Mercredi 17 novembre 2010
- Présidence de M. Jean-Jacques Mirassou, vice-président -Audition de M. Alain Gabillet, directeur de la performance du système industriel, et de Mme Louise d'Harcourt, déléguée à la fiscalité et à la compétitivité, chargée des relations avec le Parlement et les pouvoirs publics, du groupe Renault SA
M. Jean-Jacques Mirassou, président. - M. Martial Bourquin, président de la mission, retenu par des obligations dans sa commune, m'a chargé de bien vouloir l'excuser auprès de vous de son absence. Nous recevons M. Alain Gabillet, directeur de la stratégie industrielle du groupe Renault SA et Mme Louise d'Harcourt, déléguée à la fiscalité et à la compétitivité, chargée des relations avec le Parlement et les pouvoirs publics.
Votre entreprise occupe une place importante dans l'industrie française par son poids économique, mais possède également une dimension symbolique particulière pour nos concitoyens. Pouvez-nous nous parler de votre groupe par rapport aux enjeux de la désindustrialisation des territoires et faire également le point sur vos projets, s'agissant par exemple des véhicules hybrides ?
M. Alain Gabillet, directeur de la performance du système industriel. - La direction dont j'ai la charge remplit quatre fonctions : stratégie industrielle, projets industriels, systèmes de production, support à la performance. Je rappellerai d'abord quelques données sur le groupe Renault :
- la France est la principale localisation du groupe avec 45 % des effectifs pour 60 % de la masse salariale, deux tiers des effectifs d'ingénierie pour 86 % des dépenses dans ce domaine. La moitié de la production en valeur et le quart en volume sont réalisés en France. Enfin, 60 % des pièces sont achetées dans notre pays ;
- Renault est la première marque en France sur son secteur et la deuxième en Europe (première pour les véhicules utilitaires) ;
- le groupe possède 38 usines dans le monde, dont 16 en France.
Si le groupe a des activités dans d'autres pays depuis les années 1960, c'est en 1999 que nous avons lancé un mouvement volontariste d'internationalisation, tout en privilégiant le maintien des activités de production de véhicules haut de gamme et de véhicules utilitaires en France.
Notre activité se caractérise par de gros volumes et des marges faibles, dans une économie de marché concurrentielle. La part du haut de gamme se contracte depuis dix ans, notamment en raison de la contrainte environnementale et des aides qui ne favorisent pas ce secteur. S'agissant des salaires et des charges, l'écart, tout compris, est de 1 à 6 entre la Roumanie et la France. Les charges sont de 17 % en Slovénie contre 47 % en France.
Si la crise de liquidités est derrière nous, la crise de l'automobile, elle, perdure et le secteur ne bénéficie plus des mesures conjoncturelles telles que la prime à la casse. Nous avons bénéficié des aides publiques et nous avons réduit nos dépenses, notamment les investissements. Mais les entreprises n'ont pas, chez nous, fait l'objet des mêmes restructurations brutales qu'aux États-Unis.
En ce qui concerne notre compétitivité, il faut savoir qu'il y a un écart de 1 à 2 entre le coût de fabrication d'une Clio en Turquie et en France. En incluant l'ensemble des frais jusqu'à la vente au client, l'écart est de 800 €, soit 10 % du coût : 300 € de salaires, 300 € de taxes et 200 € liés aux subventions. Les coûts de production en France compriment nos marges.
Nous avons besoin d'un réseau de fournisseur sain et compétitif. En 2009, Renault a contribué pour 1,5 milliard d'euros à la survie de ce réseau, au titre à la fois des mesures résultant de la loi de modernisation de l'économie, d'un soutien financier à court terme et du fonds de modernisation des équipementiers, mais aussi par la renonciation aux méthodes de négociation habituelles. Nous apportons un soutien technique à nos fournisseurs de rang deux.
Nous nous inspirons de méthodes de gestion des processus de fabrication telles que le monozukuri, qui permet d'améliorer la compétitivité par une optimisation de la chaîne logistique, ou le lean manufacturing qui réduit les gaspillages à toutes les étapes de la production.
Pour nous, les enjeux majeurs sont :
- la consolidation de nos marchés hors Europe ;
- le renforcement de notre compétitivité en Europe, par exemple par l'adaptation de nos capacités et la prise en compte du recyclage des véhicules, ainsi que par l'innovation (véhicules utilitaires à Sandouville, véhicule électrique à Flins). Nous cherchons à être les leaders des véhicules sans émission de gaz à effet de serre, secteur auquel nous consacrons deux milliards d'euros d'investissements. Les véhicules électriques devraient représenter 10 % du marché en 2015 et nous sommes inquiets sur la capacité des producteurs européens à répondre à la demande. Nous travaillons avec le CEA à Grenoble afin de développer une filière spécifique ;
- le dialogue social, avec l'élaboration en mars 2010 d'un protocole d'accord qui pose un agenda et prévoit des thèmes de rencontre. À moyen et long terme, nous devons nous poser la question de l'adéquation entre les objectifs et les ressources, en renforçant l'employabilité des personnels pour leur permettre de s'orienter vers les filières d'avenir. Nous avons recommencé à embaucher cette année.
Enfin, nous devons souligner l'importance du crédit impôt-recherche : certains amendements présentés au Parlement risqueraient de nuire à l'attractivité de la France en ce domaine.
M. Jean-Jacques Mirassou, président. - M. Martial Bourquin, président de la mission, m'a chargé de vous poser plusieurs questions relatives au « Pacte automobile ». Renault et Peugeot ont bénéficié, de la part de l'Etat, d'un prêt de 6 milliards d'euros. Pouvez-vous nous dire quelles ont été les contreparties exigées de votre groupe ? Quelles actions avez-vous conduites en faveur des sous-traitants ? Où en êtes-vous du remboursement de ce prêt ?
M. Alain Gabillet. - Concernant l'emprunt, nous nous sommes engagés à le rembourser dès que possible. Il a été pour nous très utile et nous a permis effectivement d'aider certains de nos fournisseurs qui ont connu des difficultés dans la période de crise. Cela a par ailleurs été une excellente opportunité au moment où il était impossible de trouver, sur les marchés financiers, un prêt dans des conditions de taux telles que celles qui nous ont été accordées par l'Etat. Aujourd'hui, la situation a changé : les taux du marché sont désormais plus bas que celui des emprunts d'Etat, ce qui nous permet de retrouver notre autonomie en la matière.
Pour soutenir les fournisseurs, nous avons mis en place une plate-forme d'aide déclinée en quatre pôles. Nous nous sommes particulièrement engagés sur l'amélioration de la performance du système industriel. Nos efforts ont porté principalement sur les PME de rangs 2 et 3 qui ont connu les plus grosses difficultés. C'est notre intérêt de les aider car nos sorts sont liés : notre réseau de fournisseurs représente une part élevée de notre chiffre d'affaires. Nous avons également recouru au flow-sourcing pour accompagner nos fournisseurs au travers de la mise en place de joint-venture locales.
M. Jean-Jacques Mirassou, président. - Ce genre de dispositif n'est pas très avantageux pour la maison mère de ces fournisseurs ! Nous avons observé à cet égard plusieurs mouvements de délocalisations de fournisseurs.
M. Alain Gabillet. - La part d'intégration locale représente 50 % et il y a certaines pièces que nous réimportons. Toutefois, pour nous développer au Brésil, nous devons produire les pièces sur place. Les gains de compétitivité que nous tirons de nos implantations étrangères profitent de toute façon à l'ensemble du groupe. Il en va de même pour nos fournisseurs qui choisissent de délocaliser une partie de leur production. Les écarts de compétitivité selon les pays peuvent aller de un à cinquante : la réduction de ces écarts risque de prendre du temps. L'essentiel est de ne pas se faire distancer par la concurrence et de ne pas perdre des parts de marché.
M. Daniel Raoul. - Malgré la délocalisation d'une partie de votre production, comment faites-vous pour être premier en France et deuxième en Europe ?
Quelle est la situation en termes de compétitivité par rapport à l'Allemagne ? A-t-elle évolué suite aux accords qui ont été conclus sur le temps de travail au cours des deux dernières années de crise ?
Par ailleurs, s'agissant de la perspective de développement du véhicule électrique, vous avez choisi de travailler avec Nec, fournisseur de batteries étranger, alors que Peugeot PSA a trouvé un fournisseur français. Certes, vous êtes en relation avec le Commissariat à l'énergie atomique pour mettre en place une stratégie de filière, mais vous auriez pu privilégier une entreprise nationale.
A ce propos, comment gérez-vous la question des transferts de technologies ? Comment conciliez-vous l'obligation de conserver une avance technologique avec celle de conquérir de nouveaux marchés ?
Enfin, que pensez-vous des conclusions convergentes des quatre rapports récemment publiés sur le crédit impôt-recherche et qui préconisent un resserrement du dispositif afin de l'optimiser fiscalement ? La question se pose également pour les banques qui utilisent ce crédit d'impôt pour financer des innovations dont j'ai du mal à appréhender le contenu... Les grands groupes ont mis en place un système de filiales afin de conserver l'avantage de 40 % dont bénéficie le primo-accédant et afin d'éviter le plafond des 100 millions d'euros. N'aurait-il pas mieux valu que l'on rediscute avec les industriels du montant de ce plafond plutôt que de contourner le dispositif avec des montages juridiques troubles ? Nous sommes prêts à accompagner la recherche et développement mais pas dans n'importe quelles conditions. Il n'est pas normal que l'industrie française ne représente que 16 % de notre PIB.
M. Jean-Jacques Mirassou, président. - L'innovation est effectivement la seule façon de surmonter les différentiels de compétitivité. A titre d'exemple, alors que la société Airbus projette la sortie du nouvel A 350, la question du transfert en Chine et en Allemagne de la production de l'A 320 se pose. Mais nous ne lâcherons pas la proie pour l'ombre tant que nous n'aurons pas obtenu la garantie que ce transfert ne se traduira pas par des pertes d'emplois.
Concernant le crédit impôt-recherche, nous ne souhaitons pas le stigmatiser, nous voulons simplement qu'il soit utilisé à bon escient.
Mme Louise d'Harcourt, déléguée à la fiscalité et à la compétitivité, chargée des relations avec le Parlement et les pouvoirs publics. - Un amendement a été adopté à ce sujet par la commission des finances du Sénat hier, qui répond je crois au problème que vous évoquez.
M. Daniel Raoul. - Nous avons adopté le même amendement en commission de l'économie hier et j'y suis pour ma part favorable.
Mme Louise d'Harcourt. - Le groupe Renault n'a pas créé de filiales ad hoc pour mieux bénéficier du crédit impôt-recherche. Les filiales existaient déjà.
M. Daniel Raoul. - L'amendement que nous avons adopté portait également sur le contrôle du type d'activités de R&D qu'il permet de soutenir.
M. Alain Gabillet. - La R&D permet de valoriser la marque Renault partout dans le monde.
Concernant les écarts de compétitivité, le retour aux trente-neuf heures en Allemagne ainsi que la baisse des salaires ont permis de conserver les effectifs. Mais il est difficile de comparer véritablement le différentiel de coût qui en est résulté.
Concernant les batteries, il existe une quinzaine d'opérateurs à travers le monde. Parmi eux : Sony, Samsung, Matsushita, Bolloré, etc. Nous avons choisi de travailler avec Nec suite à notre alliance avec Nissan.
Mme Louise d'Harcourt. - Lorsqu'on a commencé à développer nos partenariats pour bâtir la filière du véhicule électrique, nous avons d'abord contacté Valeo qui nous a opposé une fin de non-recevoir. En réalité, Valeo manquait de conviction en faveur de ce projet et n'a pas souhaité faire les investissements nécessaires. C'est une des raisons qui explique que la filière ne soit pas très présente en France jusqu'à présent. Souhaitons au moins que pour la deuxième génération, la France sera au rendez-vous.
M. Alain Gabillet. - Concernant les transferts technologiques, nous sommes effectivement contraints d'y recourir si l'on ne veut pas être exclu des marchés à fort potentiel tels que la Chine, le Brésil, la Russie ou la Roumanie.
Concernant le développement du véhicule électrique, le groupe Renault s'est fortement engagé en y consacrant plusieurs milliards d'investissement. Le sujet a été très présent au Mondial de l'automobile, ce qui conforte notre stratégie. Le défi à relever concerne l'autonomie des batteries. Le groupe Bolloré s'est engagé sur cette voie ainsi que nos différents partenaires, mais il ne faut pas se tromper de direction. Nous sommes convaincus qu'il nous faudra coopérer dans ce domaine avec Peugeot PSA, au moins pour se mettre d'accord sur le choix des infrastructures. Pour pouvoir vendre ces véhicules partout en Europe et dans le monde, il faudra que les systèmes de recharge soient compatibles. C'est la masse qui permettra d'infiltrer les marchés. Nos voisins allemands sont d'ailleurs beaucoup mieux organisés que nous pour parler d'une seule voix : constructeurs et fournisseurs parviennent à se mettre d'accord sur une stratégie de filière. De notre côté, une association avec Daimler est en cours : nous sommes complémentaires pour développer les marchés des petites et des grosses voitures.
Mme Louise d'Harcourt. - Sur les quatre modèles de véhicules électriques que nous envisageons de fabriquer, deux seront fabriqués en France : la Kangoo électrique à Maubeuge et la Clio 4 à Flins, qui sera produite sur notre site en Turquie. A la différence de nos concurrents qui ont choisi de fabriquer des véhicules hybrides, Renault a fait le choix du tout électrique en développant une filière de production et d'expertise, qui sera peut-être un atout pour l'avenir.
M. Jean-Jacques Mirassou, président. - Il est question de délocaliser une partie de la production de la Clio, ce qui aura inévitablement un coût écologique pour la rapatrier et la vendre en France. Si vous projetez de ne produire que deux modèles sur quatre en France, je souhaite que le moteur à explosion ait encore de belles années devant lui, d'autant plus que Renault est à la pointe de la technologie pour la Formule 1. Quand va-t-on voir les effets positifs de tous ces investissements ?
M. Alain Gabillet. - Pour maintenir l'activité à Flins, la production de la Clio sera maintenue tant que nous n'aurons pas basculé vers l'électrique. Même si l'on pense aux produits d'avenir, la demande reste forte sur le diesel qui représente 90 % du marché. Un des défis sera de rendre ses moteurs plus propres en réduisant leur consommation.
Nous sommes champions du monde des constructeurs de Formule 1. La victoire de notre moteur est pour nous un symbole et atteste de la compétence de nos équipes.
Nous avons intérêt à produire sur place certains véhicules que nous ne vendons qu'à l'étranger, tels que la Koléos ou la Latitude destinées aux marchés coréen et russe ou aux Etats du Golfe.
Sur la Laguna, qui représente une production de 100 000 véhicules par an, nous continuons d'investir en France et nous recherchons un moyen d'utiliser les mêmes plateformes avec Dacia pour permettre des économies d'échelle.
M. Paul Raoult. - Bien sûr, je ne peux que me réjouir que la Kangoo électrique soit produite à Maubeuge, dans mon département. Mais permettez-moi d'être sceptique sur l'avenir de la voiture électrique tant que l'on n'aura pas gagné la bataille technologique sur l'autonomie. Certes Bolloré investit dans la recherche d'un système permettant d'arriver à une autonomie beaucoup plus large. Mais c'est un pari : tant qu'il n'y aura pas de révolution technologique pour les batteries, j'estime qu'il est très risqué de se lancer dans cette aventure. On peut également douter de l'avantage écologique de cette solution : comment allez-vous gérer le traitement des batteries usées ?
Mme Louise d'Harcourt. - Le pari que nous faisons est celui de produire des voitures électriques au même prix que les voitures traditionnelles. Il y a une dose de risque que nous assumons, comme dans tout pari.
M. Alain Gabillet. - Nous ne sommes plus dans la même logique qu'il y a dix ans. Aujourd'hui, nous visons au moins cent kilomètres d'autonomie, peut-être deux cents.
Mme Louise d'Harcourt. - Cet objectif est tout à fait en ligne avec les types de déplacements qui, dans 60 % des cas, sont inférieurs à trente kilomètres.
M. Paul Raoult. - J'entends bien cet argument mais le jour où je dois faire un long voyage, il me faudra une deuxième voiture !
M. Yannick Botrel. - Nous disposons d'une avance technologique dans ce secteur par rapport aux pays émergents et nous consentons à transférer une partie de nos savoirs pour conquérir les marchés. J'ai, pour ma part, une inquiétude : serons-nous capables de maintenir cette avance de façon durable ? Ces transferts ne sont-ils pas en quelque sorte une façon de se tirer une balle dans le pied ?
M. Alain Gabillet. - Nous sommes en effet condamnés à maintenir ce cap et notre longueur d'avance. C'est une stratégie qui se construit à partir d'études de marché très précises. Elles montrent que 55 % des voitures vendues en région parisienne concernent une deuxième voiture. Par ailleurs, nous fidélisons les clients qui disposent de flottes captives tels que La Poste qui pourrait se montrer intéressée par la Kangoo électrique. Il y a un potentiel sur ce segment.
M. Paul Raoult. - Pourtant les Smart fabriquées en Lorraine n'ont pas connu le succès espéré.
M. Jean-Jacques Mirassou, président. - J'espère en tout cas que Renault continuera à investir dans le moteur à explosion.
M. Alain Gabillet. - Oui, bien sûr. Mais pour conclure, permettez-moi de regretter le désamour qu'il y a entre la France et son industrie, ce qui n'est pas le cas en Allemagne. Comment rendre notre industrie plus attractive, en particulier pour les jeunes ? Nous aurons besoin de jeunes ingénieurs compétents pour développer notre industrie et rester en France.