Mardi 29 mars 2011
- Présidence de M. Serge Dassault, vice-président -Table ronde - Organisations syndicales représentatives du personnel de Pôle emploi
La mission commune d'information procède à une table ronde avec les organisations syndicales représentatives du personnel de Pôle emploi : Mme Colette Pronost, déléguée syndicale centrale et M. Jean Charles Steyger, membre du bureau national du Syndicat national unitaire - Fédération syndicale unitaire (SNU-FSU), MM. Fabien Milon et Sébastien Socias, membres de la délégation nationale de Force ouvrière (FO), M. Rubens Bardaji, délégué syndical central adjoint de la Confédération générale du travail (CGT), Mme Sandrine Etienne et M. Christian Fallet, délégués syndicaux centraux de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et Mme Suzie Petit, déléguée syndicale centrale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC).
M. Serge Dassault, président. - Nous accueillons cet après-midi les représentants de cinq organisations syndicales représentatives du personnel de Pôle emploi. Nous souhaitons connaître votre avis sur la manière dont s'est déroulée la fusion entre l'ANPE et les Assedic et sur le fonctionnement actuel de Pôle emploi. Le rapporteur, M. Jean-Paul Alduy, vous a fait parvenir un questionnaire qui précise certaines de nos interrogations : quel regard portez-vous sur la manière dont s'est déroulée cette fusion ? Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ? Ont-elles toutes été résolues de manière satisfaisante ? Quels problèmes demeurent en suspens ?
Mme Colette Pronost (SNU-FSU). - Le chômage étant la première préoccupation des Français, il est essentiel pour nous de rencontrer des parlementaires, afin de pouvoir échanger sur la création de cet opérateur public. Nous avons eu connaissance de cette mission d'information et nous vous avons fait déjà parvenir un courrier soulevant certaines interrogations que nous souhaitions partager avec vous.
S'agissant des conditions de mise en oeuvre de la fusion, le calendrier s'est avéré extrêmement court. La loi relative à la création de Pôle emploi date du 13 février 2008. La mise en place de l'instance nationale provisoire s'est effectuée en mars 2008. Les instances représentatives du personnel communes ont été mises en place entre juillet et décembre 2008.
Quatre rapports ont guidé la mise en place de cette nouvelle institution, ceux de MM. Jean-Marc Boulanger, Dominique Tian et Serge Dassault et celui de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). Au total, la fusion a été opérée en douze mois et le contexte politique de la campagne pour l'élection présidentielle a précipité le processus.
La fusion a touché 30 000 agents de l'ex-ANPE, 15 000 salariés des ex-Assedic et 300 salariés de l'Unedic.
De notre point de vue, la loi reste perfectible. Celle-ci a défini Pôle emploi comme une institution sui generis. Plus tard, fait essentiel, elle a été reconnue par décret comme un établissement public à caractère administratif. Le directeur général a été chargé de mettre en place l'instance nationale provisoire et de négocier la nouvelle convention collective nationale. Mais la loi prenait insuffisamment en compte deux tiers des agents, issus de l'ex-ANPE, relevant d'un statut public. En outre, le comité consultatif paritaire national (CCPN) avait disparu, et seules subsistaient les commissions paritaires locales et les commissions paritaires nationales, ce qui a compliqué le transfert des personnels et, plus largement, le dialogue social.
M. Jean-Charles Steyger (SNU-FSU). - De toute évidence, notre organisation syndicale ne peut vous fournir une analyse des conditions de la fusion aussi positive que celle qui a été apportée par le directeur général, lors de son audition au Sénat.
Nous avons scrupuleusement relu l'ensemble des auditions que vous avez menées, en particulier celle de M. Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi. De notre point de vue, celui-ci a énoncé maintes contre-vérités, à la fois sur la situation sociale au sein de l'opérateur et sur la situation des demandeurs d'emploi. Le souci permanent, pour notre organisation syndicale, a toujours consisté à négocier les meilleures conditions de mise en oeuvre de la fusion pour le personnel et à faire en sorte que cette fusion permette un saut qualitatif pour les demandeurs d'emploi et les entreprises.
S'agissant des choix qui ont été effectués et du calendrier qui a été décidé, le bilan s'avère catastrophique, sur le plan opérationnel. Politiquement, une intention a été manifestée. Or, le rapprochement de 50 000 salariés répartis dans 1 700 sites immobiliers, aux cultures différentes, ne peut s'opérer sans causer de dégâts.
Nous avons une pensée pour les collègues qui ont trouvé la mort lors des opérations de fusion : comme vous le savez, de la souffrance s'est manifestée et des suicides ont eu lieu. Nous avions d'ailleurs été auditionnés au Sénat, l'an dernier, sur le mal-être au travail des personnels de Pôle emploi et nous vous avions déjà alerté sur ce problème. A votre initiative, nous revenons aujourd'hui vers vous, en souhaitant que la situation évolue. En effet, depuis un an et demi, rien n'a changé dans le domaine des risques psychosociaux, de la santé et de la sécurité des agents de Pôle emploi, qui se trouvent dans une situation extrêmement tendue, n'en déplaise à M. Christian Charpy. Il convient donc que l'exercice démocratique constitué par cette table ronde soit utile pour les citoyens, pour l'opérateur et pour les agents.
La loi qui a été votée a, bien sûr, fait l'objet d'un aller et retour entre les deux chambres. Une commission mixte paritaire a opéré un important travail d'amendements. Cependant, cette loi reste extrêmement imparfaite. Pôle emploi, institution sui generis, fonctionne tantôt comme un établissement public, tantôt comme une entreprise privée. Alors que la loi lui avait conféré six missions, il n'en exerce réellement que trois. Il convient donc que vous fassiez appliquer les lois que vous adoptez.
Dans ce texte de loi, les incertitudes restent si importantes qu'elles laissent une grande marge d'interprétation à la direction, au gouvernement et au Conseil d'Etat. Un important contentieux s'est d'ailleurs développé. Il appartient au tribunal de grande instance de traiter les affaires relatives à Pôle emploi, et non au tribunal administratif, comme cela nous est affirmé.
Par ailleurs, la convention collective et le droit d'option ne sont pas faciles à mettre en place. Un mélange a été opéré entre une institution nationale publique, l'ANPE, et un organisme de gestion de droit privé correspondant à une partie de l'Unedic. De toute évidence, cette fusion suscite de grandes difficultés.
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - Vos propos, semblent-il, englobent deux sujets, une analyse générale qui n'est pas forcément partagée, et des points concrets de dysfonctionnement, que vous avez commencé à évoquer. Je vous propose que chacun puisse d'abord exprimer son analyse générale de la situation, avant d'évoquer les dysfonctionnements par rapport auxquels des améliorations doivent être demandées.
M. Jean-Charles Steyger (SNU-FSU). - D'une part, il convient de souligner que Pôle emploi se cherche encore, alors que les élections de 2012 se rapprochent. D'autre part, une exigence de dialogue, d'échanges et de discussions s'impose à tous les niveaux, avec les parlementaires, avec les territoires et avec les interlocuteurs qui assument des charges ou des responsabilités dans le champ de la formation, de l'orientation et de l'emploi au sens large, notamment les maisons de l'emploi.
M. Fabien Milon (FO). - En ce qui concerne Force Ouvrière, notre organisation rappelle qu'elle s'est montrée, à l'échelle confédérale, opposée à la fusion qui pose un problème majeur de démocratie, puisqu'elle associe le donneur d'ordre et le payeur. Par ailleurs, Force Ouvrière considérait le rôle de l'ANPE, en tant que service public, comme indispensable, bien qu'elle ait vu d'un mauvais oeil sa création, en 1967. A cette époque, notre fédération avait considéré que la création de cet organisme empiétait sur les prérogatives du régime d'assurance chômage, relevant du champ du paritarisme.
Deux entités bien différentes ont été mariées, même si toutes les deux s'occupent des chômeurs. De nombreuses difficultés en découlent. Le problème majeur réside dans le fait que la loi du 13 février 2008 a institué un établissement sui generis. En tant que représentants du personnel, nous nous retrouvons confrontés à une direction qui jongle entre le droit privé, quand cette première option l'arrange, et le droit public quand cette seconde option lui convient mieux.
Salarié du secteur privé depuis le début de ma carrière, cette situation me préoccupe profondément. Des règles doivent être édictées de façon à garantir l'emploi et les contours de l'activité d'un agent salarié, en termes de rémunération et de conditions de travail. Certes, des avancées sont constatées et Force Ouvrière a, par exemple, signé la convention collective. Pour autant, d'autres dossiers font l'objet d'accrochages importants avec la direction, notamment celui de la retraite complémentaire. La loi stipulait clairement que les salariés de droit privé resteraient affiliés à l'Agirc-Arrco, de même que les nouveaux embauchés. Or, il a été décidé que l'ensemble des salariés seront transférés, dans des conditions très floues, à l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (Ircantec). Et les premières indications fournies montrent que les agents de droit privé perdront un certain nombre des garanties que leur conférait l'Agirc-Arrco.
L'évolution des métiers au sein de Pôle emploi, associée à la confusion entre le donneur d'ordre et le payeur, posent également un problème majeur. En témoignent les difficultés auxquelles la direction est confrontée pour mettre en place l'entretien d'inscription et de diagnostic (EID), chaque agent devant apprendre le métier de l'autre.
M. Sébastien Socias (FO). - Pôle emploi se porte mal, les agents de Pôle emploi ne vont pas bien et par conséquent, le service est malmené, comme les médias le montrent régulièrement.
Dès l'origine, le processus a été mal engagé. La création de Pôle emploi répond à une commande politique. Elle a associé deux entités qui délivraient des services complémentaires tout en relevant de cultures différentes. Aujourd'hui, les problèmes internes de Pôle emploi créent forcément des difficultés pour les usagers, qu'il s'agisse des demandeurs d'emploi ou des entreprises.
Pôle emploi comporte cinq catégories de personnels : les ex-agents du régime d'assurance chômage, les ex- agents de l'ANPE qui relèvent toujours du statut public institué en 2003, les ex-agents de l'ANPE qui ont opté pour la convention collective, les nouveaux recrutés qui relèvent eux-aussi de la convention collective et les collègues de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) qui nous ont rejoints.
Parmi les aberrations caractérisant les ressources humaines, des collègues sont actuellement chargés d'embaucher des personnes en CDI au sein de Pôle emploi, alors que leur propre contrat s'achève bientôt. Cette anecdote nous a été rapportée par une collègue qui en avait les larmes aux yeux. Ces personnes, que l'on renvoie s'inscrire comme demandeurs d'emploi, possèdent pourtant les « habiletés » requises pour aider les demandeurs d'emploi à retrouver un poste, pour reprendre le langage utilisé dans le cadre de la méthode de recrutement par simulation (MRS).
M. Rubens Bardaji (CGT). - La CGT considère que la création de Pôle emploi a porté atteinte au service public et à un système de protection sociale qui consistait en la gestion, par les représentants des salariés, d'une partie du salaire différé.
D'emblée, la création de Pôle emploi a contribué à la dilution du service public de l'emploi. L'Etat s'est réapproprié une mission qui avait été déléguée aux partenaires sociaux. Dans tous les cas, cette situation conduit à mettre à mal les droits des demandeurs d'emploi et les statuts et les qualifications des personnels concernés, qu'il s'agisse des personnels issus de l'ANPE, agents non-titulaires de l'Etat sous contrat avec un établissement public à caractère administratif, ou des personnels de l'assurance chômage, régis par le droit privé dans le cadre d'une convention collective nationale que l'ensemble des organisations syndicales avaient élaborée.
Actuellement, cet établissement public à caractère administratif applique les règles de la comptabilité privée. La mission de service public qui avait été confiée aux partenaires sociaux a été récupérée pour être gérée par la puissance publique, alors même que l'Unedic se trouve privée des moyens de mettre en oeuvre sa politique. Il s'agit d'un système où des notions fortes ont volé en éclats : le paysage institutionnel dans lequel les droits des demandeurs d'emploi pouvaient être ouverts et garantis par l'existence de personnels qualifiés est remplacé par de la fragilité et de la précarité.
Cette situation est éminemment inconfortable pour les personnels comme pour les usagers de Pôle emploi. Elle crée notamment, pour les demandeurs d'emploi, une extraordinaire opacité en matière de voie de recours contre les décisions de radiations dont ils peuvent faire l'objet. Cette opacité, cette instabilité, cette difficulté à accéder au droit sont la marque de fabrique de Pôle emploi.
Il y a donc urgence à recréer des points de repère extrêmement forts afin que l'accès aux droits soit garanti, pour les populations comme pour les agents. Or telle n'est pas la direction suivie par les pouvoirs publics et par la direction générale. Au contraire, la tentative de mettre en oeuvre, à marche forcée, l'EID porte une attaque puissante au maintien et à l'amélioration des qualifications des personnels.
Nous ne pouvons nous contenter de la mise en place d'un établissement qui se contenterait de réaliser des missions a minima. Bien au contraire, la CGT souhaite que les missions de Pôle emploi soient assurées pour répondre aux attentes des usagers. Les personnels sont recrutés sous contrat de droit privé, et non par concours, et les relations collectives du travail sont régies par le code du travail. Des institutions représentatives du personnel, comité central d'entreprise et comité d'établissement, ont été créées en lieu et place des organismes consultatifs de droit public dont sont dotés les établissements publics de l'Etat, en application du statut général des fonctionnaires.
Dans ce contexte de précarité et de fragilité, le directeur général, lorsqu'il prépare un projet, peut décider de ne pas le soumettre à l'avis des représentants du personnel, en considérant qu'il s'agit d'une décision de puissance publique, et donc d'une décision unilatérale de l'employeur. En outre, le cas échéant, il peut faire reconnaître par la justice que cette décision ne relève pas du tribunal de grande instance mais de la justice administrative. Autrement dit, les salariés sont privés du droit de porter un point de vue sur les projets d'organisation des services dans lesquels ils sont employés.
Habituellement, dans la fonction publique, le comité technique paritaire est consulté sur tout projet de décret relatif à l'organisation des services ou au statut des personnels. Or, Pôle emploi ne comporte pas de comité technique paritaire. Cette situation curieuse est éminemment inconfortable, à tous points de vue. Il est urgent de la stabiliser. Pour cela, il faut préciser les règles qui doivent régir une mission de service public rendue par un établissement public à caractère administratif.
Mme Sandrine Etienne (CFDT). - La CFDT tient à saluer la mise en place de cette mission, deux ans après la création de Pôle emploi. Vous souhaitez identifier les dysfonctionnements et les points de blocage dans l'organisation et le fonctionnement de Pôle emploi, en associant à vos travaux les personnels de Pôle emploi et les partenaires sociaux, ce qui nous convient parfaitement. Vous envisagez également d'étudier l'organisation du service public de l'emploi par bassin d'emploi, afin de vérifier si les objectifs initiaux de la fusion, qui visait à simplifier les démarches et améliorer le service rendu aux usagers, ont été atteints. Pour mieux appréhender l'organisation territoriale du service public de l'emploi, la CFDT vous suggère d'étudier l'organisation d'un bassin d'emploi retenu dans le cadre de l'expérimentation du contrat de transition professionnelle (CTP), comme celui de Charleville-Mézières, dans la vallée de la Meuse, où le taux de chômage avoisine 13 %.
M. Christian Fallet (CFDT). - La CFDT a souvent été perçue comme une organisation ayant souhaité la fusion. Plus précisément, dans le cadre d'une simplification et d'un meilleur accès aux services rendus par l'ex-ANPE et les ex-Assedic, notre confédération a souhaité que Pôle emploi fonctionne convenablement. Or, force est de constater, en tant que représentants du personnel, que la manière dont s'est construit Pôle emploi suscite de fortes déceptions.
La fusion a bouleversé le personnel et entraîné une perte d'identité. Le personnel de droit privé s'est trouvé engagé dans un système relevant de la fonction publique et le personnel du secteur public, dans le secteur privé. Différentes questions restent à résoudre. Pour de nombreux collègues, l'ouverture au métier de l'autre reste encore une difficulté. Pourtant, la CFDT considère que cette possibilité doit être donnée aux personnels. L'EID pourrait constituer une chance, si les agents étaient formés de manière efficace. Un salarié ne peut être contraint à évoluer vers un métier pour lequel il n'a pas été embauché, même si une bonne partie du personnel s'avère capable d'acquérir une « double compétence ».
Selon l'enquête lancée par la CFDT, la première demande d'un demandeur d'emploi, lorsqu'il franchit les portes de l'agence, porte sur les ressources dont il pourra disposer. Dans ce contexte, quel est le sens de la mission de l'agent ? Le personnel de Pôle emploi, à l'issue d'une formation très courte, est amené à fournir quelques réponses rapides et limitées sur les droits des usagers. Comment un demandeur d'emploi, ayant éventuellement fait l'objet d'une radiation, pourrait-il s'en contenter ? L'agent se retrouve dans l'incapacité de répondre à des attentes très fortes. Cette situation produit une perte de sens.
La CFDT considère avant tout que Pôle emploi doit mieux fonctionner. D'ailleurs, la confédération n'est pas si mécontente que le personnel de droit privé soit assujetti au code du travail et que les instances représentatives du personnel soient de droit privé. En effet, cette organisation donne du sens au travail d'un membre du comité d'entreprise ou d'un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui acquièrent ainsi une marge d'action supplémentaire.
Au total, la fusion s'est opérée dans des délais courts. Il a fallu concevoir des sites mixtes, en toute hâte. Le personnel s'est trouvé affecté en plusieurs lieux au long d'une même journée. Des dossiers ont été égarés. Des reportages éloquents ont montré des agents aussi perdus que les demandeurs d'emploi.
Il convient d'aménager des bureaux qui respectent la confidentialité du demandeur d'emploi lorsqu'il évoque sa vie personnelle, par exemple avec un psychologue du travail, amené à lui poser des questions extrêmement précises. Actuellement, ces personnes sont reçues dans des locaux ouverts à tout vent, ce qui peut conduire à des réactions d'agressivité. Des dysfonctionnements informatiques, liés aux évolutions permanentes du système, rendent plus complexes les démarches de l'usager. La liquidation des dossiers de demandeurs d'emploi, quoiqu'en dise M. Christian Charpy, s'effectue à coups d'heures supplémentaires, souvent de façon approximative, sans respecter complètement les stipulations de la convention d'assurance chômage.
L'objectif affiché consiste à suivre de manière personnalisée le demandeur d'emploi. Mais doit-il s'agir obligatoirement d'un suivi mensuel, alors que les demandeurs d'emploi ne présentent pas tous les mêmes besoins ? Certaines personnes nécessitent un suivi plus fréquent, d'autres peuvent, dans une large mesure, s'organiser seules pour leur recherche d'emploi. Or le système fonctionne comme s'il s'agissait simplement de remplir des statistiques. Quel est le sens, dans ce contexte, de la mission de l'agent de placement ? Il nous paraît essentiel que le suivi des demandeurs d'emploi soit véritablement personnalisé. Quant à la charge des portefeuilles confiés aux agents, cette question tend à devenir une antienne.
M. Serge Dassault, président. - Je vous remercie et je note que vous êtes, dans le contexte de cette table ronde, le seul intervenant dont l'intervention ait débuté par des inquiétudes sur le sort des demandeurs d'emploi, et non sur la situation des personnels.
Mme Suzie Petit (CFE-CGC). - L'attention portée aux demandeurs d'emploi, pour bien connaître mes collègues, était sous-jacente dans leurs propos.
En ce qui concerne le choix de la fusion, la CFE-CGC ne s'est pas posé la question en ces termes : la loi a été promulguée, il faut maintenant avancer, dans l'intérêt des demandeurs d'emploi et des personnels.
Lorsqu'une maison est construite, des plans sont élaborés, des fondations sont bâties, puis des murs et une toiture. A Pôle emploi, les différents chantiers ont commencé en même temps. A peine les plans étaient-ils conçus que des murs étaient montés, voire un début de charpente et ceci, en l'absence de fondations. L'objectif consistait à offrir aux demandeurs d'emplois, trimbalés d'un lieu à l'autre, l'ensemble des services dans un même site, et à leur proposer un accompagnement susceptible de leur permettre un retour plus rapide à l'emploi.
Or, une fois la loi promulguée, nous nous sommes retrouvés face à une grande impréparation. Un malaise s'est exprimé et, plus grave, il s'exprime toujours. Parfois, lorsqu'un demandeur d'emploi attend une réponse à ses interrogations et demande, au sein de Pôle emploi, à quel interlocuteur il doit s'adresser, l'agent reste incapable de lui répondre. Au niveau régional, bien souvent, des collègues interrogent les services de ressources humaines au sujet du droit d'option. Or le téléphone sonne dans le vide et si leur appel est finalement intercepté, aucune réponse précise n'est fournie.
Au total, Pôle emploi donne encore l'impression d'un vaste chantier. Certes, la fusion des différents services en un même site constituait une bonne idée. Cependant, au-delà du contexte de la crise, ces ambitions n'ont pas été accompagnées par des moyens suffisants et aucune priorité n'a été établie. L'implantation de sites uniques, la mise en place de l'EID et le démarrage du logiciel informatique Neptune, qui a placé des régions entières dans d'immenses difficultés, ont débuté en même temps. Notre organisation syndicale, sans s'opposer au principe de la fusion, a demandé que l'on prenne le temps de la réflexion, afin de cerner les dysfonctionnements de Pôle emploi. Or cette option n'a pas été retenue, au risque d'aller dans le mur.
La chance de Pôle emploi, c'est son personnel. Certes, le service rendu aux usagers et aux entreprises n'est pas complètement à la hauteur des attentes, mais le personnel fait le maximum, compte tenu des moyens limités dont il dispose. Les agents ont le sens du service public et du service rendu à l'usager et permettent à Pôle emploi de fonctionner. Cependant, au cours d'une seule journée, les agents reçoivent des ordres et des contre-ordres, les priorités évoluent continuellement : ils ne savent plus quelles sont leurs missions, comment les effectuer, ce qui entraîne une perte de sens et de compétences. Une telle situation ne peut perdurer. Dans un contexte où les règles ne cessent d'évoluer, nos collègues souffrent de problèmes de santé au travail. Le fonctionnement de Pôle emploi ne peut continuer à se dégrader ainsi.
L'offre de services doit devenir plus stable et lisible, tant sur le plan externe que sur le plan interne. Des priorités doivent être énoncées. Certains chantiers doivent probablement être remis à plus tard. Pour cet établissement de 50 000 personnes, l'enjeu peut bel et bien se définir comme un changement de culture, la rencontre du public et privé. Dans dix ans, nous pourrons peut-être parler de culture commune. Cependant, beaucoup de dégâts auront été faits auparavant. La réflexion relative à l'impact de la fusion sur les conditions de travail et les changements induits pour les personnels doit être placée au coeur du projet. A défaut, Pôle emploi ne fonctionnera pas correctement.
Mme Annie David. - Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour cette première présentation. Nous avons bien entendu les difficultés auxquelles sont confrontés les agents de Pôle emploi, les demandeurs d'emploi et les entreprises. L'an dernier, les syndicats de Pôle emploi avaient été auditionnés par la mission d'information relative au mal-être au travail qui a publié un rapport comportant d'intéressantes propositions, malheureusement pas encore suivies d'effets, ce que je déplore.
Vous avez évoqué la perte de sens à laquelle sont confrontés les personnels de Pôle emploi, qui reçoivent des instructions contradictoires. Au-delà des clivages suscités par les différents métiers, les personnels sont confrontés à certaines situations de précarité et à l'annonce de 1 800 suppressions de postes. Qu'en pensez-vous ? Avez-vous des propositions à formuler pour l'organisation future des sites, afin que les agents puissent retrouver le sens du service rendu aux usagers, quels qu'ils soient ?
Mme Colette Pronost (SNU-FSO). - L'insuffisance des moyens humains a un impact direct sur le service rendu aux usagers qui constitue, pour l'ensemble des organisations syndicales ici présentes, un objectif prioritaire.
A la suppression annoncée de 1 800 postes s'ajoute le non-remplacement des salariés qui partiront prochainement en retraite. Contrairement à certaines affirmations, nous sommes assujettis à la révision générale des politiques publiques (RGPP), ce qui ne suscite guère d'espoir pour les mois à venir. En outre, la crise économique perdure, le taux de chômage augmente. Le gouvernement a mis en place le plan « Rebond pour l'emploi » puis le plan destiné aux chômeurs de longue durée sans allouer de moyens humains supplémentaires. Les locaux ne sont pas adaptés puisque nous assistons à la disparition d'antennes, en dehors de toutes négociations avec les représentants du personnel et les élus locaux. Le projet « Repere » définit de manière globale la mise en place de Pôle emploi et son organisation dans les mois à venir, y compris son organisation territoriale. Or, ce projet est déployé sans aucune discussion préalable. Nous attendons toujours que sa présentation soit effectuée au sein du comité central d'entreprise.
Quant à la perte de sens au travail, celle-ci a fait l'objet d'une alerte immédiate. Les remontées de terrain provenaient de collègues appartenant à des équipes différentes. Le rapport annuel rendu par le Médiateur de la République évoque les dommages collatéraux qui ont été engendrés par certaines réformes précipitées. Des fusions, comme celle de Pôle emploi, sont notamment citées. Selon ce rapport, les agents ont dû, tout en gérant l'accompagnement de 3,5 millions de chômeurs, « absorber et s'approprier en urgence de nouvelles pratiques, sans cadre spécifique et sans accompagnement adapté ». Pour quel résultat ? « Ce sont les usagers qui font les frais de cette absence de pédagogie de la décision et de défaillances managériales et/ou technologiques. Ce sont les agents qui sont injustement stigmatisés ». Ce texte résume l'ensemble du problème, même si des développements s'avèrent nécessaires.
M. Serge Dassault a indiqué, dans son rapport de 2008 sur la fusion ANPE-Assedic, que Pôle emploi devrait recruter plus de 20 000 personnes pour atteindre le ratio de soixante demandeurs d'emploi suivis par un conseiller. De notre point de vue, cette analyse reste pertinente. Pour que nous puissions rendre le meilleur service, nous devons conserver nos compétences et nos missions.
Nous refusons d'ailleurs que le placement se substitue à l'accompagnement, car ces deux termes recouvrent des réalités très différentes. Comme l'a rappelé mon collègue de la CFDT, la première préoccupation des demandeurs d'emploi, lors de leur inscription, porte sur les ressources dont ils disposeront pour nourrir leur famille à la fin du mois. Cette priorité doit être traitée avant toute démarche pour accompagner le demandeur d'emploi. C'est pourquoi nous sommes opposés à l'instauration de l'EID. Nous devons chacun conserver la maîtrise de nos compétences.
En outre, il importe de simplifier les démarches des demandeurs d'emploi et des entreprises, et de recevoir physiquement les usagers. L'instauration de services à distance a constitué une véritable catastrophe. La mise en place des centres d'appels « 39 95 » et « 39 49 » déshumanise complètement la relation aux usagers et fragilisent les collectifs de travail. Comme divers expertises et rapports l'ont montré, cette situation suscite des risques psycho-sociaux majeurs.
M. Serge Dassault, président. - Je vous remercie pour cette intervention. Pour ma part, je suis favorable, sur le principe, à l'augmentation des effectifs de Pôle emploi afin de mieux recevoir des demandeurs d'emploi toujours plus nombreux et de les aider à retrouver le plus rapidement possible du travail. En tant que rapporteur du budget de l'emploi, j'avais notamment demandé une augmentation des crédits en faveur de l'insertion des jeunes, mais je n'ai pas été suivi.
M. Ronan Kerdraon. - Au moment de la fusion, l'objectif affiché consistait à offrir aux demandeurs d'emploi un service plus réactif et plus efficace.
Or cette fusion ressemble à un mariage forcé. Il ne faut donc pas s'étonner que des difficultés apparaissent dans la vie commune. Les constats que vous effectuez apparaissent très différents de la vision idyllique qui a été présentée par M. Christian Charpy lors de son audition. Puisque vous déplorez une perte de sens au sein de Pôle emploi, pouvez-vous préciser quels sont les objectifs réellement affichés ? Quels moyens doivent-ils leur être alloués ?
Par ailleurs, j'ai été surpris de constater, dans le département des Côtes-d'Armor dont je suis l'élu, que Pôle emploi secrète en son sein la précarité de ses agents. Ainsi, après avoir enchaîné sept contrats aidés, une salariée de Pôle emploi a été remerciée. Certaines personnes sont titularisées, tandis que d'autres se voient proposer un emploi d'auxiliaire de vie sociale (AVS) au sein d'un collège.
Enfin, en tant que président d'une mission locale, je souhaiterais savoir quelles relations vous entretenez avec vos partenaires du service public de l'emploi.
M. Fabien Milon (FO). - Une multitude d'exemples pourraient illustrer les incohérences observées à Pôle emploi. D'ores et déjà, nous ne parvenons pas à effectuer correctement nos missions. Bien évidemment, nous y parviendrons encore moins si 1 800 postes disparaissent.
Concernant la formation, nous avons demandé à des volontaires, parmi les agents chargés du placement, de suivre la formation relative à l'indemnisation des chômeurs. Cette formation, étalée sur un trimestre, a été proposée dans plusieurs établissements. Dans la plupart des cas, en dépit du temps et de l'argent investi, aucun tutorat et aucun suivi n'ont été mis en place à l'issue de cette formation et aucun dossier d'indemnisation n'a été confié à ces agents.
L'objectif prioritaire de Pôle emploi semble être la mise en place de l'EID qui relève d'une logique inverse de celle retenue en 1996-1997, lors du transfert de l'inscription des demandeurs d'emploi (IDE) de l'ANPE vers les Assedic. A cette époque, il nous avait été expliqué que ce transfert était logique, les demandeurs d'emploi souhaitant prioritairement être informés sur le montant de leurs allocations. Force Ouvrière, qui s'était opposé au transfert de l'IDE, n'avait pu contrer cet argument.
Aujourd'hui, nous assistons à un retour en arrière : l'EID consiste à inscrire le demandeur d'emploi, à élaborer son projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE) et à examiner la recevabilité de sa demande d'allocations, qui est traitée postérieurement.
M. Rubens Bardaji (CGT). - Au sein de Pôle emploi, on ne parle pas de la suppression de 1 800 postes mais de 1 800 équivalents temps plein (ETP). Cette rationalisation chiffrée déshumanise complètement l'approche de la situation : il ne s'agit plus d'êtres humains mais d'ETP.
Par ailleurs, la première préoccupation d'un demandeur d'emploi concerne bel et bien son indemnisation. Cependant, il faut rappeler qu'actuellement, la moitié des demandeurs d'emploi ne sont pas indemnisés. Nombreux sont les demandeurs d'emploi qui viennent s'inscrire en sachant qu'ils ne toucheront aucune allocation.
Pôle emploi ne crée pas et ne détruit pas d'emploi, sauf en interne et à la marge. Aujourd'hui, le chômage augmente en France parce que les entreprises détruisent plus d'emplois qu'elles n'en créent. Le rôle de Pôle emploi consiste à rapprocher offres et demandes d'emploi.
M. Jean-Charles Steyger (SNU-FSU). - Le projet « Repere » nous inquiète : dans la perspective du regroupement des sites, environ 800 fermetures sont prévues ; le système de pilotage préconisé vise à l'individualisation et au contrôle de la production. Nous sommes désormais désignés comme des « agents de production ».
La loi d'août 2008 relative à la réforme de la représentativité syndicale a créé des incertitudes en interne. Aujourd'hui, cinq syndicats représentatifs au sens de cette loi, ont été invités au Sénat. Cependant, deux autres syndicats ont été oubliés, la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et l'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa), alors qu'ils ont signé l'ensemble des accords sociaux. Mais chacun d'entre eux a recueilli moins de 8 % des voix du personnel.
Selon M. Christian Charpy, Pôle emploi constitue une branche mono-entreprise. Nous sommes donc invités à négocier des conventions collectives nationales relevant d'une branche mono-entreprise, ce qui pose un problème.
Dans le cadre de la réforme des missions locales, nous nous inquiétons des préconisations contenues dans le rapport de l'Igas de juin 2010, relatif à l'emploi des jeunes dans les zones urbaines sensibles. Nous sommes opposés aux 300 suppressions d'emploi prévues dans le budget des missions locales, au niveau central. L'accompagnement des jeunes s'en trouvera encore dégradé. Or, vous le savez bien, il est impossible d'aborder la problématique de l'insertion des jeunes dans la vie professionnelle en se limitant à la seule approche économique : une approche globale, notamment sociale, s'avère éminemment nécessaire. Le public de Pôle emploi s'appauvrit, il reste au chômage plus longtemps, et nous n'avons presque rien à lui proposer.
Mme Jacqueline Panis. - S'agissant des missions locales, il convient de rappeler que certaines municipalités ont signé des conventions avec Pôle emploi. Quels sont, selon vous, les aspects positifs ou négatifs de ces conventions ?
Mme Suzie Petit (CFE-CGC). - Je vais tenter d'apporter une réponse à vos différentes questions.
S'agissant des 1 800 suppressions d'emploi annoncées, bien évidemment, celles-ci sont inopportunes dans le contexte actuel. Pôle emploi contribue ainsi à aggraver la précarité, alors que les agents ne parviennent pas à réaliser l'ensemble de leurs missions. Le recours aux CDD est parfois nécessaire, en cas de départ en congé maternité ou de congé maladie, mais il convient de trouver, en la matière, le juste équilibre.
Quant aux relations de Pôle emploi avec les missions locales, les conventions avec les mairies et les relations avec les entreprises, celles-ci s'effectuent à la marge. La priorité de Pôle emploi est continuellement donnée à l'accueil des demandeurs d'emploi. Si nous voulions travailler sur tous ces chantiers en même temps, nous ne parviendrions à rien.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - Que sont devenus les biens immobiliers des Assedic ? Comment le regroupement des sites des Assedic et de l'ANPE a-t-il été effectué ?
Par ailleurs, dans quelle mesure la suppression de postes chez Pôle emploi peut-elle être mise en relation avec le fait que le recouvrement des cotisations d'assurance chômage ne sera plus assuré par Pôle emploi, mais par les Urssaf ?
S'agissant de la co-traitance instituée entre Pôle emploi et Cap emploi, est-il exact qu'un tiers seulement des demandeurs d'emploi handicapés sont envoyés vers ce réseau ?
Enfin, Mme Christine Lagarde avait affirmé que la création de Pôle emploi devait permettre à chaque agent de suivre seulement soixante demandeurs d'emploi. Quelle est la situation à l'heure actuelle ?
M. Rubens Bardaji (CGT). - En ce qui concerne les implantations de Pôle emploi, les projets de la direction générale visent à passer d'environ 1 800 points d'accueil du public, issus des réseaux opérationnels de l'ANPE et des Assedic, à quelque 700 sites mixtes employant en moyenne soixante-dix agents, voire cent trente agents dans certains sites parisiens. Il s'agit donc d'une diminution très importante du nombre de points d'accueil, appelés à devenir des lieux de traitement à la chaîne des demandeurs d'emploi, plutôt que des lieux de service accueillants.
La CGT considère que la création de Pôle emploi, y compris la refonte du réseau, complique l'accès des usagers aux droits. Dans le système qui se construit, l'accès aux droits se limite à des services bas de gamme, correspondant, chez les salariés de Pôle emploi, à des compétences bas de gamme. L'expertise n'est réservée qu'à 20 % des agents et des usagers. Cette démarche, qui abandonne au bord de la route l'immense majorité des demandeurs d'emploi, est inacceptable.
Dans un tel contexte, Pôle emploi n'a pas besoin de 100 % d'agents hautement qualifiés. La suppression de 1 800 ETP paraît cohérente avec un projet qui renonce à toute exigence en matière d'accès aux droits.
S'agissant des relations de Pôle emploi avec les missions locales et les collectivités territoriales, il me semble significatif que l'on assiste à une tentative, de la part de l'Etat, de transférer vers les collectivités territoriales une partie de ses responsabilités en matière de prise en charge des populations à la recherche d'un emploi. Pôle emploi n'assure pas ce qui devrait être son rôle, c'est-à-dire le service public de l'emploi, en coopération avec les collectivités territoriales.
M. Serge Dassault, président. - Rappelons que les missions locales s'occupent de jeunes de moins de vingt-cinq ans en situation difficile, qui n'ont souvent jamais occupé d'emploi. Pôle emploi s'occupe plutôt de personnes qui ont déjà travaillé et recherchent un nouvel emploi.
M. Fabien Milon (FO). - S'agissant des propriétés immobilières, un contrat a été signé entre l'Unedic et Pôle emploi. Le prix accordé défiait toute concurrence et l'Unedic a été encore une fois pillée.
En raison du transfert du recouvrement aux Urssaf, 1 500 agents de Pôle emploi ne peuvent plus continuer à exercer leur métier. Un accord interne a été signé, en décembre 2008, en vue de leur reclassement. Pôle emploi, qui doit reclasser les demandeurs d'emploi, a du mal à reclasser ses propres salariés, qui vivent des situations psychologiques très difficiles ! Seule une faible part des salariés de l'ex-groupement des Assedic de la région parisienne (Garp), environ trois cents personnes, continuera à assumer des tâches que l'Urssaf ne peut effectuer. Quelque huit cents personnes restent toujours dans l'attente d'un reclassement.
M. Christian Fallet (CFDT). - En ce qui concerne l'Urssaf, je n'exprime pas tout à fait le même point de vue que mon camarade. Bien sûr, la situation est difficile pour des salariés qui voient disparaître leur métier et se retrouvent confrontés à une mutation professionnelle, souvent couplée à une mutation géographique. Il faut travailler à leur reclassement, afin de ne laisser personne au bord du chemin. Rares sont les personnes qui sont dirigées vers la « production », comme la direction le souhaitait. Ce personnel ne peut donc contribuer au désengorgement des agences ni alléger la charge de travail des conseillers chargés du placement.
Concernant l'immobilier, le président de l'Unedic, M. Gaby Bonnand, ne laisse pas si facilement son organisation se faire piller ! Les conventions immobilières avec Pôle emploi doivent servir l'intérêt de chacun. Certes, il a pu être considéré que les biens de l'Unedic pourraient permettre une baisse du montant des loyers. Les confédérations qui seront auditionnées la semaine prochaine pourront vous fournir des éclairages supplémentaires sur cette question.
Quant à l'idée selon laquelle chaque conseiller chez Pôle emploi devrait assurer le suivi de soixante demandeurs d'emploi, elle relève d'une utopie : il serait plus réaliste d'envisager un portefeuille d'une centaine de demandeurs d'emploi par agent. En tout cas, la réduction des portefeuilles constitue une nécessité et le suivi mensuel des demandeurs d'emploi doit être adapté. Pôle emploi semble énoncer des prescriptions, non seulement pour aider les chômeurs à retrouver un emploi, mais aussi pour remplir des statistiques. Or, dans le contexte de la réforme, la recherche continuelle d'économies va à l'encontre de l'objectif essentiel qui consiste à sortir les demandeurs d'emploi du chômage. Il faut se donner les moyens de traiter ce fléau, comme les Français de demandent.
M. Jean-Charles Steyger (SNU-FSU). - S'agissant de l'immobilier, les opérations de préparation de la fusion, mises en oeuvre au cours de l'année 2008, n'ont pas été réalisées en toute transparence. Il me semblerait pertinent qu'un audit de la Cour des comptes soit diligenté sur cette question. A Nantes, l'Unedic vient de faire bâtir des immeubles dont elle loue une partie à Pôle emploi. Un audit a été réalisé, qui a coûté sa place au directeur régional de Bretagne. Le bilan financier du paritarisme, et probablement aussi celui de l'Etat à travers les biens de l'ex-ANPE, est loin d'être clair.
Par ailleurs, l'objectif de soixante demandeurs d'emploi suivis par conseiller ne correspond pas à un objectif avancé par Mme Christine Lagarde, mais relève d'une norme professionnelle, non seulement européenne mais aussi canadienne. Techniquement, pour que l'accompagnement soit efficace, il convient de ne pas dépasser soixante demandeurs d'emploi par agent. Or, un de mes collègues gère seul 423 personnes inscrites, dont 228 personnes relèvent de la catégorie A. Cette surcharge est liée à la mutation d'un autre collègue et au non-remplacement d'un troisième, parti en arrêt maladie.
Les missions locales reçoivent 650 euros par demandeur d'emploi indemnisé par Pôle emploi, afin d'assurer un suivi mensuel en cotraitance. Il en va de même chez Cap emploi. Or M. Christian Charpy a fait le choix, pour réaliser des économies, de diminuer de 20 % l'enveloppe financière destinée à l'accompagnement des personnes handicapées par Cap emploi, ce qui constitue, pour ces publics prioritaires, un véritable scandale. Au-delà de l'agitation présidentielle autour de la création de Pôle emploi, telle est la réalité de cette gestion.
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - Pour compléter cette audition, je vous propose de nous adresser des contributions écrites relatives à des cas concrets de dysfonctionnements. Nous en avons d'ailleurs déjà reçues dans nos départements. Au-delà de la tonalité générale de vos interventions, des dossiers précis ont été évoqués, à propos desquels notre interrogation se prolongera lors des déplacements que nous effectuerons sur le terrain. Aujourd'hui, les relations des entreprises avec Pôle emploi ont à peine été évoquées, et particulièrement le pourcentage des offres d'emploi qu'elles mettent à sa disposition, qui n'atteint, semble-t-il, que 20 % en moyenne. De même, le rapport qu'entretient Pôle emploi avec ses différents partenaires, comme les collectivités locales, a été peu abordé. Nous sommes donc preneurs de vos analyses complémentaires.
M. Serge Dassault, président. - Pour ma part, je conclus que vous manquez de financement, de personnel et de moyens matériels pour travailler dans des conditions correctes. On peut cependant se demander si la situation était réellement plus favorable avant la fusion. Je vous remercie d'avoir participé à cette table ronde. Je vous remercie également pour le travail que vous effectuez au quotidien, dans des conditions difficiles.
Audition de M. Dominique-Jean Chertier, président du conseil d'administration de Pôle emploi
M. Serge Dassault, président. - Monsieur le président, je vous remercie pour votre présence. Nous souhaitons connaître votre point de vue sur la manière dont s'est opérée la fusion, sur le fonctionnement de Pôle emploi et sur les partenariats noués avec les autres acteurs du service public de l'emploi.
M. Dominique-Jean Chertier. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion d'exprimer mon point de vue au sujet de Pôle emploi.
Je vous propose tout d'abord de replacer la création de cette institution dans une perspective historique. En 1958, l'assurance chômage a été créée, avec le réseau des Assedic et l'Unedic pour piloter l'ensemble. En 1967, l'ANPE voit le jour. A la différence d'autres pays, la France comporte donc, dès l'origine, deux institutions de nature différente, relevant de droits différents. En 2007, les pouvoirs publics décident du principe de leur fusion. La loi du 13 février 2008 organise la création de Pôle emploi. La mise en place de cette nouvelle institution débute, en mai 2008, par la création d'une instance nationale provisoire qui préfigure le conseil d'administration de Pôle emploi. Parallèlement, les deux institutions continuent à fonctionner. La création effective de Pôle emploi a lieu à la fin de l'année 2008. Bizarrement, la convention tripartite régissant les rapports entre Pôle emploi, l'Unedic et l'Etat est signée postérieurement, le 2 avril 2009. Elle a, en tout cas, été négociée avant la crise.
Cette fusion ayant eu lieu, une question se pose. Aurait-on pu agir différemment ? La réponse est probablement positive. Le statu quo aurait pu être conservé et la séparation entre le réseau des Assedic et celui de l'ANPE aurait pu perdurer.
Cependant, d'ores et déjà, des rapprochements avaient été opérés. Dans les années 1990, l'inscription des demandeurs d'emploi (IDE) a été transférée de l'ANPE au réseau des Assedic. La logique d'un tel transfert paraissait claire, puisque la première préoccupation d'une personne ayant perdu son emploi est de connaître le montant de son allocation. La frontière est devenue plus poreuse quand l'Unedic et les Assedic ont commencé à s'occuper, même de façon marginale, de placement. Des réseaux privés se sont vus confier ce type de mission, à titre expérimental.
La confusion a été portée à son comble quand le réseau des Assedic s'est mis à effectuer du profilage, c'est-à-dire à évaluer la difficulté, pour un chômeur, de retrouver un emploi. Il n'était pas rare, quand un demandeur d'emploi allait s'inscrire et effectuer ses démarches d'indemnisation à l'Assedic, que ce profilage lui soit proposé. Or l'opération recommençait à l'ANPE. Une clarification est apparue nécessaire pour éviter ces redondances.
Une autre attitude, plus « libérale », aurait pu consister à confier au réseau des Assedic l'inscription et l'indemnisation et à déléguer le placement à un opérateur public ou à des opérateurs privés, selon le choix des intéressés. Ce système existe dans d'autres Etats : en Californie, les demandeurs d'emploi effectuent eux-mêmes des démarches auprès d'un organisme privé ou semi-étatique, avant d'en rendre compte à l'organisme chargé de leur indemnisation. Cette option n'a pas été retenue, en France.
L'unification des réseaux, au sein d'une institution qui emploie 50 000 personnes, est loin d'être simple. Il faut constituer l'organigramme, bâtir le premier budget alors que chaque institution, jusqu'à présent, bâtissait son budget de manière différente. En outre, il convient d'uniformiser des réseaux informatiques particulièrement lourds. Il faut également négocier le statut des personnels. Les anciens agents de l'ANPE se sont vus proposer le choix entre le maintien de leur statut public et l'adoption d'un statut de droit privé inspiré de celui appliqué aux Assedic. Les anciens agents des Assedic sont couverts par la nouvelle convention collective qui a été négociée, de même que les nouveaux embauchés. Au total, un nombre très important d'agents de l'ex-ANPE ont opté pour la convention collective.
Par ailleurs, le conseil d'administration s'est mis en place : il rassemble des représentants de l'Etat, du patronat, des syndicats, un représentant des collectivités territoriales et deux personnalités qualifiées, dont je fais partie.
Dans chaque région, une instance paritaire réunit les partenaires sociaux. Elle favorise les échanges sur la situation régionale de l'emploi. Elle permet aussi de porter une appréciation sur le fonctionnement local de Pôle emploi et de traiter les dossiers contentieux qui ne sont pas gérés par les directions de Pôle emploi, par exemple des admissions en non-valeur ou le règlement des indus. La mise en place de ces instances paritaires régionales s'est avérée complexe. Les difficultés ont essentiellement résulté des débats internes au monde patronal. Une organisation patronale ayant considéré que j'avais agi brutalement, l'affaire a même été portée devant le Conseil d'Etat. Mon souci était cependant de mettre en place ces instances, dont la création avait été décidée par le législateur, et de faire en sorte que les dossiers contentieux soient traités.
Par ailleurs, il a été procédé à une simplification de l'accès aux services. Des numéros d'appel uniques, tant pour les demandeurs d'emploi que pour les employeurs, ont été institués. Tous les mois, les taux de réponse et les délais de réponse font l'objet d'un suivi.
Pour des raisons immobilières, il n'a pas été facile de regrouper les personnels au sein de sites uniques. Proposer des locaux centralisés, y compris au sein d'une même ville, est une affaire complexe. Cependant, dans la plupart des cas, le demandeur d'emploi ou l'employeur disposent d'un point d'accueil unique, même si certains usagers doivent encore se rendre en deux sites différents. A ce titre, en octobre 2010, les pouvoirs publics ont réalisé une enquête auprès de 100 000 personnes, notamment auprès de demandeurs d'emploi qui avaient déjà été au chômage auparavant. Selon cette enquête, les deux tiers des personnes interrogées considèrent que le traitement de l'ensemble des formalités en un seul lieu constitue une avancée sensible.
L'amplitude des horaires de travail a fait l'objet d'une uniformisation. Désormais, l'ensemble des bureaux sont ouverts au public trente-cinq heures par semaine. Par ailleurs, les entretiens redondants ont été supprimés, pour éviter aux demandeurs d'emploi d'avoir à répondre aux mêmes questions ou à effectuer plusieurs fois les mêmes formalités.
S'agissant de l'offre de services, l'amélioration a consisté à définir trois niveaux de suivi : un parcours d'appui est proposé aux demandeurs d'emploi les plus autonomes ; un accompagnement, à ceux qui sont plus éloignés de l'emploi ; enfin, certains demandeurs d'emploi se lancent dans l'aventure de la création d'entreprise.
Désormais, tous les demandeurs d'emploi, quelle que soit leur indemnisation, sont reçus de la même façon. Aucun service privilégié n'est réservé à un demandeur d'emploi au motif que son indemnisation est supérieure. Cette évolution constitue, depuis la création de Pôle emploi, une avancée essentielle.
Néanmoins, la création de Pôle emploi s'est élaborée dans un contexte de fortes contraintes, à la fois conjoncturelles et structurelles. Alors que cette institution a été officiellement créée au début de l'année 2009, elle a dû accueillir, chaque jour, dès le mois de janvier, 3 000 demandeurs d'emploi supplémentaires. Il est devenu plus difficile, en pleine crise, de leur proposer des débouchés : les employeurs se montraient plus préoccupés de sauver leur entreprise que de créer des emplois. L'orientation que le conseil d'administration a donnée à la direction générale a consisté à concentrer les missions de Pôle emploi sur les tâches d'inscription et d'indemnisation. Ayant vécu la crise de 1992-1994, à la tête de l'Unedic, je gardais le souvenir des difficultés rencontrées par les demandeurs d'emploi lorsque l'indemnisation leur parvenait tardivement dans le mois. Pôle emploi a fait le nécessaire : les retards de paiement sont restés très limités et le nombre de dossiers en instance n'a jamais représenté plus de deux jours de traitement.
Cependant, l'image de Pôle emploi a pâti de ce contexte de crise. Lorsque les offres d'emplois sont rares et que les personnes inscrites affluent aux guichets, ces personnes repartent persuadées que Pôle emploi ne propose aucun débouché. En outre, lorsque les personnels consacrent tous leurs efforts à l'inscription et à l'indemnisation, qui constituent deux missions fondamentales, le temps manque pour prospecter les entreprises et trouver des offres d'emploi.
Dans le cadre du plan de relance lancé par le pouvoir exécutif, des aides variées ont été mises en place, ajoutant au travail quotidien des agents. Cette situation n'a d'ailleurs pas changé, alors même qu'une sortie de crise s'amorce. Les pouvoirs publics se préoccupent, à juste titre, du chômage de longue durée. En effet, comme au début des années 1990, la reprise bénéficie d'abord aux jeunes et aux personnes qui ont perdu leur emploi récemment. Pour les autres publics, le chômage de longue durée risque de perdurer, accentuant les situations d'exclusion. Lorsque les pouvoirs publics mettent l'accent sur l'accueil de quelque 800 000 personnes, le rythme habituel du travail des agents s'en trouve bouleversé.
D'autres contraintes, récurrentes, portent sur les moyens dont Pôle emploi dispose. Les représentants du personnel, bien légitimement, insistent sur cette question. Il convient de trouver un équilibre entre les contraintes budgétaires de l'Etat et le point de vue des partenaires sociaux. Il convient également, lorsque l'on assume les responsabilités de président du conseil d'administration, de favoriser les gains d'efficacité en supprimant les redondances et en revisitant les procédures : l'objectif consiste à dégager, à moyens constants, des possibilités opérationnelles plus importantes. Or l'Etat annonce parfois les réductions budgétaires de façon inopinée, ce qui, au sein d'un conseil d'administration, soulève de l'irritation.
D'autres contraintes sont liées aux métiers. Nous avions pensé, peut-être benoîtement, que le mariage des métiers au sein de Pôle emploi serait facile. Or, nous constatons que l'inscription et l'indemnisation d'un côté, et le placement de l'autre, restent deux métiers de nature différente. Certains agents peuvent se montrer polyvalents mais d'autres n'y parviennent pas. Il est donc préférable que les personnes travaillent en binôme, plutôt que de les contraindre à exercer ces deux métiers.
Pôle emploi doit désormais travailler sur plusieurs objectifs.
Premièrement, l'offre de services doit tenir compte non du niveau de l'indemnisation du demandeur d'emploi mais de sa distance à l'emploi, qui peut nécessiter un accompagnement renforcé. Une segmentation des services doit être recherchée en fonction des différents publics.
Deuxièmement, Pôle emploi doit retravailler ses relations avec les autres acteurs de l'emploi. Lors de la fusion entre les deux institutions, une phase de forte centralisation s'est avérée inévitable. Cependant, Pôle emploi n'a pas de vocation « impérialiste », d'autant que cette conception serait particulièrement inefficace. Sur le terrain, il existe une multiplicité d'acteurs dans les domaines de la formation, du placement, ou encore de l'orientation des jeunes. Le rapport présenté au conseil d'administration par Mme Rose-Marie Van Lerberghe, ancienne déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, insiste sur ce point.
Troisièmement, en termes de gouvernance, il conviendra de retravailler la place respective des partenaires sociaux et de l'Etat. Dans les prochains jours, je présenterai des propositions aux ministres du travail et du budget.
En conclusion, Pôle emploi est une institution qui a fortement souffert. Comment en serait-il autrement, alors que sa mise en place s'est effectuée dans le contexte d'une crise survenue avec une telle rapidité ? Certes, la destruction des emplois, proportionnellement à l'emploi salarié global, s'est avérée moindre que lors des crises précédentes. Néanmoins, elle s'est manifestée de façon particulièrement violente, touchant des populations déjà fragilisées, essentiellement les intérimaires et les titulaires de CDD. L'institution en a supporté le contrecoup, en tentant de remplir au mieux ses obligations.
L'emploi constitue une problématique de terrain. Dans le cadre de la décentralisation, il existe des spécificités propres aux régions, de la Franche-Comté à la Bretagne ou au Nord-Pas-de Calais. Pôle emploi doit donc s'attacher maintenant à travailler de manière beaucoup plus décentralisée.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. - Concernant l'implantation géographique des agences, quels sont les objectifs du conseil d'administration ? Dans mon département, certains points d'accueil sont appelés à disparaître. Les agents, mais aussi les élus sont inquiets.
S'agissant de l'organisation du travail, les syndicats soulignent qu'ils ne savent pas où ils vont, ignorant quels postes seront supprimés. Le recours aux CDD, qui a été décidé lors de la crise, est désormais freiné. Les objectifs, en termes de service rendu, vont-ils être élargis pour aller au-delà de la seule indemnisation ?
Enfin, comment voyez-vous évoluer les relations avec les cotraitants de Pôle emploi, comme les missions locales ou Cap emploi ?
Mme Annie David. - En complément à ces questions, pouvez-vous nous apporter des précisions sur le statut juridique de Pôle emploi ? Les personnels ont du mal à déterminer si les contentieux doivent être traités par le tribunal de grande instance ou le tribunal administratif.
Par ailleurs, les organisations syndicales mettent l'accent sur la perte du sens que ressentent les agents dans leur métier, par rapport à la mission de service public assumée auprès des usagers, qu'il s'agisse des demandeurs d'emploi ou des entreprises. Les métiers s'avérant différents, ne conviendrait-il pas de favoriser le travail en binôme qui commence à se mettre en place ?
S'agissant du placement, celui-ci va de pair avec le lien qu'il est nécessaire d'entretenir avec les entreprises. Or ce lien n'apparaît pas suffisamment étroit.
Pourriez-vous également préciser dans quels domaines des redondances ont été constatées entre les ex-Assedic et l'ex-ANPE ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Vous avez décrit le contexte de crise dans lequel le travail des agents s'est effectué, qui les a conduits à se concentrer sur les tâches d'inscription et d'indemnisation. Je voudrais évoquer le contrôle des demandeurs d'emploi, ainsi que les radiations. Parmi maints exemples, je citerai le cas d'une mère seule, en situation de chômage de longue durée. Etant souffrante, et ne pouvant se rendre à son entretien mensuel personnalisé, cette femme a joint une conseillère de Pôle emploi : celle-ci lui a demandé de justifier son absence à l'entretien et ses recherches d'emploi par mail. Or quelques jours plus tard, une radiation lui a été notifiée, la privant de son indemnisation. Ayant effectué un recours, cette femme s'est vue répondre que, selon la jurisprudence administrative, un certificat médical était requis, qu'elle n'avait pas produit. Or ce document ne lui avait pas été demandé par la conseillère de Pôle emploi. Ce dysfonctionnement n'a fait qu'aggraver sa situation de précarité. Je pourrais citer d'autres cas, tout aussi terribles. L'un des objectifs du contrôle des demandeurs d'emploi consiste probablement à les radier des statistiques.
M. Ronan Kerdraon. - Monsieur le président, vous venez d'énoncer, pour Pôle emploi, des objectifs que les syndicats n'ont pas forcément perçus, ce qui résulte peut-être de la méthode mise en place. En effet, tout comme la crise de 2008-2009, la fusion a été menée de façon très rapide et particulièrement violente pour les salariés. Aujourd'hui, cet élément pèse lourd dans le dialogue social et sur les usagers. Une réflexion est-elle engagée à ce sujet ? Comment rendre la démarche de Pôle emploi plus compréhensible et mieux partagée ?
Par ailleurs, Pôle emploi n'est pas épargné par la révision générale des politiques publiques (RGPP). Des suppressions de postes sont prévues. Dans mon département, Pôle emploi a longtemps employé des personnes en CDD, dont le contrat était périodiquement renouvelé. Ainsi, des salariés se sont vus renouveler sept fois leur contrat en huit ans. Dans le secteur privé, voire dans certaines institutions publiques, leur titularisation aurait été obligatoire. Or Pôle emploi les a renvoyés sur le marché du travail. Humainement, cette situation est-elle acceptable ? Pôle emploi se devrait de faire preuve d'une éthique en la matière.
M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - Dans mon département, le plan local d'insertion est pratiquement inexistant. De toute évidence, il n'existe pas d'articulation suffisante entre Pôle emploi et le secteur de l'insertion par l'économique, depuis les chantiers d'insertion jusqu'aux régies de quartier. Si cette institution ne sait pas aborder cette problématique, la précarité de tels publics ne peut qu'empirer.
Concernant l'offre de services, une distinction est aujourd'hui opérée entre deux catégories de demandeurs d'emploi, si je mets de côté le cas de la création d'entreprise. Cette organisation de l'offre de services est-elle pertinente ? Comment envisagez-vous le travail avec les autres acteurs de terrain ?
Enfin, s'agissant de la gouvernance, les organisations syndicales que nous venons d'interroger évoquent une situation d'opacité, l'absence de dialogue interne. Ils expriment une demande de transparence au sein de Pôle emploi.
M. Serge Dassault, président. - Certains syndicats ajoutent que la situation était plus favorable avant la fusion. Le passage du droit public au droit privé semble poser des problèmes. De toute évidence, Pôle emploi manque de personnel et le budget consacré à la formation reste insuffisant. Des problèmes de locaux se posent également. J'avais demandé une augmentation des crédits en faveur de l'insertion des jeunes mais je n'ai pas été suivi.
M. Dominique-Jean Chertier. - Tout d'abord, s'agissant du régime juridique, il existe deux sources normatives principales, la loi et la convention d'assurance chômage. Le médiateur, dans son dernier rapport, a évoqué cette difficulté. Les contentieux sont tantôt orientés vers les tribunaux administratifs, tantôt vers les tribunaux civils. Je ne suis pas sûr cependant que cette difficulté puisse être résolue à court terme car les partenaires sociaux sont attachés à leurs prérogatives en matière d'assurance chômage.
S'agissant des redondances entre les ex-Assedic et l'ex-ANPE, l'une d'elles portait sur le profilage, comme je l'ai indiqué. Cette démarche, mise en oeuvre par l'Assedic, était souvent reconduite à l'ANPE.
En ce qui concerne l'implantation régionale de Pôle emploi, j'avais demandé à Mme Bernadette Malgorn, lorsqu'elle siégeait au sein de l'instance nationale provisoire, de réaliser un rapport sur cette question. J'ai souhaité que les instances paritaires régionales, qui connaissent bien le terrain, jouent un rôle important dans ce domaine. Globalement, les points d'accueil seront moins nombreux. Cependant, certaines antennes de l'ANPE et des Assedic se trouvaient auparavant très proches, ce qui justifie une fusion des locaux. Au total, nous veillons à ce que la distance entre un demandeur d'emploi et une agence ne soit pas excessive.
En ce qui concerne l'organisation du travail, je rappelle que je suis président d'un conseil d'administration et non directeur général. Je n'ai donc pas à interférer sur des questions comme la gestion des relations avec les partenaires sociaux en interne, ce qui paraîtrait d'autant plus maladroit que siègent au conseil d'administration les représentants des organisations syndicales.
S'agissant des effectifs, d'importants débats ont lieu et des études sont en cours. Il convient de relativiser la comparaison avec d'autres pays. En outre, les psychologues de l'Afpa et les personnels anciennement chargés du recouvrement au sein des Assedic constituent des apports supplémentaires. En ce qui concerne les CDD, la situation ancienne qui a été évoquée concerne l'ex-ANPE.
La question de la « culture d'entreprise » de Pôle emploi reste difficile. Celle-ci ne se mettra pas en place du jour au lendemain. Dans certains cas, une personne peut assumer deux métiers, quand la pression ne s'avère pas trop forte. Par ailleurs, je crois beaucoup à la notion de collectif de travail. Face à un demandeur d'emploi, des agents peuvent constituer un binôme.
La situation était-elle meilleure auparavant ? J'ai vécu de nombreuses situations de fusion au sein de différentes entreprises, chez Usinor-Sacilor ou Air France, et je sais que les salariés conservent longtemps le souvenir de leur ancienne maison. L'enjeu consiste à dépasser cette nostalgie, sans la gommer pour autant, en se projetant vers des objectifs positifs.
La décentralisation et la territorialisation constituent une ouverture vers la sous-traitance ou la co-traitance. La capacité à travailler ensemble, sur la base d'un cahier des charges, et à apprécier le service rendu par tel ou tel partenaire paraît indispensable. Cependant, pourquoi confie-t-on à la sous-traitance les chômeurs qui vivent les plus grandes difficultés ? On peut se poser la question. Quoiqu'il en soit, plus la régionalisation sera effective, plus les personnels de Pôle emploi seront impliqués dans la démarche.
Quand une institution est périodiquement attaquée de l'extérieur, ces attaques peuvent susciter des phénomènes de repli. Je me souviens de personnes, lorsque j'exerçais des fonctions aux Assedic, qui avaient tendance à dissimuler leur profession et qui, par la suite, en sont devenues fières. Encore faut-il que la collectivité reconnaisse leur apport. Certes, il existe des cas douloureux : la réglementation s'applique globalement et ne tient pas toujours compte des spécificités de chacun.
Le médiateur national apporte son soutien aux médiateurs qui exercent dans l'ensemble des régions. Il ne faut pas hésiter à saisir ces instances. Souvent, dans le contexte d'une réglementation complexe et changeante, les agents ont peur de prendre des décisions qui pourraient faire jurisprudence.
En ce qui concerne les radiations, je tente de les suivre en termes de statistiques et de déceler d'éventuelles évolutions. Mois par mois, des variations peuvent être constatées. Cependant, depuis l'époque où j'exerçais des fonctions au sein de l'Unedic, c'est-à-dire depuis 1992, je n'ai pas assisté à des évolutions majeures, ni à l'injonction d'un gouvernement pour opérer des radiations massives. D'ailleurs, même si des pressions de cette sorte s'exerçaient sur les agents, ils ne s'y plieraient pas facilement. On ne vient pas travailler par hasard à Pôle emploi, pas plus que dans les hôpitaux, il faut posséder une fibre sociale. Même si des réactions de saturation s'expriment, les agents sont très sensibles aux difficultés des publics qu'ils côtoient.
Du travail collectif reste à effectuer. Après la phase de mise en place et la crise que nous avons traversée, il convient de définir une nouvelle étape, et de trouver un nouveau souffle. Pôle emploi est une institution encore jeune. La pire situation consisterait en un repli sur elle-même, dans un déni de la réalité. A l'inverse, un excès de critiques infondées constituerait l'autre écueil.
En France, le taux de chômage peine depuis longtemps à descendre en-dessous de 8 % de la population active. Chez les jeunes, il atteint 25 %. Chaque année, six millions de personnes passent par Pôle emploi. Cette institution rend de grands services. La communauté nationale doit l'inciter à mieux faire sans lui imputer toutes les difficultés d'ordre économique que le pays rencontre. Les agents exercent un métier difficile. Ils n'ont pas forcément de réponse à fournir aux personnes à la recherche d'un emploi, alors que cette problématique constitue la préoccupation majeure des Français.
M. Serge Dassault, président. - Je vous remercie, monsieur le président, et je vous propose, en septembre-octobre, de préciser vos besoins budgétaires pour 2012, afin que vous puissiez travailler dans de meilleures conditions, dans l'objectif primordial de réduire le nombre de demandeurs d'emploi.