- Mardi 22 mars 2011
- Mercredi 23 mars 2011
- Contrôle budgétaire des conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse de Paris et Lyon - Communication
- Participation des entreprises au financement de l'action publique locale et péréquation des ressources fiscales - Examen du rapport
- Gestion du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) - Audition de MM. François Deluga, président du CNFPT, Jean-Marie Bertrand, rapporteur général de la Cour des comptes, et de représentants des associations d'élus locaux
- Contrôle budgétaire des grands projets d'usine de traitement du nickel en Nouvelle-Calédonie - Communication
Mardi 22 mars 2011
- Présidence commune de MM. Jean Arthuis, président de la commission des finances, Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire -Audition de M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes, et débat préalable au Conseil européen
La commission procède, conjointement avec la commission des affaires européennes et la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, à l'audition de M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes, dans le cadre du débat préalable au Conseil européen des 24 et 25 mars 2011.
Le compte rendu de cette réunion figure à l'adresse suivante :
www.senat.fr/seances/s201103/s20110322/s20110322006.html#Annexe
Mercredi 23 mars 2011
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -Contrôle budgétaire des conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse de Paris et Lyon - Communication
Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission entend tout d'abord une communication de M. Yann Gaillard, rapporteur spécial, sur les conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse de Paris et Lyon.
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Ce rapport arrive assez tard car nous avons rendu visite aux conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse (CNSMD) en 2010 et nous en avons déjà parlé lors de la discussion budgétaire. Le nombre de nos observations est assez réduit : il s'agit de deux belles institutions qui remplissent bien leur rôle et nous n'avons noté aucun dysfonctionnement grave qui nécessiterait la publication d'un rapport d'information.
Ces deux conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse constituent le sommet de la pyramide de l'enseignement musical et chorégraphique en France. A Paris, il y a 1 200 étudiants pour un budget annuel de 30 millions d'euros. A Lyon, 600 étudiants et un budget de 14 millions. La dépense par étudiant avoisine 23 000 euros par an dans les deux établissements. On entre dans les conservatoires après avoir passé un concours difficile car ces établissements ont vocation à former des professionnels d'élite qui sont amenés à évoluer dans les meilleures formations de France et du monde.
Nos déplacements nous ont permis de prendre la mesure du très haut niveau des formations dispensées par les CNSMD, qui les classe parmi les meilleurs établissements au niveau international. Ceci est dû aux grandes qualités du corps enseignant et des personnels administratifs et techniques. Je garde un souvenir très vif de notre visite au conservatoire de Lyon où nous avons organisé une sorte de table ronde avec les membres du corps enseignant. Nous nous sommes trouvés devant des gens passionnés, notamment une ancienne chanteuse lyrique, qui se consacrait à son métier d'enseignante avec un dévouement et une passion communicatifs. De telles rencontres sont rares et précieuses.
Pourquoi deux établissements ? Ils sont bien différents. Le conservatoire de Paris fut créé en 1793, il est le dépositaire d'une tradition séculaire et jouit de son positionnement géographique central. Celui de Lyon date de 1980 : il est l'héritier de la politique de décentralisation culturelle et du plan de Marcel Landowski. Il a joué la carte de l'innovation pédagogique et de son positionnement transfrontalier.
Si ces différences peuvent être vues comme autant d'atouts, plusieurs interlocuteurs auditionnés par mes soins ont souligné que les conservatoires s'étaient longtemps ignorés, voire concurrencés. Si des échanges commencent à se nouer, je considère que la tutelle pourrait susciter une réflexion plus approfondie sur les coordinations à opérer, sur les spécialisations à définir pour certaines disciplines à public très restreint, ou sur les économies d'échelle à trouver entre deux établissements dont les prestations et les besoins sont, somme toute, très similaires. Cette réflexion me paraît d'autant plus importante que la raréfaction des moyens publics dévolus aux opérateurs ne me semble pas durablement compatible avec la stratégie de « croissance » longtemps poursuivie par le CNSMD de Lyon pour asseoir sa légitimité face à son homologue parisien.
La question de l'articulation entre les CNSMD se double de celle de leur place au sommet de la hiérarchie de l'enseignement artistique. Sur cet aspect, il convient d'associer très étroitement ces établissements aux travaux en cours sur l'émergence de pôles d'enseignement culturel, notamment sur la question de leur éventuelle spécialisation sur les grades de master et de doctorat. Cette hypothèse, qui se défend du point de vue de la rationalisation de la carte des enseignements, ne laisse manifestement pas indifférents plusieurs responsables pédagogiques que j'ai rencontrés, qui redoutent une baisse du niveau des impétrants.
La situation financière des établissements est tendue mais tenable, et il convient de saluer l'effort accompli pour réussir la transition vers le nouveau cursus licence - master - doctorat (LMD) à moyens et effectifs constants. On note que Paris dégage une capacité d'autofinancement supérieure à celle de Lyon : 2 millions en 2009 contre 322 000 euros pour Lyon, qui lui permet de couvrir lui-même la majeure partie de ses investissements.
Comme les autres opérateurs de l'État, les conservatoires subissent aujourd'hui une mise sous tension de leur budget, après une croissance des dépenses de 7 % entre 2006 et 2010. Elle doit être vécue comme une incitation, pour ces établissements, à développer leurs ressources propres, dans les limites que leur assigne leur vocation pédagogique. Ainsi, s'il y a probablement peu à attendre du développement de recettes de billetterie ou d'une éventuelle production éditoriale, qui ne ressortissent pas au coeur de métier des conservatoires, je suggère que leur soit laissée une plus grande liberté tarifaire et que soit encouragée la recherche de mécénats. Il apparaît que les frais de scolarité y sont sensiblement moins élevés que chez leurs homologues étrangers, ce qui devrait inciter à mener une réflexion sur leur modulation, par exemple en fonction des ressources des familles. Par ailleurs, la mobilisation des ressources propres pourrait faire l'objet d'objectifs et d'indicateurs de performance spécifiques.
S'agissant des charges, je recommande que la tutelle soit extrêmement vigilante aux conséquences, pour les CNSMD, de l'adoption d'une nouvelle grille de rémunération des personnels contractuels du ministère. Les responsables de ces deux institutions nous ont fait savoir qu'ils craignaient qu'une extension de cette grille aux agents contractuels des opérateurs n'alourdisse leurs charges, dans des proportions incompatibles avec les efforts de maîtrise budgétaire qui leur sont demandés.
La gestion des personnels pourrait être améliorée, notamment à Paris, dont le management est obéré par la coexistence d'agents dépendants du conservatoire et de 106 agents directement rémunérés sur le titre 2 du ministère, soit une masse salariale de 5 millions d'euros. Nous avions déjà rencontré cette situation dans le cas du Centre des monuments nationaux : il n'est pas bon d'avoir au sein d'un même établissement des agents qui dépendent de plusieurs employeurs. Une délégation des actes de gestion de ces personnels assortie d'un transfert de la masse salariale correspondante devraient donc être mis à l'étude, afin de lever les obstacles actuels.
S'agissant des moyens matériels mis à la disposition des établissements, les conservatoires se sentent, globalement, à l'étroit dans leurs locaux. Ce constat est d'autant plus regrettable à Paris que le bâtiment qui accueille l'établissement comprend de nombreuses malfaçons et occupe une emprise totale considérable, mais dont le potentiel d'utilisation se trouve singulièrement réduit par la taille des espaces de circulation progressivement transformés en stockages de fortune, notamment pour les instruments de musique. Lyon connaît les mêmes problèmes de place, doublés d'une obsolescence inquiétante de son parc instrumental récemment relevée par l'Inspection générale des affaires culturelles. Sous réserve que la gestion et l'entretien de ce parc soient significativement améliorés, une subvention exceptionnelle apparaît nécessaire afin de remettre les matériels à niveau, à gager par la réduction d'autres crédits de la mission « Culture ».
J'appelle enfin votre attention sur l'évaluation de la performance au sein des CNSMD et sur leur inscription dans la documentation budgétaire. Les réponses au questionnaire qui m'ont été adressées montrent que le suivi de la performance, grâce à un rapport annuel d'activité rapportant régulièrement les résultats aux objectifs et aux indicateurs, n'est correctement assuré qu'au conservatoire de Paris. Lyon semble en effet éprouver des difficultés à produire une pareille documentation et doit donc s'en donner les moyens à brève échéance.
De plus, la vocation première de ces établissements étant la formation d'artistes de haut niveau, l'indicateur pertinent de leur activité réside dans l'insertion professionnelle des jeunes diplômés. Si cette insertion fait l'objet d'un suivi, celui-ci demeure relativement rudimentaire et les conservatoires doivent s'employer à le perfectionner, le cas échéant avec l'aide des services du ministère. L'indicateur relatif au coût par étudiant comparé aux autres établissements de même niveau dans le monde doit être amélioré, car nous ne disposons encore que de données très lacunaires. Plus formellement, je constate que le rattachement des CNSMD au programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » répond à une logique plus thématique que fonctionnelle, l'ensemble des responsables rencontrés reconnaissant volontiers avoir davantage de contacts avec le directeur général de la création artistique, responsable du programme 131 « Création », qu'avec le secrétariat général du ministère.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler et que, sous réserve de votre accord, je me propose de notifier au ministre de la culture et aux directeurs des deux conservatoires.
M. Jean Arthuis, président. - Je remercie M. Gaillard pour cette communication qui rend compte du travail de contrôle qu'il a diligenté auprès des conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse de Paris et de Lyon. La passion et le talent semblent au coeur de ces conservatoires. Ceci n'exclut pas quelques ajustements en matière de gestion et de recherche de ressources propres. Il conviendrait également de mettre un terme à ces mises à disposition par le ministère, afin de respecter la lettre et l'esprit de la Lolf. Enfin, il faudra s'attacher à des indicateurs de performance pour vérifier que tous ces jeunes talents entrent dans la vie professionnelle dans des conditions satisfaisantes.
M. Philippe Dallier. - Vous avez dit que le coût des élèves était de 23 000 euros. Cette estimation tient-elle compte des 5 millions versés par le ministère de la culture aux personnels détachés ?
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Les ordres de grandeur sont relativement comparables, que l'on se fonde sur l'ensemble des dépenses ou sur le seul effort de l'Etat, c'est-à-dire la subvention de fonctionnement et le titre 2.
M. Philippe Dallier. - La notion d'autofinancement de ces établissements a-t-elle un sens ?
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - C'est une notion traditionnellement utilisée pour les établissements publics administratifs.
M. Jean Arthuis, président. - Il s'agit de deux établissements publics et ils sont tenus à une comptabilité patrimoniale et à des comptes de résultat. Les étudiants qui sortent des deux conservatoires ont-ils une carrière qui leur permette d'en vivre ?
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Tout à fait.
M. Jean-Pierre Fourcade. - A l'heure actuelle, le ministère de la culture met en place avec des conservatoires à rayonnement régional des diplômes d'enseignement supérieur. J'ai moi-même signé un accord entre le conservatoire de Boulogne et un conservatoire de Paris pour créer une sorte de master musical. Les deux conservatoires supérieurs sont-ils associés à cette évolution ?
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Ils sont effectivement partie prenante.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Il s'agit donc bien de masters spécifiques réservés à quelques conservatoires à rayonnement régional.
M. Jean Arthuis, président. - Les observations de notre rapporteur spécial pourraient être utilement transmises à M. le ministre de la culture pour l'aider à parfaire sa politique en matière musicale et chorégraphique.
Mme Marie-France Beaufils. - Je ne crois pas du tout au mécénat pour ces deux conservatoires.
M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - On peut toujours le souhaiter.
M. Jean Arthuis, président. - Si vous n'accroissez pas trop la fiscalité sur les entreprises, le mécénat ne peut être exclu !
Participation des entreprises au financement de l'action publique locale et péréquation des ressources fiscales - Examen du rapport
Puis la commission procède à l'examen du rapport de M. Charles Guené, rapporteur, sur la proposition de loi n° 305 (2010-2011) de Mme Marie-France Beaufils et des membres du groupe CRC-SPG, tendant à assurer la juste participation des entreprises au financement de l'action publique locale et à renforcer la péréquation des ressources fiscales.
M. Charles Guené, rapporteur. - La proposition de loi tendant à assurer la juste participation des entreprises au financement de l'action publique locale et à renforcer la péréquation des ressources fiscales, qui sera discutée en séance publique le 30 mars, émane du groupe CRC-SPG. Ses auteurs ont voulu mettre l'accent sur les difficultés résultant pour les collectivités territoriales de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale (CET). Ils pointent le risque pour les collectivités d'avoir à accroître la charge fiscale pesant sur leurs contribuables ou à réduire leurs dépenses. En outre, ils estiment qu'aucune réponse n'a été apportée par le législateur sur la nécessaire péréquation des ressources des collectivités.
La solution préconisée par ce texte ne me paraît pas opportune : il n'est pas souhaitable d'accroître la charge fiscale pesant sur les entreprises françaises et les dispositions relatives à la péréquation ne sont pas satisfaisantes.
Je souhaiterais tout d'abord dire quelques mots sur les principes et les modalités de la nouvelle taxation envisagée par nos collègues. Il s'agit d'une taxation additionnelle à la CET, qui reposerait sur les actifs financiers des entreprises.
D'après les auteurs, et je n'ai pas été en mesure de confirmer ou d'infirmer leur chiffrage, la base imposable résultant de la proposition s'élèverait à 6 000 milliards d'euros. Ainsi, au taux de 0,3 %, le dispositif permettrait de lever près de 18 milliards d'euros. Voilà une somme dont il faut bien mesurer le montant proprement exorbitant ! C'est à peu près une augmentation d'un point du taux de prélèvements obligatoires, c'est aussi plus d'un tiers de la recette de l'impôt sur les sociétés. Nos collègues nous suggèrent donc de procéder à un alourdissement très substantiel de la fiscalité des entreprises. En 2009, avec la réforme de la taxe professionnelle (TP), nous avons allégé leur charge fiscale d'environ 5 milliards d'euros. Ce texte annulerait purement et simplement les effets bénéfiques de cette réforme. Plus encore, en période de reprise économique, elle ne manquerait pas d'envoyer un signal particulièrement négatif au secteur productif avec toutes les conséquences sur l'emploi que nous pouvons imaginer.
Mais, si le seul problème résidait dans le montant du produit collecté, il suffirait d'ajuster le taux de la taxation. Je veux donc m'attarder plus longuement sur son assiette. Celle-ci n'est pas exempte de motifs que je pourrais qualifier d'idéologiques, avec lesquels je suis bien évidemment en désaccord.
Selon l'exposé des motifs, « la sur-accumulation de capital financier, y compris à visée spéculative, fondée sur une préemption constante et permanente des richesses créées par l'activité réelle, n'est toujours pas découragée ni prise en compte dans l'assiette fiscale de la CET [ ... ]. Il nous a semblé nécessaire de procéder à un ajustement sensible de la base de CET en y ajoutant, en tant que base imposable, les actifs financiers figurant au bilan des entreprises assujetties. [ ... ] La prise en compte des actifs financiers peut contribuer à modifier les choix de gestion des entreprises en faveur de l'emploi et de l'investissement productif».
Ce texte a donc pour objet de lutter contre la spéculation et tend, pour ce faire, à modifier les choix de gestion de l'entreprise, au mépris du principe de la liberté d'entreprendre. Les auteurs font un raccourci un peu rapide entre « actifs financiers » et « spéculation » ou, à tout le moins, « activités improductives ». Or, et même si certains de ses acteurs l'ont oublié ces dernières années, la sphère financière est bien au service de l'économie réelle. Les actifs financiers détenus par une entreprise sont le plus souvent la contrepartie d'une opération réelle. Par exemple, les immobilisations financières, c'est-à-dire les actifs de long terme, tels que les titres de participation, correspondent à des choix stratégiques de l'entreprise et non à des opérations spéculatives. De même, le plus souvent, les actifs financiers de court terme ne sont que des modalités de gestion d'un excédent de trésorerie. Au demeurant, je doute que l'assiette d'imposition définie à l'article 1er permette d'atteindre l'objectif que se fixe la proposition de loi. En particulier, plusieurs imprécisions rédactionnelles, que je détaille dans le rapport écrit, pourraient permettre aux entreprises d'échapper à la taxation.
L'article 2 fixe le taux de la taxation à 0,3 % pour la première année. Ensuite, ce taux évolue chaque année et pour chaque entreprise assujettie, « à proportion d'un coefficient issu du rapport entre actifs financiers et valeur ajoutée ». Il semble que, pour les auteurs, le ratio actifs financiers / valeur ajoutée correspond à un indicateur de l'intensité spéculative de l'entreprise, ce qui est très contestable pour les raisons que j'évoquais précédemment. Par exemple, le ratio serait très élevé pour les entreprises du secteur financier puisque, par définition, leur bilan est majoritairement constitué d'actifs financiers. Elles verraient donc leur imposition augmenter de manière exponentielle année après année. En tout état de cause, un tel système ne manquerait pas de créer une lourdeur administrative supplémentaire, tout aussi injuste qu'inutile.
Je précise enfin, pour en terminer sur les modalités de l'imposition, que l'article 4 prévoit qu'elle n'est pas considérée comme une charge déductible au titre de l'impôt sur les bénéfices. Il s'agit d'une dérogation au droit commun de la fiscalité des entreprises qui ne trouve, en l'espèce, aucune justification particulière.
J'en viens maintenant aux dispositions du texte relatives à la péréquation. L'article 3 prévoit que le produit résultant de l'imposition mise en place par ses articles 1er et 2 sera versé à un fonds national de péréquation, dont les ressources seraient réparties au profit de l'ensemble des collectivités territoriales françaises.
Cette répartition se ferait en deux temps : un abondement des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP), puis une répartition du surplus entre les régions, les départements, les EPCI et les communes. Le dispositif proposé souffre de plusieurs insuffisances : tout d'abord, l'abondement des FDPTP prévu par le texte, s'il était opérationnel, serait redondant. En effet, l'article 1648 A du code général des impôts dispose déjà que les FDPTP perçoivent en 2011 une dotation de l'État dont le montant est égal à la somme des versements effectués par eux au titre de 2009 au profit des communes, des EPCI et des agglomérations nouvelles dits « défavorisés ». Cette disposition s'articule avec l'article 125 de la loi de finances pour 2011, qui a prévu qu'à compter de l'année 2012, les FDPTP perçoivent chaque année une dotation de l'État dont le montant est égal à celui qui leur a été versé en 2011. Il résulte de ces deux dispositions que les FDPTP sont déjà garantis, à partir de l'année 2011, à hauteur des versements qu'ils ont effectués au profit des communes dites « défavorisées » au titre de l'année 2009.
En outre, puisque le dispositif proposé ne supprime pas les dispositions que j'ai évoquées de l'article 125 de la loi de finances pour 2011, il conduirait à verser deux fois les sommes visées aux FDPTP.
Par ailleurs, le dispositif proposé pour les fonds départementaux est inopérant. D'une part, il ne traite que de l'année 2012 et rend donc incertaine l'alimentation des FDPTP à compter de 2013. D'autre part, en se substituant à la rédaction actuelle de l'article 1648 A du code général des impôts, il supprime la dotation de l'État qui doit, en 2011, alimenter les FDPTP. Or le dispositif de l'article fait référence, pour calculer les montants reversés en 2012, à ceux de l'année 2011, qui auraient donc été nuls. Enfin, en prévoyant que les bénéficiaires des reversements des FDPTP en 2011 percevront les mêmes montants en 2012, il prive de toute marge de manoeuvre les conseils généraux qui ont la charge de cette répartition.
L'article 3 dispose qu'après abondement des FDPTP, « le surplus des ressources du fonds est alloué aux régions pour 20 %, aux départements pour 30 %, aux communes et aux EPCI pour le solde, à chaque échelon, en fonction d'un indice synthétique représentatif de leurs ressources et de leurs charges dont les caractères sont définis par décret ». Ces modalités de répartition appellent également de nombreuses réserves. En effet, si l'on se réfère aux évaluations de ses auteurs, les 17,55 milliards d'euros restant à répartir après abondement des FDPTP viendraient augmenter les recettes des collectivités territoriales à hauteur de 3,5 milliards pour les régions, 5,3 milliards pour les départements et 8,8 milliards pour les communes et les EPCI. Si l'on compare ces montants aux recettes actuelles de chaque catégorie de collectivités territoriales, ces ressources supplémentaires viendraient accroître, en 2012, de 12,6 % les recettes totales des régions, de 7,9 % celles des départements et de 7,4 % celles des communes et des EPCI à fiscalité propre. Je ne peux souscrire à cette proposition, qui majorerait d'une manière inconsidérée les ressources des collectivités territoriales, sans rapport avec leurs besoins de financement.
Enfin, cette proposition de loi se contente de se référer à une disposition réglementaire pour déterminer les modalités de répartition, au sein de chaque catégorie de collectivités territoriales, des ressources du fonds national de péréquation.
Notre commission des finances a créé un groupe de travail qui s'attache notamment à définir les critères de ressources et de charges les plus pertinents pour mettre en place des outils de péréquation efficaces. Il convient de mener à bien cette réflexion, en évitant de renvoyer au pouvoir réglementaire la définition des critères d'une juste péréquation. D'ailleurs, contrairement à ce qu'avance l'exposé des motifs de cette proposition de loi, plusieurs dispositifs législatifs ont déjà été votés : un fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux perçus par les départements, opérationnel dès cette année, deux fonds nationaux de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises des régions et des départements et un fonds national de péréquation des recettes fiscales intercommunales et communales, qui seront opérationnels en 2012 et sur lesquels nous travaillons en ce moment même.
Il n'est donc pas exact d'affirmer qu'aucune réponse n'est apportée en matière de péréquation des ressources des collectivités territoriales et la commission des finances veillera, grâce à son groupe de travail et lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012, à ce que les outils de péréquation prévus par la loi soient justes et efficaces.
Enfin, les propositions de loi contenant des dispositions fiscales ne seront bientôt plus constitutionnellement recevables. En effet, le Gouvernement a déposé un projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques qui prévoit le monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de fiscalité. Il s'agit d'une doctrine que notre commission a d'ores et déjà faite sienne depuis les conclusions de la seconde conférence sur les déficits, qui s'est tenue voici un peu moins d'un an.
Pour toutes ces raisons, je ne suis pas favorable à cette proposition de loi. Je propose à la commission de ne pas élaborer de texte afin de pouvoir discuter en séance publique sur la rédaction de nos collègues puis de rejeter les articles les uns après les autres.
M. Jean Arthuis, président. - Je remercie Charles Guené d'avoir rappelé les principes fondamentaux et d'avoir donné à la commission des arguments solides pour résister à la tentation de voter cette proposition de loi.
Mme Marie-France Beaufils. - Notre rapporteur a tout dit lorsqu'il a rappelé qu'il ne partageait pas nos orientations idéologiques.
Nous devons avoir une analyse critique sur le CET : on nous disait que la taxe professionnelle était injuste et qu'il fallait la supprimer. J'aimerais bien que l'on nous démontre en quoi la CET est plus juste ! Les secteurs qui emploient le plus de salariés continuent à être plus taxés que le secteur financier. C'est pourquoi nous avons déposé cette proposition de loi. Le rapporteur nous dit que le montant collecté serait important : si c'est le cas, c'est que la base l'est aussi. D'ailleurs, votre majorité prône des bases larges et des taux légers pour les impôts. C'est ce que nous proposons avec ce texte.
Vous critiquez les dispositifs prévus dans cette proposition de loi : nous ne sommes pas du tout opposés à leur amélioration et nous accepterions volontiers des amendements de la commission.
J'en viens aux FDPTP : vous avez décidé en loi de finances de figer leurs ressources en les alimentant par des dotations budgétaires dont la pérennité n'est pas garantie. Avec notre proposition de loi, les FDPTP disposeraient directement d'une ressource fiscale, ne provenant pas du budget de l'État.
Nous reviendrons sur toutes ces questions en séance. Si nous n'avons pas fait de propositions concrètes en ce qui concerne les critères applicables à la péréquation, c'est que notre réflexion n'est pas encore aboutie.
M. Jean Arthuis, président. - Ne voulez-vous pas prendre un peu plus de temps pour parfaire votre texte ?
Mme Marie-France Beaufils. - Il faut que le débat ait lieu. En ce qui concerne les critères de péréquation, nous y travaillerons avec la commission, puisqu'elle étudie cette question en ce moment même.
M. Jean Arthuis, président. - En fait, vous souhaitez susciter un débat.
M. Charles Guené, rapporteur. - Nous avons un différend d'ordre idéologique mais nous avons également examiné les dispositions techniques qui nous étaient soumises.
Vous estimez que le secteur financier est peu touché par la CET. Pour l'instant, on ne peut l'affirmer, car si nous disposons de simulations concordantes pour le secteur industriel, il n'en va pas de même pour les autres secteurs. Nous aurons des données beaucoup plus précises à la fin de ce semestre et surtout à la fin de l'année. Vos affirmations ne sont donc pas vérifiées et elles sont sans doute inexactes.
Nous sommes certes des adeptes des impôts aux assiettes larges et aux taux réduits. Mais avouez que 18 milliards, ce n'est quand même pas rien, d'autant que cette taxe toucherait un nombre réduit d'entreprises. Elle aurait donc un impact non négligeable.
Mme Marie-France Beaufils. - Une taxe de 0,3 % est quasiment indolore.
M. Charles Guené, rapporteur. - Il s'agirait d'une nouvelle sorte d'ISF.
M. Jean Arthuis, président. - N'oublions pas le risque de délocalisation !
Mme Marie-France Beaufils. - Elles ont déjà eu lieu !
M. Charles Guené, rapporteur. - Nous écouterons avec attention vos remarques sur les critères de péréquation.
M. Pierre Jarlier. - Nous ne pouvons accepter ce texte tel quel. Mais il n'est pas injustifié de rechercher des recettes du côté des produits financiers. La proposition qui nous est faite est mal ciblée et nous l'aurions acceptée plus volontiers si elle s'en était tenue au secteur spéculatif. Le rapporteur a fait valoir que la sphère financière était au service de l'économie réelle. C'est pourtant parfois le contraire que nous constatons !
Sur la péréquation, le moment n'est pas encore venu de travailler à des amendements dès lors que se penchent sur le sujet divers groupes de travail au Comité des finances locales, au Sénat ou à l'Assemblée nationale. Il est donc urgent d'attendre. Mais il ne serait pas inopportun de faire contribuer banques et assurances à nos actions d'aménagement du territoire.
M. Jean Arthuis, président. - Mais ces produits sont volatiles...
M. Philippe Dallier. - Taxer les produits financiers, peut-être. Mais plutôt pour abonder le budget de l'Etat que celui des collectivités...
M. Charles Guené, rapporteur. - Pour répondre à Pierre Jarlier, j'ai seulement voulu dire que le secteur financier était partie prenante dans l'activité économique. Même si, il est vrai, il a dérapé, ce n'est pas une raison pour estimer qu'il ne sert à rien. Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Quant à la réflexion sur les critères des clés de répartition, on peut l'amorcer.
Il faut trouver d'autres recettes pour les collectivités, c'est certain. Mais nous nous sommes plutôt orientés sur les flux que sur les stocks. Attention aux délocalisations ! Un prélèvement sur les flux n'est pas aussi lourd qu'un prélèvement sur les stocks.
Sur un point je serais presque d'accord avec Marie-France Beaufils : la première version de la réforme de la CET, qui évitait la territorialisation, était intéressante.
M. Jean Arthuis, président. - Nous remercions Marie-France Beaufils pour le débat qu'elle suscite. Mais elle conviendra que la commission des finances a devancé ses attentes en instituant un groupe de travail sur la péréquation.
Mme Marie-France Beaufils. - Mais avec quoi fera-t-on cette péréquation ? Avec des sommes bien trop modestes !
M. Jean Arthuis, président. - Nous devrons bien sûr traiter en même temps des dotations de l'État aux collectivités territoriales. Les injustices sont criantes et, actuellement, l'État s'endette pour perpétuer des injustices. A vouloir ne jouer que sur les flux, on perpétue les injustices.
Mme Marie-France Beaufils. - Vous voilà maintenant partisan de ne pas considérer seulement les flux !
M. Jean Arthuis, président. - Le produit des droits de mutation à titre onéreux sont utiles mais ils ont leurs limites et ils contribuent à renchérir les prix de l'immobilier. Tout cela fait partie de nos actuelles préoccupations.
Je vais maintenant soumettre les conclusions du rapporteur au vote de la commission.
La commission décide de ne pas adopter de texte afin que la discussion en séance publique prote sur le texte de la proposition de loi. Elle décide également de demander au Sénat de ne pas adopter les articles de la proposition de loi et de rejeter celle-ci.
Gestion du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) - Audition de MM. François Deluga, président du CNFPT, Jean-Marie Bertrand, rapporteur général de la Cour des comptes, et de représentants des associations d'élus locaux
Au cours d'une seconde séance tenue l'après-midi, la commission procède tout d'abord à l'audition conjointe de MM. François Deluga, président du Centre national de la Fonction publique territoriale (CNFPT), Jean-Marie Bertrand, rapporteur général, Jean-Pierre Bayle, président de la quatrième chambre, et Jean-Pierre Lafaure, conseiller-maître, à la Cour des comptes, ainsi que de M. Daniel Leroy, représentant l'association des maires de France (AMF), sur la gestion du CNFPT.
M. Jean Arthuis, président. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour une audition de suivi d'un nouveau type, qui ne fait pas suite à une enquête de la Cour des comptes entreprise en application de l'article 58-2° de la Lolf, mais qui s'appuie directement sur les observations du rapport public annuel de 2011. Le second tome de ce rapport est consacré aux suites données aux observations des juridictions financières, et la Cour a notamment voulu attirer l'attention sur un certain nombre d'« urgences à fort enjeu », parmi lesquelles la situation du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). C'est donc un « carton rouge » que la Cour adresse au CNFPT, après nombre de mises en garde. Un premier contrôle avait été entrepris en 2003 à l'initiative de notre commission, et le CNFPT y semble avoir réagi avec une certaine lenteur. Le sujet intéresse de près les collectivités territoriales et le Sénat qui les représente, puisque le Centre est financé à 87 % par les cotisations obligatoires des collectivités locales, dont le produit a augmenté très sensiblement entre 2004 et 2009, sans que les prestations servies aient suivi la même évolution. Le souci de bonne gestion affiché est-il réel ?
La Cour des comptes est ici représentée par MM. Jean-Marie Bertrand, rapporteur général et président de chambre, Jean-Pierre Bayle, président de la quatrième chambre, et Jean-Pierre Lafaure, conseiller maître. Le CNFPT est représenté par son président, M. François Deluga. Est également présent M. Daniel Leroy, rapporteur du groupe de travail sur la fonction publique territoriale de l'Association des maires de France (AMF) et suppléant du représentant de l'AMF au conseil d'administration du CNFPT. L'association des départements de France a décliné l'invitation pour des raisons bien compréhensibles, mais elles nous adressera une contribution écrite. L'association des régions de France a aussi été contactée. Nous avons voulu ouvrir cette audition à l'ensemble des sénateurs et à la presse afin d'encourager le débat.
M. Jean-Marie Bertrand, rapporteur général de la Cour des comptes. - Je me limiterai à quelques observations liminaires pour mettre en perspective le rapport annuel de la Cour. Nous avons voulu cette année donner un poids particulier au tome 2, consacré aux suites données aux observations des juridictions financières, afin de marquer notre ténacité dans ce domaine. Les vingt-et-un cas étudiés ont été regroupés sous trois rubriques : ceux où la Cour observe des progrès sensibles, ceux où, malgré une évolution positive, des éléments d'inquiétude demeurent, et ceux où, malgré les forts enjeux, les appréciations des juridictions n'ont pas été suivies d'effets. C'est dans cette troisième catégorie que nous avons rangé le CNFPT, de même que le projet informatique Chorus et le port de Marseille, parce que des sommes importantes sont en jeu, et parce que la Cour est revenue à plusieurs reprises sur le sujet en formulant des critiques et des recommandations, sans résultat appréciable. Sans remonter au contrôle effectué en 1989 sur le Centre de formation des personnels communaux, la Cour a procédé à une insertion relative au CNFPT dans son rapport de 1994, pointant une gestion déficiente et coûteuse, la marginalisation des activités d'enseignement et des réformes insuffisantes. Puis, en 2002, elle a rédigé à votre demande et en application de l'article 58-2° de la Lolf, un rapport critique qui a abouti à l'élaboration d'un plan de redressement. Une insertion de suivi figure dans le rapport de 2007, suite à l'enquête actualisée de 2006. Enfin la Cour est revenue sur le sujet en 2010.
Elle a mené d'autres travaux à propos de la fonction publique territoriale, comme le rapport public d'octobre 2009 sur la conduite par l'État de la décentralisation, et l'enquête de la même année sur les effectifs de l'État, comportant des comparaisons entre les trois fonctions publiques, entre 1980 et 2008.
M. Jean-Pierre Bayle, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - Ce sont vingt-trois années de gestion du CNFPT, entre 1987 et 2010, que la Cour a examinées, formulant des constats parfois très critiques et déplorant que les engagements pris n'aient pas été tenus, ou ne l'aient été que très partiellement. Nous avons certes observé une certaine remise en ordre, mais elle demeure très insuffisante. Le CNFPT doit s'adapter à un contexte nouveau et entrer en convalescence, alors qu'il est confronté à des obstacles en grande partie internes.
Il n'a appliqué qu'avec retard la loi du 19 février 2007. S'étant beaucoup consacré à la formation initiale des agents, il a porté une attention inégale aux différentes catégories de personnel et de collectivités et n'a pas su suffisamment mobiliser son potentiel ou renouveler sa stratégie et ses pratiques. La loi instaurait un droit individuel à la formation professionnelle et la validation des acquis de l'expérience. A la formation initiale étaient substituées des formations d'intégration et de professionnalisation. La gestion des concours de la catégorie A était transférée aux centres départementaux de gestion à compter du 1er janvier 2010. Le recentrage des missions du centre donnait l'occasion de réformer son fonctionnement, alors que les moyens humains et financiers ne manquaient pas. Mais ce n'est qu'en septembre 2010 que vit le jour un projet national de développement destiné à affiner les objectifs, à satisfaire les demandes des collectivités et à remédier aux insuffisances de la gestion.
Parmi les adaptations nécessaires, il faut mentionner le renouvellement de l'ingénierie de formation, par des actions plus territorialisées et individualisées, la dématérialisation des procédures et des formations, le resserrement des liens avec les collectivités et l'établissement de partenariats avec les réseaux professionnels et les universités. La transformation des écoles en un réseau d'instituts organisés comme des pôles de compétences spécialisés ne résout pas tous les problèmes, car la réforme ne doit pas se limiter à un plan de sauvegarde des structures existantes. Nous avons de longue date souligné l'inégal niveau d'activité entre les quatre écoles nationales d'application des cadres territoriaux (Enact) et formulé des critiques à l'égard de celles de Dunkerque et, dans une moindre mesure, de Nancy.
Les ressources financières du CNFPT n'ont cessé d'augmenter. Pour l'exercice 2008, l'excédent s'est monté à 35 millions d'euros, ce qui s'explique à la fois par l'augmentation des cotisations - due aux transferts de personnel de l'acte II de la décentralisation - et par la diminution de l'activité, donc des charges. En 2009, l'excédent fut de 33 millions d'euros. Les fonds propres ont augmenté - plus de 326 millions d'euros en 2009 - ainsi que les disponibilités financières, tandis que l'endettement a été réduit.
Or le Centre a été incapable de développer ses activités en proportion. En 2009, le nombre de journées de formation pour les stagiaires a diminué de 7,8 %. La réduction de la formation initiale n'a pas été compensée par un développement de la formation continue, malgré un redressement en 2009. Entre 2004 et 2009, le nombre de journées de formation pour les stagiaires n'a augmenté que de 24 %, alors que les effectifs de la fonction publique territoriale augmentaient de 28 % et le produit des cotisations de 40 %. Trois défauts persistent : la quasi absence d'évaluation des formations, les refus de stage et l'absentéisme.
J'en viens aux ambitions immobilières du Centre. Un plan d'investissement immobilier a été lancé en février 2010 ; entre 2009 et 2013, les dépenses augmenteront de 150 millions d'euros, pour couvrir des opérations de construction et de rénovation et le regroupement des immeubles parisiens dans un site unique. Seule l'acquisition d'un immeuble intra muros a été envisagée : elle devrait coûter 70 millions. Le Centre s'expose ainsi à des dépenses non négligeables, alors que la maintenance n'est ni pilotée, ni programmée ; il est d'autant plus nécessaire d'y réfléchir que les obligations de mise aux normes incombant aux propriétaires s'alourdissent.
L'abondance des ressources n'est sans doute pas étrangère au laxisme de la gestion, en particulier dans les domaines des achats de formation, de la logistique et des ressources humaines. Dans un établissement où la responsabilité a été peu reconnue et peu sanctionnée, le CNFPT a tenté de mettre en place des instruments et des procédures pour améliorer la gestion, sans outils d'information en mesure de délivrer rapidement et systématiquement des indications simples. Le projet national de développement devrait toutefois permettre un pilotage plus efficace.
En revanche, le CNFPT se refuse à envisager la mutualisation des fonctions logistiques et administratives entre délégations régionales de petite taille. Il faudrait peut-être remettre en cause l'exercice en régie de prestations d'hôtellerie et de restauration, pour un coût plus élevé que lorsqu'elles sont confiées à un intervenant extérieur. Enfin, un établissement de la taille du CNFPT aurait dû disposer d'un service d'audit interne à même de vérifier la bonne application des directives du siège, d'apprécier la pertinence des indicateurs, de formuler des recommandations, d'en suivre l'application. La Cour prend acte de l'engagement de se doter d'un tel service.
La gestion des activités de formation doit être revue. Le CNFPT a fait le choix de ne pas se doter d'un corps interne d'enseignants mais de recourir à des prestataires extérieurs - intervenants individuels, associations ou entreprises spécialisées - avec lesquels il conclut des marchés de formation. Pour ne rien dire du respect des procédures mises en place par le siège pour normaliser la commande publique, il est possible de souligner que les structures méconnaissent souvent la nécessité de définir rigoureusement les besoins, d'élargir le vivier des intervenants au-delà du cercle des « habitués » du CNFPT, de maîtriser les coûts pédagogiques et logistiques et d'évaluer les formations dispensées.
Les règles de la commande publique sont loin d'avoir été parfaitement respectées dans toutes les délégations régionales au cours des années 2006 et 2008. Dans certains cas, il n'y a eu aucune procédure de mise en concurrence et de passation de marchés publics. La plupart du temps la formalisation de la commande publique, qui conduit au renouvellement des mêmes intervenants, n'est qu'un habillage, même lorsque les montants en jeu sont très importants comme à l'Institut national des études territoriales. Pour apprécier les rentes de situation ainsi constituées, encore faudrait-il que le système informatique de recensement des intervenants permette de remonter avant l'année 2000...
L'établissement vient d'engager un audit de ses marchés de formation. Cette prise de conscience est devenue particulièrement nécessaire tant au regard de l'exigence de régularité que de l'évolution de la formation elle-même : des dérives punissables pénalement ont été relevées dans l'insertion de la Cour, l'une d'entre elles ayant fait l'objet d'une plainte ; plus généralement, certaines pratiques relevées par la Cour seraient de nature à mettre en cause la responsabilité de l'ordonnateur. Qui plus est, les nouvelles orientations du plan stratégique comportent un risque de renchérissement des coûts, avec le raccourcissement des sessions de formation, la professionnalisation, la territorialisation, l'individualisation et la diminution des effectifs par session.
S'agissant des intervenants individuels, leur renouvellement demeure faible : certains sont des quasi salariés à mi-temps de l'organisme. Des frais de déplacement leur sont servis en méconnaissance de toute notion de coût « par économie et pour un gain de temps », selon les termes des ordres de mission ; le remboursement en véhicule individuel, de toute puissance fiscale, est systématique - l'existence de transports publics, et même de lignes ferroviaires rapides, est ignorée. Des cas de remboursement excessifs ou des présomptions de fraude ont été relevés.
Sur les ressources humaines, nous relevons trois points faibles : peu d'évaluation, peu de mobilité, peu de formation. Le CNFPT, qui doit gérer plus de 2 200 agents répartis dans de multiples structures, au risque d'une confusion entre cette gestion et le paritarisme de son fonctionnement institutionnel, ne s'est pas doté d'une véritable politique de ressources humaines : ce point a été constamment relevé dans les communications successives de la Cour. Si la mobilité de l'encadrement supérieur est réelle, parfois grâce au recours à des compétences extérieures, tant au siège que dans les écoles et les délégations, il n'y a aucune cotation des postes en fonction de l'importance des responsabilités exercées. L'encadrement intermédiaire est géré comme l'encadrement supérieur, la mobilité en moins. La mobilité interne demeure extrêmement faible.
Le régime indemnitaire est établi en application des textes relatifs à la fonction publique territoriale et des délibérations du conseil d'administration ; les indemnités sont fixées au plafond prévu, sans aucune modulation en fonction du service rendu et des résultats obtenus. Cela vaut en particulier pour les cadres supérieurs. Le CNFPT n'a tiré aucune conséquence du passage de la notation à l'évaluation tenant compte des résultats obtenus par rapport aux objectifs assignés aux agents. Le nouveau directeur de l'INET a été le premier cadre à recevoir en 2010, lors de sa nomination, une lettre de mission lui confiant la réorganisation du réseau des instituts ; cette pratique jusqu'alors inconnue devrait être généralisée.
La formation interne s'est améliorée au cours de la décennie mais reste insuffisante. Ce n'est qu'en 2009 que le CNFPT a décidé de se doter d'un schéma pluriannuel de formation, d'un plan de formation et d'un centre de formation interne.
J'en viens aux effectifs. Le nombre total de postes permanents s'est continûment accru au cours des dix dernières années, passant de 2 043 à 2 204 entre 2004 et 2008. Or une partie de ces postes est occupée par des agents contractuels - 122 fin 2004, 130 fin 2008. Le CNFPT ne manque pas de personnel, mais ne se donne pas les moyens de former ses agents et de leur faire changer d'affectation, et s'estime donc contraint de recruter des agents contractuels, y compris dans des domaines non techniques. La Cour renouvelle ses observations sur le nombre excessif d'emplois fonctionnels et sur l'inadéquation entre le nombre de postes d'encadrement et le niveau des responsabilités réellement exercées.
Avec 387 agents, le siège regroupe plus de 15 % de l'ensemble des agents, ce qui résulte en partie de l'histoire et du mode de gouvernance. La réorganisation de ses missions n'est possible que dans le cadre d'un redéploiement.
L'intégration des agents des centres départementaux de gestion est encore incomplète. Entre 2005 et 2009, on a recouru de plus en plus souvent à ce mode de recrutement, avec pour résultat un volant supplémentaire d'environ 110 agents affectés au siège et dans les structures. Les postes occupés ne figuraient pas dans le tableau des emplois voté par le conseil d'administration. Une première clarification a été engagée en 2009 avec l'intégration au budget 2010 de 59 agents. Cette procédure de régularisation par intégration n'est donc réalisée qu'à moitié.
Certains avantages sont accordés sans justification, à commencer par les logements. Le conseil d'administration du CNFPT a fait usage des dispositions légales pour attribuer des logements pour nécessité absolue de service ou pour utilité de service à certains directeurs régionaux et à des membres de la direction générale. La Cour estime que le coût global de ces avantages est élevé. Comme elle l'avait déjà relevé, aucune des fonctions exercées au sein du CNFPT ne justifie l'octroi d'un logement pour nécessité absolue de service, ce qui suppose que l'agent ne puisse « accomplir normalement son service sans être logé dans les bâtiments où il doit exercer ses fonctions ». Quant aux concessions de logement pour utilité de service, au nombre de seize à la fin 2009, elles ne présentent pas clairement « un intérêt certain pour la bonne marche du service ».
Le CNFPT contribue, à hauteur de 1,3 million d'euros, au fonctionnement d'un comité des oeuvres sociales. La subvention ainsi versée à une structure externe est en partie utilisée pour financer, en dehors de la caisse publique, des prestations incombant à l'employeur, en l'occurrence des indemnités professionnelles, comme une prime à la mobilité et une prime de départ à la retraite ainsi que la cotisation à un contrat de prévoyance pour le maintien de la rémunération ; sur ce dernier point, comme l'a confirmé l'analyse transmise par le ministère de l'Intérieur à la Cour, le montage est irrégulier.
S'agissant des relations sociales, les informations communiquées à la Cour sur les moyens affectés à l'exercice de la fonction syndicale interne sont maigres. Le CNFPT n'a pas produit le protocole conclu en 1990 avec les organisations syndicales, qui lui a été expressément réclamé alors qu'il avait indiqué par écrit avoir cherché à le renégocier en 2000. Ce protocole étant introuvable, il en résulte que les pratiques observées ne peuvent être fondées que sur l'usage et la coutume. En outre, le siège ne centralise pas les données relatives aux facilités accordées en application de la loi et de ce prétendu protocole. Or il ressort des éléments recueillis par la Cour que les montants en cause ne sont pas négligeables.
En conclusion, la Cour prend acte de la définition d'une stratégie et de la volonté affichée d'améliorer la gestion au moyen de nombreux audits. Les réformes annoncées doivent se concrétiser et ne pas se limiter à de simples mesures correctrices, comme la Cour le constate et le critique depuis quinze ans désormais. Au cours de la période récente, les ressources abondantes ont de nouveau encouragé une gestion peu rigoureuse et n'ont pas permis un développement équivalent de l'activité de formation. La Cour considère en conséquence que le montant de la cotisation perçue par le CNFPT, fixé une fois pour toutes par son conseil d'administration en 1988 au montant plafond - 1 % des traitements de la fonction publique territoriale -, doit être adapté à ses besoins et à son activité, selon une périodicité à déterminer et un taux à fixer par le législateur. Elle formule six recommandations, dont cinq recueillent l'accord du CNFPT, et veillera à ce qu'elles soient effectivement prises en compte.
M. Jean Arthuis, président. - Il ressort de cet exposé que, lorsque l'on a trop d'argent, la qualité de la gestion s'en ressent ; il faudrait donc diminuer les cotisations et soulager ainsi les finances locales. Qu'avez-vous à répondre, monsieur Deluga, à ce réquisitoire ?
M. François Deluga, président du CNFPT. - Je vous remercie de l'intérêt que vous manifestez à l'égard du CNFPT en continuant à suivre, année après année, ses évolutions - soit dit sans ironie. Et je vous remercie de me donner l'occasion de rendre compte de sa situation et des changements que j'ai engagés depuis le début de mon mandat, mais aussi de tracer les grandes lignes de l'avenir.
Cette année, les travaux de la Cour n'ont pas été rendus publics dans les mêmes conditions que précédemment. Je quitte à l'instant le conseil d'administration sans avoir pu organiser le débat sur les observations de la Cour, puisque j'attends toujours la lettre d'observation définitive. Il y a eu, semble-t-il, un problème d'adressage...
Sur certains sujets, je ne suis pas d'accord avec la Cour, dont je ne remets cependant pas en cause le contrôle régulier, au service de l'amélioration de la gestion publique. Le présent rapport concerne la période 2004-2008, antérieure à mon entrée en fonctions en 2009. André Rossinot, à la suite du contrôle de 2002, avait pris des engagements, présentés à votre commission lors de son audition du 14 mai 2003. Trois ans durant, mon prédécesseur a présenté à chaque séance du conseil d'administration du CNFPT un rapport sur la réalisation de ces engagements. M. Claude Auriol, conseiller-maître à la Cour, qui était venu vérifier que les prescriptions de la lettre d'observation définitive avaient été respectées, en a donné acte au président de l'époque dans un « rapport de suite » de 2006, c'est-à-dire au milieu de la période examinée aujourd'hui.
Que s'est-il passé depuis cette audition ? J'ai trouvé dans le compte rendu des éclairages, d'abord sur la genèse de la loi de 2007. La commission des finances avait entendu alors les préconisations du président de section de la Cour des comptes, selon qui il fallait soit déplafonner le taux de la cotisation de 1 % de la masse salariale - autrement dit l'augmenter -, soit déplacer la frontière entre formation initiale et formation continue. C'est cette dernière proposition qu'a retenue le législateur. La loi de 2007 institue un nouveau partage de compétences entre centres de gestion et CNFPT, en confiant aux premiers l'essentiel de la gestion des concours - à l'exception de ceux concernant les grades dits « A + » - et la gestion des fonctionnaires momentanément privés d'emplois (FMPE). Les tâches du CNFPT ont ainsi été recentrées sur ses activités de formation, dont la redéfinition constitue le deuxième volet de la loi. Les formations statutaires ont été réorganisées, les formations initiales devenant des formations d'intégration, drastiquement réduites pour les catégories A et B mais étendues à la catégorie C, et complétées par des formations de professionnalisation tout au long de la carrière. Un droit individuel à la formation de deux jours par an cumulables a été institué. Du côté des collectivités, on a de nouveau recouru au « plan de formation », prévu par la loi de 1984 mais très peu pratiqué ; la collectivité employeuse s'est donc vue investie d'une mission précise dans la gestion des demandes de formation de ses agents, mais cette innovation n'a pas encore atteint son régime de croisière... L'ancien secrétaire d'Etat en charge des collectivités locales m'a d'ailleurs demandé d'élaborer un plan d'information à destination des collectivités.
J'en viens au rapport de la Cour des comptes. Contrairement à ce que prétend la Cour, je ne crois pas que le CNFPT ait été lent à appliquer la loi : il l'a anticipée dans bien des domaines, par exemple en ce qui concerne les transferts aux centres de gestion : un site internet a été ouvert afin de transmettre aux centres intéressés toutes nos connaissances sur les compétences transférées, y compris nos procédures. Le jour prévu, tous les dossiers individuels des FMPE ont été adressés à leurs nouveaux gestionnaires. Cela n'a pas empêché l'établissement d'assurer la continuité du service public des concours ni de prendre en charge les activités jusqu'au passage de relais. Le Centre y a mis de la bonne volonté, alors même que l'environnement des centres de gestion était instable. J'ai toujours plaidé pour la réunification de la Fédération nationale des centres départementaux de gestion (FNCDG).
Il y aurait pourtant eu matière à contentieux. La loi, prescrivant le transfert de la gestion des concours et des FMPE, a également reversé aux CDG les moyens financiers que l'établissement consacrait à ces activités, y compris le coût des personnels qui y étaient affectés, sans que les personnels eux-mêmes soient transférés, comme c'est la pratique habituelle. Le CNFPT a donc dû non seulement redéployer quelque cent dix agents en sureffectif, mais aussi indemniser les CDG des charges de ces mêmes personnels : sorte de « double peine » financière... Cela n'a rien à voir avec les cinquante neuf emplois résultant de contrats de prestations avec les CDG, qui à ce jour ont tous été intégrés.
L'établissement a su mettre en place rapidement de nouvelles formations d'intégration des agents de catégorie C, à la satisfaction générale : il a organisé 15 586 journées de formations au profit d'agents de catégorie C en 2010. Le contenu de ces formations a été conçu nationalement, ainsi qu'un dispositif de recrutement et de formation des formateurs et un plan d'organisation de ces formations au plus près des collectivités. L'établissement n'est jamais aussi efficace que lorsqu'il travaille à l'unisson. Demain, j'estime que plus de la moitié de nos formations bénéficieront d'une conception collective, et nous mettons d'ores et déjà en place un dispositif d'évaluation de la qualité et des effets de nos formations qui sera présenté cet été au congrès de la société française d'évaluation.
Depuis mon élection, j'organise cette collaboration, d'abord en mobilisant l'ensemble des cadres de l'établissement autour de valeurs républicaines et en définissant des priorités fédératrices : garantir la qualité des formations statutaires, réduire les inégalités d'accès à la formation, contribuer à l'amélioration de la gestion publique locale et faire vivre les valeurs du service public local, développer de nouveaux champs de coopération et d'ingénierie, promouvoir le développement durable dans la formation et la gestion. En se fondant sur ces priorités et sur les besoins des collectivités, les instances nationales du CNFPT ont élaboré des « orientations pluriannuelles de formation » adoptées par le conseil d'administration en avril 2010. Tous les cadres ont été mobilisés pour décliner ces orientations en termes opérationnels et organisationnels. Leur travail a été approuvé par le conseil d'administration, qui a adopté en septembre 2010 un projet national de développement. Depuis, chacune de nos structures régionales et de nos directions nationales a élaboré son projet de développement à partir du texte national.
Ces feuilles de routes définissent avec précision notre nouvelle organisation où chaque collectivité doit trouver dans sa délégation régionale un interlocuteur unique, porteur de l'offre de service et de formation de l'ensemble de l'établissement public. Nous avons fait le choix de la simplification en tenant compte des intérêts et des besoins de nos utilisateurs, non de notre organisation. Je vérifie régulièrement la pertinence de ces choix en allant les présenter aux élus et aux fonctionnaires au cours de visites régionales mensuelles. En près de deux ans, j'ai déjà visité la moitié des régions et rencontré beaucoup d'élus.
Nous énumérons dans nos réponses écrites à la Cour tous les audits et formalisations de procédures lancés : la Cour nous en donne acte tout au long de son rapport d'observation préliminaire. Sur six recommandations formulées par la Cour, cinq étaient déjà mises en oeuvre ou devaient l'être. Mais certaines remarques nous paraissent infondées, car elles ne tiennent pas compte des audits - audit et restructuration de la direction des ressources humaines, publication d'un arrêté d'organisation des services, institution d'un correspondant pour les ressources humaines dans chaque structure, audit de la fonction achat, audit et restructuration du système d'information, recrutement d'un directeur des systèmes d'information de très haut niveau -, ni du projet national de développement - adaptation de la production, dialogue avec les collectivités, rénovation de l'offre de formation, perfectionnement des outils de gestion, meilleure maîtrise des dépenses, cadrage et contrôle de la gestion des intervenants.
Malgré tous ces efforts, on nous adresse un carton rouge ! Le CNFPT est compté parmi les structures qui persistent à refuser de mettre en application les prescriptions de la Cour... Il y a incontestablement eu des dérives de gestion pendant les premières années d'existence de l'établissement. Des scories demeurent, et l'une de mes premières actions fut de déposer une plainte. Où est la résistance au changement ? Contrôle après contrôle, la qualité de la gestion s'améliore. La plupart des points sur lesquels la Cour ne constate pas d'amélioration ne dépendent pas de l'établissement ! Il en va ainsi du nombre d'emplois fonctionnels, défini par la loi. Tous nos postes de directeurs régionaux sont des emplois fonctionnels, et je ne proposerai pas de changer cette règle, car ce statut particulier responsabilise les cadres.
Nous mettrions trop de temps à appliquer la loi, mais ce que nous reproche la Cour, c'est d'avoir maintenu en service nos quatre écoles alors que nous savions que l'activité allait baisser. La Cour en désigne même deux, comme étant en état de sous-activité manifeste. De fait, ni mon prédécesseur ni moi-même ne nous sommes précipités pour fermer ces écoles. En effet, si le volume des formations initiales des agents de catégorie A a diminué avec la loi de 2007, celui du volume de leurs formations statutaires a été maintenu avec l'introduction des formations de professionnalisation tout au long de la carrière.
La baisse constatée du volume de formation réalisé en instituts nationaux spécialisés d'études territoriales est conjoncturelle. Les formations réalisées auparavant de façon groupée au moment de la nomination et assez unanimement critiquées pour la gêne qu'elles provoquaient au moment des prises de postes, se réalisent maintenant sous forme de formations de professionnalisation tout au long de la carrière, et petit à petit s'ajoutent aux formations d'intégration.
Il aurait donc été inconséquent de fermer des établissements pour compenser cette baisse conjoncturelle d'activité. Nous avons préféré utiliser l'énergie momentanément libérée pour refondre notre réseau de pôles de compétence, qui est un système d'observation des métiers, de l'évolution de leurs besoins de compétences, et le centre de conception des formations au service de tout l'établissement sous la coordination de la direction nationale du développement des formations. Tous nos instituts vont travailler ensemble, je les ai placés sous l'autorité d'un même directeur général, lui-même directeur de l'Institut national des études territoriales qui forme les agents des cadres d'emploi supérieurs, dits « A + ».
Chaque institut est spécialisé dans plusieurs politiques publiques : à Nancy, l'action éducative, la santé, la culture et la citoyenneté ; à Angers, la solidarité, la cohésion sociale et l'enfance; à Dunkerque, l'aménagement et le développement durable; à Montpellier, les services techniques urbains et les infrastructures publiques. Chaque institut accueille les pôles de compétences de sa spécialité et chaque institut reçoit une responsabilité territoriale. Dans son ressort, il accueille les cadres des collectivités pour leurs formations statutaires et assiste les délégations pour les aider à concevoir les formations pour répondre aux demandes particulières des collectivités. Dans un établissement dont la compétence est nationale et la culture territoriale, il n'y a pas de raison de positionner à Paris ces pôles de conception, de veille, d'ingénierie.
La Cour critique encore la « cagnotte » du CNFPT, alors que, dans ses rapports précédents, elle évoquait davantage des exercices déficitaires, des fonds de roulement négatifs, des défauts dans la perception des recettes. De fait, la politique d'économies drastiques mise en oeuvre par le président Rossinot et la hausse continue des cotisations ont engrangé 15 millions d'euros d'excédents annuels, que le CNFPT a thésaurisés. Tout le monde saluait cette politique, que l'on regardait comme prudente puisque la loi de 2007 se profilait et avec elle les réformes coûteuses qui lui étaient liées.
Cependant, lorsque ces reports d'excédents ont frôlé les 80 millions, j'ai considéré qu'on passait de la prudence au déséquilibre, sans rendre suffisamment de services aux collectivités locales. Je suis bien d'accord avec la Cour des comptes : ces excédents appartiennent aux collectivités qui les ont versés et aux agents qui auraient dû en bénéficier. Mais je suis totalement en désaccord avec la voie que recommande la Cour pour restituer ces excédents.
Plutôt que d'imaginer une baisse de 10 % de la cotisation en la ramenant à 0,9 %, qui rendrait le CNFPT déficitaire dès la fin 2012, j'ai proposé trois pistes à mon conseil d'administration. D'abord de remettre à niveau notre parc immobilier, en acquérant un immeuble, dans le 12ème arrondissement de Paris, pour regrouper l'ensemble des services du siège aujourd'hui répartis dans quatre sites, ainsi que l'avait recommandé la Cour dans un précédent rapport, tout en accueillant le Conseil supérieur de la FPT et la FNCDG. Cet achat va nous faire économiser 2,8 millions d'euros de loyers par an, remplacés par l'amortissement d'un bien qui représente un bon investissement. J'ai proposé, ensuite, de rénover nos systèmes d'informations, autre recommandation de la Cour, pour une dépense de 10 millions d'euros. Enfin, j'ai proposé d'investir davantage dans la formation : notre activité a augmenté de 12,7 % en 2009 et de 15 % en 2010. En deux ans, l'activité a donc augmenté de 27 %, alors que les cotisations ont progressé de 7 %.
Je voudrais encore évoquer la conjoncture, qui me paraît changer durablement. Alors que la recette de cotisation augmentait en moyenne de 6,8 % par an, principalement du fait de l'augmentation des effectifs territoriaux induits par l'acte II de la décentralisation, cette progression s'interrompt brutalement en 2009. En 2010 elle n'a été que de 2,55 % et nous l'avons évaluée à 1,5 % pour 2011.
La fonction publique territoriale, ensuite, va connaître un nombre important de départs en retraite : des salaires de fin de carrière vont être remplacés par des salaires de débutants qui auront simultanément de forts besoins de formation. Avec cela nous constatons déjà un mouvement de transferts des grandes collectivités qui achetaient auparavant autant ou davantage de formations sur le marché privé qu'elles ne nous sollicitaient. Aujourd'hui, elles se tournent vers nous et nous demandent de leur fournir ce qu'elles achetaient hier. Nous nous attendons très prochainement à un Glissement - Vieillesse - Technicité (GVT) négatif, à une hausse de la demande de formation et à une baisse de nos recettes.
Un recul de 10 % des cotisations représenterait environ 32 millions d'euros, ce qui, une fois épuisé le fonds de roulement, obligerait à diminuer le seul poste fongible : celui des formations, et nous serions contraints de diminuer notre activité de 20 %. En d'autres termes, la Cour ne nous donne pas un conseil de gestion, elle remet en cause la formation professionnelle pour les collectivités territoriales.
Les critiques de la Cour pénalisent le CNFPT et découragent l'ensemble du monde territorial. En fait, le CNFPT est original, c'est le seul établissement public des collectivités territoriales à intervenir à l'échelle nationale : cette originalité a été voulue et elle ne doit pas sans cesse être contestée. Enfin, l'instabilité législative ne favorise pas la gestion du CNFPT.
Le CNFPT a devant lui un chantier complexe, il a les ressources pour le réaliser dans les meilleures conditions si on lui laisse la stabilité dont il a besoin pour le mener à bien. La loi de 2007 a intégré l'essentiel de ce qui constituait l'accord interprofessionnel sur la formation tout au long de la vie signé par l'ensemble des partenaires sociaux. C'est ce cadre là qui a fait l'objet d'un large consensus, en étant adopté par les parlementaires de tous les groupes.
Aujourd'hui, nous avons besoin de stabilité réglementaire, le CNFPT s'implique pour aider les collectivités à former leur personnel, il s'est doté d'un nouvel organigramme, d'une politique d'audits, d'une réforme en profondeur, suivie au quotidien : ce n'est pas le moment de lui couper les ailes !
M. Daniel Leroy, représentant l'Association des maires de France. - Mon propos reflètera l'opinion du groupe de travail que l'AMF consacre à la fonction publique territoriale, dont je suis le rapporteur, et non une opinion officielle de l'AMF elle-même.
Le 16 mars dernier, ce groupe de travail a reçu le Président Deluga pour examiner les questions liées à la gestion du CNFPT et nous avons abouti à des orientations consensuelles sur plusieurs points.
Dans le cadre de la préparation du projet de loi de 2007 - j'étais membre du groupe de travail réuni par la direction générale des collectivités locales (DGCL) - nous étions tous d'accord pour offrir une formation initiale aux agents de catégorie C, le CNFPT a suivi. Mais ses représentants ont estimé que l'enveloppe devait rester constante. Or il est apparu que le coût de la formation des catégories C a été surestimé, et je me demande s'il n'y a pas là de quoi abonder désormais la formation des agents de catégorie A. La formation initiale actuelle de cinq jours est en effet insuffisante.
M. Jean Arthuis, président. - Mais l'idée ne vous est-elle pas venue, plutôt, de baisser les cotisations ?
M. Daniel Leroy. - Non, nous n'avons à aucun moment eu cette idée dans le groupe de travail.
M. Jean Arthuis, président. - Cela ne vous est pas venu à l'esprit ? Nous devons imaginer qu'un recul de la dépense publique est possible dans notre pays, et voir que c'est l'intérêt même des collectivités territoriales.
M. Daniel Leroy. - La priorité a été donnée à la formation, sans perdre de vue que les agents de catégorie C représentent trois agents sur quatre. C'était donc forcément des sommes importantes.
Je crois que l'équilibre a été trouvé entre le CNFPT et les centres de gestion : les concours sont désormais presque partout mis en place au niveau national et l'instabilité constatée de la fédération des centres de gestion relève du passé.
Parmi nos priorités, nous tenons particulièrement à la formation des agents des petites collectivités - je suis élu d'une petite commune -, et à tout ce qui peut contribuer à développer les formations de proximité et à faire baisser l'absentéisme. Si on demande à un agent de catégorie C de faire 50 ou 60 kilomètres pour aller à une formation, il n'ira pas.
M. Philippe Dallier. - Alors, il ne s'inscrit pas !
M. Daniel Leroy. - Peut-être, mais il faut trouver des solutions pour rapprocher les formations. Je pense en particulier à la « formation initiale locale » expérimentée en Île-de-France : les collectivités se regroupent ponctuellement, et c'est le formateur qui se rapproche des stagiaires, lesquels n'ont pas à faire de grandes distances pour se former - c'est très efficace contre l'absentéisme, étant constaté que les agents de catégorie C ont plus souvent que les autres des difficultés à se déplacer. Il y a aussi un gros effort à faire sur les plans de formation dans les petites communes. Ces plans doivent être examinés par les comités techniques paritaires des centres de gestion. Comme Président d'un de ces centres, je n'en vois pas passer beaucoup !
La Cour des comptes formule des critiques justes qui doivent être prises en compte, mais il faut effectivement remarquer que le CNFPT est original, puisque c'est le seul établissement public national représentant la fonction publique territoriale et que son conseil d'administration est paritaire, associant élus et organisations syndicales. Je crois enfin que c'est à ce conseil d'administration sur proposition de son Président qu'il revient de prendre les mesures pour faire face aux critiques de la Cour : nous pouvons lui faire confiance.
M. Jean Arthuis, président. - Monsieur Deluga, la Cour observe l'importance de l'absentéisme des stagiaires, 20 % : quelles explications et quels remèdes apportez-vous ? La Cour, ensuite, souligne que le CNFPT ne dispose d'aucune comptabilité analytique : avez-vous des projets pour éclairer mieux votre conseil d'administration ?
Votre préoccupation n'est-elle pas d'accumuler des réserves ?
Au fond, la situation patrimoniale du CNFPT n'est pas à plaindre, puisque vous disposez d'un matelas représentant une année de chiffre d'affaires. C'est exceptionnel !
M. François Deluga. - Vous vous référez aux chiffres de 2004-2008. L'an passé, le CNFPT disposait d'un excédent cumulé de 50 millions au vu du compte administratif.
M. Jean Arthuis, président. - J'ai noté 320 millions ! Quelle est donc la situation patrimoniale exacte du CNFPT ? Il faut clarifier ce point. Nous avons besoin d'outils fiables, ou bien on fait dire ce qu'on veut aux chiffres...
M. François Deluga. - Je vous le répète : fin 2010, le CNFPT disposait de 50 millions d'excédents cumulés. C'est ce qui explique ma position sur l'évolution de l'établissement.
M. Jean Arthuis, président. - Dans votre réponse à la Cour, à la page 323 du rapport, vous indiquez des excédents cumulés de 113 millions entre 2002 et 2009 : il faut tirer tout cela au clair.
Pourquoi, ensuite, à la délégation du sud de la France, une personne a-t-elle touché 106 000 euros entre 2005 et 2009 pour des prestations fictives et n'a-t-elle toujours pas été identifiée ?
La Cour constate, enfin, que les directeurs perçoivent une indemnité pour logement de fonction, qui représenterait 90 000 euros et qui serait liée à une « nécessité absolue de service », mais elle constate aussi que cette nécessité n'existe pas dans les faits : qu'en est-il ?
M. François Deluga. - L'absentéisme est un vrai problème, que mon prédécesseur avait déjà bien identifié. Il faut d'abord rapporter ce phénomène au contexte de la fonction publique territoriale, où l'absentéisme s'élève à 10 % ou 13 % ; ensuite, il y a des cas où l'employeur ne peut pas laisser partir l'agent, pour des motifs de service ; enfin, il faut tenir compte des difficultés de mobilité des agents de catégorie C. C'est pourquoi j'ai engagé un programme de territorialisation des formations, conformément à la recommandation de la Cour des comptes. Les stagiaires ne viendront plus à la métropole régionale, ce sont les formateurs qui se rendront sur le territoire. Là où nous avons mis en place ce type de formations, on constate une baisse assez forte du taux d'absentéisme.
Le projet national de développement, ensuite, se fixe pour objectif de développer la comptabilité analytique, qui existe sur quelques fonctions seulement.
S'agissant du détournement de 106 000 euros à la délégation du sud de la France, une procédure judiciaire est en cours, suite à la plainte que j'ai déposée en découvrant cette affaire. Et nous nous sommes portés partie civile.
M. Jean Arthuis, président. - Comment a-t-elle-même pu se produire ?
M. François Deluga. - Comme dans toute organisation, il suffit d'être mal intentionné et suffisamment habile pour parvenir à détourner des systèmes, mais je souligne que le CNFPT s'en est aperçu de lui-même, preuve de l'efficacité de notre inspection interne.
Quant aux logements de fonction pour nécessité absolue de service, ils sont prévus depuis 1999 et le contrôle de légalité n'y a rien trouvé à redire. Cependant, nous allons examiner ce point.
M. Jean Arthuis, président. - Selon la Cour, le CNFPT applique un régime indemnitaire plutôt généreux...
M. François Deluga. - La Cour nous demande des audits et des contrôles réguliers, je vais donc le faire. Je suppose en conséquence qu'il va falloir recruter... Quant à la refonte de nos systèmes d'information, elle va nous permettre de redéployer des emplois grâce à la suppression d'opérations de resaisie des informations.
Pour la réserve, vous avez raison, elle s'élevait à 113 millions d'euros, en 2009, et je vous ai dit à quoi nous avons consacré sa diminution l'année suivante.
M. Jean Arthuis, président. - Le rapport, page 300, souligne que le CNFPT dispose de fonds propres en croissance, de disponibilités en abondance et d'un endettement réduit, avant d'indiquer que vous disposeriez de 326,7 millions de fonds propres en 2009 !
M. François Deluga. - Les fonds propres comprennent les immeubles, c'est un investissement, comme je vous l'ai expliqué. Le CNFPT utilise au total, en propriété et en location, 150 000 m² de bâtiments : l'achat de locaux est bien plus judicieux que la location de salles, qui est coûteuse puisqu'elle représente, rien qu'en Île-de-France, 600 000 euros par an ! L'excédent cumulé s'élevait à 113 millions en 2009, nous l'avons ramené à 50 millions l'an passé : en achetant un immeuble, en refondant notre système d'information et en augmentant de 27 % notre volume d'activité en deux ans.
M. Jean Arthuis, président. - Les collectivités locales, lorsqu'elles paient leur cotisation pour la formation, ne s'attendent peut-être pas à ce que leur écot serve à l'achat de locaux parisiens ! Nous cherchons à diminuer la dépense publique, les collectivités locales sont aussi concernées...
M. François Deluga. - Il faut bien des locaux pour les formations ! Si vous avez de la place au Sénat, n'hésitez pas à nous le faire savoir...
M. Jean Arthuis, président. - Il faut mutualiser. Si les formations se font en proximité, il y a bien des possibilités dans les établissements scolaires, par exemple...
M. François Deluga. - Les formations ne pourraient se faire que le mercredi après-midi et pendant les vacances scolaires ! Ce n'est pas du tout à la hauteur des besoins : nous parlons de 800 000 stagiaires, et le centre de Pantin, par exemple, reçoit certains jours jusqu'à 6 000 stagiaires en formation ! J'ai mis en place un groupe de travail interne sur la mutualisation.
M. Philippe Dallier. - La Cour des comptes dresse un constat sévère, mais vous répondez que c'est le passé, que maintenant, tout va bien et qu'il est inenvisageable de diminuer les cotisations : c'est un peu rapide ! Vous reconnaissez vous-même qu'il y a des économies à faire, mais vous ne les chiffrez aucunement. Vous disposiez de marges importantes en 2009, il y a des économies potentielles du fait de la restructuration que vous êtes en train de conduire, donc nous sommes en droit d'attendre que les cotisations baissent, par exemple de 10 % et peut-être temporairement : nous attendons un geste !
Vous nous dites que vos recettes sont en baisse, mais c'est une situation que nous rencontrons dans nos collectivités, qui n'impose pas de conserver toutes ses réserves : il faut s'adapter et vous avez encore du temps devant vous avant d'être même menacé d'un déficit, car je constate que la masse salariale dans ma commune ne diminue nullement, et augmente même avec le GVT, qu'il soit habituellement de 3,5 % ou de 2,6 % comme cette année.
Je me demande, ensuite, quoi faire avec les fonctionnaires momentanément privés d'emploi (FMPE). Lorsque j'ai été élu maire, j'ai trouvé un FMPE mis à disposition depuis deux ans. Seize ans plus tard, il est toujours dans la même position : trouvez-vous que cela est normal ?
M. François Deluga. - Ce n'est pas par hasard que j'ai introduit mon exposé par la situation qui était celle du CNFPT la dernière fois que son président est venu devant votre commission. La Cour des comptes nous recommandait alors deux solutions : soit augmenter la cotisation au-delà de 1 %, soit resserrer notre champ d'action. C'est la deuxième voie que nous avons suivie, et vous remarquerez avec moi qu'un taux de 1 % correspond à ce qui se fait dans le privé : il n'y a pas de raison que la fonction publique consacre moins de moyens que le privé à la formation de ses salariés.
Vous fondez votre appréciation financière sur des chiffres qui datent de trois ans au moins, la situation a changé. Les recettes des collectivités locales diminuent, la loi de finances pour 2011 a gelé leurs dotations, mais leurs besoins de formation augmentent, alors que leurs personnels sont trop souvent la seule variable d'ajustement dont elles disposent. Les cotisations formation, de leur côté, ont considérablement ralenti leur hausse : 6,8 % en 2008, 4,5 % en 2009, 2,5 % en 2010 et nous prévoyons 1,5 % cette année. Notre budget ne nous inquièterait pas si nous n'avions pas à mettre en oeuvre les mesures importantes de la loi de 2007, qui vont augmenter nettement nos dépenses. C'est en prenant en compte tous ces éléments que je vous affirme qu'il ne nous est pas possible de baisser les cotisations, sauf à diminuer l'offre de formation, ce qui n'est pas dans l'intérêt des collectivités territoriales. Je reconnais bien volontiers que nous devons rationaliser notre action, être plus efficaces, et c'est bien ce que je m'emploie à faire, c'est sur cette voie que le CNFPT s'est engagé.
S'agissant des FMPE, ils ne sont plus gérés par le CNFPT depuis l'an dernier, mais par les centres de gestion, sauf les fonctionnaires de catégorie dite A+. A l'échelle nationale, nous enregistrons actuellement 34 FMPE de catégorie A+ et la proportion de musiciens n'est pas négligeable...
M. Daniel Leroy. - Dans mon centre de gestion, nous gérons 16 FMPE. Le centre est censé leur trouver un poste, mais nous n'avons aucun pouvoir pour obliger les collectivités locales à les recruter, et ces fonctionnaires savent très bien, quand ils ne veulent pas être embauchés, faire échouer leur candidature... La loi autorise la révocation après trois refus d'offres fermes, mais cela ne règle pas le problème. Pour le régler, il faut changer la loi : c'est la responsabilité du Parlement.
M. Jean Arthuis, président. - Il faudra effectivement trouver une solution à ce problème.
M. Marcel Deneux. - Monsieur le président de la commission, merci d'avoir organisé cette confrontation, le sujet la mérite largement et nous y apprenons bien des choses. Les réponses du CNFPT me paraissent extravagantes, tant elles semblent venir du passé et ignorer le monde actuel. Monsieur le président du CNFPT, votre action est trop lente, vous vous comportez comme un fonctionnaire qui aurait tout son temps devant lui, alors qu'une rigueur de gestion s'impose en toute urgence : nous souhaiterions vous entendre prendre des engagements chiffrés, assortis d'un calendrier ! Vous vous félicitez de visiter un centre de gestion par mois, mais à ce rythme, vous n'aurez pas fini votre tournée avant cinq ans ! Soyez plus rapide, plus performant !
M. François Deluga. - Au sein du CNFPT, je ne passe pas pour quelqu'un de lent, mais pour un dirigeant qui accélère le mouvement, ce qui ne va pas sans tiraillements. Je suis maire, vice-président d'une communauté d'agglomération, j'ai été conseiller régional et président d'un Parc naturel, et c'est à ces titres que je sais combien les agents territoriaux, et leurs employeurs, ont besoin d'une formation continue de grande qualité, mais aussi que la réforme passe, plus que toute autre chose, par la réponse aux besoins des agents et des collectivités territoriales.
Je ne vous ai pas présenté notre plan national dans son détail, il y faudrait plusieurs heures, mais sachez qu'il est très précis et assorti d'un calendrier. Nous avons défini la stratégie, les orientations pluriannuelles et les programmes régionaux, nous avons commandité des audits sur tous les sujets qui paraissaient le mériter, nous passons maintenant à la phase opérationnelle. Je ne suis pas fonctionnaire de métier, mais le terme pour moi n'a rien de péjoratif, je crois même que c'est plutôt un honneur de servir la République et le service public ! Par mes différentes responsabilités, je sais aussi combien les fonctionnaires se dépensent à leur tâche, comment ils sont souvent surchargés, et je peux vous garantir que les agents du CNFPT se mobilisent pour la réussite de l'établissement, au service des collectivités locales et de leurs agents !
Mme Nicole Bricq . - Nous ne sommes pas des procureurs et vous n'êtes pas en accusation. Vous privilégiez la formation et, pour filer la métaphore du discours de l'entreprise, je dirais que vous choisissez l'investissement, alors que M. Dallier, en suivant le raisonnement de tout actionnaire, demande plutôt un dividende, un retour sur investissement. Je crois que votre choix de gestion est le bon. Cependant, quand jugerez-vous - et quand pourrons-nous juger - de vos actes ? Nous avons besoin d'un calendrier. Ensuite, le taux d'absentéisme nous étonne et nous inquiète. Pour le réduire, vous fixez-vous un objectif chiffré et un calendrier ? A quel niveau estimez-vous que se situerait un taux « incompressible », comme on le dit pour le taux de chômage ?
M. François Deluga. - Notre objectif est de réduire l'absentéisme le plus possible, mais il serait artificiel de fixer un objectif chiffré. On peut, cependant, prendre la référence de l'absentéisme dans la fonction publique territoriale, soit environ 10 %.
M. Jean Arthuis, président. - Mais l'absentéisme au travail tient compte des divers types de congés, en particulier des congés maternité, en plus des imprévus - alors que pour la formation, on s'inscrit au préalable, on choisit le moment.
M. François Deluga. - Le programme est annuel, on s'inscrit largement en avance et il y a alors autant d'incertitude que pour le travail.
Le calendrier, ensuite, dépend des mesures : certaines d'entre elles sont déjà prises et entrées dans les faits, d'autres sont en cours mais leurs effets se feront sentir plus tard. Voyez la refonte de notre système d'information : nous avons réalisé l'audit, qui estime que la mise en place d'un nouveau système prendra entre six mois et deux ans, ce qui reporte à au moins deux ans le renouvellement complet et les effets bénéfiques sur les procédures. Je dirai donc qu'un délai de trois ans est un bon terme pour juger de notre programme national. En matière de formation, du reste, nous raisonnons généralement à l'année n+2 : nous bouclons en ce moment le programme des formations pour 2012.
Mme Roselle Cros. - J'ai trois questions à vous poser. Le CNFPT est prestataire de services : un fournisseur, en somme, pour les collectivités. Or, alors que le code des marchés publics impose des études préalables des besoins, il nous revient qu'elles ne sont pas faites ou pas bien faites. Dans le recueil des besoins des collectivités, songez-vous à utiliser le personnel qui doit être redéployé ? Ma deuxième question a trait aux métiers des collectivités qui se professionnalisent chaque jour davantage. Il y a vingt-sept ans, des secrétaires étaient chargées de la dactylographie. Aujourd'hui, les attachés tapent eux-mêmes leurs travaux. Ne restent plus que des secrétaires de direction, dont le niveau de qualification est tout autre. Même chose dans les services techniques : il devient de plus en plus difficile de trouver des personnels de pointe dans tous les métiers. Je pense en particulier à ceux de l'urbanisme, de l'aménagement du territoire. Comment entendez-vous répondre à ces besoins ?
Enfin, je m'interroge sur l'évaluation. La durée, l'efficacité de toute réforme doivent être évaluées. Or, il est complexe d'évaluer un dispositif de formation. Si l'évaluation est systématique au niveau des stagiaires, tel n'est pas le cas au niveau des donneurs d'ordre que sont les élus, et des services de ressources humaines. Longtemps, la majeure partie des stagiaires est venue des mairies. Les départements et les régions étaient très peu demandeuses : elles préféraient faire appel au privé, sachant qu'elles ne trouveraient pas au CNFPT le niveau d'intervention qu'elles étaient en droit d'attendre. D'où une inflation de leurs budgets de formation. Ces collectivités, qui ont à traiter de questions plus complexes, peuvent-elles espérer une amélioration de votre offre qui soulagerait leurs budgets ? L'augmentation de votre activité vous permet-elle de mieux cibler certaines formations au bénéfice des personnels des grandes collectivités ?
M. François Deluga. - Depuis la loi de 2007, nous disposons, avec le plan de formation des collectivités, quand il existe, du meilleur instrument d'évaluation des besoins qui soit. Ce plan, élaboré à partir des demandes des agents et des collectivités, est approuvé par le comité technique paritaire. Nous nous appuyons beaucoup dessus pour monter nos formations. Nous disposons d'un service de prospective, qui fait le point, mais reçoit également les demandes qui émanent directement des grandes collectivités. C'est ainsi que nous avons passé convention avec la ville de Marseille, ou celle de Lyon, dont nous allons former les 6 000 agents, communauté et ville confondues. Je souhaite développer davantage ce type de conventionnement. Nous ne sommes plus dans une logique, périmée, de l'offre : la démarche est aujourd'hui inverse, et c'est à partir des besoins qui nous sont exprimés que nous montons nos formations. Cela requiert beaucoup de réactivité.
Vous m'interrogez sur l'évaluation. Ce matin même, une démarche nouvelle a été présentée en conseil d'administration, qui va conduire à interroger les collectivités, six mois après la formation, sur son efficacité.
En ce qui concerne les grandes collectivités, il est clair que leur demande est appelée à augmenter, car elles rechignent de plus en plus à faire appel au privé, pour des raisons budgétaires. Notre projet de réseau des écoles et la rénovation de l'Inset doivent aider à y répondre. Nous allons vers une spécialisation de nos quatre écoles, vers une expertise de haut niveau mieux faite pour servir les grandes collectivités.
M. Charles Gautier. - Je suis un peu juge et partie étant donné ma qualité d'administrateur du CNFPT et de vice-président du conseil d'administration, en charge du budget. Mais je veux dire que, lorsque je suis entré dans ces fonctions, il y a deux ans, j'étais, comme maire, et donc cotisant, assez critique. D'autant que je n'ignorais pas qu'il existait un reliquat. Je puis témoigner aujourd'hui que l'objectif est bien de résorber ce reliquat. Les prévisions de recettes sont très prudentes. L'an dernier, les recettes ont été moindres que ce qui avait été inscrit au budget précédent, si bien que le reliquat a commencé de fondre, et continuera de le faire.
Au sein du conseil d'administration, il faut aussi compter avec le paritarisme.
M. Jean Arthuis, président. - C'est un gage de rigueur...
M. Charles Gautier. - Ce matin, les interventions allaient plutôt à demander une hausse des cotisations...
M. Jean Arthuis, président. - Ce n'est guère dans l'air du temps...
M. Charles Gautier. - Des métiers nouveaux apparaissent : on attend beaucoup du CNFPT pour répondre aux besoins de formation. En matière de sécurité, par exemple. La fonte des effectifs de l'État se traduit mécaniquement, dans les collectivités, par des recrutements de personnels affectés aux tâches de sécurité. En ce domaine, tout est à faire. Le conseil d'administration a entendu ce matin deux rapports sur le sujet, pour la formation des polices municipales et des agents de sécurité.
Les évolutions sont donc positives : ce n'est pas le moment de mettre à mal ce nouvel équilibre.
M. Jean Arthuis, président. - La Cour souhaite-t-elle formuler des commentaires ?
M. Jean-Pierre Bayle. - La Cour des comptes effectue certes un contrôle a posteriori. Cependant, je ne puis laisser dire que nous remontons à trois ans et demi. C'est le résultat de 2009 qu'évoque le rapport, pour expliquer que, si le taux plafond de cotisation avait été réduit à 0,9, le résultat eût été encore excédentaire.
La question des FMPE a été traitée au cours de l'instruction, mais le rapport définitif ne peut traiter de tout.
La Cour n'a jamais utilisé l'expression de carton rouge, ni celle de carton jaune, au reste. Elle a écrit ce qu'elle a constaté. Le président du CNFPT a fait connaître ses observations, qui apportent des précisions. Cinq recommandations sur six recueillent son adhésion. Reste la sixième. Sachez cependant que la Cour ne lit pas dans le marc de café : elle n'a fait que constater qu'à la fin de l'exercice 2009, les excédents cumulés atteignaient 73 millions d'euros. Il y aura, je l'ai dit, un rapport de suivi : nous ne manquerons pas de prendre en compte les réalisations accomplies.
M. Jean Arthuis, président. - Je salue la Cour et rend hommage à son travail. La Constitution dispose que le Parlement vote les lois, contrôle l'action du gouvernement et évalue les politiques publiques. Nous sommes donc chacun pleinement dans notre rôle. Je remercie le président Deluga de la conviction dont il sait animer son conseil d'administration. Merci à M. Leroy pour le témoignage qu'il a apporté au nom de l'AMF.
Charles Gautier nous a dit comment l'institution entreprend de faire fondre son excédent. Notre problème est plus ardu : il s'agit de faire fondre le déficit public. Dans les formations que vous proposez aux agents de la fonction publique territoriale, il sera bon de faire passer le message : nous avons tous le devoir de maîtriser la dépense publique. Nous n'échapperons pas à cette exigence. Nous devons accepter de nous placer dans une relative insécurité budgétaire. Les excédents qu'abritent les caisses du Trésor public aident sans doute à financer le déficit de l'État, mais il n'est pas convenable que les municipalités versent des cotisations pour accumuler tant de réserves. Il ne serait donc pas malvenu de fixer momentanément un plafond à 0,9 %, ainsi que le suggère la Cour - même si un taux de 0,8 % m'aurait semblé plus approprié. Nous aurons un prochain rendez-vous avec la loi de finances rectificative. Sachez bien qu'il n'est pas question de vous laisser en difficulté. Mais pour l'heure, de tels excédents ne sont guère conformes à l'idée que nous nous faisons de la bonne gestion des deniers publics. Tous nos voeux vous accompagnent, monsieur le président.
Contrôle budgétaire des grands projets d'usine de traitement du nickel en Nouvelle-Calédonie - Communication
La commission entend enfin une communication de M. Éric Doligé, rapporteur spécial, sur les grands projets d'usines de traitement du nickel en Nouvelle-Calédonie.
M. Eric Doligé. - Le rapport de contrôle que je vous présente aujourd'hui s'inscrit dans un travail de long terme, mené par notre commission des finances, sur les grands projets d'exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie. Ce travail se justifie par l'ampleur financière des projets métallurgiques néo-calédoniens et par leurs conséquences sur les finances de l'Etat, en particulier en termes de dépenses fiscales.
C'est également l'occasion pour moi, en tant que rapporteur spécial de la mission « Outre-mer », d'examiner le cas particulier de la croissance économique de la Nouvelle-Calédonie, soutenue par des dispositifs fiscaux en faveur d'un développement endogène que tout le monde appelle de ses voeux pour l'ensemble de l'outre-mer français.
Ainsi, c'est à la suite de nos collègues Roland du Luart, en 1996, et Henri Torre, en 2005, que j'ai souhaité mener, au nom de la commission des finances et en application de l'article 57 de la LOLF, une mission de contrôle budgétaire sur les grands projets d'exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie. Dans le cadre de ce contrôle, j'ai pu y effectuer un déplacement d'une semaine, qui a été précieux pour mesurer l'importance du nickel dans l'ensemble de la société calédonienne et le niveau de développement de ce territoire, très éloigné, et très méconnu de nos compatriotes métropolitains.
Je vous présenterai les conclusions de mes travaux en trois temps :
- tout d'abord, l'importance du nickel tant pour le développement économique de la Nouvelle-Calédonie que pour son équilibre politique ainsi que l'état des projets d'usine lors du dernier contrôle effectué au nom de la commission des finances, en 2005 ;
- puis, les avancées intervenues depuis lors concernant chacun des deux grands projets d'usine : Vale Inco au Sud et Koniambo au Nord ainsi que l'état de l'usine historique de Nouvelle-Calédonie, celle de la Société Le Nickel - la SLN - à Nouméa ;
- enfin, les leçons que nous pouvons tirer du développement du nickel en Nouvelle-Calédonie, en particulier la question de l'utilisation de la défiscalisation comme outil de développement économique.
Tout d'abord, pourquoi le nickel est-il un atout économique majeur pour la Nouvelle-Calédonie ?
Parce que, d'une part, c'est un minerai très largement utilisé dans l'industrie pour la réalisation de l'acier inoxydable et d'autres métaux utilisés notamment dans l'aéronautique. Parce que, d'autre part, il est relativement rare de le trouver sous une forme exploitable à un coût raisonnable. Et, enfin, parce que la Nouvelle-Calédonie dispose d'environ 10 % des réserves mondiales de nickel, ce qui est considérable compte tenu de la taille de ce territoire de 18 500 km² soit un peu plus de 3 % de la taille de la France métropolitaine. En plus de ces ressources, le minerai néo-calédonien est relativement facilement exploitable, ce qui constitue un atout indéniable face à la concurrence internationale.
Comme pour la majorité des activités minières, l'essentiel de la valeur ajoutée est produite au stade du traitement et non de l'extraction du nickel. Or, grâce à une seule usine de traitement du nickel, celle, historique, de la Société Le Nickel (SLN), qui se trouve à Nouméa, la Nouvelle-Calédonie a produit, en 2009, plus de 52 000 tonnes de nickel métal, soit 4 % de la production mondiale. Le nickel représente ainsi 12 % de la création de richesse en Nouvelle-Calédonie et tire à la hausse une grande partie du reste des activités économiques.
C'est ce qui explique en grande partie le haut niveau de développement de ce territoire, où la richesse par habitant est la plus forte de l'ensemble des collectivités françaises d'outre-mer de taille comparable. Son PIB par habitant était ainsi égal, en 2008, à 83 % de celui de la France métropolitaine, soit 25 % de plus que celui de la Martinique par exemple. Dans la zone Pacifique, la Nouvelle-Calédonie se classe en deuxième position en termes de PIB par habitant, entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Outre son poids économique, le nickel a joué et joue encore un rôle important dans l'évolution politique du territoire.
Lors de la signature des accords de Matignon, le 26 juin 1988, à la suite du conflit opposant les loyalistes et les indépendantistes, a été affirmée la nécessité d'un rééquilibrage économique entre le Nord de la Nouvelle-Calédonie, largement moins développé que le Sud, qui, avec la ville de Nouméa, regroupe la majorité des activités économiques. La volonté de voir se construire une usine dans le Nord est ancienne, puisque le général de Gaulle, en visite sur le territoire en 1966, l'évoquait déjà. Pendant des années, les autorités du Nord ont demandé à l'opérateur historique, Eramet, de construire cette usine. Pour des raisons économiques, le groupe français n'a pas souhaité se lancer dans un projet de cette ampleur. Cela a alimenté pendant cette période, et comme l'avait fort bien vu notre collègue Roland du Luart, lors de son déplacement en 1996, le thème de la « richesse volée » des terres kanaks.
Mi-1996, le FLNKS a érigé en préalable aux discussions sur l'avenir du territoire la réaffectation de certains gisements au profit d'un projet d'usine dans le nord de l'île.
C'est dans la perspective de ce rééquilibrage qu'a été signé le protocole de Bercy, le 1er février 1998, en préalable à la signature de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998. Le protocole de Bercy prévoyait le développement et la réalisation d'une usine métallurgique dans la Province du Nord, sur la base d'un échange de gisements entre la SLN et la SMSP - Société Minière du Sud Pacifique, majoritairement détenue par la Province du Nord.
On constate donc que l'engagement de réaliser l'usine de traitement du nickel du Nord - dite usine de Koniambo - a été une condition de la signature et de la viabilité des accords politiques passés pour garantir la stabilité de la Nouvelle-Calédonie.
Venons-en aux conclusions du rapport réalisé par Henri Torre en 2005. Nous verrons ensuite que la situation a beaucoup évolué depuis.
Tout d'abord l'usine de Koniambo, au Nord. L'échange des massifs miniers prévu dans le protocole de Bercy, que j'ai évoqué, était subordonné à une condition suspensive : engager de façon ferme la réalisation de l'usine du Nord avant le 1er janvier 2006. Or, à la date d'examen du précédent rapport par notre commission des finances, le 5 octobre 2005, cet engagement ferme de réaliser l'usine n'avait pas été pris par la société Falconbridge, alors partenaire de la SMSP pour la construction de l'usine du Nord. Nous avions donc pointé les « très fortes incertitudes » qui pesaient sur la réalisation de l'usine de Koniambo.
D'autre part, un projet d'usine prenait place dans le Sud de la Nouvelle-Calédonie : le projet de Goro nickel, que le précédent rapport de notre commission jugeait être sur de « bons rails ». Nous estimions à l'époque que le projet, particulièrement novateur sur le plan technique, devrait être opérationnel d'ici l'année 2008.
Nous sommes en 2011 et qu'en est-il de l'état d'avancement de ces deux projets ?
Les discussions sur le montage par Falconbridge du financement de l'usine du Nord se sont poursuivies jusqu'à la décision de son conseil d'administration du 6 décembre 2005 de lancer la réalisation du projet, suivie des engagements fermes de commandes prévues dans l'Accord de Bercy et de la décision des actionnaires de construire l'usine du Nord. Les incertitudes relatives à sa réalisation ont donc été levées in extremis.
En 2006, une OPA sur la société Falconbridge a conduit à sa prise de contrôle par le groupe minier suisse Xstrata. Suite à cette prise de contrôle, une révision des coûts est intervenue en juillet 2006 et le nouvel actionnaire, tout en réaffirmant son engagement ferme de poursuivre le projet, décidait de revoir profondément son mode de financement, ce qui a prolongé la période d'ingénierie financière préalable à la réalisation de l'usine.
Actuellement, le projet se déroule donc selon un calendrier et un budget prévus fin 2007. C'est l'occasion pour moi d'appeler votre attention sur le gigantisme de ces investissements. L'usine du Nord représente en effet un coût de 3,8 milliards de dollars américains. Lors de mon déplacement, en mai dernier, le chenal d'accès et le port étaient achevés, pour pouvoir recevoir les premiers modules de production construits en Chine, qui ont effectivement été mis en place en août dernier. D'après les dernières estimations, le projet pourrait être opérationnel dans le courant de l'année 2012.
Nous pouvons donc nous réjouir que les doutes qui pouvaient encore peser, il y a six ans, sur la réalisation du grand projet de l'usine du Nord soient désormais levés. La perspective d'un rééquilibrage économique en faveur du Nord de la Nouvelle-Calédonie est entrée dans sa phase de concrétisation.
Qu'en est-il du second projet, celui en cours de développement dans le Sud de la Nouvelle-Calédonie ?
A l'inverse du projet du Nord, le rapport d'information de notre commission en 2006 peut être jugé a posteriori comme optimiste concernant sa réalisation, prévue pour l'année 2008. En effet, lorsque j'ai visité le site aucun gramme de nickel traité n'était encore sorti de l'usine du Sud.
Le projet a pris beaucoup de retard pour plusieurs raisons :
- tout d'abord, en octobre 2006, l'entreprise minière à l'origine du projet a été reprise par le groupe brésilien CVRD, devenu Vale par la suite. Ce changement n'a pas modifié les montages juridiques et financiers du projet. Il a toutefois donné lieu à une revue des coûts de ce projet, qui a conduit à revoir en 2007 son financement à travers un nouveau pacte d'actionnaires qu'il a fallu prendre le temps de négocier ;
- par ailleurs, la procédure d'autorisation ICPE a dû être renouvelée, sur la base du dossier d'investissement revu, qui avait réduit considérablement la surface de l'usine et modifié le projet pour en limiter les surcoûts. Cette procédure n'a été reprise qu'en 2006, compte tenu du temps nécessaire à la constitution d'un nouveau dossier ;
- parallèlement, de fortes contestations se sont manifestées sur le terrain, avec des blocages de route et des destructions d'installations. Les revendications émanaient des populations locales et portaient à la fois sur l'emploi local, les retombées économiques du projet et la protection de l'environnement. Les négociations avec l'interlocuteur principal, le Comité Rhéébù Nùù, n'ont abouti qu'en 2007, à travers la signature d'un « Pacte de Développement Durable du Grand Sud de la Nouvelle-Calédonie » ;
- après ces événements, le projet a pu démarrer de manière satisfaisante et les premiers tests ont eu lieu en 2009. Or, le 1er avril 2009, une fuite d'acide s'est produite dans la Baie Nord, proche de l'usine. Les dégâts ont été limités puisque les poissons repeuplaient déjà la rivière le week-end suivant. Cet incident grave a toutefois nécessité des vérifications techniques, le changement de vannes et le test de nombreux joints, retardant la mise en service effectif de plusieurs mois ;
- enfin, quelques jours avant mon déplacement en Nouvelle-Calédonie, un nouvel incident intervenait sur le site de l'usine lors de nouveaux tests de production. Une colonne d'extraction avec 670 mètres cubes de solution, contenant de l'acide et des solvants, s'est effondrée, mais les cuves de rétention ont contenu la fuite, qui n'a pas causé de dégâts environnementaux.
Aujourd'hui, ce projet d'une ampleur financière encore plus grande que celle de l'usine de Koniambo, au Nord, puisqu'il atteint 4,3 milliards de dollars d'investissements, et qui s'étend sur 22 hectares, a repris sa phase de démarrage en 2011 et devrait parvenir en 2013 à sa production de pleine capacité. C'est donc avec trois ans de retard par rapport aux prévisions effectuées en 2006 que l'usine du Sud entre en production.
Enfin, je voudrais ajouter un sujet à ceux qui avaient été traités par la commission des finances il y a six ans : celui de l'usine historique de production de nickel de Doniambo, installée à Nouméa et que j'ai eu l'occasion de visiter.
En effet, elle commence à souffrir d'une certaine vétusté. Elle est notamment alimentée par une centrale électrique ancienne et polluante, située en plein coeur de la capitale calédonienne. Si les projets de modernisation ne manquent pas, je pense qu'une clarification de la volonté de son actionnariat serait souhaitable, j'y reviendrai.
Quelles sont les leçons à tirer et les enjeux actuels du développement de ces grandes usines de nickel en Nouvelle-Calédonie ?
Tout d'abord, un sujet qui nous intéresse particulièrement parce qu'il touche directement aux finances de l'Etat : l'application des dispositifs de défiscalisation en outre-mer aux projets d'usine de nickel en Nouvelle-Calédonie.
Comme tous les investissements productifs éligibles, les deux projets d'usine - au Nord et au Sud - ont pu bénéficier des dispositions du code général des impôts qui permettent à des contribuables - particuliers imposables à l'impôt sur le revenu mais surtout, dans ce cas particulier, entreprises imposables à l'impôt sur les sociétés - de bénéficier de réductions d'impôts proportionnelles à leur financement d'investissements productifs en outre-mer. Le schéma permet alors au contribuable qui défiscalise de bénéficier d'une réduction d'impôt égale à 50 % des sommes qu'il investit. Ainsi, schématiquement, sur une mise de fonds propres de 100 euros, le contribuable bénéficie d'une réduction d'impôt de 50 euros. Une part de cette réduction d'impôts - au minimum 60 % - doit être rétrocédée à l'entreprise locale. Celle-ci bénéficie donc d'au moins 30 euros sur les 50 euros de réduction d'impôt, qui correspondent pour elle à l'équivalent d'une subvention publique. Enfin, sur les 20 euros restants, le contribuable doit en général payer l'intermédiaire en défiscalisation ayant permis la réalisation de l'opération.
Je ne reviendrai pas sur les critiques habituellement formulées par notre commission sur ce dispositif et notamment sur l'incapacité du Gouvernement à en évaluer précisément tant le coût que les bénéfices en termes d'emplois et de richesses créées localement.
Je me contenterai de dresser les constats suivants, que j'ai pu faire sur place :
- les deux projets d'usine ont bénéficié pour des montants exceptionnellement élevés de ce dispositif de défiscalisation. Les décisions d'agrément accordées par le ministère des finances portent sur un montant de bases défiscalisables de 345 millions d'euros pour l'usine du Sud et de 560 millions d'euros pour l'usine du Nord. Ces bases sont étalées sur plusieurs années mais elles sont à comparer avec le montant moyen annuel des agréments accordés par Bercy : environ 1 milliard d'euros. Le nickel tient donc une place particulière dans la défiscalisation des investissements outre-mer. Au final, le coût d'ensemble pour l'Etat de la défiscalisation accordée pour les deux usines est de l'ordre de 305 millions d'euros. Je rappelle qu'il est à comparer à un investissement global pour les deux usines de plus de 8 milliards de dollars soit environ 5,8 milliards d'euros ;
- par ailleurs, l'ensemble des acteurs que j'ai rencontrés a estimé que l'octroi de cette défiscalisation a été nécessaire à la réalisation de ces grands projets. Le bureau des agréments à Bercy m'a d'ailleurs indiqué que le montant des bases défiscalisables avait été négocié dans le cadre de conventions globales en fonction de ce que l'Etat considérait comme nécessaire à la réalisation de l'investissement ;
- cela m'amène à un troisième constat : le dispositif légal de la défiscalisation en outre-mer laisse une très grande marge de manoeuvre à l'exécutif, hors du contrôle du Parlement. Le montant de la défiscalisation en a été négocié, le bureau des agréments disposant d'une grande liberté dans ce domaine. J'ai pu observer sur place que, pour les besoins du montage financier, il a fallu individualiser les éléments des usines bénéficiant de la défiscalisation mais qu'aucune raison de fond ne justifie que tel élément soit défiscalisé ou non.
Par conséquent, s'agissant de grands projets tels que ceux relatifs au nickel en Nouvelle-Calédonie, si une aide financière publique apparaît nécessaire, on peut toutefois sérieusement s'interroger sur la pertinence de passer par un dispositif de défiscalisation plutôt que par une subvention budgétaire, qui aurait le mérite d'être retracée dans le budget de l'Etat et contrôlable, tant par le Parlement que par le contribuable.
Outre les leçons à tirer en matière de défiscalisation, il m'est apparu au cours du déplacement que la mise en service de l'usine de Koniambo, au Nord, ne suffirait pas à elle seule à régler les problèmes de déséquilibre de développement entre le Sud et le Nord.
En effet, il va falloir mettre l'accent rapidement sur l'accompagnement du développement du projet en réalisant des équipements dans les trois communes concernées de Voh, Koné et Pouembout, notamment à travers la construction de logements dans ces trois communes, ainsi que l'implantation de commerces, hôtels, restaurants ou services.
Or, de ce que j'ai pu voir lors de mon déplacement, si une partie des projets se réalise, c'est à un rythme qui me semble particulièrement lent alors que la population de cette région - 10 000 personnes actuellement - pourrait doubler dans les prochaines années. Le risque est donc important que le développement de l'usine ne profite pas pleinement à la Province Nord, voire provoque des tensions sociales dans cette région.
Enfin, et c'est le dernier point que je voudrais souligner, il est impératif que la France se dote d'une vraie politique stratégique minière, intégrant la Nouvelle-Calédonie.
La richesse de la Nouvelle-Calédonie est une chance pour notre pays et il m'a semblé, en auditionnant tant l'administration du ministère de l'écologie que le directeur de cabinet de son ancien ministre, Jean-Louis Borloo, que nous étions en train de passer totalement à côté de ce sujet stratégique et que, depuis le désengagement du BRGM, l'Etat ne disposait plus des moyens nécessaires pour mener une vraie politique minière.
Les néo-calédoniens attendent notamment de savoir si Areva, actionnaire à hauteur de 25 % dans Eramet, qui possède l'usine de Nouméa, souhaite ou non se désengager de cette participation. Cela conditionne très largement l'avenir de l'usine de Nouméa.
En outre, la coexistence de trois usines d'une telle ampleur sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie nécessite une coopération entre l'ensemble des acteurs pour que le développement se fasse harmonieusement et que la concurrence entre les opérateurs ne porte pas préjudice mais profite à la Nouvelle-Calédonie et à la France dans son ensemble.
Or, l'Etat, après s'être concentré sur l'objectif de construire l'usine de Koniambo dans le Nord, ne semble pas encore être passé à l'étape suivante, ce qui me semble pourtant une urgence.
Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire. En conclusion, il faut insister sur la nécessité, pour la Nouvelle-Calédonie, d'utiliser au mieux cette richesse qu'est le nickel et, pour l'Etat, de l'accompagner dans son développement, dans l'intérêt de la Nouvelle-Calédonie mais aussi de la France dans son ensemble.
M. Jean Arthuis, président. - Il me semble en effet qu'il convient de replacer sous le contrôle du Parlement la défiscalisation des investissements en outre-mer. Des banques ont par le passé réduit, pour des montants très élevés, le montant de leur impôt sur les sociétés grâce à l'application de la défiscalisation en Nouvelle-Calédonie. D'ailleurs, ce dispositif peut, dans certains cas, bénéficier à des entreprises étrangères.
M. Eric Doligé. - J'ajoute qu'une partie du minerai calédonien est aujourd'hui exportée pour être traitée en Corée du Sud, en raison de trop faibles capacités d'exploitation sur le territoire. Ainsi, une grande part de la valeur ajoutée est délocalisée.
M. Jean Arthuis, président. - Tant que les usines ne fonctionnent pas, on exporte du « blé en herbes ».
M. Eric Doligé. - On constate par ailleurs que les collectivités territoriales néo-calédoniennes ont des participations, tant dans le projet d'usine du Nord que dans celui du Sud, mais que des incertitudes importantes pèsent sur les perspectives de retour sur investissement de ces participations. En outre, la clef de répartition utilisée pour la répartition des recettes fiscales entre les trois provinces conduit, semble-t-il, à favoriser très largement la province Nord, alors que les finances de la province Sud sont de plus en plus tendues. Cette question devra faire l'objet d'un examen approfondi.
De manière générale, l'Etat ne me paraît pas assez impliqué dans le dossier du nickel en Nouvelle-Calédonie, alors même que l'investissement financier a été pour lui important. Aujourd'hui, les néo-calédoniens ont les moyens de leur autonomie politique, grâce à un niveau de développement du territoire très satisfaisant. Ce modèle n'est malheureusement pas facilement applicable dans les autres collectivités territoriales d'outre-mer car il est largement fondé sur les ressources minières de la Nouvelle-Calédonie.
Quoi qu'il en soit, il est impératif que l'Etat s'engage davantage sur ce sujet. On peut craindre que ce soient les inconvénients, notamment environnementaux, de ces usines de traitement qui nécessitent, à terme, son intervention.
M. Jean Arthuis, président. - Nous aurons alors les inconvénients sans avoir eu les avantages...
A l'issue de ce débat, la commission donne acte à M. Eric Doligé, rapporteur spécial, de sa communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.