Mardi 12 avril 2011
- Présidence de M. Claude Belot, président -Audition de M. Eric Jalon, directeur général des collectivités locales
La Délégation procède à l'audition de M. Eric Jalon, directeur général des collectivités locales (DGCL), sur les propositions formulées par la délégation au cours de l'année 2010.
M. Eric Jalon, directeur général des collectivités locales. - Au cours des dix-huit derniers mois, c'est-à-dire depuis la création de votre délégation, la DGCL a eu de nombreux échanges avec elle, notamment avec ses rapporteurs, qui nous ont souvent auditionnés, moi-même ou mes collaborateurs. A chaque fois, j'ai constaté le même climat d'objectivité, de respect, d'écoute et de rigueur qui a présidé aux travaux de la délégation. Il sera évidemment difficile de faire en quelques mots une revue détaillée des nombreuses propositions qu'elle a formulées. Je voudrais donc m'arrêter spécialement sur quelques points.
A cette fin, je citerai trois grands chapitres qui me semblent avoir été particulièrement éclairés par les travaux de la délégation et dont nous avons essayé de tenir compte dans les conditions que je vais préciser :
Le premier chapitre concerne le champ des mutualisations.
Il y a eu, au moment même où était conduit le débat sur la loi de réforme des collectivités territoriales, le rapport de MM. Alain Lambert, Yves Détraigne, Jacques Mézard et Bruno Sido qui a donné lieu à un certain nombre d'amendements. Au final, la loi de réforme comprend sur ce point plusieurs dispositions, les unes prévues dès le projet de loi initial, d'autres introduites par voie d'amendements, notamment sur la proposition de vos rapporteurs. En résumé, il y a quatre dispositions qui concernent les mutualisations dans la loi de décembre 2010, respectivement les articles 65, 66, 67 et 68.
L'article 65 prévoit la régularisation de ce que les spécialistes appellent « les mutualisations ascendantes », à savoir la possibilité pour une commune membre d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de mettre à la disposition de cet EPCI, pour l'exercice de ses compétences, les services ou parties de service communaux qui ne lui auraient pas été transférés. Je rappelle que la Commission européenne avait émis des réserves sur ce mode d'organisation et engagé en 2007 une procédure précontentieuse à l'encontre de la France. Nous avons beaucoup travaillé avec la Commission, pour aboutir au projet de texte qui a été assez largement validé par le législateur. Nous sommes en train d'en préparer le décret d'application qui devrait permettre de clore la procédure qui avait été engagée à l'encontre de la France.
La deuxième disposition de la loi de 2010 concerne la possibilité de mutualisation fonctionnelle entre l'EPCI et tout ou partie de ses communes membres. L'article 66 permet aux EPCI, indépendamment des compétences qu'ils exercent, de se comporter en « plateforme des services en direction des communes membres ». Je prendrai en exemple, l'épisode neigeux récent. Je suis allé voir les élus de ma commune et leur ai demandé si l'intercommunalité s'était dotée de moyens propres à faciliter le déneigement et de les mettre en commun. La réponse a été négative, l'intercommunalité n'étant pas compétente en matière de voirie, et compte tenu de l'occurrence de ces événements, il n'y a pas lieu que chaque commune en achète. Grâce à cette disposition, on pourra envisager, y compris lorsque la voirie est restée une compétence communale, que l'intercommunalité fasse l'acquisition de ces matériels au profit de tout ou partie de ses communes membres.
La troisième disposition concernant les mutualisations, contenue à l'article 67, me semble répondre directement à une de vos propositions. Elle impose que, après le renouvellement général des conseils municipaux, le président de l'EPCI soumette au conseil communautaire un schéma de mutualisation, soumis à l'avis préalable des conseils municipaux, et que ce schéma soit revu dans son application chaque année à l'occasion du débat d'orientation budgétaire. Ce n'est pas tout à fait la même procédure dans le détail de ce que votre délégation avait proposé, mais on en est très proche dans l'esprit.
Le dernier point sur lequel le législateur s'est directement appuyé sur les propositions de votre délégation, par l'adoption d'un amendement des auteurs du rapport, figure à l'article 68 : celui-ci a ouvert la possibilité à certaines collectivités de s'organiser entre elles pour assurer en commun la gestion d'un service public. Là, on se situe directement dans l'application d'une jurisprudence communautaire récente (« Hambourg », de juin 2009). On avait eu une longue discussion au moment de la préparation du rapport adopté par votre délégation, en particulier avec M. Alain Lambert et M. Bruno Sido, pour essayer de mesurer la juste portée de la jurisprudence « Hambourg » ; le Sénat a saisi, dès l'examen de la loi de réforme des collectivités territoriales, l'occasion de le faire et donc maintenant cette capacité est entrée dans le droit positif.
Il y a, bien sûr, sur ce sujet des mutualisations, un certain nombre de propositions qui nous semblent déjà relativement satisfaites. Par exemple, la proposition sur le recours à la formule de groupements d'achats entre les conseils généraux et leurs SDIS (services départementaux d'incendie et de secours) peut très largement s'appuyer sur l'article 8 du code des marchés publics, qui l'autorise en droit.
Il y a d'autres propositions qui seront sans doute plus difficiles à mettre en oeuvre. Je pense à la création d'un coefficient d'intégration fonctionnelle pour calculer la part des services ou la part des fonctions prises en charge au niveau de l'EPCI. Nous utilisons d'ores et déjà un autre coefficient, qui est moins complet mais plus facile à calculer, le coefficient d'intégration fiscale. Il sert notamment dans les mécanismes de répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
Le deuxième point sur lequel je souhaiterais m'arrêter concerne la compensation des transferts de compétences. Deux rapports ont porté sur ce sujet : le premier, de MM. Yves Krattinger et Roland du Luart, sur la compensation des transferts de compétences stricto sensu, le second, de MM. Eric Doligé et Claude Jeannerot, sur les transferts de personnels.
Le premier de ces rapports portait en grande partie sur le financement des trois grandes prestations sociales que sont l'APA (allocation personnalisée d'autonomie), la PCH (prestation de compensation du handicap) et le RSA (revenu de solidarité active). Bien entendu, la résolution des difficultés posées par le financement de ces compensations n'est pas intervenue « d'un coup, d'un seul ». Elle s'inscrit, s'agissant de l'APA, dans la réforme en préparation sur la dépendance, au travers de plusieurs groupes de travail confiés par la ministre de la santé à différentes personnalités qualifiées - notamment, le groupe de travail sur la question du financement, présidé par M. Bertrand Fragonard. Vous savez que ces questions se situent dans un environnement juridique complexe. Un certain nombre de départements ont engagé des procédures contentieuses, soulevant des questions prioritaires de constitutionnalité. Le rapporteur public au Conseil d'Etat, la semaine dernière, a proposé qu'un certain nombre de ces questions prioritaires de constitutionnalité soit transmises au Conseil constitutionnel. Vous comprendrez que, avant toute expression sur ce sujet, je me sente tenu d'attendre de savoir ce que le Conseil d'Etat décidera et, s'il saisit le Conseil constitutionnel, ce que celui-ci décidera.
Pour autant, ces débats au sein de votre délégation, ainsi que ceux au sein de la commission des finances du Sénat et ceux qui ont eu lieu au sein du groupe de travail confié à M. Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale et président du comité des finances locales, et à un de mes prédécesseurs, M. Michel Thenault, ont participé à une démarche de prise de conscience. Et même si celle-ci n'a pas apporté des solutions durables à la situation financière des départements, elle a permis que soient mises en oeuvre, dès l'année 2011, un certain nombre de dispositions que je vous rappelle, pour mémoire. Il y a trois enveloppes :
- la première enveloppe, de 75 millions d'euros, confiée à la CNSA (caisse nationale de solidarité pour l'autonomie), est répartie en fonction d'un certain nombre de critères relatifs notamment au poids de la charge représentée par les prestations d'APA ;
- la deuxième enveloppe, de 75 millions d'euros, est destinée à venir en aide aux départements qui en feront la demande - c'est ce qu'on avait appelé le dispositif de mission d'appui, qui avait été annoncé par le Premier ministre en juin 2010 ;
- et puis, il y a un dispositif, très important, de péréquation des droits de mutation à titre onéreux qui assure une redistribution à hauteur de 440 millions d'euros en 2011.
Même si on ne peut pas additionner tous ces dispositifs, parce que certains sont la redistribution de recettes des départements, tandis que d'autres sont des apports nets, on a quand même une masse financière totale qui est proche de 600 millions d'euros ; cela devrait faciliter l'équilibre des budgets des départements.
D'autres propositions de votre délégation portaient sur le partage de l'information entre les départements et leurs autres partenaires dans le domaine social. Il est vrai que la décentralisation en matière d'aide sociale a rendu plus complexe la mise en oeuvre des politiques sociales, avec un nombre d'acteurs très important : l'Etat, qui a gardé certaines compétences réglementaires, les organismes sociaux - CAF, MSA -, les départements naturellement, mais aussi les communes par le biais des centres communaux d'action sociale. Plusieurs rapports, celui de votre délégation, mais aussi celui de Pierre Jamet, par exemple, ont mis en évidence les difficultés générées par cette situation et ont proposé des pistes de solutions pour y remédier, en matière d'outils de gestion ou d'échanges d'informations et de mutualisation.
La direction générale de la cohésion sociale a engagé un certain nombre de travaux, à la demande, pour certains, de l'Assemblée des départements de France (ADF), afin d'améliorer le pilotage de certains dispositifs. Le comité de pilotage du RSA, notamment, a été installé en janvier 2011. Il rassemble autour de la direction générale de la cohésion sociale et de l'ADF ou de ses représentants, l'ensemble des opérateurs qui interviennent dans la gestion du RSA - la CNAF, la Caisse centrale de la MSA et les représentants des conseils généraux - de manière à définir des programmes d'évolution informatique en fonction des besoins recensés et d'améliorer la fiabilité des données échangées entre les départements et les caisses qui assurent la liquidation du RSA. Voilà un exemple de démarche qui me paraît aller dans le sens des souhaits manifestés par la délégation.
Le rapport de MM. Yves Krattinger et Roland du Luart avait aussi beaucoup insisté sur la question des normes. Nous avons également essayé d'avancer sur cette question. Le rapport proposait notamment d'élargir les travaux de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) au stock des normes réglementaires pesant sur les collectivités territoriales. De plus, le président de votre délégation, M. Claude Belot, a remis un rapport spécialement consacré à cette question des normes. Enfin, le président de la République a chargé le sénateur Eric Doligé d'une mission sur ce sujet-là. Aujourd'hui, cette mission a recensé un très grand nombre de pistes, que nous essayons, avec les ministères concernés, de rassembler et d'évaluer pour aboutir à un nombre conséquent de propositions de simplification de normes.
Votre délégation avait aussi souhaité renforcer le pouvoir de la CCEN en faisant évoluer le régime de ses avis vers un régime d'avis conforme. C'est un point que nous avions beaucoup étudié lors de la mise en place du moratoire des normes l'été dernier. Cependant, la décision d'élever l'avis d'une instance consultative comme la CCEN, au rang d'avis conforme est une décision qui relève du législateur, puisque cela concerne notamment un certain nombre de matières que la Constitution réserve à la loi. En outre, compte tenu de la largeur du champ de compétence de la CCEN, qui épouse l'essentiel de l'activité normative du Gouvernement, nous nous interrogeons sur la constitutionnalité d'une telle mesure qui reviendrait à confier à la CCEN un quasi-droit de veto à l'égard du pouvoir réglementaire conféré au Premier ministre par l'article 21 de la Constitution. Nous avons donc opté pour privilégier la culture du consensus, d'ailleurs largement à l'oeuvre au sein de la CCEN.
Par ailleurs, j'aurais souhaité aborder deux questions spécifiques en matière de normes, que votre délégation avait pointées. D'une part, s'agissant des normes applicables en matière sportive : les fédérations sportives disposent d'un pouvoir réglementaire délégué, mais qui ne peut être traité comme le pouvoir réglementaire exercé directement par le Gouvernement. C'est la raison pour laquelle, à ce stade, la CCEN n'a pas encore été saisie des projets de règlements édictés par les fédérations sportives. Cependant, il existe une commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (CERFRES), au sein de laquelle siègent des représentants des associations nationales d'élus, ces derniers pouvant ainsi anticiper l'impact des règlements sur les collectivités territoriales. Cela n'exclut cependant pas une réflexion pour voir si la CCEN ne peut pas aussi être consultée sur ces projets ou, à tout le moins, pour faire en sorte que les fédérations sportives rentrent dans la démarche d'études d'impact ou d'évaluation préalable des coûts pour les collectivités territoriales des règlements fédéraux qu'elles modifient, de manière à avoir une homogénéité de la démarche.
De la même manière, se pose la question de l'AFNOR. Cela ne rentre pas dans le champ de compétences de la CCEN car juridiquement les normes de l'AFNOR ne s'imposent pas aux collectivités territoriales, c'est simplement une procédure d'homologation. Néanmoins, on constate que, dans les faits, celles-ci s'imposent aux collectivités territoriales. Il existe actuellement une réflexion en cours à la DGCL sur la manière dont la CCEN pourrait intervenir dans le processus d'homologation piloté par l'AFNOR. Je ferai prochainement des propositions sur ce sujet au ministre chargé des collectivités territoriales, et s'il les approuve, aux autorités supérieures.
En outre, je voudrais revenir sur un point soulevé par le rapport de MM. Eric Doligé et Claude Jeannerot, consacré au transfert des personnels de l'Etat vers les collectivités territoriales. L'une des propositions des rapporteurs visait à élargir le rôle de la Commission consultative d'évaluation des charges (CCEC) aux nouveaux transferts, notamment à la compensation des charges nouvelles. Je tiens à préciser que les dispositions actuelles du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoient déjà que la CCEC contrôle les modalités de calcul des charges transférées, qu'elles le soient au titre des transferts de compétences, au titre des créations ou extensions de compétences, ou au titre des charges résultant de réformes réglementaires modifiant les compétences transférées après l'entrée en vigueur des transferts de compétences. De notre point de vue, il existe bien un dispositif complet qui permet à la CCEC d'intervenir dans le champ des compétences transférées ou des extensions/créations de compétences. En outre, je précise que l'administration est souple quant à l'inscription de débats à la CCEC sur différents sujets d'ordre financier pouvant intéresser les élus.
Enfin, en ce qui concerne le dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales, traité dans le rapport de Mme Jacqueline Gourault et de M. Didier Guillaume, M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales, a procédé à une communication au conseil des ministres, le 23 février dernier. Il a indiqué les conditions dans lesquelles la Conférence nationale des exécutifs (CNE) est appelée à être réactivée, notamment avec une formation plus restreinte, des groupes techniques et une meilleure préparation des ordres du jour. L'objectif est de donner un réel contenu aux réunions et aux échanges de la CNE. Les propositions de votre délégation n'ont, à ce jour, pas été suivies sur le terrain de la consolidation juridique, car la priorité a été donnée à la consolidation du contenu de la CNE et à la qualité de ses échanges.
La première réunion de cette CNE « nouveau format » est prévue au printemps 2011. Dans cette perspective, un pré-projet d'ordre du jour a été transmis au ministre chargé des collectivités territoriales. Si ce projet est validé, il pourra donner lieu à un échange entre les différentes associations nationales d'élus concernées. La préparation d'une CNE pour le printemps de cette année est donc bien engagée.
Comme vous le voyez, au travers de ces exemples, nous nous sommes efforcés, au cours de nos différents travaux, dans la réforme des collectivités territoriales ou dans la relance de la CNE, de prendre en compte les orientations dégagées dans le cadre des rapports de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
M. Yves Krattinger. - Il semblerait que le moment le plus pertinent, selon vous, pour que les élus s'accordent sur un schéma de mutualisation des services dans le cadre intercommunal se situe juste après la tenue des élections municipales. Je pense au contraire, par expérience, qu'il s'agit du plus mauvais moment car, pour la majorité des nouveaux élus, l'intercommunalité est loin d'être acquise : ils la voient alors plutôt comme de nature à les priver de l'exercice du mandat qui vient de leur être confié. Ces élus sont donc plus réticents au transfert de compétences au niveau de l'intercommunalité en début de mandat, alors qu'au cours du mandat cette réticence tend à diminuer. C'est pourquoi j'attire votre attention sur la distorsion entre ce qui peut apparaître évident d'un point de vue théorique et la difficulté pratique dans la mise en oeuvre.
Je souhaiterais également revenir sur la manière dont l'administration française envisage les statuts des différentes collectivités territoriales et les compétences qui leur ont été transférées. Il y a encore une quinzaine d'années, les règlements et la législation permettaient aux élus locaux de s'adapter avec pragmatisme aux situations et de se montrer constructifs dans le respect des statuts. Depuis lors, je constate que la réglementation entre dans le moindre détail et que son degré de précision, couplé avec la lecture très restrictive qu'en font les services de l'Etat, empêche souvent de s'adapter au mieux aux situations. En clair, l'excès de précision réglementaire grève l'action des élus locaux, paralysés qui plus est par la peur du juge. C'est pourquoi il me paraît indispensable de redonner de la souplesse dans l'interprétation des normes et de la réglementation en vigueur.
En ce qui concerne les compétences des collectivités en matière d'aide sociale, sujet que j'ai eu l'occasion d'approfondir avec mon collègue Roland du Luart dans le rapport de notre délégation consacré aux compensations des transferts de compétences, je voudrais insister sur le financement du revenu de solidarité active (RSA) : dans la pratique, le président du conseil général ne fait que mandater des dépenses pour le compte de la Caisse d'allocation familiale (CAF) et, pire, doit prendre en charge des indus qui lui ont été imposés et dont ses propres services ne sont absolument pas responsables. L'Etat est donc clairement en gestion de fait des collectivités dans ce domaine, ce qui, à mon sens, ne va pas sans poser de problème au regard de notre Constitution.
Sur la portée des avis de la Commission consultative d'évaluation des normes, notamment sur l'hypothèse de soumettre certains projets réglementaires à son avis conforme, j'ai bien compris vos réticences d'ordre juridique. Toutefois, il me semble indispensable de procéder à une clarification. Si on réfute cette possibilité d'avis conforme, la logique voudrait qu'aucun représentant de l'administration ne siège au sein de cet organe : dès lors que l'on demande un simple avis, seul compte celui des élus ; faire participer à cet avis les personnes qui ont élaboré le projet n'a pas de sens.
Le problème des normes en France me semble par ailleurs largement dû au fait que, très souvent, la réglementation française édicte des contraintes excessives, allant bien au-delà de ce qu'exige notamment le droit communautaire. A l'occasion de la visite d'un éco-quartier en Allemagne, j'ai constaté que les jeux pour enfants étaient constitués de quelques arbres et de matériaux naturels, dont le coût n'excédait pas quelques centaines d'euros ; mais le coût des normes imposées par la réglementation française pour les espaces de jeux, et ce pour un même nombre d'enfants, représentait entre 50 000 et 60 000 euros. Il s'agit là, à mon sens, d'une véritable « maladie » pour la société française, alimentée par des lobbies qui font en sorte que les gammes de jeux qu'ils produisent soient renouvelées constamment afin de maintenir leurs débouchés commerciaux. A l'occasion, ensuite, d'une comparaison par des groupes industriels français des coûts de construction d'un bâtiment en France et en Suède, nous avons constaté qu'ils étaient largement supérieurs dans notre pays en raison de l'hyper-normalisation qui le caractérise. Bref, l'inflation des normes renchérit à l'évidence le coût de la production industrielle et, avant de pointer du doigt la non-compétitivité des travailleurs français ou les contraintes venant de l'Union européenne, il vaudrait mieux regarder si nos problèmes de coûts ne viennent pas plutôt de l'hyper-compétitivité de notre administration en matière normative.
M. Eric Jalon. - Je voudrais d'abord vous répondre sur le schéma de mutualisation des intercommunalités...
M. Yves Krattinger. - Dont, entendons-nous bien, j'approuve le principe.
M. Eric Jalon. - J'ai bien noté que vos observations portaient non pas sur le principe du schéma, mais sur son calendrier d'adoption. En fait, ce que prévoit la loi de réforme des collectivités territoriales sur ce point permet de prendre en considération votre souhait d'un schéma qui ne soit pas adopté immédiatement après les élections municipales. Il est en effet écrit que c'est dans l'année qui suit chaque renouvellement général que le président de l'EPCI établit un rapport comportant un projet de schéma. Ce schéma est ensuite transmis pour avis à chacun des conseils municipaux, des communes membres de l'EPCI, qui disposent à leur tour d'un délai de trois mois. Une année, plus ces trois mois, cela laisse quand même un peu de temps après les élections. J'ajoute que ces dispositions s'appliqueront à compter du prochain renouvellement général ; nous aurons alors un couplage entre les élections municipales et la désignation des conseillers communautaires, ce qui facilitera l'appropriation des sujets de l'intercommunalité par les nouveaux conseillers municipaux. D'ailleurs, j'ai pu observer qu'en pratique les débats qui se sont déroulés dans le cadre des dernières élections municipales concernaient en majorité des thèmes de l'intercommunalité, ce phénomène étant notamment plus fort dans les grandes agglomérations.
A propos de la question de la souplesse de l'administration, la norme peut intervenir aussi pour faciliter les choses sur le terrain. Ainsi, en 2004, le législateur a décidé de proroger d'un an le délai dans lequel on devait définir l'intérêt communautaire pour éviter que, à défaut de définition dans le délai, une compétence soit intégralement transférée à une communauté de communes ; c'était donc une intervention dictée par le souci de permettre la prise en charge effective par les communautés des transferts de compétences. Toutefois je reconnais volontiers qu'il est préférable que ce soit les élus qui s'en chargent plutôt que cela se fasse par une application tatillonne du contrôle de légalité.
Concernant les compétences sociales, les statistiques mettent en évidence une forte corrélation entre les dépenses de RSA et le taux de chômage. On peut donc dire que le niveau de la dépense de RSA est largement conditionné par des facteurs exogènes à la volonté du département, notamment le niveau du chômage.
J'observe néanmoins que ce n'est pas sur ce point que le rapporteur public du Conseil d'Etat a proposé le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité, mais c'est sur une question touchant à l'APA. Le problème soulevé est que le reste à la charge de l'APA est si important dans les finances des départements, que cela pourrait remettre en cause leur libre administration.
Par ailleurs, il y a quelques années, nous avions demandé à certains représentants de l'ADF de faire des propositions sur la marge de manoeuvre qu'ils souhaiteraient se voir conférer pour un meilleur pilotage, à l'époque du RMI et maintenant du RSA, notamment dans la relation avec les bénéficiaires. Dans mon souvenir, il n'y a pas eu beaucoup de propositions pour renforcer la capacité d'action des départements en la matière.
Concernant la CCEN et les avis conformes, je comprends votre position sur le vote des fonctionnaires. Néanmoins, j'observe d'abord que la composition de la CCEN n'est pas strictement paritaire : un tiers de fonctionnaires et deux tiers d'élus. De plus, du fait de l'absence d'une condition de quorum, les réunions de la CCEN peuvent se tenir en présence de peu d'élus. Ce n'est pas une critique : c'est très contraignant (rythme élevé des réunions, technicité des dossiers, etc.), avec des possibilités de suppléance très restreintes qu'il faudrait, par l'intervention d'une loi, élargir ; nous avons d'ailleurs travaillé sur ce sujet et sommes prêts à faire des propositions législatives.
En outre, lorsque la CCEN a émis un avis défavorable, nous en avons tenu compte dans toute la mesure du possible, à une exception près : lors du plan de relance, la CCEN ne voulait pas que l'on abaisse le délai de paiement des collectivités territoriales ; il n'avait pas été tenu compte de cet avis car, dans le cadre du plan de relance, il était prévu que les délais de paiement de toutes les administrations publiques soient resserrés. Mais, hors ce cas, il s'est toujours passé quelque chose après un avis défavorable de la CCEN : il y a eu des ajustements dans les textes ; nous avons essayé, dans l'esprit, de tenir compte de ses avis. Donc la réponse très rigoriste de l'avis conforme n'emporte pas ma conviction complète.
Maintenant, concernant la réglementation et les expériences étrangères que vous avez citées, je trouve que l'on a aujourd'hui tendance à confondre très largement l'obligation de résultat et l'obligation de moyens. L'Etat, ne pouvant contrôler le résultat et la mise en oeuvre des politiques publiques, va parfois loin dans la définition des moyens techniques à mettre en oeuvre pour atteindre un objectif. C'est pourquoi nous réfléchissons à la possibilité d'offrir de la souplesse aux collectivités territoriales afin qu'elles puissent s'éloigner des moyens imposés, au bénéfice de certaines mesures d'adaptation. Cette idée d'adaptation des normes au contexte territorial dans lequel elles s'appliquent a été officiellement avancée par le président de la République, lorsqu'il est intervenu devant les maires du Cher. Nous y travaillons et, notamment, creusons la question de savoir comment elle peut s'articuler avec le principe constitutionnel d'égalité, ce qui suppose une réflexion d'ordre à la fois technique et juridique. C'est réellement une direction vers laquelle nous souhaitons aller pour ne pas imposer aux collectivités des normes dans lesquelles il y aurait une disproportion manifeste entre l'objectif et les moyens à déployer.
M. Claude Belot, président. - Le problème est réel et aigu, nul ne le conteste. Les élus ont vraiment le sentiment que le bon sens s'est perdu. Cela peut venir du texte même de la norme, de son application trop zélée de la part d'un fonctionnaire, de la superposition des normes...
M. Eric Jalon. - A ce sujet, une des propositions contenues dans votre rapport constitue une piste très pertinente, qui mérite d'être relayée. Je pense à ce que l'on pourrait appeler un « médiateur de la norme ». Je suis persuadé que si on commence par bien regarder ce qu'exigent les textes, à faire la part des choses entre l'obligatoire et ce qui est souhaitable mais non absolument nécessaire, on donnera déjà aux collectivités territoriales l'impression d'être comprises dans les problématiques qu'elles rencontrent. On préviendra aussi l'application de normes dont, en réalité, l'opposabilité effective est très fragile ; je pense à celles qui correspondent à des réglementations techniques, que l'on a tendance à considérer comme impératives alors qu'elles ne le sont pas forcément, ou à des circulaires ministérielles qui, dans leur contenu, sont plus précises que les décrets qu'elles commentent. Cette idée d'avoir quelqu'un qui puisse, dans chaque département, éclairer les décideurs locaux sur ce qui est réellement opposable ou pas, me paraît donc une piste à creuser de manière prioritaire parmi celles émises par votre rapport.
M. Claude Belot, président. - Je voudrais aussi dire que je partage tout à fait les propos de M. Krattinger à propos des départements. La situation est tout sauf satisfaisante : le rôle des présidents des conseils généraux n'est plus que de signer des chèques, pour donner suite à ce qu'a décidé la CAF qui refuse catégoriquement de s'inscrire dans une logique de partenariat avec les départements. Dans une démocratie, la fonction d'un élu, ce n'est pas de tenir un guichet. D'ailleurs, les départements n'ont pas du tout vocation à jouer les intermédiaires financiers, et nombre d'entre eux n'en ont d'ailleurs pas les moyens : leur tâche dans le domaine social, c'est l'opérationnel, c'est l'organisation de la solidarité.
Mme Jacqueline Gourault. - On engage actuellement, en application de la loi de 2010, le mouvement qui conduira à l'achèvement de la carte intercommunale. Les élus locaux sont très inquiets sur les problèmes de compétences qui vont se poser, notamment lorsque l'on prévoira des fusions d'intercommunalités ou lorsque des communes seront appelées à changer d'EPCI. Il y aura forcément des redécoupages, et je pense qu'il y aurait besoin d'un peu d'explication de texte et de pédagogie, par exemple par le biais d'une circulaire. C'est un besoin urgent, car la nouvelle carte aura évidemment des conséquences que les élus doivent pouvoir mesurer au plus tôt.
Le deuxième point sur lequel je voudrais intervenir concerne le rapport de M. Yves Daudigny sur l'ingénierie publique. On voit bien, devant le recul de cette prestation assurée par l'Etat, que les collectivités commencent à se poser la question de savoir comment faire pour pallier cette difficulté nouvelle. Notre collègue Yves Daudigny propose que le conseil général mette en place des services de remplacement. C'est un sujet qui mérite développement et réflexion. Personnellement, et sans que mon opinion soit encore définitivement arrêtée sur ce point, je pense que les intercommunalités pourraient aussi constituer un cadre adapté. Les intercommunalités me semblent les mieux placées : parce qu'elles ont pour rôle de répondre à des besoins des communes et parce qu'elles correspondent au même niveau de collectivité, ce qui évite tout risque au regard du principe -auquel je suis très attachée - de non-tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre.
M. Eric Jalon. - Sur la carte intercommunale, le schéma départemental de coopération intercommunale et les arrêtés qui seront repris pour son application ne traiteront que des périmètres et non pas des compétences. Néanmoins, on ne peut évidemment pas réfléchir sur l'évolution de l'intercommunalité sans réfléchir aux compétences. Il faut donc, comme vous le soulignez, se poser dès aujourd'hui la question des compétences. C'est la raison pour laquelle nous allons essayer de faire en sorte, pendant la période où les communes et les intercommunalités devront se prononcer sur le schéma, et où le schéma reviendra devant la CDCI, qu'elles puissent être éclairées sur les questions de devenir des compétences. C'est pourquoi nous sommes en train de réactualiser notre guide de l'intercommunalité -qui date de 2006 ; j'ai demandé à ce que la priorité soit notamment donnée à ces questions d'évolution des compétences en cas de recomposition intercommunale. J'ai aussi demandé à ce que l'on s'attache à bien analyser la question des conséquences, en termes de compétences comme en termes de ressources financières et de ressources humaines, des dissolutions des syndicats : si nous voulons avoir, conformément à l'objectif assigné par la loi, des réductions importantes du nombre de syndicats de communes, il nous faut des procédures bien sécurisées. Notre souhait est d'adresser nos travaux aux préfets, si possible, dès le début de l'été.
Sur l'ingénierie publique, je rappellerai d'abord les raisons qui ont conduit à un redimensionnement progressif de la place de l'Etat : des raisons de droit, en l'occurrence le souci d'une parfaite orthodoxie au regard du droit de la concurrence ; des raisons de fait, à savoir le souhait de réorganiser et de reconcentrer l'Etat sur ses missions propres. Je pense qu'il n'était pas satisfaisant, ni pour l'Etat ni pour les collectivités territoriales, de voir que, dans certains services, des ingénieurs passaient plus de temps sur des missions exercées au profit des collectivités territoriales que sur des missions exercées au profit de l'Etat.
Par ailleurs, les départements sont expressément habilités à apporter leur soutien aux communes. L'article L. 3232-1 du code général des collectivités territoriales le prévoit par exemple en matière d'aide à l'équipement rural ; l'article L. 3233-1 dispose, d'une manière générale, que « le département apporte aux communes qui le demandent son soutien à l'exercice de leurs compétences ». Donc, la compétence d'aide aux communes des départements existe. Elle doit bien sûr s'exercer de manière à ne pas faire courir un risque de tutelle. Il y a d'autres options : l'intercommunalité, que vous évoquez, Mme Gourault, en est une, mais il faut bien entendu prendre en compte la taille des EPCI ; la mutualisation, sur la base des dispositions que j'ai rappelées au début de mon intervention, peut aussi constituer un support pour la réalisation de prestations techniques d'ingénierie au bénéfice des communes membres.
Pour terminer, je voudrais vous faire part de la position défendue par votre collègue, M. Gérard Miquel, président du conseil général du Lot, dans le cadre des travaux de la mission sénatoriale, présidée par M. François Patriat, sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux. M. Miquel considère que les collectivités territoriales doivent assumer les compétences dont elles se sont saisies et n'est pas gêné par le fait que l'Etat ne fasse plus autant qu'avant cette prestation de service d'ingénierie publique. Il a d'ailleurs apporté son témoignage sur le fait que son département avait, pour remplacer l'assistance de l'Etat, mis en place des syndicats, pour les déchets ou l'eau par exemple, auxquels adhèrent les communes ou EPCI.
M. Claude Belot, président. - La France est bien diverse et, dans beaucoup d'endroits, on n'a pas attendu aujourd'hui pour mettre en place des dispositifs d'aide aux communes. Dans mon propre département, on avait déjà des structures compétentes en la matière dans l'immédiat après-guerre. Des SEM d'aménagement aux syndicats, les outils ne manquent pas, si bien que le retrait de l'Etat ne se ressent pas dans la vie quotidienne : il a simplement été compensé par le développement de ces outils de substitution. Cela se fait de manière très pragmatique, par des structures qui dépendent pour certaines du département et pour d'autres des communes.
Mme Jacqueline Gourault. - Cela dépend des départements, comme vous le dites vous-même certains ont une vision girondine, et d'autres, jacobine. La question de l'avenir de l'ingénierie après la mise en oeuvre de la RGPP soulève plus particulièrement des difficultés et des inquiétudes dans les départements ruraux.