Mardi 7 juillet 2009
- Présidence de Mme Raymonde Le Texier, présidente -Audition de Mme Marjoleine Hennis, conseiller pour la politique sociale et de l'emploi, Ambassade du Royaume des Pays-Bas à Paris
La mission a procédé à l'audition de Mme Marjoleine Hennis, conseiller pour la politique sociale et de l'emploi à l'Ambassade des Pays-Bas en France.
A titre liminaire, Mme Raymonde Le Texier, présidente, a résumé les principaux objectifs et les axes de réflexion présentés dans le récent rapport de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes, qui a travaillé parallèlement à la commission sur la politique de la jeunesse présidée par M. Martin Hirsch, haut commissaire à la jeunesse. Elle a précisé que la mission poursuivait sa réflexion sur le thème de l'autonomie financière des jeunes, notamment sur la base d'une analyse des politiques mises en oeuvre dans d'autres pays européens.
Après avoir indiqué que la politique néerlandaise en faveur des jeunes couvrait un large spectre et relevait de la compétence de plusieurs ministères, Mme Marjoleine Hennis, conseiller pour la politique sociale et de l'emploi à l'Ambassade des Pays-Bas, a concentré son exposé sur les aspects de cette politique conduits sous la responsabilité du ministère des affaires sociales et de l'emploi, parce qu'ils impliquent notamment la participation des jeunes au marché du travail.
Elle a rappelé que le marché du travail néerlandais était très dynamique et plutôt favorable à l'insertion des jeunes. Le taux de chômage des jeunes, qui s'élève à 7 %, est inférieur de moitié à la moyenne observée dans l'Union européenne. Les contrats de travail temporaires sont très répandus et perçus positivement, comme un tremplin vers l'emploi durable : 43 % des jeunes bénéficient d'un tel contrat, contre 10 % des adultes de plus de 25 ans. Dans l'ensemble, la « flexi-sécurité » fonctionne bien aux Pays-Bas et le marché du travail y est généralement prometteur pour les jeunes.
Puis Mme Marjoleine Hennis a nuancé ce tableau, en précisant qu'un groupe important de jeunes demeurait marginalisé. 6,5 % des jeunes de 15 à 24 ans sont, en effet, déscolarisés et inactifs. 20 % d'entre eux sont chômeurs de longue durée. Le taux de décrochage scolaire s'élève à 13 %. La crise économique actuelle assombrissant encore un peu plus les perspectives de ces jeunes, la politique de l'emploi tente aujourd'hui d'apporter des réponses à ces difficultés structurelles et conjoncturelles.
Mme Marjoleine Hennis a évoqué les principales caractéristiques de la politique néerlandaise en faveur de l'emploi :
- cette politique est axée sur une stratégie globale d' « activation », c'est-à-dire qu'elle privilégie l'accès au travail et à la formation plutôt que le simple versement d'aides financières ;
- cette politique se veut, autant que possible, universelle et non ciblée sur certains groupes de population ;
- des mesures exceptionnelles sont toutefois prises pour certains groupes nécessitant une attention particulière, notamment les jeunes défavorisés ;
- enfin, cette politique est très décentralisée et conduite essentiellement au niveau des municipalités.
Mme Marjoleine Hennis a présenté les mesures structurelles récemment adoptées en faveur de l'emploi des jeunes. Il s'agit tout d'abord de la loi « WIJ » (loi « visant à investir dans les jeunes »), entrée en vigueur le 1er juillet 2009. Avant cette date, les jeunes de plus de 18 ans ne suivant pas de formation et inactifs pouvaient bénéficier de l'aide sociale versée par leur municipalité. Ce système était fondé sur des incitations financières à deux niveaux :
- chaque municipalité pouvait mettre en place des incitations financières pour réduire le nombre de cas à traiter ;
- l'Etat avait également mis en place des incitations financières pour encourager les municipalités à réduire le nombre de cas, puisque celles-ci pouvaient conserver à leur budget les fonds économisés lorsqu'un jeune parvenait à s'insérer.
L'aide sociale s'élevait à 648 euros, soit 50 % du salaire minimum pour une personne seule. En 2007, environ 25 000 jeunes ont perçu cette aide sociale. Or, 52 % d'entre eux n'avaient jamais été contactés par la municipalité pour mettre en place une démarche d'insertion dans le marché du travail. Mme Marjoleine Hennis a souligné que ce constat a été jugé préoccupant par les autorités néerlandaises, car ces jeunes n'ont généralement pas les qualifications nécessaires pour effectuer eux-mêmes cette démarche. C'est pourquoi le Gouvernement a refondé la politique en faveur de l'emploi des jeunes, en partant du principe que ceux-ci doivent pouvoir accéder à un emploi ou bien à une formation. Dans ce nouveau dispositif, les municipalités ont l'obligation de leur offrir un accompagnement et le jeune doit participer au programme qui lui est proposé pour pouvoir bénéficier de l'aide sociale. D'un point de vue financier :
- s'il accepte un emploi, le jeune perçoit un salaire de base ;
- s'il suit une formation en alternance, son salaire peut être complété en fonction de son âge ;
- dans les autres cas, le jeune perçoit une allocation. Pour les jeunes de 18 à 21 ans, une allocation familiale est versée par le système de sécurité sociale. A partir de 21 ans, le jeune perçoit l'aide sociale dont le montant social s'élève à 50 % du salaire minimum.
L'entrée du jeune dans le dispositif s'effectue à partir d'une demande adressée à UWV Werkbedrijf, l'équivalent de Pôle Emploi aux Pays-Bas. La demande est ensuite traitée par la municipalité qui doit tenir compte des capacités et des préférences du jeune. Les autorités publiques peuvent dialoguer avec les employeurs pour trouver une place d'apprentissage ou de stage en proposant, le cas échéant, une diminution des charges patronales aux entreprises qui embauchent des jeunes. Elles peuvent par ailleurs proposer à ces derniers un trajet d'intégration civique, comprenant l'apprentissage de la langue néerlandaise, et, si nécessaire, une aide pour surmonter leur situation d'endettement.
Puis, Mme Marjoleine Hennis a présenté les grandes lignes de la récente loi sur l'aide financière apportée aux jeunes handicapés, dite loi « WAJONG ». Ce dispositif privilégie également le travail et la formation par rapport au versement d'aides financières sans contrepartie, en concentrant les efforts sur le développement des capacités des jeunes handicapés ; en outre, les municipalités jouent un rôle moteur dans sa mise en oeuvre. Il s'adresse aux jeunes de plus de 18 ans ayant une incapacité à travailler d'au moins 25 %. Le bureau de Pôle Emploi, situé à la mairie, établit un programme de formation et d'accompagnement du jeune sur le marché du travail, en informant les employeurs sur les avantages financiers et l'offre d'aides pour adapter le lieu de travail au handicap.
Mme Marjoleine Hennis a signalé que l'application de ce nouveau dispositif avait engendré 16 000 demandes supplémentaires émanant de jeunes handicapés en 2008, soit 179 000 demandes au total. Elle a précisé que le montant de la prestation équivalait à 75 % du salaire minimum à 18 ans : il progresse jusqu'à l'âge de 27 ans, pour atteindre 100 % du salaire minimum.
Puis Mme Marjoleine Hennis a détaillé les mesures exceptionnelles prises pour répondre à la crise économique et qui visent particulièrement à améliorer la situation des jeunes défavorisés. Une aide financière a été allouée dans ce cadre aux quatre principales villes néerlandaises (Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht) : chaque ville bénéficie d'une subvention d'un million d'euros en 2009, destinée à financer des politiques en faveur de l'insertion des jeunes les plus défavorisés, c'est-à-dire ceux qui rencontrent des problèmes multiples tels que le décrochage scolaire, le chômage, la drogue, l'endettement, la criminalité ou les difficultés de logement. Chaque ville détermine localement les objectifs de sa politique en faveur de la jeunesse. Ainsi, par exemple, Utrecht met l'accent sur les « petits emplois » étudiants, afin de préparer les jeunes au marché du travail. A La Haye, l'amélioration de la diffusion de l'information sur le marché du travail est privilégiée.
Plus généralement, Mme Marjoleine Hennis a souligné que, pour répondre à la crise économique, un plan de lutte contre le chômage des jeunes avait été mis en oeuvre. Les prévisionnistes estiment globalement à 700 000 le nombre de chômeurs supplémentaires attendus en un an et 220 000 jeunes se présentent actuellement sur le marché du travail, en fin d'année scolaire. Face à cette situation, le plan bénéficie d'un budget de 250 millions d'euros pour la période 2009-2011 ; en complément, 250 millions d'euros supplémentaires seront attribués à l'amélioration de l'enseignement. Les dispositions prises visent à favoriser l'implication du plus grand nombre possible d'acteurs, notamment les municipalités, les établissements scolaires et les employeurs. L'objectif est d'éviter l'apparition de 35 000 chômeurs supplémentaires, grâce à quatre séries de mesures :
- des dispositions tendant à faire en sorte que les jeunes poursuivent leurs études pendant une année supplémentaire ;
- une action pour améliorer l'adéquation de l'offre à la demande de travail ;
- des incitations en faveur des stages, de l'emploi en alternance et du bénévolat ;
- et, enfin, des contrats signés avec trente régions, comportant des mesures concrètes adaptées en fonction des circonstances locales.
Un débat s'est ensuite instauré.
En réponse à plusieurs questions de Mme Maryvonne Blondin, Mme Marjoleine Hennis a précisé que la notion de décrochage scolaire aux Pays-Bas se définissait, comme en France, par une rupture d'études avant l'âge de 16 ans. Elle a également détaillé les mesures prises pour inciter les jeunes à demeurer dans le système scolaire, qui consistent principalement à les informer davantage sur la probabilité pour eux d'accéder à un emploi en période de crise. S'agissant du lien entre éducation et marché du travail, elle a rappelé que 250 millions d'euros avaient récemment été affectés à l'amélioration de la qualité du système éducatif en vue d'une meilleure adéquation des formations à l'emploi. Enfin, elle a indiqué qu'il existait, aux Pays-Bas comme en France, des structures d'aide par le travail destinées aux personnes handicapées.
Mme Virginie Kles a demandé de quels moyens juridiques, humains et financiers disposaient les municipalités dans le cadre des politiques sociales. Par ailleurs, elle s'est interrogée sur la délimitation du champ des politiques en faveur des jeunes handicapés.
En réponse, Mme Marjoleine Hennis a indiqué que les municipalités ne pouvaient rien imposer et n'agissaient que par le biais d'incitations financières, tout en disposant de moyens importants. S'agissant des jeunes handicapés, elle a indiqué que cette catégorie se définissait à partir de notions qui soulèvent des débats, en évoquant, en particulier, le cas de l'autisme ou de l'hyperactivité. Elle a également constaté l'absence, aux Pays-Bas, de dispositif contraignant comme le taux obligatoire d'emploi de personnes handicapées qui existe en France ; des avantages fiscaux sont, en revanche, prévus en faveur des entreprises embauchant des personnes handicapées.
Mme Nicole Bonnefoy a approuvé le principe d'un système d'aide aux jeunes fondé sur la proximité des réponses aux enjeux de politique sociale. Elle a regretté l'éventuelle suppression, en France, de certains niveaux de collectivités, ce qui témoigne, a-t-elle estimé, d'une tendance inverse.
Puis Mme Raymonde Le Texier, présidente, a demandé des précisions sur les aides accordées aux étudiants sous forme de bourses ou de prêts permettant d'apporter une réponse à la problématique de l'autonomie.
Mme Marjoleine Hennis a décrit le système néerlandais de bourses étudiantes, qui comporte une bourse unitaire de base et une bourse complémentaire :
- la bourse unitaire de base, versée pendant une période maximale de quatre ans, s'élève à 93,29 euros par mois pour les étudiants résidant au domicile parental, et à 259,76 euros par mois pour les jeunes habitants par ailleurs ;
- la bourse complémentaire dépend du revenu des parents. Son montant maximum s'élève à 213,83 euros pour les étudiants qui résident chez leurs parents et à 233,27 euros pour les autres.
Cette bourse se transforme en prêt si l'étudiant n'a pas terminé ses études dans un délai de dix ans : l'avance doit alors être remboursée, moyennant le versement d'intérêts.
Ce système de bourses est complété par des dispositifs de prêts : d'une part, un prêt couvrant les droits d'inscription universitaires, qui s'élèvent à environ 1 600 euros par an, et, d'autre part, un prêt complémentaire de 282,35 euros par mois, au taux de 3,58 %. Par ailleurs, beaucoup d'étudiants travaillent pour compléter leurs revenus.
Évoquant d'autres modèles européens étudiés au cours des travaux de la mission, Mme Raymonde Le Texier, présidente, a demandé comment étaient perçues les ruptures de parcours aux Pays-Bas, et si les allers-retours entre formation, emploi et expériences à l'étranger étaient considérés comme un atout pour les jeunes. Sur ce point, Mme Marjoleine Hennis a confirmé que, comme dans la plupart des pays d'Europe, la discontinuité des parcours, bien loin de constituer un handicap, était au contraire perçue positivement comme manifestant une aptitude à la mobilité.
Puis Mme Raymonde Le Texier, présidente, s'est interrogée sur les principales causes du décrochage scolaire aux Pays-Bas. Elle s'est préoccupée du facteur aggravant que constitue une mauvaise connaissance de la langue au sein des populations issues de l'immigration, et s'est demandé si les problèmes sociaux se traduisaient dans l'espace urbain par l'existence de quartiers concentrant les difficultés.
Mme Marjoleine Hennis a précisé que, aux Pays-Bas, les populations migrantes étaient principalement d'origine turque et marocaine, avant de confirmer qu'une intégration linguistique insuffisante pouvait être l'une des causes du décrochage scolaire. Elle a ensuite évoqué l'existence de quartiers sensibles, tout en précisant que ce phénomène n'atteignait pas l'ampleur qu'il avait pris en France. Elle a enfin signalé l'intérêt de nombreux Néerlandais pour le système de curriculum vitae anonyme expérimenté en France.