Mercredi 30 juin 2010
- Présidence de M. François Autain, président -Audition de M. Didier Houssin, directeur général de la santé
La commission d'enquête a entendu, en premier lieu, M. Didier Houssin, directeur général de la santé.
Accueillant M. Didier Houssin, M. François Autain, président, lui a proposé, s'il en était d'accord, de consacrer sa seconde audition par la commission d'enquête à un échange de questions et de réponses.
M. Alain Milon, rapporteur, a tout d'abord posé une question sur l'importance du stock de vaccins H5N1 acquis par la France. A quoi vont servir ces vaccins et jusqu'à quelle date sont-ils utilisables ?
Relevant ensuite que M. Didier Houssin avait indiqué, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, qu'il savait dès le mois de mai 2009, par des études génétiques, que le virus H1N1 ne portait pas les gènes de virulence connus, il lui a demandé de préciser cette affirmation : ses propos faisait-ils référence à des études réalisées en France, ou aux informations dont a fait état au début de mai, dans le Wall Street Journal, le scientifique américain Peter Palese - qui évoquait aussi de probables immunités croisées ? N'aurait-il pas fallu communiquer clairement, alors, sur ces éléments d'information ?
A propos des achats de vaccins H5N1, M. Didier Houssin a rappelé, à titre liminaire, qu'on s'était trouvé face, en 2005, à la propagation d'un virus aviaire, à l'origine d'une épizootie qui s'était intensifiée durant l'été de cette année-là. La question était alors de déterminer une stratégie vaccinale au cas où elle évoluerait vers une pandémie, c'est-à-dire avec une transmission interhumaine du virus. Le ministère de la santé a donc lancé un appel d'offres, avec deux objectifs. D'abord acquérir des vaccins prépandémiques en vue de protéger certaines populations, tels les producteurs de la filière avicole - un élevage de l'Ain a été atteint par le virus en décembre 2005 -, les professionnels chargés de l'abattage des oiseaux, ou les voyageurs qui se rendaient dans des pays fortement contaminés. Ensuite, établir des contrats « dormants » de réservation auprès d'industriels, des « advance purchase agreements » (APA), pour une éventuelle production de vaccins pandémiques au cas où le virus se propagerait.
C'est pourquoi l'appel d'offres qui a été lancé prévoyait l'achat d'un stock de vaccins pré-pandémiques contre le virus H5N1, qui n'étaient pas encore disponibles. Trois industriels ont répondu à cet appel d'offres, Solvay, Chiron - racheté ensuite par Novartis - et Sanofi, mais pas GlaxoSmithKline (GSK).
M. François Autain, président, a rappelé que les représentants de GSK avaient dit qu'ils n'étaient alors pas prêts à répondre à cet appel d'offres.
M. Didier Houssin a indiqué que la commission d'appel d'offres avait retenu Chiron et Sanofi. Entre les deux laboratoires, l'achat de 2,4 millions de doses de vaccin prépandémique H5N1 était prévu, chaque contrat comportant en outre une partie « réservation », qui a été activée ensuite pour l'achat de vaccins pandémiques H1N1. Ces doses de vaccin H5N1 sont toujours stockées en vrac chez les industriels et leur validité a été évaluée en dernier lieu avant le déclenchement de la pandémie. M. Didier Houssin a dit qu'il pourrait donner des indications précises sur la durée de cette validité à la commission d'enquête.
Sur la virulence du virus H1N1, il a tout d'abord rappelé qu'un virus est un parasite qui cherche à se multiplier et à se transmettre. Il peut être mortel de deux manières. Il peut avoir une très forte virulence, comme le virus Ebola qui tue 80 % des personnes qu'il atteint, mais il n'a alors pas une grande capacité à se propager.
M. François Autain, président, a demandé s'il était scientifiquement établi qu'un « virus tueur » se propage moins qu'un virus moins virulent.
M. Didier Houssin a observé que c'était un constat que l'on avait pu faire, notamment à chaque réapparition d'Ebola, le virus de la pandémie de grippe de 1918 ne s'étant toutefois pas conformé à ce modèle. Un virus très dangereux tue tellement rapidement que sa propagation s'interrompt. En revanche, un virus moins virulent, qui ne tue qu'une personne sur dix, se propage et peut contaminer rapidement un grand nombre de personnes. Au total, on peut donc avoir le même nombre de morts, à cause du taux d'attaque, c'est-à-dire de la capacité du virus à pénétrer la population.
On a effectivement constaté, au début de mai 2009, que l'analyse du séquençage génétique du H1N1 montrait que ce virus ne portait pas les gènes de virulence connus. C'était « un peu rassurant », mais pas suffisamment pour qu'on considère que la situation était sans gravité, et cela pour deux raisons. D'abord, la possibilité de mutation demeurait, avec un risque de virulence accrue, comme cela s'est produit en Norvège où, heureusement, le virus mutant ne s'est pas propagé. Ensuite, et c'est un élément très important, on ne savait toujours rien du taux d'attaque de ce virus. Or, jusqu'en septembre, voire jusqu'à la fin de 2009, compte tenu de son caractère nouveau, on pensait qu'il aurait en face de lui une population naïve - à l'exception des plus de soixante-cinq ans, qui paraissaient protégés. On avait donc toutes raisons de penser que le taux d'attaque serait élevé, comme il l'avait été dans certaines zones de l'hémisphère sud. Ce qui n'était pas prévu, c'est qu'en dépit du taux d'attaque, et ce fut une bonne surprise, la maladie s'est révélée bénigne.
La conclusion à en tirer, c'est que, si nous sommes bons en épidémiologie et en virologie, nous ne le sommes pas assez en immunologie. On n'a su que plus tard que ce virus partageait des éléments communs avec d'autres anciens virus, si bien qu'une partie de la population était immunisée, comme l'a montré le très intéressant article de Jason Greenbaum et d'autres scientifiques, publié dans la revue Proceedings of the National Academy of sciences, en décembre 2009. Une des leçons à retenir pour l'avenir est donc que, face à un phénomène épidémique, il faudra vite être en mesure d'apprécier la réceptivité de la population, en se fondant sur des études sérologiques mais aussi sur l'étude des immunités acquises.
M. François Autain, président, a souhaité avoir les références des études qui, dès le mois de mai, permettaient de conclure à une virulence modérée du virus.
M. Didier Houssin a dit qu'il les communiquerait à la commission d'enquête. Il a ajouté que la recherche avait été très tôt mobilisée et qu'au cours d'un séminaire qui a eu lieu en juillet, M. Bruno Lina avait fait un exposé sur la virulence du H1N1.
Reprenant la question posée par le rapporteur, M. François Autain, président, a demandé pourquoi ces informations n'avaient pas été rendues publiques. Cela aurait pu éviter des inquiétudes ou des paniques - qui n'ont pas eu lieu mais qui auraient pu se produire compte tenu des premières informations, d'ailleurs erronées, venues du Mexique. Mais on insistait seulement sur le risque des mutations.
M. Didier Houssin a dit avoir le souvenir d'avoir indiqué, y compris dans les médias, qu'il y avait des éléments rassurants et d'autres moins. Même si le virus ne portait pas de gènes de virulence connus, on ne pouvait écarter à l'époque la possibilité de mutation vers une plus grande virulence - ce qui c'est produit en Norvège - ou une résistance aux antiviraux, non plus qu'un taux d'attaque élevé.
M. François Autain, président, a voulu savoir s'il avait le sentiment d'avoir communiqué en temps utile sur la bénignité du virus, malgré le risque de mutation.
M. Didier Houssin a réaffirmé qu'il avait le sentiment d'avoir fait état de ce « balancement » entre bénignité et risque de mutation, et qu'il avait souhaité insister sur le caractère incertain de toute prédiction.
M. Alain Milon, rapporteur, a souligné qu'il faudrait avoir les moyens de mesurer la réceptivité de la population pour évaluer le risque lié à une pandémie.
M. Didier Houssin a confirmé que, face à un phénomène infectieux émergent, il faudrait en effet étudier le virus, les symptômes cliniques qu'il provoque, mais aussi savoir comment le système immunitaire des êtres humains réagit à ce virus. L'épidémie du chikungunya qui a sévi à la Réunion en 2005 le démontre. C'était un virus a priori connu mais, a posteriori, on a vu qu'il avait génétiquement muté et que face à ce virus modifié la population était totalement naïve, d'où son taux d'attaque très élevé. Il est donc important de connaître rapidement la réceptivité de la population. Il faut pouvoir anticiper et s'organiser rapidement. C'est un problème de préparation. Par rapport à l'époque du chikungunya, nous avons été meilleurs dans la mobilisation de la recherche mais avons encore eu des difficultés pour trouver des fonds en urgence pour cette recherche. Une solution pourrait être, de même que l'on a fait des dossiers « mock up » pour faciliter l'octroi des autorisations de mise sur le marché des vaccins pandémiques, de monter un dossier « mock up », un dossier générique, scientifiquement évalué, des recherches à mener en cas d'émergence d'un phénomène infectieux, qui serait sélectionné par l'Agence nationale de la recherche, et que l'on « mettrait au frigidaire » pour le lancer en cas d'alerte. C'est une idée à expertiser.
M. François Autain, président, a évoqué à ce propos les difficultés du professeur Delfraissy pour trouver le financement du programme de recherches qu'il avait été chargé d'organiser et de coordonner sur la grippe H1N1.
Soulignant que le professeur Delfraissy avait agi très efficacement, M. Didier Houssin a relevé que la difficulté est, effectivement, d'anticiper les financements. Il faudrait donc pouvoir mobiliser un financement dans l'urgence, pour mener une stratégie de recherche qui peut être élaborée a priori.
Revenant sur la question de l'évaluation du risque, M. François Autain, président, a noté que M. Didier Houssin avait dit que, dès le mois de mai, il y avait de bonnes raisons de penser que la grippe H1N1 ne serait pas plus grave qu'une grippe saisonnière.
M. Didier Houssin s'en est défendu, rappelant qu'il avait dit, au contraire, que l'on n'était pas rassuré sur le taux d'attaque du virus, donc sur ce que pourrait être le taux de mortalité.
M. François Autain, président, a relevé à cet égard qu'au mois de juin, l'Institut de veille sanitaire (InVS), indiquait que la majorité des cas étaient bénins et que la grippe semblait devoir être modérément grave, comme la directrice de l'Institut, Mme Weber, l'avait elle-même exposé à la commission d'enquête. Pourtant, le même InVS a communiqué à la direction générale de la santé (DGS), le 28 septembre, un avis qui n'avait pas du tout cette tonalité rassurante. Cet avis se terminait en effet sur l'annonce d'un « nombre de décès allant de 6 400 à 96 000, soit de deux à trente fois supérieur à celui de la grippe saisonnière ». N'y a-t-il pas là une contradiction dans l'évaluation du risque ? Et quand l'InVS était-il crédible, en juin ou en septembre ?
M. Didier Houssin a répondu que c'était une question fondamentale car l'appréciation de la situation, par l'InVS et les organismes étrangers analogues, déterminait la conduite à tenir. Il n'y a pas eu de contradiction, sinon dans la perception que l'on peut avoir aujourd'hui de ces avis. La position de l'InVS a été stable jusqu'en septembre et elle ne pouvait laisser inerte. D'où la décision de préconiser à la ministre de lancer la campagne de vaccination. L'InVS a produit trois évaluations et l'article très intéressant paru dans le dernier Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), « De l'estimé à l'observé », montre bien que ces estimations conservaient toutes une dimension préoccupante en termes de risques d'hospitalisation et de létalité. Mais en juin, tout le monde avait en tête la pandémie de 1918 et c'est à la lumière de cela qu'il faut lire l'avis de l'InVS : on savait que ce n'était pas 1918, que la situation aurait pu être pire qu'elle n'était, mais ce n'est pas pour autant que l'affaire paraissait bénigne.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite posé des questions sur l'OMS. Quel jugement peut-on porter sur la gestion par l'OMS de la pandémie grippale ? Le maintien, récemment décidé, d'une alerte de niveau 6 au moins jusqu'à la mi-juillet, est-il justifié ? Que peut-on attendre des travaux du Comité d'examen du Règlement sanitaire international (RSI) présidé par Harvey Fineberg ?
Quels renforcements pourraient appeler les procédures de contrôle des conflits d'intérêts à l'OMS ?
Que penser, enfin, de l'European scientific working group on influenza (ESWI), des rapports avec l'OMS de cet organisme et des scientifiques qui en font partie ?
M. Didier Houssin a observé que ces questions permettaient de revenir sur l'hypothèse qui a conduit à la création de la commission d'enquête, celle d'une gigantesque manipulation fomentée par l'industrie pharmaceutique pour vendre des vaccins et des médicaments, ce qui supposerait qu'à tous les échelons l'expertise soit influencée, ou aux mains de cette industrie qui préparait la construction d'une fausse pandémie.
Il a rappelé que, lors de sa première audition, il avait avancé des arguments contre cette hypothèse. Ils lui paraissent renforcés par des éléments nouveaux. Ainsi, bien qu'il soit très critique, le rapport de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur la gestion de la pandémie, adopté le 24 juin dernier, reconnaît la complexité des décisions qui ont dû être prises en urgence à tous les niveaux. Il relève que l'OMS n'a pas eu l'intention de modifier sa définition d'une pandémie, même si les procédures ont pu être inopportunes et manquer de transparence ; il ne retient pas l'hypothèse du complot.
M. François Autain, président, a ajouté que le rapport souligne aussi que ces modifications ont alimenté les doutes quant à une pression morale exercée sur les décideurs, et qu'il pose tout de même une question : à qui bénéficient-elles ? Chacun peut y répondre comme il l'entend.
M. Didier Houssin a estimé que ce rapport, bien que très critique vis-à-vis de l'OMS, ne retenait pas l'hypothèse du complot fomenté par l'industrie pharmaceutique.
M. François Autain, président, a fait remarquer que le terme de « complot » n'avait jamais été employé. Peut-on dire pour autant que l'industrie pharmaceutique n'exerce aucune influence sur l'OMS ? Un article récent du British Medical Journal montre bien qu'il y a des liens d'intérêt très importants, les mêmes experts qui travaillent pour l'OMS travaillent aussi pour les laboratoires pharmaceutiques. Il y a quand même là une confusion des genres qui doit donner à réfléchir.
M. Didier Houssin est convenu qu'en effet les critiques faites à l'OMS portent plutôt sur son absence de transparence quant à l'indépendance de son expertise. Et le rapport propose une série de recommandations qui sont à retenir. L'OMS en a d'ailleurs déjà tenu compte. Elle a tout récemment décidé le retrait du Comité d'examen du Règlement sanitaire international (RSI) de deux personnes siégeant au Comité d'urgence. Cela va dans le sens d'une plus grande transparence. La décision, également toute récente, de la direction générale de renforcer les dispositions de déclaration de liens d'intérêt et le contrôle de potentiels conflits d'intérêts va aussi dans le sens de l'indépendance de l'expertise, et des recommandations du rapport. Il y a des leçons à tirer, en matière de publicité des liens et de procédures de gestion des conflits d'intérêts.
Cela dit, il ne faut pas sous-estimer, à côté de cela, le rôle positif de l'OMS dans la première application du RSI, qui est un acquis mondial très important puisqu'il tend à obliger les Etats à signaler les événements sanitaires de portée internationale. Il faut se souvenir qu'un Etat n'avait pas signalé, lors de l'épidémie de SRAS, les premiers cas survenus sur son territoire. Le RSI a bien fonctionné, puisque le Mexique - et il faut lui rendre hommage pour cela - a signalé à l'OMS ses premiers cas de grippe H1N1. Quant à l'Organisation, elle a été réactive et a mobilisé son Comité d'urgence. On ne peut tout de même pas lui reprocher d'avoir incité les Etats à se préparer et de les avoir alertés ! Non seulement l'OMS a été réactive, mais sa réaction, conformément à l'article 2 du RSI, a été proportionnée au danger puisqu'elle n'a pas recommandé de fermer les frontières ni d'interrompre les transports aériens. En revanche, il y a certainement des leçons à tirer au niveau de l'indépendance et de la transparence de l'expertise.
M. François Autain, président, a voulu savoir, si tout avait si bien fonctionné, pourquoi l'OMS avait jugé nécessaire de faire un audit.
M. Didier Houssin a rappelé que le RSI prévoit cette évaluation et que la directrice générale de l'OMS a annoncé sans hésiter qu'elle y procéderait. La personne nommée à la tête du Comité d'examen, le docteur Harvey Fineberg, président de l'Institute of Medicine américain, est l'auteur du rapport sur l'épidémie de 1976 aux Etats-Unis.
M. François Autain, président, a demandé si cette soumission de l'OMS à l'évaluation était spontanée.
M. Didier Houssin a dit en avoir l'impression. Mme Margaret Chan a affirmé que l'évaluation serait indépendante, et l'Organisation semble tenir compte, à travers des décisions toutes récentes, des recommandations tant du British Medical Journal que du Conseil de l'Europe.
M. François Autain, président, a rappelé la question de M. Alain Milon, rapporteur, sur l'ESWI et ses rapports avec l'OMS.
M. Didier Houssin a relevé un des points soulignés par le British Medical Journal, selon lequel l'auteur principal d'un guide de l'OMS sur l'utilisation des antiviraux avait un lien avec les producteurs de ces antiviraux. Ce genre de situation fait partie des choses qui devraient être améliorées.
M. François Autain, président, a ensuite interrogé M. Didier Houssin sur la gestion des conflits d'intérêts à la DGS, notant que celle-ci était satisfaisante dans les agences sanitaires, mais moins dans les instances qui relèvent de la direction générale, par exemple le Haut conseil de la santé publique (HCSP) ou le Comité de lutte contre la grippe (CLCG).
M. Didier Houssin a dit que, depuis des années, la direction générale de la santé se préoccupe de l'indépendance de son expertise. En 2007, elle a chargé Mme Dominique Furet d'un travail sur l'indépendance et la valorisation de l'expertise, qui a donné lieu en 2008 à un rapport, rendu public en 2009. Sur cette base, des actions ont été lancées dans deux directions. D'abord avec l'enseignement supérieur et la recherche, pour réfléchir aux moyens de valoriser l'expertise, très utile aux pouvoirs publics. Ensuite, a été lancée l'élaboration d'un projet de charte sur l'expertise, en lien avec le Comité d'animation du système d'agences (CASA) et en utilisant l'expérience et les acquis des agences sanitaires.
M. François Autain, président, s'est étonné que le président du HCSP ait invoqué des problèmes administratifs et informatiques pour expliquer le retard dans la mise en ligne des déclarations publiques d'intérêt (DPI) de ses membres. Quant au Comité de lutte contre la grippe, créé en 2008, on n'a connu les liens d'intérêt de ses membres qu'à la fin de 2009.
M. Didier Houssin a dit que le Haut Conseil en santé publique est une entité autonome qui a mis en oeuvre la publication des déclarations d'intérêt et qu'il n'avait pas le sentiment qu'on doive lui faire beaucoup de reproches à ce sujet. Le Comité de lutte contre la grippe, officialisé par un décret de juillet 2008 et installé en septembre de la même année, est composé de membres appartenant à d'autres instances et d'experts extérieurs. Dès son installation en septembre 2008, a été enclenchée la préparation d'un règlement intérieur et des déclarations publiques d'intérêt ont été faites. Mais il a pu y avoir un certain retard dans leur publicité parce que, entre le 25 avril 2009 et le 31 janvier 2010, le Comité a rendu en moyenne un avis tous les cinq jours et a tenu de multiples réunions - dont M. François Autain, président, a observé qu'elles étaient fréquemment tenues par téléphone. Ce n'est donc qu'en octobre 2009 que le règlement intérieur a été adopté et toutes les déclarations d'intérêt ont été rendues publiques le 3 novembre. Il y a donc eu des retards, dont la DGS accepte la responsabilité, mais il ne semble pas en revanche qu'il y ait de reproche à faire à la Haute Autorité de santé, à l'AFSSAPS ou au HCSP.
M. François Autain, président, a noté que ce dernier avait fait état de la faiblesse de ses moyens administratifs. Est-ce une raison suffisante pour ne pas se conformer à ses obligations ?
M. Didier Houssin a affirmé son intention de renforcer le dispositif de déclarations d'intérêt, de vérification de ces déclarations, pour mieux assurer le pilotage de cette dimension de l'expertise. Mais cela demande du travail.
M. François Autain, président, a souhaité savoir si la DGS entendait appliquer les recommandations du rapport de Mme Furet, qui a été publié mais n'a pas eu de suite, ou si ce rapport était destiné à rester dans un tiroir.
M. Didier Houssin a souligné que ce rapport avait d'autant plus d'importance pour la DGS qu'elle en est l'auteur, Mme Furet appartenant à la DGS. Il faut l'appliquer mais cela dépend beaucoup de la coopération de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite posé des questions sur les contrats de fourniture de vaccins :
- pour quelles raisons les marchés Sanofi et Novartis de 2005 contenaient-ils déjà des clauses de responsabilité de l'Etat équivalentes à celles des avenants et contrats de 2009 ? Ces clauses pouvaient-elles légalement déroger aux dispositions de la loi française et des textes communautaires ?
- Les contrats de 2005 portaient sur la fourniture de « traitements » pouvant correspondre à une ou deux doses de vaccin H5N1, car le schéma de vaccination était alors incertain. Le schéma de vaccination H1N1 étant tout aussi incertain lors de la conclusion en 2009 des avenants à ces contrats et des contrats Baxter et GSK, pourquoi les commandes ont-elles été exprimées en doses de vaccins ?
- Les calendriers purement indicatifs de livraison prévus par les contrats laissaient-ils le moindre recours à l'administration en cas de retards anormaux ou de défaut de livraison imputables aux fournisseurs ?
- M. Didier Houssin avait affirmé, lors de sa première audition, que les laboratoires n'étaient pas prêts à répondre à une demande importante de vaccins, assertion corroborée par d'autres personnes entendues par la commission d'enquête, qui ont indiqué que les vaccins avaient été livrés trop tardivement pour être utiles. Que se serait-il donc passé si la pandémie avait été grave ?
- Pourquoi les résiliations partielles de commandes n'ont-elles été signifiées qu'au début janvier, plus d'un mois après la confirmation par l'EMA, d'ailleurs tardive, qu'une seule dose de vaccin suffisait dans la plupart des cas ?
Répondant tout d'abord sur le sujet des clauses de responsabilité, M. Didier Houssin a observé qu'en matière de vaccins, il faut distinguer deux sortes de responsabilités. D'abord, la responsabilité dite « du fait du produit » en cas, par exemple, de défaut de celui-ci : elle incombe au fabricant et seul l'un d'eux avait demandé à en être exonéré, demande à laquelle il a renoncé. Mais il y a aussi la responsabilité liée à l'utilisation du vaccin, qui concerne d'éventuels effets indésirables. Dans la très grande majorité des cas, quand il y en a, ils sont mineurs et sans conséquences, et ils sont généralement identifiés lors des essais cliniques précédant l'AMM. Mais il peut y avoir aussi des effets indésirables inattendus. La France a accepté d'assumer la responsabilité des effets indésirables car les industriels ont fait valoir qu'ils n'étaient pas en mesure de les assurer. Cela s'explique par ce qui s'est passé aux Etats-Unis en 1976 : les industriels avaient estimé que ce risque n'était pas assurable et dit qu'ils ne fourniraient pas de vaccins si on leur laissait la responsabilité des effets indésirables.
M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé qu'en 1976 les Etats-Unis ont été obligés de modifier leur législation pour transférer à l'Etat cette responsabilité. Est-ce légal en France ou faudrait-il changer la loi ?
M. Didier Houssin a estimé, sous réserve de vérification, que cette responsabilité pouvait être prise en charge par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), dans le cadre de ce qui peut être considéré comme un aléa thérapeutique. Mais il a ajouté que si des effets indésirables sévères avaient été constatés, il aurait surtout appartenu à l'administration de prendre éventuellement la décision de suspendre la campagne de vaccination.
M. François Autain, président, a demandé si tous les Etats avaient endossé cette responsabilité, comme l'a fait la France, ou si certains d'entre eux avaient obtenu des laboratoires que ceux-ci restent responsables des effets indésirables.
M. Didier Houssin a dit qu'il n'avait pas connaissance de la rédaction des divers contrats mais qu'il lui semblait, d'après des échanges informels, qu'aucun Etat n'avait accepté de prendre la responsabilité du fait des produits. La ministre de la santé avait d'ailleurs défendu cette position auprès de ses collègues européens. En revanche, il a dit n'être pas sûr qu'un industriel ait accepté d'assumer la responsabilité des effets indésirables.
Sur la substitution des commandes de doses aux commandes de traitements, M. Didier Houssin a souligné qu'en mai 2009, la question s'était posée en termes de capacités de production. On était alors « le nez sur le carreau » et c'est ce qui a conduit à un calcul en doses sur la base de deux doses par personne.
En ce qui concerne, enfin, les calendriers de livraison, les industriels ont présenté des calendriers qui étaient toujours indicatifs, sans engagement, et ils ont accompli, semble-t-il, leurs meilleurs efforts pour des livraisons plus précoces et plus abondantes. Ils y ont plus ou moins réussi. Ils n'étaient en effet pas prêts à produire des quantités importantes dans des délais très brefs, d'où des livraisons progressives avec des « hoquets », en raison de difficultés liées le plus souvent à l'embouteillage. On peut d'ailleurs observer que les producteurs se sont adressés à l'Agence européenne du médicament, entre octobre et décembre, pour faire valider le recours à de nouveaux opérateurs afin de développer les capacités de mise en bouteille.
M. François Autain, président, a demandé s'il aurait été possible, comme l'ont fait d'autres pays européens, d'introduire dans les contrats des clauses de révision en fonction de l'évolution des recommandations sur le schéma vaccinal.
M. Didier Houssin a indiqué que les Etats qui avaient des contrats de réservation avaient pu prévoir des tranches conditionnelles. La France en avait prévu dans ses contrats de 2005 avec Sanofi et Aventis.
M. François Autain, président, a demandé quels pays avaient négocié de telles clauses.
M. Didier Houssin a dit qu'il croyait savoir que le Royaume-Uni en avait une avec GSK, l'Allemagne peut-être aussi. Mais la France n'avait pas de contrat de réservation avec GSK et n'était pas en position de force pour obtenir une clause de révision.
M. François Autain, président, a demandé s'il était impossible à un Etat n'ayant pas conclu de contrat de réservation d'obtenir de telles clauses.
M. Didier Houssin a indiqué que ce n'était pas facile et qu'il n'avait jamais eu l'impression que la France était suffisamment en position de force pour négocier de genre de clause.
Mme Marie-Thérèse Hermange lui a demandé s'il avait néanmoins essayé de négocier une clause de révision.
M. Didier Houssin a répondu que, bien sûr, cela avait été le cas. Il a estimé qu'il faudrait interroger les Etats étrangers qui n'avaient pas de contrat de réservation, mais qu'il serait surprenant qu'ils aient obtenu des tranches conditionnelles. Ce qui a mis la France en difficulté, c'est que le vaccin adjuventé Emerflu prévu pour début 2009 n'a pas eu son AMM : notre principal prestataire, Sanofi, ne pouvait donc le livrer. Il a donc fallu se tourner vers le seul fournisseur qui pouvait livrer rapidement en quantités suffisantes, c'est-à-dire GSK.
M. François Autain, président, s'est demandé si cette société n'avait pas un peu « chargé la barque ». Les fournisseurs ne se sont-ils pas comportés en commerçants plutôt qu'en agents comptables d'une certaine conception de la santé publique ?
M. Didier Houssin a estimé qu'il fallait considérer l'aspect positif : la France a pu disposer de vaccins. L'affaire se jouait à l'échelle mondiale. Il n'a pas eu le sentiment que ses interlocuteurs n'avaient pas de vision sanitaire, mais ils vendaient un produit.
M. François Autain, président, a demandé à M. Didier Houssin s'il avait des regrets sur les résultats de ces négociations ou, comme il l'avait dit au journal Libération, s'il referait la même chose ?
M. Didier Houssin a souligné que sa déclaration avait été amputée : il avait dit qu'il referait les mêmes choses avec « les mêmes éléments de connaissance ». Il y a au contraire énormément de leçons à tirer de cette expérience. Mais beaucoup de décisions ont été prises sous contrainte. D'autres choix importants ont pu être faits, ceux de la gratuité des vaccins, des priorités, du caractère obligatoire ou non de la vaccination, mais ils ont été peu commentés, alors que les options retenues auraient pu être différentes.
Quant aux retards dans la livraison, on faisait la course contre le virus sans être certains de pouvoir vacciner assez avant le pic pandémique. On a eu la chance que les classes ferment début novembre en Ile-de-France, ce qui a ralenti la propagation de l'épidémie, puis il y a eu un parallélisme entre la dynamique de l'épidémie et celle de la livraison des vaccins. On n'a certes pas été en avance, mais il était inespéré d'avoir les vaccins quand on les a eus.
M. François Autain, président, a demandé si l'on avait commandé des vaccins en pensant qu'ils arriveraient trop tard.
M. Didier Houssin a répondu que l'on espérait qu'il y en aurait assez à temps. La résiliation a été décidée par la ministre après que le choix entre une dose ou deux doses a été suffisamment éclairci - en novembre - et que les approvisionnements ont été suffisants pour que cette décision soit possible sans risquer une interruption des livraisons.
M. François Autain, président, a observé que le ministère ne semblait pas faire beaucoup confiance à ses fournisseurs.
M. Didier Houssin a précisé qu'il y avait eu des glissements dans les livraisons et qu'il n'avait pas semblé souhaitable de s'exposer à un glissement majeur.
M. Alain Milon, rapporteur, a relevé qu'il y avait eu en effet des « trous » dans les livraisons. GSK a commencé de livrer à la semaine 41, Sanofi à la semaine 46, et il y a eu, avant la fin de l'année 2009, deux semaines sans aucune livraison.
M. Didier Houssin a indiqué que le rétablissement de Sanofi pour la fourniture de son vaccin non adjuvanté avait évité un retard beaucoup plus important. Cela aurait pu être bien pire, l'autorisation du vaccin Humenza adjuvanté étant intervenue en février ou mars 2010.
Revenant ensuite sur les conditions de fixation des quantités achetées - 94 millions de doses « et plus si affinités » -, M. François Autain, président, a rappelé que lors de sa première audition M. Didier Houssin avait dit que cette décision avait été prise après s'être référé aux experts. Mais il n'a trouvé aucun avis très explicite, sur ce point, du HCSP ni du CLCG. C'est dans un document mentionné en bas de page d'un avis de ce dernier que l'on trouve une référence à un chiffre. Le CLCG a été saisi le 8 mai, parce qu'il fallait un avis, le laboratoire exigeant une réponse pour le 12 mai. Son chantage a bien marché. Le CLCG a rendu un avis - que le HCSP n'aurait certainement pas pu émettre aussi vite. Mais il s'est contenté, pour ce faire, de recopier un avis de 2008 du HCSP portant sur les modalités de vaccination contre le virus H5N1, qui recommandait d'avoir des vaccins pour toute la population ou, à défaut, de vacciner certaines catégories de personnes prioritaires. Il faut admettre, du reste, qu'il n'aurait pas pu faire grand-chose d'autre en si peu de temps, malgré la grande compétence de ses membres. Mais peut-on considérer qu'il s'agit là d'un avis scientifique ? En fait, la décision prise était politique, elle n'avait pas de bases scientifiques.
M. Didier Houssin a rappelé le travail antérieurement effectué, sur la question de la vaccination en situation pandémique, avec le comité de lutte contre la grippe et le Haut Conseil de la santé publique. Il y avait un avis de 2008 pour une vaccination contre le virus H5N1 et le contexte n'était pas très différent, compte tenu de l'incertitude de la situation.
Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) avait aussi retenu le principe d'une vaccination générale. Le CLCG a été saisi le 8 mai, mais la décision formelle n'a été prise par le Premier ministre que le 3 juillet, après que le comité technique des vaccinations et le HCSP ont clairement indiqué l'importance d'une vaccination large.
M. François Autain, président, a rappelé que dans une lettre du mois de mai à la ministre de la santé, M. Didier Houssin recommandait d'accepter la proposition de GSK. La décision formelle n'était peut-être pas prise le 11 mai, mais elle était en voie de l'être !
M. Didier Houssin a observé que cette lettre était une simple préconisation de valider les lettres d'intention. Mais la décision formelle n'est intervenue que le 3 juillet et les notifications de contrats entre le 15 et le 20 juillet.
M. François Autain, président, a estimé que la commande avait en fait eu lieu le 14 mai, quand une lettre d'intention a été adressée à GSK, assortie d'un versement de 75 millions d'euros hors taxes. On peut dire qu'il était toujours possible de revenir dessus mais, à cette date, les choses étaient faites. L'essentiel a eu lieu durant ces quatre jours de mai et sur des bases scientifiques très légères : ainsi, la faible pathogénicité du virus n'a pas été prise en compte. C'est troublant !
M. Didier Houssin a récusé cette analyse. Il y a eu une expertise. Outre le comité de lutte contre la grippe qui a donné une orientation, le Haut Conseil de la santé publique et le comité technique des vaccinations ont été consultés. Il y a également eu, le 26 juin, un avis du comité des maladies transmissibles. Ces avis ont été les bases de la décision politique. Il a ajouté que nos voisins britanniques, ainsi que les Etats-Unis et le Canada s'engageaient au même moment dans des acquisitions de vaccin dans des proportions comparables : le comportement des autorités françaises n'était donc pas aberrant.
M. François Autain, président, s'est félicité que les autres pays d'Europe n'aient pas commis la même erreur.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si le contrat aurait pu être annulé si le HCSP avait infirmé l'existence d'une pandémie.
M. Didier Houssin a rappelé que la lettre d'intention du 14 mai n'était pas un contrat.
M. Alain Milon, rapporteur, a objecté que 75 millions d'euros avaient été versés.
M. Didier Houssin a indiqué que ce versement n'avait eu lieu qu'en septembre. La DGS avait sollicité l'avis de l'InVS, qui n'était pas si rassurant, et l'on a consulté le HCSP sur l'opportunité de lancer la campagne de vaccination. Si les avis rendus avaient été différents, la DGS en aurait bien sûr averti la ministre. Mais l'ensemble des pays ont déclenché leurs campagnes de vaccination dans la même période. Si le HCSP, l'InVS ou les pays voisins avaient constaté que le virus avait cessé de circuler, on aurait renoncé et peut-être résilié les contrats.
M. Alain Milon, rapporteur, a souligné que des garde-fous avaient donc été prévus pour éventuellement permettre de faire marche arrière.
M. Didier Houssin a rappelé qu'il avait en permanence gardé à l'esprit les conclusions du rapport de l'Institute of Medicine sur la grippe porcine de 1976 aux Etats-Unis : on avait tout mis « dans la même seringue », l'acquisition des vaccins, la définition des priorités, le lancement de la campagne, obligeant ainsi le président Ford à tout décider par une seule décision. Il faut au contraire que le pouvoir politique puisse revenir en arrière et c'est pourquoi, à chaque étape, de l'acquisition des vaccins au lancement de la campagne en passant par l'organisation de la vaccination, la décision politique a été précédée d'une expertise.
M. Alain Milon, rapporteur, a jugé que la démarche était intéressante. Si on s'était rendu compte que la poursuite de la vaccination était inutile, aurait-on pu revenir en arrière ? On avait passé des commandes fermes.
M. Didier Houssin a observé que l'on avait surtout envisagé le cas d'une vaccination à risque, avec des effets indésirables graves : on aurait alors pu stopper la campagne, s'il l'avait fallu. On se serait alors retrouvé dans la situation que l'on a connue en janvier, lorsqu'on a résilié une partie des commandes.
M. Alain Milon, rapporteur, a estimé nécessaire de réfléchir au contenu des contrats, M. Didier Houssin convenant qu'il aurait été souhaitable d'avoir pu prévoir des tranches conditionnelles mais que l'on était contraint par le temps et par l'industrie.
M. François Autain, président, a noté que le HCSP n'avait pas évoqué, dans son avis de juin, la quantité de doses à acheter : la question ne lui avait pas été posée. Il a seulement dit qu'on connaissait mal les adjuvants, et que l'on ignorait l'immunogénicité d'un vaccin. Mais une fois que la commande était passée, c'était tout ou rien. On ne pouvait qu'annuler la commande, l'avis du HCSP n'aurait pas pu la modifier.
M. Didier Houssin a souligné que l'on ne peut pas demander aux experts plus qu'ils ne peuvent dire. La décision politique est intervenue au croisement d'une doctrine élaborée au préalable, d'un avis éthique sur l'accès à la vaccination, des informations disponibles sur la compliance et l'insensibilité au virus, et de grandes incertitudes. Des avis ont été rendus sur l'opportunité d'une vaccination comme sur l'identification des populations prioritaires. La décision politique intervient au point d'équilibre entre plusieurs analyses. Il aurait été inconvenant de demander au HCSP un avis sur l'importance des achats à effectuer.
M. François Autain, président, a observé que le Comité de lutte contre la grippe en avait donné un. Il recommandait d'acheter 108 millions de doses. On est allé jusqu'à 138 millions, dont 94 fermes. Le Comité de lutte contre la grippe peut donc donner des avis mais pas le HCSP, qui a pourtant plus de poids ? C'est étonnant.
M. Didier Houssin a jugé qu'il ne fallait pas sous-estimer le CLCG, qui possède une compétence particulière en matière de grippe.
M. Alain Milon, rapporteur, a voulu savoir s'il était exact que GSK avait imposé une commande ferme de son vaccin le 12 mai.
M. Didier Houssin a dit que GSK avait demandé une expression d'intention clairement formulée à une date précise : il ne s'agissait pas d'une commande ferme, mais il y avait, c'est vrai, une contrainte de temps. La société voulait pouvoir répartir sa production entre les pays intéressés.
M. François Autain, président, a demandé si c'était un ultimatum. Il fallait répondre le 12 mai à minuit ?
M. Didier Houssin a confirmé qu'il fallait apporter à GSK, le 12 mai à minuit, une réponse confirmant notre intérêt pour leur produit.
Audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports
La commission d'enquête a ensuite entendu Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.
M. François Autain, président, a remercié la ministre d'avoir répondu à l'invitation de la commission d'enquête et d'avoir accepté de clore le cycle de ses auditions, qu'elle avait d'ailleurs ouvert.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, s'est félicitée de pouvoir s'exprimer à nouveau devant la commission d'enquête, au terme de ses auditions.
Lors de sa première audition, elle avait tenu à présenter les valeurs qui l'avaient animée face à une menace sanitaire potentiellement grave et chargée d'incertitude.
Elle s'est dite convaincue qu'au terme de ses travaux la commission d'enquête avait à coeur de tirer des enseignements de cette pandémie et qu'elle entendrait faire des propositions concrètes, notamment pour rendre plus opérationnels, plus efficaces et plus impartiaux les avis d'experts qui sont le socle de la prise de décision des gouvernants.
Face à la pandémie grippale, la France avait l'impérieux devoir de se préparer. Nous ne partions pas de rien. Des menaces comme la grippe aviaire ou le SRAS étaient apparues et, sous l'impulsion de l'OMS, la France avait accompli un important travail de préparation dans les domaines de la veille sanitaire, de l'expertise, de la planification. Un plan national de prévention et de lutte contre la pandémie grippale avait été élaboré et sans cesse ajusté, gagnant en adaptabilité, prenant en compte, au-delà du sanitaire, les nécessités de la solidarité et de la continuité de la vie sociale.
Ce plan a, certes, été la première victime du virus H1N1, parce que les menaces ne prennent jamais la forme que l'on attend. On craignait un virus aviaire, virulent, venu d'Asie, il a été porcin, contagieux, venu d'Amérique. Nous étions préparés au pire et il ne s'est pas produit, même s'il ne faut pas oublier les centaines de familles endeuillées.
Etions-nous trop préparés, enfermés dans un scénario trop pessimiste, éloigné de la réalité de la menace telle qu'elle s'est concrétisée ? Les responsables politiques ont une obligation de préparation, comme tous les autres Etats comparables l'ont fait. On reproche parfois au pouvoir politique de n'en avoir pas fait assez. Ainsi, la mission d'information sénatoriale sur la canicule de 2003 avait eu des mots très durs : « la réponse de la société française a été tardive, insuffisante, inadaptée, désordonnée » ; la commission d'enquête de l'Assemblée nationale avait quant à elle parlé d'une gestion empirique, d'une crise subie. La menace H1N1 a été mieux gérée grâce à d'intenses efforts de préparation qui ont permis de mobiliser tous les acteurs, de détecter la menace, de déclencher les mesures adaptées.
Le plan n'a pas été appliqué aveuglément. Il a été utilisé quand c'était nécessaire : ainsi, nous ne sommes jamais passés à la phase 6, tenant compte de la réalité de la menace, modérée. L'on n'a pas appliqué un modèle, préférant sans cesse l'adapter. Le plan se présente comme un outil opérationnel fondé sur des mesures applicables en fonction de la situation concrète. C'est ce qui a été fait.
La gravité d'une pandémie ne tient pas seulement à la virulence d'un virus, mais à la confrontation de celle-ci à la préparation d'un système de soins. Il fallait se prémunir de l'incertitude sur la gravité en proposant la vaccination à tous, et préparer notre système de soins.
Il ne faut donc pas balayer le plan pandémie d'un revers de main. Le virus H5N1 n'a pas disparu ; il était considéré comme une menace crédible hier et le redeviendra peut-être. Le 11 juin 2009, l'OMS a déclaré une pandémie « mild », c'est-à-dire d'une virulence modérée, mais la mutation du virus restait possible, l'acquisition de facteurs de virulence, de résistance, de contagiosité. Il y avait un moyen de prévention : la vaccination.
Il fallait permettre à chacun de se protéger : 94 millions de doses ont été acquises, compte tenu d'un schéma vaccinal à deux doses et de ce que l'on pouvait augurer de l'adhésion à la vaccination.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a souligné qu'elle avait été attentive à l'expérience de l'hémisphère sud ; les indications ont été contrastées mais, malgré un taux d'attaque modéré, des structures de soins intensifs ont été au bord de la rupture en Australie. En novembre, le virus a muté en Norvège, provoquant des formes graves. L'on ignorait si ce virus mutant deviendrait transmissible. Il n'y avait pas de quoi être rassuré.
Ce n'est qu'une fois le pic pandémique atteint, en décembre, que l'on a su que la morbidité et la létalité seraient modérées : elle a alors allégé le dispositif de vaccination et résilié plus de la moitié des commandes de vaccins.
Selon un schéma vaccinal à deux injections, sauf pour la tranche des personnes âgées, compte tenu de la compliance observée lors des vaccinations contre la grippe saisonnière - 65 % des populations cibles - et du taux de vaccination contre la méningite B en Seine-Maritime - plus de 85 % -, il a été considéré que 25 % de la population ne se feraient pas vacciner. On a donc acquis 94 millions de doses, pour 47 millions de vaccins. A l'époque, le 23 juillet 2009, 67 % de la population disaient leur intention de se faire vacciner, M. François Autain, président, notant que, selon M. Michel Setbon, un tel taux d'intention pouvait se réduire à 30 % environ de vaccinations effectives.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a constaté que, comme l'indiquent les sondages successifs, nos concitoyens ont voulu, puis n'ont plus voulu se faire vacciner.
Pourquoi ce changement de cap ? Un tableau récapitulatif des sondages le montre. Certains ont pris peur, à la suite de rumeurs sur les adjuvants, les vaccins... On a même parlé « d'expérimentation grandeur nature ». Il y a eu de la désinformation. Pourtant, on a attendu les autorisations de mise sur le marché et les résultats de la pharmacovigilance démontrent la vanité des craintes sur la sécurité des vaccins. Et, a contrario, on critique aujourd'hui des procédures qu'il faudrait alléger : il faudrait, comme aux Etats-Unis, supprimer les essais. La sécurité doit cependant rester une préoccupation essentielle.
La ministre a souligné qu'il importait, à présent, de préparer ensemble l'avenir et elle a souhaité évoquer, à ce sujet, la question de la coordination européenne.
Le dimensionnement de nos acquisitions tient beaucoup à la rigidité des contrats proposés. Nous n'avons pu en négocier une part sous forme de tranches conditionnelles, car les industriels avaient besoin de lisibilité pour leur production. Diminuer les tranches fermes, c'était donc s'exposer à des livraisons tardives. L'enjeu serait le même demain, face à une menace similaire, car les gouvernements souhaitent le maximum de souplesse et les industriels ont besoin de certitudes pour lancer une production.
La France n'a pas la taille critique face à eux : l'offre est réduite à vingt-sept producteurs, mais quatre seulement étaient susceptibles d'avoir une autorisation de mise sur le marché européenne.
Il faudrait, face à cette offre réduite, pouvoir mieux structurer la demande européenne.
La sécurité sanitaire, priorité de la présidence française de l'Union européenne, a été le thème d'une réunion informelle du conseil des ministres de la santé à Angers en 2008.
Cette réunion a permis de coordonner les mesures de surveillance et d'évaluer les mesures de gestion à prendre, mais non de progresser sur l'acquisition coordonnée de stocks stratégiques. C'est pourtant, même si les compétences déléguées à l'Union européenne en matière de santé sont restreintes, une voie que l'on pourrait explorer.
Mais une écrasante majorité des Etats membres était défavorable, en 2008, à des stocks de vaccins communs dans un scénario de crise sanitaire, sans doute parce que les pays qui en ont les moyens préfèrent agir indépendamment et parce que les plus pauvres n'ont pas de moyens suffisants pour investir dans ce secteur.
Il n'a donc pas été possible, à Angers, de progresser sur la question des contre-mesures médicales comme on l'a fait sur les autres aspects de la gestion des menaces sanitaires graves. Huit mois plus tard, il était trop tard pour inverser cette logique. Les Etats membres ont donc négocié avec les industriels en ordre dispersé, et ils en ont payé le prix.
La présidence belge de l'Union entend solliciter des retours d'expérience au niveau communautaire ; c'est indispensable, car nous pouvons progresser sur cette question, et les réflexions de la commission d'enquête pourraient y contribuer.
M. Alain Milon, rapporteur, a souligné que la commission d'enquête avait été surprise d'apprendre du professeur Delfraissy qu'à la différence d'autres pays européens, aucun financement n'avait été prévu en France pour le programme de recherches sur la grippe H1N1 qu'il a été chargé d'organiser. Les projets prévus seront-ils financés ? Selon l'INSERM, un projet visant à évaluer au plan immunologique et génétique les cas de grippe sévères survenus sans facteur de risque serait en cours de validation. Peut-on être assuré qu'il sera mené à bien ? Il est en effet très important de pouvoir élucider les causes de ces cas inexpliqués.
Plus généralement, la grippe H1N1 ne met-elle pas en évidence l'importance de la recherche en immunologie ? Ce sont sans doute, comme l'ont montré les travaux dont a fait état devant la commission le professeur Philippe Kourilsky, des phénomènes d'immunité cellulaire qui expliquent le caractère généralement bénin de la grippe A et le nombre des cas asymptomatiques. Ne faudrait-il donc pas développer les recherches sur l'immunité croisée au niveau cellulaire ?
Peut-on également continuer de se satisfaire d'une mesure incertaine de l'efficacité des vaccins ? Ne faudrait-il pas, par conséquent, mener aussi des recherches sur l'efficacité de la vaccination antigrippale ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a dit partager les préoccupations du rapporteur. La recherche biomédicale est une priorité. Les crédits pour les dépenses d'avenir sont affectés à des cohortes, dont deux sont dédiées à la grippe H1N1, et un certain nombre d'autres projets de recherche seront aussi menés dans le cadre du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC).
M. Didier Houssin a appuyé la nécessité de développer la recherche en immunologie et celle de démontrer l'efficacité vaccinale. Il a rappelé l'idée de préparer des dossiers « mock up » d'autorisation de recherche permettant de mobiliser des financements le moment venu.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a ajouté que les chercheurs étaient quant à eux très mobilisés et a proposé de communiquer au rapporteur la liste des programmes de recherche en cours.
M. Alain Milon, rapporteur, s'est ensuite félicité du succès des incitations au développement de la vaccination antipneumococcique.
Selon le directeur général de la CNAM, le nombre de vaccinations antipneumococciques a quintuplé en 2009 - ce qui prouve d'ailleurs que les médecins généralistes savent promouvoir des actions de prévention. Il a souhaité savoir si la ministre continuerait à encourager cette vaccination. Il s'est également demandé comment restaurer la confiance en la vaccination, que l'épisode de la grippe H1N1 aura sans doute entamée.
S'associant à ces propos, M. François Autain, président, a déploré le recul continuel de la vaccination dans notre pays et redouté que la crise pandémique ait donné des arguments aux ligues antivaccinales.
Se félicitant que la politique de mobilisation sur le vaccin antipneumococcique ait porté ses fruits, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a souligné que, loin d'avoir tout misé sur la vaccination H1N1, le ministère de la santé a déployé un arsenal global : politiques de prévention, isolement de certains malades, adaptation des préconisations en matière d'antiviraux, dont ont fait partie les recommandations auprès des médecins sur la vaccination antipneumococcique.
M. Didier Houssin a indiqué que ce succès avait failli provoquer une rupture des stocks de vaccin disponibles, et il a relevé que cette vaccination avait sans doute évité un nombre considérable de cas de complication de la grippe.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a observé que la sévérité modérée de la pandémie était aussi due à ce déploiement de mesures variées. L'acquisition et la répartition judicieuse d'appareils de réanimation sophistiqués, d'oxygénation extracorporelle, ont aussi permis de sauver des vies.
Elle a noté que l'adhésion des professionnels de santé à la vaccination avait considérablement augmenté, dans un contexte défavorable, regrettant à cet égard les déclarations obscurantistes de certains responsables.
M. François Autain, président, a demandé si ces propos visaient les positions prises par certaines organisations de personnels infirmiers.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin en est convenue et a regretté que les professionnels concernés n'aient pas fait preuve de plus de sérieux scientifique. Il ne faut pas oublier que le personnel soignant est à l'origine de 50 % des cas de grippe nosocomiale. L'absentéisme dû à la grippe est en outre source de désorganisation des soins et de dégradation de leur qualité. Elle a donc annoncé avoir demandé que la vaccination contre la grippe saisonnière soit un indicateur ICALIN de mesure de la lutte contre les infections nosocomiales. Il convient en effet de développer notre culture de santé publique et de regagner la confiance de nos concitoyens. Les discours catastrophistes se sont révélés infondés, d'autant plus que l'on ne peut nier le travail de qualité de la pharmacovigilance, que d'aucuns jugent même trop pointilleuse.
M. François Autain, président, a observé que, si l'on peut douter de l'efficacité de la vaccination antigrippale, elle est en revanche tout à fait sûre.
M. Alain Milon, rapporteur, a remarqué que le HCSP s'était néanmoins prononcé contre la vaccination obligatoire du personnel hospitalier, prévue par la loi, M. François Autain, président, rappelant que cette mesure était issue d'un amendement du Sénat, sur lequel le comité technique des vaccinations avait eu des réticences.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a souligné que la vaccination obligatoire se heurte à la liberté personnelle en la matière, à laquelle elle est très attachée, et elle a marqué sa préférence pour une démarche volontariste.
M. François Autain, président, a rappelé que M. Michel Setbon avait contesté les modalités retenues pour calculer le taux d'attrition et regretté que l'on ne prenne pas en compte le taux de vaccination pour la grippe saisonnière, qui est de 27 % pour l'ensemble de la population, plutôt que celui de la vaccination contre la méningite, qui est naturellement élevé dans les régions concernées.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a répondu que M. Michel Setbon avait oublié que le vaccin contre la grippe saisonnière n'est proposé qu'à une partie de la population, parmi laquelle le taux de vaccination est de 65 %. La vaccination contre la grippe H1N1, quant à elle, était proposée, même si certains groupes étaient prioritaires, à l'ensemble de la population.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si le ministère de la santé avait disposé des sondages en temps réel, notant que la commande de vaccins prévoyait de couvrir 75 % de la population, au-delà des 67 % qui déclaraient en juillet avoir l'intention de se faire vacciner.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a estimé qu'il fallait tenir compte d'un sentiment d'irréalité, tant que la menace n'était pas constatée. Plus de 65 % de la population cible se font vacciner contre la grippe saisonnière, qui n'est pourtant pas jugée dangereuse ; face à une maladie grave, comme la méningite, le taux de vaccination est de 85 %. Le chiffre retenu était dans cette fourchette.
M. Alain Milon, rapporteur, a noté que dans le cadre de la campagne de lutte contre la grippe H1N1, les mesures d'hygiène ont montré leur efficacité et ont été largement suivies. Les campagnes de sensibilisation dans ce domaine seront-elles renouvelées l'automne prochain ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin l'a catégoriquement affirmé. Cette campagne a stoppé la propagation du virus H1N1 et elle a également notablement limité les gastro-entérites et les bronchiolites. On estime qu'une épidémie entraîne des désordres dans le système hospitalier à partir de 700 000 consultations supplémentaires ; or, malgré les 900 000 consultations liées à la grippe H1N1, il n'y a pas eu cette année d'effet de bascule vers le système hospitalier. A la suite de cette campagne, 40 % des Français ont modifié leur comportement ; c'est énorme ! Mais il faut poursuivre cet effort de sensibilisation, pour éviter que la mobilisation ne retombe.
M. Alain Milon, rapporteur, a fait remarquer que certains Etats, comme les Etats-Unis, consacrent systématiquement une partie de leurs dépenses de réponse aux crises sanitaires à des infrastructures pérennes. D'autres, comme l'Italie, ont créé des établissements spécialisés dans les maladies infectieuses. Ne serait-il pas indiqué, dans la perspective de l'émergence de nouvelles maladies infectieuses, de développer des moyens d'accueil adaptés dans les établissements de santé ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a estimé que le secteur hospitalier avait disposé des moyens nécessaires pour prendre en charge les cas graves, prise en charge à laquelle ont participé les urgentistes, les neurologues, les pédiatres... L'on a également recouru à toutes les techniques pour faire face aux besoins, y compris, quand c'était nécessaire, à la déprogrammation de certaines interventions non urgentes.
Mais la pandémie grippale a aussi posé la question de la structuration de notre médecine de ville et de son adaptation aux crises sanitaires. La création des agences régionales de santé (ARS) est une première réponse, et l'on peut regretter qu'elles n'aient pas encore été, au moment de la crise, en mesure de mutualiser les moyens entre hôpital, médecine de ville, secteur médico-social et assurance maladie. La ministre a dit avoir demandé aux médecins de réfléchir à une organisation de la médecine de ville, autour d'une structuration « dormante », activable en temps de crise. Il est évidemment absurde de dire - et elle ne l'a jamais dit - que les médecins ne peuvent pas vacciner. Mais faire reposer une vaccination de masse entièrement sur la médecine de ville poserait des problèmes logistiques insolubles.
M. Alain Milon, rapporteur, a remarqué que depuis le début de la préparation à une éventuelle pandémie de la grippe H5N1, l'OMS a largement recommandé aux Etats membres de soutenir le développement de la production de vaccins antipandémiques. Elle n'a cependant pas mis l'accent, comme l'avait regretté l'an dernier le représentant du Royaume-Uni au conseil exécutif de l'OMS, sur une stratégie vaccinale à long terme orientée vers la recherche et le développement de vaccins dits « à large spectre » ou universels. Des recherches en ce domaine sont pourtant en cours aux Etats-Unis. La France ne devrait-elle pas soutenir une telle orientation ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a répondu à cette question par l'affirmative.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite fait valoir que la grippe est rarement très dangereuse dans les pays développés, qui sont les plus à même de stocker des antiviraux ou d'acheter des vaccins. Les dons prévus aux pays les plus pauvres, dont la population est la plus vulnérable, ne semblent pas de nature à réduire ce déséquilibre. Comment rendre plus équitable l'accès aux moyens de lutte contre une pandémie grippale ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a tout d'abord rappelé que la France, comme les Etats-Unis, a accepté de donner 10 % de ses vaccins, via l'OMS, dès le début de la pandémie.
M. François Autain, président, a fait observer que le coût de ces dons, quelque 75 millions d'euros, devrait être déduit du coût global de la vaccination.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin est convenue qu'ils correspondaient à une dépense d'aide au développement, domaine dans lequel la France est un contributeur important.
M. François Autain, président, a relevé que la grippe A se faisait encore attendre en Afrique.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a estimé que le réseau de veille sanitaire africain est trop défaillant pour que l'on puisse conclure sur la présence de la pandémie grippale en Afrique. C'est pourquoi la France s'attache à renforcer la capacité des systèmes de santé des pays en développement, et à y développer des systèmes d'assurance maladie universelle, car les mesures d'aide d'urgence doivent s'accompagner d'actions en profondeur.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite voulu connaître le jugement que portait la ministre sur la gestion par l'OMS de la pandémie grippale. Le maintien jusqu'à la mi-juillet d'une alerte de niveau 6 est-il justifié ? Qu'attendre des travaux du Comité d'examen du Règlement sanitaire international présidé par Harvey Fineberg ? Ne faut-il pas, enfin, renforcer le contrôle des conflits d'intérêts à l'OMS ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin s'est étonnée que l'OMS ait été accusée d'avoir changé sa définition de la pandémie entre 2005 et 2009. Cette définition est, en effet, régulièrement actualisée et sera à nouveau réexaminée en 2014. C'est une coïncidence si la dernière actualisation est intervenue au moment où surgissait le virus H1N1, ce n'est pas la pandémie qui a provoqué la nouvelle définition. Celle-ci repose sur trois critères : la globalité, l'émergence d'un virus nouveau, la naïveté immunitaire d'une majeure partie de la population. La gravité n'est pas un critère.
M. François Autain, président, a demandé s'il ne fallait pas le regretter.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a noté que l'appréciation de la gravité pouvait différer selon les pays. Dans des pays sans organisation sanitaire, à la population jeune, la pandémie a été plus sévère et la mortalité importante.
M. François Autain, président, a fait observer que si la gravité n'est pas un critère, on pourrait donc déclarer des pandémies de rhume de cerveau.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a rappelé que pour parler de pandémie, il faut l'émergence d'un nouveau virus.
M. François Autain, président, a jugé que le virus A (H1N1)v n'était pas aussi nouveau qu'on l'a dit. Mme Roselyne Bachelot-Narquin s'est refusée à entrer dans ce débat d'experts, dont M. François Autain, président, a souligné qu'ils étaient en effet divisés sur ce point.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a estimé pertinents les critères retenus par l'OMS. Par ailleurs, la nouvelle définition des phases de la pandémie proposée en 2009 est plus restrictive et plus précise que celle de 2005 : la phase 6 ne se définit plus par la seule transmission accrue et durable dans la population générale, mais par des flambées soutenues à l'échelon communautaire dans au moins deux régions. C'est un critère objectif. Le procès fait à l'OMS sur ce point paraît donc infondé.
M. Alain Milon, rapporteur, a évoqué les interrogations soulevées par le fait que la définition de la pandémie sur le site Internet de l'OMS a changé entre le 1er et le 15 mai 2009.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a répondu que cela n'avait pas empêché l'OMS de qualifier l'épidémie de modérée. La thèse du complot mondial a volé en éclats. La direction de l'OMS souhaite par ailleurs rendre plus transparents les comités d'experts comme le groupe stratégique consultatif d'experts sur la vaccination - qui ne compte pas de Français - ou le comité d'urgence. Il faut s'en réjouir.
M. François Autain, président, a demandé à la ministre si elle connaissait l'identité des membres de ce comité d'urgence.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a dit que seule l'identité de son président, le professeur Mackenzie, avait été rendue publique, M. Didier Houssin précisant qu'il avait démissionné du comité d'examen du règlement sanitaire international.
M. François Autain, président, s'est étonné que la lettre d'intention adressée à la société GlaxoSmithKline (GSK) le 14 mai pour la commande de 50 millions de doses de vaccin, qui engageait la France pour 75 millions d'euros hors taxes, n'ait pas été signée par elle-même mais par son directeur de cabinet.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a indiqué que son directeur de cabinet avait une délégation de signature générale, et rappelé que les décisions sur les commandes de vaccin avaient été prises au plus haut niveau de l'Etat.
M. François Autain, président, est volontiers convenu que la ministre ne pouvait pas signer toutes les lettres, mais il en est de plus importantes que d'autres, et celle-là aurait pu être signée par la ministre elle-même.
Notant que l'évaluation du coût de la campagne de vaccination diminue au fil des mois, le prix de l'injection étant ainsi ramené à une centaine d'euros, il a voulu savoir si le chiffre de 48 millions représentait la totalité du montant des dédits versés pour les résiliations. La négociation avec GSK est-elle toujours en cours ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a rappelé son intention de ne faire bénéficier aucun laboratoire d'un traitement de faveur. Deux d'entre eux ont accepté les conditions de résiliation. La réponse de GSK, qui a jusqu'à septembre pour présenter un recours, est encore attendue.
M. Alain Milon, rapporteur, a observé qu'en Allemagne, l'Etat n'a pas payé d'indemnité de résiliation, mais verserait une subvention à GSK.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a relevé que les Allemands avaient été moins exigeants que les autorités françaises, et a estimé qu'à l'heure des comptes on s'apercevrait que la France ne s'en était pas si mal sortie.
M. François Autain, président, a jugé que ce n'était pas l'impression qui ressortait des investigations de la commission d'enquête. La France ne semble pas être le pays qui a le mieux négocié avec les laboratoires.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a souligné que la résiliation effectuée par l'Allemagne était moins importante que celle de la France.
M. François Autain, président, a imputé ce fait au caractère démesuré de la commande française initiale.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a réfuté cette interprétation et affirmé qu'elle s'honorait d'avoir voulu proposer la vaccination à l'ensemble de la population. Sa démarche était éthique et technique : elle a donc affirmé que, loin de s'en excuser, elle la revendiquait.
M. François Autain, président, a noté que l'on pouvait imaginer opérer autrement, comme l'ont fait d'autres pays, et avec plus de succès.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a rappelé que le Royaume-Uni avait acheté suffisamment de doses pour couvrir le double de sa population, et réaffirmé qu'elle s'honorait du choix fait par la France, que peu d'acteurs politiques contestaient en juillet 2009. Un député l'avait même sommée d'acheter 120 millions de lunettes de piscine, 120 millions de combinaisons de peinture et 7 milliards de masques. Elle ne l'a pas fait, et elle a dit revendiquer aussi ce choix.
M. François Autain, président, a donné acte à la ministre qu'elle n'avait jamais invoqué le principe de précaution ou de prévention, se référant uniquement à l'éthique. S'il fallait, pour satisfaire à l'éthique, proposer la vaccination à ceux qui le souhaitaient, fallait-il pour autant commander autant de doses ? On a fait état des sondages. La lecture de la courbe d'évolution des intentions de vaccination aurait dû inciter le Gouvernement à plus de modération. Les vaccins ont été commandés avant que soit élaborée la stratégie de vaccination : c'était faire les choses à l'envers ! Si les Français se sont détournés de la vaccination, c'est qu'ils n'ont pas perçu la menace annoncée. Il aurait fallu recueillir l'avis d'experts, se fonder sur un avis scientifique, mais cela n'a pas été le cas.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin s'est étonnée qu'un médecin tienne ce discours. Pour la première fois dans l'histoire, nous avions un vaccin avant de rencontrer le flux pandémique, grâce aux évolutions de la science et à la réactivité de l'industrie pharmaceutique. Il aurait certes été plus facile de laisser se développer la pandémie, et certes, il n'y avait pas de cas de grippe en juillet. Tous les experts lui ont dit leur grande incertitude sur l'évolution de la pandémie. Comment imaginer qu'un ministre de la santé, face à la perspective d'une grippe aux conséquences potentiellement très graves, et qui peut disposer d'un vaccin, ne le fasse pas !
Pouvait-on attendre avant d'acheter les vaccins ? La capacité de production de l'industrie pharmaceutique était limitée ; sur 900 millions de doses, le président Obama voulait en préempter 600 millions pour vacciner l'ensemble de sa population. Les laboratoires ont besoin de commandes fermes : l'idée de commandes modulables est une absurdité en termes industriels. Les pays qui ont obtenu des tranches conditionnelles avaient pris des engagements auparavant.
La ministre est ensuite revenue, en réponse à une question de M. Alain Milon, rapporteur, sur l'évolution des sondages. On constate une diminution des intentions de vaccination en octobre et une remontée fin novembre. Ces mouvements s'expliquent par une active campagne incitant à la méfiance vis-à-vis de la vaccination et par la constatation que l'épidémie sera moins sévère que prévu. La remontée de novembre s'explique par l'arrivée effective de la grippe et par la mutation du virus en Norvège.
M. Didier Houssin a précisé que les sondages montraient un plateau assez stable en juillet/août ; la cassure se produit début septembre, puis on assiste à une diminution progressive.
Mme Christiane Kammermann a souhaité féliciter la ministre, dont elle a jugé qu'elle s'était, pendant cette crise, comportée de façon magnifique. On l'a attaquée, elle avait d'énormes responsabilités et elle a su les assumer avec courage. Elle a dit ne pas douter que, si une nouvelle menace se profilait, la ministre saurait aussi y faire face.
Revenant sur la nécessité de développer la recherche en immunologie, elle a ensuite demandé si la France avait un plan à ce sujet.
M. Didier Houssin a répondu que lorsqu'apparaît une épidémie, il faut étudier l'agent infectieux mais aussi, sans attendre, la réceptivité de la population à cet agent. Il a donc renouvelé la proposition de constituer un programme de recherche générique, soumis à une expertise scientifique et dont on prévoirait le financement. Dès lors, si une épidémie surgissait, on aurait en réserve un programme de recherche financé par anticipation. Cela permettrait de ne pas être pris au dépourvu.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a noté que Mme Christiane Kammermann posait la question, lancinante, des leçons à tirer de cette pandémie. La remerciant de son appréciation, elle a dit avoir voulu en effet être responsable pendant cette crise et s'être efforcée d'agir au mieux de l'intérêt de ses compatriotes. Mais elle ne l'a pas fait toute seule : il faut reconnaître aussi le mérite de la communauté soignante dans sa totalité, le dévouement des fonctionnaires et de l'administration territoriale, qui s'est déployée sur le terrain.
Il y a eu dans cette crise de nombreux points positifs : elle a donc souhaité que la commission d'enquête instruise « à charge et à décharge ». Premier point positif ; la réactivité à l'alerte. On dispose à présent, dans le monde entier, de clignotants qui permettent de déceler, en temps réel, toutes les alertes. Face au virus, les mesures prises ont été adéquates - centres 15, signalements à l'InVS, recours aux mesures d'isolement, diagnostics effectués dans les laboratoires hospitaliers -, tout cela permis de ralentir la pénétration du virus. Il s'est écoulé près d'un mois entre les premiers cas, importés du Mexique, et les cas secondaires dus à une transmission autochtone. Le Royaume-Uni, par exemple n'a pas eu la même démarche, la même réactivité que nous.
Autre point positif : l'acceptation par tous des mesures-barrières apparaît comme une victoire pour la santé publique. Il faut aussi se féliciter de la capacité de notre système de soins à faire face à une épidémie nouvelle : les établissements de santé et les médecins, hospitaliers ou libéraux, ont su s'adapter.
M. François Autain , président, a demandé si la ministre considérait que les médecins libéraux n'avaient su s'adapter qu'à partir du mois de janvier.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a répondu qu'après comme avant, ils avaient été nombreux dans les centres de vaccination et qu'ils avaient assuré une masse énorme de consultations supplémentaires.
M. François Autain , président, a noté que la France avait été le seul pays à créer un dispositif ad hoc pour la vaccination.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin s'est inscrite en faux contre cette affirmation. De nombreux pays ont organisé des centres de vaccination.
M. François Autain , président, a répondu que ce n'avait pas été le cas en Europe.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a cité les exemples du Canada et des Etats-Unis, qui ne sont pas précisément des pays sous-développés.
M. François Autain , président, a opposé ceux de l'Allemagne, du Royaume-Uni et, bien sûr, de la Pologne.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a relevé un cinquième point positif : la rapidité avec laquelle l'Institut Pasteur a mis au point, dès le 5 mai, un test diagnostic fiable, permettant de pister la pandémie. Sixième point positif : la mobilisation de l'appareil d'Etat. Elle s'est rendue dans de nombreux centres de vaccination. On peut toujours gloser sur ces centres. Il reste que c'étaient des structures non pérennes, surgies de terre dans l'urgence, où quantité de professions et de gens différents, bénévoles ou non, se sont réunis et mobilisés de tout leur coeur. Ces centres ont parfaitement fonctionné dans 90 % des cas, et lorsqu'il y a eu des dysfonctionnements, ils ont été réparés en une semaine. On peut donc rendre hommage aux personnels qui les ont fait fonctionner.
Tous ces points positifs donnent confiance dans la capacité de la France d'affronter un jour une pandémie plus grave.
Bien entendu, a-t-elle ajouté, quelques points sont améliorables. On peut noter d'abord, à cet égard, la difficulté à communiquer avec la population et les médecins. L'on n'a pas suffisamment tenu compte du fait que les nouvelles techniques de communication permettent désormais à n'importe quel « expert » autoproclamé de raconter n'importe quoi, si bien que sa voix pèse autant que celle d'un grand scientifique : toute hiérarchie entre les émetteurs a disparu.
Elle a, pour sa part, toujours voulu tenir un langage de vérité et adapter sa communication aux marges d'incertitude de la situation. Mais, dans la communication, l'effort de vérité se retourne parfois contre l'émetteur. Il faudrait savoir responsabiliser nos concitoyens sans être anxiogène.
Autre point négatif : certains professionnels de santé se sont estimés mal informés. Ils n'étaient donc lecteurs d'aucun quotidien, récepteurs d'aucun média ? Sans parler des lettres adressées personnellement à chaque médecin du site du ministère, des réunions organisées par les préfets.
Il faut aussi rétablir la confiance entre les experts et l'opinion. Les experts sont irremplaçables et ils pourraient nous faire défaut demain. On leur a fait tant de procès en incompétence, on a tellement mis en cause leur honorabilité que l'on peut craindre qu'ils refusent de s'engager lors d'une prochaine pandémie.
Il faut aussi travailler sur l'acceptation de la vaccination. Il faut réfléchir à l'organisation d'une éventuelle vaccination de grande ampleur.
Au total, il faut conserver une capacité d'adaptation et de remise en cause : en cas de crise, il faut un plan mais aussi de la souplesse. Il faut savoir s'extraire des « cathédrales administratives ». Peut-être nos compatriotes auraient-ils préféré voir appliquer un « grand vrai plan » : elle a préféré la vérité, l'adaptabilité et l'éthique.