Mardi 15 février 2011
- Présidence de M. Bruno Sido, vice-président -Les collectivités locales en Allemagne et au Danemark - Communication
La délégation procède à l'examen d'une communication de M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur, sur les collectivités locales en Allemagne et au Danemark, suite à un déplacement effectué dans ces deux pays, dans le cadre de la préparation d'un rapport sur le rôle économique des collectivités locales.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'organisation territoriale allemande est au moins aussi complexe que l'organisation territoriale française. Elle est composée d'un État fédéral (Bund) et de trois niveaux de collectivités infranationales : 16 États fédérés (Länder) dont certains présentent des particularités comme la Bavière, la Rhénanie-Westphalie et la Basse-Saxe, 323 districts (Kreise) et 12 196 communes (Gemeinden). Berlin, Brème et Hambourg ont un statut dérogatoire : il s'agit de 3 villes-États composées d'arrondissements. Les 116 autres plus grandes villes ne sont rattachées à aucun district ; ce sont des villes-districts constituant chacune un district urbain. En outre, dans certains États, un échelon administratif supplémentaire existe entre les districts et les communes.
Les modes de gestion répondent à une forte diversité. Ainsi, les compétences d'un Land à l'autre sont très variables. En outre, le système comptable n'est pas unifié, ce qui rend difficiles les comparaisons entre communes de länder différents. L'unification du système comptable et budgétaire vers une forme comparable à celle de la France n'est pas encore achevée. Par ailleurs, en examinant le détail, on observe l'existence de trois types d'organisation de communes et de villes-districts : le système du conseil de l'Allemagne du nord, le système du magistrat et le système du conseil de l'Allemagne du Sud. A Berlin, le système est particulier, de par son statut de Ville-État, avec un exécutif qualifié de Sénat et une administration d'arrondissement.
Il existe aussi une très grande variété dans le mode de gouvernance des districts dont les conseils et l'exécutif font l'objet d'une élection spécifique, ce qui pose un certain nombre de difficultés d'articulation avec les communes, d'autant que ces districts ne disposent pas de recettes financières propres. Dans certains länder, les maires peuvent assister aux séances du Landrat, assemblée délibérante des districts. C'est donc un système compliqué.
En ce qui concerne les effectifs des collectivités territoriales allemandes, on recense :
- 323 districts ruraux qui ne disposent pas de ressources propres alors qu'ils disposent d'une gouvernance élue spécifique. Ils couvrent 96 % de la superficie du pays et regroupent 68 % de la population ;
- 116 villes-districts. Il faut noter que les districts sont aussi des circonscriptions de l'administration de l'État ;
- 12 196 communes, dont plus de 75 % comptent moins de 5 000 habitants. La population moyenne des communes est de 6 690 habitants. 42 % de la population vit dans des communes de moins de 20 000 habitants. On observe également une grande disparité de taille et de nombre selon les länder. Par exemple, la population moyenne des communes en Rhénanie-Palatinat est de 1 740 habitants et plus de 4 800 communes sont peuplées de moins de 1 000 habitants. Il y a aussi un projet de fusion de communes et de fusion des plus petits länder qui n'a, à ce jour, jamais abouti. Enfin, il faut observer que la réunification allemande a augmenté notablement le nombre de communes puisqu'il n'y avait pas eu de réformes dans les länder de l'Est.
En application du principe de subsidiarité, l'État fédéral n'exerce que les compétences qui ne peuvent être exercées par les länder directement ou par les communes, les districts et les villes. Les länder disposent de compétences à la fois régaliennes et administratives en matière d'enseignement, de police, de justice, de recouvrement des impôts et de gestion du domaine, mais aussi de droit des communes. La santé est un secteur partagé avec le niveau fédéral. Les dépenses des länder sont équivalentes à celles de l'État fédéral. Le nombre de fonctionnaires des länder correspond à plus du quadruple de celui de la Fédération, l'administration étant essentiellement locale. Les länder disposent d'une indépendance budgétaire mais doivent respecter les règles européennes et « l'équilibre global de l'économie » qui sont inscrits dans la loi.
La répartition fiscale des collectivités montre que la proportion évolue vers une part de plus en grande assurée par les länder, en particulier depuis la réunification en 1990. En effet, à cette période, il y a eu besoin d'effectuer des transferts financiers plus importants afin de soutenir les länder de l'Est. En outre, comme en France, il y a eu une évolution naturelle vers un transfert des compétences -qui sont aussi des transferts de charges- accompagnés par des parts de fiscalité transférée.
En 2010, les recettes du Bund représentent 223,7 milliards € et celles des länder 208,1 milliards €. L'autonomie financière des länder est cependant limitée : si 70 à 75 % de leurs ressources sont d'origine fiscale, elles proviennent essentiellement d'un partage de divers impôts avec le Bund, qui en fixe l'assiette et la clef de répartition ; ce n'est que marginalement que s'y ajoutent quelques impôts locaux. 25 à 30 % des ressources proviennent globalement de dotations du Bund (17 % de dotations de péréquation entre les länder, financées sur la TVA; 13 % de dotations spécifiques dont le pacte de solidarité pour les länder de l'Est). Les parts respectives des ressources financières et de dotations varient donc fortement d'un Land à l'autre, les länder de l'Est bénéficiant de dotations plus importantes que ceux de l'Ouest.
Les autres collectivités allemandes sont sous tutelle juridique des länder, qui décident des compétences qui seront attribuées aux communes et aux districts. Ainsi, d'une manière générale, les communes disposent de compétences obligatoires ; ces compétences concernent en pratique la construction au sens large (avec les aménagements urbains, la voirie urbaine, le logement), les écoles, l'eau et l'assainissement, les centres de formation pour adultes. Elles exercent en outre des compétences facultatives (infrastructures de transport public local, culture, tourisme, loisirs, sport et aides économiques...). Enfin, des compétences sont déléguées aux grandes communes (accueil des réfugiés, élections...).
Les districts ont pour compétences obligatoires les routes, l'aménagement du territoire, l'action sociale et l'aide à la jeunesse, les hôpitaux, l'enseignement secondaire, les ordures ménagères. Leurs compétences optionnelles sont le soutien aux activités culturelles, la formation pour adultes et les bibliothèques. Ils ont un rôle clef pour l'action sociale.
Les länder définissent les structures et les règles de fonctionnement des collectivités à travers un code municipal propre à chaque land. Ils exercent un contrôle essentiellement de légalité mais aussi, a priori, dans certains domaines (PLU, garanties d'emprunt, vente de patrimoine...) plus un contrôle d'opportunité pour les compétences déléguées.
A mon sens, le problème essentiel est que ces communes et ces districts sont sous la tutelle financière des länder. Les districts n'ont pas de ressources propres et il n'y a pas de relations financières directes entre le Bund et les communes. Les ressources de transfert et la péréquation passent ainsi obligatoirement par les länder, qui définissent la dotation des communes en tenant compte des répartitions de compétences. Les länder procèdent à la péréquation entre communes à partir des impôts et taxes dont ils bénéficient, de la dotation de péréquation et des dotations complémentaires reçues du fédéral. Ce transfert des länder vers les communes dans le cadre de la péréquation représente environ 20 % des recettes des länder et 35,5 % des recettes des communes.
En 2009, la fiscalité a représenté environ 36 % des ressources des communes (14,5 % de taxe professionnelle ; 13,8 % d'impôt sur le revenu ; 1,8 % de TVA ; 5,6 % de taxe foncière et 0,4 % de diverses taxes et produits de services) ; les dotations, elles, ont représenté 48 % des ressources (en provenance du land ou du Bund via le land) sous forme de dotation globale et, pour 8 % environ, de dotations spécifiques pour des investissements prioritaires. Le reliquat est constitué de diverses taxes et produits de services.
C'est donc une autonomie financière et fiscale réduite qui commence à susciter des protestations. Ainsi, une commission a été mise en place fin 2010 pour traiter de ce sujet. L'autonomie fiscale des communes est limitée au taux de la taxe foncière, de la taxe professionnelle, aux droits d'accise (très secondaires), soit de l'ordre de 20 % de la fiscalité et de 7 à 8 % des recettes, ce qui est assez faible. Le land peut imposer certaines dépenses et investissements en contrepartie de ses dotations et il exerce sur les communes un contrôle budgétaire en théorie strict. En effet, en application de la loi, les communes doivent présenter des budgets en équilibre même si, en pratique, de nombreuses communes sont endettées en fonctionnement. Le budget annuel est soumis à l'agrément du land. Il doit être accompagné d'une planification financière sur cinq ans avec le programme des investissements prévus.
L'emprunt n'est possible, théoriquement, que pour l'investissement et il est soumis à l'agrément du land. Pourtant, les collectivités allemandes sont financièrement fragiles et endettées. Leur situation tranche avec celle des collectivités françaises. Certes, si l'on considère l'ensemble de la dette publique, on constate que les Français sont légèrement plus endettés que les Allemands (80,1 % du PIB contre 68,5 % du PIB). Mais le poids budgétaire de la dette n'est pas plus conséquent en France qu'en Allemagne (1 574 milliards € contre 1 712 milliards €, en 2010).
De ce point de vue, et contrairement à ce qui est généralement admis, la situation allemande n'est donc pas meilleure que la situation française : la structure de la dette publique est simplement très différente dans les deux pays. Ainsi, l'État central allemand est relativement peu endetté par rapport à l'État français : 1 075 milliards €, soit 44,6 % du PIB, contre 1 235,5 milliards €, soit 64 % du PIB ; en revanche, pour les administrations locales c'est le contraire : 151,4 milliards €, soit 7,8 % du PIB en France contre 637 milliards €, soit 25,5 % du PIB en Allemagne. Si on détaille davantage ces chiffres selon le niveau des collectivités territoriales, on constate que l'endettement des länder est très important. Il atteint 22 % du PIB (522 milliards €) contre 4,6 % du PIB (soit 115 milliards €) pour les communes allemandes, même si l'endettement des communes allemandes demeure également plus important que celui des communes françaises, atteignant 3 % du PIB (soit 58,6 milliards €).
La situation des länder est très différente d'un land à l'autre. Selon le Conseil de stabilité, quatre länder sont dans une « situation budgétaire critique » et sont placés sous surveillance, à savoir : Berlin, Brême, la Sarre, le Schleswig-Holstein, et un land se trouve dans une situation « difficile » (Saxe-Anhalt). Un plan fédéral de retour à l'équilibre pour 2020 a été mis en oeuvre, mais il laisse beaucoup d'observateurs sceptiques : dans la mesure où les länder ne disposent que d'une autonomie fiscale très faible, la politique de réduction de la dette se traduit par un frein aux possibilités d'emprunt, seules marges de manoeuvre restant aux länder. De plus, ces cinq länder (Berlin, Brême, Sarre, Saxe-Anhalt, Schelswig-Holstein) reçoivent une aide à la consolidation en contrepartie de l'obligation de réduire chaque année de 1/10ème leur déficit structurel, soit globalement une aide annuelle de 800 millions €, ce qui est très faible au regard du coût de la dette.
Par ailleurs, de nombreuses landesbank (les banques des länder) sont dans une situation calamiteuse. En effet, beaucoup d'entre elles ont pratiqué la spéculation à grande échelle, notamment avec l'Irlande, et se trouvent dans une fâcheuse position.
En ce qui concerne les communes, elles ont en théorie une obligation d'équilibre budgétaire de la section de fonctionnement... mais qui est, en pratique, de moins en moins respectée depuis l'unification. En effet, les communes ont transformé des crédits de trésorerie en crédits à moyen terme de l'ordre de cinq ans et en crédit « revolving ». Ainsi, par ce biais, une partie de la dette à court terme s'est trouvée transformée en dette à long terme. Les länder auraient dû légalement s'opposer à ces pratiques mais, en raison de leurs difficultés budgétaires propres et faute de pouvoir en conséquence transférer des ressources suffisantes aux communes, ils ont « laissé faire ». Ainsi, progressivement, non seulement le niveau d'endettement global des communes a augmenté en passant de 72 milliards € en 1991 à 116 milliards € en 2009, mais la part de cet endettement couvrant de simples dépenses de fonctionnement a considérablement progressé : de 2 milliards € à 35 milliards € sur la même période ; sur la même période, la part des investissements n'a progressé que de 5 milliards €, ce qui, en euros constants, correspond à une régression très forte. Le volume des crédits à court terme représente de l'ordre de 30 milliards € sur 116 milliards € en 2009.
Ainsi, le plus préoccupant dans l'évolution de l'endettement des collectivités allemandes, c'est moins sa progression globale que l'évolution de sa structure, avec une part « fonctionnement » de plus en plus importante.
En outre, les situations sont très différentes selon les länder et les communes, ce qui pose aussi la question de l'efficacité de la péréquation à l'allemande. Certains länder sont proches de la banqueroute, alors que d'autres länder comme la Bavière n'ont aucun problème. La plupart des communes ont des comptes en équilibre -quoique en équilibre fragile- mais un nombre non négligeable est en difficulté. Ainsi dans le land de Rhénanie Nord Westphalie, 50 % des communes sont en difficulté et 30 % sont sous tutelle dans le land de Westphalie. Dans le land de la Sarre, l'endettement des communes en crédits de trésorerie atteint 1 388 € par habitant ! L'endettement des communes se fait auprès des banques, des caisses d'épargne locales et des banques privées.
Les raisons de cette situation sont tout d'abord liées à un sous-financement chronique des collectivités. Les villes et les communes en Allemagne sont structurellement sous financées, les dépenses l'emportant sur les recettes. En dix-neuf ans, leurs comptes n'ont été à l'équilibre que sur huit exercices seulement. Leur déficit est évalué en moyenne à 5 milliards € par an, d'où leur endettement. Même les bonnes années n'ont pas permis leur désendettement. La situation ne devrait pas s'améliorer car ce sous-financement est estimé, selon les associations de communes allemandes, à 15 milliards € environ pour chaque année de 2010 à 2013.
Les raisons de cette situation sont ensuite liées à des transferts de charges, notamment sociales, mal compensées. Ces dépenses sociales sont très importantes et fortement liées à la conjoncture (37% en moyenne, voire 40% à Berlin où elles sont particulièrement élevées). Elles ont cru fortement : de 26 milliards € en 1999 à presque 40 milliards € en 2009. Elles devraient atteindre 45 milliards € en 2013. Ainsi les prestations sociales pour les personnes âgées ou les invalides ont triplé depuis leur création en 2004. Or, ce sont des dépenses sur lesquelles les communes n'ont aucun pouvoir. De plus en plus de charges sociales sont transmises aux communes sans les recettes qui vont avec. Une progression de ces dépenses sociales est estimée à quelque 2 milliards € par an par les associations de collectivités (ce chiffre est naturellement contesté par le ministère fédéral des finances). Ainsi, la loi sur la gratuité des jardins d'enfants pour les enfants de 3 ans n'est pas financée ; il en est de même pour l'obligation de participer au financement de la caisse maladie, pour l'allocation logement dans sa part enfants, pour la prise en charge des chômeurs en fin de droits qui devient une dépense sociale communale et pour l'intégration des handicapés. Ce sont des dépenses qui, au départ, sont minimes mais progressent ensuite fortement. La loi fédérale se contente de prévoir un « financement assuré par les communes » sans dire comment.
Les raisons de l'évolution de l'endettement des collectivités allemandes sont enfin liées à une autonomie fiscale réduite et à des impôts très sensibles à la conjoncture. Il en est ainsi notamment de la taxe professionnelle, assise sur les bénéfices d'exploitation. En 2008, elle a rapporté 41 milliards € aux collectivités allemandes, mais seulement 32 milliards € en 2009. Par comparaison, la taxe professionnelle en France a rapporté 31 milliards € en 2008 et 33 milliards € en 2009. A cela s'ajoute un mode de perception assez particulier en Allemagne : l'entreprise paie des acomptes et le solde intervient au bout de deux ou trois ans ; cependant, si elle estime que le montant des acomptes demandés ne correspond plus à ses possibilités, elle peut cesser ses versements.
En période de chômage et de crise, l'impôt sur le revenu voit aussi son rendement baisser, d'où une demande de réforme de l'Association des villes et des communes allemandes. L'État fédéral propose notamment de supprimer la taxe professionnelle pour la remplacer par un impôt sur le chiffre d'affaires dont le taux serait fixé par le Bund et de majorer le taux de l'impôt sur le revenu (dont l'assiette serait revue à la baisse). Ces propositions sont cependant repoussées, car elles se traduiraient par un allégement de la charge des entreprises sur le dos des ménages. L'association des villes et des communes allemandes demande au contraire un élargissement de l'assiette de la taxe professionnelle, avec notamment l'assujettissement des professions libérales.
A ce tableau, il convient d'ajouter une gestion parfois hasardeuse. Tel est par exemple le cas de Berlin, qui a trois opéras à entretenir et qui paie le prix d'une unification peu rationnelle, ayant conduit à des doublons dans les effectifs puisque l'administration de l'Est y a été maintenue après l'installation d'une nouvelle administration de la ville.
Dans cette analyse globale, il est frappant d'observer un sous-investissement chronique. L'essentiel des dépenses des collectivités sont des dépenses de fonctionnement, que l'on tente de comprimer par la fermeture des piscines, la réduction des personnels scolaires... Mais il y a un sous investissement structurel. Dans le secteur public, les investissements ont chuté de 47 milliards € en 1992 à 29 milliards € en 2005, avec ensuite une amélioration modeste grâce au plan de relance d'un montant de 13 milliards € sur deux ans. Les communes qui réalisent les 2/3 de l'investissement public n'engagent que 60 % environ de ce qui serait nécessaire à l'entretien des infrastructures. Chacun reconnaît ainsi que l'usure commence à poser des problèmes, notamment pour le réseau routier après deux hivers très durs. Il en est de même dans les transports de proximité à Berlin. Les trains fédéraux (Deutsche Bahn) eux aussi sont sous-financés.
En comparaison, si l'on se fonde sur la formation brute de capital fixe (FBCF), qui mesure l'investissement au sens de la comptabilité nationale, on observe que les entreprises françaises investissent en 2009 un peu plus que les entreprises allemandes et danoises (17,2 % contre 16 et 16,1 % du PIB). En revanche, en recherche et développement, les entreprises françaises ne consacrent que 2 % du PIB contre 2,8 % en Allemagne et 3 % au Danemark. Mais surtout, les investissements des administrations publiques représentent en France 3,3 % du PIB contre 2 % au Danemark et seulement 1,6 % du PIB en Allemagne ; pour les seules administrations infra-étatiques, le niveau d'investissement est de 1,4 % du PIB en France et au Danemark contre 0,8 % du PIB en Allemagne. Les collectivités locales allemandes investissent donc beaucoup moins que les collectivités locales françaises qui sont quand même un des outils d'investissement important dans les deux pays.
M. Bruno Sido, président - L'exposé qui vient de nous être présenté dresse un portrait du fonctionnement des structures publiques allemandes, et notamment des collectivités territoriales, différent de celui que nous connaissons habituellement. Il faut d'ailleurs souligner que le sous-investissement public dont il vient d'être fait état n'est pas visible au premier abord lorsqu'on visite le pays.
Mais ce constat s'explique peut-être par des pratiques différentes de celles des administrations locales françaises. Ainsi, à l'occasion d'un déplacement dans le cadre d'un jumelage, j'ai rencontré des élus allemands qui m'ont expliqué qu'en matière d'éclairage public ils n'investissaient pas dans les réverbères mais qu'ils achetaient, par le biais de partenariats public-privé, des rues éclairées. De la même manière, ils n'investissaient pas dans un réseau de distribution d'eau mais achetaient des mètres cubes d'eau auprès d'un fournisseur. Leurs pratiques d'investissements étaient donc radicalement différentes des nôtres. En conséquence, le sous-investissement qui ressort des données statistiques présentées par notre rapporteur ne résulte-t-il pas de ces comportements et donc de la difficulté d'établir une méthode de comparaison efficace entre nos administrations locales ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Il est exact que les comparaisons sont toujours difficiles à établir. J'ai néanmoins deux éléments de réponse. Premièrement, le recours aux partenariats public-privé a été en Allemagne une pratique courante de gestion locale au cours des années précédentes, mais on constate aujourd'hui un retour en arrière. Deuxièmement, le constat du sous-investissement n'est pas propre aux collectivités territoriales : les entreprises investissent également assez peu, en tout cas pas suffisamment pour compenser la faiblesse de l'investissement public. Or, si, dans la cadre d'un partenariat public-privé, une dépense d'investissement n'est pas inscrite dans les comptes de la commune, elle devrait se retrouver dans les comptes des entreprises ; lorsque ce n'est pas le cas, c'est que l'investissement n'a pas été effectué.
Tout en conservant à l'esprit la difficulté d'établir des comparaisons, il existe un faisceau d'éléments convergents qui font apparaître une tendance. En 1992, globalement l'Allemagne investissait 600 milliards par an d'équivalent euros, en 2005, seulement 400 milliards d'euros. Il y a donc, et le constat pourra également être fait pour le Danemark, une forme de désintérêt pour l'investissement.
M. Bruno Sido, président - Peut-on établir un lien entre les politiques d'investissement et les impératifs de la réunification, et notamment la mise à niveau des infrastructures de l'ancienne Allemagne de l'Est ? Une analyse du seul territoire de l'ancienne Allemagne de l'Ouest conduit-elle à des conclusions différentes en matière de politique d'investissement ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Les sous-investissements touchent particulièrement les länder de l'ouest, à l'exemple de la situation de la Sarre ou de la Nord Rhénanie-Westphalie.
M. Yves Détraigne - Les règles de répartition des dotations et de la fiscalité partagée, qui représentent l'essentiel des ressources des collectivités, sont-elles déterminées unilatéralement par l'État fédéral, ou font-elle l'objet d'une négociation entre l'État fédéral et les collectivités locales concernées ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur - Il y a bien évidemment des négociations entre l'État fédéral et les länder, notamment au Bundesrat, la chambre du Parlement allemand qui représente les länder. Mais, à mon sens, l'État fédéral a le dernier mot dans cette négociation. Le plus marquant dans cette organisation, c'est qu'elle ne correspond pas à l'image que nous nous faisons traditionnellement de l'organisation administrative allemande, qui apparaît ainsi beaucoup moins décentralisée que nous l'imaginons habituellement : il apparaît que, par des moyens indirects, le niveau fédéral contrôle les länder, et que les länder contrôlent les compétences et les ressources des districts et des communes. Par ailleurs, il apparaît que les transferts de compétences n'ont pas forcément fait l'objet de l'affectation des ressources nécessaires. Les associations de collectivités territoriales se plaignent d'ailleurs de cette situation, tandis que l'État fédéral indique que les transferts de compétences ont été compensés à l'euro près.
J'en viens maintenant à la partie de ma communication relative au Danemark. Le Danemark dispose aujourd'hui d'une organisation territoriale simple avec un niveau étatique, 98 communes (dont 32 d'une taille inférieure à 20 000 habitants et une taille médiane de 43 300 habitants) et 5 régions en survie. Le Danemark est un pays à haut niveau de décentralisation avec deux niveaux essentiels : l'État et les communes, qui fonctionnent dans une sorte de partenariat. La région est un niveau territorial dont la compétence est essentiellement la gestion du système de santé (et qui correspond par ailleurs à la circonscription territoriale de base de l'État).
Le Danemark présente une très forte décentralisation du service public. Des réformes adoptées par étapes, en 1970 puis en 2007, ont réduit les doublons entre l'administration d'État et les administrations locales. Les services municipaux font aujourd'hui fonction de services locaux de l'État, selon le principe ainsi résumé : « une seule entrée principale pour accéder au service public ». C'est notamment le cas de l'emploi, de la sécurité sociale et des services sociaux, de la santé (en particulier pour les soins post-hospitaliers), de l'environnement, de l'urbanisme, de l'état civil et des documents d'identité, des écoles primaires (les autres échelons relèvent de l'État), des crèches et des garderies.
Le service public est assuré sur l'ensemble du territoire danois par la réunion d'anciennes communes urbaines et rurales. La réforme a été très bien acceptée, même si elle réduisait le nombre des communes, parce que les nouvelles communes ont hérité de compétences supplémentaires (notamment l'ensemble du secteur social, y compris la politique de l'emploi), auparavant exercées par les 13 anciens « comtés » remplacés par les 5 régions. Cette réforme s'est également accompagnée des transferts de ressources correspondants. Les communes ont aussi hérité de 15 % des ressources des « comtés ».
Au Danemark, seul l'État et les communes peuvent lever l'impôt. Les dépenses obligatoires représentent quelque 20 %, ce qui témoigne d'une grande liberté de gestion.
Cette réforme a aussi été bien acceptée parce que le processus de fusions a été conduit par les intéressés (et non par le pouvoir central), parce qu'il n'a pas abouti à une réduction du personnel après les transferts (mais à une légère augmentation des effectifs) et parce qu'elle concernait un petit pays, peuplé de 5,4 millions d'habitants et relativement homogène. Il y a également eu une forte implication des élus et des associations de collectivités puissantes. Le cumul des mandats est juridiquement autorisé mais il est très peu pratiqué. La fonction de maire est recherchée par le personnel politique en raison des fortes compétences qui lui sont attribuées.
Le poids des impôts locaux dans la fiscalité représente plus de 30 % au Danemark, alors qu'en France il est de l'ordre de 10 % et en Allemagne encore moindre. Les ressources des communes sont essentiellement constituées des ressources fiscales, pour 75 % en provenance de l'impôt sur le revenu avec, en outre, une part de l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur les propriétés. Il s'y ajoute une dotation, semblable à notre DGF, à hauteur de 20 % des recettes, venant de l'État après négociation. Vous remarquerez que les ressources des communes ne dépendent pas d'un impôt local sur les entreprises ; il n'y a donc pas de concurrence fiscale entre elles. Les régions reçoivent une dotation de l'État représentant 80 % de leurs ressources et, en complément, une dotation des communes à hauteur de 20 %. La plus grande partie de la dépense publique est assurée par les communes qui forment, en vérité, l'administration locale de l'État.
70 % de la dépense publique est assurée par les collectivités locales, soit 50 % pour les communes et 20 % pour les régions. En 2007, les dépenses publiques des communes ont représenté 27,8 milliards € (portant sur l'aide sociale sous toutes ses formes, les écoles, une partie de la santé, la politique de l'emploi, la délivrance des passeports et des permis de conduire, les routes) ; elles étaient de 17,3 milliards € pour l'État (les fonctions régaliennes, les lycées et l'enseignement supérieur, le cadre général de la politique de l'emploi et de la santé...), de 12,7 milliards € pour les régions (l'essentiel du système médical : les conventions avec les praticiens et les hôpitaux, les transports interrégionaux, l'enseignement spécialisé...) et de 402 millions € en divers.
Au Danemark, on observe un consensus qui s'explique par une procédure budgétaire largement négociée avec l'État : les communes reçoivent une dotation d'équilibre et une autorisation d'emprunt ; les propositions sont dans un premier temps validées par la commission des finances du Parlement en juin-juillet ; elles sont ensuite négociées avec l'association des communes (KL) et l'association des régions (DR) puis validées par les communes en novembre avant d'être votées dans le projet de loi de finances en décembre. L'accord avec KL n'est cependant pas juridiquement contraignant pour les communes. De fait, les objectifs fixés et négociés par l'État ne sont pas respectés et les dépenses augmentent plus que prévu. Les dépenses sociales des communes sont prises en charge à hauteur de 35% par l'État.
Ce que l'on a pu appeler le « modèle danois » est un système politico-économique très « plastique », reposant notamment sur la « fléxisécurité », c'est-à-dire la socialisation du risque entrepreneurial : les entreprises ont une liberté totale pour licencier mais, en contrepartie, les chômeurs bénéficient d'une prise en charge sociale complète financée largement par l'impôt. L'économie danoise est très ouverte sur l'extérieur et très présente dans certains secteurs (les transports maritimes, les médicaments, le secteur agroalimentaire...). Mais le Danemark constitue aussi l'arrière-cour de l'Allemagne qui lui sous-traite une part de ses commandes du fait de la qualité des prestations et surtout de la capacité à réagir rapidement à la demande. L'Allemagne est le premier client et le premier fournisseur du Danemark. Jusqu'à la crise, le système était très performant : une forte croissance a fait du Danemark l'un des pays les plus riches d'Europe avec un taux de chômage très bas (1,6 % selon le décompte officiel en 2008, soit quelque 50 000 chômeurs... même si les chômeurs dits en « réactivation » ne sont pas comptabilisés), des excédents budgétaires et des excédents commerciaux. Le Danemark est aussi doté d'un système politique démocratique et très décentralisé, un système basé sur le consensus en matière économique, sociale et politique.
Néanmoins, il convient d'observer également l'envers du décor. En effet, cette flexibilité est particulièrement sensible au retournement de conjoncture. Ainsi, le niveau de chômage, s'il reste bas par rapport à celui de la zone euro, a tout de même triplé avec la crise. Le PIB a fortement chuté : -0,9 % en 2008, -4,9 % en 2009 (retrouvant alors son niveau de 2005). La croissance, de l'ordre de 2 % en 2010, est estimée à 1,7 % pour 2011. Les déficits publics ont augmenté (2,7 % du PIB en 2009) après des années d'excédents. Les finances communales souffrent d'importants déficits. Leur équilibre a été assuré, pour 1/3 d'entre-elles, par une ponction sur leurs réserves et par l'État qui a été parfois obligé de se substituer aux communes qu'il a placé sous tutelle. Après un fort déficit de financements en 2010, il manquerait encore de environ 600 millions € non financés, pour parvenir à l'équilibre en 2011.
En outre, la « fléxisécurité » a un coût, d'où les mesures prises pour diminuer la durée de prise en charge par l'État et par les caisses de la période de chômage ; ces mesures entraînent une augmentation du coût social à la charge des communes. Le consensus a aussi un coût en conduisant à un important niveau de dépenses publiques (29 % du PIB). En fait, les communes ne respectent pas les accords passés avec le gouvernement. Les effectifs du secteur public sont déjà importants : 160 emplois pour 1 000 habitants contre 88 pour la France. Ces effectifs ont encore augmenté pendant la crise, du fait, notamment, des effets pervers de la « rationalisation » de gestion des « Job centers » (l'équivalent danois de Pôle Emploi) imposée aux communes.
Le système danois fonctionne aussi largement à l'endettement des ménages et à la spéculation immobilière. En 2004, l'endettement des ménages danois par habitant était le plus élevé d'Europe et représentait le triple de l'endettement des ménages français. En 2009, l'endettement des ménages français représentait 81 % de leur revenu disponible contre 260 % au Danemark. Par ailleurs, la chute de 20 % des prix de l'immobilier, avec la crise, a entraîné des perturbations bancaires. Le système bancaire danois est donc en crise. C'est un système très hétérogène avec nombre de petits établissements à vocation surtout locale (souvent agricole) et des grandes banques à vocation internationale (Danske Bank) qui ont largement spéculé notamment avec l'Irlande. Certaines ont fait faillite ou ont vu leur activité reprise par un organisme de « défaisance » (Finansiel Stabilitet A/S). L'État est devenu actionnaire dans 64 petites banques pour les sauver de la faillite. La garantie totale de l'État a été accordée aux dépôts au moment de la crise, puis a été plafonnée et a ensuite été en partie mise à la charge des banques. Beaucoup d'incertitudes sont liées au fort endettement du secteur agricole dont l'endettement a atteint des sommets : 47 milliards € fin 2009, soit une augmentation de 250 % entre 2000 et 2008 dont 84% à taux variables. Le niveau d'investissement est faible. Avant tout prestataires de services et d'indemnités, les communes sont naturellement peu portées à investir (4,5 milliards € en 2009). Le système d'autorisation de l'emprunt et le manque de vision programmatique de l'État sont autant d'obstacles supplémentaires. La vision ne dépasse pas l'exercice annuel et, ces trois dernières années, le Gouvernement pratiquait une politique de « Stop and Go » plutôt contre-productive dont se plaignent les communes. L'obtention d'un secteur de la santé de classe mondiale se fait attendre..., d'où la question débattue d'une suppression des régions, le système de santé continuant à ne pas donner satisfaction. La gestion des « jobcenters » par les communes n'est pas encore optimale. Il y a de vifs débats sur le thème de l'activation des chômeurs.
Voila, chers collègues, ce panorama rapide de la situation danoise telle que je l'ai moi-même constatée.