- Mercredi 8 décembre 2010
- Archéologie préventive - Audition de M. Jean Chapelot, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de M. Dominique Hoestland, administrateur de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) et ancien président de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM), de M. Bertrand Desmarest, dirigeant de la carrière Desmarest, et de Mme Maud Tarnot, chargée des relations institutionnelles auprès de la direction générale de l'UNICEM
- Projet d'avenant au contrat d'objectifs et de moyens d'Arte France pour 2009-2012 - Communication
- Nomination de rapporteurs
- Organismes extra-parlementaires - Désignation de candidats
- Quatrième loi de finances rectificative pour 2010 - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis
Mercredi 8 décembre 2010
- Présidence de M. Jacques Legendre, président -Archéologie préventive - Audition de M. Jean Chapelot, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de M. Dominique Hoestland, administrateur de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) et ancien président de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM), de M. Bertrand Desmarest, dirigeant de la carrière Desmarest, et de Mme Maud Tarnot, chargée des relations institutionnelles auprès de la direction générale de l'UNICEM
M. Jacques Legendre, président. - Notre commission s'intéresse depuis longtemps à l'archéologie préventive : nous sommes attachés à ce que la mémoire du sol soit préservée mais nous sommes aussi attachés au principe de réalité et aux capacités contributives des uns et des autres, sujets auxquels entreprises et élus sont sensibles. La Nation fait un effort important pour préserver sa mémoire, c'est une très bonne chose, mais les élus, et nous en sommes, s'inquiètent de voir le coût des fouilles augmenter. En conséquence, nous nous posons cette question : l'effort de la Nation se traduit-il bien par une amélioration des connaissances scientifiques - qu'il s'agisse des fouilles ou du collationnement des objets qu'on en retire ? Des interrogations existent...
Pour y répondre, nous auditionnons aujourd'hui M. Dominique Hoestlandt, administrateur de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) et ancien président de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM), accompagné de Mme Maud Tarnot, chargée des relations institutionnelles auprès de la direction générale de l'UNICEM, ainsi que de M. Bertrand Desmarest, dirigeant de la carrière Desmarest. J'ai souhaité que nous entendions également M. Jean Chapelot, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) afin de débattre, dans la même séance, du coût des fouilles archéologiques aussi bien que de leurs résultats scientifiques et voir ce que l'on fait de l'argent des entreprises et des contribuables.
M. Dominique Hoestlandt, administrateur de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP). - M. Desmarest, qui m'accompagne, gère une petite carrière et il est également agriculteur. Les industries extractives, regroupées dans l'UNICEM, produisent pour 90 % des granulats, à côté de gypse, de craie ou de roches ornementales. Ces matériaux sont pour 85 % extraits de sablières alluvionnaires, où l'on ne creuse guère au-delà de 5 mètres, contre 100 mètres pour les carrières éruptives, déséquilibre qui nécessite la consommation de 1 000 à 1 500 hectares par an.
La profession se soucie des coûts et des délais occasionnés par l'archéologie préventive. Le législateur a encadré les délais dès 2003, des décrets sont intervenus en 2004 puis en 2007, la loi du 17 février 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés a encore précisé les modalités pratiques de l'archéologie préventive : les professionnels rendent hommage à l'activité du législateur. Cependant, des difficultés demeurent, occasionnant des délais coûteux, qui peuvent durer plusieurs années.
La loi dispose, par exemple, que les délais du diagnostic sont définis par la convention entre l'opérateur et l'aménageur, mais dans les faits, la négociation est déséquilibrée puisque l'opérateur a le monopole du diagnostic : il peut être tenté de retarder la signature, qui fait courir les délais, et menacer ainsi de retarder le chantier. Faut-il pour autant changer la loi ? Pas nécessairement, mais les professionnels souhaitent qu'un code de bonne conduite précise les conditions dans lesquelles les délais sont fixés par la convention, pour éviter toute dérive et ne pas dépasser deux ans. Les délais entre l'arrêté d'autorisation de la carrière et le feu vert accordé par le préfet peuvent atteindre trois ans, ce n'est pas raisonnable.
Ensuite, les délais - jusqu'à quatre ans - peuvent tenir aux décalages entre le phasage des fouilles fixé par le premier arrêté et leur déroulement dans la réalité. Il faut alors un arrêté préfectoral rectificatif, ce qui peut entraîner jusqu'à 18 mois de retard supplémentaire.
J'ai fait part de ces difficultés à la mission de l'Inspection générale des finances (IGF). Les carriers payent la redevance sur l'archéologie préventive (RAP), jusqu'à 5 000 euros par hectare de terrain réservé à la carrière, mais ils n'ont aucun service en retour. Pire, les retards peuvent occasionner des dépenses supplémentaires de plusieurs centaines de milliers d'euros, qui ne sont pas sans incidence sur l'économie même de l'exploitation. Les fouilles, qui représentent environ le dixième des surfaces exploitées, coûtent en moyenne 200 000 euros l'hectare, mais ce coût peut facilement s'élever à 500 000 euros l'hectare pour les opérations plus complexes. Le prix du granulat en est augmenté de 1,6 euro par tonne, c'est loin d'être négligeable pour un prix de vente de 8 euros la tonne, au point de faire renoncer à des exploitations.
En théorie, le Fonds national pour l'archéologie préventive (FNAP) devrait subventionner les fouilles, mais en pratique, il n'en a pas la trésorerie puisque celle-ci sert à l'INRAP. Ce manque de trésorerie bloque actuellement 110 chantiers et les carriers en sont à se demander à qui profite leur redevance, ils paient 6 à 7 millions de RAP, 2 millions doivent revenir au FNAP, mais celui-ci n'a aucun argent : où va donc l'argent ?
Une solution pour ne pas grever davantage les finances publiques consisterait à ouvrir davantage le secteur aux opérateurs privés. Actuellement, sur les 88 opérateurs agréés, 20 sont privés. Existe-t-il une sorte de numerus clausus officieux, qui ferait écarter les opérateurs privés ? On invoque, contre le secteur privé, le risque d'un manque de qualification professionnelle et celui d'une collusion d'intérêts. Mais les archéologues embauchés par le privé sont tout aussi compétents que leurs confrères du public, puisque tous sont maîtres de conférence, ou bien c'est à ne plus rien y comprendre. Quant au risque de collusion, il existe bien des manières de s'en prémunir. Il faudra pourtant sortir de cette situation, qui ressemble à celle de l'entrée dans la vie active, où les employeurs demandent des débutants mais qui aient aussi cinq années d'expérience... Le dispositif d'agrément est en question.
M. Jacques Legendre, président. - Vous sortez un peu de votre mission. Nous vous interrogeons sur les conditions de réalisation des carrières, pas sur les façons d'élargir la participation des entreprises privées, dont nous voudrions être sûrs que leur motivation première est bien le progrès des connaissances scientifiques.
M. Dominique Hoestlandt. - Certes, mais je veux souligner que l'activité d'extraction est concurrentielle, ce qui implique le respect de certaines règles. Or, j'ai le sentiment que les subventions, qui représentent 14 millions, aident l'INRAP à réaliser des chantiers déficitaires, ce qui constituerait un abus de position dominante. L'Institut réalise plus de la moitié des fouilles : il est en position dominante, ce n'est pas interdit, mais il ne doit pas en abuser, ou bien c'est de la concurrence déloyale.
Pour financer l'archéologie préventive sans grever davantage les finances publiques et pour diminuer les délais parfois déraisonnables que nous déplorons aujourd'hui, il me semble donc que nous devons ouvrir davantage l'activité aux entreprises privées, qui offrent toutes les garanties de sérieux et qui recrutent elles-mêmes des archéologues compétents.
M. Jacques Legendre, président. - Merci. Y a-t-il des questions ?
M. Yves Dauge. - Le financement de l'INRAP est déficitaire, l'IGF va faire un rapport sur le sujet et j'ai suggéré qu'avec M. Gaillard, nous réexaminions le sujet, pour actualiser son rapport d'information de 2005. Il faut élargir l'assiette du financement de l'INRAP, pour qu'il ne dépende plus des crédits des Monuments historiques : il manque actuellement entre 15 et 20 millions de redevance. L'INRAP, ensuite, demande à accroître ses effectifs, mais le plafond d'emplois que le Gouvernement lui impose interdit toute embauche. La conséquence directe, c'est que faute d'effectifs, les délais s'allongent. L'archéologie préventive serait plus rapide si l'INRAP pouvait embaucher.
Il faut veiller, enfin, au niveau de qualification des archéologues employés par les organismes agréés et à ce qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts. C'est pourquoi nous avions précisé par amendement que les archéologues ne devaient pas être liés aux entreprises intervenant comme opérateur. Certaines collectivités territoriales ont créé des services d'archéologie préventive et les choses se passent alors très bien : la concurrence est possible, sans conflit d'intérêts.
La vraie question est donc celle du financement de l'archéologie préventive.
M. Jacques Legendre, président. - Notre commission s'intéresse depuis longtemps au fond de ce dossier : il faut accéder à la mémoire du sol, au passé, sans, cependant, compromettre l'activité économique, le présent. C'est pourquoi nous nous étions opposés à la version initiale du texte, qui confiait le monopole du diagnostic à l'INRAP, même si nous n'avons pas été suivis par l'Assemblée nationale. Qu'il y ait un puissant opérateur public, l'INRAP, oui, il est nécessaire pour les grosses opérations et pour une bonne couverture du territoire, mais les collectivités territoriales peuvent créer leur propre service et l'archéologie préventive a également été ouverte aux entreprises, qui peuvent participer aux fouilles dès lors qu'elles ne sont pas liées aux sociétés de BTP opératrices, et qu'elles présentent toutes les compétences requises.
Nous regrettons que les services d'archéologie préventive ne se soient pas développés davantage, en particulier au sein des collectivités. Le ministère de la culture n'a peut-être pas été incitatif, il doit l'être davantage.
Cependant, nous ne devons pas ignorer les difficultés financières de l'INRAP et la nécessité pour l'Institut de maîtriser ses charges. Le coût des fouilles augmente ? Nous devons le vérifier et savoir pourquoi. Nous devons également mesurer les résultats scientifiques de l'effort que la Nation consacre à l'archéologie préventive. Notre rencontre d'aujourd'hui doit servir de signal et nous n'excluons pas, si rien n'est fait, de déposer une proposition de loi.
M. Yves Dauge. - S'agissant d'archéologie préventive, l'INRAP a compétence exclusive pour le diagnostic : seules les fouilles ont été ouvertes aux services des collectivités territoriales et au secteur privé, après agrément. Ce qu'on constate, c'est que la redevance ne couvre pas les coûts.
Se pose ensuite la question de la prescription. Dans certaines régions, les directions régionales des actions culturelles (DRAC) prescrivent large, pour se couvrir, au point d'imposer des programmes de fouilles irréalisables. Il faudrait pouvoir dresser un plan de l'archéologie préventive dans chaque département, qui identifierait les zones susceptibles de contenir des vestiges intéressants : cela éviterait bien des prescriptions inutiles et des délais déraisonnables.
M. Jacques Legendre, président. - Il est regrettable qu'on ne dispose pas de cartes archéologiques. Les méthodes de sondage utilisées par l'archéologie préventive, ensuite, paraissent assez lourdes : est-il toujours nécessaire de creuser de véritables tranchées pour sonder, en bouleversant tout le terrain ? Ne pourrait-on pas creuser par carottage, plus légèrement ?
Nous nous interrogeons, deuxième volet de l'audition, sur les résultats scientifiques des fouilles réalisées au titre de l'archéologie préventive : à quelles recherches servent-elles ? Pour y répondre, nous avons invité M. Chapelot.
M. Jean Chapelot, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique. - Je travaille dans l'archéologie médiévale depuis une quarantaine d'années, lorsque Fernand Braudel m'avait recruté comme l'équivalent de ce qui est aujourd'hui un ingénieur d'études et je suis également devenu un spécialiste des sites archéologiques coloniaux français en Amérique du Nord. Dans ma carrière, j'ai également occupé des fonctions administratives au ministère de la recherche, puis au ministère de la culture, comme sous-directeur de la recherche et de l'archéologie. Je vous donnerai donc le point de vue d'un chercheur, avec à mon actif plus de 200 ouvrages et articles publiés, mais aussi celui d'un responsable administratif.
Les archéologues, d'abord, sont tributaires de l'autorisation de fouiller qu'on leur accorde et l'intervention du législateur, depuis le début des années 2000, leur a été très précieuse pour pouvoir intervenir sur des terrains qui ne leur appartiennent pas et s'insérer dans des opérations d'aménagement : nos archives ne sont pas stockées à l'abri, à la disposition des chercheurs, comme celles des historiens.
L'archéologie sur notre sol est récente. En 1972, j'ai ouvert à Paris l'enseignement de l'archéologie médiévale rurale, qui n'existait jusqu'alors qu'à Caen et à Aix-en-Provence et la protohistoire n'a été enseignée à la Sorbonne qu'à partir de 1970. Notre législation en la matière est tardive : les Américains et les Canadiens ont légiféré dès les années 1960, nous avons signé la convention de Malte en 1992, nous l'avons promulguée en 1995 et notre première loi relative à l'archéologie préventive date de 2000. Longtemps, la communauté scientifique s'est donc polarisée sur la question de la destruction des sites.
Depuis dix ans, la situation a profondément changé. Nous avons, d'abord, obtenu un accroissement sensible de nos moyens. En 1999, le budget de l'association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN) s'élevait à 60 millions d'euros, pour 1 250 équivalents temps pleins ; l'INRAP, qui lui a succédé, disposait en 2009 de 150 millions, pour 2 100 équivalents temps pleins et le secteur, avec les 60 services des collectivités territoriales et les 20 entreprises agréées, disposait de 230 à 240 millions, pour 3 600 emplois : les moyens ont donc quadruplé en dix ans. Les emplois, cependant, ont changé : nous sommes passés d'équipes formées de professeurs qui fouillaient avec leurs étudiants, à des équipes professionnalisées, avec des gestionnaires, des topographes et divers corps de métier. Dans l'archéologie médiévale, les emplois ont doublé, mais la proportion de docteurs reste faible : 25 docteurs, sur un ensemble de 300 emplois, alors que l'on compte environ 150 docteurs de cette discipline à l'Université et au CNRS. L'archéologie préventive dans son ensemble compte peu de docteurs : moins de 100, sur 2 200 emplois. On constate donc un déséquilibre entre l'INRAP d'un côté, et l'Université et le CNRS, de l'autre.
Depuis une dizaine d'années aussi, le ministère de la culture n'informe plus la communauté scientifique du nombre, de la localisation, et a fortiori du contenu des fouilles réalisées. On estime que 2 300 à 2 500 fouilles ont été réalisées en dix ans. Le dernier bilan complet date de 1991. Pour l'Ile-de-France, la moitié à peine des fouilles ont fait l'objet d'un bilan depuis 1998. En 2004, le ministère de la culture a demandé un bilan décennal pour la période 1995-2004 : six ans plus tard, seules trois régions ont répondu, pour ce qui est de l'archéologie médiévale.
Dans ces conditions, nous ne savons pas quoi prescrire et ce qui nous manque est moins une carte archéologique qu'un état des recherches déjà conduites. Cette connaissance des études réalisées nous aiderait à identifier les recherches les plus utiles, les sites à surveiller, les questions déjà élucidées. Au lieu de quoi, l'archéologie préventive actuelle est aléatoire et nécessairement coûteuse.
En réunissant des données encore inédites, je voudrais vous présenter la situation plus en détail (M. Chapelot distribue des dossiers). Les entreprises et les services agréés des collectivités territoriales, d'abord, sont très inégalement répartis sur notre territoire. Le syndicat national des professionnels de l'archéologie, ensuite, évalue à 400 le nombre d'emplois créés par les 20 entreprises agréées, qui ont réalisé 123 fouilles en 2009, contre 228 pour l'INRAP. L'Association nationale des archéologues de collectivités territoriales, de son côté, ne nous a pas encore communiqué ses statistiques.
L'Institut national réalise moins de la moitié des fouilles. Certains services de collectivités territoriales sont très importants. Le pôle archéologique interdépartemental rhénan, par exemple, compte 75 salariés et réalise le tiers des fouilles sur son territoire. La direction archéologique de l'agglomération de Douai, quant à elle, compte 95 salariés et réalise l'intégralité des fouilles de son secteur géographique. Et ces services des collectivités territoriales ne rencontrent pas de problèmes de financement : la redevance leur convient.
Le nombre de diagnostics et de fouilles réalisés par l'INRAP diminue mais les surfaces augmentent : les sites compris entre 10 et 100 hectares sont les plus courants, ce qui signifie également que des sites plus petits ne sont pas étudiés. Les fouilles de sites médiévaux ruraux suivent la même tendance, et le nombre de sites d'ateliers potiers a même été divisé par quatre entre 1988-1992 et 2003-2007.
Enfin, la part de l'INRAP dans les publications est faible. Sur les 168 ouvrages d'archéologie médiévale publiés entre 1999 et 2008, seuls 11 ont été écrits par des chercheurs de l'INRAP, dont 5 sont des thèses. Ceci, alors que l'archéologie médiévale française peine à fournir suffisamment de recherches pour une publication comme la Revue d'archéologie médiévale.
Comment en sortir ? Il convient de mettre les textes en conformité avec la réalité : la réglementation date des années quatre-vingt dix ! Il est temps d'adapter la législation sur deux points essentiellement, le bâti et la protection des sites. On peut fouiller les fondations d'une maison du XVe siècle mais non l'élévation, c'est un paradoxe. En 2000, un député avait présenté un amendement pour empêcher l'aménagement des sites qui s'avèrent remarquables. Le secrétaire d'État de l'époque l'avait refusé, au motif que le nouvel établissement subirait une baisse de recettes. La meilleure archéologie préventive est celle qui ne fouille pas... A Angers, on a découvert un temple de Mithra exceptionnel : à l'issue de la fouille, on l'a détruit, faute de moyens pour le protéger. La vision d'une archéologie opportuniste et préventive imposée doit laisser place à une démarche claire. Il n'existe aujourd'hui aucun lieu de discussion entre les archéologues, les aménageurs et les élus, à l'exception du conseil d'administration de l'INRAP, dont ce n'est pas la fonction, et la commission du FNAP. Le ministre de la culture n'a jamais organisé la réflexion.
J'ai proposé récemment au ministre un colloque national qui soit l'occasion de replacer le ministère de la culture au centre du jeu. Il est le seul service public archéologique ! A lui de faire un bilan chiffré, un bilan intellectuel, de réinsuffler de l'énergie dans les régions. Je préconise de rendre au ministère de la culture, mais aussi à celui de la recherche, la place centrale. Le ministère de la recherche ne s'est jamais engagé, pour diverses raisons historiques. Un colloque national sur le métier d'archéologue et sur le cadre législatif serait utile : le rôle des ministères est passé au second plan parce que l'on se souciait d'abord des problèmes financiers de l'archéologie préventive. Je travaille au Château de Vincennes. J'ai effectué des fouilles jusqu'en 2007 avec l'INRAP, je suis l'un des rares de ma génération à avoir fait des fouilles préventives...
L'archéologie préventive, ce n'est pas seulement l'INRAP, et l'archéologie, ce n'est pas seulement la prévention.
M. Jean-Pierre Plancade. - Mon propos sera sans doute politiquement incorrect, mais l'archéologie immédiate est le tonneau des Danaïdes ! Mon médecin vient de découvrir, à l'occasion d'une prise de sang, une petite chose, qu'il n'aurait pas vue une semaine avant car il venait de recevoir un nouveau matériel, plus sensible. Il en va de même de l'archéologie, on voit mieux, plus loin, grâce à de nouvelles méthodes, on consacre donc aux morts - plutôt qu'aux vivants - plus d'agents et plus d'argent. J'ai vécu une situation politiquement difficile, qui illustre les problèmes lié au temps de l'exécution. A Toulouse, une ligne de métro devait être creusée dans le centre ville historique : huit mois de travaux archéologiques étaient annoncés, nous nous y plions et au septième mois, on nous annonce un nouveau délai de huit mois... L'État ordonne mais ce n'est pas lui qui finance ! L'archéologie n'est soumise à aucune contrainte de productivité !
M. Jacques Legendre, président. - Tout dépend de ce que l'on trouve.
M. Jean-Pierre Plancade. - Pendant ce temps, le président de la région, qui finance, tape du poing sur la table, tout comme le président du conseil général et le maire de Toulouse. On résiste parce que l'on y croit, mais je souhaiterais que les collectivités qui financent sachent dire oui... et que les archéologues apprennent à se limiter. La loi interdit d'aller en hauteur, cela vous dérange et vous plaidez pour une modification, mais quand vous serez en haut vous voudrez aller dans la stratosphère... Ne s'est-on pas aperçu qu'il existait dans les grottes préhistoriques de Niaux une carte du ciel ?
Je déplore que l'on n'ait pas connaissance des résultats de la recherche : les collectivités paient mais rien n'est publié pour informer la population, à Toulouse, nous avons dû payer nous-mêmes une brochure. Le travail de fouilles est très utile, nous en sommes tous convaincus ici, mais comme gestionnaires locaux nous savons aussi que si les découvertes étaient mieux expliquées, les travaux seraient mieux acceptés. Univers-Science pourrait être le relais de vos publications, pour assurer une vulgarisation.
M. René-Pierre Signé. - L'oppidum de Bibracte, centre gallo-romain, capitale gauloise des Éduens, occupé par César qui y rédigea La guerre des Gaules, connaît sur le plan scientifique un succès considérable ; mais sur le plan touristique, il est un demi-échec. Ce site ne « parle » pas aux gens. Plus largement, la population comprend mal que des dépenses considérables soient consacrées à des travaux qui passionnent les chercheurs... et eux seuls. A Bibracte, on a fait sur les Gaulois des découvertes qui ont remis en cause les affirmations qui avaient cours du temps de Mallet et Isaac. Le préfet de région, avec qui je visitais le site, a été déçu : « je n'ai vu que des murs », a-t-il commenté. En compagnie d'un guide, avec des reconstitutions de bâtiments, la matière deviendrait plus intéressante... A la fin du XIXe siècle, sous Napoléon III, le site avait été fouillé, puis recouvert pour être protégé. Aujourd'hui, en l'état, seulement recouverts de bâches, les vestiges s'abîment. Le verre est à moitié plein côté scientifiques, à moitié vide côté tourisme !
M. Pierre Bordier. - Dans ma commune, à Saint-Fargeau, un projet est né il y a quelques années autour d'un site potier en cours de mise au jour. Mais l'opération - touristique - n'a pu se monter car alors que les recherches concernaient véritablement un hectare, nous aurions été contraints de fouiller sur la totalité de l'emprise foncière, soit trente hectares, ce qui est absurde. Ce projet, la construction d'un château médiéval, est en train d'être construit en rase campagne à vingt kilomètres de là : 350 000 personnes le visitent chaque année. Il aurait pu se trouver sur le territoire de ma commune, si les recherches n'avaient mobilisé que l'emprise réelle.
M. Yves Dauge. - Il nous faut un bilan, pour établir ensuite une stratégie. Les services compétents du ministère de la culture ne comportent plus grand monde et les DRAC sont en train de couler ! Il est temps d'abandonner le coup par coup pour une véritable stratégie. Pourquoi ne publie-t-on pas davantage ? Ces questions sont importantes pour les élus, car elles touchent l'urbanisme, l'aménagement, le paysage. Je crois pour ma part qu'il faut élargir l'assiette du prélèvement et mettre un terme aux exemptions. Que les bailleurs sociaux soient exonérés, je le comprends, mais les lotissements privés, non ! Il s'en monte 500 par an dans la région Centre. Il est fort dommageable de fonder une politique sur une redevance à l'assiette si étroite. Je suggère un ou deux centimes sur tout permis de construire. Il s'agit d'une cause nationale et il est injuste de taxer les seuls aménageurs. L'argent du FNAP va aux collectivités, qui sont toutes demandeuses, mais qui reçoivent peu.
M. Jacques Legendre, président. - Les collectivités, en effet, ne sont pas « bénéficiaires » ! Dans mon secteur, une petite communauté a voulu créer une zone d'activité de quelques dizaines d'hectares. On lui demande une redevance qui se chiffre en millions d'euros ! Ce coût élevé bloque les projets, ou pousse excessivement à la hausse le prix de la réalisation. Nous sommes partisans de la connaissance du sol et du passé mais nous voulons aussi faire oeuvre de vie et créer activité économique et emplois. Sur le financement de l'archéologie, nous demanderons au ministre où l'on en est ; et nous voulons que l'INRAP et les organismes de fouilles fassent connaître par des publications ce que l'on met au jour. Les équipes de chercheurs doivent tirer la substantifique moelle des chantiers animés par les équipes de fouille, sinon à quoi bon ? D'autant que les surfaces concernées augmentent considérablement. Il serait utile de transmettre les résultats des fouilles aux spécialistes : si les informations abondent sur les fermes gallo-romaines du Ier siècle avant Jésus-Christ, peut-être n'est-il pas nécessaire d'engager un énième chantier... En revanche il peut être bon, sur un site plus rare, de pousser les feux. Cela revient à rationaliser les prescriptions de fouilles au lieu de s'en remettre au bon vouloir du préfet qui tantôt freine et tantôt permet tout.
Je suggère que nous nous penchions sur l'effort archéologique, son utilité et son exploitation, sa mise en valeur scientifique et populaire.
Mme Marie-Christine Blandin. - Grâce au Sénat, la loi Goulard sur la recherche a invité les archéologues au partage de la culture scientifique et des mesures incitatives ont été adoptées concernant leur évaluation. L'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) n'a pas voulu s'en charger, estimant que c'est aux laboratoires de le faire. Je crois qu'une note de la ministre à tous les organismes de recherche serait bienvenue pour leur rappeler cette disposition votée unanimement par les deux chambres.
M. Jacques Legendre, président. - L'évanescence du ministère de la recherche, dans le domaine de l'archéologie, est étonnante. Ce colloque national est important. Nous ne manquerons pas d'interpeller les deux ministères, qui doivent être l'un et l'autre parties prenantes !
M. Jean Chapelot. - Il est vrai que le ministère de la culture a une position particulière, puisque l'archéologie est depuis les décennies soixante et soixante-dix envisagée essentiellement sous l'angle de l'aménagement du territoire et des coûts marginaux d'aménagement. J'ai été responsable de l'archéologie au ministère de la culture : nous n'avons pas la maîtrise de la recherche ! En outre, dans deux ou trois ans, un tiers du personnel va partir à la retraite et toute l'expertise des services régionaux va être détruite. Elle est issue de l'association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN) et les conservateurs sortis de l'Institut national du patrimoine n'ont pas la même formation. Je suis né en Côte d'or, près d'Alésia, et je suis sensible à vos propos sur la valorisation des sites auprès du public. Nous avons trente ans de retard dans la mise en valeur ! Je travaille au Château de Vincennes. Le ministre nous a demandé un projet d'aménagement du château, nous l'avons fait. Nous avons accueilli des enseignants qui s'intéressaient au château, mais peu de nos collègues font ce travail. Dans l'évaluation de nos carrières, l'activité de valorisation n'est pas prise en compte...
Sur le plan législatif, deux solutions sont à mon sens possibles. Celle appliquée en 2000, une taxe sur les opérations, est la plus mauvaise car les grands aménageurs du secteur non concurrentiel n'y sont pas soumis mais les petits aménageurs du privé, si ! L'autre solution est une taxe additionnelle ou parafiscale, mais elle suppose un changement de mentalité de tous les archéologues, car il faudrait répartir une ressource nationale, donc évaluer l'intérêt comparé des projets et programmer les recherches. Aujourd'hui, la taxe et le financement s'appliquent opération par opération. L'idée d'une ressource globale rencontre donc des oppositions.
M. Jacques Legendre, président. - Je suggère que MM. Dauge et Bordier soient chargés d'un rapport d'information sur la valorisation scientifique de l'effort national archéologique. Nous démontrerons ainsi l'engagement de l'ensemble de notre commission.
Projet d'avenant au contrat d'objectifs et de moyens d'Arte France pour 2009-2012 - Communication
La commission entend ensuite une communication de Mme Catherine Morin-Desailly sur le projet d'avenant au contrat d'objectifs et de moyens d'Arte France pour la période 2009-2012.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le contrat d'objectifs et de moyens d'Arte France pour la période 2007-2011 a été élaboré à la fin de l'année 2006. Des objectifs ambitieux avaient été fixés, ils ont quasiment tous été réalisés. Arte a ainsi réussi sur les trois premières années du contrat à assurer une dynamique sur les nouveaux supports de communication, notamment Internet, grâce à une créativité reconnue ; à maintenir ses frais de structure à un niveau inférieur aux prévisions, avec une augmentation de 1 % par an seulement ; à dépasser les objectifs de recettes commerciales, avec une augmentation de 20 % en 4 ans ; et à respecter presque totalement ses engagements en matière de dépenses de programmes. Le plan de production et d'achat de programmes aura ainsi progressé de 94,2 millions d'euros en 2007 à 110,1 millions d'euros en prévisionnel 2011, soit un taux de croissance annuel moyen de 4 %.
Toutefois, le montant du soutien à la création est inférieur de 5 millions d'euros aux objectifs fixés : Arte a en effet subi des surcoûts de plus de 22 millions d'euros de dépenses de diffusion sur la période. Ces surcoûts sont liés au financement du groupement d'intérêt public (GIP) France Télé Numérique - créé après 2006 - à hauteur de 3,95 millions d'euros en 2010, 3 millions en 2011. Le financement de la diffusion en haute définition a également pesé. Le contrat prévoyait la présence d'Arte sur un canal partagé avec une autre chaîne et dans un multiplex à créer, donc avec des coûts progressifs. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a finalement attribué un canal plein en haute définition pour Arte sur le multiplex R4, déjà développé et qui couvrait plus de 80 % de la population dès le démarrage d'Arte fin 2008, ce qui a entraîné un surcoût de 9 millions d'euros en 2011. La diffusion en TNT outre-mer souhaitée par l'État et le CSA pourrait commencer en 2011 : le surcoût prévisionnel en 2011 s'élèverait à 2,6 millions d'euros.
Rien n'avait été prévu sur la diffusion en télévision mobile personnelle, car il avait été considéré que les opérateurs télécoms devaient en assurer le financement. Certains coûts notamment d'étude et de liaison du signal sont néanmoins à prévoir - 1 million d'euros environ.
L'avenant vise à prendre en compte ces hausses de coûts d'environ 15 millions d'euros en 2011. En 2010, un supplément de contribution à l'audiovisuel public de 2,94 millions d'euros hors taxes a été accordé à Arte France. Le projet de loi de finances pour 2011 adopté hier comprend un supplément de 7 millions d'euros, le solde, 8 millions d'euros au plus, pouvant être absorbé par Arte grâce aux économies réalisées sur la diffusion analogique, les frais de structure et le fonds de roulement. Ainsi les surcoûts sont pris en charge à parité par l'État et Arte. Et l'investissement dans les programmes demeure la priorité. L'avenant modifie enfin trois indicateurs de performance, de manière marginale.
Les modifications apportées au contrat sont modestes et l'avenant a surtout pour objet de prendre en compte la hausse des coûts de diffusion.
On ne peut donc à mon sens que rendre un avis favorable à ce contrat négocié sereinement entre la tutelle et Arte. Une seule suggestion : prendre en compte le nouveau nom de la redevance, devenue la contribution à l'audiovisuel public.
M. Serge Lagauche. - L'accord est forcé ! C'était à prendre ou à laisser. Les moyens d'Arte diminuent, les équipes travaillent de plus en plus difficilement et la chaîne ne retrouve pas sur la TNT l'épanouissement qu'elle aurait dû avoir pour élargir son audience. Le groupe socialiste est hostile à cet avenant.
La commission émet un avis favorable au projet d'avenant au contrat d'objectifs et de moyens d'Arte France pour la période 2009-2012.
Nomination de rapporteurs
M. Jacques Legendre, président. - L'ordre du jour appelle la nomination d'un rapporteur sur la proposition de loi n° 136 (2010-2011) de M. Roland Courteau relative à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale. Je propose de désigner Mme Colette Mélot.
M. Jacques Legendre, président. - L'ordre du jour appelle la nomination d'un rapporteur sur la proposition de loi n° 145 (2010-2011) de Mme Marie-Christine Blandin relative à la protection des enfants et des adolescents face aux effets de la publicité télévisuelle. Avez-vous bon espoir, ma chère collègue, de voir votre proposition être inscrite à l'ordre du jour de la séance ?
Mme Marie-Christine Blandin. - Oui, mon groupe politique m'a donné son accord et nous associerons ce texte avec celui que nous proposerons à la suite du rapport relatif à l'impact des nouveaux médias sur la jeunesse.
M. David Assouline. - De fait, les sujets sont liés et nous pensons utile de proposer ces deux textes concomitamment.
M. Jacques Legendre, président. - En attendant, je vous propose de désigner M. Jean-Pierre Leleux comme rapporteur.
Il en est ainsi décidé.
Organismes extra-parlementaires - Désignation de candidats
M. Jacques Legendre, président. - L'ordre du jour appelle la désignation d'un poste de suppléant à l'Observatoire national de la sécurité et de l'accessibilité des établissements d'enseignement. Je propose Mme Françoise Cartron.
M. Jacques Legendre, président. - Nous devons également désigner un membre suppléant au Haut conseil des musées de France. Je vous propose de différer cette nomination dans la mesure où la démission de Philippe Richert entraînera également très prochainement la vacance du poste de membre titulaire représentant le Sénat au sein de cet organisme.
Pour la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence, je vous propose de maintenir pour l'instant les deux titulaires, M. Pierre Bordier et Mme Colette Mélot, ainsi que leurs suppléants, Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Louis Duvernois. Je vous rappelle en effet que notre commission a adopté un amendement dans le cadre de la proposition de loi portant simplification du droit, visant à supprimer la représentation parlementaire au sein de cette commission. S'il est adopté et subsiste dans le texte définitif, nous en tirerons toutes les conséquences.
M. Jacques Legendre, président. - Pour les postes de titulaire et de suppléant à la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer, je vous propose de désigner respectivement M. Soibahadine Ibrahim Ramadani comme membre titulaire et Mme Lucienne Malovry comme membre suppléant.
Il en est ainsi décidé.
Quatrième loi de finances rectificative pour 2010 - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis
La commission demande à être saisie pour avis du projet de loi de finances rectificative pour 2010 (n° 2944 AN), dont la commission des finances est saisie au fond.
Elle nomme Mme Catherine Morin-Desailly rapporteur pour avis sur ce projet de loi.