Mercredi 1er juillet 2009
- Présidence de M. Claude Birraux, député, président -Efficacité énergétique des bâtiments neufs - Présentation de l'étude de faisabilité
M. Claude Birraux, président de l'Office d'évaluation parlementaire des choix scientifiques et technologiques, a ouvert la réunion par la présentation de l'étude de faisabilité relative à la mission qu'il conduit avec M. Christian Bataille, député, sur la mise en oeuvre de la réglementation thermique devant s'appliquer à partir de la fin 2010 pour les bâtiments publics et tertiaires, et de la fin 2012 pour les bâtiments résidentiels.
Il a observé que cette étude de faisabilité ne pouvait conclure qu'à la poursuite du rapport, dans la mesure où celui-ci avait été mis en chantier par une disposition du projet de loi « Grenelle 1 », certes relayée ensuite par une saisine du président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, mais néanmoins d'ores et déjà votée conforme par les deux chambres, et donc en passe d'avoir force de loi.
Il a indiqué que cette mission visait à proposer une modulation pour le plafond unique prévu pour la consommation d'énergie dans les constructions neuves, soit 50 kWh/m²/an en énergie primaire, et que les rapporteurs se proposaient de formuler des recommandations avant le mois de novembre, afin de permettre ensuite la préparation rapide des textes d'application de la loi, qui sera promulguée durant l'été.
Il a décrit succinctement le cadre de conduite de l'étude, en mentionnant les trois catégories d'acteurs principalement auditionnés (industriels de l'énergie, professionnels de la construction, responsables des institutions en charge de la réglementation thermique), les visites in situ de bâtiments à basse consommation prévues en France et à l'étranger (Suisse, Allemagne, Royaume Uni), ainsi que la composition du comité de pilotage des huit personnes désignées pour assister les rapporteurs, pour partie constitué en liaison avec l'Académie des technologies, le programme de recherche et d'expérimentation sur l'énergie dans le bâtiment (PREBAT), et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), en soulignant la présence d'un représentant des sciences humaines et sociales.
Il a indiqué les axes d'analyse identifiés au travers des auditions déjà effectuées :
- le besoin de bien appréhender le champ couvert par la réglementation thermique : les cinq usages concernés (chauffage, eau chaude, éclairage, ventilation, climatisation), les constructions neuves à l'exclusion de la rénovation, les bâtiments résidentiels mais aussi publics et tertiaires ;
- l'apport des progrès technologiques dans les domaines de l'isolation des bâtis et des équipements de chauffage, avec le dilemme qui en résulte entre la nécessité d'un cadre incitatif et la prise en compte d'un certain réalisme, car les solutions innovantes induisent un surcoût d'investissement ;
- la manière d'intégrer l'objectif de la minimisation des émissions de CO2, avec la mise en avant par certains interlocuteurs du concept d'émission marginale du kWh d'électricité, alors que la lutte contre les changements climatiques vise le ralentissement de l'accumulation, au total, du carbone dans l'atmosphère.
Il a énuméré les cinq pistes de modulation déjà identifiées : modification du coefficient de conversion pour l'eau chaude avec accumulation, réduction temporaire du nombre des usages pris en compte, accentuation de la correction au titre de la différenciation climatique, introduction d'un facteur de compensation pour les petits logements du fait de la consommation d'eau chaude, adaptation à la destination très diverse des bâtiments tertiaires (les hôpitaux ayant des besoins d'énergie bien plus importants que les simples entrepôts).
Il a conclu en indiquant quelques guides de réflexion: l'ouverture au progrès technologique et aux énergies renouvelables, l'objectif de la neutralité technologique (pouvoir choisir la solution technologiquement la mieux adaptée dans le contexte donné, y compris en termes de raccordement), la coordination de l'évolution de la réglementation thermique avec un ajustement du dispositif fiscal, le besoin crucial d'un alignement vers le haut de la qualité des services rendus par les professionnels du bâtiment et du chauffage.
M. Christian Bataille, député, rapporteur, ayant signalé qu'il partageait pleinement cette présentation et ses conclusions, M. Claude Birraux, député, président, a constaté l'absence d'opposition à la poursuite de l'étude.
Commission nationale d'évaluation des recherches sur la gestion des déchets radioactifs - Audition
M. Claude Birraux, président, député, a ouvert l'examen du rapport annuel de la Commission nationale d'évaluation (CNE), en accueillant le Président Bernard Tissot, et les autres membres de la Commission.
Il a rappelé le contexte de cette audition, fixé par l'article 9 de la loi du 28 juin 2006, qui précise que la CNE « est chargée d'évaluer annuellement l'état d'avancement des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (...) Cette évaluation donne lieu à un rapport annuel (...) transmis au Parlement, qui en saisit l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ».
Il a mentionné que c'était la troisième fois que l'OPECST procédait à cette audition annuelle depuis la réinstallation de la CNE selon sa nouvelle configuration prévue par la même loi. Il a noté qu'un des objectifs de cette nouvelle configuration était de doter la CNE d'une capacité d'analyse dans le domaine des sciences économiques et sociales, et s'est réjoui que cette dimension de recherche apparaisse en tant que telle dans le troisième rapport.
Il a observé que les délais de publication de ce rapport avaient empêché de prendre en compte des événements très récents, car celui-ci ne mentionnait ni le choix par le Gouvernement français des communes d'Auxon et de Pars-lès-Chavanges, dans le département de l'Aube, pour les investigations approfondies en vue de la construction d'un site de stockage de déchets à faible activité et à vie longue (FAVL), datant du 24 juin 2009, ni le choix par SKB du site de Forsmark pour le stockage des combustibles usés suédois, datant du 3 juin 2009. Dans le second cas, ce ne pouvait certainement être faute d'avoir eu l'information, puisque le président de SKB, M. Claes Thegerström, est membre de la CNE.
M. Bernard Tissot a indiqué que le schéma de gestion de l'ensemble des déchets radioactifs, tel qu'il a été prévu par les lois de 1991 et de 2006, se met peu à peu en place, et qu'on peut désormais espérer que toutes les échéances fixées par la loi seront respectées, si la recherche continue à progresser au rythme actuel. Néanmoins, comme l'a souligné l'OPECST dans l'un de ses récents rapports présenté par MM. Claude Birraux et Christian Bataille, il subsiste un certain manque de coordination entre les différents acteurs de cette recherche. Le nombre de personnes, une cinquantaine, qui assistent à chacune des auditions de la CNE, et l'attention qu'elles portent à ses travaux, montrent bien que les chercheurs ressentent le besoin de confronter et d'harmoniser leurs travaux.
Il a estimé que l'année 2009 correspondait à un tournant pour les recherches dans les deux domaines du stockage géologique profond et de la séparation-transmutation qui devrait mener au multirecyclage.
S'agissant du stockage en couche géologique profonde des déchets de haute activité, l'ingénierie minière doit y prendre une place croissante, et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a renforcé ses effectifs dans ce domaine de compétence ; cependant, elle n'a pas encore exposé à la CNE les options concrètes de techniques minières, les choix des modes de creusement des galeries et des alvéoles, des modes de soutènement, ni les solutions envisagées pour les engins et le transport des pondéreux, notamment les colis et les conteneurs.
Avant la fin 2009, la CNE a souhaité que l'ANDRA lui expose :
- la définition de la réversibilité retenue par elle avec les options techniques envisagées pour sa mise en oeuvre et son cadre chronologique. A cet égard, la CNE apprécie que l'ANDRA aborde le problème de la réversibilité en le développant dans un cadre international ;
- le modèle d'inventaire de dimensionnement (Mid) à établir fin 2009 et qui sera inclus dans la demande d'autorisation de création (Dac). Le Mid fera connaître aux populations concernées ce que l'on propose de placer dans le stockage géologique. La CNE s'inquiète de la lenteur d'élaboration des spécifications des colis finaux destinés au stockage profond, notamment ceux issus de la reprise des déchets anciens de Cadarache et de Marcoule ; les colis de la Hague sont en revanche normalisés. La CNE met en garde contre une incertitude sur la compatibilité entre le site de stockage en attente de définition et le conditionnement final, qui gèlerait les progrès du projet ;
- les éléments de base déterminant le choix, sur proposition de l'ANDRA, avant la fin de l'année, de la « zone d'intérêt pour une reconnaissance approfondie » (Zira) où pourrait être implanté le futur centre de stockage souterrain. Les données géologiques, hydrogéologiques et géophysiques doivent jouer un rôle primordial dans la proposition de délimitation de la Zira.
La CNE regrette que les études socio-économiques restent encore embryonnaires, et que l'on ne dispose toujours pas du coût réel d'un stockage et de son impact sur l'économie locale.
S'agissant des déchets de faible activité mais à vie longue - qui comprennent en particulier les graphites des centrales Uranium naturel graphite gaz (UNGG) - l'Andra a engagé depuis 2008 des négociations avec les collectivités locales pour trouver des sites candidats à l'examen de faisabilité d'un stockage. A la demande du ministre d'Etat chargé de l'écologie, de l'énergie et du développement durable, la Commission a examiné les dossiers que lui a remis l'ANDRA en décembre 2008, et a transmis au ministre d'Etat et à l'Office parlementaire un avis en janvier 2009. La CNE considère que l'ANDRA a utilisé au mieux les données peu abondantes actuellement disponibles.
S'agissant de la séparation-transmutation des radionucléides à vie longue, la recherche s'est développée depuis la loi de 1991, principalement au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), dans une logique de progrès continus qui ont abouti à donner à la France une place de chef de file mondial dans ce domaine.
La loi du 28 juin 2006 demande que soit défini en 2012 le cahier des charges qui conduirait en 2020 à la mise en exploitation d'un prototype de réacteur à neutrons rapides capable de démontrer le multirecyclage des actinides mineurs. Ce prototype est appelé Astrid (Advanced Sodium Technology Reactor for Industrial Demonstration). En aucun cas il ne peut s'agir de refaire Superphenix, pour des raisons de performances, mais aussi d'acceptabilité.
Par ailleurs, s'agissant d'une rupture technologique, il est bien évident que ce développement ne se fera pas sans qu'on y mette les moyens, et donc pas à « moyens constants », contrairement à ce qui a été expliqué lors des auditions. Quand, sous Louis-Philippe ou Napoléon III, il a été décidé de passer des transports par berline à traction animale à des transports par lignes de chemins de fer à vapeur, on savait pertinemment que cela ne se ferait pas à coût constant. Il est donc indispensable que le CEA ait les moyens d'un tel projet et en fasse sa priorité.
Compte tenu du calendrier tendu fixé par la loi, et du contexte international en rapide évolution, les études et les recherches doivent dès maintenant se concentrer sur le projet Astrid, sur la séparation de l'américium et sur le concept de transmutation dans des couvertures chargées en actinides mineurs.
La CNE considère que tout retard dans l'affectation des moyens humains et financiers nécessaires au programme Astrid compromettrait l'évaluation de 2012 et la disponibilité du prototype en 2020, toutes deux prévues par la loi du 28 juin 2006. Les recherches menées dans des secteurs autres que celui des réacteurs à neutrons rapides innovants ne doivent pas conduire à disperser les moyens.
Il existe un lien entre le stockage et la transmutation en raison de l'impact qu'aurait, sur la conception même du stockage, le fait que les colis de verre puissent être, dans le futur, allégés en actinides mineurs. L'absence d'actinides mineurs dans les verres pourrait diminuer sensiblement la thermique du stockage, ce qui aurait des conséquences favorables sur son emprise. Mais la transmutation ne remettra pas en cause le stockage car il restera toujours une part ultime de déchets dangereux, notamment les produits de fission.
La CNE estime indispensable qu'une étude approfondie de cette question soit faite conjointement par l'ANDRA et le CEA. Elle attend une évaluation quantitative de cet impact, qui, potentiellement, pourrait être important. Les recherches sur ce sujet sont loin d'être à la hauteur de cette attente ; elles doivent être approfondies et inclure les aspects socio-économiques.
M. Claude Birraux, président, a félicité la CNE pour la qualité pédagogique de son rapport, avec le renvoi en annexe des points examinés en détail et l'identification en italique des recommandations. Il a noté que le rapport comporte des éléments de référence sur la situation à l'étranger, comme la loi le demande. Il s'est réjoui de ce que la CNE joue le rôle d'aiguillon que le Parlement lui a confié. Il a fait part des observations suivantes sur le rapport.
Il a rappelé que c'est le législateur qui fixera le contenu de la réversibilité en 2015. D'ici là, l'ANDRA a pour seule mission d'étudier les options possibles de la réversibilité, ce dont elle s'occupe consciencieusement, dernièrement encore à l'occasion d'un colloque à Nancy, le 17 juin, qu'il a eu l'honneur d'ouvrir en visioconférence depuis l'Assemblée nationale ; la CNE n'est donc pas fondée à exiger de l'ANDRA une définition de la réversibilité, avant la fin 2009.
Il a observé que le problème du conditionnement des fûts de bitume du CEA à Marcoule est évoqué (en page 17 du rapport, puis en page 50 de l'annexe), en mentionnant le souci d'éviter la dépense inutile des changements de conditionnement, et il a rappelé que, au cours des dernières semaines, il avait recueilli les récriminations d'AREVA, puis les explications de l'ANDRA, s'agissant du conditionnement des boues du STE2. La loi place l'ANDRA en position de donner des avis sur le conditionnement. Il serait certainement plus efficace de confier un véritable rôle de chef de file en ce domaine à l'ANDRA, qui se trouve placée au bout de la chaîne de traitement.
Dans les développements consacrés à l'analyse des aspects socio-économiques, le rapport mentionne l'impossibilité d'obtenir une première estimation raisonnablement fiable du coût du stockage. M. Claude Birraux, député, président, a souscrit à l'idée qu'il serait utile de disposer de quelques ordres de grandeur chiffrés, permettant par exemple de montrer que l'industrie nucléaire n'est pas forcément une solution pour tous les pays, y compris en Europe. Il a donc encouragé la CNE à procéder aux auditions qu'elle suggère pour avancer sur ce point. En revanche, il a estimé que les études universitaires comparatives envisagées se heurteraient à une défiance des acteurs concernés.
En revanche, il a indiqué qu'une mise sur la place publique du détail des calculs, surtout s'agissant des charges des entreprises, paraissait inappropriée. D'autant que l'article 20 de la loi du 28 juin 2006 prévoit le mécanisme de la Commission nationale d'évaluation financière (CNEF), conçu sur le modèle de la CNE, pour vérifier, en respectant le secret des affaires, les conditions dans lesquelles les entreprises gèrent leurs provisions pour leurs charges de démantèlement. Il a estimé que la CNE a raison d'alerter le Parlement à ce sujet, car le dispositif de la CNEF reste à compléter, mais qu'elle sort de son rôle lorsqu'elle écrit « il importe de connaître en détail le mécanisme des provisions et la façon dont ces provisions sont gérées ». M. Claude Birraux, député, président, a regretté le retard, de plus d'un an, de l'entrée en fonction de la CNEF, en signalant que la haute fonction publique ne manquait pas de grands commis de l'Etat à la retraite pouvant assurer le secrétariat de cette instance.
Il a déclaré qu'il souscrivait à la nécessité de répondre au besoin mentionné d'une évaluation quantitative de l'impact de la séparation-transmutation sur le stockage géologique profond, car ce serait une façon de mettre en valeur la complémentarité des trois axes de recherche sur les déchets qui a été mise en avant par la loi du 28 juin 2006.
Il a demandé l'origine de l'insuffisance des recherches pilotées par l'ANDRA en ce qui concerne les modèles de comportement pour la compréhension de certaines déformations observées.
Il a rappelé que l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) avait accepté pour la première fois de présenter ses travaux à Tournemire - programme TRASSE conduit avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) - au cours des auditions de la CNE, le 11 mars exactement, et s'est étonné que le rapport de la CNE n'en fasse pas mention.
Il s'est interrogé sur la possibilité de poursuivre le projet Astrid dans le cadre d'une coopération internationale, dans la logique du partenariat GEN IV.
M. Bernard Tissot, président de la CNE, a pris acte de l'accord de l'Office pour une démarche d'évaluation de l'ordre de grandeur du coût du stockage, sachant que les estimations fournies aujourd'hui varient de 3 à 70 milliards d'euros.
M. Christian Bataille, député, a indiqué que l'information sur cet ordre de grandeur ne doit en aucune manière influer sur la poursuite du programme de gestion des déchets radioactifs, qui constitue un volet fondamental du recours à l'énergie nucléaire. EDF dispose, en tout état de cause, des ressources financières permettant de couvrir les dépenses correspondantes ; c'est là un point considéré comme acquis depuis la mise en place de la stratégie de recherche sur les déchets radioactifs par la loi du 30 décembre 1991. Le coût n'est qu'un aspect secondaire de cette politique d'intérêt stratégique pour la France qui doit se donner les moyens d'un effort scientifique permettant de répondre aux inquiétudes de la société.
Il a regretté que les débats autour de la mise en place d'un site de stockage FAVL viennent perturber l'équilibre atteint autour du dossier bien plus crucial des déchets à haute activité et à longue vie (HAVL), en rappelant que le devenir de la filière nucléaire demeure toujours en butte à un éventuel blocage politique. Il s'est interrogé sur le fait que le rapport de la CNE revienne sur le besoin d'évaluer l'option d'un accueil de tout ou partie des déchets « graphites » dans le stockage HAVL de Bure, alors que cette question lui semblait tranchée. Il a souhaité des précisions sur les conditions dans lesquelles le réacteur Jules Horowitz, qui doit entrer en service en 2015, « permettra d'irradier un faible volume à haut flux en spectre rapide ». Il s'est demandé si la filière de traitement des actinides, avec la préparation des combustibles, avançait à un rythme lui permettant d'être prête lorsque les réacteurs de quatrième génération le seront.
M. Jean-Claude Duplessy, membre de la CNE, revenant sur la question de la réversibilité, a indiqué que l'attente légitime de la société sur ce point ne doit pas être satisfaite au prix de concessions à la sûreté. Cela implique l'étude de différents scénarios correspondant à différents niveaux de réversibilité, et des investigations technologiques de la part de l'ANDRA. Il s'agit de transcrire le rêve de la réversibilité en données concrètes, de manière à alimenter le dossier à partir duquel le Parlement pourra faire son choix en 2015. Si les réflexions ne sont pas poussées jusqu'au stade de la technologie, la réversibilité demeurera un concept de papier.
M. Pierre Berest, membre de la CNE, a ajouté que l'objectif de la réversibilité fonctionne dans un triangle d'interdépendance avec deux autres objectifs, à savoir la sûreté pour les opérateurs du stockage et la sûreté du site dans le futur lointain. Il faut pouvoir identifier à l'avance les contradictions qui apparaissent entre ces objectifs, de manière à définir des hiérarchies de priorités. C'est une démarche complexe. Par exemple, une galerie borgne garantit mieux la sûreté qu'une galerie ouverte des deux côtés, mais pose plus de difficultés du point de vue de l'accès et de la ventilation. Pour définir les meilleures solutions, il faut pouvoir les tester sous l'angle de la robustesse, en prévoyant les redondances nécessaires. Cela suppose des investigations approfondies.
S'agissant des recherches sur le stockage proprement dit, il a exprimé le sentiment que l'ANDRA conduisait les opérations au mieux, en mobilisant, pour les analyses de déformation, des équipes universitaires de premier ordre, et, pour les études d'ingénierie, des compétences de grande qualité. Mais le maillon intermédiaire, correspondant à la modélisation des comportements à l'échelle du siècle, paraît pour l'instant plus faible : l'enjeu en est, par exemple, la vitesse à laquelle les terrains reviendront exercer une pression sur l'enveloppe du tunnel.
M. Claude Birraux, député, président, s'interrogeant sur l'urgence de ce type d'étude, M. Pierre Berest a convenu qu'il ne s'agissait pas d'une première priorité, mais que l'Andra devait néanmoins être incitée sans trop tarder à faire des efforts dans cette direction.
M. Jacques Percebois, membre de la CNE, a pris acte du refus de subordonner le pilotage de la stratégie de recherche sur les déchets radioactifs à des contraintes économiques, mais a évoqué le besoin de pouvoir contester les chiffres farfelus de coût total diffusés par les opposants à l'énergie nucléaire. Il a estimé, par ailleurs, utile de disposer d'au moins un ordre de grandeur du coût total, dans une perspective de comparaison internationale.
Prenant acte de la protection du secret des affaires prévue par la procédure de l'article 20 de la loi du 28 juin 2006 en ce qui concerne le contrôle des provisions pour charges de démantèlement, il s'est interrogé sur l'intérêt de maintenir des compétences en matière économique au sein de la CNE, en l'absence de tout accès à des données chiffrés.
M. Christian Bataille, député, a observé qu'il appartenait à l'Andra de fournir des estimations sur les coûts relatifs aux opérations de stockage et M. Claude Birraux, député, président, a signalé que le champ d'application des sciences économiques pouvait trouver à s'étendre bien au-delà des questions financières.
M. Bernard Tissot, Président de la CNE, a expliqué, à propos du réacteur Jules Horowitz, qu'il était conçu pour disposer d'un petit volume de protection de neutrons rapides, à côté de sa fonction de production de neutrons thermiques. S'agissant des options en matière de réacteur de quatrième génération, la CNE n'a pas à influer sur les choix du CEA, mais simplement à s'assurer que les pistes suivies permettent bien de valoriser tous les acquis technologiques antérieurs, ce qui sera le cas avec le prototype Astrid.
En ce qui concerne le stockage des déchets « graphites », il faut prendre en considération la difficulté particulière que représente le chlore 36, à propos duquel il a été constaté à Yucca Mountain qu'il pouvait traverser une barrière géologique beaucoup plus rapidement que prévu. La CNE a pris acte de l'apparition de 60 000 fûts de bitume dans la liste des types de déchets envisagés pour le stockage dans le futur site FAVL, ainsi que certaines sources scellées.
M. Jean-Claude Duplessy, membre de la CNE, a indiqué que l'inventaire de ces déchets bitumés n'était pas très bien connu.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, a observé que certaines questions, comme la réversibilité, touchaient au domaine de compétence de l'Autorité de sûreté nucléaire. Il a convenu qu'il serait utile de disposer de certains chiffres globaux relatifs au coût de la construction du site de stockage HAVL, de son exploitation, puis de sa surveillance après sa fermeture. Il a noté le ton très optimiste du rapport sur les conditions de réalisation du stockage « du point de vue du génie civil classique ». Il s'est interrogé sur le dimensionnement des déchets HAVL, en se référant à l'image souvent utilisée d'un volume équivalent à deux piscines olympiques. Il a souhaité une explication complémentaire sur le phénomène de « désaturation » évoqué dans le rapport. Enfin, il s'est interrogé sur la part des recherches sur les matériaux pour réacteurs qui pourrait revenir au Centre de compétence sur les matériaux métalliques de Nancy, l'Institut Jean Lamour fondé en janvier 2009.
M. Emmanuel Ledoux, membre de la CNE, a précisé le phénomène de « saturation » : avant creusement, les roches souterraines, qui contiennent de multiples minuscules cavités, sont naturellement remplies d'eau ; la « désaturation » consiste inversement à libérer l'eau pour la remplacer par de l'air ; elle se produit, grâce aux systèmes de ventilation, dans le pourtour des espaces creusés, dans la zone dite « abîmée ». La fermeture du site permet à l'eau d'envahir à nouveau progressivement la roche. Ces phénomènes sont étudiés à la fois sous les angles hydraulique et mécanique.
M. Hubert Doubre, membre de la CNE, s'est réjoui de la constitution d'un pôle de recherche fort sur les matériaux métalliques à Nancy, mais a observé qu'il faudra une quinzaine d'années pour mettre au point une génération de nouveaux matériaux pour les réacteurs ; ainsi, dans un premier temps, ce sont les matériaux améliorés grâce au retour d'expérience de Superphénix qui seront utilisés.
Il a ajouté que, à l'approche de l'échéance de 2012 pour l'évaluation des différentes filières de quatrième génération, la CNE a porté une particulière attention aux recherches sur la séparation et la transmutation. Il a précisé que la construction du « prototype / tête de série » Astrid visait à la fois la mise au point d'une filière de réacteurs commercialement attractive, la mise en place d'une plate-forme d'irradiation en spectre neutronique rapide répondant à un besoin sur lequel la CNE avait attiré l'attention l'an dernier, et la démonstration de la transmutation en réacteur nucléaire rapide (RNR).
Il a indiqué que la CNE considère que des travaux de grande qualité lui ont été présentés dans quatre domaines :
D'abord la séparation : le CEA s'attache à développer des procédés rapidement transposables industriellement pour trois cas de figure : l'extraction de chacun des actinides mineurs, l'extraction du seul américium (dont la transmutation apparaît plus immédiatement réaliste que celle des autres actinides mineurs) et la séparation de l'uranium, d'une part, et de l'ensemble des autres actinides, d'autre part (solution de retraitement non proliférante).
Ensuite, la fabrication du combustible : un dossier d'opportunité et un avant-projet sommaire, prévus pour la fin 2009, devraient instruire la mise en service à Marcoule d'un atelier (ALFA) de préparation d'aiguilles combustibles chargées d'actinides mineurs pour être irradiées. Deux autres installations sont envisagées à La Hague : un atelier (dit AFC) de fabrication du combustible nourricier d'Astrid, au niveau de quelques tonnes par an, et un micropilote de fabrication de combustibles chargés en actinides mineurs (au niveau de la centaine de kilogrammes par an). Ces initiatives françaises s'appuient aussi sur des collaborations européennes et internationales. Des progrès notables sur la co-conversion des actinides mineurs laissent espérer des avancées sur la fabrication et la tenue de ces combustibles.
Troisièmement, les modes de transmutation : une grande importance est donnée au concept de couvertures chargées en actinides mineurs qui présentent des avantages car, séparées du coeur, elles n'en perturbent pas le fonctionnement et leur retraitement ne serait guère différent de celui du combustible standard.
Enfin, la recherche sur les réacteurs hybrides de type ADS (Accelerator Driven System), avec les analyses post-irradiation de l'expérience Megapie, les tests de l'accélérateur IPHI à Saclay, et le démarrage de l'expérience Guinevere (monitorage du fonctionnement d'un ADS) à Mol en Belgique.
La CNE regrette la faiblesse des recherches visant à apprécier l'impact de la séparation-transmutation sur le stockage géologique. Les études des scénarios de déploiement des options de séparation-transmutation et leur appréciation socio-économique représentent un lourd travail ; la question stratégique de la place faite à la transmutation dans la conception des RNR doit notamment être approfondie. Les résultats de ce travail, mené en commun par le CEA, AREVA et EDF, ne seront pas connus avant 2012.
Par ailleurs, des choix difficiles restent à faire concernant le prototype Astrid, car le retour d'expérience de Superphenix ne saurait suffire pour un réacteur innovant, d'un niveau de sûreté accru, devant fonctionner en 2020.
M. Hubert Doubre, membre de la CNE, a terminé son intervention en soulignant qu'Astrid doit éviter deux écueils : arriver trop tôt en termes d'innovation, ou trop tard sur le marché international. Enfin, les conclusions du programme Eurotrans sur la faisabilité des ADS, attendues début 2010, seront sans doute partielles ; les études sur ce thème se poursuivront grâce au projet Myrrha à Mol.
M. Maurice Laurent, membre de la CNE, a signalé que la CNE craint que le projet de stockage des déchets HAVL ne soit géré sans englober la totalité de ses dimensions, en laissant notamment de côté les problèmes d'acheminement, qui vont exiger des aménagements de voirie conséquents, ni considérer la mobilisation de l'effectif très important de travailleurs qui sera nécessaire aux travaux de construction, avec les difficiles questions de logistique qui en résulteront. En outre, une certaine imprécision entoure encore les installations de surface, qui jouent pourtant un rôle clef dans la sûreté de la manipulation des colis ; dans ce cadre, l'idée de construire un entreposage de surface de longue durée risque d'être perçue comme une entorse au contrat moral passé avec la population locale.
Il a observé que, dans la mise en oeuvre de la stratégie de gestion des déchets HAVL, l'heure était venue maintenant de passer aux décisions pratiques, après la longue phase finalement assez confortable des études théoriques. La transition ne se fera pas sans difficultés, et il aurait sans doute fallu mettre en place une autorité de supervision, chargée de coordonner les différents acteurs concernés, pour mieux assurer l'efficacité des opérations.
M. Jean-Claude Etienne, sénateur, premier vice-président de l'OPECST, a excusé l'absence de ses collègues sénateurs mobilisés par la discussion du projet de loi « Grenelle 1 » en séance publique, mais a observé que MM. Christian Bataille et Jean-Yves Le Déaut s'étaient pour partie faits les porte-parole de leurs préoccupations à travers leurs questions. Il a souligné l'importance de tenir tous les engagements pris vis-à-vis des populations directement concernées par le stockage.
M. Claude Birraux, député, président de l'OPECST, a conclu l'audition sur trois observations. D'abord, un chiffrage du coût du projet de stockage dépend des progrès de la réflexion sur les options de la réversibilité. Ensuite, si la commission nationale d'évaluation prévue par l'article 20 de la loi du 28 juin 2006 (CNEF) est bien chargée d'assurer le suivi de la gestion des déchets radioactifs sous l'angle financier, il appartient à la CNE d'en assurer le suivi sous l'angle économique, y compris dans la dimension d'aménagement du territoire. Enfin, le dispositif de contrôle indirect par le Parlement, via une commission nationale d'évaluation, donne tellement satisfaction à travers l'exemple de la CNE, que le rapport Birraux-Bataille de mars 2009 sur la stratégie de recherche en énergie a préconisé de l'appliquer au suivi des recherches dans le domaine des nouvelles technologies de l'énergie.