Mercredi 7 octobre 2009
- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président -Commission d'accès aux documents administratifs - Communication de M. Yves Détraigne
La commission a tout d'abord entendu une communication de M. Yves Détraigne sur la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA).
Après avoir rappelé qu'il représentait depuis cinq ans le Sénat au sein de la CADA, M. Yves Détraigne a présenté le rôle et l'activité de cette autorité administrative indépendante, dans le double but, d'une part, de contribuer à la réflexion sur le rôle des diverses autorités administratives indépendantes dans la perspective de l'examen par le Sénat des projets de loi relatifs au Défenseur des Droits, d'autre part, de susciter des candidatures à sa succession au sein de cette instance.
Présentant le rôle de la CADA, il a souligné :
- que cette autorité administrative indépendante a été créée par la loi du 17 juillet 1978 complétée principalement par les ordonnances du 6 juin 2005 (règles relatives à la réutilisation des informations publiques) et du 29 avril 2009 (harmonisation avec le régime des archives publiques et extension de la compétence à certains régimes spécifiques de communication en matière électorale ou fiscale) ;
- que la CADA est chargée de veiller au respect de la liberté d'accès aux documents administratifs et aux archives publiques ainsi qu'à l'application des dispositions relatives à la réutilisation des informations publiques ;
- que la loi repose sur le principe de libre communication des documents administratifs, entendus très largement par la loi de 1978 comme des documents, produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission, et ce quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support. Toutefois, certains documents ne sont pas communicables, tels que les documents préparatoires, les documents dont la communication porterait atteinte à des secrets protégés par la loi (défense nationale, dossiers médicaux...), ces derniers documents pouvant, néanmoins, être communiqués après occultation des mentions protégées ;
- que la communication peut se faire par consultation sur place, par délivrance d'une copie (aux frais du demandeur) ou par voie électronique si le document est disponible sous cette forme ;
- que la saisine de la CADA est un préalable obligatoire à l'exercice d'un éventuel recours contentieux contre un refus de communication d'un document administratif ;
- que la CADA peut être consultée par les pouvoirs publics sur toute question relative à la communication de documents administratifs et proposer des modifications législatives ou règlementaires qu'elle estime nécessaires.
Il a ensuite souligné que la CADA comprenait onze membres :
- un membre du Conseil d'Etat, président ;
- un magistrat de la Cour de cassation ;
- un magistrat de la Cour des comptes ;
- un député et un sénateur, chacun ayant un suppléant ;
- un élu d'une collectivité territoriale ;
- un professeur de l'enseignement supérieur ;
- une personnalité qualifiée en matière d'archives ;
- une personnalité qualifiée en matière de protection des données à caractère personnel ;
- une personnalité qualifiée en matière de concurrence et de prix ;
- une personnalité qualifiée en matière de diffusion publique d'informations.
Puis il a précisé que la commission :
- était actuellement présidée par M. Jean-Pierre Leclerc, président de section honoraire du Conseil d'Etat ;
- était assistée d'un commissaire du gouvernement, d'un rapporteur général, d'un rapporteur général adjoint ainsi que de rapporteurs parfois non permanents ;
- siégeait en commission plénière tous les quinze jours pour rendre ses avis et pouvait se réunir en commission restreinte pour sanctionner les manquements aux règles de réutilisation des informations publiques ;
- ne pouvait être saisie que lorsque le demandeur s'était vu opposer par l'administration un refus, explicite ou tacite, de communication du document, le demandeur disposant alors d'un délai de deux mois pour saisir la CADA.
Il a par ailleurs insisté sur le fait qu'a été créé, à la demande de la CADA, à partir de 2005, un réseau de « personnes responsables de l'accès aux documents administratifs et des questions relatives à la réutilisation des informations publiques » (PRADA) dont l'objet est de :
- faciliter l'instruction des demandes au sein des administrations ;
- apporter une expertise juridique ;
- assurer la liaison avec la CADA.
Ces personnes doivent être nommées auprès des ministres, des préfets, des communes et groupements de communes de plus de 10.000 habitants, départements et régions, des établissements publics employant au moins 200 agents... Il devrait donc y avoir de l'ordre de 3.000 PRADA et il en existe en réalité un peu moins de la moitié. Selon l'enquête réalisée fin 2008 auprès d'elles, 85 % des PRADA considèrent que leur nomination a permis d'améliorer l'accès aux documents administratifs dans les entités où elles exercent leurs responsabilités.
Abordant l'activité de la CADA, il a souligné qu'elle avait reçu, en 2008, 4.548 demandes d'avis et 208 consultations (chiffres légèrement inférieurs à ceux de 2006 et 2007). Quatre secteurs font l'objet du plus grand nombre de saisines : l'urbanisme, la fonction publique, les affaires sociales, l'économie et les finances.
Il a mis en avant qu'en retirant les demandes devenues sans objet, les avis d'incompétence et d'irrecevabilité, plus de 80 % des avis rendus étaient favorables à la communication des documents demandés et que le taux d'avis favorables effectivement suivis par l'administration s'établissait à environ 65 %.
En conclusion, il a fait valoir, d'une part, que l'importance de l'activité de la CADA mettait en exergue l'insuffisante transparence de l'action administrative en France, d'autre part, qu'à la différence d'autres autorités administratives indépendantes, la CADA se bornait à rendre un avis sur la communicabilité des documents demandés et ne jouait aucun rôle de médiation.
M. Pierre-Yves Collombat, membre suppléant de la CADA en qualité de sénateur, s'est déclaré pratiquement toujours en accord avec le sens des avis rendus par l'institution. Il a regretté parfois un « juridisme excessif » dans l'examen de certains dossiers. Il a noté que les parlementaires pouvaient apporter leur expérience d'élus locaux pour éclairer les membres de la CADA et les appeler, parfois, à une certaine prudence eu égard aux conséquences de la communication d'un document. A l'inverse, il s'est étonné que certaines administrations se refusent à rendre accessibles des documents pourtant incontestablement communicables aux termes de la loi de 1978.
En réponse à M. Jean-Claude Peyronnet qui s'interrogeait sur l'opportunité de doter la CADA d'un pouvoir d'injonction, de nature selon lui à rendre la procédure plus efficace en cas de résistance de l'administration et à éviter ainsi au requérant de saisir la juridiction administrative, M. Yves Détraigne a souligné qu'un tel pouvoir n'avait jamais été réclamé par la CADA.
En réponse à M. François Zocchetto qui souhaitait savoir si la CADA pouvait intervenir en matière fiscale, M. Yves Détraigne a indiqué que les documents fiscaux relevaient d'un régime spécifique de communication mais que la CADA était bien compétente pour connaître de ce type de dossiers.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a souligné la nécessité de bien respecter les règles de communication, prenant l'exemple des documents d'état civil.
M. Patrice Gélard s'est interrogé sur l'opportunité d'intégrer la CADA dans le futur Défenseur des droits.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a observé qu'une telle évolution, non prévue par le projet de loi organique déposé par le gouvernement au Sénat, aurait pour effet indirect de doter l'institution du pouvoir d'injonction accordé par le texte au Défenseur.
En réponse à M. Jean-Jacques Hyest, président, M. Yves Détraigne a indiqué que les dossiers traités par la CADA dans le domaine de la justice, qui représentent environ 5 % des dossiers, portaient, par exemple, sur des rapports de l'inspection des services judiciaires ou des documents détenus par des barreaux.
Droit électoral - Communication
Puis la commission a entendu une communication de Mme Anne-Marie Escoffier et de M. Jean-Jacques Hyest sur le processus de recodification du code électoral et le financement des campagnes électorales.
Mme Anne-Marie Escoffier a tout d'abord fait état des conclusions de la dernière réunion de la commission supérieure de codification, intervenue le 8 septembre 2009 et consacrée à la recodification du code électoral. Indiquant que cette séance de travail avait porté sur les dispositions relatives à l'interruption des mandats électoraux, à l'élection du Président de la République et aux référendums nationaux, elle a rappelé que ces deux derniers domaines n'étaient pas inclus jusqu'alors dans le code électoral et qu'ils faisaient l'objet de dispositions constitutionnelles (à savoir les articles 6 et 7 de la Constitution pour l'élection du Président de la République, et les articles 11, 88 et 89 pour les référendums nationaux), de lois séparées (comme, par exemple, la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel) ou de décrets d'organisation ponctuels. Elle a ainsi précisé que l'objectif de la commission supérieure de codification était de définir un cadre juridique stable et harmonisé sur ces sujets.
Soulignant que M. Daniel Labetoulle, président de la commission supérieure de codification, avait affirmé son intention de saisir le Conseil constitutionnel des dispositions du projet de recodification relatives à l'élection du Président de la République et aux référendums nationaux et qu'il avait également souhaité solliciter l'avis du Parlement, Mme Anne-Marie Escoffier a précisé que la recodification du code électoral serait effectuée à droit « mouvant ». Elle a rappelé que, dans ce contexte, les Assemblées seraient amenées à examiner un projet de loi et un projet de loi organique et donc à connaître directement comme législateur des orientations retenues par le Gouvernement.
Mme Anne-Marie Escoffier a ensuite indiqué que la commission supérieure de codification avait laissé certains sujets en suspens, en l'absence de consensus clair, et invité à une concertation avec les commissions des lois des deux Assemblées. Ainsi, en l'état actuel du projet de recodification :
- l'inéligibilité pourrait être constatée « à tout moment » et entraîner la déchéance de l'élu concerné tout au long de son mandat ; en outre, elle serait encourue même lorsque la cause d'inéligibilité est survenue avant l'élection ;
- l'inéligibilité, qui est aujourd'hui constatée par le représentant de l'Etat lorsqu'elle touche des élus locaux, ferait désormais systématiquement l'objet d'une procédure juridictionnelle ;
- en ce qui concerne le financement des campagnes présidentielles, la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ne serait plus tenue de rejeter le compte en cas de dépassement du plafond de dépenses ; elle pourrait à l'inverse moduler les sanctions qu'elle prononce « en fonction du nombre et de la gravité des infractions » ;
- concernant l'organisation des opérations référendaires, le nouveau code électoral habiliterait le pouvoir réglementaire à prendre des décrets d'application dérogeant à la loi.
Après avoir précisé que l'essentiel du travail de recodification du code électoral présenté jusqu'alors n'avait appelé que des remarques habituelles au sein de la commission supérieure de codification, Mme Anne-Marie Escoffier a observé, en revanche, que les sujets évoqués plus haut entraîneraient des modifications substantielles du droit électoral. Dans ce cadre, elle a estimé que la commission des lois, en tant que telle, ne pouvait prendre parti à ce stade car il convenait de préserver l'autonomie du Parlement et de laisser le Sénat se prononcer sur ces questions lors de l'examen du projet de loi et du projet de loi organique consacrés à la recodification.
Ayant fait part de ses inquiétudes, M. Patrice Gélard a rappelé que la nécessité d'une refonte du code électoral, devenu illisible et obscur, avait été annoncée par M. Guy Braibant, prédécesseur de M. Daniel Labetoulle à la tête de la commission supérieure de codification. Or, une telle tâche est impossible à mener dans ce cadre, dans la mesure où le code électoral, dans sa rédaction actuelle, pose de nombreux problèmes de fond qui ne sauraient être résolus dans le cadre d'une simple recodification. En outre, il a estimé que la commission supérieure de codification n'avait pas compétence pour consulter, de sa propre initiative, le Conseil constitutionnel et les commissions des lois. Il a donc marqué son accord avec Mme Anne-Marie Escoffier et appelé la commission des lois du Sénat à ne pas se prononcer sur les points soulevés lors de la dernière réunion de la commission supérieure de codification. Néanmoins, il a estimé que les questions posées par le travail de la commission supérieure de codification étaient importantes et devaient être étudiées, de manière indépendante et autonome, par la commission des lois.
M. Pierre-Yves Collombat s'est lui aussi rallié à cette opinion et a estimé, tout comme M. Hugues Portelli, que la mission de la commission supérieure de codification devait se limiter à simplifier le droit et à en renforcer la cohérence.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que d'autres propositions récentes avaient été faites en vue de modifier profondément le droit électoral. Il a ainsi cité :
- le rapport du groupe de travail présidé par M. Pierre Mazeaud, remis à M. Bernard Accoyer en avril 2009. Ces travaux préconisaient l'extension de la bonne foi aux élections législatives, permettant ainsi au Conseil constitutionnel de ne plus prononcer le rejet du compte assorti d'une inéligibilité d'un an dès lors qu'une irrégularité substantielle est constatée ; ils adoptaient également une vision large de la bonne foi, celle-ci étant « établie par l'absence de [volonté délibérée] de fraude ». Le rapport proposait en outre de modifier la composition de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), pour y inclure deux parlementaires - l'un appartenant à la majorité, et l'autre à l'opposition. Enfin, le groupe de travail était favorable à l'application de la législation sur le financement des campagnes électorales aux campagnes sénatoriales ; M. Jean-Jacques Hyest a marqué son intérêt pour ces questions et affirmé que la commission des lois du Sénat devait s'en saisir ;
- les propositions de la CNCCFP, présentées dans le rapport public de la commission pour l'année 2008, et qui visent à clarifier les dispositions relatives au mandataire financier, à préciser le rôle de l'expert-comptable et à renforcer les pouvoirs de la commission, qui pourrait moduler l'ensemble des sanctions qu'elle prononce.
M. Jean-Jacques Hyest a observé que ces différentes propositions étaient largement similaires, notamment parce qu'elles tendaient à confier un pouvoir d'appréciation plus étendu aux instances chargées de se prononcer sur les comptes de campagne des parlementaires, et qu'elles reposaient sur des préoccupations concordantes.
Ayant rappelé que le processus de recodification du code électoral, dans la mesure où il s'écartait du droit constant, nécessiterait le dépôt d'un projet de loi et d'un projet de loi organique, M. Jean-Jacques Hyest a estimé que les orientations envisagées lors de la dernière réunion de la commission supérieure de codification allaient au-delà du cadre de sa mission d'harmonisation et de clarification du droit en vigueur. Ainsi, tout en se montrant sensible à l'initiative de la commission supérieure de codification et à sa volonté d'associer étroitement les commissions des lois des Assemblées à ses travaux, il a estimé qu'il n'appartenait pas à la commission des lois du Sénat de se prononcer, à ce stade, sur ces questions.
Parallèlement, il a souligné que le foisonnement des propositions de modification du droit électoral révélait l'existence de problèmes à traiter ; il a donc appelé la commission des lois à constituer, en son sein, un groupe de travail. Cette proposition a recueilli l'assentiment des présents.