Jeudi 25 février 2010
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Réforme des collectivités territoriales - Egal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs - Audition publique de M. Michel Verpeaux, professeur à l'université de Paris I, directeur du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)
La délégation a procédé à l'audition de M. Michel Verpeaux, professeur à l'université de Paris I, directeur du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), sur la conformité à la Constitution des modes de scrutin retenus par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale.
Mme Michèle André, présidente, l'a interrogé sur la conformité à la Constitution des modes de scrutin retenus par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale ainsi que sur les leviers d'amélioration de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
M. Michel Verpeaux a rappelé qu'il avait participé aux travaux du Comité pour la réforme des collectivités territoriales présidé par Edouard Balladur. Il a toutefois ajouté que les dispositions du projet de loi ne correspondaient pas, en particulier s'agissant du mode de scrutin et de la parité politique entre femmes et hommes, aux recommandations formulées par ce comité.
Il a ensuite observé que cette réforme d'ensemble avait été fractionnée en plusieurs projets de loi, ce qui nuit à sa lisibilité et peut prêter le flanc à certaines supputations. Puis, il a rappelé que, à l'occasion de l'examen en première lecture du projet de loi n° 60 (2009-2010) de réforme des collectivités territoriales, le Sénat y avait introduit un article 1er A (nouveau) précisant que le mode d'élection du conseiller territorial devait assurer la représentation des territoires par un scrutin uninominal, l'expression du pluralisme politique et la représentation démographique par un scrutin proportionnel ainsi que la parité. Il a cependant estimé que cette disposition qui vise explicitement à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs ainsi que l'expression du pluralisme politique n'avait que la portée d'une déclaration d'intention.
Puis, soulignant qu'il convenait de bien distinguer le mode de désignation des conseillers territoriaux de celui des délégués communautaires, M. Michel Verpeaux a jugé difficile d'affirmer que le projet de loi allait globalement dans le sens de l'amélioration de la parité ou de la représentation des différents courants de pensée, même s'il n'était pas nécessairement pour autant contraire à la Constitution.
Evoquant l'argument suivant lequel l'élargissement de la parité résultant de l'extension du scrutin de liste proportionnel aux communes de moins de 3500 habitants pour l'élection des délégués communautaires « compenserait » en quelque sorte le recul de la parité dû au mode de scrutin des conseillers, il a estimé qu'il ne présentait que peu de valeur, au plan juridique.
Il a d'ailleurs signalé que, pour l'élection des conseillers municipaux, le Comité Balladur n'avait pas souhaité fixer de seuil minimal de population pour l'application du scrutin de liste, en dépit des difficultés que pourrait susciter ce mécanisme dans les très petites communes. Il a cependant évoqué le souhait exprimé par certains élus locaux de réserver ce dispositif aux communes de plus de 500 habitants, en rappelant que ce mode de scrutin avait vocation à favoriser la parité à la fois dans les communes de taille réduite et dans les instances intercommunautaires.
S'agissant des conseillers territoriaux, il a rappelé que le Comité avait envisagé d'instituer des « super cantons » ou des « mini arrondissements » permettant de mettre en place un scrutin de liste de type mixte, inspiré des dispositifs en vigueur pour les élections municipales et les élections régionales, et de nature à favoriser le pluralisme politique et la parité. Il a noté que le Gouvernement n'avait toutefois pas retenu cette solution. Il a insisté sur la relation étroite existant entre le découpage des circonscriptions et le mode de scrutin, les grandes circonscriptions étant propices à l'instauration du scrutin de liste tandis que les petites imposent le scrutin uninominal.
Il a ensuite regretté la complexité du volet électoral du projet de réforme territoriale qui aboutit à l'élection de deux catégories d'élus : les 80 % des conseillers territoriaux élus au scrutin uninominal à un tour, et les 20 % restants élus au scrutin de liste. Affirmant que le scrutin uninominal était clairement défavorable à la parité, il a envisagé la possibilité de prévoir un tandem de candidats titulaires et suppléants de sexe opposé, tout en considérant ce palliatif comme peu satisfaisant, Mme Michèle André, présidente et M. Yannick Bodin rappelant que ce dispositif, institué dans les conseils généraux avait conduit certains à parler de « cantons en viager ».
M. Michel Verpeaux a ajouté qu'il était aussi possible de ramener à 70 % la proportion des élus au scrutin uninominal et d'augmenter à 30% celle des élus au scrutin de liste, sans être sûr que l'amélioration qui en résulterait en matière de parité serait suffisante. Evoquant ensuite l'impossibilité pour un candidat de se présenter à la fois au scrutin majoritaire et au scrutin de liste, il a estimé que la présentation d'un « mauvais candidat » au scrutin uninominal pèserait sur le nombre d'élus au scrutin de liste puisque celui-ci dépend du nombre de voix obtenues au scrutin uninominal. Il a jugé que ce système complexe ne favoriserait ni la parité, ni la diversité politique.
S'agissant de la conformité de ce dispositif électoral à la Constitution, il a rappelé que la loi devait favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, et que cette formule devrait, en principe, signifier que le législateur ne doit pas s'engager dans une voie opposée. Il a cependant rappelé qu'en 2003 le Conseil constitutionnel était resté silencieux sur la disposition relevant aux départements comportant au moins quatre sénateurs l'application du scrutin de liste, inscrite dans la loi du 30 juillet 2003 portant réforme de l'élection des sénateurs, ce qui ne constitue pas un signe encourageant.
Il a aussi remarqué que le Conseil constitutionnel pourrait ne pas censurer un dispositif défavorable à la parité ou au pluralisme politique en considérant que la poursuite de ces objectifs devait se concilier avec d'autres considérations d'intérêt général, comme par exemple la recherche de majorités stables au sein des conseils. Le Conseil peut en effet estimer, comme dans la décision 475 DC, que la mesure ne porte pas par elle-même atteinte à l'objectif de parité.
M. Michel Verpeaux a enfin évoqué les deux leviers susceptibles d'être utilisés pour favoriser la parité : la mise en place d'un mécanisme d'inéligibilité en cas de non-respect de la parité dans la présentation des candidats et les sanctions financières. S'agissant du premier, qu'il a qualifié de « radical », il a observé qu'il ne pouvait fonctionner de manière satisfaisante qu'avec un scrutin de liste. Il a ensuite estimé qu'un durcissement des sanctions financières ne pourrait être efficace qu'à condition d'être vraiment douloureux, mais que, alors, les partis politiques n'y seraient sans doute pas favorables.
Après avoir remercié le Professeur Michel Verpeaux, Mme Michèle André, présidente, a souligné que, si la conformité à la Constitution du mode de scrutin présenté dans le projet de réforme restait incertaine, ceci ne devait pas conduire à l'inaction, l'examen en séance plénière étant avant tout le lieu du débat politique, d'autant plus que la décision du Conseil constitutionnel ne viendrait qu'après l'adoption du projet de réforme.
Après avoir souligné que l'ensemble des personnalités qualifiées auditionnées par la délégation avaient conclu à l'incidence défavorable du projet de réforme sur l'objectif de parité, M. Yannick Bodin a rappelé l'importance du choix du mode de scrutin pour faciliter l'accès des femmes aux mandats électoraux, en donnant pour preuve l'écart de 5 % du nombre de femmes élues à l'Assemblée nationale et au Sénat, découlant directement de la place du scrutin proportionnel pour l'élection des sénateurs.
Bien que ne disposant pas de données chiffrées globales sur la réalité de la parité dans les conseils municipaux des petites communes de moins de 3 500 habitants, il a néanmoins estimé qu'on pouvait considérer que le nombre de femmes élues y était en augmentation, et s'est appuyé pour illustrer son propos sur les chiffres de son propre département, la Seine-et-Marne, au sein duquel le nombre de femmes maires a presque doublé, passant de 50 à 96 en deux mandatures. Il a reconnu que ces chiffres traduisaient tant le regain d'intérêt des femmes pour la politique qu'un certain désengagement des hommes, en particulier dans les petites communes.
En l'absence d'interprétation uniforme de la valeur juridique à donner à l'article premier de la Constitution, qui confère à la loi le soin de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats locaux, il s'est demandé si le Conseil constitutionnel ne pouvait adopter une analyse relative, consistant à sanctionner les régressions et approuver les avancées législatives au regard de l'objectif de parité.
Après s'être inquiété que le désengagement observé des hommes ne traduise une certaine dévalorisation des fonctions électives, M. Michel Verpeaux a attiré l'attention des membres de la délégation sur les possibles effets pervers de l'application des dispositions visant à favoriser la parité dans les intercommunalités, craignant qu'elles aboutissent à cantonner les femmes dans les fonctions exécutives des petites communes, les hommes se réservant les postes les plus valorisants.
S'agissant de l'analyse du Conseil constitutionnel, il a estimé que, bien qu'étant, à son sens, la méthode la plus propice pour faire avancer la mise en oeuvre de l'objectif de parité, l'examen concret des situations consistant à n'autoriser que des améliorations par rapport au droit existant ne faisait pas partie des méthodes habituelles d'examen des juges du Conseil.
Au vu de la jurisprudence, il a estimé que le Conseil constitutionnel était aussi susceptible de privilégier une approche globale du texte, de considérer que l'amélioration de la parité dans les communes compensait en quelque sorte la diminution du nombre de femmes élues conseillères territoriales dans les régions, et de valider le texte « a contrario », en considérant que le texte « ne défavorise pas trop » l'objectif de parité.
Estimant qu'en privilégiant le mode de scrutin uninominal, le projet de réforme avait fait le choix délibéré de laisser le pouvoir aux hommes, Mme Gisèle Printz s'est demandé dans quelle mesure il ne fallait pas envisager de modifier le mode de scrutin proposé. Elle a exprimé son inquiétude que le projet de réforme n'aboutisse, en définitive, en cantonnant les femmes aux fonctions exécutives des petites communes, à les exclure des autres responsabilités politiques.
Tout en convenant, avec Mme Gisèle Printz, qu'il était toujours possible de proposer une modification du mode de scrutin proposé, M. Michel Verpeaux a estimé que la parité apparaissait comme une victime collatérale d'un dispositif électoral qui se fixait d'autres objectifs politiques que le respect de la parité.
Souhaitant aborder successivement trois points, Mme Muguette Dini a tout d'abord estimé qu'il était trompeur de parler de compensation entre le titre I et le titre II du projet de loi, la différence de pouvoirs entre un maire d'une petite commune et un conseiller territorial interdisant toute forme de comparaison.
S'agissant du mode de scrutin, elle a rappelé qu'elle avait présenté en 2005 dans une proposition de loi (n° 153 - 2005-2006) un dispositif consistant à garantir, pour l'ensemble des scrutins et dans toutes les circonscriptions, la présence des deux sexes à parité dans les candidatures, et s'est interrogée sur la possibilité d'appliquer ce dispositif aux conseillers territoriaux.
Enfin, elle a soumis à l'examen du professeur Michel Verpeaux une proposition qu'elle a estimée intéressante consistant à réserver, au sein d'un même département, la possibilité de présenter une liste aux partis politiques ayant respecté la parité de candidatures au scrutin uninominal.
M. Michel Verpeaux a considéré qu'il ne serait possible de parler de compensation entre la progression des femmes dans les fonctions municipales et leur régression au niveau des conseilleurs territoriaux que si l'on s'en tenait à une approche quantitative, certes objective, mais qui méconnaîtrait la différence qualitative qui sépare ces deux types de mandats.
Tout en jugeant intéressant le dispositif envisagé par la proposition de loi de Mme Muguette Dini, il a toutefois estimé qu'il serait difficile d'imposer une égalité de candidature hommes/femmes au scrutin uninominal, arguant, d'une part, de la réticence des partis politiques à appliquer ce dispositif et, d'autre part, des difficultés de lier, en pratique, au sein d'une même élection, le choix des candidatures.
Mme Bernadette Dupont s'est demandé s'il ne fallait pas procéder par étape, en considérant les femmes élues dans les petites communes comme une « réserve » pour les futures fonctions électives nationales, et a jugé particulièrement formateurs les mandats locaux « de terrain ».
Citant une étude diligentée par ses services, à l'occasion de la décision du SPD allemand d'imposer 40 % de femmes aux élections législatives alors qu'elle était secrétaire d'Etat chargée des droits des femmes, Mme Michèle André a indiqué que, en l'absence de dispositif incitatif, il aurait fallu 75 ans pour aboutir à la même proportion en France, et souligné, par conséquent, qu'il n'était donc pas inutile de fixer des objectifs chiffrés.
Estimant qu'il serait peu probable qu'une majorité soit réunie pour adopter le mode de scrutin présenté dans le projet de loi, transmis par le Gouvernement, et après avoir marqué son opposition au dispositif, Mme Jacqueline Gourault a considéré qu'il revenait aujourd'hui aux parlementaires de trouver un mode d'élection plus juste et plus paritaire pour les conseillers territoriaux, dont l'existence semblait maintenant actée.
Estimant qu'appliqué à l'échelle d'une circonscription trop étroite et à des listes trop réduites, le scrutin proportionnel perdrait en pratique une partie de sa réalité, elle a proposé de l'appliquer plutôt au niveau de la région.
Convenant avec Mme Michèle André de l'intérêt de réfléchir à d'autres modes de scrutin, M. Michel Verpeaux a rappelé que l'institution même du conseiller territorial ayant vocation à siéger simultanément dans deux assemblées distinctes était susceptible de soulever un problème de constitutionnalité, que le Gouvernement semblait ne pas vouloir considérer, mais qui pouvait cependant déboucher sur une remise en question du dispositif.
En réponse à Mme Jacqueline Chevé qui l'interrogeait sur le conflit d'intérêt que pouvait susciter ce cumul de fonctions, M. Michel Verpeaux a estimé que son existence risquait de soulever des difficultés au regard des dispositions contenues dans la Constitution, notamment celles garantissant la libre administration des collectivités territoriales, tout en reconnaissant que son analyse ne semblait pas être partagée par tout le monde.
Mme Catherine Procaccia a rappelé le contenu de l'amendement présenté par M. Nicolas About dont elle a estimé qu'il constituait une bonne référence pour la défense de la parité dans le projet de loi.
Par ailleurs, elle s'est interrogée sur la possibilité de limiter à deux le nombre de mandats du conseiller territorial, ce qui favoriserait mécaniquement le renouvellement des candidatures.
Enfin, elle a jugé que l'élargissement du scrutin proportionnel et ses conséquences automatiques sur la parité n'étaient pas forcément la meilleure façon de pérenniser la présence des femmes dans les assemblées élues, estimant que les femmes avaient tout à gagner à être élues au scrutin uninominal, parce qu'il permettait de personnaliser la fonction et d'acquérir une véritable notoriété.
Mme Michèle André, présidente, a insisté sur le fait que la délégation n'avait pas pris de position en faveur du scrutin proportionnel ou du scrutin majoritaire et qu'elle se fixait pour objectif, comme l'amendement de M. Nicolas About, de défendre la parité, quel que soit le mode de scrutin proposé.
M. Michel Verpeaux a estimé que si, à l'évidence, le scrutin de liste proportionnel paraissait plus avantageux au regard de l'objectif de parité, on ne pouvait pour autant condamner par principe le mode de scrutin uninominal. Il a rappelé, par ailleurs, la faible portée juridique de l'amendement de M. Nicolas About.
Mme Jacqueline Gourault a exposé les enseignements qu'elle retirait de son expérience d'élue, ayant successivement assumé un mandat de conseiller général, puis de conseiller régional, élue au scrutin uninominal.
Elle a indiqué que son élection au conseil régional, au scrutin de liste, ne l'avait pas empêchée, grâce à son activité et à son investissement dans les domaines qui lui avaient été confiés, de se faire véritablement connaître des électeurs. Elle a tiré de cette expérience la conviction que la légitimité des élues tenait moins aux modalités de leur élection qu'à leur investissement dans leurs fonctions électives.
Mme Michèle André, présidente, s'est félicitée que chacun puisse faire part de ses expériences propres et proposé qu'un échange soit programmé entre les membres de la délégation après la suspension des travaux.
Mme Françoise Cartron a considéré que le projet de loi de réforme présentait trois anomalies graves au regard de l'objectif de parité et, plus généralement, au regard de la place des femmes dans les conseils élus.
Elle a estimé que, premièrement, la réduction par deux du nombre d'élus, deuxièmement, le mode de scrutin retenu, enfin la présentation du titre II comme une « compensation » possible des incidences négatives du titre I, étaient autant de coups portés à l'accès des femmes aux responsabilités politiques, auquel elle a indiqué être particulièrement attachée.
A cet égard, elle a estimé que réserver aux femmes les fonctions exécutives locales dans les petites communes ne pouvait être analysé comme un tremplin, mais comme un cantonnement.
Elle a estimé que si la bataille parlementaire contre l'adoption du mode de scrutin devait être perdue, il reviendrait à chacune de reprendre le flambeau au sein de sa formation politique.