- Mercredi 26 janvier 2011
- Bureau de la commission - Compte rendu
- Situation économique et financière de l'Espagne, de l'Estonie et de l'ensemble de la zone euro - Communication
- Exécution du budget de 2010 et immobilier de l'Etat - Audition de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat
Mercredi 26 janvier 2011
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -Bureau de la commission - Compte rendu
Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission entend tout d'abord le compte rendu de la réunion du bureau du 25 janvier.
M. Jean Arthuis, président. - La présente séance est ouverte par le compte rendu de la réunion du bureau de la commission du 25 janvier 2011.
A la différence de l'année dernière, la commission des finances sera relativement peu concernée par l'activité législative du premier semestre 2011, en dehors des débats annoncés sur le programme de stabilité et la réforme de la fiscalité du patrimoine.
Aussi, une plus large place sera laissée au contrôle. Dans ce cadre, nous avons d'ores et déjà entendu Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le mercredi 19 janvier, au sujet de la crise irlandaise et du Livret A. La commission a également, le même jour, confirmé dans ses fonctions François Drouin à la tête d'OSEO.
Le rapporteur général donnera son point de vue sur la situation économique et financière de la zone euro, et notamment de l'Espagne et de l'Estonie, ce mercredi 26 janvier matin, et la commission entendra également Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, mercredi 9 février sur la situation de l'euro et sur le prochain G20 des ministres des finances.
En ce qui concerne les auditions que la commission doit organiser régulièrement, au titre de son activité de veille et de suivi, nous entendrons Jean-François Vilotte, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), à l'occasion de la remise de son premier rapport annuel d'activité et pour dresser le bilan de la première année d'application de la loi de 2010.
Le programme de contrôle des commissaires sera adopté le 2 février. J'annonce que deux communications sur des contrôles en cours sont prévues : Nicole Bricq, le 16 février, sur la cession de l'hippodrome de Compiègne et Éric Doligé, le 9 mars, sur les grands projets d'usine de traitement du nickel en Nouvelle Calédonie.
En ce qui concerne l'activité législative, la commission entendra, mercredi 2 février, le rapport d'Éric Doligé sur la proposition de loi organique de Louis-Constant Fleming tendant à l'approbation d'accords fiscaux entre l'État et les collectivités territoriales de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de Polynésie française. Ce texte viendra en discussion en séance publique lundi 14 février après-midi.
Plusieurs conventions fiscales sont attendues, mais à une date pour l'instant indéterminée.
Comme cela est maintenant une tradition, l'exécution du budget de 2010 donnera lieu à l'audition du ministre du budget et des comptes publics, François Baroin, dès ce mercredi 26 janvier à 16 heures 15, le ministre devant également faire le point sur l'immobilier de l'Etat. Puis, au cours du mois de juin, la commission procèdera aux auditions du premier Président de la Cour des comptes et à celles des ministres, qui rendront publiquement compte de la gestion de leurs crédits. La séquence « loi de règlement - débat d'orientation des finances publiques » doit, en principe, se dérouler au plus tard le 30 juin. Une session extraordinaire en juillet n'est cependant pas à exclure, puisque le ministre des relations avec le Parlement, Patrick Ollier, a d'ores et déjà annoncé l'ouverture d'une session extraordinaire. Celle-ci est d'autant plus prévisible que les assemblées ne siégeront pas en septembre pour cause d'élections sénatoriales.
Parmi les autres échéances prévisibles de ce premier semestre, il convient d'interroger les groupes d'opposition sur les perspectives de dépôt de propositions de loi susceptibles d'être discutées dans le cadre des « niches » qui leur sont réservées. Le groupe socialiste pourrait ainsi demander la discussion d'une proposition de loi fiscale au cours de la première semaine de mai, mais cela reste à confirmer.
J'en viens au débat sur le programme de stabilité et à la loi de finances rectificative sur la fiscalité du patrimoine. En ce qui concerne le premier point, je rappelle que l'article 14 de la loi de programmation des finances publiques dispose que « à compter de 2011, le Gouvernement adresse au Parlement, au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne en application de l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le projet de programme de stabilité. Le Parlement débat de ce projet et se prononce par un vote. »
Le Gouvernement doit avoir transmis ce programme à Bruxelles, en principe, au plus tard le 30 avril. Il pourrait être en mesure de nous fournir les éléments contextuels justifiant les termes du projet de programme aux alentours de la mi-avril, c'est-à-dire à l'extrême limite fixée par la loi, mais guère avant. Dans la mesure où le Sénat suspendra ses travaux la semaine du 18 avril, un débat est ainsi envisageable la dernière semaine d'avril, qui sera une semaine de contrôle. Cette esquisse doit encore être affinée, car l'Assemblée nationale suspend ses travaux les deux dernières semaines d'avril et ne pourra donc pas tenir un débat à la même période que le Sénat. Elle envisage, pour l'instant, un débat au cours de la deuxième semaine d'avril. Toutefois, on voit mal comment elle pourrait tenir ce délai, compte tenu des contraintes indiquées par le Gouvernement ...
Il restera également à trancher la forme que devra prendre le vote :
- soit une proposition de résolution de l'article 34-1 de la Constitution, mais les résolutions échappent aux commissions et, dans ce cas, il serait utile que la commission des finances rédige un rapport sous son propre timbre préalablement au débat suscité par cette proposition de résolution ;
- soit un débat suivi d'un vote en application de l'article 50-1 de la Constitution ; c'est vers cette option, utilisée au Sénat lors du débat d'orientation des finances publiques de juillet dernier, que se dirige l'Assemblée nationale.
Il s'agit là de la première étape de l'examen du programme que le Gouvernement enverra à Bruxelles.
La seconde étape se situera en juin, avec l'avis que rendra la commission européenne sur le programme de stabilité français. Il pourrait être intéressant, pour la commission des finances, d'élaborer une résolution européenne, sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution, dont elle demanderait ensuite l'inscription en séance publique lors de la semaine de contrôle du 20 juin ou de la semaine d'initiative sénatoriale du 27 juin. Il resterait alors à établir selon quelles modalités ce débat pourrait être organisé concomitamment avec celui sur l'orientation des finances publiques et la loi de règlement. Cela supposerait, à tout le moins, que le Gouvernement accélère sensiblement le calendrier, alors qu'il a pris l'habitude, ces dernières années, de repousser la séquence « loi de règlement - débat d'orientation des finances publiques » à la session extraordinaire de juillet.
J'en arrive à l'examen du prochain projet de loi de finances rectificative sur la fiscalité du patrimoine et au sujet connexe de la convergence des régimes fiscaux français et allemand. Le calendrier en a été annoncé par le Gouvernement. Les premières orientations de la réforme seront divulguées fin février-début mars dans la perspective d'un dépôt du projet de loi fin avril en vue d'une adoption avant l'été.
Quant à lui, le calendrier de remise du rapport de la Cour des comptes est plus flou. Celle-ci pourrait intervenir dans le courant du mois de mars, en tout état de cause, après remise du rapport au Président de la République.
Pour préparer les échéances de la fin de la session, des auditions et une série de tables rondes pourraient être organisées :
- le mercredi 2 février, l'audition de M. Jeffrey Owens, directeur du centre de politique et d'administration fiscales à l'OCDE permettra de disposer d'une vision synthétique des politiques menées chez nos principaux partenaires, pas seulement en Europe, mais aussi aux Etats-Unis ;
- le mardi 9 février, une table ronde sera organisée avec des économistes ; afin de s'assurer la plus large représentativité possible, j'ai fait appel à Thomas Piketty, Christian Saint-Etienne, David Thesmar et Jean-Hervé Lorenzi. Tous les quatre, ainsi que M. Owens, ont été contactés et ont donné leur accord pour participer à cette table ronde ;
- le mercredi 2 mars, une deuxième table ronde pourrait être organisée autour de plusieurs fiscalistes : Michel Taly, avocat fiscaliste, ancien directeur de la législation fiscale ; Pierre Fernoux, maître de conférence à l'Université d'Auvergne, directeur du diplôme universitaire de gestion internationale du patrimoine et auteur d'un ouvrage de référence : « La gestion fiscale du patrimoine » ; Gervais Morel, auteur notamment de « Fiscalité, placements et réductions d'impôts » et collaborateur de « la boîte à outils du contribuable » au Figaro économie ; enfin, Bernard Monassier, notaire, vice-président du cercle des fiscalistes ;
- c'est également aux alentours de cette date du 2 mars, ou la semaine suivante, que la commission pourrait entendre la Cour des comptes sur son futur rapport établissant une comparaison entre la France et l'Allemagne, sous réserve de son achèvement ;
- deux autres tables rondes doivent être envisagées en mars et en avril à des dates qui restent à préciser : la première (peut être le 30 mars), sur les produits d'épargne, où la commission inviterait des représentants des professions bancaires et des assureurs ainsi que des associations d'épargnants. La seconde table ronde (peut être le 13 avril), pour auditionner les administrations : la direction de la Législation fiscale et la direction du Trésor.
Enfin, la précédente réunion du bureau de la commission avait acté le principe selon lequel celui-ci n'effectuerait pas en 2011 son traditionnel déplacement hors d'Europe pendant la suspension de Pâques. Celle-ci interviendra lors de la semaine du 18 avril. Il pourrait être envisagé d'envoyer une délégation du bureau au cours de cette semaine à La Haye et à Berlin. Aux Pays-Bas, il s'agirait de recueillir des informations sur l'importante réforme de la fiscalité de l'ensemble des revenus, y compris ceux du patrimoine, mise en oeuvre par nos partenaires néerlandais ; en Allemagne, l'objectif serait de parfaire l'analyse sur les voies et moyens d'une meilleure convergence entre les fiscalités française et allemande.
A présent, je souhaite aborder la question de la révision constitutionnelle. François Baroin a évoqué le dépôt à l'automne prochain d'un projet de loi constitutionnelle sur la maîtrise des finances publiques, conformément aux souhaits du Président de la République et les propositions seraient inspirées par les travaux de la commission présidée par Michel Camdessus.
Pour clore cette communication, j'en viens aux sujets de réflexion évoqués lors de la dernière session budgétaire qui peuvent faire l'objet de travaux au cours du prochain semestre.
Tout d'abord, il est proposé de constituer un groupe de travail interne à la commission des finances sur le sujet de la péréquation financière entre les collectivités territoriales. L'objet du groupe de travail consisterait à se saisir des questions non encore résolues relatives à la réforme de la péréquation, consécutive à la suppression de la taxe professionnelle. Ces questions restent en suspens, soit du fait de l'absence de transmission de simulations, soit en raison du caractère peu normatif de certaines dispositions votées en loi de finances pour 2011 qui devront être précisées en vue de leur entrée en application prévue au 1er janvier 2012.
Quatre thèmes ont été identifiés par le Bureau :
- le nouveau calcul des potentiels fiscal et financier ;
- le fonctionnement du fond de péréquation des recettes fiscales intercommunales et communales ;
- la particularité de l'Ile de France et le nouveau fonds de solidarité des communes d'Ile de France (FSRIF) ;
- les nouveaux fonds régional et départemental de péréquation de la CVAE.
Chacun de ces thèmes pourrait être traité par quatre « couples » de rapporteurs, l'un de la majorité, l'autre de l'opposition, permettant une représentation équilibrée des sensibilités politiques présentes au sein de notre commission.
La composition du groupe doit cependant obéir à la règle du volontariat sur la base la plus souple possible.
Le groupe et les sous-groupes pourraient établir un premier point d'étape aux alentours de la mi-avril, et rendre un rapport définitif à la commission avant la suspension de l'été, afin de fournir ainsi des éléments d'information substantiels en vue de la préparation du projet de loi de finances pour 2012.
Par ailleurs, le séminaire annuel de la commission des finances se déroulera à Bruxelles, auprès de la commission européenne, en lieu et place du déplacement traditionnellement effectué dans une ville de France, à l'invitation d'un collègue sénateur.
Les autres thèmes pourraient faire l'objet de tables rondes et d'auditions. Je vous propose une esquisse de calendrier, sous toutes réserves en ce qui concerne en particulier les dates, qui demandent encore à être confirmées :
- le mercredi 16 février, une table ronde sur la mise en oeuvre de la taxe poids lourds ; plusieurs invités ont d'ores et déjà été sollicités et ont répondu positivement : Henri Havard, sous-directeur des droits indirects à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer au ministère des transports, Jean-Paul Deneuville, délégué général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), Antoine Seillan, chef du bureau des transports à la 4ème sous-direction de la direction du budget, Alain Estiot, directeur général « qualité » du consortium « Toll Collect » et Rémi Mayet, représentant de la direction générale « Mobilité et Transport » de la commission européenne ;
- le mercredi 9 mars, une table ronde ou une suite d'auditions sur la régulation du marché du carbone et la mise en place du processus d'enchères à compter de 2013.
- le mercredi 6 avril, une table ronde sur le financement de l'économie, l'objectif étant d'organiser une réflexion sur les suites du groupe de travail constitué au sein de la commission lors de la session 2009/2010, sur l'utilisation des fonds du livret A et, enfin, sur les modalités de mise en oeuvre de l'amendement de la commission des finances à la loi de régulation bancaire et financière ;
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Sur la question du livret A, je relève que le Président de la République a reconnu, dans son discours de Saint-Nazaire, le bien fondé de l'amendement que notre commission a imposé, contre l'avis du Gouvernement, dans la loi de régulation bancaire et financière et qui permet aujourd'hui de dégager trois milliards d'euros par an en faveur du financement des PME à partir de cette ressource.
M. Jean Arthuis, président. - Tout à fait, c'était votre initiative, Monsieur le Rapporteur général,
Mme Nicole Bricq. - J'ajoute qu'il a également annoncé que le fonds stratégique d'investissement (FSI) pourrait être doté de 1,5 milliard d'euros. Mais on se demande où ce montant sera pris ! Le Parlement devra être appelé à se prononcer.
M. Jean Arthuis, président. - Le mercredi 27 avril, une table ronde sur les niches fiscales et en particulier sur les questions méthodologiques ;
- courant mai ou juin, une table ronde sur la fiscalité applicable au commerce en ligne prolongeant ainsi les discussions en loi de finances. Il s'agirait de présenter les modalités concrètes de mise en oeuvre, à compter du 1er juillet, de la taxe sur la publicité en ligne et de faire le point sur l'avancée des discussions sur la fiscalité de l'internet, un an après la première table ronde et six mois après le retrait de l'amendement instituant une taxe sur le commerce électronique « Tascoe » ;
Les autres sujets évoqués lors de la session budgétaire pourraient faire l'objet d'un suivi ou de contrôles effectués par le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux, débouchant, le cas échéant, sur une communication en commission. Tel est le cas :
- de la mise en oeuvre de la contribution économique territoriale (CET) et de son incidence pour les entreprises. Il conviendrait d'obtenir une actualisation des tableaux de simulation fournis lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010 à partir des données réelles de l'exercice 2010. C'est un exercice très important de vérifier la mise en oeuvre effective ;
-de la multi détention du Livret A ;
- des prix de transfert entre les entités implantées en France et celles implantées à l'étranger ;
- du financement de la sécurité portuaire ;
- de la compensation versée par l'Etat au titre des exonérations de taxe d'habitation et de taxe foncière pour les personnes de condition modeste ;
- des incidences budgétaires et comptables des annulations de dettes ;
- de la liste des collectivités ayant signé une convention au titre du remboursement anticipé du FCTVA, ce qui correspond à une demande de Jean-Claude Frécon ;
- des modalités de calcul de la règle du « de minimis » ;
- de la vente à des tiers des informations nominatives figurant dans des pièces administratives exigées des automobilistes et de l'engagement du Gouvernement de rendre les formulaires plus clairs à ce sujet, conformément à la demande de Michèle André ;
- de la gestion des stocks stratégiques ;
- de la rémunération des services rendus par la police et la gendarmerie nationale.
La mise en place du groupe de travail sur la péréquation et les sujets consacrés à la cotisation économique territoriale (CET) et à la compensation des dégrèvements de taxes locales ménages devraient permettre de couvrir très largement le champ des thèmes évoqués par Edmond Hervé, qui avait souhaité, lors de la discussion budgétaire, « un état des lieux approfondi de notre fiscalité locale ».
J'en viens maintenant à l'organisation du séminaire annuel de la commission qui pourrait être organisé les 2 et 3 mai prochain à Bruxelles auprès des directions pilotées par Michel Barnier (marché intérieur et services), Algirdas Semeta (fiscalité, lutte anti-fraude) et Olli Rehn (affaires économiques et monétaires) » sur les thèmes suivants :
- la mise en oeuvre des nouvelles règles en matière de supervision financière ;
- la concurrence fiscale entre Etats et les perspectives d'harmonisation ;
- la coopération fiscale entre Etats ; à cette occasion, pourrait être examiné le sujet « banques et fraude fiscale » évoqué lors de l'examen de la loi de finances ;
- le programme français de stabilité ;
A cet égard, nous avons constaté ce matin, lors de notre visite d'une salle de marché de la Société générale que, lors de l'émission de l'emprunt obligataire européen de cinq milliards d'euros, la Société générale a enregistré, en un quart d'heure, 45 milliards d'euros de souscriptions et 54 milliards au total à la clôture de l'ouverture au marché.
Avant d'ouvrir le débat, je précise enfin que le souhait du groupe socialiste de traiter le thème de l'optimisation fiscale pour les entreprises pourrait être satisfait dans ce cadre et celui de la table ronde sur les niches fiscales.
Mme Nicole Bricq. - S'agissant de la fiscalité locale, je répète que nous n'avons jamais obtenu les simulations demandées et je rappelle que l'opposition n'a pas été associée aux réflexions menées l'an dernier. Notre fil rouge étant la justice fiscale, il faut que, au-delà des problèmes de péréquation, nous obtenions enfin des éléments de chiffrage sur l'introduction de la part « revenus des ménages » dans les critères de péréquation. Il est nécessaire que l'administration fiscale fasse un point sur ce sujet.
Votre proposition de couples de co-rapporteurs majorité-opposition est bonne dans son principe mais comprenez, Monsieur le Président, que nous soyons réservés car nos demandes n'ont pas encore été respectées. S'agissant du programme de stabilité qui sera transmis à Bruxelles, nous demandons le temps de réfléchir à la procédure la plus adaptée et nous pensons qu'il ne faut pas obligatoirement suivre la voie retenue par l'Assemblée nationale.
M. Jean Arthuis, président. - Je rappelle que le Sénat n'a pas été consulté pour la constitution des groupes de travail mis en place par le Gouvernement sur la péréquation en 2010. En ce qui concerne les travaux de la commission des finances, vous y avez toujours été associés.
M. Philippe Adnot. - Je souhaiterais faire partie du groupe de travail de la commission sur la péréquation.
M. Jean Arthuis, président. - Il va de soi que votre présence est souhaitée.
Mme Nicole Bricq. - Le président de la République a annoncé une réforme de la fiscalité du patrimoine, mais aussi du financement de la dépendance. Il serait souhaitable que la commission des finances se saisisse de ce dernier point qui est susceptible d'impacter l'équilibre des finances publiques.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La mission commune d'information sur la dépendance, que j'ai l'honneur de présider, s'achèvera le 31 janvier prochain par la présentation du rapport et, plus précisément, des grands enjeux de financement. Nous mettrons l'accent sur les principaux thèmes auxquels il faudra apporter des réponses. Naturellement, je serai à la disposition de la commission des finances pour en présenter une synthèse.
Je rappelle que les personnes fragiles ne sont pas concernées par la suppression des exonérations de charges sociales votée en loi de finances pour 2011 et que nous en avions obtenu l'assurance auprès du Premier Ministre.
M. Éric Doligé. - C'était effectivement la condition de notre accord, mais il faudra en préciser l'impact effectif sur le coût des prises en charge des personnes handicapées dans les départements.
La commission donne acte au président de sa communication.
Situation économique et financière de l'Espagne, de l'Estonie et de l'ensemble de la zone euro - Communication
La commission entend ensuite une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur la situation économique et financière de la zone euro et notamment de l'Espagne et de l'Estonie.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La crise de la dette souveraine se révèle paradoxale, car la situation globale des finances publiques de la zone euro est meilleure que celle des Etats-Unis ou du Japon. D'après la revue Consensus Forecasts, les prévisions de déficit public pour 2012 du consensus des conjoncturistes sont ainsi, respectivement, de 3,9 %, 6,8 % et 8,3 % du PIB, et celles de la dette publique publiées par l'institut COE-Rexecode s'établissent à 86,8 %, 86,2 % et 208,1 %. De même, la situation individuelle des quatre Etats « périphériques » ne paraît pas nettement plus dégradée que celle des Etats-Unis et du Japon, avec, selon la Commission européenne, des prévisions de déficit public en 2012 de 9,1 % pour l'Irlande, 7,6 % pour la Grèce, 5,5 % pour l'Espagne et 5,1 % pour le Portugal. Les prévisions de dette publique en 2012 dans divers Etats de la zone euro, telles qu'établies par la Commission européenne, sont plus contrastées avec, par exemple, 75,2 % pour l'Allemagne, 89,8 % pour la France, 114,3 % pour l'Irlande et 156 % pour la Grèce, mais seulement 73 % pour l'Espagne. Selon COE-Rexecode, la dette publique japonaise atteindrait plus de 208 %, mais il importe de rappeler qu'elle fait l'objet d'un placement en grande partie administré et domestique, à la différence de celle de la zone euro.
Pour autant, les quatre Etats périphériques font face à une grave crise d'endettement et la défiance des investisseurs est une réalité. On assiste depuis fin 2009 à un fort relèvement des écarts de taux d'intérêt de la dette des principaux Etats de la zone euro. Par rapport à la moyenne de la zone, le spread était ainsi, le 14 janvier 2011, négatif et donc favorable à hauteur de 122 points de base pour l'Allemagne, 113 points de base pour les Pays-Bas et 92 points de base pour la France, tandis qu'il était positif à hauteur de 40 points de base pour l'Italie, 100 points de base pour l'Espagne, 405 points de base pour l'Irlande et 602 points de base pour la Grèce. Un pays comme l'Autriche, dont les finances publiques sont pourtant saines, ne bénéficie que partiellement de sa proximité avec l'Allemagne puisque l'écart de taux est de - 88 points de base. La comparaison des taux d'intérêt sur le marché secondaire des obligations souveraines à dix ans est tout aussi éclairante : le 19 janvier, le Japon obtenait 1,27 %, l'Allemagne 3,11 %, les Etats-Unis 3,35 %, la France 3,46 %, le Royaume-Uni 3,64 %, l'Italie 4,73 %, le Portugal 7,06 %, l'Irlande 8,92 % et la Grèce 11,49 %.
Le paradoxe que j'ai souligné tout à l'heure peut donner le sentiment que les marchés n'apprécient pas à leur juste mesure les fondamentaux économiques et l'état des finances publiques des grands pays et de la zone euro. Il tient cependant avant tout à la nature même de cette zone. Tout d'abord, on constate un phénomène de « fuite vers la qualité ». En effet, il n'existe pas de risque de taux de change entre les Etats de la zone euro et la seule véritable différence entre les dettes souveraines est le risque de défaut ; il est donc rationnel de fuir les Etats présentant le risque le plus élevé, même s'il demeure faible dans l'absolu. Ensuite, la zone euro n'est pas une « zone monétaire optimale », ce qui a deux conséquences. En premier lieu, un Etat en difficulté, tel que la Grèce, ne peut recourir à la dévaluation pour relancer son économie ni réduire un déficit courant non soutenable. En second lieu, la zone euro ne bénéficie pas des avantages habituellement associés à l'existence d'un Etat, puisqu'il n'y a ni transferts en faveur des Etats en difficulté ni réelle mobilité de la population.
Le fait que la zone euro ne soit pas une zone monétaire optimale conduit à la dégradation du solde courant des quatre pays « périphériques ». Ainsi, alors que ces pays avaient un solde courant à peu près équilibré au milieu des années 1990, celui-ci s'est ensuite considérablement dégradé. Le sous-ensemble de ces Etats se dessinait dès 2008, soit peu avant l'effondrement économique, puisque les soldes courants étaient de - 14,6 % du PIB pour la Grèce, - 12,6 % pour le Portugal, - 9,8 % pour l'Espagne, - 5,8 % pour l'Irlande, - 3,4 % pour l'Italie, - 1,9 % pour la France, + 4,3 % pour les Pays-Bas et + 6,7 % pour l'Allemagne. L'appréciation actuelle des marchés a donc malgré tout des fondements rationnels. Au-delà de la situation actuelle des quatre Etats « périphériques », on peut s'interroger sur ce que sera dans dix ou vingt ans celle d'autres Etats qui se désindustrialisent, dont la France. Le solde courant de la France est ainsi passé de + 3,1 % du PIB en 1999 à - 1,9 % en 2008 et - 2 % en 2009. Si cette tendance se prolongeait, la France serait dans vingt ans dans une situation analogue à celle de la Grèce et du Portugal.
Cette dégradation du solde courant a des conséquences importantes car elle suscite une augmentation de l'endettement net d'une économie vis-à-vis de l'extérieur, qui peut ne pas être soutenable sur le long terme et alimente la défiance. La « position extérieure nette » des quatre pays périphériques, notion plus large que la dette extérieure et qui représente en quelque sorte le solde « bilantiel » d'une économie, est ainsi de l'ordre de - 100 % du PIB. Autrement dit, le bilan de ces économies est négatif pour un montant correspondant à peu près à la richesse produite une année donnée. A cet égard, le maintien du déficit courant actuel sur quatre décennies ne serait vraisemblablement pas soutenable pour la Grèce, le Portugal et l'Espagne, avec, selon les hypothèses de croissance retenues, une position extérieure nette de, respectivement, - 343 %, - 305 % et - 235 % du PIB en 2050. On conçoit bien qu'au-delà d'un certain seuil, les agents publics ou privés ne peuvent plus assumer leur charge d'intérêt. Or, des positions extérieures nettes de l'ordre de - 100 points de PIB sont exceptionnelles au niveau mondial. Ainsi, les quatre pays périphériques ne s'y trouvent guère en compagnie que de pays d'Europe de l'est (Croatie, Hongrie, Bulgarie, pays baltes), de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. En l'absence de réduction du déficit courant, il y aurait donc dans ces pays probablement défaut sur la dette souveraine d'ici quelques décennies.
Tout Etat fortement endetté est vulnérable à des crises « auto-réalisatrices » et peut faire défaut. En effet, selon un phénomène d'anticipations auto-réalisatrices, si les marchés ont des doutes sur la capacité d'un tel Etat à honorer ses engagements, ils peuvent lui imposer des taux d'intérêt élevés, augmentant sa probabilité de défaut. Dès lors, en s'endettant aujourd'hui sur les marchés à des taux prohibitifs et supérieurs à ceux consentis à l'Irlande par le Fonds européen de stabilité financière (FESF), le Portugal se contraint à dégager un excédent primaire plus important pour les années à venir. Autrement dit, la liquidité obtenue à court terme accroît les risques sur la solvabilité à long terme, de sorte que le recours à l'aide européenne peut devenir inéluctable. Actuellement, quasiment tous les Etats de l'Union européenne - à l'exception de la Hongrie et de la Suède - ont un déficit public primaire, de l'ordre de cinq points de PIB dans le cas de la France. Avec une dette de 100 points de PIB et une croissance du PIB de 4 % en valeur, un Etat doit, pour stabiliser sa dette en points de PIB, dégager un excédent primaire de sept points de PIB si les taux d'intérêt s'élèvent à 11 %. Une dette publique de 60 % du PIB semble en revanche correspondre à une situation « sûre ».
Quelles sont donc les perspectives pour les mois et années à venir ? Il importe tout d'abord de renforcer les capacités de réaction de la zone euro. Mais quelle est la capacité de prêt effective du FESF, qui peut emprunter 440 milliards d'euros ? L'idée que les agences de notation n'accorderaient la note « triple A » au FESF que tant que ses prêts ne dépasseraient pas le montant global des garanties des seuls Etats « triple A » est fréquemment affirmée dans les publications économiques, en particulier dans une récente étude de Citigroup, en date du 7 janvier dernier, fréquemment citée. Lors de son audition par notre commission le 19 janvier dernier, Mme Lagarde a avancé le chiffre d' « environ 250 milliards d'euros », qui correspond effectivement à la contribution des six Etats notés « triple A ». L'étude précitée de Citigroup évoque explicitement l'éventualité d'une dégradation de la notation des emprunts souverains de la France, et d'une réduction consécutive de la capacité de prêt du FESF, qui fragiliserait grandement la zone euro. La première émission du FESF, le 25 janvier 2011, a cependant été un succès puisque les 5 milliards d'euros, à échéance du 18 juillet 2016, ont été placés au taux de 2,8 %, contre 2,45 % pour le taux allemand de même maturité. Les investisseurs ont proposé plus de 45 milliards d'euros, ce qui est encourageant pour la suite.
Si l'on considère l'ensemble du dispositif d'aide, en incluant le Mécanisme européen de stabilité financière (MESF) et l'apport du FMI, les ressources effectivement disponibles peuvent apparaître nettement inférieures aux montants affichés, avec un montant qui pourrait être de l'ordre de 473 milliards d'euros, contre 750 milliards d'euros annoncés. Cette estimation repose sur l'hypothèse que le FMI ne contribuerait qu'à hauteur de la moitié de l'aide du MESF et du FESF. On peut cependant également supposer qu'en cas de besoin, le FMI mobiliserait la totalité des 250 milliards d'euros dont il dispose, même si le MESF et le FESF prêtaient moins de 500 milliards d'euros. Le montant total des ressources disponibles serait alors non de 473 milliards mais de 565 milliards d'euros.
Quoiqu'il en soit, ces ressources ne permettraient pas d'aider concomitamment les quatre Etats périphériques, compte tenu des prévisions de besoins de financement et de déficit public en 2011-2013. En se fondant sur 473 milliards d'euros de ressources mobilisables, il manquerait 134 milliards d'euros. Les ordres de grandeur changeraient en cas d'extension de la crise à de nouveaux Etats, puisque les besoins de financement en 2011-2013 sont évalués par Citigroup à 192 milliards d'euros pour la Belgique et 818 milliards d'euros pour l'Italie.
Dans ce contexte, les solutions envisageables à court terme, mais qui ne recueillent pour l'heure aucun accord entre les Etats membres de la zone euro, sont les suivantes :
- il paraît nécessaire de réduire le taux des prêts du FESF (5,8 % dans le cas de l'Irlande), afin de réduire l'excédent public primaire nécessaire pour les Etats en difficulté ;
- permettre au FESF d'acheter de la dette publique sur le marché secondaire, ou d'accorder des prêts aux pays en difficulté pour qu'ils puissent racheter leurs obligations sur les marchés secondaires ;
- surtout, augmenter les moyens disponibles pour les Etats en difficulté. Citigroup évoque ainsi un montant de 2 000 milliards d'euros, financés en tout ou partie par des achats de dette souveraine par la Banque centrale européenne (BCE), afin d'aider, le cas échéant, « l'Italie, la Belgique et la France ».
A moyen terme, le FESF et le MESF, qui disparaîtront en juin 2013, pourraient être remplacés par un dispositif pérenne. Une décision a été prise en ce sens par le Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010 et une modification du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne est prévue en 2012. Il est également prévu de renforcer le pacte de stabilité d'ici juin 2011, la Commission européenne ayant rendu publiques le 29 septembre 2010 cinq propositions de règlement et une proposition de directive. Des sanctions pourraient ainsi être proposées par la Commission et adoptées à la majorité inversée, et une plus grande importance sera accordée au ratio dette/PIB et aux déficits extérieurs courants dans la correction des déséquilibres macroéconomiques. Enfin, les Etats membres envisagent de prévoir explicitement la possibilité de restructuration des émissions postérieures à juin 2013. Certains économistes jugent cependant inévitables des restructurations du stock de dette actuel des Etats périphériques.
L'année 2011 sera également la première à voir la mise en oeuvre du « semestre européen ». L'élément essentiel de cette réforme est que désormais, les programmes de stabilité seront publiés au premier semestre et transmis à la Commission européenne avant la fin avril, c'est-à-dire avant la discussion budgétaire, et non plus en décembre après cette dernière. Le Parlement s'exprimera une première fois, en application de l'article 14 de la loi du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, qui prévoit qu'« à compter de 2011, le Gouvernement adresse au Parlement, au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne (...), le projet de programme de stabilité. Le Parlement débat de ce projet et se prononce par un vote ». Autour de la première quinzaine de juin, la Commission européenne rendra un avis sur les programmes de stabilité rendus publics, et le Sénat pourrait s'exprimer, une seconde fois, sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution, ce qui est une clef de l'adhésion démocratique. Au plus tard fin juillet, le Conseil Ecofin, puis le Conseil européen, se prononceront également sur ces programmes.
A plus long terme, deux types de solutions sont envisageables :
- celles d'inspiration « fédéraliste », politiquement peu vraisemblables, qui consisteraient en des transferts financiers permanents des Etats disposant d'un excédent courant vers ceux ayant un déficit courant, ou en l'émission d' « eurobonds ». Mais les « bons élèves » accepteraient-ils de payer pour les « mauvais élèves » avec des taux d'intérêt plus élevés ? La contrepartie éventuelle ne pourrait résider que dans un surcroît de pouvoir ;
- plus vraisemblablement, un « bricolage » durable, consistant en des eurobonds de fait avec un FESF aux moyens fortement accrus, ou à défaut, en des achats durables de titres de dette publique par la BCE, qui agirait comme une sorte de « caisse de défaisance ». Une importance accrue devrait également être accordée aux soldes courants et à la politique industrielle des Etats du « sud ».
M. Aymeri de Montesquiou. - Un Etat américain comme l'Illinois connaît une situation financière très dégradée. Quelle est la réponse de l'Etat fédéral ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La Réserve fédérale est là pour cela, mais une telle solution suppose nécessairement un système fédéral. C'est alors une option politique !
Mme Nicole Bricq. - C'est effectivement un point essentiel, notamment en matière de stratégie budgétaire, car on élude actuellement la question de la souveraineté politique en France.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Sauf le Premier ministre...
M. Jean Arthuis, président. - Mais qu'est-ce que la souveraineté d'un Etat surendetté ? Il est dans les mains de ses créanciers...
M. Jean-Pierre Fourcade. - La BCE procède déjà à des achats de titres souverains, tant sur le marché primaire que secondaire, mais je doute que cette stratégie perdure lorsque M. Trichet ne sera plus gouverneur. Comment ces opérations sont-elles retranscrites dans les écritures de la BCE ? En effet, d'après une note que m'a remise la direction générale du Trésor, ce sont ces achats de titres qui permettent de limiter les spreads entre Etats européens. La BCE est bien le véritable régulateur du marché de la dette et nous gagnerions à rencontrer ses représentants.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La BCE ne peut guère communiquer sur ce sujet, mais nous pourrions l'aborder lors de notre déplacement à Bruxelles ou de l'audition de Christian Noyer le 9 février.
M. Jean-Pierre Fourcade. - La note de la direction générale du Trésor que j'ai évoquée précise en effet que le Système européen de banques centrales participe à ces opérations de rachat. Nous sommes donc fondés à interroger le gouverneur de la Banque de France.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Pour revenir à la crise de la dette, j'ajoute que si rien n'est fait, on peut entrevoir trois « scénario catastrophe » :
- tout ou partie des Etats « périphériques » sortent de la zone euro, vraisemblablement en faisant au moins partiellement défaut. Leurs taux d'intérêt augmentent fortement et ils connaissent une récession grave, comme l'Argentine au début des années 2000. Ensuite leur économie repart et renoue avec son rythme de croissance potentiel ;
- les Etats du « sud » au sens large - ce qui peut englober la France et l'Italie - sortent de la zone euro, dans des conditions analogues. Un tel scénario n'aurait guère de sens aujourd'hui mais il pourrait en avoir dans plusieurs décennies si la France et l'Italie connaissaient des déficits courants analogues à ceux des Etats de la « périphérie » aujourd'hui ;
- les Etats du « nord », en particulier l'Allemagne et les Pays-Bas, quittent la zone euro. Leur nouvelle monnaie s'apprécie, les plongeant à court terme dans une récession - qui pourrait cependant être réduite par la dépendance relativement faible des exportations allemandes au taux de change - mais leur permettant de bénéficier à long terme de taux d'intérêt bas. Leur stock de dette, exprimé en euros, s'en trouve réduit, puisque la nouvelle monnaie s'apprécie par rapport à l'euro. La « zone euro réduite » connaît quant à elle une crise de change avec une forte hausse des taux d'intérêt, mais contrairement au deuxième scénario elle peut continuer à payer sa charge d'intérêt, sa dette demeurant libellée dans sa monnaie. A long terme les taux d'intérêt demeurent plus élevés qu'au nord.
M. Jean Arthuis, président. - Pouvez-vous à présent nous éclairer sur la situation de deux Etats dans lesquels vous vous êtes récemment déplacé, l'Espagne et l'Estonie ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - L'Espagne, où je me suis rendu du 4 au 6 juillet 2010, est un important partenaire économique de la France, dont le cycle de croissance rapide a été brutalement interrompu par la crise. La récession s'y est élevée à - 3,7 % en 2009, soit moins que la moyenne de l'Union européenne et de la zone euro. Cela s'explique sans doute en partie par la relance budgétaire importante, qui a remis en cause une décennie de vertu budgétaire. Mais si la relance a atténué la crise, elle n'a en rien permis de résoudre les problèmes structurels de cette économie. L'endettement public rapporté au produit intérieur brut devrait doubler entre 2008 et 2012, tout en restant à un niveau inférieur à la moyenne de la zone euro.
La crise a mis à mal le modèle économique espagnol et les facteurs de reprise sont fragiles. La demande interne stagne tant en raison des restrictions budgétaires que de l'inquiétude des agents, qui se traduit par une augmentation du taux d'épargne. Le niveau des exportations est tributaire de celui, incertain, de la demande mondiale. L'Espagne connaît une situation que certains banquiers ont qualifiée de « quasi-credit crunch » alors que les prix de l'immobilier se sont effondrés et que le stock de logements vides représente environ trois années de production.
La stratégie de l'Espagne consiste à regagner la confiance par un ajustement budgétaire ambitieux, une réforme du secteur financier s'appuyant notamment sur le Fonds de restructuration ordonnée des banques, une réforme du marché du travail et un accroissement des aides aux entreprises. Pourtant, l'inquiétude persiste en raison des incertitudes sur les créances douteuses dans les bilans des banques, de l'absence de nouveau moteur clairement identifié pour la croissance et du niveau angoissant du chômage.
S'agissant de l'Estonie, où je me suis rendu du 10 au 12 octobre 2010 et qui est entrée dans la zone euro le 1er janvier 2011, il s'agit d'un pays de 1,34 million d'habitant dont le PIB par tête représente 64 % de la moyenne communautaire, c'est-à-dire un niveau comparable à celui de la Pologne, de la Hongrie ou de la Croatie. La Roumanie se situe à 46 % de la moyenne communautaire.
L'Estonie cherche à s'intégrer à la communauté internationale et appartient désormais à l'OTAN, à l'Union européenne, à l'OCDE, à l'espace Schengen, à la zone euro et même à l'Organisation internationale de la francophonie, où elle a un statut d'observateur. Son secteur financier est très largement détenu par les banques suédoises. Elle est proche géographiquement et linguistiquement de la Finlande, avec laquelle elle partage désormais sa monnaie. Il s'agit d'un pays qui cherche à fonder sa crédibilité sur l'orthodoxie économique. Elle a fait le choix de la stabilité monétaire et, du fait la stabilité des parités, l'euro était déjà, en pratique, la monnaie de l'Estonie. Par exemple, 95 % des prêts immobiliers étaient libellés en euros.
L'Estonie a alterné depuis 1991 des phases de croissance rapide et de profondes récessions. Son PIB a par exemple reculé de 13,9 % en 2009. La croissance revient désormais, mais à des taux moins élevés qu'auparavant, signe que le PIB potentiel a été affecté. L'Estonie va devoir résoudre les problèmes structurels en matière de chômage, d'inflation, de spécialisation de son économie et de conservation de sa main d'oeuvre, tentée par l'émigration.
Les finances publiques sont encore proches de l'équilibre, situation qui est facilitée par le concours de 3,4 milliards d'euros de fonds structurels européens sur la période 2007-2013, qui représentent l'équivalent d'une demi-année de dépense publique. L'Estonie devrait rester en situation de déficit public au cours des prochaines années, malgré le retour de la croissance. Son niveau d'endettement public rapporté au PIB, qui s'établit à 8 % en 2010, reste très favorable mais ce ratio devrait tripler entre 2007 et 2012.
L'Estonie est un pays libéral qui a fait le choix de la simplicité fiscale, en retenant un taux unique de 21 % pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés (IS) et deux taux de taxe sur la valeur ajoutée, un taux normal de 20 % et un taux réduit de 9 %. Pour autant, elle ne pratique pas de dumping fiscal, notamment si l'on considère que le taux réel de l'IS s'élève en France à environ 22 %.
Au total, l'Estonie est un pays rigoureux dont on peut s'attendre à ce qu'il soutienne, au sein de la zone euro, des positions proches de celles des autres Etats de l'Europe du nord.
Mme Nicole Bricq. - Je remercie le rapporteur général dont l'exposé a montré que, au-delà de l'aspect spéculatif, les évolutions des marchés reflètent une certaine rationalité économique. Les solutions qui sont aujourd'hui évoquées par les gouvernements, comme la restructuration de la dette des Etats ou le niveau des taux consentis aux Etats en difficulté, sont discutées depuis longtemps et il est dommage qu'elles émergent si lentement.
Je mets en garde contre la tentation de prendre l'Allemagne comme référence absolue. En effet, je doute que le modèle sur lequel ce pays fonde sa croissance depuis les années 2000 puisse être encore aujourd'hui considéré comme durable.
Mme Marie-Hélène Des Egaulx. - Je remercie le rapporteur général dont la présentation permet de mieux comparer la situation de l'Europe à celle des Etats-Unis. S'agissant de l'Espagne, peut-on parler d'une nationalisation partielle de son secteur financier ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La crise espagnole n'a pas pour origine son secteur financier qui est bien régulé par une Banque d'Espagne rigoureuse. Le secteur bancaire est contrasté, avec des grandes banques internationales dont l'exposition au risque espagnol est réduite et des banques plus locales. Les caisses d'épargne constituent une puissance politique et économique bien supérieure aux caisses françaises. Elles représentent les structures économiques et la culture politique des différents territoires. Elles ont été très investies dans le crédit immobilier et le crédit aux petites et moyennes entreprises, et certaines se sont trouvées dans des situations très délicates. La restructuration passe par des regroupements parfois autoritaires et une recapitalisation lorsque c'est nécessaire. En ce sens, on peut parler de centralisation plutôt que de nationalisation.
Exécution du budget de 2010 et immobilier de l'Etat - Audition de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat
Au cours d'une seconde séance tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur l'exécution du budget de 2010 et sur l'immobilier de l'Etat.
M. Jean Arthuis, président. - La commission a l'honneur d'accueillir M. François Baroin, ministre du budget, qui va nous présenter l'exécution du budget de 2010 et nous informer des derniers développements de la politique immobilière de l'État.
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. - Votre commission étant familière des communications de Bercy, j'irai à l'essentiel sur l'exécution du budget de 2010.
Nous avons respecté le déficit budgétaire. Celui-ci est tombé à 148,8 milliards d'euros, contre 149,8 milliards prévus dans la dernière loi de finances rectificative. Si nous nous réjouissons de cette légère amélioration de 1 milliard, nous ne nous en satisfaisons pas. Nous devrons faire mieux l'an prochain.
Nous avons strictement tenu notre engagement de maîtrise des dépenses de l'État. Ces dernières s'établissent à 352,6 milliards d'euros, ce qui représente une moindre dépense de 1 milliard, puisque le taux d'inflation a été de 1,5 %, et non de 1,2 % comme nous l'avions prévu lors de la construction du budget. En outre, ce budget comprenait des dépenses exceptionnelles non reconductibles de plus de 70 milliards, dont 32,4 milliards d'investissements d'avenir, la même somme pour la compensation relais de la taxe professionnelle et 5,2 milliards au titre du plan de relance. Ces dépenses sont, elles aussi, parfaitement conformes au plafond fixé. Nous nous sommes conformés, j'y insiste, à la première des règles budgétaires : nous n'avons pas dépensé un euro de plus de ce qu'avait autorisé le Parlement ! Pour le ministère du budget, c'est un devoir de chaque instant. Ensuite, nous avons également apuré, en 2010, la dette de l'État envers la sécurité sociale, qui s'élevait à 7 milliards fin 2006, et celle vis-à-vis du Crédit foncier de France au titre des primes d'épargne logement. La moindre charge liée aux intérêts de la dette a permis de financer des efforts particuliers de soutien de l'emploi et de protection des plus fragiles dans un contexte de crise. Enfin, s'agissant des dépenses de personnel, nous avons poursuivi la politique de non-remplacement d'un départ sur deux à la retraite. Ces dépenses atteignent un peu moins de 117,4 milliards d'euros, soit un dépassement net de 250 millions par rapport à la loi de finances initiale. Ce décalage, qui a justifié un décret d'avance, s'explique par un nombre de départs en retraite inférieur en 2009 et en 2010, sans doute en raison de la crise économique et de la réforme des retraites. On assistera donc certainement à un rattrapage en 2011 et les années suivantes.
J'en viens aux recettes. Nous avons enregistré des recettes de TVA supplémentaires, pour un montant de 500 millions d'euros. La somme définitive est de 127,3 milliards d'euros ; un clignotant intéressant qui nous renseigne sur la bonne tenue de la consommation. En revanche, le produit de l'impôt sur les sociétés s'établit à 32,9 milliards d'euros, soit un rendement inférieur de 2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances rectificative. Néanmoins, il faut tenir compte du fait que cet impôt avait progressé de 57 % entre 2009 et 2010, en raison du contrecoup des mesures de relance décidées en 2009. Cette moins-value, que nous sommes en train d'expertiser, s'explique peut-être par des dispositifs de provisions amplifiés par rapport à la réalité auxquels ont recouru les entreprises pour anticiper les mesures fiscales et l'effort qui leur a été demandé pour boucler le budget à hauteur de 9 milliards d'euros. Les recettes non fiscales, pour leur part, sont globalement « en ligne » : on observe une légère moins-value de 400 millions d'euros. Pour autant, celles qui sont les plus liées à la situation économique sont au rendez-vous : je pense, entre autres, aux dividendes perçus sur les entreprises publiques ou encore sur la Coface. Nous avions d'ailleurs réévalué à 3,6 milliards d'euros le montant attendu des recettes non fiscales entre la loi de finances initiale et le collectif budgétaire. Enfin, deux événements spécifiques ont joué favorablement sur le solde des comptes spéciaux. D'une part, la Grèce n'a pas mobilisé la dernière tranche du prêt qui lui avait été consenti, soit 1,4 milliard d'euros. D'autre part, le surplus de 500 millions d'euros qu'affiche le solde du compte d'avance aux collectivités territoriales est lié à la révision à la baisse du coût de la réforme de la taxe professionnelle pour 2010 - nous en avons longuement débattu. Au total, le produit des recettes fiscales net s'établit à 253,6 milliards d'euros, contre une prévision de 255 milliards d'euros. L'écart, dû principalement au moindre rendement de l'impôt sur les sociétés, est mineur : il représente seulement 0,5 % des recettes fiscales.
Fort de tous ces éléments, le Gouvernement confirme sa prévision de déficit public pour 2010 à 7,7 % du PIB. La tenir est, pour nous, un objectif intangible.
M. Jean Arthuis, président. - Après m'être réjoui que la prévision de déficit public ait été réduite, permettez-moi quelques questions. Comment expliquer le relatif dynamisme des impôts à assise patrimoniale, dont l'ISF ? Quelles sont les recettes exceptionnelles tirées du contrôle fiscal et de la cellule de régularisation créée en 2009 pour résoudre la situation des évadés fiscaux ? Comment expliquer la forte hausse du produit des droits de donation ? Enfin, côté recettes toujours, le Sénat s'interroge sur la réalité du recouvrement des impositions qui ont remplacé la taxe professionnelle. Est-elle conforme aux prévisions établies par Bercy ?
S'agissant des dépenses, si la norme a été respectée, c'est notamment grâce à la charge de la dette. Nous avons eu un moment d'émoi quand vous nous avez soumis le décret d'avance du mois de novembre afin de payer les salaires de décembre et d'honorer certaines dépenses de guichets sociaux. Êtes-vous sûr que cette situation ne se reproduira pas en 2011 ? Le risque existe, si le service de la dette s'avérait plus contraignant et plus coûteux qu'en 2010.
Pour terminer, les dernières adjudications de titres de l'État. J'ai eu communication par vos services aujourd'hui des dernières émissions. Le court terme reste à des taux très faibles, inférieurs à 0,5 %. Quelles sont vos prévisions pour tenir l'objectif de 2011 ?
M. François Baroin. - La presse a donné une interprétation un peu rapide du relatif dynamisme de l'ISF. En réalité, la plus-value est seulement de 50 millions d'euros en 2010 : nous avions prévu 3,55 milliards d'euros, le rendement a été de 3,6 milliards d'euros. Nous sommes donc dans la ligne de l'épure. Comment expliquer ce surcoût de recettes ? Il résulte essentiellement des produits exceptionnels liés à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Cela n'aura donc pas d'incidence sur les besoins de financement liés à la réforme de la fiscalité du patrimoine, dont nous discutons actuellement.
Le bilan de la cellule de régularisation fiscale fait apparaître un produit d'ISF de 500 millions d'euros et des produits du contrôle fiscal et de déclarations tardives de 400 millions d'euros. Dans les deux cas, cela est nettement supérieur aux prévisions. Pour autant, ces chiffres, parce qu'ils sont liés à l'action de contrôle, laquelle prend en compte les trois années précédentes et les éléments de pénalité, ne signifient pas que l'assiette de l'ISF a augmenté. Le bilan de la cellule de régularisation est extrêmement positif. Pas moins de 4 740 contribuables ont régularisé leur situation pour des avoirs de 7,1 milliards d'euros. L'État a ainsi encaissé 1 milliard d'euros de recettes supplémentaires, dont 700 millions d'euros en 2010. Au 31 décembre 2010, 3 744 dossiers avaient été traités, ce qui représente 880 millions d'euros de droits et 72 millions d'euros de pénalités. La ventilation définitive est la suivante : 19 % d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, 56 % d'ISF et 25 % de droits de succession qui ont été ciblés dans la composition des patrimoines soumis à l'administration fiscale.
M. Jean Arthuis, président. - Ces 56 % d'ISF sont-ils compris dans l'enveloppe des 3,6 milliards ?
M. François Baroin. - Non, dans celle des 880 millions.
M. Jean Arthuis, président. - Voilà la raison du chiffre de 4 milliards donné par la presse.
M. François Baroin. - Les 1 000 dossiers restants sont, pour 80 % d'entre eux, en cours de taxation, ce qui représente 96 millions d'euros de droits et de pénalités. En un mot, cette cellule, fermée en 2011, a bien fonctionné. Les dossiers les plus délicats, qui imposaient un examen plus attentif, seront traités dans le cadre de la procédure de droit commun.
La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la cotisation foncière des entreprises (CFE) et les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux (IFER), qui ont remplacé la taxe professionnelle, n'ont pas causé de surprise particulière : l'exécution est proche de 16,5 milliards d'euros, contre 16,1 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale et 16,6 milliards d'euros dans le dernier collectif. Le coût de la réforme de la taxe professionnelle devrait être de 4,7 milliards d'euros en régime de croisière ; il a été de 7,7 milliards d'euros en 2010, contre une prévision de 12 à 13 milliards d'euros.
Nous avons effectivement bénéficié d'une moindre charge de la dette, de l'ordre de 2 milliards d'euros, en raison de taux d'intérêt favorables. Les dépenses financées par redéploiement, insistons-y, étaient largement exceptionnelles : du fait de la crise, il a fallu financer un dépassement du budget « Emploi » de 1,4 milliard d'euros pour développer les contrats aidés et un autre de 400 millions d'euros du budget « Solidarité » pour l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Les dépenses de personnel sont clairement liées : 8 000 départs en moins en 2009, 5 000 à 6 000 en 2010. Ce mouvement va se résorber. L'exécution finale est d'ailleurs inférieure aux 700 millions d'euros de crédits supplémentaires ouverts : de 250 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale et de 450 millions d'euros si l'on ne tient pas compte des moindres dépenses de pension. Nous avons tenu compte de ces dépassements pour 2011 : 400 millions d'euros ont été ajoutés pour l'AAH, 1 400 millions d'euros pour les contrats aidés et 700 millions d'euros pour les dépenses de personnel.
Les relations entre l'État et la Sécurité sociale avaient fait l'objet d'un débat approfondi dans l'hémicycle. Les réserves très sérieuses que la Cour des comptes avait émises sur cette dette ont été l'une des raisons structurantes qui ont poussé le Gouvernement à solder totalement la dette du passé, soit 7 milliards d'euros en 2006. Nous sommes sur le bon chemin.
Concernant les premières adjudications des titres d'État intervenues en 2011, les taux de couverture sur les titres du moyen et long termes ont varié entre 1,76 % et 5,44 %. Ce sont de très bons résultats, meilleurs que le taux moyen de 1,5 % qui constitue l'un des indicateurs de performance de l'Agence France Trésor. Les taux d'intérêt observés sur le marché des dettes souveraines ne sont pas de nature à infléchir la prévision annuelle. Sur le court terme, les quatre premières adjudications font apparaître des taux nettement inférieurs à la prévision annuelle. Le taux supérieur constaté lors de la première adjudication sur le moyen et long termes doit être relativisé : outre son très faible impact budgétaire sur l'année en cours, ce mouvement doit être replacé dans un contexte de hausse internationale des rendements obligataires qui traduit une normalisation des conditions de marché. L'écart vis-à-vis de l'Allemagne est resté stable : il se situe autour de 40 points de base entre novembre et janvier. Les taux d'intérêt à long terme restent bas au regard d'une moyenne de long terme : 4,45 % entre 1998 et 2007 et 3,17 % en 2010. Pour être précis, nous avions retenu une hypothèse de taux à trois mois de 1 %, le taux constaté pour les adjudications est de 0,46 % ; une hypothèse de taux à deux ans de 1,35 %, celui-ci est de 1,49 % ; une hypothèse de taux à cinq ans de 2,2 %, celui-est est de 2,54 % et une hypothèse de taux à dix ans de 3 %, celui-ci est de 3,36 %. Nous sommes très satisfaits de la réalisation de ces premières adjudications.
M. Éric Doligé. - Monsieur le ministre, je me réjouis de la justesse de vos prévisions pour les recettes de l'État. En revanche, je m'inquiète de vos estimations de recettes pour les collectivités territoriales, fondées notamment sur le produit de la CVAE. En l'espace de moins d'un mois, vous nous avez communiqué deux estimations faisant apparaître des écarts variant entre 10 % et 40 %. Or la première, transmise en décembre, a servi à construire nos budgets. Soit, nous avons des garanties ; il existera, notamment, un fonds national de compensation. Cela étant, si les recettes sont très inférieures aux prévisions, il faudra attendre des années avant d'envisager un rattrapage de la somme prévue, puis une progression. Les chiffres réels seront connus cet été. En attendant, pourquoi avoir communiqué des fourchettes aussi larges ? Celles-ci compliquent évidemment la réalisation de nos budgets. La réduction est de l'ordre de 40 % pour le Rhône, de 16 % pour mon département et de 19 % pour le Maine-et-Loire. Comment l'expliquer ? Est-ce le coup du hasard ? Et je n'évoque pas les droits de mutation à titre onéreux (DMTO)...
M. Albéric de Montgolfier. - ... sujets à des variations quotidiennes !
M. François Baroin. - Attendons la fin du premier exercice pour parler de la CVAE. Les entreprises ont-elles anticipé les modifications ? Peut-être. S'agissant des collectivités territoriales, on note surtout, durant le dernier trimestre, qu'elles ont mis un frein assez fort sur l'investissement. Est-ce lié au succès du remboursement anticipé de FCTVA dans le plan de relance ? Nous le saurons après l'exécution budgétaire. Je vous propose que nous nous retrouvions en juillet. Il est impératif que nous parvenions, avant les échéances de 2012, à un constat partagé sur le coût de la réforme de la taxe professionnelle.
M. Éric Doligé. - Pour que les écarts soient si importants, la base de calcul n'est pas bonne ! La masse globale est juste, mais sa répartition inégale sur le territoire. Peut-être les entreprises ont-elles concentré leurs ressources dans certains territoires ?
M. François Baroin. - De toute façon, nous avons prévu, avec le Comité des finances locales, des verrous de sécurité : le FCTVA a été sorti du gel des dotations de l'État de même que le fonds de péréquation de feue la taxe professionnelle. Nous en saurons davantage, via la péréquation, sur la répartition, les éventuels phénomènes de concentration et les besoins de financement de certains départements. Pour autant, nous pouvons penser que les départements à dominante industrielle vont voir leur assiette évoluer et que ceux marqués par de fortes concentrations urbaines et des activités de services bénéficieront d'une progression de leurs recettes. Des surprises ne sont pas exclues : la Seine-Saint-Denis pourrait, malgré toutes ses difficultés, afficher un potentiel fiscal intéressant.
M. Jean Arthuis, président. - Il faut donc attendre pour en savoir plus sur la répartition. Pour l'heure, seule la masse globale est connue.
Mme Nicole Bricq. - Un mois après le vote de la loi de finances pour 2011, tout est « en ligne », vient d'affirmer le ministre. J'ose à peine poser des questions de peur de paraître mal intentionnée. D'ici fin avril, date à laquelle le Gouvernement devra soumettre le programme de stabilité au Parlement avant de le transmettre à Bruxelles, il semble peu probable que vous modifiiez votre trajectoire. La charge de la dette, d'après vous, n'augmentera pas considérablement. Pas d'inquiétude, donc, sur les taux d'émission de la dette ! Quant aux taux de croissance de 2010 et de 2011, sur lesquels le rapporteur général avait émis des hypothèses différentes des vôtres, j'ose à peine vous interroger. Il me faut conclure que tout va bien et que cela ira même mieux lors de notre rendez-vous d'avril !
M. François Baroin. - Madame Bricq, je n'ose voir, dans les précautions oratoires que vous prenez, le signe de votre soutien à la politique du Gouvernement ! N'oublions pas que la première prévision de déficit public pour 2010 était de 8,5 %...
Mme Nicole Bricq. - Soit ! Mais n'oublions pas, non plus, le décret d'avance de novembre. Mais vous me rétorquerez, sans doute, que cela ira mieux étant donné la progression des départs en retraite en 2010 et en 2011...
M. François Baroin. - Le Gouvernement a révisé sa prévision de déficit de 8,5 % à 8,2 % en janvier, puis de 8,2 % à 8 % en avril ; et maintenant de 8 % à 7,7 %. Tous les éléments montrent que nous tiendrons cette prévision : c'est clair, c'est net, c'est définitif !
Les premières adjudications se déroulent bien. Nous sommes à l'unisson d'un mouvement international d'évolution des taux qui concerne aussi bien les États-Unis que l'Allemagne. Pour le reste, compte tenu des indicateurs tels que l'évolution du coût de la vie et de l'activité économique, il n'y a aucune raison de corriger les prévisions. Nous aurons l'occasion d'en reparler en avril, un nouveau rendez-vous qui participe du renforcement des pouvoirs du Parlement. De fait, il n'y aura plus ce décalage, peu acceptable pour des personnes qui ont une culture parlementaire comme moi, entre le niveau d'information du Gouvernement et du Parlement.
M. Roland du Luart. - Bonne surprise, les DMTO ont progressé en 2010 dans tous les départements. Le Parlement, avec l'encouragement du Gouvernement, a voté un dispositif de péréquation. La difficulté tient à ce que nous ne connaissons toujours pas les chiffres de cette péréquation fin janvier. Or chacun connaît les données dans son département. Pourquoi ne dispose-t-on pas du montant national des DMTO ? Paris aurait révisé ces chiffres, dit-on. Les services fiscaux, me semble-t-il, ont les moyens de procéder aux vérifications nécessaires...
M. François Baroin. - Nous sommes à votre disposition. Il n'y a rien à cacher.
M. Jean Arthuis, président. - Peut-être fallait-il attendre la liquidation de décembre ?
M. Adrien Gouteyron. - Mais nous disposions d'estimations...
M. Jean Arthuis, président. - ... fondées sur les chiffres de fin octobre.
M. François Baroin. - Les données vous seront communiquées.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Quel est le produit définitif de l'impôt sur le revenu en 2010 ? Un chiffre à mettre en rapport avec le produit des niches. L'avez-vous chiffré ?
Quelques mots des taux d'intérêt : si les taux à court terme sont assez stables, ceux à moyen terme augmentent. Or je m'inquiète de l'appétence des marchés financiers pour les obligations du Trésor indexées sur l'inflation. Nous en avons émis 15 milliards d'euros l'an dernier, sur 160 milliards d'euros au total. S'il y avait le moindre dérapage inflationniste, les conséquences budgétaires seraient immédiates : en 2008, nous avions dû renflouer le budget de financement des intérêts de la dette de 4 milliards d'euros. Il ne faudrait pas céder à la facilité qui consiste à placer des obligations indexées parce que la demande existe.
M. François Baroin. - L'impôt sur le revenu était de 46,7 milliards d'euros en 2009 ; nous avions tablé sur 46,6 milliards d'euros en loi de finances initiale ; l'exécution est de 47,4 milliards d'euros.
Quant aux taux d'intérêt, la question est affaire de professionnels. Nous faisons toute confiance à France Trésor.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Je m'inquiète surtout des obligations indexées sur l'inflation.
M. François Fortassin. - Les collectivités territoriales représentent 75 % de l'investissement public en France. Par manque de visibilité sur les impositions qui ont remplacé la taxe professionnelle, elles risquent de mettre la pédale douce sur l'investissement. Est-ce le moment quand nous avons besoin de relance ? L'ISF a donné de meilleurs résultats que prévu. C'est bien la preuve que, dans notre pays, certains de nos concitoyens souffrent et d'autres un peu moins...
M. François Baroin. - Face à la crise, nous aurions pu faire d'autres choix, notamment celui de demander un effort collectif aux Français. L'État prend sa part ; la sécurité sociale et les collectivités territoriales doivent la prendre également. Nous avons été à l'écoute des collectivités territoriales : nous avons gelé en valeur les dotations mais sans y inclure le FCTVA. Autrement dit, si l'investissement ralentit, ce n'est pas le fait de l'État. Les collectivités territoriales peuvent faire des économies, notamment de personnel, pour alimenter l'autofinancement et réduire le recours à l'emprunt. Bref, avec ce verrou de sécurité du FCTVA, vous avez toute latitude pour continuer d'investir. Le niveau de péréquation, défini au sein du Comité des finances locales, devrait être satisfaisant et juste.
J'en viens à notre modèle de redistribution. Le patrimoine des Français s'élève à 10 000 milliards d'euros, dont plus de 60 % est concentré dans l'immobilier. Une grande partie des actifs est concentrée dans peu de mains. Est-ce spécifique à la France ? Non, notre niveau de concentration du patrimoine est comparable à celui des États-Unis ou de l'Allemagne. Autrement dit, il constitue un fait général de sociétés modernes et très avancées : l'argent appelle l'argent. En revanche, notre modèle de redistribution est le plus développé. Grâce à lui, nos concitoyens qui ont 3 000 euros en moyenne ont 7 000 euros en réalité ; et, à l'inverse, ceux qui ont 52 000 euros en moyenne disposent, en fait, de 46 000 euros. C'est la conclusion objective que l'on peut tirer des dernières statistiques de l'INSEE, non celle du ministre du budget ! Soit, il est toujours possible d'apporter des corrections à la marge. Mais le modèle est bon, gardons cette idée en tête.
M. Jean-Jacques Jégou. - Vous avez évoqué une rallonge de 400 millions d'euros pour l'AAH. Qu'en est-il de l'aide personnalisée au logement (APL) ?
M. Adrien Gouteyron. - Au moment où les communes préparent leur budget, certaines d'entre elles constatent que leur DGF est aberrante en comparaison de la dotation de communes similaires. J'ai signalé cette difficulté à l'administration, sans parvenir à obtenir de réponse satisfaisante.
M. François Baroin. - Il n'y pas de réponse globale à cette question.
M. Adrien Gouteyron. - On me dit que l'héritage serait une explication...
M. Jean Arthuis, président. - Il faudrait revisiter les modalités de répartition de la DGF.
M. François Baroin. - Je ne prendrai pas l'initiative de ce débat !
M. Jean Arthuis, président. - Les nouvelles évaluations de potentiel fiscal et financier, qui tiennent compte du niveau de la DGF, permettront sans doute de déterminer des fonds de péréquation et d'apporter des correctifs.
M. Adrien Gouteyron. - J'en accepte l'augure !
M. François Baroin. - Concernant l'APL, monsieur Jégou, le dérapage est d'un peu moins de 200 millions d'euros.
M. Jean Arthuis, président. - Passons à l'immobilier de l'État. Lors de l'examen des crédits de la mission « Justice », le Parlement, très sensible aux recommandations de Bercy, avait confirmé, par un amendement, le choix de la Porte de Bagnolet pour y regrouper les services du ministère de la justice, contre celui de la Porte d'Issy. De fait, le premier était évalué à 150 millions d'euros, le second à 220 millions d'euros. Le ministère de la justice va-t-il se porter acquéreur ou tergiverser en passant des conventions de location ? En tant que ministère de tutelle de l'immobilier de l'État, qu'entendez-vous faire ?
M. François Baroin. - Vous aviez trouvé une solution technique très astucieuse pour faire obstacle au projet initial, en minorant les autorisations d'engagement ouvertes à cet effet. Ce choix du Parlement ne m'a pas choqué. Cela étant dit, le ministère de la justice souhaite, durant un an, garder en location ses locaux actuels, le temps de trouver des locaux correspondant aux critères définis par la politique immobilière de l'État, soit un loyer inférieur à 400 euros le mètre carré. Je ne vous cache pas que le coût de la location actuelle est élevé. Nous en reparlerons, étant entendu que l'activité de France Domaine est la plus contrôlée de l'État et que le Conseil de l'immobilier de l'État, au sein duquel siègent des parlementaires, jouera un rôle prépondérant dans le suivi de ce dossier.
M. Roland du Luart. - Le ministère de la justice ne veut pas de l'implantation envisagée Porte de Bagnolet !
M. Jean-Pierre Fourcade. - De combien de mètres carrés ont-ils besoin ?
M. François Baroin. - Quelque 35 000 mètres carrés. Peu importe le lieu, seule compte l'efficacité de l'État.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - S'agissant des fonctions régaliennes de l'État et de leur implantation immobilière, où en est-on du projet de concentration des services du ministère de la défense sur le site dit « Balard » ? Je crois me souvenir que, parmi les ressources affectées à cette opération, figuraient notamment la restructuration du périmètre Saint-Germain et la valorisation, éventuellement via un bail emphytéotique, de l'Hôtel de la Marine. Or il y a eu des évolutions depuis. Quelles sont-elles ? L'Hôtel de la Marine constitue un point très sensible : ce bâtiment a été construit pour l'État et a toujours fait partie du patrimoine de l'État. Le régime de son utilisation par l'éventuel preneur d'un bail, à désigner après appel à la concurrence, reste peu clair... Je suis très dubitatif, pour ne pas dire plus, sur les schémas exposés.
Mme Nicole Bricq. - L'orientation qu'avait retenue le Parlement pour la Justice était claire : Bagnolet. La Chancellerie a demandé un an. Peut-être faut-il considérer les locaux disponibles aux autres portes de Paris.
S'agissant de l'Hôtel de la Marine, avec l'autorisation du ministre, France Domaine m'a communiqué le volumineux dossier d'appel à projets. J'ai également visité le bâtiment. Le dossier évoque un cahier des charges, qui fixerait les normes d'utilisation du bâtiment. Hélas, impossible de mettre la main dessus : il n'existe pas. Nombreux sont ceux qui estiment qu'une large partie du bâtiment devrait être réservée au public. Or plus on ouvre le bâtiment, moins l'affaire sera rentable.
En tant que rapporteure spéciale, je défends les intérêts de l'État et je ne suis pas choquée qu'il cherche à valoriser son patrimoine. Depuis que je m'occupe de ce dossier, j'ai toujours dit que les cessions immobilières, notamment celles du patrimoine haut de gamme, ne pouvaient pas constituer, à elles seules, une politique de gestion immobilière. Loin de moi l'idée de dire qu'il ne faut pas valoriser des bâtiments comme l'Hôtel de la Marine, car ces immeubles coûtent très cher à entretenir et il faudra bien que quelqu'un paye, on ne peut pas tout transformer en musée. Mais pourquoi, dans ce cas précis, n'y a-t-il pas de cahier des charges ?
J'ai fait il y a un an et demi un rapport d'information sur l'État locataire. Quelques mesures ponctuelles ont été prises mais une renégociation des baux devait avoir lieu, ainsi qu'une expérimentation dans les départements de la région de l'Île-de-France pour confectionner un tableau de bord. J'aimerais savoir où en est cette expérimentation, qui a fait suite aux préconisations de mon rapport.
M. François Baroin. - Concernant le grand pôle « Défense » à Balard, la décision visant un éventuel partenariat public-privé sera prise en avril. L'une des questions que pose ce que certains appellent le « Pentagone à la française » concerne l'Hôtel de la Marine. Il n'est pas question de céder un élément de notre patrimoine aussi prestigieux - je rappelle que c'est là, notamment, qu'a été annoncée l'abolition de l'esclavage. Dans l'appel à candidatures, il n'a jamais été question de cession mais de bail emphytéotique dont le régime est, je vous le rappelle, très encadré par la loi. L'État restera propriétaire de ce lieu.
Comme ce sujet animait depuis quelques temps les milieux historiques, culturels et politiques, le Président de la République a mandaté, la semaine dernière, le ministre de la culture pour mettre en place une commission composée de personnalités diverses, afin d'aider l'État à choisir l'affectation de ce lieu. Le 7 février, le dépôt des candidatures sera clos. Une fois constituée, il appartiendra à la commission de réfléchir, d'auditionner les candidats, d'assurer une publicité plus large autour du projet et de formuler des propositions pour l'affectation du bâtiment, d'un seul tenant ou par fractions. Ce dossier ne doit pas « abîmer », dans tous les sens du terme, la politique immobilière de l'État.
Avant de valoriser l'Hôtel de la Marine, l'État doit déterminer si la valeur patrimoniale du bien permet d'envisager une transaction. Si tel est le cas, il peut évaluer les bénéfices de l'opération. Je vous rappelle que nous avons 1 700 biens disponibles, sans vendre les « bijoux de famille ». L'Hôtel de la marine est un dossier particulier qui n'empêchera pas l'État de mener à bien sa politique immobilière.
En ce qui concerne l'État locataire, nous présenterons les résultats de l'expérimentation en Île-de-France au Conseil immobilier de l'État le mois prochain et nous proposerons une déclinaison régionale des normes.
M. Adrien Gouteyron. - Monsieur le ministre, une société foncière pour l'immobilier de l'État à l'étranger a-t-elle une chance de voir le jour ?
M. François Baroin. - Nous en discuterons avec Mme la ministre d'État demain lorsque nous dresserons un état des lieux de la RGPP : la solution consisterait à utiliser la Société de valorisation foncière et immobilière (Sovafim) pour mettre en oeuvre les principes et les règles de l'État en matière immobilière à l'étranger.