- Jeudi 15 octobre 2009
- Les femmes dans les lieux privatifs de liberté - Compte rendu d'une mission d'information
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale - Nomination d'un rapporteur
- Les femmes dans les lieux privatifs de liberté - Audition de M. Frédéric Perrin, directeur central de la police aux frontières
- Les femmes dans les lieux privatifs de liberté - Audition de M. Géraud Guibert, conseiller maître à la Cour des Comptes, rapporteur de l'enquête de la Cour sur la gestion des centres de rétention administrative
Jeudi 15 octobre 2009
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Les femmes dans les lieux privatifs de liberté - Compte rendu d'une mission d'information
Mme Michèle André, présidente, a rappelé qu'elle avait conduit, la semaine précédente, une mission d'information de la délégation en Espagne, et que, avec l'accord du Bureau du Sénat, celle-ci avait été composée sur le modèle de celui des missions d'information des commissions permanentes.
Elle a précisé que cette mission avait pour triple objet d'étudier la condition pénitentiaire des femmes incarcérées en Espagne, ainsi que l'application des législations dont l'Espagne s'est dotée pour améliorer la place des femmes dans les conseils d'administration des principales sociétés, et pour lutter contre les violences conjugales, législations dont elle a souligné le grand intérêt.
Elle a indiqué que la mission avait visité la prison de Madrid VI, située à Aranjuez, une prison récente et qui constitue sans doute une prison modèle, et qu'elle avait été sensible à l'accent mis par l'administration pénitentiaire sur la volonté de réhabilitation des personnes incarcérées. Elle a relevé que la prison d'Aranjuez avait une approche originale de la mixité en prison, puisque certains délinquants pouvaient y être incarcérés en couple et avec leurs enfants. Elle a d'ailleurs noté que le centre d'Aranjuez portait une grande attention à l'accueil des enfants, et consacrait des moyens importants à la formation des adultes, parfois jusqu'au niveau universitaire, dans l'esprit de préparer leur réinsertion.
Elle a indiqué que la proportion des femmes dans la population carcérale espagnole - 8 % - représentait le double de celle de la France ; que ces femmes étaient souvent condamnées pour des infractions liées au trafic de drogue, et que la proportion des étrangères, principalement latino-américaines, était importante.
Mme Jacqueline Panis a également salué la dimension humaine de l'encadrement, soulignant qu'à aucun moment les membres de la mission n'avaient eu l'impression d'une atmosphère oppressante.
Mme Odette Terrade a noté que les détenues pouvaient librement se déplacer à l'intérieur de l'enceinte de la prison.
M. Alain Gournac a relevé que le simple fait pour les surveillants de saluer les détenus contribuait à instaurer un climat différent, et qu'il semblait exister une forme de pacte de confiance entre eux et le directeur.
M. Yannick Bodin a déclaré partager ces impressions, se réjouissant qu'un lieu de privation de libertés ne soit pas nécessairement un lieu où la vie est mise entre parenthèses. Il a relevé quelques-uns des faits qui l'avaient le plus marqué lors de cette mission : l'existence d'un ministère de l'égalité entre les sexes inscrit dans le paysage politique et confié à une jeune femme de 31 ans ; l'existence de tribunaux et de juges spécialisés dans la lutte contre les violences faites aux femmes, à l'image, en France, de la justice des mineurs ; enfin l'aura et le respect dont jouit le défenseur du peuple, que tout citoyen peut saisir directement, et dont les critiques ne sont pas contestées et minimisées par les administrations concernées.
M. Alain Gournac a remarqué que le défenseur du peuple était, en Espagne, le personnage le plus populaire après le Roi, et que son rôle et son importance n'étaient contestés par personne.
Mme Michèle André, présidente, a rappelé que la commission des lois du Sénat l'avait auditionnée dans le cadre de la discussion du projet de loi instituant un défenseur des droits. Elle a précisé à Mme Gisèle Printz que sa compétence s'étendait à toute personne quel que fut son âge, et qu'ainsi, il était aussi le défenseur des enfants. Celle-ci a regretté la suppression en France de la défenseure des enfants, et Mme Jacqueline Panis a rappelé que les attributions de cette dernière seraient reprises par le défenseur des droits.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale - Nomination d'un rapporteur
Mme Michèle André, présidente, a ensuite indiqué, qu'à sa demande, la commission des affaires sociales avait souhaité recueillir l'avis de la délégation sur les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociales (PLFSS) relatives à la retraite des mères de famille.
Sur sa proposition, la délégation a, à l'unanimité, désigné Mme Jacqueline Panis comme rapporteure sur ces dispositions. Elle a suggéré que les membres de la délégation qui le souhaiteraient puissent assister aux auditions auxquelles la rapporteure jugerait bon de procéder. Elle a indiqué qu'elle avait elle-même rencontré récemment le directeur de cabinet du ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, M. Xavier Darcos, et lui avait indiqué que la délégation prendrait position sur ce sujet, avec l'idée directrice que, aussi longtemps que subsisteraient des inégalités entres hommes et femmes, des mécanismes compensateurs, comme les majorations de durée d'assurance, conserveraient toute leur justification. Elle a conclu que ces dispositions méritaient d'être examinées par la délégation sous l'angle de l'égalité entre les sexes.
Mme Catherine Procaccia a estimé qu'il convenait de s'assurer que le dispositif envisagé ne serait pas remis en question au nom des principes inscrits dans la convention européenne des droits de l'homme, ou dans le droit communautaire. Elle a suggéré d'auditionner ceux qui sont à l'origine des recours ayant suscité la jurisprudence nouvelle de la Cour de cassation.
Mme Michèle André, présidente, a indiqué que la commission des affaires sociales devait se réunir le 4 novembre pour examiner son rapport, et qu'il convenait, en conséquence, pour qu'elle puisse y intégrer les recommandations de la délégation, que celle-ci se réunisse la veille, le mardi 3 novembre, à quatorze heures, pour examiner l'avis de sa rapporteure, qui pourrait ainsi présenter les recommandations de la délégation en milieu d'après-midi devant la commission saisie au fond.
Mme Odette Terrade a invité la délégation à ne pas perdre de vue la situation des très nombreuses femmes que les parlementaires voient dans leurs permanences et qui ne disposent que de très faibles retraites, qu'il ne saurait être question de réduire encore.
M. Yannick Bodin a estimé que, dès lors que la société évoluerait dans le sens souhaité, celui d'une plus grande égalité et d'un partage plus équilibré des responsabilités familiales entre les hommes et les femmes, on devrait s'attendre à un accroissement des revendications des hommes qui considèreront qu'ils ont droit, eux aussi, à des avantages familiaux. Il a estimé d'ailleurs que l'on rencontrait de plus en plus, dans les jeunes générations, d'hommes qui se mettaient en disponibilité pour élever un jeune enfant, alors même que la mère reprenait son emploi.
Mme Gisèle Printz a estimé qu'une femme qui attendait un enfant ne pouvait plus avoir la même présence au travail, et qu'il convenait de le prendre en compte.
Mme Michèle André, présidente, a estimé qu'une période de transition de plusieurs années s'écoulerait entre l'ancien monde et la parfaite égalité des sexes vers laquelle il fallait se diriger. Elle a jugé qu'il serait intéressant pour la délégation de réfléchir à ce que pourrait être ce monde nouveau vers lequel on tend, sans s'interdire une approche un peu utopique.
Revenant sur la poursuite des travaux consacrés au thème des femmes dans les lieux privatifs de liberté, elle a proposé à la délégation d'effectuer encore une ou deux visites, notamment à Fleury-Mérogis, dans un centre de rétention ou dans la zone d'attente pour les personnes en instance (ZAPI 3) de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle.
Ella a invité les commissaires, et notamment les sénatrices et sénateurs représentant les Français de l'étranger ou représentant les départements d'outre-mer, à enrichir la réflexion de la délégation en versant au débat les impressions, les remarques et les recommandations qu'ils auraient retirées de la visite de lieux de privation de libertés.
Les femmes dans les lieux privatifs de liberté - Audition de M. Frédéric Perrin, directeur central de la police aux frontières
Puis la délégation a procédé à l'audition de M. Frédéric Perrin, directeur central de la police aux frontières.
Mme Michèle André, présidente, lui a souhaité la bienvenue et l'a remercié d'avoir accepté de venir parler devant les membres de la délégation. Elle lui a indiqué que son audition intervenait dans le cadre de leurs travaux sur le thème particulier des femmes dans les lieux privatifs de liberté, dont font partie les zones d'attente ainsi que les centres et les lieux de rétention administrative. Elle lui a demandé de faire part aux membres de la délégation de ses réflexions sur la façon spécifique dont sont traitées les femmes dans ces espaces, sur les dispositions mises en oeuvre pour celles faisant l'objet de procédures de reconduite à la frontière ou de placement en rétention.
M. Frédéric Perrin, directeur central de la police aux frontières, a tout d'abord rappelé que les mesures prises par les services de la police aux frontières ne concernaient que des ressortissants étrangers. Il a ensuite indiqué que les dispositifs mis en place par ses services étaient de deux ordres, en fonction de la façon dont ces ressortissants en situation irrégulière étaient appréhendés :
- un premier type de contrôle concerne les opérations effectuées aux frontières, en particulier aériennes, au titre du code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, dit « code frontières Schengen » ; celui-ci rend obligatoire la mise en oeuvre de règles communautaires ainsi que de règles propres à chaque pays déterminées par la latitude que ce code reconnaît à chaque pays pour fixer les conditions d'entrée des ressortissants étrangers, comme par exemple les modalités de contrôle de la capacité de justifier d'un viatique suffisant, c'est-à-dire de documents témoignant de ressources suffisantes pour faire face aux frais de séjour en France ;
- un deuxième type de contrôle, à l'intérieur des frontières nationales, effectué à l'occasion d'opérations de police traditionnelles et portant sur les infractions non pas aux conditions d'entrée mais aux conditions de séjour sur le territoire.
M. Frédéric Perrin, directeur central de la police aux frontières, a souligné que ces deux types de contrôle impliquaient deux approches juridiques différentes quand bien même, dans l'un et l'autre cas, était mise en oeuvre une mesure de privation de la liberté d'aller et de venir. Il a ajouté que des obligations spécifiques pesaient sur les compagnies aériennes, tenues de procéder, avant l'embarquement des passagers, à la vérification du respect des conditions d'acceptation sur le territoire national. Il a considéré que les informations relatives à ces conditions étaient généralement bien comprises et connues des passagers, rappelant que même si certaines personnes n'étaient pas en règle par ignorance et non pas par intention frauduleuse, la police des frontières était néanmoins tenue de les refouler, au même titre que les personnes usant de documents falsifiés, la bonne foi ne pouvant jouer en leur faveur. Il a indiqué que lorsqu'une personne ne remplissait pas les conditions pour être admise dans l'espace Schengen, elle était remise à la compagnie aérienne, l'aéroport de Paris concentrant à lui seul 94 % des placements en zone d'attente.
Mme Michèle André, présidente, a précisé à ses collègues que les compagnies aériennes pouvaient refouler toute personne dans l'incapacité de présenter un titre de circulation ou une pièce d'identité valide pendant encore six mois. Elle a indiqué qu'il s'agissait d'une règle internationale largement admise et que les compagnies aériennes s'y pliaient d'autant plus que la responsabilité financière du raccompagnement d'un ressortissant en situation irrégulière leur incombait.
M. Frédéric Perrin, directeur central de la police aux frontières, a ensuite insisté sur l'importance de la notion de transit, citant l'exemple de l'aéroport de Roissy, dont la moitié des 60 millions de passagers annuels sont en transit.
Il a indiqué que le nombre de non-admissions sur le territoire national en 2008 s'élevait à 18 564, dont 17 103 placements en zone d'attente, pour laisser le temps à la compagnie aérienne de trouver un vol de retour et à ces personnes en situation irrégulière d'exercer leurs droits. Il a ajouté que les mineurs en situation irrégulière, à leur arrivée sur le territoire national, ne faisaient pas l'objet d'une réadmission immédiate mais étaient d'abord placés sous protection juridique, un administrateur ad hoc étant immédiatement désigné pour étudier les droits spécifiques aux enfants et pour examiner si ses parents se trouvaient ou non sur le territoire.
M. Frédéric Perrin a ensuite relevé que la part des femmes dans les non-admissions était relativement importante, s'élevant à environ 30 %, c'est-à-dire à 5 877 étrangères en 2008, ces femmes étant généralement seules. Il a ajouté que le délai moyen d'attente dans la zone de l'aéroport de Roissy était de 2,7 jours, ce délai constituant un élément important pour pouvoir juger de la qualité des services et des infrastructures mis en place ou à mettre en place. A cet égard, il a insisté sur le fait qu'un placement en zone d'attente était très différent d'un placement en centre de rétention, précisant qu'il ne répondait pas aux mêmes règles ni ne satisfaisait aux mêmes garanties.
Il a expliqué qu'aucun dispositif spécifique n'était prévu pour les femmes, sur le modèle, par exemple, de celui prévu pour les mineurs. Il a indiqué néanmoins que les femmes, les hommes et les familles étaient hébergés séparément, et que les femmes enceintes bénéficiaient d'une visite médicale dès leur arrivée.
Sur la question du confort et des conditions d'accueil, M. Frédéric Perrin a indiqué qu'une zone d'attente était composée d'une salle d'attente et d'une cour extérieure pour la journée, ainsi que d'une partie hôtelière pour la nuit avec des chambres individuelles ou doubles. Il a précisé que la capacité de logement dans la zone d'attente de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle était de 164 places et que le taux d'occupation moyen variait entre 60 et 80, avec des pics à 120 ou 140 personnes hébergées. Il a ajouté que les femmes disposaient d'un kit d'hygiène approprié, ainsi que d'équipements de puériculture et d'aliments pour bébés, rappelant que toute autre prestation qui s'avérait nécessaire était prise en charge par la compagnie aérienne responsable.
En réponse à M. Alain Gournac, il a précisé que, dans le respect de certaines conditions liées à la sécurité, les personnes placées en zone d'attente pouvaient disposer des effets contenus dans leurs bagages.
Il a enfin abordé la question du respect de la dignité, indiquant que la zone jour était mixte, compte tenu du fait que le placement en zone d'attente, au contraire de la détention, ne justifiait pas de régime permanent de séparation. Il a précisé qu'une séparation pouvait être envisagée en cas d'incompatibilité d'humeur entre des personnes retenues, mais que cela arrivait rarement, notamment en raison de la courte durée du maintien en zone d'attente.
M. Frédéric Perrin, directeur central de la police aux frontières, a ensuite évoqué le placement en centre de rétention administrative (CRA), indiquant que ce dernier ressortissait à une réglementation plus complète et plus précise et qu'il concernait les personnes contrôlées sur le territoire, en infraction au séjour et pour lesquelles est engagé un processus d'éloignement. Il a relevé qu'en 2008, 34 592 personnes avaient été placées en rétention administrative en métropole, dont 1 956 femmes, soit une proportion faible de l'ordre de 5,65 %. Il a expliqué la différence relativement importante entre la proportion de femmes placées en zone d'attente et celle de femmes placées en rétention administrative par le fait que le dernier cas ne pouvait pas concerner des femmes en situation irrégulière malgré leur bonne foi et que les candidates à une immigration de longue durée sur le territoire national étaient beaucoup moins nombreuses. Il a ajouté que depuis janvier 2009, 23 584 personnes avaient été placées en rétention administrative, dont 1 444 femmes, soit une proportion relativement stable d'environ 5 %.
Il a indiqué que sur les vint-cinq centres de rétention administrative, dont quatre situés dans les territoires d'outre-mer, vingt accueillaient des femmes, expliquant que les cinq autres - Perpignan, Sète, Mesnil-Amelot, Bobigny et un centre à Paris - ne présentaient pas les conditions matérielles requises par assurer l'intimité des femmes. Il a précisé en revanche que le centre du dépôt, au Palais de Justice de Paris, présentait la spécificité de n'accueillir que des femmes. Il a ajouté que onze centres accueillaient les familles.
Il a ensuite évoqué la situation particulière des mineurs, expliquant que ces derniers ne pouvaient pas faire l'objet d'une procédure de reconduite à la frontière et qu'ils n'étaient donc pas en principe placés dans des centres de rétention administrative. Sur ce sujet, il a expliqué qu'il appartenait aux parents de choisir que leur enfant soit placé dans un foyer d'hébergement ou qu'il soit placé en rétention administrative avec eux. Il a indiqué aux membres de la délégation que cette situation constituait un exemple de conflit de normes, entre l'interdiction de placer des mineurs en rétention administrative et l'interdiction de séparer les familles. Il a précisé que les mineurs seuls étaient en revanche systématiquement placés en foyer de protection de l'enfance.
M. Frédéric Perrin, directeur central à la police des frontières, a indiqué que la durée moyenne de rétention dans ces centres était de neuf jours, la durée maximale autorisée étant de 32 jours, et que la capacité d'accueil de ces centres était de 1 515 places dont 252 prévues pour les femmes et 144 places au total dans les territoires d'outre-mer. Il a également fait état des 43 locaux de rétention administrative (LRA), plus petits et pouvant accueillir au total 14 femmes, mis en place pour éviter, dans certains cas, des déplacements trop importants dans le but de gérer au mieux les situations individuelles.
Concernant la situation immobilière, il a ensuite évoqué la qualité variable des infrastructures en place, notant qu'elles étaient en perpétuelle évolution et que les centres les plus récents offraient des conditions d'accueil meilleures que les centres plus anciens. Il a rappelé que la règle était de séparer les femmes et les hommes dans les lieux d'hébergement de nuit, mais non dans les lieux de vie quotidienne, contrairement à la règle qui s'applique aux personnes en détention. Il a indiqué qu'il appartenait aux gestionnaires de ces centres de résoudre au cas par cas les situations individuelles, en s'attachant à respecter l'intimité des femmes, particulièrement lorsqu'elles le demandent.
Concernant le taux d'occupation de ces centres, il a indiqué que les locaux réservés aux hommes étaient occupées à 64 %, tandis que ceux réservés aux femmes l'étaient à 32 % et ceux réservés aux familles à 9 %. Il a ainsi considéré que les conditions de vie, même sommaires, des personnes placées en rétention administrative, n'étaient pas aggravées par un phénomène de surpopulation.
En réponse à M. Alain Gournac, qui l'interrogeait sur les conditions de rétention des personnes ayant fait une demande d'asile aux frontières, M. Frédéric Perrin a indiqué que ces dernières restaient en zones d'attente en attendant l'examen de leur situation et une instruction de leur dossier par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans les 96 heures. Il a précisé que la durée du placement en zone d'attente était contrôlée par le juge des libertés et de la détention, qui peut y mettre fin, s'il estime par exemple que les conditions de séjour d'une personne, dans les cas de placement en centre de rétention comme dans les cas de placement en zone d'attente, sont de nature à porter atteinte à sa dignité.
M. Alain Gournac a souhaité savoir si les salles d'audience mises à la disposition des tribunaux au sein même de l'aéroport de Roissy étaient effectivement utilisées par les magistrats.
M. Frédéric Perrin a indiqué que, même si les articles L. 222-4 et L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyaient que le juge des libertés et de la détention statuait au siège du tribunal de grande instance, sauf si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement avait été spécialement aménagée sur l'emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, les magistrats ne venaient pas dans ces salles d'audience. Il a indiqué qu'une telle situation était regrettable dans la mesure où cette possibilité permettrait de réaliser des économies en termes de coûts de transport et d'éviter la mise en oeuvre de mesures de sécurité trop lourdes et parfois peu respectueuses de l'intimité des personnes.
En réponse à M. Yannick Bodin qui l'interrogeait sur le cas particulier de deux lycéens mineurs, M. Frédéric Perrin a rappelé que les personnes mineures ne pouvaient être maintenues en centre de rétention administrative mais se voyaient appliquer une mesure judiciaire d'hébergement en foyer, en attendant la mise en oeuvre de la mesure d'éloignement. Il a également précisé que les mineurs non volontaires ne pouvaient faire l'objet de reconduites à la frontière.
Il s'est ensuite montré attentif à une remarque de M. Yannick Bodin sur les conditions d'accueil par les services de la police aux frontières et a indiqué que, tandis que les zones aéroportuaires de départ étaient bien gérées, les zones d'arrivée gagneraient à faire l'objet d'une meilleure organisation en termes d'accueil. Il lui a aussi précisé que les membres du personnel dans les centres de rétention administrative n'avaient pas de statut particulier et qu'il s'agissait de policiers affectés à la police aux frontières.
Mme Gisèle Gautier a évoqué sa visite d'un centre de rétention administrative en Guyane et notamment l'accompagnement des personnes placées dans ces centres par des structures caritatives ou humanitaires comme la Croix-Rouge ou encore Amnesty International. Elle a ainsi souhaité savoir s'il existait une association ou une structure qui accompagnait de façon plus ciblée et plus spécifique les femmes placées en rétention administrative.
M. Frédéric Perrin, directeur central de la police aux frontières, lui a indiqué qu'aucune association n'était spécifiquement attachée, dans ce contexte, à la défense des droits des femmes, mais que ceux-ci étaient d'autant mieux pris en compte par des associations plus généralistes, qu'elles comportent d'ailleurs beaucoup de femmes bénévoles, à même de constituer des interlocutrices appropriées.
En réponse à Mme Gisèle Printz, il a ensuite indiqué qu'au terme de leur séjour en centre de rétention, toutes les personnes se voyaient proposer un dispositif spécifique d'aide au retour.
Enfin, M. Frédéric Perrin a souligné la grande insécurité juridique régnant dans les procédures de reconduite à la frontière et de rétention administrative, notamment du fait de normes confuses, mal connues ou encore de conflits de normes. Pour illustrer son propos, il a ainsi expliqué qu'un étranger trouvé en situation irrégulière sur notre territoire faisait tout d'abord l'objet d'une procédure pénale et que, s'il n'avait pas commis d'autre infraction que celle de son séjour irrégulier, le procureur de la République décidait le classement sur le plan judiciaire de l'affaire mais demandait la poursuite dans le cadre d'une procédure administrative. Le préfet prenait alors un arrêté de reconduite à la frontière à l'égard de cette personne, alors placée en centre de rétention. Le contrôle des conditions de ce placement était effectué par le juge des libertés et de la détention selon une procédure qui s'apparentait à une procédure civile, et le juge administratif pouvait ensuite porter un regard d'opportunité sur les conditions d'interpellation et de placement en centre, au-delà de l'appréciation de la validité formelle de l'acte administratif soumis à son contrôle.
Il a estimé que l'enchevêtrement de toutes ces procédures pouvait faire craindre une forte insécurité juridique pour toutes les parties en cause et s'est déclaré favorable à un corpus plus cohérent de textes encadrant une procédure spécifique de l'éloignement, avec des délais fixés. Il a expliqué que les services de la police des frontières se retrouvaient ainsi, en matière de procédure d'éloignement, devant ce qu'il a appelé une « ligne d'horizon » dans la mesure où dans ce domaine, les règles fluctuaient sans cesse et qu'il n'y avait pas de jurisprudence établie.
Les femmes dans les lieux privatifs de liberté - Audition de M. Géraud Guibert, conseiller maître à la Cour des Comptes, rapporteur de l'enquête de la Cour sur la gestion des centres de rétention administrative
La délégation a enfin procédé à l'audition de M. Géraud Guibert, conseiller maître à la Cour des comptes, rapporteur de l'enquête de la Cour sur la gestion des centres de rétention administrative.
Mme Michèle André, présidente, après avoir souhaité la bienvenue à M. Géraud Guibert a rappelé que le thème de réflexion de la délégation pour l'année 2009 était les femmes dans les lieux privatifs de liberté. Elle a invité M. Guibert à présenter les grandes lignes de l'enquête réalisée par la Cour des comptes.
A titre liminaire, M. Géraud Guibert a rappelé le contexte de l'enquête, demandée par la commission des finances du Sénat dans le cadre de l'article 58-2 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances et récemment publiée. Il a indiqué que l'enquête avait pour objet la gestion des centres et lieux de rétention, avec une partie consacrée à une tentative d'évaluation de l'efficacité de la politique de rétention. L'échantillon sur lequel l'enquête a porté, sur pièces et sur place, était composé de onze centres de rétention métropolitains (CRA), représentant la moitié des places des centres de rétention français, deux centres en outre-mer et cinq lieux de rétention.
Puis, M. Géraud Guibert a présenté les trois conclusions du rapport :
- une amélioration incontestable de la conformité des CRA aux normes même s'il subsiste des difficultés dans certains centres et notamment un grave problème constaté à Mayotte ;
- une situation encore très insatisfaisante des lieux de rétention, pour la plupart aménagés dans d'anciennes salles de garde à vue ;
- depuis 2006, une augmentation du nombre d'interpellations et de retenues et, parallèlement, une diminution du nombre des reconduites forcées, due au nombre important d'annulation des procédures par les tribunaux et surtout à la difficulté d'obtenir les laissez-passer consulaires.
M. Géraud Guibert a ensuite évoqué la situation des femmes dans ces centres et lieux de rétention. Il a tout d'abord noté que le régime juridique de création tant des centres que des lieux de rétention ne contenait pas de dispositions spécifiques aux femmes. Il a cité le décret de 2005 qui, s'il prévoit des conditions spécifiques d'accueil des familles, n'organise rien pour les femmes. Il a souligné que la seule disposition qui les concerne est l'interdiction de la mixité dans les chambres.
Puis, il a estimé que, du fait sans doute de leur nombre plus réduit, les femmes en rétention avaient tendance à être considérées par l'administration comme une catégorie peu prioritaire. Il a relevé qu'il n'existait aucune statistique officielle accessible au public, ni sur le nombre de femmes, ni sur le nombre d'enfants en détention. Il a indiqué que, d'après certaines évaluations, on compterait 1 000 à 2 700 femmes retenues chaque année, soit 5 à 9 % de la population totale. Il a également noté que les nationalités les plus représentées n'étaient pas les mêmes que pour les hommes.
M. Géraud Guibert a indiqué qu'à la suite de l'incendie et de la fermeture du centre de Vincennes, la diminution du nombre de places disponibles avait conduit l'administration à supprimer les secteurs « femmes » des centres du Mesnil-Amelot et du dépôt de Paris. Il a ensuite évoqué le centre de rétention de Mayotte où cohabitent, au sein d'un grand local, des hommes, des femmes et des enfants. Puis il a indiqué que l'assistance sociale et juridique des centres était un véritable enjeu et qu'il conviendrait d'éviter de l'abandonner à des réseaux confessionnels ou communautaires, particulièrement dans le cas des femmes qui risquent ainsi de se retrouver dans des situations de domination. Il a enfin déploré l'insuffisance des équipements de loisirs pour les hommes et plus encore pour les femmes.
M. Géraud Guibert a enfin exposé certains problèmes spécifiques liés à la présence des femmes dans les centres de rétention, et notamment aux contradictions auxquelles on peut être confronté, dans la pratique, entre la règle qui veut que les personnes retenues jouissent, à l'intérieur des centres, d'une entière liberté de mouvement, et les exigences de sécurité des femmes qui conduisent à assurer des séparations strictes des deux sexes pour l'hébergement de nuit.
Il a ainsi relevé que le Centre du Mesnil-Amelot, à l'époque où il accueillait des femmes, comportait un secteur « femmes », strictement coupé de celui des hommes. Il a noté que, dans ce contexte, la règle de non-mixité des chambres aboutissait en pratique à séparer le père d'avec sa femme et ses enfants, en contradiction avec la volonté de ne pas dissocier les familles.
Evoquant ensuite, à titre d'exemple, le centre de Lyon, où la zone de vie du secteur « femmes » peut être ou non séparée du secteur « hommes », il a indiqué qu'il pouvait y avoir pour tentation, afin d'améliorer le taux d'occupation, d'ouvrir ce secteur aux hommes, généralement plus nombreux, ce qui obligeait à cantonner les femmes dans leurs chambres la nuit. Puis, il a mentionné le centre de Cayenne qui est divisé en deux secteurs dont l'un peut être réservé aux femmes. Il a précisé que, lors de sa visite, le quartier « femmes » avait été ouvert aux hommes, laissant face à face une seule femme et quarante hommes. Il s'est enfin rappelé de l'exemple du centre de Bordeaux, aujourd'hui fermé, où deux secteurs existaient mais où la cour extérieure était commune et communiquait à la fois avec le secteur « hommes » et le secteur « femmes ». Il a indiqué que le gestionnaire devait alors choisir, soit de ne pas respecter la règle de liberté de circulation à l'intérieur du centre en n'ouvrant la cour qu'à un secteur à la fois, soit permettre la mixité avec les risques inhérents que cela comporte. De manière générale, M. Géraud Guibert a estimé que la coexistence, à l'intérieur d'un même centre, de personnes d'origines et de natures différentes était source de fortes tensions.
Pour conclure, M. Géraud Guibert a déploré le défaut d'encadrement juridique et d'encadrement concret qui laisse les gestionnaires livrés à eux-mêmes faute de règles suffisamment claires et précises et les conduit à arbitrer entre la liberté de circulation à l'intérieur des centres de rétention et la nécessaire protection des personnes retenues.
Mme Michèle André, présidente, a estimé que ce tableau de la situation des femmes dans les centres et lieux de rétention administrative, dressé par M. Géraud Guibert, recoupait le constat fait lors des précédentes auditions sur les prisons et les maisons d'arrêt : difficulté de concilier des objectifs contradictoires, faiblesse des effectifs d'encadrement, inadaptation des lieux, d'abord conçus pour des hommes, qui compromettent le respect et la dignité des détenues.
Mme Jacqueline Panis l'a interrogé sur d'éventuelles fluctuations des effectifs du personnel en fonction du taux d'occupation de ces centres.
M. Géraud Guibert a répondu que les effectifs du personnel étaient stables, entrainant des frais fixes non liés au nombre de retenus. Il a regretté que ce personnel soit peu formé aux spécificités des centres de rétention, notant que la direction de la police aux frontières, qui reprend actuellement la gestion des différents centres, faisait preuve d'initiatives nouvelles pour remédier à ce problème.
M. Yannick Bodin a demandé des précisions quant aux centres de rétention administrative qui accueillent des femmes en région parisienne.
M. Géraud Guibert a indiqué que depuis l'incendie du centre de rétention de Vincennes en juin 2008, les centres de Paris et du Mesnil-Amelot n'accueillaient plus de femmes, ou marginalement. Il a également précisé que la « zone de Mesnil-Amelot » comprenait la zone d'attente de Roissy (ZAPI 3), l'actuel centre de rétention et le nouveau centre de rétention de Mesnil-Amelot, qui devrait ouvrir prochainement et comportera trois ou quatre secteurs d'une soixantaine de places chacun.