Mardi 22 juin 2010
- Présidence de M. Dominique Braye, président -Examen du rapport d'information
M. Dominique Braye, président. - Nous sommes réunis pour l'adoption du rapport qui vous a été transmis il y a quelques jours. Après avoir donné la parole au rapporteur, je vous propose de faire un tour de table des remarques que vous auriez à formuler sur les conclusions qui vous ont été remises.
M. Daniel Soulage, rapporteur. - L'échéance annoncée de remise du rapport a été respectée, nous sommes à la disposition des membres de la mission pour répondre à leurs remarques et questions sur les conclusions proposées.
M. Gérard Miquel. - Je ne reviendrai que sur quelques points. Il existe plusieurs systèmes de traitement, et toutes les collectivités, notamment rurales, ne peuvent s'offrir un incinérateur. Il ne faut pas stigmatiser tel ou tel procédé et tous ont leur place, en fonction des conditions locales et des quantités à traiter.
Sur les plans départementaux, que vous recommandez d'adapter aux bassins de vie, je souhaiterais obtenir des précisions. Par ailleurs, je m'oppose au fait de transférer au préfet le pouvoir d'élaborer les plans départementaux. Cela reviendrait sur 25 ans de décentralisation !
Le tri mécano-biologique (TMB) ne peut être rejeté de façon systématique. Certains procédés fonctionnent et doivent être examinés de près.
Enfin, sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), nos propositions sont légères. Ce prélèvement est pénalisant pour les zones rurales, et pour le stockage par rapport à l'incinération. Le barème devrait tenir compte de l'effort de recyclage accompli par les collectivités, cela serait incitatif ! Je proposerai des amendements en ce sens lors du prochain débat budgétaire.
Mme Évelyne Didier. - Je vous ai remis une contribution personnelle, modeste, mais qui m'a permis de mettre en ordre ma pensée. J'ai lu le rapport et l'emploi répété de certaines expressions, telles que l'« innocuité sanitaire garantie » de l'incinération, ou encore son caractère « vertueux », me semble inapproprié.
Je ne souscris pas à cette analyse, même si je pense qu'un travail très fin a été accompli par le rapporteur et le président, retraduisant en toute transparence l'ensemble des nuances des avis exprimés au cours des auditions.
M. Jacques Muller. - Ce rapport apportera beaucoup aux élus qui ne disposent pas d'une culture approfondie sur les déchets. Il repose sur un vrai travail de terrain, même si je regrette que la mission ne se soit pas déplacée dans le Haut-Rhin, où nous avons acquis une réelle expérience en matière de collecte sélective des biodéchets. Vous avez travaillé de manière ouverte et transparente, mais trois points me posent problème.
Sur l'incinération, le Grenelle affirme clairement une hiérarchie qui privilégie la valorisation matière. Le rapport réhabilite l'incinération, d'abord au plan sanitaire. Il faut être prudent : les normes résultent d'un compromis et peuvent être éternellement débattues. Aux Etats-Unis, les normes sur les dioxines sont cent fois plus sévères ! Ensuite, la question du coût de traitement des fumées n'est pas abordée en détail, alors qu'il pourrait augmenter significativement les prix de traitement. Mulhouse a récemment investi 14 millions d'euros pour remettre à niveau ses systèmes de traitement.
Sur l'antithèse entre le tri et l'incinération, je veux préciser que si, dans le Haut-Rhin, nous n'avions pas lutté contre la création d'un troisième incinérateur, nous n'aurions jamais atteint les performances actuelles en matière de collecte sélective de biodéchets. A Thann, au terme de six mois d'expérience, 80 kilogrammes par an et par habitant sont récupérés. Je terminerai, pour l'incinération, sur les refus qu'elle génère, et notamment les mâchefers et les REFIOM. Il ne faut pas occulter cette dimension. Certes, l'incinération couplée à la valorisation énergétique est infiniment préférable au stockage, mais la valorisation matière doit primer.
Sur les biodéchets, notre manière d'aborder la question de la collecte sélective est un peu pessimiste, et consiste notamment à dire qu'on ne récupère jamais plus de 50 % du gisement. Dans le Haut-Rhin, nous y parvenons. Thann atteint une performance de 80 %. Les moyens utilisés sont essentiels : il faut des outils techniques adaptés et une offre de services. En outre, la collecte sélective n'est pas forcément plus chère, car elle remplace une autre collecte.
S'agissant du TMB, notre position a évolué vers la prudence : la valorisation à des fins agricoles peut poser, à moyen terme, des problèmes. C'est une bonne chose de le signaler. Néanmoins, notre message implicite semble être de coupler le TMB et l'incinération, dans la mesure où nous émettons des réserves, par ailleurs, sur la collecte sélective des biodéchets. C'est un peu dommage.
Concernant la facturation incitative, nous avons dépassé le stade des premiers retours d'expérience. Un minimum de 50 à 80 % de part fixe me semble exagéré. Dans le Sundgau, la part fixe est à 30 %, et cela fonctionne. Le tourisme des déchets est un problème, mais seulement si les autres collectivités ne mettent pas en place la tarification incitative (TI). Enfin, le sur-tri peut survenir, mais uniquement au cours de la période de « rodage » de la TI. Quant au recours à la levée du bac, vous le qualifiez de « moins mauvaise solution ». C'est un peu péjoratif car la TI est une voie d'avenir !
Je pense, enfin, que nous aurions pu davantage insister sur la valorisation matière et rappeler que toute analyse de coût doit se faire de manière intégrée, en incluant les modes de collecte, et sans se limiter au coût de la tonne traitée. A terme, nos poubelles sont un gisement intéressant dans un contexte de raréfaction des énergies fossiles. La question est de savoir si les éco-citoyens s'en emparent ou si l'on s'en remet aux grands groupes pour l'exploiter.
M. Dominique Braye, président. - Je vous propose que nous répondions à cette première série de remarques et de questions, avant de poursuivre le tour de table.
M. Daniel Soulage, rapporteur. - Les éléments du rapport relatifs à la planification, inspirés par les auditions, peuvent être modifiés pour tenir compte des préoccupations exprimées.
S'agissant du TMB, les positions des membres de la mission ont évolué au fil des auditions. Il est certain que cette technique a progressé. Mais il nous faut intégrer la possibilité d'une révision des normes françaises et européennes qui pourrait limiter l'utilisation du TMB pour produire un compost agricole, que la France est aujourd'hui seule à pratiquer avec l'Espagne. Les normes françaises relatives aux teneurs minimales en substances polluantes pour les composts agricoles sont inférieures à celles d'un certain nombre de pays européens. En revanche, le TMB resterait pertinent pour d'autres objectifs comme le pré traitement avant stockage, la production d'un compost non agricole ou de combustibles solides de récupération, etc. Je relève que seul le compost issu d'une collecte sélective de la fraction fermentescible est aujourd'hui labellisé bio. Nous devons tenir compte de cet élément puisque les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement pour développer ce type d'agriculture sont ambitieux. S'agissant, enfin, du procédé de méthanisation, il fonctionne bien sur des déchets organiques homogènes.
Le rapport propose un moratoire sur la hausse de la TGAP en attendant l'évaluation de la réforme. Je souligne que les travaux de la mission ont bien montré que le stockage restait indispensable, y compris pour les refus sortants des usines de méthanisation. Il faut tenir compte de cet élément.
M. Dominique Braye, président. - L'éventualité de confier au préfet l'élaboration des plans départementaux n'est formulée, dans le rapport, que sous la forme d'une question. S'agissant de la méthanisation, nous avons observé que, dans un grand nombre de cas, elle est utilisée faute de pouvoir mettre en oeuvre une autre technique.
Par ailleurs, j'estime que le rapport propose des mesures fortes concernant la TGAP : avancement de la clause de revoyure d'un ou deux ans, gel de la hausse des taux dans l'intervalle, volonté de concilier la logique de « produit » avec celle d'incitation à des comportements vertueux.
Le rapporteur et moi-même sommes particulièrement attachés à la hiérarchie européenne des modes de traitement, qui donne la priorité à la prévention et à la valorisation matière. Celles ci sont d'ailleurs évoquées au début et à la fin du rapport. Mais l'objet de celui-ci est centré sur les différents modes de traitement des ordures ménagères résiduelles, dont le choix constitue un enjeu majeur pour les élus.
S'agissant de l'incinération, je tiens à souligner que l'affirmation selon laquelle les normes de rejets de dioxine sont beaucoup plus strictes aux Etats-Unis qu'en France est fausse. Tout d'abord, il s'agit de normes européennes et non françaises. En outre, les scientifiques indiquent que, si l'on fait une comparaison en utilisant les mêmes conventions, les valeurs limites en dioxines imposées aux Etats-Unis sont en réalité 2 à 3 fois plus élevées. Il est certain qu'il n'existe pas d'innocuité totale dans un monde caractérisé par des pollutions d'origine multiple, mais la France se distingue par des contrôles particulièrement drastiques, notamment dans le domaine des émissions de dioxines et de leurs effets sur les populations. Des études scientifiques ont aujourd'hui montré que la proximité d'une unité d'incinération aux normes n'avait pas d'influence sur les teneurs en substances polluantes présentes dans le sang des riverains. Sur ce sujet, la France paie les erreurs du passé.
Pour ce qui concerne la taille des installations, il convient de prendre en compte le coût du traitement des fumées, qui est fixe. C'est pourquoi il faut un tonnage minimal. Les Allemands l'ont fixé entre 200 000 et 300 000 tonnes. La réflexion sur cette question en France doit tenir compte de la densité de population.
Les pays européens « verts » tels que la Suède, les Pays-Bas ou le Luxembourg sont ceux qui incinèrent le plus et sont également ceux qui ont les taux de recyclage les plus élevés. Pour éviter tout risque de concevoir les incinérateurs comme des « aspirateurs à déchets », il est prévu, aux termes de la loi « Grenelle II », de limiter la capacité des incinérateurs à 60 % des déchets produits sur un territoire.
La mission n'a pu se rendre dans le Haut-Rhin faute de temps mais elle a visité une plate forme de compostage sur fraction fermentescible collectée sélectivement dans le Centre Hérault. Je pense que les collectes sélectives de biodéchets peuvent poser des problèmes de coût et d'acceptabilité par les citoyens. En revanche, elles permettent de produire un compost de très bonne qualité, vendu par exemple, dans l'Hérault, à 25-30 euros la tonne.
Nous souhaitons que le rapport soit un outil d'aide à la décision pour les élus. Il était à cet égard particulièrement nécessaire de remettre l'incinération à sa place, compte tenu du discrédit dont elle souffre actuellement. Je rappelle que le dernier incinérateur qui n'était pas aux normes a été fermé en 2003. S'agissant du dimensionnement des outils de traitement, il faut l'adapter en fonction des spécificités des territoires : aux élus d'établir un diagnostic en fonction de celles-ci et de décider. La TGAP ne doit pas, en tout état de cause, « plomber » les budgets consacrés aux déchets.
M. Gérard Miquel. - Je souhaite simplement que, sur l'incinération, les termes soient modérés.
Mme Évelyne Didier. - Moi également.
M. Dominique Braye, président. - Scientifiquement parlant, l'innocuité absolue est impossible. Nous allons donc trouver une expression qui convienne mieux.
M. Gérard Miquel. - J'apprécierais aussi que l'on mette plus en évidence les objectifs chiffrés du Grenelle.
M. Dominique Braye, président. - C'est d'accord. Mais encore une fois, le rapport ne traite que des ordures ménagères résiduelles.
M. Daniel Soulage, rapporteur. - Nous ne pouvions pas nous déplacer partout en France. Il y avait sûrement des choses très intéressantes à voir dans l'Est. Il existe dans toutes les régions des personnes décidées, actives et enthousiastes...
Mme Esther Sittler. -.à l'alsacienne !
M. Daniel Raoul. - Sur le tri mécano biologique, il faudrait modifier l'intitulé du chapitre. Le mot « risque » me gêne.
M. Dominique Braye, président. - Nous sommes tous deux des scientifiques. Nous savons qu'il faut être suffisamment précis afin que ce rapport soit un vrai guide pour les élus. Si l'on se réfère à l'expérience de Launay Lantic, qui pourrait être menacée par une interdiction des mélanges, il est difficile de ne pas parler de risque.
M. Daniel Raoul. - Je connais bien ce site, mais je pense que nous pourrions nous accorder sur un autre terme. Je pense aussi que la valorisation matière doit être mieux mise en valeur. Mais de manière générale, le rapport est bien documenté.
M. Dominique Braye, président. - On replacera la valorisation matière en introduction du rapport. Celui-ci ne fait la promotion de rien, la preuve : il condamne la technologie du lit fluidisé que j'avais moi-même retenue !
M. Daniel Dubois. - Il faut bien faire valoir que les territoires ruraux ne peuvent pas avoir les mêmes solutions que les territoires urbains. Et les ruraux, qui travaillent bien en amont de la chaîne de traitement, notamment sur le recyclage, ne devraient pas être pénalisés comme c'est le cas actuellement. Il est nécessaire aussi d'améliorer l'efficience de l'évaluation. Elle doit prendre en compte le transport des déchets et le bilan carbone global.
M. Jean-Marc Pastor. - Je suis globalement en accord avec les conclusions du rapport et les remarques faites précédemment. Il m'a toutefois semblé, au vu d'une lecture rapide, que l'incinération était trop facilement présentée comme une solution idéale. En réalité, si j'avais eu un projet d'incinérateur, j'aurai dû m'associer avec plusieurs départements pour atteindre la taille critique ! Les techniques sont vraiment liées au territoire et, à ce titre, il faut manier avec prudence la notion de bassin de vie pour la définition du plan d'élimination des déchets ménagers et assimilés (PEDMA).
M. Gérard Miquel. - Je suis opposé au transfert de la compétence d'élaboration des PEDMA au préfet.
M. Dominique Braye, président. - Le préfet doit intervenir en arbitre, à la demande des élus.
M. Jean-Marc Pastor. - Sur le bioréacteur, il faut montrer qu'il est intermédiaire entre la méthanisation et le stockage.
M. Dominique Braye, président. - Nous avons effectivement placé le bioréacteur à son rang.
M. Jean-Marc Pastor. - Le rapport de la mission porte uniquement sur la partie résiduelle des déchets. C'est vrai également dans le domaine fiscal. La TGAP traite de cette part des déchets, alors que la valorisation matière implique de s'intéresser aux relations avec Eco-emballages. Il faudra un jour envisager un débat général sur l'ensemble de la fiscalité du déchet. Quant au choix des modes de traitement, je pense que plusieurs critères entrent en jeu : le temps du traitement, de 48 heures à plusieurs années, le territoire et le niveau de la valorisation énergétique.
M. Dominique Braye, président. - Cette idée, comme bien d'autres sujets, pourra être développée en octobre à l'occasion du débat en séance publique que nous avons demandé.
M. Pierre Hérisson. - Je souhaite souligner le développement des contentieux concernant l'usage des mâchefers dans les infrastructures routières. C'est un problème qui tient à l'absence de certitude juridique, car les mâchefers conservent leur statut de déchets industriels.
Mme Esther Sittler. - Le rapport de la mission, qui a fait du bon travail, est attendu par les élus.
M. Dominique Braye, président. - Je mets aux voix le rapport de la mission d'information, qui sera modifié comme nous l'avons décidé.
M. Jacques Muller. - Je m'abstiens.
M. Dominique Braye, président. - Je constate que le rapport est adopté à l'unanimité des votants.