des services de l'État. Sur le terrain, je constate que dans certains cas, on se demande où est passée la compétence -au 1er sens du terme- des services de l'État. Je prendrai pour exemple le dossier de la santé, avec la création des agences régionales de santé (ARS), qui ignorent superbement tant les élus que les préfets.
Enfin, je considère que la diversité et la variété ne peuvent pas s'appliquer sur des points fondamentaux comme l'appréciation de la légalité. Elle devrait être la même sur l'ensemble des territoires de la République, or ce n'est pas le cas. Ainsi, en matière de contrôle de légalité, toute une série de contrôles ne sont plus du tout exercés et, quand ils le sont encore parfois, ils le sont avec des critères qui demeurent mystérieux.
M. Henri-Michel Comet. - En ce qui concerne votre commentaire sur le degré d'excellence des préfets, je n'ai pas grand chose à ajouter, sauf à vous indiquer que nous avons mis en place un dispositif de formation et d'évaluation du corps préfectoral pour hausser encore le niveau. On a spécialisé des préfets pour évaluer les sous-préfets, et un préfet pour évaluer les préfets, le tout avec l'appui de cabinets spécialisés.
En ce qui concerne la relation entre le préfet de région et le préfet de département, le choix a été fait de régionaliser l'action publique de l'État, même si le ministère de l'Intérieur est historiquement attaché à la notion de département. Néanmoins, il ne s'agit pas d'une dilution, car la question porte juste sur l'organisation de l'État. Notre dispositif repose sur une répartition claire des compétences, que l'on veut bien identifiées, avec une porte d'entrée préfectorale unique pour les élus. Pour autant, il n'y a pas de pouvoir hiérarchique entre préfet de département et préfet de région.
Au demeurant, si risque il y a de voir les représentants de l'État disposer d'une moindre latitude, il réside moins dans les relations entre l'échelon départemental et l'échelon régional que dans les relations avec l'échelon central. Le risque vient moins de l'administration territoriale de l'État - où un équilibre de fait est trouvé - que d'une tendance de l'administration centrale de l'État à happer trop de compétences. Le ministère de l'Intérieur reste d'ailleurs très vigilant face à la tendance naturelle de certaines administrations centrales, renforcée par les contraintes budgétaires, à centraliser leur gestion, voire leurs actions.
A propos du contrôle de légalité, je ferai observer que l'appréciation du droit est « une » sur le territoire national : c'est celle du juge. L'autorité préfectorale ne fait que solliciter le tribunal administratif, même si certains de ses membres sont plus zélés sur certains sujets que d'autres. Une harmonisation est cependant recherchée au niveau national, puisqu'il a été demandé aux membres du corps préfectoral de porter particulièrement leur attention sur quatre secteurs : les marchés publics, l'urbanisme, l'environnement et, à certains égards, la fonction publique territoriale. Les modalités d'exercice peuvent être, certes, variables selon les territoires mais, si un préfet était trop zélé, le juge en tirerait quelques conséquences. L'unité du contrôle de légalité ne se fait donc pas par le préfet mais bien par le contrôle du juge.
M. Jacques Mézard. - Certes, l'unicité relève de la jurisprudence administrative. Néanmoins, selon qu'un membre du corps préfectoral est plus ou moins zélé, selon qu'il saisisse ou non le juge, il y aura, à tel endroit, un contrôle et, à tel autre endroit, une absence de contrôle : ici, les délibérations des collectivités territoriales s'appliqueront sans délai ni difficulté ; là, elles pourront être annulées par le juge administratif. C'est un fait : selon la taille des collectivités, les préfectures exercent plus ou moins de contrôle.
M. Henri-Michel Comet. - Il existe cependant toute une batterie d'indicateurs et de détecteurs qui permettent au ministère de l'Intérieur de mesurer l'excès vers le bas et, par conséquent, de réagir s'il n'y avait plus du tout de contrôle.
M. Jean-Benoît Albertini. - La réforme récente a conduit à concentrer l'expertise du contrôle de légalité dans les préfectures des départements, alors qu'auparavant elle intervenait également dans les sous-préfectures. Il en résulte une plus grande homogénéité, qui réduit considérablement les risques de discordances.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Maire d'une commune depuis 1985, j'ai vécu diverses situations avec les différents préfets que j'ai pu côtoyer : très bonnes avec certains, beaucoup plus tendues avec l'un d'eux. Par ailleurs, on a le sentiment que nous voyons surtout le préfet lorsque les choses vont mal, lorsqu'il y a un problème. Au fruit de mon expérience et en ce qui concerne le temps de séjour d'un préfet, je considère que quatre ans serait une bonne durée.
M. Henri-Michel Comet. - Dans le métier préfectoral, l'équation humaine est déterminante. En ce qui concerne la durée en poste, le ressort principal des préfets est d'être à la disposition de l'État et du Gouvernement. Pour le reste, ils ont aussi pour rôle d'être présents auprès des élus quand cela va mal ou, plus simplement, lorsqu'il y a des problèmes. Cette capacité de réaction dans des situations difficiles est dans l' « ADN » préfectoral. Je pense en particulier à des situations extrêmes de sécurité civile, mais aussi à des situations moins dramatiques, par exemple lorsqu'il s'agit de régler des questions liées à l'intercommunalité.
M. Claude Belot, président. - J'ai connu beaucoup de préfets depuis que je suis élu et cela me permet de constater une tendance lourde : beaucoup d'entre eux habitent à Paris, où demeurent leurs familles. Le fait est qu'un fonctionnaire ne peut pas élire domicile dans une ville où il n'est pas certain de rester plus de six mois. Il y a donc beaucoup de préfets qui, dès qu'ils le peuvent, sautent dans un train ou un avion pour retourner à Paris ce qui, évidemment, ne peut que nuire à un bon ancrage territorial.
M. Edmond Hervé. - Le magistrat a certes une fonction essentielle de respect du droit mais le droit doit pouvoir vivre de manière ordinaire, sans forcément donner lieu à saisine judiciaire. J'observe d'ailleurs que, au niveau central, l'État peut s'appuyer sur la fonction consultative conférée à des institutions juridictionnelles comme le Conseil d'État. Lorsque vous êtes titulaire d'une fonction exécutive territoriale décentralisée, vous n'avez pas le même rapport avec les institutions juridictionnelles locales, que ce soit le tribunal administratif ou la chambre régionale des comptes. Je crois donc que la question de la sécurité juridique, notamment à la suite de la révision générale des politiques publiques, peut légitimement inquiéter les élus.
Cela étant, il faut que les couples préfet de région/président de conseil régional, préfet de département/maire fonctionnent de manière continue. J'ai été élu pour la première fois conseiller général en 1973, puis maire en 1977. Je dois une partie de mon expérience et de ma culture aux relations que j'ai eues avec les préfets.
Je suis frappé de constater le déclin de la culture générale civique, y compris chez des décideurs du secteur public. Quel type de contacts, de rapports peut-on selon vous imaginer pour renforcer ce que j'appellerai la société civique ?
M. Henri-Michel Comet. - Le célibat géographique se développe dans le corps préfectoral. C'est un fait, sans doute regrettable, mais c'est aussi le reflet d'un phénomène de société qui dépasse largement le seul cadre préfectoral et qui est donc largement déconnecté de la question du rythme des mutations.
En ce qui concerne la sécurité juridique, le souci est en effet devenu majeur chez les élus. J'ai bien noté l'observation de M. Edmond Hervé sur l'éventualité d'une saisine pour avis de diverses institutions par des exécutifs locaux : cette faculté, c'est vrai, n'existe pas directement, sauf à passer par l'intermédiaire du préfet, ce qui n'est pas interdit. En outre, j'observe aujourd'hui que des demandes d'avis auprès de cabinets privés croissent fortement.
M. Edmond Hervé. - La commission présidée par Pierre Mauroy avait proposé, dans ses 130 propositions, la possibilité pour une collectivité territoriale de saisir un tribunal administratif dans sa fonction consultative.
M. Henri-Michel Comet. - Oui, mais cette saisine directe pour avis n'est pas aujourd'hui prévue par notre droit. Les conseils demeurent dès lors officieux. Si l'État s'engageait dans cette voie, ce serait une réorganisation complète de toute la filière de la justice administrative à laquelle il faudrait faire face.
En ce qui concerne les rapports entre les préfets et les élus locaux, les relations se développent de deux manières : tout d'abord institutionnellement, avec la possibilité pour un représentant de l'État de s'exprimer devant une assemblée territoriale ; ensuite humainement, avec la nécessité de se montrer assez souvent ensemble (préfet/élus) dans des manifestations publiques, et en évitant de transformer ces rencontres en débats d'opposition.
En ce qui concerne le civisme, un sondage récent a montré le scepticisme croissant des Français à l'égard des autorités d'élites, dont les maires, ce qui est nouveau et doit nous interpeller. D'autre part, comme l'a révélé une étude commandée l'an dernier par le ministère de l'Intérieur à Marcel Gaucher sur l'évolution à venir de l'administration territoriale de l'État à vingt ans, la parole de celle-ci est jugée crédible. En définitive, un des moyens les plus sûrs pour lutter contre le déficit civique réside dans la faculté de l'autorité de l'État et de l'autorité porteuse du suffrage universel de parler ensemble, en public.
Enfin, le ministère de l'Intérieur n'a de cesse de rappeler à tous les services territoriaux de l'État que c'est au niveau régional que les choses se passent et que, dès lors, les services déconcentrés doivent s'imposer face aux administrations centrales. Je reconnais que, si les préfets le font effectivement, les directeurs sont souvent plus hésitants.