Mercredi 9 février 2011

- Présidence de M. François Patriat, président -

Audition de M. Claudy Lebreton, président de l'Association des Départements de France

M. François Patriat, président. - Nous inaugurons avec vous une mission qui devrait durer quatre mois, où nous chercherons à mesurer les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales, avec le souci d'améliorer les politiques publiques, d'aller vers une action publique plus efficace et moins coûteuse, mais aussi de faire remonter les difficultés rencontrées du fait de la RGPP. Mes questions seront volontairement larges, et simples : avez-vous été associés à la mise en place de la nouvelle organisation des services déconcentrés de l'Etat ? Quels vous paraissent être les premiers résultats de la RGPP ?

M. Claudy Lebreton, président de l'Association des Départements de France. - Avons-nous été associés ? Jamais ! Je ne l'ai pas été comme président du Conseil général des Côtes d'Armor. Cela ne m'a pas empêché d'en parler avec le préfet de mon département, un homme courtois, républicain, qui m'a fait part de ses propres interrogations sur le processus. Je n'ai pas non plus été associé comme président de l'ADF et ce n'est pas faute de l'avoir demandé, à plusieurs reprises, par les voies les plus officielles. Mais tout s'est passé comme si l'Etat devait se réformer sans que les collectivités territoriales ne soient concernées - je l'avais déjà signalé devant le comité Balladur.

Cette réforme de l'Etat, pourtant, nous l'espérions, nous l'attendions depuis longtemps. De fait, les lois de décentralisation ont bouleversé l'organisation territoriale de la République, des compétences toujours plus nombreuses ont été confiées aux collectivités territoriales, à quoi se sont ajoutés les transferts vers l'échelon européen - et l'Etat devait redéfinir ses fonctions, ses missions, ses propres compétences, pour tenir compte de ces bouleversements.

Or, ce que je continue de déplorer, pour la déconcentration des services de l'Etat, c'est l'insuffisante territorialisation de la décision publique : le préfet doit encore trop souvent en référer à Paris avant de pouvoir prendre une décision. Ce défaut menace du reste nos propres administrations locales, dès lors qu'elles sont devenues plus importantes.

Quant à la RGPP proprement dite, nous commençons tout juste à la vivre, à en ressentir les effets.

M. François Patriat, président. - Quels sont-ils, ces effets, comment les choses sont-elles ressenties ?

M. Dominique de Legge, rapporteur. - On a le sentiment que l'Etat réorganise ses services déconcentrés à partir d'un pôle fort, la région ; c'était le voeu du comité Balladur de privilégier le niveau régional. Mais, au vu des transferts de compétences, la réalité est différente et la question de savoir si la région l'emporterait sur le département ne se pose plus. Comment un président de Conseil général vit-il cette primauté du préfet de région ? Constatez-vous, en particulier, des retards dans les décisions, du fait qu'elles doivent être prises, désormais, à la préfecture de région ? Qu'est-ce qui a changé pour le quotidien de nos concitoyens, en particulier pour leurs démarches administratives, la délivrance des documents administratifs, mais aussi pour le contrôle de légalité ? Diriez-vous que la performance de l'Etat s'améliore ?

M. Claudy Lebreton. - Lorsque la RGPP a été annoncée, j'ai dit par plaisanterie à mon préfet qu'il lui faudrait désormais apprendre à redevenir sous-préfet...de région.

La réforme de l'Etat est souhaitable, elle intervient dans un contexte où la relation entre l'Etat et les collectivités locales a changé en profondeur. Je me souviens qu'en 1977, lorsque je suis devenu maire, les élus se levaient en réunion pour s'adresser au préfet, en ôtant leur casquette ! Aujourd'hui, je n'ai plus aucun complexe face au représentant de l'Etat, le pouvoir politique territorial est parfaitement assumé et le préfet est devenu un partenaire.

L'échelon régional est-il pertinent pour la réorganisation des services de l'Etat ? La réponse a un préalable : il faut d'abord définir les fonctions de l'Etat au XXIème siècle, compte tenu des transferts de compétence effectués depuis trente ans. Ensuite, je crois que la réponse n'est pas d'abord institutionnelle, mais qu'elle doit s'adapter au caractère divers du territoire national : les territoires ruraux et les territoires urbains n'ont pas les mêmes besoins, n'exigent pas que « la maison des services publics de proximité » - la préfecture - soit partout identique.

La question posée porte donc sur le champ même des compétences de cette maison des services publics de proximité : ne faut-il pas y mettre tous les services publics, y compris les services financiers et l'Education nationale ? Elle porte également sur la territorialisation de la décision : quelles sont les décisions qui ne peuvent pas être prises en proximité, et qui doivent « remonter » à Paris ? Quelles sont celles qui, à l'inverse, peuvent parfaitement être prises localement ?

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication changent la donne : la proximité n'est pas seulement géographique, l'important est d'abord l'efficacité de la décision, qui dépend de l'articulation entre les différents échelons.

M. François Patriat, président. - Concrètement, combien les départements ont-ils perdu de postes de TOS, combien ont-ils dû en créer ? Quelles conséquences la réorganisation des services déconcentrés de l'Etat a-t-elle eue sur la gestion des routes ? Sur l'ingénierie publique ?

M. Claudy Lebreton. - Les départements ont dû créer des postes de TOS, parce que l'Etat en avait laissé vacants. Cependant, comme à l'équipement, les agents n'ont pas fait leur deuil de la culture de l'Etat. Nous constatons qu'ils rencontrent des problèmes pour le déroulement de leur carrière, du fait notamment de la distinction entre l'employeur et l'autorité qui a recruté. Aujourd'hui, la question se pose de mutualiser la gestion de ces postes et de permettre une mobilité entre plusieurs collectivités, plusieurs échelons territoriaux : les déroulements de carrière y gagneront.

Sur l'ingénierie publique, voyez le rapport Daudigny. Sachant que l'Etat se retirait, les départements se sont organisés, en développant des services d'ingénierie publique, là où le recours aux cabinets privés ne suffisait pas. Le Département est attendu sur ce terrain par les communes et groupements de communes, le mouvement est ancien : la Haute-Garonne dispose d'une agence technique depuis plus de vingt ans.

M. François Patriat, président. - Est-ce une source d'économies ?

M. Claudy Lebreton. - Il n'y a qu'à faire un tour dans les DDE pour constater combien le nombre de postes a fondu ! Un responsable de Leader France, une organisation non gouvernementale qui soutient la mise en oeuvre de la procédure européenne Leader dans les territoires ruraux, m'indiquait récemment que les dossiers européens décourageaient par leur complexité, au point que notre territoire consomme à peine 4% des crédits auxquels il peut prétendre : nous payons les manques de l'ingénierie publique.

M. Jean-Luc Fichet. - Diriez-vous que l'ingénierie publique doive être surtout départementale ? Intercommunale ? Quel est l'échelon territorial pertinent ?

M. Claudy Lebreton. - Le département est un espace à taille humaine, mais cela ne fait pas de moi un « départementaliste » : je suis avant tout un décentralisateur, un girondin. Attention aux fausses oppositions : nous nous affaiblirions à opposer les départements et les régions ! Ce qui compte avant tout, c'est de prendre en compte les spécificités des territoires. Dès lors, peut-il y avoir une réponse unique ? Je crois plutôt qu'elle variera avec les territoires, avec leur taille et la part qu'y prennent les agglomérations : mieux vaut diversifier les réponses et faire jouer aussi une saine confrontation entre le public et le privé.

Pour de nombreux maires, le Département est un gage d'objectivité. Les maires ruraux rencontrent des difficultés dans l'élaboration de leur PLU ; leur interlocuteur est alors généralement un cabinet privé, qui fait le travail de l'Etat en essayant de dissuader les maires d'opter pour telle ou telle solution qui leur paraît peu conforme, alors qu'elle a le soutien de la population locale. Ce n'est pas très sain : si les élus avaient pour interlocuteurs des représentants de l'Etat, ils pourraient plus facilement demander au service public d'arbitrer dans leur sens.

Mme Michèle André. - En préparant mon rapport spécial à la loi de finances pour 2011 consacré à l'administration générale et territoriale de l'Etat, j'ai constaté que la réduction des effectifs et la dématérialisation des procédures pouvaient fragiliser le contrôle de légalité, qui n'est du reste plus guère appliqué qu'en matière d'urbanisme et de marchés publics. N'est-ce pas aussi votre impression ? Avez-vous entendu dire que des décisions publiques en seraient plus fragiles juridiquement, au risque de voir les chambres régionales des comptes ou la justice administrative les contester ? Je me souviens qu'au lendemain de la tempête Xynthia, des agents de préfecture s'étaient précipités aux archives pour vérifier que les autorisations délivrées n'étaient pas entachées d'irrégularités...

M. Raymond Couderc. - Je remarque que l'ingénierie concerne également les SPM et les sociétés d'économie mixte, et que le transfert des TOS est bien antérieur à la RGPP.

Nous aimerions vous entendre sur les compétences propres des départements, c'est-à-dire d'abord l'action sociale : qu'est-ce que la RGPP a changé dans votre action quotidienne ? L'Etat en est-il devenu plus contrôleur ? Plus accompagnateur ?

M. Gérard Bailly. - Les préfets de département et les conseils généraux travaillent en bonne intelligence, mais je m'inquiète de voir, dans certains domaines, le préfet de région et surtout des directions régionales coiffer l'action du préfet de département, au point qu'il n'est plus décisionnaire. Je pense en particulier aux questions dont s'occupent les DRAC et les DRIRE. Qu'en pensez-vous ?

M. Claudy Lebreton. - Je crois qu'il faut s'inscrire dans un rapport de forces intelligent. Depuis 1997 que je préside le Conseil général des Côtes d'Armor, j'ai vu passer de nombreux préfets, je ne me suis pas entendu avec un seul, parce qu'il paraissait ignorer que les lois de décentralisation avaient été prises. Avec tous les autres, j'ai constaté une volonté de négociation. De fait, le préfet ne peut se passer des élus locaux pour mettre en place les politiques publiques étatiques, et il ne peut rien faire contre l'avis du maire, sauf si celui-ci se place en dehors de la légalité.

Le contrôle de légalité a été jugé nécessaire en 1982, parce que nous étions dans l'idée qu'il fallait placer les collectivités locales dans une sorte de liberté surveillée, faute d'expérience. Nous n'en sommes plus là ! Aujourd'hui, certaines collectivités ont des services juridiques aussi compétents, sinon plus compétents que ceux de l'Etat ! Je crois que, dans une République moderne, le contrôle de légalité peut être aléatoire et ciblé, plutôt que systématique.

Les agents de la fonction publique d'Etat sont nombreux à rejoindre les collectivités locales, on le voit depuis longtemps dans les DDASS, qui sont réduites à la portion congrue, mais le mouvement touche aussi les sous-préfets. L'Etat a besoin des collectivités locales, voyez les politiques de l'emploi, les politiques sociales, les politiques du logement. Nous sommes dans un rapport de force intelligent.

Enfin, la question des directions régionales qui en viennent à « chapeauter » les préfets de département est directement liée à celle de la territorialisation de l'action publique. On peut imaginer une organisation où davantage de pouvoir réglementaire serait délégué à l'échelon local, de grandes démocraties fonctionnent de la sorte.

Quant au fait que, sur certaines matières, le préfet de région soit désormais compétent et non plus le préfet de département, je n'y vois aucun inconvénient : je m'adapte, en appelant directement le préfet de région.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Avez-vous le sentiment que le préfet de département parfois « s'abrite » derrière le fait que la décision relève de l'échelon régional, pour reporter la décision ?

M. Claudy Lebreton. - Les routes nationales relèvent désormais du préfet de région, c'est lui que j'appelle en cas de problème. Ce qui me gêne plus, c'est quand des décisions sont renvoyées à l'administration centrale, et reportées de beaucoup. Cela existe encore, même si c'est moins fréquent.

Avec la départementalisation, les TOS sont désormais beaucoup plus nombreux à être sur le terrain. C'est pourquoi l'essentiel me paraît bien dans la territorialisation de l'action et de la décision, gage d'efficacité. La question se pose évidemment pour les administrations territoriales elles-mêmes, qui prennent de l'importance : certaines régions emploient des milliers de fonctionnaires et si en Bretagne on fusionnait région et départements, nous nous retrouverions avec 30 000 agents ! Ce ne serait plus une administration de proximité.

M. François Patriat, président. - Après deux ans d'application, comment la RGPP est-elle vécue ?

M. Claudy Lebreton. - Il est trop tôt pour le dire, même si l'on sent ici ou là quelques dysfonctionnements. La nouvelle organisation de l'Etat affaiblit-elle le département, et le Conseil général ? La réponse, j'espère vous l'avoir démontré, dépend beaucoup des départements eux-mêmes. Comment l'Etat doit-il organiser sa présence dans mon département ? Il faut y réfléchir ensemble, dans le sens que je vous ai dit, d'une maison des services publics de proximité, efficaces.

M. François Patriat, président. - Merci pour toutes ces précisions.

Audition de M. Bruno Bourg-Broc, président de la Fédération des maires de villes moyennes (FMVM)

M. François Patriat, président. - Je souhaite la bienvenue à M. Bruno Bourg-Broc, président de la FMVM ainsi qu'à M. Serge Gloaguen, maire de Digne-les-Bains, et à Mme Nicole Gibourdel, déléguée générale à la FMVM.

M. Claudy Lebreton, président de l'ADF, que nous venons d'entendre, a affirmé qu'il était trop tôt pour dresser un bilan de la RGPP. Pour autant, ses effets se font déjà sentir sur le terrain. Le but de notre mission est d'apporter des solutions aux difficultés rencontrées sur le terrain. Comment les villes moyennes vivent-elles la RGPP ? Ont-elles été associées à la réorganisation des services déconcentrés de l'État ? Quel est l'impact de la RGPP ? Se traduit-elle par des économies et un meilleur service aux habitants ?

M. Bruno Bourg-Broc. - Notre fédération regroupe les villes entre 20 et 100 000 habitants qui constituent le coeur de leur bassin de vie. Pour nous, Neuilly, malgré ses 90 000 habitants, n'est donc pas une ville moyenne. La FMVM est administrée à parité par la gauche et la droite. Au-delà des positionnements idéologiques, je tenterai de m'exprimer devant votre commission en tant que président de la FMVM et de maire de Châlons-en-Champagne.

La RGPP n'a pas fait l'objet d'un débat parlementaire, ce qui n'est en rien condamnable ; ses effets, importants pour nos territoires, sont étudiés dans les seuls rapports budgétaires. Il me semble prématuré d'en dresser un bilan alors que nous sommes encore en pleine réorganisation. A titre personnel, je suis favorable à la RGPP dès lorsque l'économie réalisée au service de l'État ne se traduit pas par une diminution des services apportés à la population. Les villes moyennes sont plus touchées que d'autres. De fait, cette politique se traduit par des concentrations des services de l'État, parfois au sommet. En conséquence, des villes comme Châlons-en-Champagne qui, malgré ses 50 000 habitants, est préfecture de département et de région, en ont plutôt profité tandis que d'autres connaissent, du fait d'un mouvement de concentration continu et de grande ampleur, une véritable hémorragie. Nous l'avions dit lors de notre audience par le Président de la République en juin 2008. Je conçois que les réformes de la Défense, de la Justice et de la santé ne soient pas menées dans une logique d'aménagement du territoire. Néanmoins, lorsqu'une ville moyenne perd son régiment, puis son tribunal et, enfin, son hôpital, ça fait mal ! D'autant que les mêmes avaient souvent déjà connu le départ de leur succursale de la Banque de France. Le raisonnement est très vertical -on a pensé la réforme de la Défense en tenant compte des seuls besoins militaires.

M. Serge Gloaguen. - Oui, ça fait mal. Digne-les-Bains, préfecture des Alpes de Haute-Provence, voit sa population, qui avait progressé de 2001 à 2006 pour atteindre le seuil critique des 20 000 habitants, diminuer depuis peu : moins 500 habitants en 2007, moins 200 habitants en 2008. Digne, cité administrative qui vit également du tourisme, du thermalisme et de l'artisanat, compte 12 000 emplois, qui font également vivre un arrière-pays dignois de 28 000 habitants. Pas moins de 53% de ces emplois sont publics et parapublics. Or nous en avons perdu un certain nombre, notamment la direction des services vétérinaires et celle de l'administration fiscale.

Expert-comptable libéral jusqu'en 2002, je suis familier de la logique comptable. Ce qui est navrant, dans cette affaire, est le manque d'écoute de l'autorité préfectorale. « A Digne-les-Bains, il ne se passe rien. », nous répondait-on. Résultat, 3 000 Dignois ont manifesté leur mécontentement le 16 octobre dernier. Nous avons beaucoup donné à la République ; celle-ci doit maintenant faire preuve de solidarité à notre égard. Or, s'il faut évidemment réduire la voilure du train de vie de l'État, au vu du déficit qui se creuse depuis 1974, il faut aménager des compensations. Or le projet de réseau autoroutier, l'A585, depuis l'A51 jusqu'à Digne n'a pas été retenu dans le schéma national des infrastructures de transport. Le coup de grâce a été la programmation de la fermeture de la maison d'arrêt, la seule fermée de la région PACA. Cette maison d'arrêt représente quarante emplois directs pour une cinquantaine de détenus. Nous avons été avertis de ce projet par la presse en juillet ; j'avais pourtant rencontré le préfet le printemps précédent pour discuter des grands dossiers... Ce projet fragilisait le tribunal de grande instance et les effectifs de police nationale. Dès que nous l'avons appris, je me suis rapproché de l'autorité préfectorale qui m'a encouragé à demander des compensations. Les parlementaires bas-alpins et moi-même avons rencontré la garde des sceaux. Lors de cette entrevue, j'ai expliqué mon projet de construction d'un centre pénitentiaire. Début 2010, j'avais, en effet, proposé un terrain à cet effet à l'administration pénitentiaire. Elle m'a encouragé à lui transmettre un dossier. J'y travaille : un centre pénitentiaire créerait de l'emploi. Emplois publics et privés sont liés. Le départ des fonctionnaires, surtout ceux de catégorie A, entraîne la fermeture des services parapublics : EDF et La Poste ont déménagé une partie de leurs activités à Avignon ; la Mutuelle du Soleil s'est installée à Marseille.

Conseiller régional jusqu'en 2010, je ne suis pas contre la logique de métropolisation : il faut renforcer Marseille face à Barcelone. Mais arrêtons d'entasser les services dans les grandes cités qui concentrent les problèmes de logement, de transport, de sécurité et de santé publique. Digne, où un quatre pièces vaut un studio à Menton, est une ville où il fait bon vivre, sans compter que le taux de délinquance y est bas. Pour preuve, de nombreux fonctionnaires prennent leur retraite chez nous, dont récemment un préfet. En bref, je reproche à l'autorité préfectorale de nous avoir « enfumés » : elle a cherché à minimiser les effets de la RGPP.

Je ne ménage pas mes efforts pour créer de l'emploi, mais il nous reste peu de cartes à jouer. Dans le cadre des pôles d'excellence rurale, j'ai déposé un projet d'extension de l'activité thermale à la remise en forme. Cinq dossiers seront retenus sur dix ; espérons que Digne en fera partie. Cette situation fragilise l'activité privée : le projet d'installation d'un centre de balnéothérapie et d'une résidence sur le site du golf est gelé ; les investisseurs attendent. En septembre dernier, j'ai eu l'occasion de rencontrer Michel Sapin, le préfet de région, avant son départ. J'ai apprécié son franc-parler.

Nous travaillons à plusieurs projets : une solution alternative pour la desserte routière de Digne, la poursuite d'une ligne de chemin de fer jusqu'à Briançon, un projet de centre pénitentiaire, le maintien du service de réanimation à l'hôpital de Digne, qui représente 1 000 emplois. Nous ne sommes pas très exigeants, disais-je à la nouvelle préfète. Mais nous ne pouvons pas reculer ; cela signifierait une diminution de la population.

Pour conclure, je formulerai une question : est-il encore permis, en France, de parler d'aménagement du territoire ?

M. Bruno Bourg-Broc. - Pour illustrer ce propos, retenons l'exemple de la maison d'arrêt : sa fermeture signifie, à terme, celle du tribunal et de la brigade de gendarmerie.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Au fond, l'addition de politiques sectorielles, menées au nom de la RGPP, se traduit par d'importants dégâts collatéraux sur l'aménagement du territoire. Monsieur Bourg-Broc, pouvez-vous nous en dire plus sur votre expérience de gestionnaire d'une commune. La RGPP a-t-elle modifié vos relations avec les services de l'État ? Les usagers retrouvent-ils leurs petits dans les démarches administratives quotidiennes ?

M. Bruno Bourg-Broc. - Les villes moyennes ont été très touchées par la fermeture des tribunaux, des prisons, des casernes et des succursales de la Banque de France. La réorganisation des services déconcentrés de l'État, que j'ai négociée avec le préfet, a été plutôt favorable à Châlons-en-Champagne parce que la ville est chef-lieu de la région : quelque 150 emplois ont été supprimés au niveau départemental, la ville en a gagné entre dix et quinze. En revanche, Chaumont, Troyes et Charleville-Mézières ont perdu des emplois. Dans le principe, je suis favorable aux mutualisations et aux économies de moyens. Voyons maintenant comment cela fonctionne dans la pratique ; pour l'heure, les nouvelles directions n'existent que sur le papier. Et, malgré un important effort de pédagogie de l'État, nous ne savons pas encore très bien à quel service nous adresser. Un temps d'adaptation est nécessaire. Évaluer maintenant l'efficacité de la RGPP me paraît prématuré.

M. François Patriat, président. - Peut-être pas pour les petites villes ! En Bourgogne, Joigny a perdu 500 militaires, son hôpital et son tribunal. D'après le maire, cela correspond à 15% de la ville ; l'État lui verse 3 millions en contrepartie. Pour ces communes, la RGPP a des effets bien réels. Pour nous, l'essentiel est de comprendre quels sont les effets de la RGPP sur les moyens et la population des communes.

Mme Catherine Deroche. - Les auditions montrent que l'impact de la RGPP est très différent selon les départements et les villes moyennes. Votre fédération a-t-elle réalisé des études d'impact ?

M. Gérard Miquel. - Châlons-en-Champagne, parce qu'elle est chef-lieu de région, a récupéré des cadres d'État. Dans la région PACA, vaste par son territoire, la réorganisation des services de l'État s'est-elle également traduite par un départ des services publics de Digne-les-Bains pour le chef-lieu de région ? Ne pensez-vous pas que la dimension territoriale doit être prise en compte dans ces opérations ? De fait, les régions sont diverses : en Alsace, qui compte seulement deux départements, le ressenti n'est certainement pas le même.

M. Jean-Luc Fichet. - Entre une collectivité menacée d'embonpoint (M. Bourg-Broc nuance cette affirmation.) et une autre soumise à une sévère cure d'amaigrissement, quelle est la ligne de partage ? J'aimerais en savoir plus sur l'effet de filière, « l'effet domino » entre emplois publics et privés.

M. Raymond Couderc. - Maire de Béziers et membre du conseil d'administration de la FMVM, je veux apporter mon témoignage. Ville de 75 000 habitants, Béziers a la malchance d'être installée dans un département qui abrite Montpellier. Depuis 1987, sont partis pour le chef-lieu de région la direction d'EDF-GDF, l'Urssaf, la caisse d'allocations familiales, la caisse primaire d'assurance maladie et la direction régionale de l'Office national des forêts. De nombreuses entreprises privées ont suivi le mouvement ; les banques, par exemple, ont transféré leurs centres de décision à Marseille ou à Toulouse. Cette vision de l'administration du territoire est sans doute enseignée à l'ENA ou à l'École nationale des ponts et chaussées car on nous sert toujours les mêmes réponses...

Mon interlocuteur local est le sous-préfet. Nous avons des discussions claires et constructives : il m'a d'ailleurs prêté main forte lorsque les services de l'équipement, parce qu'on leur avait retiré le conseil aux communes, ont renforcé les contrôles dans des domaines où on ne leur demandait rien.

M. Bruno Bourg-Broc. - Nous n'avons pas établi d'études d'impact précises et globales. La RGPP, a eu raison de rappeler M. Courderc, a été précédée d'un mouvement lent et insidieux. Ma ville comptait 500 emplois de France Télécom ; elle en a perdu plus de la moitié récemment. Je me suis battu pour conserver la direction régionale : il n'y a plus que 6 postes contre cent autrefois ! Ces mouvements aux dépens des moyennes et petites villes sont inquiétants. Nous savons quelles ont été les conséquences de telle réforme sur l'emploi public, sans toutefois pouvoir mesurer son impact global. Les données démographiques sont connues ; mais leur évolution est-elle liée à la RGPP ?

Quant à la qualité du service public, elle devrait aller s'améliorant. A-t-on amélioré le délai de délivrance des passeports et des cartes d'identité en transférant ce service aux communes ? Notre mairie a réalisé des investissements pour accueillir ce service -j'en suis fier-, en contrepartie duquel nous avons reçu une subvention plus forte que prévu grâce à un amendement sénatorial. En revanche, la parole de l'État doit être plus claire : il faut avoir le courage de dire que ce service sera désormais réalisé dans des conditions différentes.

Oui à la prise en compte de la dimension territoriale : on ne peut pas traiter de la même façon l'Alsace et la Champagne-Ardenne qui s'étire sur 400 km.

M. François Patriat, président. -- Vous envisagez donc une différenciation de la RGPP selon les territoires ?

M. Bruno Bourg-Broc. - Naturellement ! Philippe Seguin, peu avant son décès, avait eu l'intelligence de dire que la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ne pouvait pas s'appliquer uniformément selon les secteurs et les territoires. Oui à la réduction de l'emploi, mais à condition que le service public continue d'être rendu. Nous avons été habitués à un certain confort. : on attend tout du maire, de l'action sociale à la météo. La situation évolue : une espèce de RGPP est en marche partout en Europe.

M. Serge Gloaguen. - La parole de l'État doit être claire, sa stratégie aussi. Nous avions travaillé au relogement de la police nationale à l'hôtel de ville de Digne avec les préfets successifs avant que le ministre nous oppose une fin de non-recevoir. Il y a quatre ans, nous avons acheté un terrain en centre-ville à une congrégation religieuse pour y installer le commissariat. Depuis, silence radio. La réponse est venue de M. Michel Sapin : deux commissariats restent à construire, ceux de Digne et de Béziers ; l'espoir est permis pour 2012. Pour le centre pénitentiaire, même expérience. On balade les élus !

Digne accueille cinq lycées, le plus grand internat de la région PACA ainsi que le plus grand CFA, un IUT, une école d'infirmières, un IUFM... La ville respecte le quota de 20% de logements sociaux, contrairement à de nombreuses communes du littoral. Mais l'emploi public baisse depuis deux ou trois ans. Ayant travaillé en entreprise, je cherche à compenser ces pertes en attirant de nouvelles activités : je ne baisse pas les bras ! La région fait beaucoup : elle a instauré un mécanisme de solidarité pour financer les routes départementales de montagne là où il y a des cols et de la neige. Pour autant, elle ne peut pas tout.

M. Michel Bécot. - Ces illustrations locales sont intéressantes, mais nous manquons d'une vision globale. Dans le monde de l'entreprise, d'où je viens, on établit des stratégies de long terme ; avant de se lancer sur un marché à l'export, on procède à des études de marché. Monsieur le président, ne faudrait-il pas interroger les concepteurs de la RGPP ?

M. François Patriat, président. - Nous entendrons le ministre dans quelques instants.

Mme Michèle André. - La RGPP est bien là, hélas ! Je l'ai constaté comme rapporteur spécial. Peut-on supprimer 700 postes dans les préfectures en 2011 en maintenant un service d'égale qualité ? La réponse est non ! Toutes me répondent : « nous sommes à l'os » quand certaines communes, contraintes d'accueillir le service des passeports et des cartes d'identité, ont dû embaucher. J'ai alerté les ministres du budget et de l'intérieur, en vain.

Supprimer un fonctionnaire sur deux, c'est une gestion aveugle ! Les effets se font sentir dans les préfectures et les sous-préfectures. Quant au préfet de département, on en fait un sous-préfet, soumis au préfet de région !

M. Bruno Bourg-Broc. - Je n'ai pas une hostilité aussi catégorique à la RGPP.

Mme Michèle André. - Je n'ai pas d'hostilité a priori, je ne fais qu'en constater les effets !

M. Bruno Bourg-Broc. - Il ne faut pas perdre de vue le lien entre RGPP et aménagement du territoire. L'État doit avoir le souci de la continuité de sa parole. Quand on laisse espérer un commissariat à une ville, il faut tenir parole, de gauche ou de droite ! La perte de confiance de la population à l'égard des hommes politiques et des institutions vient de ce que leur parole a perdu sa crédibilité.

M. François Patriat, président. - Merci de vos réponses.

Audition de M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'Intérieur, chargé des collectivités territoriales

M. François Patriat, président. - Vous êtes le premier ministre que nous auditionnons. L'objet de notre mission est d'évaluer l'impact de la RGPP sur les collectivités territoriales, dans les services de l'État et les services publics en général. S'il est trop tôt pour tirer un bilan, nous pouvons attirer l'attention sur d'éventuelles dérives et être force de proposition.

M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'Intérieur, chargé des collectivités territoriales. - C'est un bonheur pour moi d'être ici aujourd'hui. Je répondrai le plus librement possible à vos questions, quitte à être abrupt.

La RGPP concerne autant les collectivités que l'État. Il s'agit d'améliorer la qualité du service rendu aux citoyens, car les besoins évoluent au fur et à mesure que la société change. En 2010, les ressources de l'État ont baissé de 20% en valeur absolue, tandis que les transferts aux collectivités augmentaient d'1 milliard d'euros. Avec la crise, il est encore plus urgent d'utiliser au mieux les ressources et d'adapter au mieux les services aux besoins. Dans mon village, il y dix ans, le grand combat était d'obtenir une cabine téléphonique ; aujourd'hui, c'est d'avoir le très haut débit ! L'objectif de la RGPP est d'organiser les services publics de demain, d'adapter les politiques publiques à un monde qui change. Adapter l'État aux défis du XXIème siècle, c'est améliorer la qualité du service rendu, simplifier l'organisation de l'État, réduire le volume des dépenses publiques, notamment par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, responsabiliser les agents par la culture du résultat, moderniser la fonction publique et valoriser le travail des agents.

Il est facile d'invoquer le principe de libre administration des collectivités locales pour arguer que la réforme de l'État ne concerne que lui. Pour le gouvernement, la RGPP ne doit pas être menée en dehors des réformes menées par les collectivités territoriales, mais en harmonie avec elles. C'est la démarche du Premier Ministre depuis 2007.

Le groupe de travail présidé par Alain Lambert proposait de revenir sur la clause de compétence générale pour préciser les compétences des départements et régions - ce qu'a repris la réforme du 16 décembre 2010. Il propose d'associer les collectivités à l'allégement des contraintes normatives qui pèsent sur elles au sein de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), et d'imposer aux ministères producteurs de normes d'en justifier la pertinence. Le stock est de 400 000 normes : cela fait frémir ! En mai 2010, lors de la conférence sur le déficit, le Président de la République a donné une nouvelle impulsion à la lutte contre les normes excessives en édictant un gel des normes : si la CCEN émet un avis défavorable à une nouvelle norme, c'est le Premier Ministre lui-même qui tranche. M. Doligé rendra un rapport sur le sujet fin mars ; l'AMF et l'ADF ont été consultées.

Le rapport Lambert prône également la mutualisation des services communaux et intercommunaux, proposition reprise dans la loi du 16 décembre 2010. À partir de 2014, les régions et les départements mettront en place un schéma de mutualisation des compétences et des services. La RGPP est bien en harmonie avec la réforme des collectivités territoriales. La définition de la région comme échelon stratégique de l'action de l'État ne doit pas empêcher les préfets de département et les sous-préfets de répondre de manière adaptée aux besoins exprimés localement.

La RGPP vise la meilleure allocation des ressources des collectivités publiques, d'où un effort de péréquation sans précédent : plus de 350 millions d'euros au titre des droits de mutation à titre onéreux sont répartis à ce titre, et un fonds de 150 millions d'euros a été constitué pour les départements en difficulté.

La RGPP n'est pas qu'une réforme interne de structure et de pilotage interne à l'État. C'est une manière plus vigilante et mieux partagée de concevoir nos politiques publiques, de veiller au bon usage des deniers publics, avec comme objectif une meilleure efficacité.

M. François Patriat, président. - Comment la réforme des services d'équipement ou de transports se traduit-elle pour les collectivités territoriales ? Alors que la loi vient conforter les départements, la RGPP tend vers une régionalisation des services... Les préfets de département sont devenus des sous-préfets du préfet de région ! L'économie est-elle réelle ? Comment les réformes de la gendarmerie, de la carte judiciaire ou de la carte militaire ont-elles impacté les collectivités et les citoyens ?

M. Dominique de Legge, rapporteur. - La RGPP a-t-elle associé les collectivités territoriales ? Ce n'est pas le sentiment qui se dégage du terrain. Quel est l'instance de concertation avec les collectivités ?

Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux et son corollaire, la réduction des effectifs, ne risque-t-il pas de se traduire par des embauches dans les collectivités territoriales ?

La RGPP semble parfois conduite dans une logique de « silo » : chaque ministère mène sa propre réforme, ce qui peut aboutir à des fermetures de services publics concentrées sur un même territoire. Ne faudrait-il pas un lieu où faire la synthèse des actions, pour apprécier les conséquences de la RGPP sur un territoire donné ?

Quels sont les indicateurs permettant de mesurer si les objectifs sont remplis, comme le délai d'obtention d'un permis de conduire ou d'une carte d'identité ?

L'organisation territoriale ne devrait-elle pas mieux tenir compte des particularismes locaux, de la densité de population ?

La RGPP semble s'inspirer largement du rapport Balladur qui fait primer le pôle régional sur le département. Or les départements n'ont pas disparu ! La réforme est-elle adaptée à cette réalité ? Dans le processus de décentralisation de l'autorité de l'État, quel est le rôle du préfet de département par rapport au préfet de région ?

M. Philippe Richert, ministre. - La RGPP a d'abord été pensée comme une réorganisation de l'État, mais pas exclusivement. Au plan national, les associations représentant les collectivités territoriales ont été associées, dès 2007, dans le cadre du groupe de travail présidé par Alain Lambert, dont les conclusions ont été intégrées dans les décisions du comité de modernisation des politiques publiques. Elles s'articulent autour de trois thèmes : la clarification des compétences, l'allègement des contraintes normatives, les relations financières entre l'État et les collectivités. Au niveau territorial, il y a eu concertation avec les services de l'État, ainsi qu'avec les organisations représentatives et les élus. À titre personnel, j'ai constaté que l'évolution était surtout portée par l'État, et les échanges focalisés sur ses services. En tant que président du conseil général, j'ai sillonné le département pour expliquer aux maires comment seraient dorénavant organisés les services de la DDE, transférés au conseil général. J'ai travaillé en étroite coopération avec le préfet de département, et la répartition des services publics s'est faite sans difficulté : l'ensemble de la présence territoriale a été conservée.

Le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux n'est pas appliqué uniformément : la justice, par exemple, fait exception. Il n'est aucunement lié au transfert de compétences aux collectivités. Je ne pense pas que l'embauche de fonctionnaires territoriaux supplémentaires soit due à la baisse du nombre de fonctionnaires de l'État, mais plutôt à l'évolution des compétences des collectivités. Ainsi de la dépendance : 1 300 Bas-Rhinois touchaient la prestation spécifique dépendance (PSD) ; ils sont 18 000 à toucher l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ! La demande explosant, il a fallu des moyens humains pour traiter les dossiers. Idem pour la loi sur le handicap de 2005. Les embauches sont la conséquence des lois que nous avons votées !

C'est la DATAR qui est chargée de faire la synthèse des mesures concernant un même territoire, pour éviter les effets « silo ». Le préfet de région coordonne l'ensemble.

Les indicateurs de résultat sont nombreux et publics. La compensation du coût du passeport biométrique accordée par l'État aux communes est passée de 3200 à 5000 euros : cela me paraît suffisant pour faire face à cette charge nouvelle. Les efforts doivent s'apprécier en termes de service rendu : le délai pour obtenir un passeport est passé de trois semaines à moins de quinze jours dans 90% des cas, moins d'une semaine dans 50% des cas. En matière de naturalisations, le stock qui était de deux ans avant la réforme est aujourd'hui résorbé. Les progrès sont réels. Je vous communiquerai des réponses plus précises si vous le souhaitez.

La réponse sur le territoire national ne peut être uniforme. La problématique des territoires ruraux n'est pas celle des zones urbaines. La modularité est au coeur de la réforme. La réorganisation des services varie selon la taille du département, avec une direction départementale du territoire, une direction départementale de la protection de la population et une direction départementale de la cohésion sociale, ces deux dernières pouvant être fusionnées. Je n'ai pas entendu parler de difficultés, d'élus frustrés de ne plus trouver d'interlocuteur...

La directive nationale d'orientation insiste sur la prise en compte des circonstances locales et fixe les orientations pour les six prochaines années, avec des préfectures tournées vers le développement des territoires. À titre personnel, je trouve que nous avons gagné en efficacité, avec un patron, le préfet de région, qui coordonne les services. Les réponses sont coordonnées ; la transversalité améliore l'efficacité. Les sous-préfets sont dans leur rôle comme animateurs du territoire et conseillers des élus et des porteurs de projets, et le niveau de compétences des responsables de l'État me semble en hausse.

M. Gérard Bailly. - Je me félicite de la réflexion, au plus haut niveau de l'État, sur le nécessaire allègement des normes. Loin de moi l'idée de remettre en cause la RGPP, mais tout bouge encore, et les choses ne sont pas aussi claires en Franche-Comté qu'elles semblent l'être en Alsace... Il faut charger les préfets de clarifier les services aux élus, et identifier nos interlocuteurs, car on se cherche encore.

Pourquoi si peu de transparence sur les effectifs ? Lors de la décentralisation des routes aux départements, l'État a conservé 307 emplois sur 610... Les lamentations des administrations ne sont-elles pas excessives ?

L'État n'a-t-il pas perdu ses meilleurs agents au profit des collectivités territoriales ? Ne risque-t-il pas d'en subir le préjudice demain ?

À la tête de directions régionales, le préfet de région prime aujourd'hui sur le préfet de département. À qui nous adresser, par exemple en matière d'environnement ? Le préfet de région de Franche-Comté est à Besançon : les autres départements de la région n'ont plus d'interlocuteur départemental...

M. Roland du Luart. - La RGPP a recentré les missions d'ingénierie publique dans le secteur concurrentiel autour d'un rôle d'expertise. Cela ne risque-t-il pas de conduire à terme à la suppression de l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), et à la fin des projets d'aménagement du territoire pour les petites collectivités territoriales ? Cette question revient souvent lors de nos réunions cantonales de maires.

Le décret de 2007, complété par l'arrêté de 2008, permet à un conseiller d'administration de l'Intérieur d'exercer les fonctions de sous-préfet dans 115 arrondissements de deuxième catégorie, sans bénéficier d'un logement ou d'un véhicule de fonction. Ne risque-t-on pas de voir apparaître des représentants de l'État de deuxième catégorie, alimentant le sentiment qu'ont les élus ruraux d'être déconsidérés par l'État ?

Enfin, la réorganisation des services déconcentrés de l'État ne risque-t-elle pas de conduire à des transferts rampants, au détriment des finances locales ? Le rapport que j'ai cosigné avec M. Krattinger fait état de constats inquiétants. Quel est le sentiment du ministre ?

Mme Michèle André. - Lors de ma mission de contrôle, j'ai constaté l'esprit constructif des fonctionnaires des préfectures, du secrétaire général aux syndicats, leur capacité d'adaptation et leur dévouement.

Les agents des départements ne maîtrisent plus les finances, a fortiori vu le fonctionnement approximatif du progiciel de gestion CHORUS. Vous avez de la chance en Alsace, monsieur le ministre : la situation des sous-préfets est loin d'être aussi idyllique que vous le dites ! Les élus les court-circuitent. Les préfectures manquent de cadres A. Faute de postes, le travail n'est pas fait ! Et ce sont les usagers qui en pâtissent.

Concernant les passeports, les préfets ont parfois forcé la main aux communes « volontaires ». Le Sénat a amélioré la compensation financière, mais celle-ci reste forfaitaire, et non fonction du nombre de passeports distribués.

M. Philippe Richert, ministre. - La situation n'est pas la même sur tout le territoire. L'État est aujourd'hui régionalisé mais, en tant que président de région, je rencontre souvent le préfet du Haut-Rhin, qui a une autorité fonctionnelle sur les directions régionales et est compétent en matière de sécurité, de contrôle de légalité, d'étrangers.

La RGPP n'entraîne pas de transferts rampants vers les collectivités. C'est le changement du périmètre des compétences, inscrit dans la loi, qui emporte des conséquences pour elles. Il faut renforcer le dialogue entre le gouvernement et le législateur d'une part, les associations de collectivités territoriales d'autre part, mieux prendre en compte à la fois les exigences de la société et les besoins des collectivités. Nous relançons la Conférence nationale des exécutifs (CNE) pour avoir ce lieu de débat.

La réforme des collectivités territoriales était nécessaire. L'État s'est réformé. La réforme de la carte judiciaire ou de la carte militaire n'a pas été facile, pas plus que la réorganisation des services au niveau régional. L'objectif de la RGPP est de faire des économies et d'être plus efficace sur le terrain. Il n'est pas imaginable que les collectivités territoriales ne s'interrogent pas elles aussi sur comment améliorer leur efficacité.

Les trois cents agents de la DDE qui demeurent dans le giron de l'État ne s'occupent pas des routes mais de la politique du logement et de la construction, compétences qui n'ont pas été transférées ! Même lors du transfert de l'aide à la pierre au département, l'ensemble du personnel n'a pas suivi. L'État conserve également quelques agents en charge des questions de contrôle, de procédures ; faut-il les transférer également ? Nous ne sommes pas au bout de la décentralisation.

C'est la direction interdépartementale des routes (DIR) de Nancy, en Lorraine, qui traite de l'ensemble de nos routes nationales : l'efficacité peut encore être améliorée...

M. François Patriat, président. - L'Alsace est manifestement une région exemplaire. Mais quand la ville de Joigny voit partir son régiment, son tribunal, sa clinique, son hôpital, les choses ne sont pas aussi idylliques !

M. Philippe Richert, ministre. - On coordonne aujourd'hui les conséquences ; il aurait sans doute fallu mieux coordonner en amont.

Quant au rôle de l'ATESAT, il a été confirmé par le Président de la République le 7 février 2009. L'appui technique aux collectivités territoriales est renforcé par la création de services interdépartementaux, dans les domaines non concurrentiels. De nombreux conseils généraux, dont le mien, ont mis en place des systèmes alternatifs.

M. Roland du Luart. - Il y a donc bien un transfert rampant !

M. Philippe Richert, ministre. - Non, car il s'agit de services différents de ceux qu'offre l'État. Nous faisons payer le service le cas échéant, dans le respect des clauses de concurrence.

Les conseillers d'administration exerçant les fonctions de sous-préfet sont au nombre de trois, pour tout le pays...

M. Roland du Luart. - Ce chiffre peut atteindre quinze.

M. Philippe Richert, ministre. - À titre personnel, je ne verrais aucune objection à ce qu'une sous-préfecture du Bas-Rhin soit tenue par un conseiller d'administration !

Le président Patriat a raison de souligner le risque d'une accumulation de réformes sur un même territoire : c'est à la DATAR de coordonner les choses pour éviter ces situations. Toute direction régionale a une antenne dans le département. Un schéma régional immobilier s'applique dans tous les départements.

La délivrance des titres et le contrôle de légalité se fait de plus en plus en préfecture ; les sous-préfets se concentreront sur la sécurité et le développement local du territoire. Dans ma région, ils sont les interlocuteurs des élus ; de contrôleurs tatillons, ils sont devenus de vrais conseillers avisés.

M. Adrien Gouteyron. - On oublie trop ce que signifie RGPP : révision générale des politiques publiques. Dans l'esprit du public, la RGPP se réduit à la baisse des effectifs et des moyens et à l'éloignement des services. Il y a un vrai problème de présentation et d'information. Tout n'est pas défendable ni utile, mais l'esprit de la RGPP était bon. Encore faut-il le rappeler, et le resituer dans son contexte.

M. Philippe Richert, ministre. - Nous traversons une période de turbulences. Les réformes de la taxe professionnelle, des collectivités territoriales, des services de l'État ont un impact sur l'organisation territoriale. Il faut prendre du recul, et voir au-delà des inévitables doléances. Chez moi, une commune de 1700 habitants s'est battue pour conserver une boîte aux lettres : in fine, j'ai du intervenir auprès du président de la Poste lui-même ! L'opinion se cristallise autour de tels symboles, et en oublie les progrès obtenus, par exemple en matière de délai d'obtention d'un passeport. L'objectif reste d'arriver, avec moins de moyens financiers, à une meilleure efficacité.