Mercredi 25 janvier 2011
- Présidence de M. Philippe Marini, président -Examen du rapport d'information
M. Philippe Marini, président. - Cette dernière réunion est comme le chant du cygne de notre mission commune. Je l'ouvre avec le sentiment du devoir accompli. Le rapport d'étape, publié en juillet 2008, avait constitué le premier document global dans le débat sur le cinquième risque et la dépendance. L'on s'en est d'ailleurs largement inspiré. Après une longue attente, les choses semblent se préciser. Nous avons entendu Roselyne Bachelot-Narquin et notre rapport final sera le dernier document avant l'ouverture du débat national qui sa s'engager dans les prochains jours.
Nous nous efforcerons de mettre en perspective nos propositions de 2008, d'indiquer les avancées et ce qu'il faut en penser. Nous vous proposerons de renouveler la plupart des propositions et d'y ajouter quelques approches supplémentaires. En annexe du rapport, figurera un guide pour le débat sur la prise en charge de la dépendance, sur le financement (quel équilibre entre solidarité nationale et prévoyance ?), ainsi que sur la gouvernance pour le nouveau risque et la parité de financement de l'Apa entre l'Etat et les départements que nous appelons de nos voeux.
Si les grands enjeux n'ont guère évolué, la situation financière s'est dégradée. Certaines de nos propositions ont perdu de leur actualité : on escomptait alors 4 milliards d'excédent de la branche famille de la sécurité sociale... La maîtrise du déficit et de l'endettement constitue aujourd'hui un défi dont dépendent le coût de notre dette et le devenir de la monnaie unique. Cependant, les évolutions intervenues ne contredisent pas les options que nous avions retenues.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Nous arrivons en effet au terme de nos travaux. Nous avons procédé à une actualisation de notre rapport d'étape pour tenir compte des évolutions survenues depuis lors. Certaines de nos propositions ont été intégrées dans les lois de financement de la sécurité sociale ; d'autres procédaient d'une réforme structurelle. Irons-nous vers de simples aménagements ou vers une grande réforme ?
Dans son premier rapport, la mission a dressé un panorama complet de la prise en charge de la dépendance. Elle a évalué l'effort public à 21 milliards d'euros, soit un point de Pib. La création de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) au début des années 2000 et l'effort important de création de places et de médicalisation au sein des Ehpad placent la France en bonne position par rapport à ses voisins. Cependant, il reste à relever le défi du vieillissement de la population, car le nombre des plus de soixante-quinze ans va doubler dans les prochaines années. Il convient également d'améliorer les dispositifs de prise en charge et de rendre le schéma institutionnel plus lisible. Nous observions en outre un contexte financier et humain très contraint tant par l'état des finances publiques que par le reste à charge des familles.
Nous proposions d'abord de réaliser un effort plus équitable en direction des bénéficiaires de l'Apa à domicile, en améliorant la grille Aggir (autonomie gérontologie groupes iso-ressources), en relevant les plafonds d'aide de manière ciblée pour les personnes isolées et les patients atteints de la maladie d'Alzheimer, de permettre une revalorisation des plans d'aides et de solliciter les patrimoines les plus élevés à travers une prise de gage au moment de l'entrée en dépendance.
Afin de maîtriser le reste à charge et d'améliorer l'efficacité de la dépense en établissement d'hébergement, nous proposions une échelle dégressive de l'Apa en établissement et une adaptation des dépenses fiscales, une réforme de la tarification généralisant les forfaits globaux, une convergence des tarifs soins et le transfert d'une partie des dépenses des personnes hébergées sur la section soins ou la section dépendance.
Pour mettre en place un véritable partenariat public-privé et assurer un financement mixte du cinquième risque, nous nous étions prononcés en faveur du développement de la couverture assurantielle dépendance sur une base volontaire et plaidions pour le réaménagement de certains produits d'épargne, ainsi que pour le développement de contrats de prévoyance.
Nous souhaitions aussi, pour renforcer et clarifier la gouvernance du cinquième risque, clarifier les champs de compétence des différents acteurs et affirmer la parité de financement entre l'Etat et les départements, ce qui n'a jamais été inscrit dans la loi. Nous confortions enfin la place des départements pour en faire les véritables responsables de la politique médico-sociale.
Le rapport d'étape a été un élément important du débat sur le cinquième risque. Si la réforme a été retardée, plusieurs des avancées réalisées sont allées dans notre sens. Il en a été ainsi de la poursuite de l'amélioration de la prise en charge de la dépendance, l'Ondam médico-social personnes âgées ayant progressé de 8,3 % en 2009 et de 10,9 % en 2010 - son nouveau mode de construction entraînera une progression plus modérée en 2011. Le plan de relance de 2009 a dégagé des financements supplémentaires pour améliorer la prise en charge dans les structures d'accueil et accélérer la création de places. Le plan « Solidarité-Grand Age » a également permis d'en créer tout en renforçant la médicalisation des établissements d'accueil. Enfin, le plan Alzheimer a diversifié les formules de répit et lancé l'expérimentation des maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades d'Alzheimer (Maia).
La loi de financement pour 2009 a institué une tarification des Ehpad à la ressource, proche de la tarification à l'activité (T2A) du secteur sanitaire. En généralisant les forfaits globaux, son objectif était de rendre la dépense en établissement plus efficace mais elle n'a pas pu entrer en vigueur, faute de décret d'application. Il ne faudrait pas que le prochain débat national serve de prétexte à un nouveau retard.
La loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a bouleversé la gouvernance du secteur médico-social. Les agences régionales de santé (ARS) visent à décloisonner les secteurs sanitaire et médico-social ; la fongibilité asymétrique garantit des fonds dédiés au secteur médico-social tandis que l'architecture de la planification est rationalisée : un schéma national est élaboré sur proposition de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ; le schéma régional est établi par le directeur de l'ARS, le préfet n'intervenant plus que dans les domaines régaliens ; le schéma départemental relève quant à lui du président du conseil général. Celui-ci est associé à l'élaboration du Priac sans en être cosignataire comme nous l'avions recommandé. Enfin, la loi a créé une nouvelle procédure d'appel à projets afin de sélectionner les plus conformes aux priorités régionales.
Le plan en faveur des métiers de la dépendance annoncé en 2008 a favorisé une professionnalisation accrue. Les grands axes des actions expérimentées depuis lors seront repris et approfondis dans le cadre des orientions nationales des formations sociales.
La grande réforme de la dépendance s'est fait attendre, mais de nombreuses actions ont été engagées tandis que de nombreuses réflexions ont abouti à des conclusions proches des nôtres. En 2009, la Cour des comptes a maintenu celles qu'elle avait formulées en 2005 : insistant sur le manque de transparence des tarifs de l'hébergement en institution ainsi que sur la grande hétérogénéité de la qualité des établissements, elle relève une gouvernance éclatée, des disparités départementales dans l'attribution de l'Apa et les incertitudes sur le financement de la prise en charge.
Valérie Rosso-Debord, notre collège députée, rejoint nos préconisations sur le rôle des ARS et la convergence entre Ehpad. Elle s'en éloigne néanmoins en proposant un recentrage de l'Apa sur les Gir 1 à 3 et en souhaitant une assurance obligatoire dès cinquante ans. Elle suggère en outre un niveau de récupération sur succession plus faible.
Il nous revient maintenant d'actualiser nos propositions en tenant compte des marges de progrès dans la qualité de la prise en charge. Le problème du reste à charge reste entier. En 2009, l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a montré que le reste à charge des résidents ou des familles s'élève en moyenne à 2 200 euros, mais peut atteindre 5 500 euros.
M. Bernard Cazeau. - Dans le XVIe !
M. Alain Vasselle, rapporteur. - On constate en outre de très fortes différences entre établissements. Les aides fiscales et au logement sont, come l'aide sociale à l'hébergement hétérogènes, mal articulées et pas assez centrées sur ceux qui en ont le plus besoin, ce qui leur confère un caractère largement anti-distributif.
N'a-t-on pas fixé des objectifs trop ambitieux en autorisant 66 653 places supplémentaires entre 2007 et 2009 ? On n'en a installé effectivement que 40 961.
M. Guy Fischer. - Il en manque 25 000...
M. Alain Vasselle, rapporteur. - La fédération hospitalière de France (FHF) l'a montré, les nouvelles places sont majoritairement créées dans les départements les mieux équipés, d'où une répartition très inégale des structures d'accueil.
La question du financement reste entière dans un contexte encore plus contraint qu'il y a deux ans : la dette des administrations publiques a augmenté de 30 % entre 2005 et 2009 et celle des organismes sociaux de 41 %. Dès lors, certaines hypothèses sont devenues caduques, qu'il s'agisse de l'utilisation des excédents de la branche famille ou du fonds de réserve pour les retraites.
M. Jean-Jacques Jégou. - Il a déjà été siphonné !
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Enfin, le poids des dépenses consacrées à la prise en charge de la dépendance s'accroît dans le budget des départements, ce qui met certains d'entre eux en situation particulièrement difficile. Le reste à charge des départements pour le revenu de solidarité active (RSA), l'Apa et la prestation de compensation du handicap (PCH) a atteint 4,5 milliards en 2009. Le taux de couverture des dépenses qu'ils supportent au titre de la perte d'autonomie ne cesse de se dégrader, la participation de l'Etat au financement de l'Apa est désormais d'un tiers avant, peut-être, de descendre à un quart. La loi de finances rectificative pour 2010 a mis en place un fonds exceptionnel de soutien aux départements en difficulté doté de 150 millions, prélevés pour moitié sur le budget de la CNSA et pour moitié sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Ce dispositif, certes bienvenu, ne constitue pas une solution pérenne, d'autant plus que les réserves de la CNSA diminuent et que la nouvelle construction de l'Ondam médico-social empêchera de les reconstituer.
Si certaines méritent d'être complétées ou modifiées, un grand nombre de nos propositions de 2008 restent d'actualité. L'aggravation de la situation des finances publiques ne fait que conforter le choix que nous avions clairement fait d'un financement mixte public-privé de la prise en charge de la dépendance, avec un socle élevé de solidarité et des garanties assurantielles. La gestion du cinquième risque ne pourra décalquer les schémas mis en place pour les quatre premiers au lendemain de la seconde guerre mondiale, ce qui aurait en outre pour conséquence d'écarter les départements de la gouvernance du système.
Il convient de distinguer handicap et dépendance, l'un aléatoire et l'autre plus prévisible. La prévention n'est pas notre fort, alors que des actions de dépistage permettraient d'identifier les personnes fragiles ou pré-fragiles vers lesquelles concentrer l'effort. Je vous propose de nous opposer clairement à la suppression de la prise en compte du Gir 4 dans l'attribution de l'Apa, qui aurait des effets néfastes et accélèrerait le passage de personnes âgées vers une dépendance plus lourde.
La priorité en ce qui concerne la prise en charge à domicile reste la fiabilisation de la grille Aggir afin d'assurer une évaluation plus objective de la perte d'autonomie et une meilleure prise en compte de la maladie d'Alzheimer. Il serait utile d'appliquer rapidement les propositions de l'Igas sur la mise en oeuvre de l'Apa, qu'il s'agisse des séminaires et échanges entre conseils généraux sur les pratiques internes ou des évolutions de la grille Aggir ou de la formation gérontologique. Ces mesures sont indissociables d'un véritable partenariat public-privé débouchant sur les référentiels communs d'évaluation des besoins et d'attribution des prestations entre financeurs publics et privés. Le groupe de travail de la CNSA a suggéré la création d'une commission nationale du partenariat public-privé.
Une harmonisation du processus d'instauration, de décision et de contrôle de l'Apa devrait aboutir à une prise en charge plus équitable en faveur des bénéficiaires de l'Apa à domicile. Il conviendrait de réduire les délais et d'ouvrir le droit à une Apa forfaitaire en cas de non-respect du délai global de décision ; il faudrait encore systématiser le contrôle annuel des ressources des bénéficiaires et mieux coordonner les interventions des conseils généraux et des caisses de retraite. Nous avions recommandé de relever de manière ciblée les plafonds d'aide pour les personnes isolées et les patients atteints de la maladie d'Alzheimer, ainsi que de revaloriser périodiquement le montant des plans d'aide. Je vous propose de confirmer cela, ainsi que la proposition de solliciter les patrimoines les plus élevés en offrant le choix, au moment de l'entrée en dépendance, entre une Apa à 50 % ou un gage de 20 000 euros maximum sur la fraction du patrimoine dépassant 150 000 ou 200 000 euros.
M. Bernard Cazeau. - Combien cela rapporterait-il ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Entre 800 millions et 1 milliard... Ce n'est pas un recours à succession, puisqu'il y a un choix ex ante du bénéficiaire, et le caractère universel de l'Apa n'est pas remis en cause. L'argument de la comparaison avec les malades du cancer ne tient pas, puisque les dépenses de soins ne sont pas concernées par le dispositif et qu'on ne peut mettre sur le même plan une maladie invalidante imprévisible et une dépendance à la probabilité mesurable. Cette proposition prend place parmi les réflexions sur la réforme de la fiscalité du patrimoine.
La maîtrise du reste à charge est prioritaire dans le domaine de la prise en charge en établissement. Le transfert du tarif hébergement vers le tarif dépendance des dépenses d'animation-service social et d'une partie accrue des charges d'agents de service demeure d'actualité, au même titre que le basculement de l'intégralité du financement des aides-soignants vers le tarif soins.
M. Bernard Cazeau. - Voilà 1 milliard pour la sécurité sociale !
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Il me paraît toujours pertinent d'envisager une échelle dégressive de versement de l'Apa en établissement et d'examiner l'articulation de celle-ci avec les aides au logement. Nous devons insister dans le domaine de l'efficience de la dépense sur les possibilités de reconversion des lits hospitaliers en lits d'établissements médico-sociaux, ainsi que sur la nécessité de mettre en place des référentiels opposables des coûts d'hébergement.
D'autres propositions ont été formulées sur le financement, de la création d'une deuxième journée de solidarité à l'élargissement de l'assiette de la contribution solidarité autonomie, en passant par l'alignement du taux de CSG des retraités sur celui des actifs, cette dernière ne pouvant être abordée que dans le cadre d'une réflexion plus globale sur la rationalisation de la dépense fiscale en faveur des personnes âgées. La piste la plus solide dans la perspective d'un partage égal de la charge de l'Apa entre l'Etat et les départements semble être la création d'une deuxième journée de solidarité.
La création d'une assurance obligatoire, qui a toujours été réservée jusqu'à présent à la protection de tiers, supposerait de répondre à des questions complexes sur le respect de l'obligation, les sanctions applicables ou encore les prérogatives des organismes d'assurances. Il me paraît toujours plus pertinent d'encourager la généralisation de la couverture assurantielle sur une base volontaire. Cela peut passer par une aide publique aux plus démunis, une réorientation des contrats à adhésion individuelle vers la garantie dépendance, l'adossement de la garantie dépendance au plan d'épargne retraite populaire (Perp) ou encore le développement des contrats prévoyance. S'y ajoute l'inclusion de la garantie dépendance dans les complémentaires santé, comme le font les mutuelles de la fonction publique. Tout cela suppose de régler la question de la transférabilité des contrats, dont une labellisation sous l'égide de la CNSA garantirait la fiabilité.
S'agissant de la gouvernance, il m'apparaît nécessaire d'améliorer l'information et le rôle du parlement en lui permettant, par une modification de la loi organique de 2005, de se prononcer sur l'ensemble des recettes et des dépenses du secteur médico-social. Je vous propose également de réaffirmer le principe de parité de financement de l'Apa entre l'Etat et les conseils généraux, qui ne figure dans aucun texte et que le gouvernement a refusé de prendre en compte lors de la création de l'Apa. Nos propositions de réforme du mécanisme de péréquation de l'Apa, notamment en substituant le potentiel financier au potentiel fiscal, restent également d'actualité.
Je vous propose en outre de maintenir notre proposition d'expérimenter sur une base volontaire une gestion déléguée aux départements des crédits d'assurance maladie des Ehpad.
Je veux enfin remercier le président et tous les membres de la mission.
M. Philippe Marini, président. - Nous vous remercions tous du travail approfondi que vous venez de présenter sur un sujet difficile et souvent contradictoire.
Mme Bernadette Dupont. - Le rapporteur peut-il rappeler en quoi consiste la tarification à la ressource des Ehpad ?
Mme Sylvie Desmarescaux. - A écouter les propos du président de la République et de certains ministres, je m'interroge sur la grande loi relative à la dépendance. Aura-t-on des mesures en PLFSS et la loi viendra-t-elle en 2011 comme nous l'espérions ? J'aimerais que le travail de qualité accompli par la mission soit utile.
M. Guy Fischer. - Très bien !
M. Gilbert Barbier. - Faut-il arrêter le dispositif de l'Apa au Gir 3 ou Gir 4 ?
M. Philippe Marini, président. - La proposition de la mission diffère de celle de Valérie Rosso-Debord.
M. Gilbert Barbier. - Quelle est l'efficience des Ehpad ? L'on a parlé du prix de journée. A-t-on un bilan, connaît-on le bénéfice des établissements privés, quelle est la situation financière de ceux-ci et quel contrôle peut-on exercer sur l'emploi des fonds publics ?
M. Jean-Jacques Jégou. - Ce rapport riche et documenté témoigne d'une parfaite connaissance du système. L'on ne rassemble pas toujours autant d'informations. L'on méconnaît souvent l'obligation alimentaire, que les familles découvrent souvent quand on leur dit qu'elles auront 2 200 euros à payer par mois alors qu'elles n'ont pas toujours décidé de l'hébergement. A-t-on bien fouillé le sujet ? L'argent versé par les familles, 3 000 euros en Ile-de-France, est-il comptabilisé dans la dépense ? Il faut expliquer les choses.
Malgré les améliorations, on reste loin du compte pour le rapporteur pour avis de la commission des finances que je suis. Relever la CSG des retraités dégagerait 2,2 milliards. L'opinion publique peut le comprendre, si on explique que c'est au moment où l'on coûte le plus que l'on paie le moins. Tant qu'il n'y a pas de solution assurantielle, on peut solliciter ceux qui vont coûter le plus.
Au total, j'aurais aimé des réponses plus tangibles car si le décor est bien planté, on apporte peu de moyens.
M. Bernard Cazeau. - Ce rapport est très riche - il est vrai qu'il a fait l'objet d'un temps de réflexion. Il reste toutefois hétéroclite et l'on s'y perd. Il faut cibler la dépendance car, si certaines choses sont prévues en loi de financement de la sécurité sociale, la véritable loi sur la dépendance doit être centrée sur la gouvernance et le financement. Vous avez proposé de maintenir la gouvernance actuelle avec quelques renforcements. J'en suis d'accord. Le réglage est bon, la CNSA joue correctement son rôle et, malgré la trop forte présence de l'Etat, on y trouve tout le monde, d'où un certain consensus. Le rapport va sur ce point dans le bon sens et je ne peux que m'y associer.
On se perd en conjectures sur le financement au lieu de prendre les choses telles qu'elles se présentent. Globalement, il s'agit d'un point de Pib et cela ne va pas augmenter de manière exponentielle parce que seulement une personne sur sept est dépendante après soixante-quinze ans. La solidarité nationale doit pouvoir se combiner avec la solidarité locale. Les dépenses représentent aujourd'hui 21 milliards, et l'Etat et la sécurité sociale apportent déjà 17 milliards environ. Les sommes manquantes ne sont pas si considérables. On peut, bien sûr, doubler la journée de solidarité, à condition que l'Etat ne s'en serve pas pour la sécurité sociale... L'assurance privée ne marchera pas, vous le savez très bien, parce que l'on ne gagnerait pas assez d'argent là-dessus. Il me semble plus facile de concilier solidarités nationale et locale que de dégager quelques centaines de millions ici ou là. Vous pouvez jouer sur les mots à propos du recours sur succession...
M. Philippe Marini, président. - Le gage.
M. Bernard Cazeau. - Vous irez expliquer la différence à une vieille dame qui vit au fin fond du Périgord !
M. Philippe Marini, président. - Si vous m'invitez.
M. Bernard Cazeau. - Le gage n'est qu'une manière de mettre la main sur une partie de la succession.
M. Albéric de Montgolfier. - Le code civil comporte une obligation alimentaire qui impose aux enfants de porter assistance à leurs parents. Loin d'être choquant, le gage sur succession évite de fiscaliser de jeunes ménages au profit de personnes âgées au patrimoine consistant.
Par ailleurs, la fiabilité du référentiel est importante. Or, il semble que l'évaluation Aggir fasse l'objet d'applications variables selon les départements. Peut-on le vérifier ?
M. Guy Fischer. - Manifestement, vous devez mettre un terme à cette mission pour pouvoir proclamer ensuite que le Président de la République s'est inspiré de l'exemplaire rapport sénatorial.
Je suis d'accord avec Sylvie Desmarescaux pour estimer qu'on nous amuse.
Mme Sylvie Desmarescaux. - Je n'ai pas utilisé ce terme !
M. Guy Fischer. - Ainsi, Roselyne Bachelot-Narquin est venue les mains vides ; quelques pistes sont esquissées ici ou là, sans rien de concret. Vous avez évoqué le PLFSS pour 2012, mais le véritable projet ne sera dévoilé qu'après la présidentielle. Il fera sans doute l'objet d'un grand débat national pendant la campagne électorale.
Nous voulons asseoir la prise en charge de la dépendance sur la solidarité nationale, alors qu'un mouvement se dessine en faveur d'un partenariat public-privé, avec un financement mixte du cinquième risque.
Au fil du temps, le ballon s'est dégonflé, puisque nous devions traiter des personnes âgées et des personnes handicapées, jusqu'à ce que Roselyne Bachelot-Narquin limite l'objet aux seules personnes âgées.
Pour les familles, la question fondamentale concerne le reste à charge au titre de l'hébergement. De grandes campagnes sont lancées pour le maintien à domicile, un domaine où l'aide accordée est particulièrement porteuse en termes d'emplois. Vous suggérez d'utiliser les établissements de santé libérés par la loi HPST, pour en faire des Ehpad. Ce n'est pas sot, mais je m'interroge sur le développement du secteur privé. Je pense en particulier au groupe Korian, dirigée par Rose-Marie van Lerberghe, ancienne directrice générale de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris. La rémunération des actionnaires de ce groupe étant comprise entre 14 % et 15 %, je suis catégoriquement opposé à cette privatisation.
Quelles solutions peut-on envisager ?
Sur ce plan, vous êtes en panne car le Président de la République refuse d'accroître les prélèvements obligatoires, donc la CSG. Il changera peut-être ultérieurement sa façon de dire la messe, mais je ne l'imagine guère faisant campagne pour accroître les prélèvements obligatoires, d'autant que les personnes âgées votent majoritairement à droite. Une journée supplémentaire de solidarité semble facile à obtenir. Je n'approuve pas cette idée...
Mme Sylvie Desmarescaux. - Elle est pourtant conforme à la solidarité nationale.
M. Guy Fischer. - ...mais elle fait réfléchir.
Vous avez évoqué la parité du financement entre l'Etat et le département, alors que celui-ci distribue déjà trois allocations sociales.
Je pourrais déposer une contribution sur ce thème... à moins qu'il ne soit déjà trop tard !
M. Philippe Marini, président. - Non ! Cela reviendrait à dire que nous vous avons réunis pour recueillir votre opinion, après avoir achevé le rapport.
M. Guy Fischer. - Les difficultés les plus graves sont observées dans les villes et les quartiers populaires, où il est très difficile de créer des Ehpad.
M. Philippe Marini, président. - Votre contribution me semble quasiment rédigée. Pourrions-nous l'avoir pour vendredi ?
M. Guy Fischer. - Non, car ma position personnelle doit encore être discutée.
M. Philippe Marini, président. - Notre mission d'information cessera d'exister le 31 janvier à minuit. Nous comptons donc présenter le rapport à la presse mardi 1er février.
M. Bernard Cazeau. - J'ai déposé une contribution à la première partie ; je souhaite la compléter pour l'ensemble du rapport d'ici lundi.
M. Philippe Marini, président. - Tout à fait d'accord.
M. Jean-Jacques Jégou. - Cela vaut pour tout le monde.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je me contenterai maintenant d'indications succinctes car nos collègues trouveront dans le rapport des éléments plus précis.
Madame Bernadette Dupont, je ne peux répondre précisément à votre question, car le premier projet de décret sur la tarification des Ehpad a été repoussé par les fédérations lorsqu'elles ont été consultées. La nouvelle mouture du texte a été examinée récemment par le Conseil d'Etat, avant d'être transmise pour avis aux fédérations. Le Gouvernement devrait probablement se prononcer bientôt, mais je ne peux vous en dire plus quant à l'application précise de la tarification à la ressource.
Mme Bernadette Dupont. - En quoi consiste-t-elle ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Instituée par l'article 63 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, cette tarification adapte la T2A hospitalière au secteur médico-social. Elle comprendra un forfait global soins, un forfait global dépendance et des tarifs de prestations d'hébergement.
Mme Bernadette Dupont. - Pour les Ehpad, ce serait une catastrophe ! Voyez ce que la T2A donne dans les hôpitaux : on y a constaté des explosions d'activité destinées à financer plus, pour finalement ne rien financer du tout. Ce type de dispositif ne peut fonctionner qu'avec des gestionnaires de grande valeur.
M. Philippe Marini, président. - Il faut de bons directeurs !
Mme Bernadette Dupont. - Excellents !
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Nous retrouvons le thème du contrôle sur l'application des tarifs.
Sylvie Desmarescaux s'est inquiétée à l'idée que les dispositions figurent dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, au lieu d'un texte spécifique. Le Président de la République a déclaré que des mesures figureraient dans cette loi de financement, mais je doute que tout puisse y être inscrit. Des dispositions dénuées d'incidences financières devront nécessairement figurer dans un autre texte. La question est de savoir quand le Gouvernement déposera un projet de loi.
M. Philippe Marini, président. - Pourquoi ne pas prendre l'initiative d'une proposition de loi ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. - C'est une possibilité...
Monsieur Barbier, nous ne voulons surtout pas supprimer le Gir 4, mais une grille Aggir plus équitable doit être appliquée au niveau national. Cela suppose son amélioration et la professionnalisation de ceux qui l'appliquent.
Nous proposons une reconversion de lits, dans le cadre d'une fongibilité asymétrique, ce qui devrait rapporter 300 millions d'euros. La convergence tarifaire devrait permettre d'économiser 350 millions. Enfin, nous suggérons de créer un référentiel opposable des coûts.
Monsieur Jégou, notre calcul de financement de l'Apa n'inclut pas le reste à charge des familles, évalué à quelque 2 000 euros par mois. L'obligation alimentaire semble faire l'objet d'applications très variables selon les départements. Il serait intéressant que la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) se penche sur ce sujet au cours des années à venir.
Monsieur Cazeau, merci d'appuyer nos propositions sur la gouvernance. Je vous donne acte que vous proposez un financement par la solidarité nationale plutôt que par le mécanisme du gage et le recours à l'assurance. J'observe à ce propos que le recours sur succession est différent de notre proposition car il peut être appliqué à la totalité de la dépense exposée par la collectivité départementale en faveur de la personne concernée, tandis que le gage proposé revient à un forfait de 20 000 euros, équivalant à quatre ans de prise en charge au titre du Gir 1. Ce dispositif n'est donc pas assimilable à un recours sur succession.
Une autre différence concerne les conséquences d'un refus : en cas de recours sur succession, aucune aide n'est attribuée si l'intéressé exclut cette procédure, alors que l'éventuel refus d'un gage n'empêche pas la solidarité nationale d'intervenir à concurrence de 50 %.
M. Bernard Cazeau. - Je vais vous donner un bon conseil : n'en parlez pas avant les prochaines élections !
M. Alain Vasselle, rapporteur. - J'en viens au financement par l'assurance.
Si l'on considère la population disposant d'une faible capacité d'épargne, 93 % des intéressés disposent d'une complémentaire santé. Si l'on prend en considération nos concitoyens disposant d'une forte capacité d'épargne, parmi les 15 millions d'assurés sur la vie, 1,5 million disposent d'une garantie dépendance. Ils peuvent donc transformer le capital assuré en rente. La souscription d'un crédit hypothécaire immobilier offre aussi une solution, déjà pratiquée en Grande-Bretagne pour ceux qui n'ont pas pris d'assurance avant l'entrée en dépendance.
Monsieur de Montgolfier, les pratiques départementales sont effectivement très variables. Vous trouverez des exemples dans le rapport. Ainsi, le montant de l'Apa à domicile représente 432 euros dans la Drôme et 533 dans le territoire de Belfort, pour une moyenne nationale de 490 euros mensuels. Dans le même esprit, la participation des intéressés varie du simple au double, avec un ticket modérateur Gir 1 limité à 90 euros dans le territoire de Belfort, mais atteignant 149 dans le Calvados, la moyenne nationale s'établissant à 156 euros. Le rapport de la Cour des comptes est très précis sur ce point.
Monsieur Fischer, j'attends avec intérêt votre contribution, mais je note sans plus attendre que le rapport vous procure un élément de satisfaction avec la règle 50-50 pour le financement de l'Apa. Pour ce qui est de la solidarité nationale, votre position est analogue à celle de Bernard Cazeau. Je souligne en revanche que l'évolution de la CSG n'est pas exclue, puisqu'une réflexion sur la fiscalité vient d'être engagée...
M. Philippe Marini, président. - Elle est en ébullition !
M. Alain Vasselle, rapporteur. - ...pour être terminée d'ici l'examen du PLFSS.
A l'évidence, il sera envisageable que les personnes âgées versent la CSG comme les autres contribuables. Nos concitoyens peinent parfois à comprendre qu'un smicard acquitte la CSG non déductible, contrairement à un retraité dont la pension serait deux fois plus élevée. Mais ce n'est pas nécessairement la solution miracle pour obtenir 1 milliard d'euros.
M. Philippe Marini, président. - Avec la répartition 50-50, le reste à charge des départements avoisinerait 2,7 milliards d'euros, un montant que l'on couvrirait en ajoutant le gage sur succession et la deuxième journée de solidarité, ce qui détendrait largement les relations entre l'Etat et les départements.
Il reste à compenser le milliard à la charge de l'assurance-maladie, qui devrait couvrir les dépenses transférées sur le forfait soins.
M. Bernard Cazeau. - Combien vous coûte la réforme de la taxe professionnelle ? Quelque 7 à 8 milliards par an ?
M. Philippe Marini, président. - Environ 5 milliards. A titre personnel, j'estime que nous aurions pu réformer la taxe professionnelle en obtenant le même résultat pour une dépense moindre. Mais il faut bien assumer ce qui a été décidé.
M. Bernard Cazeau. - Même aux Etats-Unis, on nous a dit que la prise en charge de la dépendance exigeait l'intervention de la solidarité nationale.
M. Philippe Marini, président. - Alain Vasselle propose de se greffer sur les assurances complémentaires santé. Il faudra sans doute approfondir ce débat.
La mission autorise la publication du rapport d'information.