Mercredi 8 septembre 2010
- Présidence de M. Martial Bourquin, président -Audition de M. Hervé Guyot (Fonds stratégique d'investissement)
M. Hervé Guyot (Fonds stratégique d'investissement). - Je suis ici en tant membre du Comité exécutif du Fonds stratégique d'investissement et, par ailleurs je suis directeur du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA). N'attendez pas de moi une vision macroéconomique des choses - je ne suis pas économiste - mais plutôt mon témoignage d'investisseur opérationnel dans un secteur automobile qui souffre de la crise et de la concurrence internationale. Je vous donnerai ma vision de la situation et les pistes à suivre pour conserver dans ce secteur des emplois industriels sur notre territoire.
L'automobile représente 10 % des emplois en France, 10 % du chiffre d'affaires et 20 % de la valeur ajoutée. Les constructeurs occupent 150 000 personnes, les équipementiers 170 000 et les sous-traitants - ne travaillant pas uniquement pour l'automobile mais aussi pour le ferroviaire ou l'aéronautique - en emploient 100 000 autres rien que dans ce secteur. Au cours des quatre dernières années, 50 000 personnes y ont perdu leur emploi et on prévoit qu'encore 40 000 à 50 000 autres devront se reconvertir. C'est donc un secteur en difficulté, qui est attaqué et qu'il faut défendre : il ne produit plus aujourd'hui que 2 millions de véhicules, contre 3,6 en 2002 ; et, compte tenu des délocalisations, personne n'escompte qu'on en reviendra aux chiffres d'autrefois.
Le FMEA est intervenu dans 12 entreprises, concernant 14 000 personnes. Son rôle est de consolider et de moderniser une filière automobile en surcapacité.
Je suis convaincu qu'il n'y a pas de fatalité et que, malgré la tendance baissière, il est possible de maintenir nos emplois industriels dans cette filière et, même, de rapatrier certaines activités délocalisées. Il y a pour cela certains facteurs décisifs.
D'abord, la recherche-développement (R&D). Notre capacité d'ingénierie est excellente et la plupart de nos activités en R&D restent localisées en France tant chez les constructeurs que chez les équipementiers. Cette R&D représente 4,5 % du chiffre d'affaires de ces sociétés.
Autre facteur décisif : l'innovation. Il ne faudra pas rater les rendez-vous de l'innovation. Celui du véhicule électrique par exemple ou du véhicule hybride - tout en évitant de reproduire l'exemple malheureux de Saft Batteries qui a fait une joint venture avec les Américains, si bien que tous les projets sont maintenant localisés aux États-Unis. Il faudra aussi accompagner tous les changements économiques ; l'industrie automobile française doit se préparer aux nouvelles activités de service qui en découleront.
La France est compétitive dès lors qu'il s'agit de pièces ou de fonctions « complexes », c'est-à-dire qui nécessitent de la conception ou de l'automatisation. Le coût du travail ne représentant plus que 10 à 15 % du prix de la production, les délocalisations, avec les coûts de transport et les problèmes de qualité qu'elles posent, ne sont plus avantageuses. Si bien que, par exemple, le FMEA investit dans la société Adduxi, basée à Oyonnax, société française qui fournit des équipementiers allemands en composants plastiques et métalliques. C'est ainsi, également, que les dirigeants d'une société d'emboutissage basée dans la Sarthe nous disent n'avoir aucune raison de délocaliser. L'automatisation permet une grande qualité et ces entreprises ont des systèmes de contrôle de qualité exceptionnels. La qualité industrielle est la condition du maintien de l'emploi industriel en France.
Mais il faut aussi que nos sociétés automobiles aient une vision de l'international. Le protectionnisme ne sera pas la solution ; il faut, au contraire les pousser à continuer leur internationalisation et à s'implanter dans les marchés mondiaux. Un équipementier, par exemple, fait deux fois plus de marge en Chine qu'en France. Il ne s'agit pas là de délocalisation ; il s'agit de localisation.
Quelles sont les conséquences de ce constat pour les politiques publiques ?
En matière d'innovation d'abord, on ne mesure pas assez l'impact positif du crédit-impôt-recherche (CIR). Car il y a certaines concurrences déloyales : il faut savoir que, en Turquie par exemple, ou en Corée du sud, touts les frais de R&D sont intégralement pris en charge par l'État. Il est donc essentiel de poursuivre notre effort en ce domaine, même si, jusqu'à présent, les PME ont peu accès à ce CIR, lequel profite surtout aux entreprises d'une certaine taille.
Il faut ensuite inciter les entreprises à faire des efforts de formation car les emplois industriels seront demain de plus en plus qualifiés, il s'agira de plus en plus de contrôler les processus de fabrication. La difficulté de nos chefs d'entreprise à trouver de la main-d'oeuvre qualifiée, malgré le chômage, prouve la mauvaise adéquation entre l'offre de travail et les formations.
Le coût du travail. Il y a 20 ans, les écarts salariaux entre la France et l'Allemagne étaient considérables. Or, entre 2000 et 2010, ces coûts ont augmenté de 25 % en France, contre seulement 15 % outre-Rhin. Ces dernières années, les Allemands ont, plus que nous, fait des efforts pour maîtriser ces coûts. Nos charges sociales atteignent le niveau le plus élevé d'Europe : 50 % contre 35 % en Allemagne. En plus, ce sont des chiffres moyens et, dans l'ex-Allemagne de l'Est, les coûts salariaux peuvent être très inférieurs encore à cette moyenne. Sans parler des pays à low cost.
Le financement des investissements. Il faut automatiser, donc investir et tout ce qui pénalise l'investissement est mauvais. On peut taxer le capital mais surtout pas dans l'entreprise. A cet égard, l'évolution de la taxe professionnelle va dans le bon sens.
Une autre mesure a été très appréciée des entreprises : la possibilité d'extension du chômage partiel, appréciable dans un secteur qui a connu un effondrement de son activité fin 2009, puis une reprise importante début 2010 mais qui craint une nouvelle rechute pour 2011, notamment avec la fin de la prime à la casse. Dans un secteur où l'activité est si fluctuante, soit on adopte le modèle américain des fermetures et ouvertures accélérées d'usine, soit on pérennise nos entreprises dès lors qu'elles peuvent s'appuyer sur ce chômage partiel.
On ne peut pas ne pas aborder la question sociale. Il ya eu des conflits sociaux dans l'automobile, des diminutions d'activité, des fermetures d'usine, lesquelles sont difficiles à faire comprendre et accepter. Mais la règle devrait être de ne jamais pénaliser le client final. Or certains de ces clients ont connu d'importants arrêts de livraison et un constructeur international nous a dit être traumatisé car 90 % de ses problèmes venaient de France...
Pour conserver des emplois, il faut être compétitifs et, donc, pratiquer les techniques industrielles adéquates - e-management, organisation optimisée, taux de rendement, gestion des rebuts etc. A cet égard, nombre d'entreprises ont encore beaucoup à faire. Il faut y intégrer le plus possible l'e-management.
Ma conclusion : ce n'est pas perdu ! J'en veux pour seul exemple cette fonderie de Nogent-le-Roi qui avait tout délocalisé en Chine et qui maintenant relocalise tout à Nogent du fait des problèmes de transport et de qualité que posait cette délocalisation. A cet égard, il faut encourager les comportements responsables car délocaliser apporte davantage de problèmes que de solutions. Il nous faut encourager en France un emploi industriel fortement qualifié et automatisé.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Avez-vous les chiffres des pertes d'emploi ?
M. Hervé Guyot (Fonds stratégique d'investissement). - Ces quatre dernières années, du fait de ses surcapacités, l'industrie automobile a perdu 50 000 emplois, hors externalisation. Et on prévoit que 45 000 à 50 000 autres personnes devront se réorienter vers d'autres secteurs. A plus long terme, le nombre de ces pertes d'emploi pourrait se monter à 100 000. Je rappelle qu'actuellement le secteur représente 10 % de l'emploi en France.
M. Michel Teston. - Vous affirmez qu'un de nos handicaps par rapport à l'Allemagne est le niveau de nos charges sociales qui serait le plus élevé d'Europe. C'est une affirmation un peu péremptoire. Vous oubliez que notre pays a fait un effort d'accompagnement des bas salaires de 24 à 25 milliards, soit trois à quatre fois plus que l'Allemagne....
M. Hervé Guyot (Fonds stratégique d'investissement). - C'est vrai. Mais beaucoup d'entrepreneurs comparent le coût du travail dans les deux pays. En Allemagne, les emplois sont plus qualifiés ; en France l'effort de l'État a plutôt porté sur les bas salaires. Moi, je vous livre la température du terrain où j'ai constaté que le coût du travail a beaucoup pesé sur les comptes de nos entreprises.
M. Martial Bourquin, président. - Un pays comme l'Allemagne où le coût du travail est élevé, a cependant une politique industrielle efficace. Il faut donc tordre le cou à l'idée que des bas salaires sont la condition de la compétitivité. Jumelés avec Stuttgart, nous avons de fréquents débats avec des industriels allemands : leur taxe professionnelle est lourde. Il faut expliquer notre désindustrialisation par d'autres phénomènes que les charges pesant sur nos entreprises. La croissance est de 0,6 % en France, contre 2,5 % en Allemagne, où c'est la plus forte augmentation depuis la réunification. Les financements de R&D sont faits en lien avec les Länder ; il faudrait regarder de plus près ce qui se passe en Allemagne où l'on sait allier industrie et aménagement du territoire.
M. Hervé Guyot (Fonds stratégique d'investissement). - L'Allemagne a une très forte capacité de R&D et elle vise les produits industriels haut de gamme. En plus, il y a dans ce pays, un véritable esprit de filière. Un grand donneur d'ordre allemand misera sur les fournisseurs et les sous-traitants qu'il connaît. C'est beaucoup moins la règle en France où l'on trouve normal de mettre en concurrence les entreprises de toutes nationalités.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Il faut bien voir quelle est la hiérarchie : il y a d'abord le marché, ensuite vient le produit et, enfin, les hommes. La force de l'Allemagne, avec ses 2,6 % de croissance, est due au fait que ses entreprises de première transformation sont allées vendre leurs produits dans tous les pays de l'Est. Notre faiblesse est que nous n'avons pas d'exportateurs !
Il faut nous centrer sur des produits innovants. Auparavant, les trois-quarts des collaborateurs de l'usine d'Airbus à Toulouse roulaient en voiture française et un quart en voiture allemande. Cette année, du fait de la taxe CO2, on compte 1 200 voitures allemandes supplémentaires ; le marché français s'est évaporé....
Lorsqu'on a donné des milliards à nos industriels, les ont-ils utilisés, comme le font les Allemands, pour financer de la R&D ?
M. Marc Daunis. - Je suis gêné de vous entendre dire - c'est un refrain général en France - que le salut réside dans les activités de service. Il y a aussi une contradiction à décrire un schéma idéal où coexistent des éléments contraires : par exemple comment peut-on simultanément élever le niveau de qualification et baisser le coût du travail pour maintenir l'attractivité française - dont je rappelle qu'elle est la première en Europe et la deuxième dans le monde ? Je préfèrerais que nous assumions notre système, comme l'Allemagne assume le sien et que, massivement, nous investissions dans notre R&D et dans l'aide à l'exportation, exportation qu'il faut encourager et à laquelle il faut former de façon quasi-monomaniaque. Mais arrêtons de nous excuser d'être ce que nous sommes et de regretter que notre pays ait un système social décent ! Au contraire, faisons-en un élément d'attractivité !
Vous vous félicitez de l'extension des possibilités de chômage partiel. Je suis pour ma part convaincu que c'est la loi des 35 heures, avec l'annualisation du temps de travail, qui a permis cette souplesse. Sans cette loi, nous n'aurions pas pu avoir ce chômage partiel ni la productivité horaire industrielle la plus élevée du monde. Partagez-vous mon espoir en nos particularités ?
M. Hervé Guyot (Fonds stratégique d'investissement). - Je n'ai pas dit que toute l'activité se concentrera dans les services, j'ai seulement dit que les nouveaux modes de consommation créeront de nouvelles opportunités et qu'il faut s'y préparer.
M. Jean-Jacques Mirassou. - On en arrive toujours à nous comparer avec l'Allemagne. Or, si le coût du travail est supérieur ici, la productivité y est meilleure. Mais là-bas il y a une stratégie industrielle identifiable, une volonté politique à l'échelon des Länder, une action sur le secteur bancaire et une filière organisée. Chez nous, il n'y a rien de tout ça.
Plus grave, on nous dit que les hommes ne viennent qu'en troisième position, après le marché et le produit. Je ne citerai que le cas de Molex : quelques heures avant le départ de l'ex-patron de Peugeot-PSA, je lui avais demandé comment on pourrait établir des relations commerciales plus intelligentes entre équipementiers et constructeurs : vous connaissez le résultat... Mais cela aussi serait le fruit d'une volonté politique.
M. Dominique de Legge. - Le secteur automobile a perdu 50 000 emplois en quatre ans et on s'attend à ce qu'il en perde encore autant. Par ailleurs, vous annoncez de nouveaux emplois dans les services. Chez-moi en Bretagne, l'équipementier Cooper a été confronté à des difficultés. Heureusement que nous n'avons pas proposé à ses salariés de raisonner en termes de filière mais de métier et de savoir-faire, si bien que des personnes ayant travaillé 25 ans dans l'automobile ont été à même de se recaser dans un autre secteur. Faut-il vraiment raisonner en filières ? D'autant qu'on va automatiser et produire davantage de services. Je pense que, pour le bien de nos territoires, il faut sortir de cette logique de filière.
M. Hervé Guyot (Fonds stratégique d'investissement). - La politique de filière est le moyen de réunir tous les acteurs, d'organiser les règles de fonctionnement, l'octroi des marchés ou les relations commerciales de manière optimale.
Les problèmes de reconversion sont réels. Je connais l'opération Cooper : nous ambitionnons de créer une filière caoutchouc et étanchéité durable. Certes, après vingt ans d'usinage, il est difficile de se mettre à vendre des services liés aux véhicules électriques. L'industrie automobile doit se diversifier vers d'autres filières, dans une logique de métier. Des opportunités de créer des services existent, notamment dans le secteur automobile : autant les saisir, pour limiter les pertes d'emplois !
M. Martial Bourquin, président. - Dans ma région, un équipementier automobile était condamné à disparaître dans les trois ans. Son directeur a lancé un plan d'investissement de 24 millions d'euros, et s'est spécialisé dans les crémaillères de boîte de vitesse. Avec un produit que les pays à bas coût ne pourront concurrencer avant cinq à sept ans, il a sauvé l'entreprise qui vient aujourd'hui d'embaucher une centaine de personnes !
Il faut des marchés porteurs, des produits à haute valeur ajoutée, une recherche et développement de haut niveau, mais aussi une certaine plasticité dans les parcours professionnels, dans une logique de filière. Alstom ne manque pas de commandes, mais d'équipementiers à proximité. La force des Länder tient à l'accompagnement des entreprises, notamment par les banques. En France, ce sont les collectivités qui investissent dans la reconversion... L'accompagnement des entreprises repose sur les élus, les agences de développement, le système de formation, les pôles de compétitivité de haut niveau. Prenons exemple sur le patriotisme des Allemands, qui ne se résignent pas au global sourcing.
Audition de M. Philippe Rouault, délégué interministériel aux industries alimentaires
M. Philippe Rouault, délégué interministériel aux industries alimentaires. - Le secteur agro-alimentaire est le premier secteur industriel en France, avec un chiffre d'affaire de 140 milliards d'euros en 2009, plus de 10 000 entreprises et 400 000 salariés ; il a dégagé en 2009 un excédent commercial de 4 milliards - moins qu'en 2008, en raison de la chute du prix des céréales et de la baisse des exportations de vins et spiritueux. Il assure un débouché à 70 % de la production agricole française. À la différence d'industries adossées à de grands centres urbains, l'industrie agro-alimentaire est répartie sur l'ensemble du territoire, qu'il s'agisse d'entreprises de quelques salariés ou d'un groupe comme Danone.
L'ensemble de l'industrie française employait en 2007 3,4 millions de salariés, contre 5,3 millions en 1980. A contrario, l'industrie agro-alimentaire n'a perdu que 0,3 % de ses effectifs sur cette période. Si la filière laitière a perdu des emplois pour cause d'automatisation, d'autres secteurs se sont développés, comme ceux des produits élaborés et plats préparés. Ce dynamisme s'est accompagné du développement des relations entre industrie agro-alimentaire et grande distribution, même si celles-ci sont aujourd'hui difficiles.
La rentabilité du secteur agro-alimentaire s'élève à environ 3 % de son chiffre d'affaire. Sur la période 2003-2006, elle s'est établie en moyenne à 0,5 % pour la viande et le poisson, à 2,3 % pour les fruits et légumes, 3,5 % pour les corps gras, 3 % pour les produits laitiers, 7 % pour les boissons et jusqu'à 15 % pour les eaux de vie et le champagne : les secteurs qui exportent des produits à haute valeur ajoutée sont les plus rentables.
Mme Lagarde et M. Le Maire m'ont chargé en janvier dernier d'une mission visant à déterminer les raisons de la perte de compétitivité de l'industrie agro-alimentaire française. Nous avons en effet perdu des parts de marché non seulement au niveau international, au profit du Brésil ou de la Thaïlande, mais aussi en Europe, au profit de l'Allemagne, de l'Espagne, des Pays-Bas ou de la Belgique. Je rendrai mon rapport dans les semaines à venir.
Dans le secteur de la viande, le coût moyen de la main d'oeuvre dans les abattoirs allemands est de 7,5 euros l'heure, contre 18 euros en France. Or abattage et découpe représentent une part importante du coût du produit fini. De plus en plus souvent, les bêtes sont abattues en France et découpées en Allemagne, les pièces étant ensuite rapatriées. Le prix de la matière première est pourtant plus faible en France qu'en Allemagne. Pour être compétitifs, les éleveurs français font un effort sur leur prix pour pouvoir proposer in fine le même prix de vente que les Allemands aux unités de salaison ou à la grande distribution. L'importation de jambon cuit et de produits de salaison a d'ailleurs augmenté.
Dans le secteur du lait, l'industrie française est présente parmi les leaders internationaux, Danone se situant à la deuxième place mondiale, derrière Nestlé, et Lactalis à la troisième. D'autres groupes français figurent parmi les vingt leaders. Dans la viande, en revanche, les grands groupes internationaux, qui ont émergé au cours de la dernière décennie, sont américains, le leader étant le brésilien JBS-Friboi avec 14 millions de tonnes par an. Dans la volaille, les grands groupes brésiliens produisent 4 à 5 millions de tonnes, contre 2 millions pour le premier groupe européen. Le premier groupe français pour la viande, Bigard, est à un million de tonnes, comme Doux, pour la volaille. Les groupes américains rachètent des entreprises aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou en Italie et cherchent à s'implanter en France. Aucun groupe européen n'a une telle stratégie à l'international : nous risquons de nous retrouver bientôt sans acteur européen dans le domaine de l'approvisionnement en protéines animales, d'autant que les leaders brésiliens, JBS-Friboi ou Sadia-Perdigão, sont soutenus par des capitaux d'État. Les chaînes de restauration rapide s'approvisionnent sur le marché international, où le prix du filet de dinde ou de poulet est deux fois moindre.
Le prix du lait payé au producteur français doit être comparé à ce que perçoivent les producteurs allemands, néerlandais ou tchèques. Les Allemands s'apprêtent à automatiser largement l'abattage et la découpe ; je proposerai dans mon rapport un plan d'automatisation de ces secteurs.
C'est la recherche et l'innovation, les produits à forte valeur ajoutée qui nous permettront de conserver notre avance : nous pouvons compter sur le niveau de formation de nos salariés et notre productivité très élevée par rapport à nos concurrents.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Vos propos ne me réconcilient guère avec la PAC ! Élever la bête dans un pays, la découper dans un autre pour ensuite rapatrier les pièces dans le pays d'origine, c'est ubuesque ! De toute façon, l'acheteur est toujours perdant : le prix à la vente ne baisse jamais, quelles que soient les variations du coût du porc sur pied.
Je conçois que les contraintes soient moindres au Brésil, surtout si les producteurs bénéficient de divers financements, mais comment rééquilibrer le coût du découpage de part et d'autre de la frontière, à avantages sociaux équivalents ?
M. Michel Teston. - L'Allemagne a réduit ses coûts de main d'oeuvre par rapport à la France en regroupant les lieux d'abattage de façon drastique, et se prépare à étendre l'automatisation. En revanche, je ne comprends pas comment le prix du lait payé au producteur peut être plus élevé en Allemagne qu'en France, alors que les producteurs sont mieux organisés chez nous !
M. Philippe Rouault, délégué interministériel. - La réunification allemande a permis le développement de grandes exploitations laitières de milliers de vaches dans l'ancienne RDA : la massification permet de réduire les coûts. En outre, les Länder consentent des aides importantes aux exploitations agricoles, notamment la Bavière ou le Bade-Wurtemberg.
Enfin, la production d'énergies renouvelables offre également un débouché aux producteurs de porc, et peut être source d'importants revenus pour les exploitants agricoles.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Le transport des bêtes a un coût pour l'environnement et n'est pas gage de qualité sur le plan sanitaire.
M. Philippe Rouault, délégué interministériel. - Il s'agit de transport de carcasses : 20 % sont découpées à l'étranger. C'est parfois le seul moyen pour certains de nos industriels et même de nos coopératives de conserver des marchés.
Les fonds de financement au Brésil sont parfaitement identifiés : il s'agit d'institutions qui investissent dans l'agroalimentaire.
Mme Élisabeth Lamure. - Quels sont les produits et les filières qui présentent la plus forte valeur ajoutée ?
M. Philippe Rouault, délégué interministériel. - Les eaux de vie, le vin, le foie gras - la France produit encore 80 %, malgré la concurrence croissante de la Bulgarie, de la Hongrie ou de la Chine. Les perspectives de croissance sont à chercher du côté des produits élaborés : la moitié des produits qui occuperont les linéaires dans dix ans n'existent pas encore ! Les enjeux seront la praticité des produits, la durée de conservation, la nutrition-santé. Des groupes français financent la recherche sur des produits adaptés aux jeunes enfants, aux personnes âgées, ou aux personnes atteintes de pathologies. Les aliments pourront être optimisés en en extrayant les molécules néfastes pour le traitement. Ces évolutions ouvrent de vastes perspectives de croissance.
Autres chantiers : le développement des biotechnologies, et de la chimie du végétal, des produits d'origine végétale, comme l'acide succinique, pouvant remplacer des produits d'origine fossile.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Nous sommes passés de l'âge de pierre à celui des produits élaborés. Ne fantasmons pas trop sur l'abattage : un abattoir n'emploie qu'une cinquantaine de salariés pour produire 15 tonnes de viande ! C'est en développant les produits d'aval que l'on augmentera la valeur ajoutée. McDonald's fait abattre les trois quarts des 50 000 tonnes de viande qu'il consomme en Allemagne : la taxe sur l'abattage n'est pas négligeable !
L'agro-industrie représente un gisement de 100 à 150 000 emplois sur les dix années à venir. Il faudra choisir entre produire des aliments pour nourrir la planète ou des biocarburants, par exemple à base d'algues : un Airbus peut déjà fonctionner avec le CO2 qu'elles produisent, et cela en circuit fermé !
Nous possédons de puissantes entreprises dans les secteurs de la pharmacie, de la cosmétique ou de la nutrition. Dans quels secteurs faut-il investir ? Comment produire des blockbusters, à l'instar du Japon, de la Chine et du Brésil ?
Aujourd'hui, les Allemands vendent aux pays de l'Est des produits à forte valeur ajoutée et y achètent des bestiaux à vil prix ! Nous ne disposons pas de structures adaptées pour accompagner nos entreprises à l'international ; nos attachés d'ambassade sont des dilettantes comparés aux Japonais du MITI ou aux Américains : ils m'avaient naguère organisé un somptueux cocktail en Allemagne quand je ne venais voir que dix clients, dont un seul acheteur sérieux !
Et que dire de M. Blair, qui a touché 9 milliards d'euros de subventions européennes pour des bestiaux de Nouvelle-Zélande ou d'Australie qui nous arrivent au pied des Pyrénées moins chers que les bêtes descendues d'estive ! Il faut réglementer pour que l'Europe cesse d'être toujours le dindon de la farce !
M. Philippe Rouault, délégué interministériel. - Il ne faut pas nécessairement trancher entre utilisation alimentaire ou non alimentaire des végétaux : notre production d'huile de colza s'accompagne d'une importante production de tourteaux, qui vient réduire le déficit commercial en remplaçant les tourteaux de soja importés pour l'alimentation du bétail.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - La France importe encore du Brésil et des États-Unis 80% de produits d'alimentation animale génétiquement modifiés - au nez et à la barbe de l' Agence française de sécurité sanitaire des aliments !
M. Philippe Rouault, délégué interministériel. - La production de tourteaux de colza a augmenté de 1,5 tonne en cinq ans.
Il faut développer les sociétés de biotechnologies dans le domaine de la génétique animale et végétale : la compréhension du génome ouvre des perspectives pour de nouvelles molécules, de nouveaux médicaments, pour améliorer la nutrition.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Produire une molécule pharmaceutique à usage sanitaire coûte 1 milliard de dollars : avec un ticket d'entrée à ce prix, les laboratoires Pierre Fabre n'ont pas réussi à percer hors de la cosmétique. La pharmacie est le domaine réservé de cinq grands groupes !
M. Philippe Rouault, délégué interministériel. - Le Fonds stratégique d'investissement a investi 200 millions d'euros dans les sociétés de génétique animale et végétale.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Les biotechnologies restent le domaine des grands groupes comme Sanofi-Aventis.
M. Philippe Rouault, délégué interministériel. - Dans ce secteur, de petites entreprises françaises sont parfois rachetées par des groupes étrangers : il faut être vigilant dans le repérage et le suivi de ces entreprises, si l'on veut les adosser aux grands groupes français et valoriser ce savoir-faire.
M. Dominique de Legge. - Nombre de nos territoires sont structurés autour de l'industrie agro-alimentaire, à commencer par la Bretagne. Quelle sera à votre avis l'évolution de l'activité économique ? Les investissements seront-ils concentrés sur quelques territoires ?
M. Philippe Rouault, délégué interministériel. - Cela dépendra de la capacité à approvisionner et à accompagner la demande des industriels. Au cours de cette décennie, l'Espagne a augmenté sa production de viande porcine de 100 %, l'Allemagne de 50 %, alors qu'il n'a pas été possible pour nos industriels de développer leur production : résultat, nous avons aujourd'hui un déficit en valeur de 100 millions d'euros.
Dans le secteur de l'abattage, les restructurations ont déjà eu lieu. Pour conserver cette activité, notamment dans l'Ouest, il faut largement automatiser l'outil. Le coût est estimé à 35 millions pour un site : la grande distribution acceptera-t-elle de vendre un peu plus cher le produit pour permettre aux industriels d'investir ? Il faut réunir les acteurs, comme cela a été fait pour le secteur laitier.
M. Martial Bourquin, président. - Menez-vous une réflexion sur la qualité ? C'est une exigence forte de la société. Le modèle d'une agriculture raisonnée n'est pas la ferme de mille vaches ; l'agriculture familiale s'est considérablement modernisée.
M. Philippe Rouault, délégué interministériel. - C'est une réflexion permanente. Dans les secteurs à forte valeur ajoutée, il y a une contractualisation avec les producteurs, de stricts cahiers des charges. Si les Français consomment moins de volaille bio, c'est que le « label rouge » est largement reconnu. La qualité est aussi au coeur de notre production de fromages d'appellation d'origine contrôlée.
M. Martial Bourquin, président. - Avec ces labels, la pression sur les producteurs est beaucoup moins forte.
M. Philippe Rouault, délégué interministériel. - Oui, mais hélas, ils sont loin de concerner l'ensemble des produits. J'ajoute que pour une part de la population française, le facteur prix est déterminant. Cependant, la qualité des produits a considérablement évolué depuis vingt ans, et les intoxications sont devenues l'exception. Que l'on achète une viande de porc à Brest, à Bordeaux ou à Paris, ce sera la même, sauf à choisir une AOC, qui aura une qualité gustative différente. L'un des enjeux essentiels du plan national de l'alimentation est l'éducation de la population à une alimentation saine, pour l'orienter vers des produits qui préservent la santé.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Mais la question reste celle du pouvoir d'achat.
M. Alain Chatillon, rapporteur. - Les vétérinaires ont accompli un travail remarquable, sans lequel notre industrie agro-alimentaire n'existerait pas. Je souhaite que les médecins, auxquels nous aurons désormais plus souvent affaire, prennent exemple...
M. Jean-Jacques Mirassou. - Et les conseillers généraux...
Audition de M. David Appia, président de l'Agence française pour les investissements internationaux
M. David Appia, président de l'Agence française pour les investissements internationaux. - Je vous remercie de votre accueil et veux vous dire notre intérêt pour vos travaux. Notre rôle, comme celui d'autres agences en Europe, dont la nôtre est concurrente, est de faciliter la venue en France de sociétés étrangères qui y créent de l'emploi. Depuis 2001, date de la création de l'Agence, nous bénéficions de l'implantation de bureaux à l'étranger, au contact des investisseurs potentiels. Si nous n'avons en revanche pas de réseau en France, notre texte fondateur a prévu l'envoi d'un correspondant dans chaque région, auprès de l'Agence régionale du développement, chargée de faire circuler l'information auprès des autres acteurs territoriaux. La coopération entre nous est très étroite : nous échangeons chaque semaine l'information sur les pays étrangers visant la France, mise en commun dans une base de données, à partir de quoi l'on décide de ce que sera l'offre française. Les choses sont ensuite prises en charge, sous notre coordination, par l'ensemble des acteurs concernés.
L'environnement en matière de projets industriels s'est modifié ces dernières années. Les projets d'investissement créateurs d'emploi dans le domaine industriel se sont déportés vers l'Europe centrale. La République Tchèque, la Roumanie, la Hongrie, la Pologne, même si elles n'accueillent qu'un faible nombre de projets, affichent un bilan en terme d'emplois créés bien supérieur à celui que l'on connaît en Europe de l'Ouest, pour les raisons que l'on sait.
N'en tirons cependant pas la conclusion que la France ou l'Allemagne ne seraient plus attractives dans le domaine industriel. Le nombre de projets a certes connu une baisse régulière depuis dix ans, sans cependant que le flux se tarisse, car l'on voit monter en puissance les projets dans le secteur des hautes technologies, et notamment les éco-industries.
En 2009, selon l'étude annuelle menée par Ernst & Young sur l'attractivité de l'Europe, la France reste le pays le plus attractif pour nombre de projets industriels accueillis, notamment dans les écotechnologies et par le nombre des emplois créés dans le domaine de la logistique et dans la recherche et développement. Notre deuxième place en Europe pour l'accueil de projets créateurs d'emplois est à mettre en regard de cette première place.
Quelques mots sur le rôle de l'Agence et le poids des projets industriels dans l'activité que nous suivons. Dans le domaine de la production, au début des années 2000, la France accueillait plus de 250 nouveaux projets, quand elle n'en attirait plus, entre 2007 et 2009, qu'autour de 200 chaque année. La baisse est réelle : en 2009, la France compte pour 27 % dans les projets de production, elle comptait pour 53 % en 2001.
Nous avons opéré ces dernières années une adaptation, pour participer à l'action collective en faveur des territoires en mutation et des entreprises en difficultés. En 2007, nous avons mobilisé nos équipes en réponse à des demandes, pour rechercher à l'étranger des repreneurs ou des partenaires. Depuis trois ans, nous avons multiplié le nombre d'actions sur dossiers de mutation économique, sous la double tutelle du ministère de l'Economie et de celui de l'Aménagement du territoire, la Datar étant notre interlocuteur quotidien. Avec elle, nous avons été impliqués, en 2007, dans 121 dossiers. Mais ne minimisons pas les difficultés du parcours : sur 57 dossiers ouverts depuis 2007, seules quatre opération sont aujourd'hui bouclées.
Il y a deux ans, nous avons renforcé nos équipes sur le front des mutations économiques. Dominique Frachon, qui venait de notre réseau à l'étranger et nous a apporté son expérience, est responsable à l'Agence du pôle « territoires ».
Notre travail quotidien, au-delà de ces dossiers, consiste à informer, à accompagner, à convaincre les investisseurs étrangers dans leurs demandes vers l'Europe, en assurant la promotion du site France. Nous avons mandat de nos autorités de tutelle dans trois domaines. Premier mandat, la valorisation des pôles de compétitivité français. L'exercice est assez aisé, dès lors que la visibilité de ces pôles va croissant. Ce sont des éco-systèmes ouverts, nous pouvons le démontrer à nos interlocuteurs. Avec la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), nous avons identifié 528 entreprises étrangères membres de ces pôles, ce qui représente plus de 740 implantations.
Deuxième mandat, la promotion des atouts de la France dans quinze segments prioritaires, actualisés chaque année en liaison avec la Datar et la DGCIS. Nous suivons l'évolution de nos performances dans ces secteurs, dont un grand nombre appartient au domaine des technologies avancées et, plus récemment, des éco-technologies et des énergies renouvelables. Troisième mandat, mettre l'accent sur les sites militaires en reconversion. Dix sites doivent faire l'objet d'une prospective spécifique à l'étranger.
Dans quel contexte travaillons-nous ? Dans le secteur industriel, où les projets occupent une place décroissante, il n'est pas inintéressant d'observer la répartition sur le territoire. Certaines régions, comme l'Alsace, qui accueillait massivement l'investissement industriel étranger, et continue à le faire, perdent néanmoins un peu de terrain : le nombre de projets connaît une baisse régulière depuis dix ans. D'autres régions restent stables, tandis qu'un petit nombre, comme la région Rhône-Alpes, voit croître son pouvoir d'attraction. Le tableau n'est donc pas homogène.
Nous nous intéressons également au type d'opérations. Certains investissements conduisent à implanter des entreprises nouvelles, d'autres sont des extensions, d'autres des reprises d'entreprises en difficulté. Les créations sont majoritaires dans le secteur de la production : 53 % en 2009. C'est une bonne nouvelle, puisque cela signifie que les investisseurs étrangers considèrent que le territoire français est propice à l'installation de sites industriels. Même chose pour les extensions - 42 % des projets - qui signent une confiance de l'investisseur. La crise a vu augmenter le nombre de projets de reprise d'entreprises en difficultés, passé de 5 % à 20 % depuis 2007.
Même si le nombre de projets provenant d'Europe est en baisse, celle-ci reste au premier rang, avec 72 %. Vient ensuite l'Amérique du Nord, qui a baissé dans d'importantes proportions depuis cinq ans, tandis que l'Asie reste à la troisième place, avec des résultats en dents de scie, même si les projets liés aux hautes technologies et aux technologies vertes progressent.
En même temps que diminue le nombre des projets dans le secteur industriel, celui des activités d'accompagnement - les services aux entreprises, consulting, ingénierie, R&D - augmente. Si bien que si l'on considère le grand secteur des projets manufacturiers, on constate qu'il pèse très lourd : les deux tiers des projets nouveaux.
Les activités de recherche et développement connaissent une forte croissance : 42 projets en 2009, créations ou extensions, sur 639 au total, contre seulement 20 à 30 projets auparavant. Nous y voyons une confirmation de l'intérêt dans ce domaine des investisseurs étrangers pour la France. L'existence des pôles de compétitivité et du crédit impôt recherche sont certainement à l'origine de ce regain d'intérêt.
M. Michel Teston. - Nous notons avec satisfaction que la France demeure attractive, même en cette période de crise. Saluons les investisseurs étrangers qui viennent en France créer de l'emploi, car ce qui compte, c'est de s'assurer que ces créations seront nombreuses. Il ne faudrait pas que les installations se limitent à de simples sites d'assemblage permettant de bénéficier de l'appellation « constructeur français », et de capter ainsi une part de marché alors que l'essentiel de la production se fait ailleurs. On peut se réjouir que le groupe EvoBus reste implanté à Ligny-en-Barrois, mais combien d'emplois cela représente-t-il ? 400, alors qu'ils sont 10 000 à Mannheim, d'où viennent tous les pièces. Il est logique qu'Evobus, implanté en France, puisse revendiquer une part de marché, mais il faut être vigilant sur ce qu'apporte réellement l'implantation d'une entreprise à l'économie française. La France doit convaincre les investisseurs qu'ils doivent prendre une part significative dans la production et devenir de véritables entreprises citoyennes. Les Allemands sont plus vigilants que nous ne le sommes : ils savent rappeler aux investisseurs que ce sera l'Allemagne d'abord.
M. Marc Daunis. - Vous avez souligné les contrastes de la répartition géographique : dégagez-vous des tendances lourdes ? Comprenez qu'il ne s'agit pas pour moi de savoir si la région PACA est mieux placée qu'une autre, mais quelles peuvent être les raisons structurantes de l'attractivité : la recherche et développement, l'existence de clusters, l'émergence internationale... ? D'où ma deuxième question : après avoir fait preuve, naguère, d'une certaine fatuité, nous excellons généralement aujourd'hui dans l'auto-dénigrement, parfois au plus haut niveau. On ne cesse de s'excuser de notre système social, de notre bureaucratie... Or, je suis frappé de constater que les entreprises étrangères, allemandes, suédoises, apprécient cette originalité française, attractive pour leurs personnels. Les infrastructures, les plateformes technologiques ne suffisent plus à attirer les capitaux, il faut aussi compter avec la qualité de vie, élément plus subjectif à ne pas négliger dans une société qui se cherche au milieu de la crise du capitalisme financier : qu'est-ce qu'une société responsable, qu'un financement éthique ? La France, à cet égard, me paraît bien armée pour le futur.
M. Martial Bourquin, président. - J'aimerais connaître votre analyse quant au caractère durable des investissements. Ne sort-il pas un paradoxe de la comparaison entre notre bilan et le credo récurrent sur le manque de compétitivité de nos entreprises ?
M. David Appia, président de l'AFII. - Je suis d'accord avec vous, monsieur le sénateur Teston, il faut s'interroger sur la contribution des investisseurs étrangers à l'économie nationale et locale. Il nous est cependant difficile, comme agence nationale, d'anticiper ce type de stratégie. La problématique qui est la nôtre est avant tout d'éviter de laisser partir des emplois, de faire en sorte qu'ils soient conservés en France, et que de nouveaux y soient créés. Nous y mettons toutes nos forces. Si nous apprenons ensuite que les résultats sont décevants en raison des stratégies que vous décrivez, nous en sommes déçus. Au Brésil, nous avons été approchés par une entreprise d'aviation civile, qui représente 250 emplois. Nous étions en concurrence avec l'Allemagne. Nous estimons qu'il vaut la peine, en tout état de cause, de les attirer vers nous, même s'il doit se révéler que les pièces viendront des États-Unis ou d'Asie. Nous essayons cependant d'avancer dans notre connaissance des projets, mais notre objectif, avant tout, reste de favoriser le maintien et la création d'emplois en France.
Vous m'interrogez, monsieur le sénateur Daunis, sur les tendances lourdes de l'implantation géographique. Je ne connais cependant pas assez la dynamique de la désindustrialisation pour pouvoir établir une corrélation avec les choix des investisseurs étrangers. L'Alsace et la Lorraine restent très attractives, avec Rhône-Alpes, le Nord-Pas-de-Calais, Midi-Pyrénées : ces régions captent la moitié des investissements. J'ai le sentiment que les entreprises étrangères s'attachent à quatre facteurs : le dynamisme du tissu industriel local - plus que l'aide publique à l'implantation, qui ne me semble pas un élément décisif ; l'ouverture du territoire à l'international, car les entreprises s'intéressent non seulement au marché français, mais au marché européen - je ne limite pas l'ouverture à des facteurs géographiques ; les dynamiques créées par les pôles de compétitivité créent aussi un effet d'appel ; l'engagement, enfin, des acteurs publics et privés qui contribuent à cette politique d'attractivité. Mais plaider avec conviction la cause d'un territoire peut aussi faire la différence. Il est naturel que ceux qui y mettent plus d'énergie en recueillent le fruit.
Bien sûr, la qualité de vie, que nous n'oublions pas de valoriser, compte aussi. Avant d'arrêter son choix, le dirigeant devra décider d'envoyer en France quelques cadres dirigeants. Beaucoup de témoignages montrent que les avantages que présente la France de ce point de vue sont appréciés. C'est un facteur qui joue de plus en plus, mais en dernière instance. Les entreprises procèdent à des comparaisons très fouillées, dans tous les domaines, y compris celui des conditions d'accueil des familles.
Vous vous interrogez, monsieur le président Bourquin, sur la durabilité des investissements. L'investisseur étranger, ainsi que l'excellent rapport de M. Lionel Fontagné le met en évidence, est souvent plus aguerri que l'entreprise française, qui n'a pas l'expérience des marchés extérieurs. Cette entreprise étrangère a donc une propension à exporter plus forte que la moyenne des entreprises françaises, et, pour simplifier, plus de solidité face au marché. Il n'y a donc aucune raison qu'elle soit plus fragile que les autres, même si elle est soumise aux mêmes difficultés en cas de crise. La durabilité est donc plutôt fonction des secteurs, et de la stratégie de l'entreprise.
Il ne faut pas non plus oublier de raisonner relativement. Au Brésil, j'ai entendu des entrepreneurs me dire qu'ils souhaitaient venir en France parce qu'ils espéraient y gagner plus rapidement en compétitivité, au contact d'un marché européen plus stimulant que le leur. En matière de technologies avancées, la compétitivité française est bonne. Nous avons des secteurs d'excellence, reconnus comme tels : les décisions d'implantation y sont importantes pour l'avenir. Les investisseurs étrangers estiment que face à la crise, la France a su se tourner vers l'avenir. Les 35 milliards du grand emprunt en faveur de cinq secteurs stratégiques leur confirment que la France mise sur l'innovation. L'étude du cabinet Ernst & Young pour 2009 relève que quelque 65 % des dirigeants interrogés voient dans le grand emprunt un facteur puissant d'attractivité. Et cela nous aide au quotidien.
M. Martial Bourquin, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.
M. David Appia, président de l'AFII. - Nous sommes à votre disposition pour vous fournir toute information.