Mardi 22 septembre 2009
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -Suivi des contrôles budgétaires - Etablissement public d'aménagement du quartier de la Défense (EPAD)
La commission a procédé à un contrôle sur pièces et sur place à la Défense, dans le cadre du suivi des contrôles budgétaires effectués auprès de l'établissement public d'aménagement du quartier de la Défense (EPAD).
M. Jean Arthuis, président, a précisé que la réunion, tenue au siège de l'EPAD, avait pour objet d'examiner l'état d'avancement des engagements pris par les responsables de l'établissement public à la suite des contrôles budgétaires effectués sur la base des observations de la Cour des comptes transmises à la commission des finances en 2006
M. Patrick Devedjian, président de l'EPAD et de l'établissement public de gestion du quartier de la Défense (EPGD), a souligné les progrès réalisés en matière de gestion depuis la dernière audition du 15 juillet 2008 devant la commission des finances. Il a indiqué en préalable que l'EPAD est chargé de vendre des droits à construire et non des mètres carrés. Depuis la création de l'EPGD, il n'a plus que la fonction d'aménageur et il convient désormais de clarifier la répartition des compétences entre ces deux établissements publics. Il a rappelé en outre que l'EPAD ne disposait pas, en 2006, de plan comptable agréé.
M. Jean Arthuis, président, est convenu que la création de l'EPGD a constitué un début de réponse au « monstre administratif » qu'était l'EPAD. Dans l'ancien système, l'Etat utilisait indûment les ressources de l'EPAD et les collectivités territoriales, seules, bénéficiaient des recettes fiscales induites par les opérations d'aménagement.
M. Patrick Devedjian s'est félicité de la remise « dans les clous » de la comptabilité du quartier de la Défense, effectuée sous le contrôle de l'Etat. En outre, les collectivités territoriales contribuent au budget de l'EPGD à hauteur de 1 million d'euros chacune pour Puteaux et Courbevoie et de 2 millions d'euros pour le conseil général des Hauts-de-Seine.
M. Bernard Romain, directeur général de l'EPGD, a toutefois souligné l'écart entre les sommes budgétées et le solde des dépenses totales à la charge de l'EPGD égal à 9,2 millions d'euros.
M. Jean-Jacques Jégou s'est interrogé sur la compensation de cet écart.
M. Patrick Devedjian a précisé que le delta entre les recettes et les dépenses sera pris en charge par les collectivités territoriales. Il a regretté que l'EPAD n'ait pas été suffisamment attentif aux revenus que pourrait produire son patrimoine, notamment ses sous-sols qui sont des espaces « morts » qu'il conviendrait de mieux valoriser. Il a fait observer également que le conseil régional d'Ile-de-France et la chambre de commerce ne contribuent pas au budget de l'EPGD alors qu'ils perçoivent respectivement 40 millions et 10 millions d'euros de recettes fiscales sur le site de la Défense. Il a enfin noté que le département des Hauts-de-Seine dispose d'un montant de recettes fiscales inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis ou encore de Paris.
M. Philippe Dallier a observé que les charges sociales de ces trois départements ne sont pas égales et qu'elles doivent être prises en compte dans la comparaison.
M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est interrogé sur l'état d'avancement des engagements pris lors de la dernière audition en commission des finances.
M. Jean Arthuis, président, s'est inquiété de l'augmentation du coût de remise en état des biens appelés à être transférés à titre gratuit de l'EPAD à l'EPGD.
M. Philippe Dallier a souhaité connaître les modalités précises de l'évaluation de cette contribution de l'EPAD et le calendrier des transferts envisagés.
M. Philippe Chaix, directeur général de l'EPAD et de l'établissement public d'aménagement Seine-Arche (EPASA), a précisé que le coût de remise en état évalué initialement à 70 millions d'euros s'élève désormais, après expertise des biens, à 108 millions d'euros. Ces sommes, provisionnées par l'EPAD, seront versées à l'EPGD après service fait et vérification par une commission comprenant des élus membres des conseils d'administration des deux établissements. Ces opérations se dérouleront dans un délai de six à sept années.
M. Jean-Pierre Fourcade s'est inquiété des perspectives offertes par la valorisation des sous-sols de la Défense.
M. Philippe Chaix a précisé que l'ensemble des parkings existants est transféré à l'EPGD, soit 20 000 places représentant un des plus grands volumes de ce type en Europe.
M. Jean Arthuis, président, a demandé qu'il soit fait un point sur la situation financière de l'EPAD sur la base des états financiers de 2008.
M. Philippe Chaix a commenté le bilan et les comptes de l'établissement et a donné les précisions suivantes :
- un groupe de travail constitué entre l'EPAD et le ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement et de la mer, doit établir d'ici la fin de l'année 2009 un bilan des rétrocessions de terrains. Celles-ci sont particulièrement difficiles à réaliser car il faut tenir compte des évolutions de la notion juridique « d'accessoires de voirie ». Le conseil d'administration de l'EPAD du 4 décembre 2009 se fixera comme objectif d'aboutir sur ce sujet ;
- la situation bilancielle de l'EPAD fait apparaître des capitaux propres négatifs de 58 millions d'euros ;
- cependant, la trésorerie de l'EPAD s'établit à 55 millions d'euros fin juillet 2009 ;
- l'inscription des provisions obéit aux règles applicables à la comptabilité dite « par affaire ».
M. Patrick Devedjian a souligné l'extrême dépendance à la conjoncture des recettes de l'EPAD. La crise économique a retardé de nombreux projets. Le prix moyen des charges foncières ressortait pour les opérations « protocolées » à 2 200 euros par mètre carré de surface hors oeuvre nette (shon) avant la crise. Il est aujourd'hui de l'ordre de 1 200 à 1 600 euros le mètre carré, mais, au pire de la conjoncture, il était inférieur à 1 000 euros et certaines propositions ont été faites à 400 euros le mètre carré.
Dans ce contexte, le plan de relance de la Défense permet une nouvelle création de richesse en autorisant des droits à construire supérieurs de 40 % en cas de destruction d'un immeuble de bureaux. Le « risque systémique » du quartier de la Défense était en effet lié au coût élevé de la destruction qui ne permettait pas de financer des reconstructions de tours à même hauteur.
M. Jean Arthuis, président, et M. Christian Deeschemaeker, président de la 7ème chambre de la Cour des comptes, se sont félicités de la clarification des comptes de l'EPAD qui faisait état, il y a trois ans, d'un bilan peu crédible de plus de 5 milliards d'euros.
M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est inquiété des conditions du contrôle des comptes de l'EPAD.
M. Philippe Chaix a précisé que les comptes sont contrôlés par l'Etat et par la Cour des comptes, mais que l'établissement a décidé le lancement d'une étude sur l'utilité de faire certifier ses comptes comme une entreprise privée. Il a noté la très grande difficulté d'un suivi des plus-values latentes. Les recettes attendues inscrites dans les comptes de l'EPAD correspondent à deux affaires en cours : la salle des marchés de la Société générale et l'immeuble « Prétorium ». Par ailleurs, Suez doit s'implanter dans quatre tours et le coefficient d'occupation du quartier de la Défense atteint 97 %, la demande demeurant très forte. Il a souligné que l'EPAD n'a aucune dette et que le tableau des prévisions à dix ans du solde des opérations en cours, actuellement en déficit de 172 millions d'euros, sera équilibré pour la fin décembre.
M. Philippe Dallier s'est interrogé sur le modèle économique applicable aux opérations de l'EPAD.
M. Philippe Chaix a précisé que l'équilibre s'établit à un prix de 1 600 euros le mètre carré de shon et des hypothèses de montants de loyers stables d'environ 480 à 500 euros le mètre carré. A ce niveau, la trésorerie de l'EPAD se maintiendra sur les trois prochaines années. L'équilibre reste cependant fragile.
M. Jean Arthuis, président, s'est interrogé sur les conséquences du plan de relance de la Défense en matière de transport collectif.
M. Patrick Devedjian a précisé que les collectivités territoriales et les promoteurs devront légitiment contribuer au financement des nouveaux besoins. Cette contribution peut conduire à recréer une taxe locale d'équipement. Toutefois, cette éventualité ne pourra être envisagée que lorsque les effets de la crise économique se seront atténués.
M. Philippe Chaix a indiqué que l'EPAD devra bientôt prendre des décisions financièrement lourdes en matière de travaux tels que la remise à plat du boulevard circulaire sud à Puteaux, dont le coût est estimé à 150 millions d'euros. Afin de garantir l'équilibre des comptes de l'EPAD pour la fin de l'année, il sera nécessaire de minimiser certaines dépenses, ce qui peut conduire à repousser certains chantiers.
M. Jean-Jacques Jégou s'est inquiété de l'estimation des recettes liées à la valorisation du sous-sol.
M. Patrick Devedjian a précisé que la demande d'aménagement de ces espaces existe mais qu'il s'agit d'un projet à long terme, en raison des études fines à réaliser et des investissements importants qu'il faudra programmer. Il a observé en outre que ces recettes bénéficieront à l'EPGD.
M. Jean-Pierre Fourcade a suggéré de différer, dans le calendrier de réalisation, les opérations qui nécessitent le plus d'aménagements.
M. Patrick Devedjian a indiqué qu'il a refusé de conclure des opérations durant l'été à des niveaux de prix trop bas, pour ne pas donner des signes négatifs au marché. Il a mis en doute le bien-fondé de l'installation d'un grand ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement et de la mer sur le quartier de la Défense car cette opération neutraliserait un volume très important de bureaux à un prix moyen, soit 150 000 m2 à 3 500 euros. Par ailleurs, ce type d'implantation est exonéré d'impôts locaux.
M. Philippe Chaix a ensuite présenté sur une carte les projets d'infrastructures de transport et notamment le projet Eole, celui du réseau régional automatique (RRA) et du tramway 1 reliant notamment la Défense et Saint-Denis.
M. Jean Arthuis, président, s'est interrogé sur la répartition de la participation au financement des équipements entre l'EPAD et l'EPASA.
M. Patrick Devedjian a fait observer que la ville de Nanterre n'a jamais participé, en application d'une « théorie de la réparation », au financement des investissements sur le périmètre de l'EPASA.
M. Philippe Chaix a ajouté que la ville de Nanterre bénéficie pourtant d'une valorisation importante des terrains, liée aux nouvelles infrastructures de transport, et que le conseil général des Hauts-de-Seine finance à hauteur de 15,7 millions d'euros les travaux de la gare de Nanterre Université. Il a précisé que les terrains disponibles sur le territoire de l'EPASA ont fait l'objet de zones d'aménagement différé (ZAD) représentant 75 ha sur le quartier des Groues et 17 ha sur le terrain des papeteries de la Seine.
M. Patrick Devedjian a indiqué que, sur le nouveau périmètre résultant de la fusion de l'EPAD et de l'EPASA, une partie des espaces publics sera gérée par l'EPGD et l'autre par la ville de Nanterre. Il a souligné aussi que la ville de Nanterre aura une représentation très favorable dans les nouvelles instances.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a suggéré la création d'une structure d'intercommunalité partielle à l'initiative du préfet.
M. Patrick Devedjian a émis des doutes sur la compatibilité de cette initiative avec le principe d'autonomie de gestion des collectivités territoriales.
M. Philippe Dallier s'est interrogé sur la coordination des interventions de l'EPAD et de la future société du Grand Paris concernant les terrains valorisés par l'implantation des nouvelles gares.
M. Philippe Chaix a observé que le projet de loi, en vertu du principe de subsidiarité, devrait sans doute préserver la compétence des établissements publics d'aménagement existants.
M. Jean Arthuis, président, s'est inquiété de l'évolution du budget de l'EPGD.
M. Bernard Romain a apporté les précisions suivantes :
- le budget de l'EPGD a fait l'objet d'une rectification en mars 2009 suite à la décision d'assujettir à la TVA l'ensemble de ses dépenses d'investissement et de fonctionnement ;
- ses recettes de fonctionnement, d'un montant total de 33 millions d'euros, comprennent les produits tirés des parkings pour 12 millions d'euros, les redevances de service public pour 5 millions d'euros et la participation des collectivités territoriales, imputée à hauteur de 7/13èmes au conseil général et de 3/13èmes à chacune des deux communes, Puteaux et Courbevoie ;
- les recettes du budget d'investissement, d'un montant de 15 millions d'euros, proviennent des remboursements de l'EPAD sur les travaux de remise en état engagés par l'EPGD ;
- l'EPGD est un établissement public industriel et commercial local qui ne bénéficie pas du fonds de compensation de la TVA (FCTVA).
M. Jean Arthuis, président, a observé que le régime fiscal de l'EPGD qui s'applique également aux subventions des collectivités territoriales, est particulièrement favorable.
M. Bernard Romain a précisé que ce régime, fixé par une instruction fiscale, est inspiré de celui applicable aux marchés d'intérêt nationaux. Il a, enfin, évoqué les principaux projets de l'EPGD qui porteront en priorité sur la signalétique.
M. Patrick Devedjian a considéré que les travaux de la commission des finances ont fortement incité l'EPAD à réformer ses règles de gestion et que, au total, si les collectivités territoriales ont bien profité des ressources du quartier de la Défense, l'Etat est également coupable de l'avoir mal géré.
Interrogé par M. Philippe Marini, rapporteur général, sur l'évolution du marché immobilier, il a noté que, après une crise très brutale, une amélioration de la situation est sensible depuis le mois de septembre. Il a fait valoir la visibilité mondiale du quartier de la Défense en citant l'exemple des investissements du fonds souverain de Singapour et de la réunion sur le site de la Défense des diverses implantations de Ernst & Young. Il a estimé que l'on a tort d'opposer le développement de la Défense à l'évolution des autres départements de l'Ile-de-France, notamment la Seine-Saint-Denis.
M. Philippe Dallier a approuvé cette observation. Il a noté qu'il ne peut exister, en Ile-de-France et plus largement sur le territoire national, qu'un seul pôle de bureaux de rang mondial et jugé illusoire la création d'un « nouveau quartier de la Défense » dans l'Est parisien.
M. Patrick Devedjian s'est félicité des complémentarités de plus en plus fortes entre la Défense et l'intercommunalité de Plaine Commune en Seine-Saint-Denis. Il a rappelé que la Défense s'intégre dans un réseau de grands quartiers d'affaires mondiaux et que le choix pour les entreprises est de s'établir soit à la Défense, soit à l'étranger.
M. Philippe Dallier s'est interrogé sur les prix du mètre carré de bureau dans ces quartiers d'affaire mondiaux.
M. Philippe Chaix a indiqué que le prix du mètre carré à Londres qui était antérieurement plus élevé qu'à la Défense, s'est effondré du fait de la crise.
M. Jean Arthuis, président, a noté que l'évolution des prix est en corrélation avec les taux d'intérêt.
M. Jean-Jacques Jégou s'est préoccupé de la durée d'amortissement des immeubles de bureau.
M. Yann Gaillard a demandé quelle est la justification d'une concentration des immeubles de bureaux sur un même site.
M. Joël Bourdin a douté du bien-fondé d'une mixité entre les logements et les bureaux au sein des mêmes immeubles.
M. Philippe Dallier s'est inquiété, sur ce point, des conséquences de cette mixité sur la gestion des copropriétés.
M. Patrick Devedjian a précisé qu'une tour n'est plus vendable après trente ans. La concentration des bureaux est un signe de puissance et attire par elle-même les entreprises en raison d'un effet de masse. Le concept de tours mixtes, que l'on doit notamment à l'architecte Jean Nouvel, est un principe retenu par le plan de relance de la Défense. Il permettra de faire vivre ces quartiers le soir et le week-end. La Défense compte déjà 20 000 habitants et le taux de renouvellement de la population de ces logements est très faible.
Mercredi 23 septembre 2009
- Présidence commune de M. Jean Arthuis, président, et de M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire -Contribution climat-énergie - Audition de M. Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, et de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie
La commission des finances et la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire ont procédé en commun à l'audition de M. Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, et de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie.
Evoquant le contexte général, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, a souligné que la taxe carbone s'inscrit dans l'ensemble de la stratégie du développement durable de la France, qui vise à aboutir à une société sobre en carbone et compétitive économiquement. Il a indiqué que deux études récentes laissent espérer que les mesures déjà prises, avant même la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, permettront au pays de réduire ses émissions de dioxyde de carbone (CO2) d'environ 24 % à 26 % avant 2020, alors que les émissions par unité de produit intérieur brut (PIB) sont déjà de 25 % inférieures à la moyenne de celles de l'Union européenne et trois fois moindres que celles des Etats-Unis d'Amérique.
Le ministre d'Etat a rappelé qu'en adoptant l'article 2 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, le Parlement a déjà approuvé le principe de la création d'une contribution climat-énergie progressive, compensée fiscalement et ne portant pas atteinte à la compétitivité des entreprises. Il a souligné que ce texte a été voté à la quasi-unanimité dans chacune des deux assemblées.
Evoquant le périmètre de la taxe, qui ne porte que sur les énergies fossiles, il a considéré que la question de l'exclusion de l'électricité a déjà été tranchée par le Parlement et estimé qu'il serait difficile de justifier auprès des Français la taxation de cette forme d'énergie, qui est globalement décarbonée.
M. Jean-Louis Borloo a affirmé que la taxe agira comme un signal-prix à l'horizon d'une génération, alors qu'il serait irresponsable de laisser croire que le prix actuel du baril de pétrole est pertinent. Le niveau de la contribution a été délicat à fixer, la seule certitude étant la nécessité d'une progressivité. Le taux d'entrée finalement retenu est plutôt bas par rapport aux taux évoqués lors des débats qui ont eu lieu au sein de la conférence de consensus. Toutefois, évoquant le précédent du bonus-malus automobile, le ministre d'Etat a considéré qu'un signal-prix, même modique en apparence, peut avoir un impact important. Ainsi, 52 % du marché automobile national ont été déplacés vers les modèles de véhicules les plus sobres en carbone, tandis que le parc automobile neuf réduit tendanciellement chaque mois ses émissions de dioxyde de carbone d'un gramme aux cent kilomètres. Il a indiqué qu'il appartiendra à la commission autonome proposée par le Gouvernement de fixer le degré de progressivité adéquat pour l'évolution de la taxe carbone, qui pourra être linéaire ou exponentielle.
Le ministre d'Etat a estimé essentiel que l'ensemble des dispositifs de réduction des émissions de dioxyde de carbone qui seront mis en place au sein de l'Union européenne n'aboutisse pas à une perte de compétitivité de l'industrie européenne. C'est pourquoi le principe d'une taxe carbone aux frontières a été posé par le paquet climat-énergie adopté par l'Union européenne, ce que l'Organisation mondiale du commerce a reconnu compatible avec les règles de la concurrence. Tout en souhaitant le succès de la prochaine conférence de Copenhague, le ministre d'Etat a annoncé qu'en cas d'échec, la France proposera l'instauration d'une taxe carbone aux frontières, et qu'elle sera loin d'être isolée sur cette position.
Evoquant la mise en place de la taxe carbone, Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, a estimé que la valorisation de la contribution à 17 euros par tonne de dioxyde de carbone constitue une base de départ raisonnable, à équidistance du point le plus haut et du point le plus bas du marché des quotas d'émissions. Elle a précisé que ce niveau équivaut à un renchérissement de 4,52 centimes d'euros par litre de gazole et de 4,11 centimes d'euros par litre d'essence, ce qui signifie un surcoût de 2,16 euros pour un plein de 40 litres de gazole ou de 1,97 euro pour un plein équivalent d'essence. Pour une citerne de 1000 litres de fioul, le surcoût serait de 54 euros. La ministre a indiqué que la recette totale générée par la contribution en 2010 sera de 4,55 milliards d'euros, dont 1,9 milliard à la charge des entreprises et 2,65 milliards à la charge des ménages.
S'agissant de la dénomination du prélèvement, la ministre a indiqué que le Gouvernement est prêt à accepter celle de taxe carbone, déjà consacrée par l'usage médiatique, même si la qualification de taxe apparait impropre pour une contribution qui sera neutre pour le budget de l'Etat et les finances publiques.
En ce qui concerne les ménages, la redistribution du produit de la taxe carbone prendra la forme d'un crédit d'impôt forfaitaire, qui pourra être déduit de l'impôt dû par les contribuables acquittant l'impôt sur le revenu et prendra la forme d'un « chèque vert » d'un montant équivalent pour les autres. La ministre a ajouté que le montant du crédit d'impôt variera en fonction du nombre d'enfants à charge par foyer fiscal et du caractère rural ou urbain du ménage concerné, qui sera déterminé par la disponibilité, ou non, de transports collectifs. Elle a précisé que l'impact annuel de la contribution est estimé à 46 euros pour une personne célibataire en zone urbaine et de 61 euros pour une personne célibataire en zone rurale. Pour un couple avec deux enfants, cet impact annuel serait de 112 euros en zone urbaine et de 142 euros en zone rurale.
En ce qui concerne les entreprises, Mme Christine Lagarde a indiqué que la restitution du produit de la contribution prendra la forme de la suppression de la taxe professionnelle sur les biens et équipements mobiliers, qui devrait représenter un allègement de charges de 4,5 milliards d'euros en régime de croisière. Elle a ajouté que la mise en oeuvre sera plus souple pour les secteurs sensibles que sont l'agriculture, la pêche et le transport routier. Pour la pêche, la taxe carbone sera diminuée des trois quarts la première année, avant d'augmenter progressivement. De même, pour l'agriculture, la contribution sera remboursée aux trois quarts la première année. Pour le transport routier, le transporteur paiera la contribution, mais pourra se la faire rembourser, comme c'est déjà le cas pour la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP).
En réponse à une question de M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, la ministre a confirmé que les exemples chiffrés qu'elle avait cités incluent la TVA.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, a souhaité savoir la raison pour laquelle le transport aérien sera exonéré de la taxe carbone. Il a appelé à traiter avec ménagement l'agriculture, dont l'activité participe très directement à la préservation de l'environnement et de la biodiversité. Il s'est interrogé sur les moyens dont dispose la France pour définir une approche commune avec ses partenaires européens à la veille de la conférence de Copenhague.
M. Jean-Louis Borloo a indiqué que le transport aérien entrera, en 2012, dans le système international des quotas d'émissions de dioxyde de carbone, mais que pour l'instant le régime communautaire des accises interdit de taxer ce secteur. Il s'est déclaré confiant sur les chances d'aboutissement des négociations internationales sur le climat, car le « bon sens » reprend le dessus, la seule difficulté étant de parvenir à un bon accord. Il a rappelé la déclaration récente du président Hu Jintao, qui a annoncé que la Chine envisage l'instauration d'un marché national pour le carbone.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé que la contribution climat-énergie viendra s'ajouter à la TIPP qui pèse déjà sur les hydrocarbures. Il a estimé qu'elle ne mérite en conséquence ni excès d'honneurs, ni excès d'indignité, et que, en dépit des protestations qui s'élèvent, elle ne créera pas de problèmes de solvabilité pour les entreprises ni pour les ménages. Il a souhaité savoir si le Parlement sera amené à approuver le rythme de progression du niveau de la contribution, par le vote de dispositions s'inscrivant dans la loi de finances pour les années ultérieures à 2010. Il a souhaité savoir également si le signal-prix donné par la taxe carbone pourra être revu en fonction des fluctuations du marché européen des quotas d'émissions de dioxyde de carbone, et si d'autres professions que les agriculteurs, les pêcheurs et les transporteurs routiers pourraient être concernées par les mesures d'atténuation.
Mme Christine Lagarde a indiqué que le Parlement se prononcera sur la progressivité du taux de la taxe carbone, et que le Gouvernement propose la mise en place d'une commission associant des parlementaires et des représentants de la société civile pour donner un avis sur son évolution. Elle a précisé que les prix des quotas d'émissions de dioxyde de carbone se situeront vraisemblablement dans une fourchette de 18 à 24 euros par tonne en 2010, de 23 à 30 euros par tonne en 2012, et évolueront vers le niveau de 100 euros à l'horizon 2030.
En réponse à M. Jean Arthuis, président, Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie auprès du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, a confirmé que les rétrocessions aux ménages augmenteront au même rythme que le tarif de la taxe carbone.
Mme Christine Lagarde a souscrit à la nécessité de réguler rigoureusement le marché d'échanges des quotas de CO2, non seulement au niveau européen, mais également à l'échelle internationale, à l'instar des réflexions en cours sur le contrôle et la supervision des marchés financiers.
S'agissant des mesures dérogatoires en faveur de certains secteurs professionnels, M. Jean-Louis Borloo a tenu à préciser que les informations transmises par les ministres à l'occasion de la présente audition sont susceptibles d'évoluer, en fonction des discussions actuellement en cours entre leurs collègues chargés de l'agriculture et des transports et les filières concernées.
Mme Nicole Bricq a jugé que l'arbitrage rendu par le Président de la République place le Gouvernement dans une position délicate et contradictoire. Un seul outil fiscal ne peut poursuivre plusieurs finalités à la fois, sauf à risquer de n'en atteindre aucune. De fait, le dispositif proposé par le Gouvernement n'atteindra son but ni sur l'objectif de réduction des consommations d'énergie, puisqu'il exclut l'électricité, ni sur le principe de justice sociale qui doit présider à la redistribution des recettes de la taxe, puisqu'il ne se fonde pas suffisamment sur le niveau de revenus.
Jugeant regrettable que l'instauration de la taxe carbone ne se soit pas intégrée dans une remise en perspective de l'ensemble des prélèvements obligatoires, Mme Nicole Bricq a successivement interrogé les ministres sur l'hypothèse d'une réforme des tarifs réglementés d'électricité pour diminuer les consommations de pointe, sur le dispositif de modulation de la TIPP par les régions, dans lequel elle a vu une « ficelle » consistant à faire assumer les hausses d'impôt par les régions tandis que le Gouvernement distribuera des chèques verts, puis sur la possibilité de conditionner la restitution du produit de la taxe carbone aux entreprises à la souscription d'engagements de réduction des émissions.
M. Aymeri de Montesquiou s'est étonné, dans un contexte de révision générale des politiques publiques, que le Gouvernement s'apprête à mettre en oeuvre une taxe au mécanisme fort complexe et donc potentiellement coûteux. Par ailleurs, il a jugé nécessaire de s'affranchir du dogme de la neutralité fiscale, pour taxer davantage ceux qui consomment beaucoup d'énergie, et douté de la possibilité technique d'instauration d'une taxe carbone aux frontières.
M. Jean-Pierre Fourcade a souligné que les enjeux liés au changement climatique sont désormais bien cernés en Chine, mais qu'il sera probablement plus difficile de convaincre des Etats tels que l'Inde, le Brésil ou la Russie de souscrire à des engagements contraignants. S'agissant du produit de la taxe qui sera obtenu des entreprises assujetties, il a jugé plus opportun de l'affecter au désendettement que de le redistribuer.
Mme Fabienne Keller a salué le courage dont le Gouvernement fait preuve en instaurant la taxe carbone. Les arbitrages proposés répondent à l'essentiel des préconisations élaborées par le groupe de travail de la commission des finances sur la fiscalité environnementale, nonobstant l'exclusion de l'électricité de l'assiette de la taxe. S'agissant du marché naissant des quotas de CO2, la France doit promouvoir, dès le rendez-vous de Copenhague, une harmonisation européenne des certificats et une mise aux enchères commune aux Etats membres. Enfin, il serait plus prudent de ne pas acter définitivement le principe d'une redistribution intégrale du produit de la taxe carbone : à mesure que son tarif augmentera, son produit pourrait être orienté vers des investissements favorables à l'environnement ou vers la baisse d'autres prélèvements obligatoires.
M. Bruno Sido a jugé le signal-prix envoyé par la taxe relativement négligeable, en comparaison des fluctuations du prix du baril, et peu propice à diminuer les consommations d'énergie. Par ailleurs, il a regretté qu'une campagne médiatique ait conduit à abandonner l'appellation de « contribution climat-énergie » au profit de celle de « taxe carbone », et que le principe d'une redistribution intégrale des recettes empêche de les consacrer à des investissements en faveur de l'environnement. S'agissant des ménages, cette redistribution est d'autant plus discutable qu'elle ne tiendra pas compte de leur localisation géographique, et que son montant modeste la fera probablement passer inaperçue.
S'il a vu dans l'instauration de la taxe carbone une mesure courageuse, M. Marcel Deneux a fortement critiqué le système de compensations qui l'accompagne, et regretté l'exonération du transport aérien. Il a notamment souhaité obtenir des précisions sur le traitement de l'outre-mer et des zones de montagne, sur l'articulation de la nouvelle taxe avec la fiscalité spécifique du secteur agricole, ainsi que sur son application aux biocarburants. En outre, la trajectoire de baisse mensuelle des émissions du parc automobile neuf d'un gramme de dioxyde de carbone aux cent kilomètres n'est pas tenable à long terme.
M. Daniel Dubois a rappelé que les seuls ménages susceptibles de réduire considérablement leurs consommations énergétiques seront ceux qui auront les moyens d'investir dans des équipements performants. Les ménages les moins aisés constitueront donc les redevables captifs de la taxe carbone, et c'est en leur direction qu'il aurait fallu concentrer les compensations. En outre, le principe d'une restitution illimitée et croissante avec le tarif de la taxe est contestable.
M. Jean Bizet s'est interrogé sur la portée réelle du signal-prix adressé par la taxe lorsque le prix du baril de pétrole aura considérablement augmenté. Il a également jugé primordial de bien communiquer sur l'instauration de la taxe, dont l'acceptation par l'opinion n'est pas garantie.
M. Pierre Jarlier a fait état de plusieurs simulations de l'impact de la taxe carbone pour souligner l'inquiétude qu'elle suscite chez les populations rurales, notamment en zone de montagne.
Mme Évelyne Didier a contesté le principe d'une fiscalité écologique consistant à substituer aux prélèvements sur les revenus des prélèvements sur la consommation. Ainsi conçue, la fiscalité écologique pénalise les familles modestes.
En réponse aux différents intervenants, Mme Christine Lagarde a développé les points suivants :
- la modulation de la TIPP par les régions, telle que prévue par le projet de loi de finances pour 2010, sera optionnelle ;
- la restitution aux entreprises, sous forme de baisse de la taxe professionnelle, ne sera pas conditionnée à des engagements contraignants de réduction d'émissions, dans la mesure où l'incitation à cette réduction réside dans le tarif même de la taxe carbone ;
- si l'instauration de la taxe sera une opération fiscale à somme nulle dans sa globalité, elle ne le sera pas pour chaque contribuable pris individuellement, pour qui le niveau de taxation et l'avantage fiscal ne seront pas nécessairement égaux ;
- les recettes supplémentaires de 1,9 milliard d'euros tirées des entreprises sont à rapprocher des 4,5 milliards d'allègements de taxe professionnelle, et ne pourront pas être consacrées, stricto sensu, au désendettement.
M. Jean Arthuis, président, a rappelé que le groupe de travail de la commission des finances sur la fiscalité environnementale a recommandé, à l'occasion de l'instauration de la taxe carbone, une évaluation de l'efficacité des « niches » fiscales environnementales existantes. Ces dépenses fiscales sont de plus en plus coûteuses, contribuent à la complexité du système de prélèvements et suscitent parfois de réels effets d'aubaine pour les secteurs qui en bénéficient.
Mme Chantal Jouanno a apporté les précisions suivantes aux différents intervenants :
- l'expérience suédoise tend à démontrer que l'instauration progressive mais ambitieuse d'une fiscalité du carbone n'est pas incompatible avec un fort taux de croissance de l'économie ;
- s'agissant des foyers trop modestes pour consacrer des investissements importants à la réduction des consommations d'énergie, il convient de rappeler que ces dernières peuvent être diminuées de 15 % à 20 % par de simples changements de pratiques quotidiennes ;
- le système de redistribution retenu par le Gouvernement n'est pas injuste, dans la mesure où les ménages seront gagnants jusqu'au huitième décile de revenus en milieu rural et jusqu'au cinquième en milieu urbain. Pour mémoire, la Suède n'avait assorti sa taxe carbone d'aucun mécanisme de restitution, estimant que les transferts sociaux existants suffisaient à opérer une redistribution efficace ;
- les biocarburants supporteront la taxe carbone, l'avantage qu'ils procurent en matière d'émissions de CO2 étant déjà pris en compte par la tarification allégée dont ils bénéficient au titre de la TIPP ;
- la question des niches fiscales environnementales doit être abordée en gardant à l'esprit que, en France, les niches « grises », soit les encouragements fiscaux à polluer, sont deux fois plus importantes que les niches « vertes ».
M. Jean-Louis Borloo a tiré des appréciations contrastées, formulées au cours de l'audition, la conclusion que le projet gouvernemental est relativement équilibré. La taxe carbone ne poursuit pas plusieurs objectifs à la fois, pas plus qu'elle ne manque son but en ne finançant pas des investissements. Ces investissements sont, en effet, déjà pris en charge dans le cadre des politiques publiques menées par le ministère chargé du développement durable. De plus, cette taxe n'est pas socialement régressive, car elle incitera les ménages modestes à consommer moins d'énergie, ce qui les rendra moins vulnérables à la hausse inévitable du prix du baril. S'agissant des « niches » fiscales, son ministère est attentif à ne pas les multiplier et à n'en pas laisser dériver le coût. Le hiatus qui peut toutefois exister entre les estimations fournies et les dépenses constatées n'est pas totalement imputable à ses services, qui ne pilotent pas les simulations fiscales. Concernant enfin la régulation des marchés de CO2, il est indispensable, à l'aube de la mise aux enchères des quotas, que Bercy formule des propositions opérationnelles pour en assurer le bon fonctionnement.