Mardi 8 juin 2010
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -Régulation bancaire et financière - Audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France
La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, sur le projet de loi de régulation bancaire et financière.
M. Jean Arthuis, président. - Notre commission a aujourd'hui le plaisir et l'honneur d'accueillir Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. Je le remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous souhaitions l'entendre sur le projet de loi de régulation bancaire et financier sur lequel l'Assemblée nationale se prononcera le 10 juin. Nous appliquons, en l'espèce, le principe de précaution car ce texte viendra en discussion au Sénat fin septembre. Mais, pour être en mesure de remplir pleinement nos prérogatives, mieux vaut, dès à présent, préparer l'instruction de ce dossier. Je salue la présence de l'ancien sénateur Paul Loridant, conseiller spécial du gouverneur, dont le parcours suscite notre admiration. Nous conservons un souvenir nostalgique de la période où il siégeait au sein de notre commission. Sur ce projet de loi, nous auditionnerons également des responsables des agences de notation demain matin ainsi que Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), le 15 juin.
Ce texte prévoit la création d'un Conseil de régulation financière et du risque systémique, la ratification de l'ordonnance qui a créé l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), issue du rapprochement de la Commission bancaire et de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM), ainsi que la création de collèges de superviseurs pour la surveillance consolidée des établissements transnationaux.
Dans un contexte de crise de la dette européenne, l'agenda est très chargé. De nombreuses questions liées à la régulation bancaire et financière seront traitées lors du prochain sommet du G20 à Toronto ou dans des propositions de législation européenne d'ici début 2011. Je pense, entre autres, à la mise au point du futur régime prudentiel dit « Bâle III », à la création de fonds de résolution - non de sauvetage - des établissements financiers systémiques, à la création d'une taxe dont le produit serait mobilisé en cas de défaillance d'un tel établissement, à l'encadrement des ventes à découvert ou encore à l'obligation de compensation et d'enregistrement pour les produits standardisés, tels les credit default swaps (CDS). Il nous faut également procéder à la transposition dans notre droit national de la nouvelle supervision communautaire des agences de notation qui devra, le cas échéant, être adaptée pour mieux tenir compte de la spécificité des dettes souveraines.
Monsieur le gouverneur, nous aimerions également connaître votre point de vue, en qualité de président de la Banque des règlements internationaux (BRI) - je vous félicite de cette nomination -, sur les travaux en cours tant au niveau européen qu'international.
M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. - Merci de cette invitation. Permettez-moi de souligner le bon équilibre de l'ordonnance créant l'ACP, soumise à votre ratification. De fait, cette réforme vise à unifier et à étendre la surveillance prudentielle afin de rendre possible un suivi transversal des risques du secteur financier - cela représente un pas important dans le sens des synergies et rapprochements souhaités par votre commission -, à doter l'ACP de responsabilités en matière de protection de la clientèle et à maintenir l'adossement de l'ACP à la banque centrale, ce modèle français de proximité entre banque centrale et superviseur ayant montré sa supériorité au cours de la crise. Ensuite, le collège de l'ACP rassemble des personnalités qualifiées dans les domaines de la banque et de l'assurance. Enfin, l'octroi de larges possibilités de délégations au président ou au secrétaire général permet souplesse et réactivité en cas d'urgence.
En matière d'organisation interne, notre souci, dès la publication de l'ordonnance, a été de préserver les compétences du secrétariat général de la Commission bancaire et celles de l'ACAM, compétences nécessaires à la qualité des contrôles individuels, pour le premier, dans le secteur de la banque, pour le second, dans le domaine des assurances, tout en commençant à mélanger, avec précaution mais détermination, les équipes afin de contrôler des groupes actifs dans les deux secteurs. Les débuts sont prometteurs. Nous avons également rapproché les équipes scientifiques qui travaillent respectivement sur les modèles internes de « Bâle II » et sur la réforme « Solvabilité II ». Enfin, nous avons mis en place une direction du contrôle des pratiques commerciales et le pôle commun avec l'AMF, prévu dans l'ordonnance.
La création du Conseil de régulation financière et du risque systémique répond à la nécessité d'instaurer une surveillance macro-prudentielle, enseignement que nous tirons de la crise. L'idée est de détecter les phénomènes présentant un risque, non pour des établissements en particulier, mais pour l'ensemble du système. Comment parer à ces risques ? Souvent par une modification de la réglementation et de la législation. Comment les détecter ? Par un balayage systématique de tout développement inquiétant, anormal, dangereux. De tels organismes de surveillance, généralement articulés autour de la banque centrale et du superviseur, voient actuellement le jour au niveau international, avec le Forum de stabilité financière devenu le Conseil de stabilité financière à la demande du G7 et du G20, appuyé sur la BRI, qui a désormais pour mandat de repérer les tendances porteuses de risques et de proposer au G20 des modifications en matière de règles internationales. Au niveau européen, le Comité européen du risque systémique, qui est l'une des propositions de l'excellent rapport Larosière, fait actuellement l'objet de discussions entre le Conseil et le Parlement européen, et devrait être opérationnel à la fin de l'année prochaine. La Banque centrale européenne (BCE) se prépare déjà à soutenir ledit comité en procédant à des exercices à blanc de balayage des risques systémiques. Au niveau national, le Conseil de régulation financière et du risque systémique regroupera en son sein le ministre de l'économie, les responsables des autorités de contrôle et le gouverneur de la Banque de la France. Sa mission, qui était déjà celle du collège des autorités de contrôle des entreprises du secteur financier, sera plus largement de veiller à la coopération entre les autorités qui le composent et de reprendre la fonction des groupes de coordination nationale institués par le mémorandum européen de coopération sur la gestion des crises systémiques, signé en 2005 et actualisé en 2008. Pour ma part, je n'ai pas eu besoin de l'institution de ces groupes pour rencontrer le ministre de l'économie quand besoin est...
M. Jean Arthuis, président. - Autrement dit, cette fonction est déjà assurée...
M. Christian Noyer. - Tout à fait ! Et le contraire serait inquiétant !
Nous travaillons à atteindre un consensus sur la réforme de la réglementation prudentielle des banques, « Bâle III ». L'an dernier, est intervenu un premier accord au sein du Comité de Bâle sur les exigences de capital pour les opérations de marché, en particulier pour les opérations de titrisation. La crise des subprimes a montré en effet que les exigences étaient mal calibrées. L'Europe comptait mettre en oeuvre ce nouveau dispositif, qui fera partie de « Bâle III », dès l'an prochain, contrairement aux États-Unis. Au sein du G20, il est admis que mieux vaut agir de concert, quitte à repousser l'application de ces règles à fin 2011. Les exercices de calibrage ayant montré que l'impact des différentes règles envisagées différait sensiblement de celui qui était prévu, des ajustements sont probables dans les semaines prochaines. En outre, les superviseurs nationaux dépouillent l'étude d'impact faite auprès d'un grand nombre d'établissements sur les propositions formulées en décembre sur la qualité de la définition du capital, les différentes déductions, la couverture de certains risques et les règles de liquidité. L'ensemble de ces travaux sera consolidé au sein du Comité de Bâle et de la BRI. A ma demande, nous travaillons également à une étude sur l'impact macro-économique de ces mesures sur la capacité des banques à distribuer du crédit et, partant, sur le financement de la croissance. Le but n'est aucunement de renoncer à des renforcements nécessaires, mais de ménager une progression pour éviter des retombées négatives.
Les grandes orientations devraient être dessinées mi-juillet, moment où se tiendront de nouvelles réunions. J'espère que nous présenterons alors un paquet de mesures plus précises sur l'harmonisation et la composition des fonds propres, le provisionnement prospectif contracyclique et les exigences en matière d'activités de titrisation. Certaines des propositions au sein de ce paquet présentées pour étude d'impact en décembre dernier par le Comité de Bâle nous paraissaient mériter des ajustements. L'étude d'impact le confirme, en particulier s'agissant du traitement de certaines déductions - par exemple, la déduction des intérêts minoritaires et des participations dans les compagnies d'assurance va à l'encontre de la notion de groupe consolidé et de la directive européenne sur les conglomérats financiers -ou encore s'agissant de sujets plus techniques tels les actifs d'impôts différés. Pour finir, quelques mots sur les ratios. La France préfère au ratio de levier, trop fruste, le ratio pondéré en fonction du risque. Quant aux ratios de liquidité proposés, ils avaient été étudiés un peu vite : si le ratio de liquidité à court terme paraît utile, la liste des actifs considérés liquides doit être considérablement élargie pour tenir compte de la période de refinancement de l'Eurosystème ; le ratio à long terme n'est pas encore au point.
M. Jean Arthuis, président. - Merci de ces précisions.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Puisse ce projet de loi, sur lequel la commission n'a pas nommé de rapporteur et qui devrait encore faire l'objet d'ajustements, sortir de l'Assemblée nationale frappé de quelques incohérences afin que notre valeur ajoutée soit aussi importante qu'à l'accoutumée... Pour l'heure, je m'interroge principalement sur les agences de notation. L'instauration d'un régime de responsabilité sans faute en cas de notation erronée par les agences de notation, débat à la mode au Palais-Bourbon, constitue-t-elle une piste réaliste et féconde dans le contexte européen et mondial ? Ensuite, à la faveur de la crise grecque, la BCE n'a pas subordonné, contrairement à l'habitude et aux règles de « Bâle II », la prise en collatéral de titres de dette publique à la notation des agences. Cette évolution est-elle une réponse à une situation d'urgence ou peut-on imaginer qu'elle préfigure un nouveau cadre d'intervention ? Au demeurant, est-il cohérent que la BCE se réfère à une notation fixée par des agences privées lorsqu'il s'agit de titres de dette souveraine d'un État actionnaire à son capital ? Si la BCE devait multiplier les interventions de ce type, quel serait l'impact sur son bilan ? Enfin, y a-t-il lieu de s'inquiéter des nouvelles tensions sur le marché des liquidités interbancaires dont nous avons tous eu vent ? La BCE a été réactive, mais quelle visibilité avez-vous sur les marchés de très court terme et le marché interbancaire ?
M. Christian Noyer. - L'introduction, dans le seul périmètre français, d'une responsabilité sans faute des agences en cas de notation erronée aurait pour conséquence la quasi-disparition de la notation au détriment des entreprises qui y font appel - elles auraient plus de mal à émettre et émettraient plus cher - ou le renchérissement de cette notation - car les agences seraient conduites à constituer des provisions pour risques -, ou encore la délocalisation complète de l'activité hors de France. Ce genre de mesures doit être discuté au niveau international, étant entendu qu'il y a la solution du code civil en cas de faute évidente avérée.
Je crois davantage à la piste européenne consistant à exiger des agences de notation des assurances sur les conflits d'intérêts - si faute déontologique il y a, elle doit être sanctionnée - ou encore sur la clarté des notations. Pour exemple, malgré les résistances des agences, je continue à penser qu'utiliser la même échelle pour des produits structurés et des obligations simples n'a pas de sens de la même manière qu'un amateur de vin non éclairé ne s'y retrouve pas dans la notation établie par M. Parker, la même note pouvant être attribuée à des très grands crus classés ou à des vins ordinaires. Enfin, les agences doivent annoncer leurs règles d'établissement et de révision des notations et faire la preuve qu'elles ont la compétence technique pour les appliquer. Il faut éviter des dégradations décidées à la hâte et, encore plus, le soir, juste avant la fermeture des marchés. Comme les assureurs-crédits, à moins de circonstances exceptionnelles, elles doivent réviser les notations selon une certaine périodicité. Bref, nous attendons beaucoup de l'application complète du dispositif européen supervisé par l'autorité européenne des marchés, dont la création semble logique...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Donc, pour nous, c'est « Circulez, il n'y a rien à voir » ! Il faut attendre l'Europe !
M. Christian Noyer. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. L'opinion du Parlement compte, les règles ne sont pas encore finalisées. L'important est d'établir des règles communes.
Enfin, on ne peut pas aujourd'hui interdire aux banques d'utiliser la notation des agences pour le calcul de leur risque de crédit car cette méthode est prévue dans les accords de Bâle II pour la notation standard. Certes, les grandes banques ont leur propre système d'évaluation du risque, mais les petites banques recourent à la méthode standard. Mieux vaut donc améliorer les notations, susciter l'émergence de concurrents aux grandes agences...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Pardonnez-moi, mais j'évoquais la situation spécifique de la BCE, institution de l'Union, se référant à la notation des agences commerciales pour la cotation du risque souverain d'un État européen... N'est-ce pas une démission extraordinaire que la BCE recoure au rating des agences américaines pour le risque de ses propres États-membres qu'elle est censée connaître ?
M. Christian Noyer. - Effectivement, cette notation a été utilisée jusqu'à aujourd'hui, faute de mieux. Une exception a été faite pour la Grèce, en raison de l'accord intervenu avec le FMI et du plan mis en place par les membres de la zone euro avec l'appui technique de la Commission et de la BCE, approuvé par le Conseil des gouverneurs. Aux termes du Traité, nous pouvons prendre les seuls collatéraux de qualité, c'est-à-dire minimisant les risques de défaut. Deux solutions s'offrent à nous : soit nous refusons de prendre en collatéral la dette de tout État ne respectant pas le pacte de stabilité - méthode violente et peu intelligente - ou nous devons juger de manière détaillée la solidité des comptes d'un État, ce qui n'est pas notre rôle. Le rapporteur général pose une vraie question à laquelle nous n'avons pas de réponse, le Traité ne permettant pas de dire que les États actionnaires de la BCE présentent, par définition, de bons risques. D'ailleurs, si la Grèce n'avait pas été soutenue, elle présenterait aujourd'hui un risque important.
M. Jean Arthuis, président. - N'y a-t-il pas un conflit d'intérêts entre l'État et la banque centrale, la seconde, bien qu'indépendante, étant sous contrôle du premier ?
M. Christian Noyer. - Le conflit d'intérêts est évité, grâce à l'indépendance de la banque centrale. Nous n'avons pas la légitimité suffisante pour prendre seuls des décisions dont la lecture serait inévitablement très politique. Pour autant, nous réfléchissons à un meilleur système pour les risques souverains.
Concernant la politique d'achats de titres, nous y avons été contraints : notre politique monétaire ne pouvait plus être relayée à cause du blocage des marchés de titres de la zone euro. Nous souhaitons mettre fin le plus rapidement possible à cette intervention pour éviter tout risque d'aboutir in fine à « monétiser la dette ». Les conséquences sur le bilan des banques centrales sont limitées, nous souhaitons qu'elles le demeurent.
Les tensions sur le marché des liquidités interbancaires reprennent en raison d'une défiance interne au système bancaire. Le phénomène, analogue à celui constaté après la faillite de la banque Lehman Brothers, est limité et ne touche pas la France. Pour autant, il est préoccupant.
M. Joël Bourdin. - Pouvez-nous nous donner une définition précise du risque systémique ? Existe-t-il un instrument permettant de le mesurer ? Bref, quel est le contenu opérationnel de ce concept si souvent évoqué ces temps-ci ?
M. Denis Badré. - Les agences de notation ne peuvent être juges et parties. Au reste, la question se pose de créer une agence publique pour les dettes souveraines. La réponse que vous avez donnée au rapporteur général ne m'a pas convaincu. Pouvez-vous en dire davantage sur les agences de notation et la dette souveraine ?
Mme Nicole Bricq. - Fin 2008, à l'époque lointaine où le risque souverain n'était pas à l'ordre du jour, il avait été question de soumettre les banques européennes à des stress tests. Ceux-ci ont été réalisés, même si l'on n'en connaît pas précisément les résultats. L'un des critères portait-il sur l'exposition aux dettes souveraines ? Ne faudrait-il pas y revenir à la lumière de la situation actuelle ou considérez-vous que cela est prématuré ?
M. Jean-Pierre Fourcade. - On constate, d'un côté, une résistance des banques françaises à appliquer « Bâle III » à cause de la remonté nécessaire des ratios de levier et, de l'autre côté, un refus des banques canadiennes et brésiliennes qui ont des ratios bien plus élevés. A-t-on bien mesuré l'impact de Bâle III sur les banques françaises et ce conflit entre les banques ? L'exemple du Canada est éclairant : une banque canadienne est le dix-neuvième ou dix-huitième spécialiste en valeurs du Trésor français. Or, en examinant ses comptes et ses ratios, on s'aperçoit qu'elle a une structure financière fort différente de celle de la BNP ou de la Société générale. Ensuite, à l'heure actuelle, les dettes souveraines des États européens tels que l'Irlande, l'Italie, la France ou l'Espagne sont portées essentiellement par des non-résidents comme les Russes ou les Chinois. Ne faudrait-il pas mettre en place un indicateur permettant de savoir qui porte les dettes souveraines ? Je crains, en cas d'attaque d'une dette souveraine, un effet domino...
M. Jean Arthuis, président. - Y a-t-il matière à réguler les conditions de vente à découvert ? Au plan européen, y a-t-il une impulsion décisive, une vraie coordination en la matière ? Quelles initiatives le législateur peut-il prendre ? Je pense à un amendement déposé à l'Assemblée nationale qui prévoit la création de comités de suivi des risques. N'est-ce pas codifier des dispositions qui relèvent du contrôle interne ? N'est-il pas vain de multiplier les dispositions législatives quand le système repose sur plus de transparence et de responsabilité sous l'autorité de la banque centrale ? Enfin, la semaine dernière, nous entendions les responsables des banques et des compagnies d'assurance à propos de « Bâle III » et « Solvabilité II ». Cela ne va pas être facile de présider une autorité de contrôle prudentiel car ce sont deux mondes...
M. Christian Noyer. - Monsieur Bourdin, si je ne puis vous donner une définition du risque systémique digne du Littré ou du Larousse, ce risque est celui qui touche, non un établissement en particulier, mais l'ensemble du système. L'exemple classique est celui où toutes les banques d'un pays étant très engagées dans le financement de l'immobilier, se forme une bulle. Le jour où les marchés se retournent et où les prix chutent, tout le système s'effondre. Le travail consiste à identifier ces risques. En Espagne, d'ailleurs, la banque centrale avait anticipé ce phénomène lié à l'immobilier. Elle avait obligé les grandes banques à inscrire des provisions dynamiques afin de parer à de possibles renversements de marché, mais n'avait pu imposer cette obligation, hélas ! aux caisses d'épargne. Elle savait ce secteur fragile, trop engagé dans l'immobilier et insuffisamment capitalisé. D'où la restructuration brutale aujourd'hui. Nous aurions dû, avant-hier, détecter que le développement rapide de produits structurés avec des générations de structuration au cube, était totalement opaque et dangereux et, en conséquence, demander aux gouvernements de mettre en place des règles pour freiner ces phénomènes.
M. Jean Arthuis, président. - Nous avons encore en mémoire les propos de M. Greenspan, l'ancien président de la banque centrale américaine...
M. Christian Noyer. - Des erreurs ont été commises...
Monsieur Badré, une agence de notation publique, qu'elle soit nationale ou européenne, ne me semble pas une bonne solution. Elle n'aurait pas de crédibilité en matière de notation des dettes souveraines. Un État ne peut être noté par son autorité de contrôle. Nous avons besoin d'une autorité indépendante...
M. Jean Arthuis, président. - Eurostat !
M. Christian Noyer. - Peut-être... Si les banques centrales devaient noter les dettes souveraines, ce serait jugé comme une intrusion dans le domaine des États, quand bien même nous en aurions les compétences techniques. Pour la Grèce, nous nous sommes appuyés sur des données objectives, l'évaluation de la Commission, des autres gouvernements et du FMI. Pour autant, j'en suis d'accord, il faut trouver une meilleure solution. En tout cas, quand nous achetons des titres, nous prenons nos responsabilités car nous mettons en jeu notre structure financière...
M. Jean Arthuis, président. - Soit, mais vient un moment où cela devient une structure de défaisance !
M. Christian Noyer. - C'est ce que nous souhaiterions éviter !
Madame Bricq, concernant les stress tests que nous appliquons régulièrement aux banques - un est d'ailleurs en cours au niveau européen -, nous ne prenons jamais l'hypothèse de défaut d'un pays industrialisé. Au demeurant, si nous le faisions, que faudrait-il prendre pour hypothèse ? Le défaut de la Grèce et du Portugal ou encore celui du Royaume-Uni où les ratios de dette et de déficit sont pires encore ? Le risque souverain est normalement le meilleur risque, dont tous les autres dérivent.
M. Jean Arthuis, président. - Mais la souveraineté d'un surendetté est toute relative...
M. Christian Noyer. - Cette question des stress tests a été, au reste, débattue entre les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales : ne serait-il pas bon d'apaiser les tensions sur les marchés en montrant que le défaut d'un État ne serait pas dramatique pour le système bancaire européen ? Néanmoins, cette hypothèse est lourde quand tout a été fait pour éviter le défaut de la Grèce.
M. Jean Arthuis, président. - Si les banques nationales ont des créances sur le pays qui fait défaut, il peut y avoir un risque systémique....
M. Christian Noyer. - Si la Grèce faisait défaut, les banques grecques qui ont davantage de titres grecs pourraient être en difficulté et, donc, ne plus financer les entreprises grecques ce qui entraînerait un défaut dans l'économie grecque. Personne ne sait où s'arrêteraient les répercussions sur les pays de la zone euro et leurs économies. Autrement dit, le stress test deviendrait un exercice potentiellement...
Mme Nicole Bricq. - ...stressant !
M. Christian Noyer. - La question est donc pertinente, mais délicate.
Faut-il une réglementation ou une taxation ? Je remercie Monsieur Fourcade d'avoir posé cette question. Les deux méthodes peuvent avoir un effet macro-économique, la différence étant que le renforcement de la réglementation augmente la capacité des banques à résister au choc. L'inconvénient du fonds de résolution ou de garantie alimenté par une taxe est de créer un risque d'aléa moral, qui peut cependant être diminué si l'objectif est de dépecer la banque faisant appel à lui. Si cette taxe est perçue par le budget des États, difficile de ne pas donner l'impression que les États se portent garants ... De plus, le risque est que la ressource soit dépensée avant d'être mobilisée. Bref, la décision de mettre en place une taxe relève de la responsabilité des États. L'instauration d'une taxe, nous devons en avoir conscience, aura une incidence : soit elle réduira la capacité des banques à augmenter leur capital et leurs fonds propres, soit les banques chercheront à compenser le coût de cette taxe par une augmentation du coût du crédit, ce qui aurait des conséquences sur le financement de l'économie et, donc, de la croissance, soit les banques privilégieront les activités plus risquées et plus rentables pour financer cette taxe. Je recommande donc un renforcement de la réglementation, son évaluation, avant de discuter d'une taxe qui devra être précisément ciblée sur les activités à décourager - question délicate -, contrairement au système proposé par le FMI ou en cours de discussion aux États-Unis.
Nous ne connaissons pas précisément l'origine des porteurs des dettes souveraines des États européens, en l'absence d'une vision consolidée de la zone euro. Les non-résidents sont, en effet, les non-nationaux. Or, dans un marché monétaire unique, il n'est pas anormal que les investisseurs répartissent leurs risques entre les États membres de ce marché. Nous ne mesurons pas l'apport de l'extérieur de la zone euro.
M. Jean Arthuis, président. - Est-ce un tiers de résidents, un tiers de non-résidents européens et un tiers de non-résidents non-européens ?
M. Christian Noyer. - Tout dépend des pays : l'Italie a une dette souveraine majoritairement détenue par les résidents, par exemple, comme le Japon, ce qui n'est pas le cas de la France.
Monsieur Arthuis, je suis très réservé sur l'interdiction des ventes à découvert. Elle me semble inefficace, le prix des titres étant fixé sur un marché mondial, et non national. Donc, ce qui sera interdit à Paris ou à Francfort, sera autorisé à New York ou à Londres... Il faudrait une réglementation mondiale. Or beaucoup considèrent qu'une interdiction généralisée serait contre-productive car elle pénaliserait la liquidité des titres en question. Même logique concernant l'obligation de livraison des titres à J+1 : en l'état actuel des infrastructures de marché, cela conduirait à augmenter la masse des suspens, soit les opérations qui ont fait l'objet d'une transaction mais n'ont pu être retranscrites dans les systèmes. Cela serait source de risques importants quand l'attractivité du marché des titres européens tient, entre autres, aujourd'hui à nos systèmes de règlement et de livraison de titres, qui seront encore améliorés avec « Target II Securities », actuellement préparé par l'Eurosystème. Cela ne signifie pas qu'il faille ne rien faire. Je suis partisan d'une intégration des marchés dits over the counter (OTC) dans des infrastructures de marchés réglementées et supervisées avec des plates-formes de négociation et des chambres de compensation. Ces chambres, comme le souhaite officiellement la BCE, devront être localisées dans la zone monétaire de la monnaie utilisée, tout simplement pour être supervisées dans cette zone et avoir, le cas échéant, accès à la monnaie banque centrale. Si nous avions aujourd'hui des CDS traités dans une chambre de la zone euro, nous pourrions surveiller les positions, procéder aux compensations nécessaires, instaurer des règles temporaires d'interdiction en cas de mouvements anormaux et apporter des liquidités, si besoin est. Cette réforme me semble très importante. Installer des comités de suivi des risques dans chaque entité, comme cela est proposé à l'Assemblée nationale, me semble moins pertinent. De tels comités sont peut-être nécessaires pour les grands groupes et au niveau consolidé.
Enfin, les compagnies d'assurances et les banques ont effectivement une lecture différente de Bâle III, d'où la nécessité de conserver des directions de contrôle spécifique pour chacun des deux secteurs. Il y a des synergies, mais des métiers différents.
M. Jean Arthuis, président. - Merci, monsieur le gouverneur, de nous avoir éclairé sur ce projet de loi.
Nomination d'un rapporteur
M. Philippe Marini est ensuite nommé rapporteur du projet de loi n° 2165 (AN - XIIIe législature) de régulation bancaire et financière, en cours d'examen par l'Assemblée nationale.
Nouvelle organisation du marché de l'électricité - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis
La commission demande enfin à se saisir pour avis du projet de loi n° 2451 (AN - XIIIe législature) portant nouvelle organisation du marché de l'électricité et nomme M. Philippe Marini rapporteur pour avis de ce texte.
Mercredi 9 juin 2010
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -Politique française de coopération et de développement - Communication
La commission entend tout d'abord une communication de M. Yvon Collin, rapporteur spécial, sur le projet de document cadre pour la politique française de coopération et de développement.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. Le Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) du 5 juin 2009 a décidé la réalisation d'un document cadre pour la politique de coopération au développement. Ce document doit formaliser les objectifs et la stratégie à moyen terme, et servir de référence unique pour l'ensemble des acteurs de notre aide publique au développement (APD). Il devrait être finalisé et adopté par le CICID en juillet prochain.
Pour son élaboration, le ministère des affaires étrangères et européennes a organisé une concertation entre les administrations et la société civile, en particulier les organisations non gouvernementales. Le Parlement a également été invité à participer à la réflexion. Dans cette perspective, le Gouvernement, début mai, nous a fait parvenir un document de travail qui préfigure le futur document cadre.
Notre commission, conjointement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a déjà tenu deux réunions sur ce sujet. Le 12 mai dernier, nous avons entendu le point de vue de quatre experts de l'APD. Le 26 mai, nous avons procédé à l'audition du ministre des affaires étrangères et européennes.
Il est certain que le futur document-cadre, tel qu'il a été préfiguré, présentera de nombreux mérites. Le premier est l'existence même d'un tel document. En effet, le monde change : les pays du Sud connaissent des trajectoires de développement très diverses ; les économies sont devenues interdépendantes ; les risques - en matière d'environnement, de santé ou de sécurité - sont désormais globaux. Dans ce nouveau contexte, complexe et mouvant, il est important que la France se dote d'une doctrine claire en matière de coopération.
Une autre qualité majeure du futur document tient à l'inflexion de la politique d'aide au développement qu'il tend à cristalliser. Il s'agit de mettre en oeuvre une APD qui ne relève plus de la charité, ou de la compassion, mais d'une stratégie géopolitique ; de soulager la pauvreté sans perdre de vue les intérêts de la France, que les enjeux soient économiques, migratoires ou de sécurité. On replace ainsi l'APD de plain-pied au sein de la politique étrangère.
Les ambitions du document cadre sont de redéfinir notre coopération au développement autour de quatre thèmes principaux : la stabilité et la promotion de l'Etat de droit, dans un contexte de montée des périls de nature politique que le sous-développement contribue à alimenter ; la croissance durable, alors que cette croissance dépend en partie de ressources non renouvelables et que le sous-développement favorise les modèles économiques les moins vertueux à cet égard ; la lutte contre la pauvreté et les inégalités ; enfin, la gestion des biens publics mondiaux, les questions environnementales s'avérant indissociables de la problématique du développement.
Suivant les orientations arrêtées par le CICID en 2009, le projet de document cadre fixe les priorités géographiques de l'intervention française et prévoit la mise en place de partenariats différenciés, en fonction du type de pays bénéficiaires. Il s'agit d'approfondir nos relations avec l'Afrique et le bassin méditerranéen et de préciser les objectifs de coopération avec les pays émergents et les pays en crise.
Je rappelle qu'il a été décidé en 2009 que 60 % des ressources budgétaires mobilisées pour notre APD seront désormais ciblées sur l'Afrique subsaharienne. Le sommet « Afrique-France » de la semaine dernière a d'ailleurs été l'occasion de réaffirmer la volonté d'une implication rénovée de notre pays sur le continent. Cette implication est d'autant plus nécessaire que, désormais, la croissance africaine attire les investissements de pays comme la Chine, l'Inde ou le Brésil.
En outre, quatre catégories de pays éligibles à notre aide ont été identifiées, des modes d'intervention adaptés étant associés à chacune de ces catégories. Il est appréciable que soit resserré, sur la base de ces nouveaux critères, le périmètre de la zone de solidarité prioritaire de la France.
En faveur des « pays pauvres prioritaires », dont une liste de quatorze Etats subsahariens a été arrêtée, il est prévu que soit affectée la moitié des subventions destinées aux objectifs du millénaire pour le développement, sous la forme de dons et de prêts très concessionnels.
Pour les pays à revenu intermédiaire, l'aide prendra la forme de prêts concessionnels et d'une assistance technique. Elle sera attribuée sous la forme de dons et de crédits humanitaires en ce qui concerne les pays en crise ou en situation de sortie de crise.
Enfin, les pays émergents bénéficieront de prêts peu ou pas concessionnels. Les financements ne constituant pas le besoin premier de ces pays, l'investissement y vaut surtout comme « point d'entrée » dans les politiques publiques locales et la promotion de l'expertise et des technologies françaises. Cependant, on peut s'interroger sur la pertinence de certaines de ces interventions sous le label « aide au développement ». En 2008, par les montants engagés, la Turquie et la Chine ont respectivement occupé le quatrième et le cinquième rangs des pays bénéficiaires de notre APD ! Il conviendrait de se doter de critères clairs encadrant cette aide.
Par ailleurs, il est prévu que l'aide soit concentrée sur cinq secteurs prioritaires : la santé, l'éducation et la formation professionnelle, l'agriculture et la sécurité alimentaire, le développement durable, enfin le soutien à la croissance. Le projet de document cadre indique que les investissements et le long terme doivent être privilégiés.
Il y a lieu d'approuver, globalement, l'ensemble de ces orientations. Même si l'on peut discuter le détail de tel ou tel point, le Gouvernement a incontestablement entrepris un travail important de modernisation de la politique de coopération, selon des paramètres pertinents de « lecture » de l'état du monde actuel, des besoins des pays en développement et, je crois, de nos intérêts propres en ce domaine.
Je serai plus critique sur les aspects financiers du sujet.
Sous cet angle, il y a au moins trois enjeux majeurs : la comptabilisation des dépenses par le Comité d'aide au développement de l'OCDE, qui détermine le classement annuel des Etats contributeurs ; les moyens financiers consacrés à la politique de coopération au développement, et donc la « soutenabilité » budgétaire de cette politique, dont dépend la crédibilité même ; enfin, les instruments financiers utilisés. Or le projet de document cadre ne traite que de ce dernier aspect.
Une approche « globale » du financement du développement a été retenue, qui postule la nécessité de mobiliser les ressources tant publiques que privées, notamment les ressources fiscales des pays destinataires de l'aide, les investissements directs étrangers, ou encore les transferts de fonds des migrants. Il me semble que le document pourrait se référer davantage au Consensus de Monterrey, en particulier aux principes selon lesquels les ressources nationales doivent constituer la source prioritaire de financement du développement et les mécanismes permettant un effet de levier sont à mobiliser en priorité.
Par ailleurs, le projet souligne le soutien de la France à l'essor des financements innovants. Je rappelle le rôle pionnier de notre pays en ce domaine : la contribution de solidarité sur les billets d'avion, instaurée en 2006, a rapporté 160 millions d'euros en 2009 ; ce produit permet de financer l'accès aux vaccins et médicaments dans les pays en développement. La France promeut aujourd'hui l'idée d'une contribution assise sur les transactions financières internationales, au taux de 0,005 %, soit 5 centimes sur 1.000 euros. Son produit pourrait être affecté au Fonds mondial de lutte contre le sida.
Les évaluations attribuent un potentiel considérable à un semblable mécanisme : une taxe sur les transactions sur produits dérivés aurait un produit annuel de l'ordre de 33 milliards d'euros pour les transactions de gré à gré, et jusqu'à 110 milliards dans le cas des transactions opérées sur les places boursières. Toutefois, de tels dispositifs de taxation d'activités économiques internationales n'auront de portée véritable qu'à la condition d'être appliqués par le plus grand nombre possible d'Etats, ce qui suppose un très large accord entre eux. Il ne sera pas facile à obtenir.
Nous examinerons tout à l'heure ma proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières, qui va dans le même sens.
En ce qui concerne la complémentarité à trouver entre les actions bilatérales et multilatérales, le document prône la cohérence des politiques française et européennes d'aide au développement et note avec raison que l'existence de plusieurs niveaux d'aide représente un atout pour opérer des choix stratégiques fondés sur des considérations d'efficacité et d'influence, sous la réserve d'un pilotage réel de l'allocation entre les canaux.
Au demeurant, tout le monde s'accorde à présent pour juger nécessaire de rééquilibrer le partage entre l'aide bilatérale d'un côté, l'aide européenne et multilatérale de l'autre. En effet, actuellement, si l'on retient seulement l'aide programmable (c'est-à-dire hors dépenses constatées « ex post »), soit environ 65 % du total, la part bilatérale de notre APD est minoritaire, ne représentant qu'environ 40 %. La part européenne s'établit à 34 % et la part multilatérale au sens strict à 26 %. Or il en va de notre rayonnement international car, avec l'aide bilatérale, la France est visible à l'étranger ; dans l'aide multilatérale, elle passe souvent inaperçue.
Bien sûr, la contribution multilatérale de notre pays est difficile à réduire : elle se trouve contrainte par nos engagements, en général pluriannuels, qui la préservent des coupes budgétaires que supporte, en revanche, l'aide bilatérale. Le ministre des affaires étrangères et européenne nous a fait observer qu'il est déjà délicat, pour un Etat membre permanent du conseil de sécurité, de n'occuper que le dix-septième ou le vingt-cinquième rang parmi les contributeurs aux agences des Nations-Unies. Mais, précisément, je m'interroge sur l'utilité de s'attacher à conserver ces positions relativement médiocres.
Au surplus, la France ne pèse que de façon très faible sur la programmation de ces organisations multilatérales, y compris la Banque mondiale, la Banque pour la reconstruction et le développement ou l'Union européenne, pour lesquelles sa contribution est substantielle. L'aide servirait certainement mieux l'image de notre pays si une partie des sommes en cause se trouvait réaffectée au canal bilatéral.
Un progrès significatif a été accompli en ce qui concerne le Fonds européen de développement : nous avons obtenu de diminuer notre contribution pour la période 2011-2013. C'est une orientation à poursuivre, et à imiter pour la plupart de nos contributions multilatérales - sauf à renforcer l'influence française dans les enceintes concernées, ce qui devrait constituer un objectif de notre politique de coopération. Je souhaite que le futur document cadre soit clairement tourné vers ce but.
Pour le reste, le projet de document cadre s'avère lacunaire sur les aspects financiers de l'APD, et d'abord sur la question, pourtant cruciale, des moyens alloués à cette politique.
Dans un document dit « cadre », on attendrait pourtant un cadrage budgétaire ou, si l'on doit réserver les arbitrages budgétaires aux lois de finances, à tout le moins les critères d'une répartition proportionnée des crédits, selon les priorités définies en termes de géographie et de secteurs. Cela n'a été fait que pour l'Afrique subsaharienne, qui bénéficiera globalement, comme je l'ai indiqué, de 60 % des ressources. C'est un cadrage bien fruste !
Pour mémoire, l'effort public français global en faveur du développement, tel que le calcule l'OCDE, a représenté 7,6 milliards d'euros en 2008 et est évalué à hauteur de 8,5 milliards en 2009. Au seul plan budgétaire, la loi de finances initiale pour 2010 a prévu 6,2 milliards d'euros de crédits pour l'aide au développement, répartis sur onze missions. Cet effort important fait de la France le deuxième contributeur parmi les membres du G7, après le Royaume-Uni, par rapport au revenu national brut (RNB). La conservation de cette place se trouve loin d'être assurée.
En 2008, nous avons consacré 0,39 % de notre RNB à l'aide publique au développement ; l'estimation est de 0,44 % pour 2009. La France s'est engagée à consacrer à cette aide, à l'horizon 2015, quelque 0,7 % du RNB. De toute évidence, dans le contexte actuel, cet engagement n'est pas tenable.
Il est donc dommage que l'élaboration du document cadre n'ait pas été l'occasion pour le Gouvernement de préciser des objectifs budgétaires plus réalistes. Nous risquons d'exposer nos partenaires à des déconvenues.
Deux mots sur un problème régulièrement soulevé, mais que le projet n'aborde pas : la comptabilisation des dépenses d'APD en tant que telles.
On le sait, cette mesure est contestable. D'un côté, elle intègre des dépenses qui ne sont pas réellement de l'aide au développement ; de l'autre, ne sont pas comptées des dépenses qui, pourtant, relèvent effectivement de cette aide. Il serait donc judicieux que le futur document cadre fasse état de la nécessité de poursuivre la négociation avec nos partenaires de l'OCDE, afin que la comptabilisation des dépenses d'APD soit à la fois plus pertinente et plus fidèle à la réalité.
En outre, dans la mesure où la coopération décentralisée est comptabilisée dans l'effort national d'APD, le document cadre devrait lui faire plus de place que n'en prévoit son projet, et poser des règles de coordination avec la politique menée par l'Etat. Pour l'heure, le document se borne à fixer le principe d'un travail en partenariat, comme avec les organisations non gouvernementales ou les entreprises, ce qui est trop vague.
Ma dernière préconisation visera l'évaluation de notre politique d'aide au développement.
Il est regrettable que le document cadre n'ait pas été fondé sur une ample évaluation de la politique d'APD que nous avons menée jusqu'à présent. Pour l'avenir, le projet marque la nécessité de « mesurer les résultats et les impacts », notamment en systématisant les évaluations externes et en encourageant les revues par les pairs. La mise en place d'indicateurs de résultat est prévue. C'est un aspect essentiel, mais c'est d'indicateurs de performance que nous avons besoin, dans la logique de la LOLF. Les indicateurs existants au sein de la documentation budgétaire ne sauraient suffire ; c'est donc un point sur lequel il convient de faire porter un effort tout particulier.
Je propose que notre commission approuve cette communication, et que notre Président envoie une lettre au ministre des affaires étrangères et européennes, pour lui en transmettre le compte-rendu.
M. Jean Arthuis, président. La commission en décidera après le débat. Ce projet de document cadre, en somme, constitue un bel exercice rhétorique, mais les considérations budgétaires y font défaut. Quelle est l'opinion du rapporteur pour avis, ici présent ?
M. André Vantomme, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je tiens à complimenter le rapporteur spécial pour la qualité de la synthèse qu'il vient de présenter. Je ferai prochainement mon propre rapport, sur ce projet de document cadre, à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, avec mon collègue Christian Cambon, également rapporteur pour avis. Nos analyses devraient très largement rejoindre celles qui viennent d'être exposées.
En effet, nous aussi avons été frappés par le contraste qui caractérise le projet entre, d'un côté, l'affichage d'objectifs ambitieux, d'ailleurs globalement pertinents, pour la politique de coopération au développement et, de l'autre, l'absence de toute référence aux moyens budgétaires qui seront alloués à la mise en oeuvre de cette politique. Ce document est intéressant, mais lacunaire.
Je m'associe tout particulièrement aux observations du rapporteur spécial visant la nécessité d'une comptabilisation plus exacte de l'effort d'APD, car les critiques qu'encourt le système actuel sont de nature à obérer l'importance de la contribution française. De même, je pense qu'il faut réserver une place spécifique à la coopération décentralisée, bien que la réforme des collectivités territoriales risque de contraindre ces dernières à réduire leurs interventions en faveur du développement.
Enfin, je souscris à la préconisation d'un rééquilibrage entre le canal bilatéral et le canal multilatéral de notre APD. Toutefois, je me demande si les services de coopération et d'action culturelle, dont les moyens de fonctionnement ont été sensiblement réduits au cours de ces dernières années, seront en état d'assurer la charge de travail induite par un renforcement de l'aide bilatérale.
M. François Trucy. Lors d'un déplacement que j'ai effectué en Afrique de l'ouest dans le cadre du groupe interparlementaire d'amitié, il m'a semblé que la coopération française était plus forte au Ghana, pays anglophone, qu'en Côte d'Ivoire, pays francophone. Le rapporteur spécial a-t-il été alerté d'un éventuel désengagement de la France envers les pays africains de la sphère francophone ?
M. Jean Arthuis, président. Je m'interroge sur la compatibilité entre les objectifs fixés dans le futur document cadre et la réduction des dépenses d'intervention, en 2011, à hauteur de 10 %, annoncée par le Président de la République lors de la conférence sur le déficit du 20 mai dernier. Par ailleurs, j'aimerais connaître le niveau de notre engagement financier, au titre de l'aide au développement, dans des pays comme le Brésil ou la Chine.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. Pour répondre d'abord à M. Trucy, j'indique que le Ghana figure dans la liste des quatorze Etats subsahariens retenus, en 2009, parmi les pays pauvres qui doivent bénéficier de façon prioritaire de l'APD française. La Côte d'Ivoire n'en fait pas partie.
En ce qui concerne la réduction des dépenses d'intervention en 2011, le ministre des affaires étrangères et européennes, lors de son audition du 26 mai dernier, nous a indiqué que les arbitrages n'avaient pas été rendus. L'aide publique au développement sera-t-elle épargnée ?
M. Jean Arthuis, président. Si l'on veut bâtir un budget tenable, elle ne pourra pas l'être !
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. La question de l'intervention de la France, au titre de l'APD, dans les pays émergents, justifie un débat. Ainsi la Chine, en 2008, a bénéficié de plus de 100 millions d'euros de notre aide.
M. André Vantomme, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Il s'agit de prêts peu ou pas concessionnels, pratiqués par l'Agence française de développement (AFD) dans le cadre de son activité bancaire.
M. Jean-Jacques Jégou. De tels prêts sont-ils consentis pour permettre aux pays bénéficiaires d'acheter les produits et services français ?
M. Jean Arthuis, président. Est-ce bien le rôle de l'AFD ? En tout cas, il ne me paraît pas sérieux de comptabiliser ces prêts dans notre effort d'APD !
La commission approuve la communication de M. Yvon Collin, rapporteur spécial, et donne mandat à M. Jean Arthuis, président, d'adresser une lettre au ministre des affaires étrangères et européennes récapitulant les observations et propositions du rapporteur spécial, à laquelle sera annexé le présent compte rendu.
Taxation de certaines transactions financières - Examen du rapport
La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Charles Guené sur la proposition de loi n° 285 (2009-2010) de M. Yvon Collin et des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen relative à la taxation de certaines transactions financières.
M. Charles Guené, rapporteur. - Si je suis conduit à proposer le rejet du texte en séance publique, j'estime que cette proposition de loi arrive à point nommé pour donner au Sénat l'occasion de débattre de questions importantes qui sont à l'ordre du jour dans les instances internationales. Nombres d'initiatives ont en effet été prises dans le sens d'une taxation du secteur financier.
M. Collin, dans cette proposition de loi, entend rendre effective en droit français la taxe Tobin sur les transactions financières, et ce, afin de ne pas favoriser la spéculation. L'article 235 ter ZD du code général des impôts prévoit déjà une taxation des transactions sur devises, introduite par l'Assemblée nationale dans la loi de finances pour 2002. Mais deux conditions ont été posées qui la rendent inapplicable et essentiellement symbolique. Le taux plafond a été établi à 0,1%, un décret en Conseil d'Etat devant fixer, dans cette limite, le taux définitif. Le décret n'a jamais été publié, car l'entrée en vigueur était subordonnée à l'adoption d'une taxe similaire dans les autres pays de l'Union européenne. La proposition de loi lève ces deux conditions, en fixant des taux et en supprimant l'exigence de réciprocité. Elle s'éloigne de la vocation initiale de la taxe que le prix Nobel d'économie James Tobin formulait, en 1972, ainsi : « un peu de sable dans la mécanique bien huilée de la finance internationale ».
Aujourd'hui, le but est de limiter la spéculation financière : la taxe sur les transactions financières est-elle un instrument efficace pour y parvenir ? Elle renchérit les flux de court terme, mais toutes les opérations à court terme ne sont pas spéculatives. Nombre d'entre elles sont adossées à des opérations économiques réelles ! La secrétaire d'Etat au budget en 2001, Florence Parly, soulignait la légitimité de la couverture en devises pour les ventes à terme, couverture qui ressemble beaucoup aux ventes spéculatives. Certains économistes estiment même que la taxe Tobin pourrait accroître l'instabilité des marchés, en réduisant leur liquidité.
La proposition de loi de M. Collin rencontre deux écueils. La taxe doit être globale, sans quoi elle serait dommageable pour l'attractivité de la place de Paris. La définition de l'assiette, du reste, est difficile car l'imagination de l'ingénierie financière est sans limite.
La France soutient néanmoins le principe d'une taxe sur les transactions financières et le Parlement européen a voté une résolution le 10 mars 2010 en ce sens : mais la taxe, pour être opérationnelle, doit être créée au niveau international. Mme Lagarde nous a indiqué que la France participait au « Groupe pilote sur les financements innovants » qui comprend cinquante-neuf Etats, organisations internationales et ONG et qui étudie une telle taxe. Le projet français n'a pas pour objet de lutter contre la spéculation. Mme Lagarde et M. Kouchner, dans une tribune publiée par Le Monde, ont expliqué qu'il s'agissait de financer le développement sans perturber les marchés financiers. Le taux est dix fois moins élevé que celui prévu dans la proposition de loi.
Non que la France renonce à lutter contre la spéculation financière ! Elle plaide en faveur d'un renforcement des fonds propres des institutions financières, dans le sens voulu par le comité de Bâle, qui entend, avec « Bâle III », fixer un nouveau cadre prudentiel. Elle étudie la possibilité d'une taxe sur les banques, sur le modèle pollueur-payeur. Le produit d'une telle taxe pourrait alimenter un fonds de résolution, mobilisé pour démanteler en bon ordre les établissements en faillite afin d'éviter des conséquences systémiques, ou bien être affecté au budget général. Le FMI estime que la taxe doit être mondiale, l'Union européenne, européenne, et l'Allemagne, nationale. M. Barnier a présenté un projet pour l'Europe : des fonds de résolution nationaux, alimentés par une taxe nationale mais de même assiette et même taux dans tous les États membres. L'Allemagne, à partir de septembre, appliquera une taxe qui sera affectée à l'Agence fédérale de stabilisation des marchés financiers et le G 20 de Toronto, le 26 juin, doit étudier un nouveau rapport du FMI sur ce thème.
Notre pays a déjà mis en place une contribution pour frais de contrôle, en loi de finances pour 2010, afin de financer la supervision du secteur ; et une taxe exceptionnelle sur les bonus versés aux traders en 2009 - qui n'est naturellement pas un outil durable de stabilisation. La France soutient, d'une part, un projet de taxe dont le produit serait affecté au budget général, d'autre part, la mise en place d'outils de résolution. Le projet du Gouvernement est encore en préparation. La commission des finances a proposé une taxe sur les banques en substitution de la taxe sur les salaires, afin de prévenir les risques systémiques. Mieux vaut prévenir que guérir ! Les banques consentent un gros effort de recapitalisation. Nous devons veiller à ne pas alourdir leurs charges ni à perturber le financement de l'économie. Nous attendons le rapport du Gouvernement sur ce point pour le 30 juin. Je partage la préoccupation de M. Collin mais la proposition de loi ne saurait être votée par le Sénat, car elle n'atteint pas l'objectif qu'elle se fixe. Il ne faut pas pénaliser la place de Paris.
Le 23 juin, le débat en séance publique sera l'occasion de faire le point avec le Gouvernement sur ce sujet. Par ailleurs, la proposition de loi prévoit de porter le taux de la taxe sur les transactions sur devises à 0,1% pour les transactions avec les pays de la liste grise de l'OCDE et 0,5% avec les pays de la liste noire. Ce mécanisme n'apparaît toutefois pas nécessaire. L'article 22 de la loi de finances rectificative de décembre 2010 nous a en effet dotés d'un dispositif exhaustif de lutte contre les paradis fiscaux. Enfin, à la dernière Conférence des déficits, il a été décidé que les questions fiscales relèveront exclusivement des lois de finances. Avant même l'adoption de la loi constitutionnelle en ce sens, appliquons la règle en faveur de laquelle nous avons toujours milité.
Je suis donc défavorable à la proposition de loi mais je suggère à la commission de ni la rejeter ni la modifier. Nous discuterons ainsi en séance publique du texte rédigé par notre collègue. Je vous proposerai alors de rejeter chaque article l'un après l'autre.
M. Jean Arthuis, président. - Le 23 juin nous nous interrogerons sur les mécanismes susceptibles de freiner la spéculation et d'alimenter le budget de l'État - et indirectement celui de l'aide publique au développement.
M. François Fortassin. - Quand on ne peut plus distinguer les arguments des arguties, il y a un problème... Je comprends toutes les bonnes raisons techniques de ne pas adopter ce texte. Mais il faudrait avoir la volonté politique d'ouvrir une brèche !
M. Jean Arthuis, président. - Ce serait se tirer une balle dans le pied... Plusieurs milliers d'emplois seraient menacés.
M. François Fortassin. - Vous ne voulez pas trop d'impôts pour ne pas nuire à l'investissement ; mais nous avons des déficits à combler !
M. Jean Arthuis, président. - Une hausse de l'impôt n'accroît pas forcément les recettes. L'assiette, en l'occurrence, est très volatile et se déplace à la vitesse de la lumière. La numérisation a changé la donne. Et voyez certains footballeurs, fiscalement domiciliés hors de France.
M. François Fortassin. - Il n'y a qu'à leur interdire de porter le maillot de l'équipe de France.
M. Jean-Jacques Jégou. - Je partage l'état d'esprit du rapporteur. Il ne faut pas créer une taxe hors des lois de finances. Je ne verserai pas de larmes sur le sort des banquiers. Reconnaissons cependant qu'ils exercent une profession, certes peu appréciée de nos concitoyens, mais indispensable à l'économie. Si nous voulons leur appliquer une nouvelle taxe, le plus simple est d'en discuter avec eux : préfèrent-ils une taxe sur les salaires ? Un assujettissement à la TVA ? Pour la moralisation, pour la prévention des crises, Bâle II impose un doublement des fonds propres. Cela pose des problèmes aux établissements. Et l'Union européenne va leur demander une participation et des réserves... Faisons le point avec les banquiers.
M. Charles Guené, rapporteur. - Il y a trois jours, en Corée du Sud, les Canadiens et les pays asiatiques ont souligné que nos problèmes leur étaient totalement étrangers et que leurs banques allaient bien. Il faut faire attention aux règles supplémentaires - je songe à Bâle III - demandées par les Américains parce qu'ils se sont réveillés tardivement. Leur économie, en outre, repose aux trois quarts sur les financements par les marchés, pour un quart seulement sur les circuits bancaires : soit le contraire de ce qui se passe chez nous. Mieux vaut renforcer la supervision que les règles.
M. Jean Arthuis, président. - Le « G24 », composé de douze députés et douze sénateurs, a rencontré le président de la Fédération Bancaire Française. Celui-ci a évoqué un corps de règles pesantes et il s'est inquiété des nouvelles règles. Mais je pense, comme le gouverneur de la Banque de France, qu'un renforcement des fonds propres est toujours une bonne chose.
Au mois de septembre nous aurons à débattre d'un projet de loi de régulation bancaire et financière. Nous avons demandé un rapport au Gouvernement, qui nous sera remis avant le 30 juin, sur la suppression de la taxe sur les salaires, laquelle accélère les délocalisations vers la Grande-Bretagne ou ailleurs. Elle serait remplacée par une taxe sur le secteur : puisque l'assurance du risque systémique, on l'a vu récemment aux Etats-Unis avec AIG, est à la charge de l'État, cela justifie une prime, fonction de l'ampleur des risques. La suppression de la taxe sur les salaires dans le secteur de la santé signifierait un gain pour la Sécurité sociale et réduirait le coût administratif. Il n'y aurait pas de perte pour l'État, au contraire. Quant au monde associatif, il reçoit essentiellement des subventions. Bref, la suppression de cette taxe n'aurait pas de répercussions dommageables.
Enfin, j'y insiste : n'attendons pas pour appliquer la règle que nous appelons de nos voeux : la création d'une taxe ne doit intervenir qu'en loi de finances.
M. François Marc. - La proposition de loi de M. Collin est méritoire. Elle vient à point. Faut-il, alors que l'anxiété et l'angoisse dominent les esprits, attendre une loi de finances dans six mois ? Pourquoi s'interdire d'adresser à nos concitoyens les signaux nécessaires ? Sur le fond, il est difficile d'aller seul à la bataille, j'en conviens. Mais l'Allemagne a pris seule l'initiative d'interdire les ventes à découvert. Mme Lagarde a critiqué cette démarche isolée, mais, trois semaines plus tard, notre pays s'y est rallié, puisque l'on apprend que « Paris et Berlin pressent la Commission européenne d'interdire les ventes à découvert ». Discutons de la rédaction de cette proposition de loi, pour réduire les taux, pour définir la destination des fonds. Amendons le texte.
En Suède, la prostitution n'est pas taxée, ce sont les clients qui le sont, et très lourdement. Mais il ne suffit pas de taxer les spéculateurs, les banques, pour mettre fin à la spéculation. Ne pas agir sur les flux, mais sur les banques suffira-t-il pour assainir la spéculation ? Adopter la proposition de loi ne nuirait pas à l'image du Sénat, contrairement à ce que certains pensent.
M. Roland du Luart. - M. Collin est visionnaire... Florence Parly, il y dix ans, estimait que l'idée de taxe Tobin n'était pas réaliste si elle n'était pas appliquée au niveau mondial. Il faut donc commencer par faire évoluer la position européenne - et ne pas fragiliser la place de Paris. Quant à doubler d'un coup les fonds propres, cela ne serait pas raisonnable, le crédit se contracterait encore plus.
M. Jean Arthuis, président. - Mais en payant moins de bonus, les banques pourraient affecter leurs résultats au renforcement des fonds propres et au financement de l'économie.
M. Joël Bourdin. - Je ne peux m'associer à cette proposition, car il ne me semble pas logique de créer ainsi une taxe dans une proposition de loi. A chaque discussion, dans l'hémicycle, nous créons une taxe ! J'en ai vu passer deux nouvelles dans la loi de modernisation de l'agriculture !
M. Jean Arthuis, président. - Le gouverneur de la Banque de France nous a dit hier que l'interdiction envisagée par l'Allemagne et la France serait sans effet sur la spéculation car les opérations peuvent se dénouer à l'étranger. Le signal fort est plutôt la signature d'un même document par le président de la République et la chancelière allemande, non comme en 2001 le vote d'un texte inapplicable, qui ne pourrait être opérationnel que si le monde entier faisait de même.
M. François Marc. - C'était l'abondance alors, aujourd'hui c'est la crise.
M. Charles Guené, rapporteur. - Cette loi mérite un débat, mais d'autres discussions sont en cours au niveau international, nous ne pouvons aller plus loin. Je vous rappelle qu'à l'époque, Mme Bricq avait dénoncé un texte inapplicable et inefficace.
La commission décide de ne pas adopter de texte afin que la discussion en séance publique porte sur le texte de la proposition de loi. Elle décide également de demander au Sénat de ne pas adopter les articles de la proposition de loi et de rejeter celle-ci.
Régulation bancaire et financière - Audition des représentants des agences de notation
La commission procède à l'audition de M. Frédéric Drevon, senior managing director de Moody's Europe, Moyen Orient, Afrique, M. Alain Mera, président de Fitch France, Mme Susan Launi, directeur juridique pour l'Europe et l'Asie de Fitch Ratings et Mme Carol Sirou, présidente de Standard & Poor's pour la France, sur le projet de loi de régulation bancaire et financière.
M. Jean Arthuis, président. - Nous avons reçu hier le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer. Le projet de loi de régulation bancaire et financière, en cours d'examen à l'Assemblée nationale, crée un conseil de la régulation financière et du risque systémique. Il vise aussi à ratifier l'ordonnance qui a créé l'Autorité de contrôle prudentiel par rapprochement entre la Commission bancaire et l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles. Des collèges de superviseurs sont aussi mis en place pour les établissements transnationaux.
Deux articles tendent à renforcer le contrôle sur les agences de notation, pour mettre notre législation en accord avec le droit européen. Lequel va pourtant encore évoluer, avec, par exemple, la prise en compte de la dette souveraine. La commission des finances de l'Assemblée nationale a voté un amendement, à l'initiative de Jérôme Chartier, instituant une responsabilité sans faute des agences de notation. C'est un signal fort.
Mme Carol Sirou, présidente de Standard & Poor's pour la France. - Le principe d'une régulation renforcée des agences de notation, en vue de leur conférer plus de transparence, d'indépendance, de concurrence et de responsabilisation nous semble indispensable pour restaurer la confiance des marchés et des utilisateurs des notations. Depuis 2004 ont été mises en place des réformes d'ampleur qui allaient déjà en ce sens. L'Organisation internationale des commissions de valeur (OICV) a élaboré un code de bonne conduite des agences de notation qui s'est traduit par différentes règlementations. Les Etats-Unis ont ouvert la voie en 2006. La réglementation européenne est entrée en vigueur en décembre 2009 et le dépôt des candidatures à l'agrément prendra fin le 7 septembre prochain. Cette réglementation impose aux agences de nombreuses obligations visant à assurer l'indépendance, la transparence et la qualité de leur activité, à gérer les possibles conflits d'intérêts et à en rendre compte aux autorités de régulation - l'Autorité des marchés financiers pour la France.
Au-delà, d'autres propositions sont attendues qui visent à améliorer la surveillance et à la centraliser au niveau européen - car notre activité n'est pas géographiquement localisée. Comme émergent en ce moment différentes règlementations dans le monde, il faut aussi veiller à respecter une certaine cohérence internationale et le G20 vient encore de réaffirmer la nécessité de règlementations qui ne soient pas discriminatoires. En revanche, certaines règlementations bancaires et assurantielles donnent une importance normative disproportionnée à la notation, en lui accordant un rôle systémique qui n'est pas le sien, ce qui entretient le malentendu sur notre métier. Au point qu'il faudrait, à la limite, retirer la référence aux notations dans certaines de ces règlementations.
Une note, c'est une évaluation qui porte sur le futur, c'est une appréciation sur une capacité de remboursement ou sur l'éventualité d'un défaut futur et c'est ce caractère prédictif qui donne toute sa valeur à notre métier. Il est toujours facile de critiquer ex post une note si ce qu'elle a anticipé ne se réalise pas mais, de notre point de vue, notre responsabilité n'est ici pas absolue : il faut considérer et mettre l'accent sur le respect des procédures et des standards professionnels. A cet égard, la réglementation européenne est très contraignante. On dit souvent que les agences de notation ne seraient pas responsables et se situeraient au-dessus des lois. Nous appelons seulement l'attention sur le fait qu'une responsabilité fondée sur la notion d'« erreur de notation » - comme le prévoit l'amendement Chartier au projet de loi de régulation - serait incompatible avec la réalité de notre métier, mettrait en péril l'existence même des agences et interdirait à certains États d'accéder aux marchés financiers.
M. Jean Arthuis, président. - Combien de personnes travaillent dans votre agence en France ?
Mme Carol Sirou. - Nous sommes cent vingt-sept, dont quatre-vingt-dix se consacrent à l'activité analytique, le reste étant affecté à la vente de données et aux fonctions support. Standard & Poor's emploie environ cent dix personnes à Francfort, trois cent cinquante à Londres, une cinquantaine en Italie, trente-cinq en Espagne, trente-cinq en Suède et soixante-dix à Moscou.
M. Frédéric Drevon, senior managing director de Moody's Europe, Moyen Orient, Afrique. - En France, nous avons notre troisième bureau européen par la taille ; quarante-sept personnes y travaillent contre cinq cents à Londres et quatre-vingt à Francfort. Nous soutenons la mise en place d'une autorité européenne unique, compte tenu de la nécessité d'une approche coordonnée et de standards européens communs. La nouvelle réglementation européenne sur les agences de notation - pour laquelle nous devons être prêts à la date du 7 septembre et qui est complexe et très complète - traitera de la transparence des agences, de leur gouvernance et de la gestion des conflits d'intérêts. Elle donnera aux autorités de tutelle les outils nécessaires pour appliquer à ces agences d'éventuelles sanctions qui iront de l'amende au retrait de la licence. Actuellement, nous n'avons pas besoin de licence. Dès le 7 septembre, nous serons dans une période de transition de six mois en attendant l'agrément des autorités de tutelle. Nous sommes aussi soumis, comme les autres grandes agences internationales, à la réglementation américaine de la Securities and Exchange Commission (SEC).
L'arsenal à la disposition de ces autorités de tutelle sera important. En droit français existe déjà aussi une responsabilité civile des agences qui donne aux investisseurs comme aux émetteurs le droit de mettre en cause leur activité.
Notre échelle de notation comprend vingt points différents de probabilité de défaut dans le futur. Si nous étions une agence parfaite, dans l'idéal nous devrions n'en avoir que deux : va faire défaut ou ne va pas faire défaut. Malheureusement, ne pouvant avoir une opinion certaine sur le futur, nous travaillons sur une échelle de probabilités. Un élargissement de la responsabilité civile, tenant compte de la notion d'erreur plutôt que de celle de faute, nous poserait problème. Le fait de modifier une note signifie-t-il que la note initiale était erronée ?
Si l'erreur était considérée comme une notion pertinente pour les agences de notations, nous serions amenés à reproduire ce que pensent les marchés afin de ne pas avoir une opinion différente d'eux. Or ceux-ci favorisent la volatilité des notations alors que, nous, nous voulons une notation stable, basée sur une recherche fondamentale et qui n'évolue pas au jour le jour. Ou bien nous serions amenés à adopter des notations plus conservatrices, ce qui obligerait certains émetteurs à se refinancer à un coût plus élevé et nuirait à l'activité économique. Nous considérons donc que la réglementation actuelle et le cadre français de la responsabilité civile permettent aux utilisateurs de la notation de faire appel aux tribunaux pour mettre en cause nos notes.
M. Alain Mera, président de Fitch France. - Notre agence emploie quarante-sept personnes en France, quarante à Francfort et quatre cent soixante à Londres.
Nous sommes conscients de l'importance des événements survenus depuis deux ou trois ans et nous n'avons eu de cesse d'en tirer les enseignements et de participer aux divers travaux sur une future régulation, en plaidant pour la coordination et la cohérence des politiques mises en place.
L'agence Fitch reconnaît l'existence de conflits d'intérêt potentiels du fait que nous pouvons être amenés à noter des entités qui nous rémunèrent. Ces conflits d'intérêt sont identifiés, gérés et divulgués ! Notre code de bonne conduite et des procédures publiques nous permettent de nous prémunir contre ce risque. En réalité, il n'existe pas de modèle économique dénué de tout conflit d'intérêt. Si nous étions rémunérés par les investisseurs, nos notes auraient un impact sur leur stratégie d'investissement ; de plus, la majorité d'entre eux sont eux-mêmes notés ; enfin, la fin de la diffusion publique des notes réserverait l'information au profit de quelques-uns seulement, ce qui nuirait à la transparence du marché. Notre modèle actuel de gestion des conflits d'intérêt est efficace grâce à des procédures qui assurent l'objectivité des notations, leur intégrité et leur indépendance ; grâce, aussi, au renforcement du contrôle européen.
Je peux donner quelques exemples des procédures mises en place pour gérer d'éventuels conflits d'intérêts. Les activités d'analystes sont totalement séparées des activités commerciales. Il n'y a aucune relation entre la rémunération des analystes et les revenus tirés de la notation des entités dont ils ont la charge. Ces analystes ont l'interdiction absolue de se livrer à des activités de conseil ou de structuration. La notation est déterminée par un comité - qui, chez nous, comprend obligatoirement un membre indépendant. Nous avons mis en place des responsables-crédit dans chaque groupe de notation, chargés de s'assurer que le processus respecte bien l'ensemble des procédures et méthodologies de notation. Nous avons mis en place un code de bonne conduite, révisé en 2009, conformément aux préconisations de l'OICV. Enfin, les activités annexes à la notation sont conduites dans des entités juridiques distinctes, ou séparées par une véritable « muraille de Chine ».
S'agissant de la responsabilité des agences, l'amendement Chartier proposait de les placer sous le régime de la « responsabilité sans faute ». Ce n'est pas acceptable car cela leur ferait courir un risque d'un niveau insupportable et injustifié, allant jusqu'à remettre en cause leur activité en France. La notation est une opinion prospective sur la solvabilité à terme d'un émetteur, ce n'est pas une vérification a posteriori comme celle d'un commissaire aux comptes. L'application d'une « responsabilité sans faute » pour n'avoir pas prédit le futur serait donc pour le moins mal avisée. Dans sa nouvelle rédaction, cet amendement prévoit l'application du code civil d'une part, la responsabilité de l'agence vis-à-vis de la réglementation européenne, d'autre part. C'est plus acceptable. Quant à l'interdiction des clauses limitant la responsabilité des agences, on doit y réfléchir à nouveau... L'exposé des motifs de cet amendement souligne l'absence de vigilance des analystes dans les notations non sollicitées. Nous le contestons formellement et cela va à l'encontre du renforcement de la concurrence que les régulateurs appellent de leurs voeux. Les nouvelles propositions de la Commission de Bruxelles encouragent justement, dans le domaine de la titrisation, les notations non sollicitées.
Diverses propositions sont en cours de discussion au Congrès à Washington. Le projet dit LeMieux propose de supprimer toute référence aux notations dans les exigences règlementaires. Cela favoriserait-il la concurrence ? Ou bien la concentration en faveur des deux plus grandes agences de notation, lesquelles occupent déjà 80 % du marché, contre 14 % pour Fitch ? Quant au projet dit Franken, il concerne la seule titrisation. La presse prétend qu'un comité serait chargé d'attribuer les mandats de notation. Je ne suis pas d'accord avec cette interprétation : le projet se contente de prévoir qu'un comité définirait les règles d'attribution de ces mandats.
Le projet d'agence européenne est à analyser à l'aune du caractère oligopolistique - je dirais même duopolistique - du marché de la notation. S'il existe actuellement trois agences globales, dont Fitch Ratings fait partie, il existe aussi de nombreuses agences locales ou sectorielles - consacrées par exemple aux assurances. Fitch Ratings est le résultat d'une initiative et de l'investissement considérable d'une société française, Fimalac, à la fin des années quatre-vingt-dix et nous appelons de nos voeux un renforcement de la concurrence. La création d'une agence demande du temps, il faut qu'elle puisse établir sa crédibilité auprès des investisseurs car, in fine, ce sont eux qui décident du niveau de la concurrence.
Fitch Ratings est déjà une agence européenne : notre actionnaire majoritaire est français et nous avons un siège social à Londres en plus de celui de New York. L'équipe d'analystes des risques souverains est basée à Londres. Et nous avons une filiale à Paris.
M. Jean Arthuis, président. - Lors de la précédente audition, vous aviez dit que vous notiez les États mais que les États ne vous rémunéraient pas. Cela va-t-il durer ?
Mme Carol Sirou. - Il y a un malentendu. Les États font l'objet du même processus d'accords contractuels que les autres émetteurs, du moins pour les neuf dixièmes d'entre eux. Un petit nombre, souvent pour des raisons historiques, font l'objet de notations non sollicitées. Les notations souveraines se font donc dans le cadre d'accords contractuels et nous avons des équipes dédiées qui font le même type d'analyses et appliquent les mêmes règles que pour les autres émetteurs. Les États ne bénéficient pas de processus allégés, au contraire. Il s'établit un processus interactif entre les analystes et les responsables de la gestion de la dette dans les différents ministères des finances.
M. Jean Arthuis, président. - Vos agences sont-elles rémunérées ?
Mme Carol Sirou. - Oui.
M. Alain Mera. - Chez Fitch, 40% des notations souveraines ne sont pas rémunérées et les analystes ne savent pas si une notation est rémunérée ou non. Ils appliquent donc la même procédure dans les deux cas.
M. Jean Arthuis, président. - Lorsque vous passez convention avec un émetteur, sur quoi portent les délibérations ? Allez-vous sur place, réalisez-vous un audit ?
M. Alain Mera. - Quelle que soit la notation, elle doit répondre à certains critères de qualité et l'émetteur doit répondre à nos demandes d'information. Si le dialogue ne permet pas d'y parvenir, nous ne notons pas !
M. Jean Arthuis, président. - S'agissant des entités souveraines, les fonctionnaires interrogés ne vous demandent pas si vous avez un mandat ?
M. Frédéric Drevon. - Non. Nous avons des contacts avec les ministères des vingt-sept États membres de l'Union européenne.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Pourquoi les échelles de notation diffèrent-elles d'une agence à l'autre ? Ne pourrait-on envisager une échelle unique ?
Les notations non sollicitées résultent de la libre initiative des agences et, donc, sont financées par elles. Comment définit-on un programme, s'agissant des entités souveraines qui vont faire l'objet d'une notation non sollicitée ? Y a-t-il un comité qui en décide ? Une procédure particulière ?
Pour la rémunération des agences, ne serait-il pas opportun d'envisager une tarification plus systématique, plus transparente ? Par exemple, je viens de recevoir un document de notation du département de la Meuse. Combien paye une modeste collectivité territoriale comme celle-ci pour être notée ? Le coût annuel de la notation d'une grande compagnie d'assurances - AXA par exemple - qui émet une grande variété de titres, est-il égal à dix fois, cent fois celui demandé à un département ? Une échelle de tarification publique serait-elle inconcevable ?
J'ai bien noté que votre code de conduite comprend une procédure de gestion des conflits d'intérêt - des « murailles de Chine ». Mais un même émetteur peut-il faire l'objet d'une notation de ses titres et, en même temps, d'une activité de conseil visant à être noté le mieux possible ? Est-ce possible, même avec une « muraille de Chine » ?
Monsieur Mera, le 4 mai, selon la presse, l'agence Fitch confirmait la note AAA accordée à l'Espagne. Le 28 mai, vous dégradiez cette note jusqu'à AA+ compte tenu de votre analyse des mesures de correction budgétaire de ce pays. Que s'est-il donc vraiment passé en trois semaines, quel raisonnement avez-vous suivi qui a provoqué une telle correction ?
Que penseriez-vous d'une notation systématique, à terme régulier, des titres de la dette souveraine des différents États que vous suivez ? Serait-ce un progrès ? Par exemple, serait-il souhaitable que vous publiez, sur l'Estonie, une note tous les six mois ou tous les ans ? Serait-ce favorable à la gestion des marchés ?
M. Denis Badré. - J'étais à Madrid au lendemain de la révision de la notation espagnole. Les gens comprenaient qu'on ne faisait plus confiance dans leur capacité de croissance du fait de la dette privée.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'était vrai le 28 mai et pas le 4 mai ?
M. Denis Badré. - Croyant comprendre que les agences n'avaient plus confiance dans le gouvernement Zapatero, l'opinion espagnole est descendue manifester dans la rue. En fait, la publication d'une dégradation de la note d'un pays est trop brutale. Ne devrait-on pas prendre le temps d'en expliquer les raisons à l'opinion publique ?
Les États de l'Eurogroupe veulent montrer qu'ils sont solidaires, mais la dégradation de la note espagnole ne témoigne-t-elle pas d'un manque de confiance dans cette solidarité ?
M. Pierre Bernard-Reymond. - Vous avez dit que la décision de noter était prise par un comité. Ce comité s'interroge-t-il sur la date et même l'heure à laquelle la note est rendue publique ? Tient-il compte de la conjoncture internationale ?
Sur la Hongrie, avez-vous une idée de ce qui vient de se passer ?
M. Charles Guené. - Je vous remercie d'être revenus à une seconde audition.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Signe des temps...
M. Charles Guené. - Je comprends votre peu d'engouement pour la « responsabilité sans faute », mais les préconisations du rapporteur général sur une échelle de notation unique et sur des rendez-vous réguliers de notation n'impliquent-elles pas une obligation de moyens et, donc, les responsabilités qui en découlent ?
M. Jean Arthuis, président. - J'en reviens à la notation des collectivités territoriales. Les réformes fiscales qui affectent leurs ressources, comme la suppression de la taxe professionnelle, la diminution de leur pouvoir fiscal, ont-elles un impact sur leur notation ?
M. Frédéric Drevon. - Sur l'échelle unique de notation, je dirai que nos échelles sont en apparence peu différentes. Ce qui diverge, ce sont les objectifs de chaque agence. La principale difficulté vient de l'impossibilité d'opérer l'ajustement ; cela supposerait de modifier notre stock de notations - plusieurs milliers dans le monde - portant sur des montants d'emprunts colossaux, ce qui aurait des conséquences considérables. Autre difficulté : à s'orienter vers un standard unique, on risque de perdre la diversité des opinions...
Nous avons cessé les notations non sollicitées il y a dix ans à cause de la difficulté de les expliquer tant aux émetteurs qu'aux investisseurs. En plus elles ont un coût pour l'agence...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Elles sont plutôt le fait du petit dernier à être entré dans la confrérie, Fitch...
M. Frédéric Drevon. - Pas seulement. Il y a place pour une notation non sollicitée en cas de désaccord. Mais le communiqué de presse doit être d'une grande transparence et expliquer la raison de la notation ainsi que la procédure suivie.
La rémunération de l'agence est fonction de la complexité de l'émetteur - une entité qui comporte mille filiales dans le monde est plus complexe à analyser qu'un département. Elle est aussi fonction du montant émis.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Proportionnellement, le petit émetteur paye beaucoup plus ?
M. Jean Arthuis, président. - La notation est payée par l'émetteur lui-même ?
M. Frédéric Drevon. - Oui. Quel serait l'intérêt de publier l'échelle de rémunérations ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Lutter contre les conflits d'intérêt !
M. Frédéric Drevon. - Non, car aujourd'hui l'analyste ignore si la notation est sollicitée ou non.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Une tarification ad valorem est-elle inimaginable ?
M. Jean Arthuis, président. - Comment les analystes sont-ils rémunérés ?
M. Frédéric Drevon. - Ils ont un salaire fixe, une part variable liée à l'ensemble des résultats de l'agence, plus une part liée aux qualités propres de l'analyste.
En 2007, nous avons séparé l'activité de conseil de celle de la notation. C'est une maison soeur qui se charge du conseil et de toutes les autres activités autres que la notation. La question des conflits d'intérêt est donc réglée.
En matière de notation des dettes souveraines, notre responsabilité est grande. D'où la nécessité de publier des communiqués de presse clairs et des documents explicatifs afin qu'on comprenne quels facteurs peuvent modifier une notation. Mais lorsqu'une note souveraine est modifiée, les médias ne s'intéressent pas beaucoup aux raisons qui l'expliquent.
La parution de notes à dates fixes ? Jusqu'à présent, nous considérions qu'une notation devait être délivrée sur le marché le plus rapidement possible, sans rétention d'information.
M. Jean Arthuis, président. - Les notations pourraient être annoncées en fin de semaine, lorsque les marchés sont fermés.
M. Frédéric Drevon. - Les marchés ne s'arrêtent jamais d'un fuseau horaire à l'autre et cela pourrait nuire aux investisseurs européens qui seraient devancés par les autres. Une autre option serait de viser le vendredi après-midi mais cela aurait un impact négatif sur les investisseurs qui auraient peu de temps pour réagir. Cela dit, nous sommes prêts à en discuter avec les régulateurs.
Je ne vois pas le bénéfice qu'il y aurait à remettre à jour notre notation souveraine à intervalles réguliers. Notre note doit être à jour à tout moment, pour éviter que les investisseurs ne s'interrogent sur elle entre deux émissions... Si la note doit être changée, elle le sera publiquement, en fonction de notre analyse macroéconomique ou de l'émergence de phénomènes spécifiques.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Cette question fait-elle débat aux États-Unis ?
M. Frédéric Drevon. - Pas à ma connaissance.
Mme Susan Launi, directeur juridique pour l'Europe et l'Asie de Fitch Ratings. - Le débat aux États-Unis porte plutôt sur les effets abusifs du marché. Le régulateur souhaite la publication la plus rapide possible, car la notation est une information déterminante. On avait ainsi observé des mouvements de marché juste avant la parution de la note de la Russie...
Mme Carol Sirou. - À compter du 7 septembre, le règlement européen réaffirmera une règle stricte : l'agence qui modifie une note doit informer l'émetteur un minimum de douze heures avant la publication, afin qu'il puisse notamment commenter notre projet de communiqué de presse. De facto, la probabilité qu'une note sorte juste après la fermeture des marchés boursiers s'en trouvera réduite. Mais laisser une information aussi sensible pendant douze heures ou plus entre les mains de tiers augmentera considérablement le risque de manipulation et de fuite.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Vos communiqués sont-ils parfois modifiés avant publication, à la suite de remarques des émetteurs ?
Mme Carol Sirou. - Très fréquemment. Nous nous engageons à transmettre systématiquement nos communiqués, sachant qu'il n'est pas question de modifier le fond. Les modifications portent essentiellement sur la formulation, le « wording » : cela fait partie de la relation de confiance entre l'agence de notation et l'émetteur. Il est important d'avoir des procédures claires.
Mme Susan Launi, directeur juridique pour l'Europe et l'Asie de Fitch Ratings. - Le règlement européen imposera de préciser s'il y a eu changement de notation après communication avec l'émetteur. Nous sommes rédacteur en chef de notre communiqué de presse : nous ne le transmettons que pour nous assurer qu'il ne contient pas d'informations confidentielles ou d'erreurs de fait.
M. Alain Mera. - J'ajoute que les émetteurs ont la possibilité de faire appel. Il est statué sur la recevabilité de l'appel via un processus formalisé et documenté.
M. Jean Arthuis, président. - À l'intérieur du délai douze heures ?
M. Alain Mera. - Oui.
Mme Carol Sirou. - La note est alors mise « sous surveillance ». Nous informons le marché de ce dialogue, tout en donnant la tendance, négative ou positive, de la notation.
M. Jean Arthuis, président. - De quoi mettre le marché en émoi...
Mme Carol Sirou. - Nous disposons de nombreux outils. Il faut encourager nos utilisateurs, investisseurs ou médias, à lire l'intégralité des explications détaillées et des éléments de tendance qui accompagnent la note !
M. Jean Arthuis, président. - Nous communiqueriez-vous quelques exemplaires de ces notes ?
Mme Carol Sirou. - Oui, c'est possible.
M. Pierre Bernard-Reymond. - À lire la presse, l'une des trois agences aurait annoncé que la note du Portugal serait abaissée d'ici trois mois. Comment une telle information peut-elle paraître dans les médias ?
Par ailleurs, comptez-vous dans vos équipes des spécialistes de géostratégie pour les notes souveraines ?
M. Frédéric Drevon. - Un communiqué de presse peut tout à fait évoquer une baisse de notation potentielle, donner une direction, voire une amplitude potentielle. Ensuite, les médias interprètent...
Mme Carol Sirou. - Le chef économiste de Standard and Poor's, M. Jean-Michel Stix, travaille avec l'ensemble des équipes sectorielles pour harmoniser l'analyse des tendances macroéconomiques. Nous avons créé des comités spécialisés dans l'analyse des conditions de crédit et de marché, dans lesquels des analystes spécialisés dans la banque, le risque immobilier ou la notation souveraine travaillent ensemble : la crise a démontré combien tous les secteurs étaient interconnectés.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Avez-vous des experts en géostratégie, par exemple en cas de risque de conflit armé dans un pays ?
Mme Carol Sirou. - Les analystes qui notent des pays dans des zones à risque reçoivent une formation adaptée. Nous faisons également appel à des tiers. Pour la notation d'Israël, par exemple, les éléments géostratégiques sont prépondérants...
M. Jean Arthuis, président. - Qu'est-ce qui, en Espagne, entre le 4 et le 28 mai, a ainsi fait bondir les données relatives au crédit aux particuliers ?
M. Alain Mera. - Le 28, nous publions un communiqué de presse dégradant d'un cran la note de l'Espagne. Entre le 4 et le 28, d'une part, nous avons complété nos analyses ; d'autre part, un plan de consolidation fiscale a été annoncé. Notre communiqué a été publié après la fermeture des marchés européens, ce qui a ému les médias européens - mais pendant l'ouverture des marchés américains ! Il résume les attendus de la décision, renvoie à un rapport de notation de treize pages qui les explicite, ainsi qu'aux méthodologies de notation mises en oeuvre.
Fitch ne pratique aucune activité de conseil. Il existe des banquiers spécialisés dans le rating advisory, chargés de conseiller les émetteurs dans leur dialogue avec les agences.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Que pensez-vous d'une éventuelle standardisation des échelles de notes, et d'une publication des tarifs ?
M. Alain Mera. - Je suis en ligne avec M. Drevon : une échelle se caractérise par des notes, dont la définition varie selon les agences. Les consommateurs de notes sont parfaitement au fait de nos différences.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Bref, business as usual...
M. Alain Mera. - De même, la publication des tarifs ne favoriserait nullement la concurrence.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Le challenger ne peut y être favorable !
M. Jean Arthuis, président. - Répondez-vous à des appels d'offres ?
M. Alain Mera. - Dans le secteur public, les collectivités locales lancent des appels d'offre, mais pas les États.
M. Jean Arthuis, président. - Les sommes en jeux sont sans doute dérisoires... Nous allons questionner France Trésor !
M. Pierre Bernard-Reymond. - La Commission européenne n'a jamais fait d'observation ?
M. Jean Arthuis, président. - Combien coûte la notation pour un département, par exemple ?
M. Alain Mera. - Le coût est variable, plus proche de 10 000 euros que de 50 000... Le marché de la notation se développe. Peu d'entités sont notées, peu ont accès au marché financier.
M. Jean Arthuis, président. - En somme, c'est une façon de faire certifier ses comptes ?
M. Alain Mera. - C'est un moyen d'accéder au marché, par exemple pour la Ville de Paris ou la région Île-de-France.
M. Jean Arthuis, président. - La réforme fiscale de fin 2009 vous a-t-elle conduit à réviser vos positions sur les régions ?
Mme Carol Sirou. - Nous prenons en compte le cadre institutionnel et les marges de manoeuvre fiscales. La baisse du pouvoir fiscal a entamé la capacité de réaction des collectivités territoriales. En l'absence d'augmentation des dotations de l'État, elles sont victimes d'un effet de ciseaux, à mettre en rapport avec le niveau d'endettement et les besoins futurs des collectivités. La dégradation de la structure financière de collectivités territoriales françaises peut se traduire par des situations financières très sévères.
M. Alain Mera. - Les notations non sollicitées sont déterminées, in fine, par les investisseurs, qui peuvent souhaiter une troisième opinion. Elles représentent un investissement important pour nous.
Chaque notation non sollicitée est approuvée par un comité ad hoc, qui s'assure que les conditions de notation sont optimales. Elle a les mêmes caractéristiques qu'une notation sollicitée. Nous avons le plus souvent un dialogue avec l'entité analysée.
M. Jean Arthuis, président. - Celle-ci peut donc protester ?
M. Alain Mera. - Certes, mais nous ne nous arrêtons pas pour autant. Il nous paraît important de publier notre analyse, dès lors qu'il y a une demande des investisseurs.
M. Jean Arthuis, président. - Une fois l'habitude prise, comment cesser ces notations ? Ne risqueriez-vous pas de perturber le marché ?
M. Alain Mera. - Nous poursuivons cet investissement. L'entité notée peut devenir un client, après un laps de temps. Dans de rares cas, nous avons interrompu la notation car les conditions d'information étaient devenues insuffisantes ; dans ce cas, nous le disons aux marchés.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Ces pratiques louables pourraient être énoncées dans une charte de déontologie s'appliquant à toute la profession.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - J'imagine que le code de conduite que vous avez évoqué incorpore ces éléments.
Mme Carol Sirou. - Le règlement européen va obliger les agences à divulguer le pourcentage et la nature des notations non sollicitées. Aux États-Unis, le législateur souhaite développer les notations non sollicitées en matière de titrisation, pour casser l'oligopole et favoriser l'émulation entre les douze agences agréées.
M. Alain Mera. - La commission européenne fait de même pour la titrisation.
M. Jean Arthuis, président. - Merci de nous avoir fait part de votre vision concernant les améliorations souhaitables dans la régulation bancaire et financière, afin que votre rôle ne fasse pas l'objet de suspicion, et que les responsabilités soient clairement établies.