Mardi 7 avril 2009
- Présidence de Mme Raymonde Le Texier, présidente -Audition de M. Louis Chauvel, sociologue, professeur des universités à l'institut d'études politiques de Paris
La mission a procédé à l'audition de M. Louis Chauvel, sociologue, professeur des universités à l'institut d'études politiques de Paris.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a accueilli l'intervenant en rappelant les principales préoccupations de la mission d'information à l'égard des jeunes, notamment en matière de formation, d'insertion professionnelle, d'autonomie financière et de logement, d'accès à la culture ainsi que de citoyenneté.
M. Louis Chauvel a présenté un exposé qu'il a intitulé « Jeunesses et intégration des nouvelles générations : les problèmes français » en diagnostiquant, tout d'abord, une déstabilisation des nouvelles générations.
Rappelant que les jeunes représentent l'avenir, il a fait observer que la prise de conscience des difficultés de la jeunesse n'était pas un phénomène nouveau mais que ces dernières n'avaient pas pu être résolues en France alors que certains pays nordiques ou anglo-saxons ont su prendre des mesures adéquates, notamment pour améliorer l'accès à l'emploi des jeunes.
Illustrant l'idée que les débats sur la jeunesse ne constituent pas une exception française, il a évoqué les conséquences du ralentissement économique massif au Japon au début des années 1990 avec l'apparition des « célibataires parasites », séjournant bien après l'âge de vingt-cinq ans chez leurs parents, des jeunes « freeters » sans emploi et abandonnant leurs études ainsi que des « Hikikomori » qui vivent cloîtrés dans leur chambre pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, préférant leur « console nintendo » à toute activité d'insertion. Il a précisé que ce phénomène, parfois interprété comme une mutation culturelle caractérisée par un manque d'appétence au travail, se rattachait également à des facteurs économiques, les jeunes ayant joué un rôle de variable d'ajustement dans une industrie japonaise en sureffectif et une société marquée par un certain corporatisme ayant choisi de privilégier le maintien de la situation des salariés en activité en restreignant l'accès des jeunes à l'emploi.
Regrettant qu'au cours des vingt dernières années les progrès de la sociologie de la jeunesse n'aient pas été suffisamment relayés par une amélioration des connaissances statistiques et administratives, il a ensuite signalé l'erreur, encore plus flagrante aujourd'hui que dans les années 1980, qui consiste à définir la jeunesse comme la tranche d'âge comprise entre seize ou dix-huit et vingt-cinq ans, tout en concédant que dans les années 70, dès l'âge de vingt-quatre ans, la quasi-totalité des jeunes vivaient en couple et avaient accédé à l'emploi stable dans une conjoncture où le taux de chômage dans les douze mois suivant la fin de leurs études avoisinait 6 %. Il a alors estimé plus pertinent de distinguer aujourd'hui une première jeunesse étudiante, une seconde catégorie intermédiaire rassemblant ceux qui n'ont pas d'emploi et ne suivent aucune formation, ainsi qu'une troisième correspondant à ceux qui accèdent à l'emploi de façon inégalitaire, certains jeunes bénéficiant d'une transition rapide vers l'emploi stable, d'autres pas.
Insistant sur le caractère évolutif de ces catégories, il a ensuite jugé inadaptée l'attitude qui consiste à enfermer les jeunes dans des « statuts » et à « cibler » les politiques publiques sur cette base. Poursuivant son raisonnement, il a distingué les dangers de l'enfermement statutaire, culturel et familial de la jeunesse, en précisant que la famille devrait être conçue comme une protection, une sorte de « ceinture de sécurité », l'idéal étant d'éviter les accidents qui amènent à y avoir recours.
Appelant, en conséquence, à penser la jeunesse comme une transition vers la stabilité qui doit être la plus rapide possible, il a souligné qu'il s'agissait d'une période qui marque l'individu pour le restant de son existence, en prenant l'exemple des générations ayant connu la guerre pendant leur jeunesse et dont les difficultés ne se sont pas résorbées à l'issue du conflit. Explicitant alors le concept de « socialisation transitionnelle », entre la fin de la scolarité obligatoire et le début de la stabilisation dans la vie adulte, il a rappelé comment les très larges potentialités des jeunes à l'âge de seize ans se transforment et se réduisent jusqu'à vingt-cinq ans dans des trajectoires beaucoup moins ouvertes et qui peuvent laisser des traces irréversibles.
Puis, à l'aide d'un « diagramme de Lexis », il a ensuite notamment comparé :
- le destin tragique de la classe d'âge née en 1894, très largement décimée et meurtrie par la première guerre mondiale ;
- les conditions très favorables d'accès à l'emploi dont ont pu bénéficier au cours des années 1970 les générations nées vers 1948 ;
- et les difficultés des générations composées des enfants de celle des années 1948, confrontés à un taux de chômage dans les douze mois à l'issue de leurs études avoisinant 35 % pour les hommes et 42 % pour les femmes depuis 1985, contre 6 % dans les années 1970.
Rappelant que neuf places étaient offertes en moyenne à dix candidats à l'emploi en 1970 contre deux aujourd'hui, il a insisté sur les conséquences de la pénurie actuelle qui se traduit, selon les cas, par une hyper-concurrence entre les jeunes ou par un phénomène de non-appétence pour le travail, compte tenu des conditions d'accueil qui leur sont faites. Puis il a évoqué l'inflation galopante des diplômes et la dépréciation qui en résulte, en rappelant qu'en 1970 le titulaire d'un baccalauréat avait 65 % de chances de devenir cadre dès l'âge de 25 ans alors que cette proportion a baissé jusqu'à 25 % en 2005. Il a, en revanche, noté qu'à l'heure actuelle un baccalauréat acquis dans les années 1970 préservait toutes les chances d'accès de son titulaire au statut de cadre, « un bachelier de vingt-cinq ans n'étant jamais placé en concurrence avec un bachelier de cinquante-cinq ans ». Il a alors qualifié d'illusion l'idée que les jeunes qui prennent du retard au début de leur carrière professionnelle pourront le « rattraper » par la suite, en expliquant ce phénomène par l'étanchéité de la structure du marché du travail français par classe d'âge. Il a rappelé qu'entre 1985 et 2005 le niveau de vie relatif des quinquagénaires s'était amélioré de 16 % tandis que celui des jeunes de vingt-cinq à vingt-neuf ans avait baissé de 12 %. Il a enfin comparé la dévalorisation sociale des titres universitaires détenus par la jeunesse d'aujourd'hui avec les chances de mobilité sociale ascensionnelles inédites dans l'histoire du XXe siècle dont a pu bénéficier la génération née en 1948. Il a également évoqué les difficultés d'accès à la propriété immobilière pour les jeunes salariés résidant en agglomération parisienne, leur rémunération ayant augmenté de 8 % au cours des dernières années alors que le prix des logements doublait. Il a ajouté que, en 2005, pour la première fois dans l'histoire, le suicide était aujourd'hui devenu aussi fréquent à trente ans qu'à soixante. M. Louis Chauvel a souligné la réussite de l'intégration économique, sociale et culturelle des « seniors » en France en regrettant que celle des jeunes n'ait pas connu le même succès.
Puis, comparant les politiques publiques en faveur de la jeunesse conduites en France et à l'étranger, il a distingué quatre catégories de réactions de l'Etat providence. Dans les pays nordiques, il a souligné, par exemple, que la société suédoise avait réagi, au début des années 1990, à la montée des taux de chômage en prenant un ensemble de mesures rapides et efficaces se rattachant à la notion de « flex-sécurité ». Il a ensuite indiqué que le modèle anglo-saxon d'intégration des jeunes s'était révélé assez performant jusqu'en 2008, mais que les forces de marché suscitaient des inégalités et des risques de retournement brusque. Il a alors évoqué le cas de la France et de l'Italie, en y soulignant la stabilité de la situation des salariés d'ores et déjà intégrés dans l'emploi - les « insiders » - et la mise en concurrence des « outsiders » (jeunes, femmes et immigrés) n'ayant pas d'emploi stable. Après avoir déploré le chômage de masse qui résulte de cette situation dans ces deux pays, il a toutefois signalé que le modèle italien apparaissait aujourd'hui comme un « familialisme sans famille » compte tenu de l'effondrement du taux de fécondité, alors que le maintien de ce dernier en France s'accompagne de difficultés d'insertion de générations de jeunes plus nombreuses.
Faisant alors référence aux travaux de Mme Cécile Van de Velde sur la diversité des jeunesses en Europe, il a marqué une certaine préférence pour le modèle nordique de « transition vertueuse » vers l'âge adulte, qui favorise les allers-retours entre la formation et l'emploi. Il a ensuite mis en garde contre la tentation d'enfermer les jeunes dans un modèle familial qui risque, dans certains cas, de les conduire au suicide. Il s'est également inquiété des dangers inhérents à l'allongement des études dans des « universités à bon marché », en rappelant que les dépenses y représentent plus de 7 000 euros par étudiant en France alors que l'Allemagne consacre par exemple 10 000 € à chaque apprenti. Il a enfin déploré les politiques sociales qui reposent sur des statuts spécifiques et ciblés, comme le contrat première embauche (CPE) qui, pour lui, sont à la fois des solutions inadéquates et déclenchent des comportements de contestation peu pertinents.
Il a conclu son propos en estimant souhaitable de favoriser le « travail autonomisant » et de privilégier le « statut de jeune au travail » plutôt que celui de « jeune à vie ».
M. Christian Demuynck, rapporteur, a alors interrogé l'intervenant sur :
- l'intérêt d'une différenciation des politiques en faveur de la jeunesse ;
- l'éventuelle transposabilité en France d'un système d'allocation d'autonomie inspiré de celui de certains pays scandinaves ;
- la hiérarchisation des difficultés des jeunes et les mesures pouvant être considérées comme prioritaires et urgentes.
Il s'est enfin interrogé sur l'opportunité de chiffrer avec précision l'effort global de la nation qu'il conviendrait de consacrer aux jeunes, tout en se demandant si, à travers la contestation des réformes, la jeunesse ne manifestait pas, à certains égards, une préférence pour le statu quo.
En réponse, M. Louis Chauvel a apporté les réponses suivantes :
- même s'il y a plus de trente ans que la question de la jeunesse est présentée comme une « urgence », la situation actuelle a un caractère inédit : les politiques ciblées des missions locales apparaissent, dans ce contexte nouveau, utiles ; il convient, en arrière plan, d'encourager des politiques de l'emploi assurant « de la façon la moins mauvaise possible » la transition entre la formation et l'emploi ;
- il est souhaitable de réfléchir, dans le secteur public mais aussi dans le secteur privé, non pas tant à des « emplois aidés » qu'à des incitations fortes pour recruter des jeunes diplômés en s'inspirant, par exemple, des mesures prises au début des années 1990 en Allemagne pour inciter les entreprises à donner un nouvel élan à l'apprentissage ; il est, en outre, souhaitable de proposer plus d'« emplois socialisants » aux jeunes ;
- tant l'instauration d'une allocation d'autonomie en faveur des jeunes que le chiffrage de l'effort global que la France pourrait leur consentir appellent des réserves ; il serait préférable de développer les formes de « contrat d'autonomie » impliquant le respect de contreparties par les bénéficiaires et de s'inspirer de l'exemple des pays nordiques dans lesquels les jeunes effectuent des stages dès l'âge de seize ou dix-huit ans suivis de retours en formation.
Mme Bernadette Dupont s'est alors interrogée sur l'accès des jeunes au revenu de solidarité active (RSA), en exprimant une certaine réserve à cet égard.
M. Martial Bourquin a relevé que le bouleversement du salariat qui a suivi les « Trente glorieuses » avait également placé les seniors dans une situation difficile de précarité. Après avoir mentionné le succès de la politique d'emploi-jeunes qu'il avait conduite au plan local, il a estimé souhaitable d'accompagner les évolutions démographiques, qui vont se traduire par des départs en retraite massifs, en favorisant l'articulation, ou le « tuilage », entre les jeunes en formation et ceux qui sont proches de l'âge de la retraite et pourraient contribuer à la réussite de leur insertion professionnelle.
Mme Christiane Demontès a interrogé l'intervenant sur l'efficacité de la formation professionnelle initiale en matière de transition de la jeunesse vers l'emploi stable.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle s'est demandé s'il était souhaitable d'accentuer le rapprochement entre écoles et entreprises pour en faire bénéficier les élèves dès leur plus jeune âge.
Mme Nicole Bonnefoy a demandé son opinion à l'intervenant sur le service civique obligatoire.
En réponse, M. Louis Chauvel a apporté les indications suivantes :
- à condition de prévoir les contreparties adéquates, l'attribution du revenu social d'autonomie aux jeunes semble envisageable, en particulier pour ceux qui connaissent de graves difficultés d'accès à l'emploi ;
- les conditions de départ des seniors, notamment entre cinquante-sept et soixante ans, qui ont bien souvent pu effectuer des carrières complètes, sont assurément plus favorables que les conditions actuelles d'entrée des jeunes sur le marché du travail ;
- il convient de favoriser l'emploi des jeunes non seulement dans le secteur public mais aussi dans le secteur privé pour consolider la croissance à long terme ; dans de nombreuses entreprises ou entités administratives, la pyramide des âges est inversée, et l'idée de substituer des recrutements de jeunes à des départs en retraite n'a pas prouvé son efficacité là où on avait envisagé qu'elle puisse s'appliquer ;
- le rapprochement entre écoles et entreprises est indispensable, même si l'hostilité réciproque de ces deux univers est, comme le prouve l'expérience, difficile à surmonter.
M. Louis Chauvel s'est enfin dit favorable au service civique ou civil obligatoire, en évoquant les mérites du brassage social auquel donnait lieu le service militaire. Il a également appelé à élargir les possibilités de vie en commun entre des personnes de générations différentes.
En réponse à M. Martial Bourquin qui a signalé la multiplication des retraités pauvres sur le marché du travail, M. Louis Chauvel, rappelant que la France comptait 4 millions de fonctionnaires et 12 millions de retraités, a estimé que l'accroissement du nombre des personnes âgées allocataires au minimum vieillesse se profilait dès 2015 tout en affirmant que les « seniors n'ont jamais été aussi riches », relativement aux autres générations, mais que cette situation était à la fois inédite et en phase de retournement.
A M. Jean Desessard qui s'est demandé s'il ne convenait pas d'accélérer les départs des personnes en âge de partir à la retraite pour « faire place aux jeunes », M. Louis Chauvel a répondu en évoquant tout d'abord l'évolution de la pyramide des âges des parlementaires. Puis il a confronté les discours prônant, pour les seniors, l'accès anticipé à la retraite dans des conditions financières satisfaisantes, avec la réalité que connaissent les jeunes trop souvent chômeurs ou travailleurs pauvres. Il a conclu que les jeunes étaient, en fin de compte, victimes à la fois d'un faux libéralisme, qui n'a donné la liberté qu'à ceux qui en avaient les moyens, et d'un faux socialisme « qui a oublié ses enfants ».
Il a enfin rappelé la vocation du Sénat, « vigie des transformations longues » et traditionnellement guidé par une préoccupation pour le long terme, à dessiner des solutions durables en faveur de la jeunesse.
Table ronde avec des représentants de stations de radio et de chaînes de télévision bénéficiant d'une large audience auprès des jeunes
La mission a ensuite procédé à une table ronde avec M. Laurent Dumay, directeur général d'Ado FM, M. Jérôme Fouqueray, directeur général de Fun radio, et M. Yann Geneste, directeur des chaînes musicales du groupe M6, représentants de stations de radio et de chaînes de télévision bénéficiant d'une large audience auprès des jeunes.
Après avoir présenté le contexte et les objectifs de la mission, Mme Raymonde Le Texier, présidente, a proposé d'aborder successivement les deux questions :
- quels sont les attentes et les besoins des jeunes d'après l'analyse que peuvent en faire les radios et chaînes de télévision ?
- comment les pouvoirs publics pourraient-ils s'adresser plus efficacement aux jeunes, notamment pour leur faire connaître les politiques publiques les concernant ?
Puis M. Christian Demuynck, rapporteur, a souligné l'intérêt d'entendre des représentants des chaînes de radio et de télévision, dans la mesure où celles-ci touchent un large public de jeunes qui ne sont pas toujours bien représentés par ailleurs. Il a espéré que la mission puisse ainsi avoir écho des difficultés rencontrées par l'ensemble des jeunes. Il a ensuite précisé les questions qu'il souhaitait aborder au cours de la première partie de la table ronde :
- comment les jeunes utilisent-ils les médias comme espace d'expression ?
- quel est l'état d'esprit des jeunes d'aujourd'hui, d'après le miroir des médias ?
- l'utilisation d'Internet et du téléphone mobile a-t-elle modifié la relation des jeunes aux médias ?
M. Jérôme Fouqueray, directeur général de Fun Radio, a tout d'abord présenté la chaîne qu'il dirige, qui appartient au groupe RTL. Il a exposé que, créée en 1986 à l'attention des 16-25 ans, Fun Radio a inventé la radio libre et marqué cette époque par une programmation originale qui a ensuite évolué, avec des émissions plus « citoyennes » telles que « Loubna ». La chaîne recueille aujourd'hui quatre millions d'auditeurs par jour. Son programme est constitué de musique et d'émissions parlées de divertissement (le matin) et de dialogue (le soir). Une attention particulière est accordée à la protection de l'enfance et de l'adolescence, les émissions de libre antenne s'efforçant de ne pas céder à la surenchère pour recueillir de l'audience.
En réponse aux questions précédemment posées par M. Christian Demuynck, rapporteur, M. Jérôme Fouqueray a jugé que l'aggravation de la situation des 16-25 ans était perceptible par le biais de la radio. Confrontés à la précarité et à des contraintes de financement accrues par l'augmentation du coût et de la durée des études, les jeunes connaissent des difficultés majeures, c'est le cas notamment des populations urbaines originaires d'Afrique noire ou du Maghreb victimes d'une véritable fracture.
M. Jérôme Fouqueray a néanmoins noté l'émergence d'un phénomène positif de prise de conscience des jeunes sur des sujets importants, ce qui se traduit par :
- une envie croissante de participer aux grands débats collectifs et de s'investir dans des causes ;
- une méfiance vis-à-vis de l'hypermarketing et de l'instrumentalisation au service d'intérêts purement marchands ;
- une modification des modes de communication au profit d'une immédiateté accrue et de relations individualisées, comme en témoigne le succès des réseaux sociaux.
Il a ajouté que Fun Radio invitait à l'antenne des personnalités politiques, lorsque leur parcours de réussite présentait un intérêt pour les jeunes. La chaîne a ainsi permis à ses auditeurs de dialoguer avec Mme Rachida Dati, Mme Nadine Morano et M. Jack Lang, au cours d'émissions qui ont rencontré un succès certain.
Puis M. Yann Geneste, directeur des chaînes musicales du groupe M6, a remarqué que les jeunes exprimaient trois types d'attentes :
- une exigence de respect, loin du « jeunisme » qui est perçu par eux comme une stratégie commerciale ;
- une demande de repères et d'autorité ;
- enfin, une inquiétude précoce relative à leur avenir matériel, comme l'a montré le succès de l'émission de M6 intitulée « Recherche appartement », qui leur permet néanmoins de se projeter dans l'avenir.
Il a estimé, de façon générale, que les jeunes percevaient la société comme violente, d'un point de vue tant social qu'économique et en raison de l'éclatement de la cellule familiale, ce qui expliquait la demande de repères. Il en résulte une volonté de transgression dont il a estimé qu'elle demeurait néanmoins « sage ».
M. Yann Geneste a considéré que le succès récent de l'émission « Zone interdite » consacrée aux « dangers qui guettent les adolescents » avait montré que les jeunes étaient demandeurs d'informations sur les problèmes économiques, sociaux et de santé, et qu'ils attendaient des médias qu'ils contribuent à leur donner des clefs de compréhension du monde.
Il a ajouté que, pour communiquer avec les jeunes, il fallait tenir compte de leur sensibilité aux innovations technologiques et de leur demande de relations personnalisées, « one to one », tant entre eux qu'avec les médias.
M. Laurent Dumay, directeur général du groupe START, qui regroupe des radios locales et régionales à destination des jeunes, notamment la station Ado FM en Ile-de-France, a souligné la difficulté, même pour les radios, à entrer réellement en contact avec l'ensemble des jeunes et à refléter leurs aspirations. Sous le vocable de « jeunes » sont regroupés des univers très dissemblables, et ce d'autant que les populations cibles du marketing sont de plus en plus jeunes. L'évolution de la station Ado FM a témoigné de la difficulté à rester en phase avec ce public. S'il est difficile d'identifier les moyens de communiquer efficacement, il est néanmoins certain que l'écueil du « jeunisme » doit être évité, y compris dans les messages politiques à l'intention de la jeunesse.
Enfin, M. Laurent Dumay a relevé que tous les jeunes n'avaient pas accès aux médias et qu'il demeurait très difficile d'entrer en contact avec les jeunes les plus en difficulté.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a ensuite introduit la seconde partie de la table ronde, consacrée aux moyens de s'adresser efficacement aux jeunes, notamment pour leur faire connaître les politiques publiques les concernant.
M. Christian Demuynck, rapporteur, a posé les questions suivantes :
- quel est l'impact de la publicité en général sur les jeunes ? Est-elle un outil efficace de prévention et d'information de ce public ?
- comment informer les jeunes par des émissions « citoyennes » alors que l'offre à leur intention est essentiellement constituée d'émissions de divertissement ?
- les médias n'accentuent-ils pas le sentiment de défiance des jeunes à l'encontre de la société et du monde politique ?
Prenant l'exemple des messages diffusés par le collectif « Civisme et démocratie » (CIDEM), encourageant les jeunes à voter, M. Jérôme Fouqueray a estimé que la publicité pouvait se révéler un outil efficace. S'agissant des émissions, il a rappelé que le cadre de la programmation radiophonique était fixé pour chaque station par convention avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Par exemple, Fun Radio s'est fixé pour principe d'inviter des personnalités lorsqu'un dialogue constructif semble possible avec les jeunes. Les émissions « citoyennes » ne doivent pas être programmées dans le seul but de satisfaire une commande, sans tenir compte des attentes du public. Le positionnement de Fun Radio consiste, par ailleurs, à proposer des émissions de divertissement responsables, dans un esprit de dialogue et de débat.
Contestant l'existence d'une défiance des jeunes à l'égard de la société ou du monde politique, il a estimé qu'il existait une attente d'information à laquelle il fallait répondre sans céder ni au jeunisme ni à la tentation de satisfaire des commandes prédéterminées.
M. Yann Geneste a jugé utile de susciter l'intérêt des jeunes dans le cadre d'émissions destinées à un public plus large, comme les magazines proposés par M6, dont certains numéros sont consacrés à des problématiques qui concernent les jeunes. En revanche, le succès d'émissions à caractère civique sur des chaînes de divertissement est incertain. Des programmes s'appuyant sur l'envie des jeunes de s'investir dans la vie sociale rencontrent néanmoins un grand succès, par exemple dans le cas de l'émission américaine « Rock Corps », qui sera bientôt transposée en France. « Rock Corps » consiste à offrir à des jeunes des places de concert en échange de temps consacré à une association. Ce type de programme crée des solidarités, dans un cadre festif, et incite les jeunes à s'investir à plus long terme. Ceux-ci sont d'autant plus sensibilisés qu'ils ne se sentent pas instrumentalisés par le concept, mais inscrivent leur action dans une démarche active.
M. Laurent Dumay a approuvé l'idée de fédérer les jeunes en se fondant sur leurs centres d'intérêt. Il a jugé que l'éducation civique relevait de l'école. Si les médias doivent présenter l'information en sorte qu'elle soit compréhensible pour les jeunes, ils ne peuvent toutefois pas combler d'éventuelles lacunes scolaires, ou susciter de l'intérêt pour des problématiques dont ceux-ci n'auraient par ailleurs aucune connaissance. Il serait risqué de compter sur les médias pour effectuer un tel rattrapage.
S'agissant de la radio Ado FM, il a indiqué qu'il était devenu plus difficile d'établir un lien durable avec les jeunes sans sortir des formats marketing initiaux. Des opérations menées avec des artistes à la sortie des lycées ont montré le décalage entre les situations réelles et l'image qu'en donnent les auditeurs à l'antenne. Sur le terrain, la fracture entre jeunes scolarisés, à l'intérieur des établissements, et jeunes déscolarisés, à l'extérieur, est vive.
Un débat s'est ensuite instauré.
Mme Bernadette Dupont a demandé aux intervenants de préciser la nature de leur public et si, en fonction des tranches horaires d'écoute, il était possible de dire si ce public était ou non scolarisé. Elle a ensuite évoqué la possibilité que les médias aident les jeunes à rechercher un emploi. Enfin, dans le contexte de l'élection prochaine des députés européens, elle s'est demandé comment les jeunes percevaient l'Europe.
En réponse, M. Laurent Dumay a estimé que l'Europe était très éloignée des préoccupations des jeunes, comme de l'ensemble de la population. Il a indiqué qu'il tenait à disposition de la mission les enquêtes effectuées par Médiamétrie, qui fournissent des précisions sur le profil sociologique des auditeurs. Il a ajouté que les jeunes qui rencontrent le plus de difficultés n'ont pas tous accès aux médias. Les outils de communication comme Internet et le téléphone mobile, qui permettent notamment d'entrer en contact avec les radios, ne sont pas accessibles à tous.
M. Yann Geneste a jugé que l'expérience « Recherche appartement » était difficilement transposable à la recherche d'emploi, dans la mesure où les parcours sont, dans ce domaine, très individualisés, ce qui nécessiterait un traitement plus sociétal. Un numéro de « Zone interdite », intitulé « Quand la France galère », a toutefois mis en avant le thème de l'emploi en illustrant les difficultés rencontrées par le biais de quelques exemples de parcours.
M. Laurent Dumay a jugé que les chaînes de divertissement n'avaient pas vocation à rechercher des solutions aux problèmes sociaux, ce que leurs auditeurs n'attendent d'ailleurs pas d'elles. En tout état de cause, le nombre de personnes susceptibles d'intervenir à l'antenne sur un sujet donné est infime.
Rappelant que l'enquête « Media in life » de Médiamétrie avait montré que la radio demeurait le média préféré des jeunes, M. Jérôme Fouqueray a énuméré les trois conditions de réussite, selon lui, d'une émission d'esprit « citoyen » :
- défendre une cause juste ;
- disposer de porte-parole, par exemple d'artistes véhiculant des valeurs positives ;
- organiser des événements, tels que des concerts, par exemple sur le thème de l'écologie, comme dans le cas du « Green Festival » diffusé sur RTL 2.
Par ailleurs, il a mentionné le succès de la première journée spéciale sur l'emploi, organisée par la chaîne RTL, qui a permis 5 000 mises en relation entre offreurs et demandeurs d'emplois et qui sera désormais rééditée tous les mois.
Répondant à une remarque de Mme Bernadette Dupont, qui suggérait que ce type d'opération soit l'occasion de faire connaître aux jeunes certains métiers, M. Jérôme Fouqueray a évoqué l'intérêt d'Internet et du partenariat avec Pôle Emploi pour valoriser des démarches concrètes.
Constatant que l'aspect divertissant était la condition du succès d'émissions à caractère citoyen, sur le modèle des « Restos du coeur », M. Yann Geneste a évoqué les concerts simultanés organisés dans le monde pour faire pression sur les gouvernements, sur des sujets tels que l'annulation de la dette du Tiers-Monde ou la prise en compte des enjeux environnementaux.
Mme Maryvonne Blondin a ensuite formulé les questions suivantes :
- le pessimisme des jeunes et leur demande de repères sont-ils réellement des faits nouveaux ?
- la génération actuelle est-elle toujours une « génération zapping »?
- quelle est l'influence de la télé-réalité sur les jeunes ?
- dans le traitement de l'actualité, serait-il envisageable d'amener les jeunes à s'exprimer à partir de faits divers, par exemple dans le cas des émeutes survenues à Strasbourg ?
M. Jérôme Fouqueray a considéré que certaines problématiques telles que la précarité, la pauvreté et la fracture avec les populations issues de la diversité, étaient aujourd'hui plus visibles, plus criantes et plus dramatiques qu'auparavant. S'agissant du « zapping », il a évoqué le bouleversement du contexte concurrentiel dû à l'apparition de nouveaux médias et jugé nécessaire d'éveiller les jeunes à une écoute critique, d'autant que ceux-ci sont de moins en moins réceptifs aux discours relevant du marketing.
En réponse à une question de M. Jean Desessard, M. Jérôme Fouqueray a précisé qu'une dizaine de personnes étaient chargées de traiter les questions des auditeurs sur l'antenne de Fun Radio. Il a ajouté que les trois radios qui proposaient des émissions de libre antenne avaient trois façons différentes d'aborder les questions de leurs auditeurs, qui portent majoritairement sur la vie privée, la vie quotidienne et la vie familiale.
Rappelant que les jeunes étaient confrontés à la crise depuis les années 1970, M. Laurent Dumay a jugé que les difficultés qui surgissaient aujourd'hui avaient une origine lointaine. Mme Bernadette Dupont a approuvé cette remarque et elle a évoqué les difficultés rencontrées par les jeunes dans l'après-guerre. Elle a estimé que les « Trente Glorieuses » constituaient une parenthèse par rapport à un mouvement répétitif de l'Histoire.
M. Jackie Pierre a noté que la situation sur le marché de l'emploi constituait néanmoins un facteur très aggravant des difficultés habituellement rencontrées par les jeunes.
Après avoir remercié les trois intervenants, M. Christian Demuynck a indiqué que la mission disposerait en fin de semaine d'un blog sur Internet. Il a souhaité que ce blog soit l'occasion pour les jeunes de s'exprimer.
Mercredi 8 avril 2009
- Présidence de Mme Raymonde Le Texier, présidente -Table ronde sur les discriminations
La mission a procédé à une table ronde sur les discriminations avec Mme Carole Da Silva, membre du Collège du Haut Conseil de l'intégration, Mme Sihem Habchi, membre du Collège de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) et présidente de « Ni putes ni soumises », Mme Caroline Bovéro, directrice de l'Association Prévention Accueil Soutien Orientation (APASO) qui coordonne le Point d'accès au droit (PAD) des jeunes, M. Guillaume Ayné, directeur général de SOS-Racisme, M. Pascal Bernard, vice-président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH).
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a indiqué que les débats s'organiseraient autour de trois questions :
- comment définir la notion de discriminations et quelles sont les formes spécifiques qu'elles peuvent prendre à l'encontre des jeunes ?
- existe-t-il dans le droit et l'organisation sociale française des règles ou éléments susceptibles de faire naître des situations discriminatoires à l'encontre des jeunes ?
- quelles sont les solutions à privilégier pour favoriser l'insertion professionnelle des jeunes : des politiques incitatives ou des mesures de discrimination positive ?
M. Guillaume Ayné, directeur général de SOS-Racisme, a rappelé que son association représente en particulier les jeunes de moins de vingt-cinq ans issus de l'immigration et généralement concentrés dans les quartiers populaires. Il s'est dit frappé par la schizophrénie de la société française qui érige la jeunesse en valeur suprême alors que de nombreux obstacles entravent l'accès des jeunes au marché du travail. Cela crée chez les jeunes une angoisse vis-à-vis de l'avenir, perceptible dès l'université, les étudiants rencontrant de nombreuses difficultés. La situation actuelle suppose d'engager des réformes structurelles sur plusieurs fronts : l'emploi, la formation initiale et professionnelle, le logement et la santé.
Malgré la diversité des situations, on note une très forte unité de la jeunesse. Les jeunes connaissent tous des difficultés de plus ou moins grande ampleur pour accéder à un premier emploi ou à des stages. C'est la raison pour laquelle SOS-Racisme a organisé l'opération « ça va être possible » pour trouver des stages, en particulier pour les jeunes ayant un faible réseau relationnel. Au-delà de ces initiatives associatives, il a plaidé en faveur de la création d'un véritable « service public des stages ».
Parallèlement, les employeurs doivent être incités à embaucher davantage de jeunes. M. Guillaume Ayné a regretté la suppression des emplois jeunes qui ont pourtant permis à plus de 90 % des deux millions de jeunes ayant bénéficié de ce dispositif d'accéder ensuite à un emploi durable, grâce aux formations et au suivi assurés par les collectivités territoriales.
Il s'est dit également favorable à une neutralisation des procédures d'embauche, déplorant que de nombreux éléments évoqués lors de l'entretien d'embauche (origine des parents, langue parlée à la maison, etc.) soient sans rapport avec le poste à pourvoir. A cet égard, il s'est prononcé en faveur du recours plus systématique au curriculum vitae anonyme, qui permet de neutraliser les informations relatives à l'âge, à l'origine et au lieu de résidence, tout en développant parallèlement d'autres techniques de recrutement, telles que la méthode des habiletés dont le principe consiste à construire un questionnaire standardisé concernant uniquement les qualités requises pour l'emploi proposé.
Mme Caroline Bovéro, directrice de l'Association Prévention Accueil Soutien Orientation (APASO), a expliqué que son association offre un accompagnement à la fois social, juridique et économique aux jeunes et intervient auprès des missions locales, des foyers de jeunes travailleurs et des associations en faveur de la jeunesse. Le Point d'accès aux droits (PAD) des jeunes de Paris s'insère également dans le réseau national des PAD et est abrité actuellement par le Centre d'information et de documentation jeunesse (CIDJ).
L'intérêt de ce PAD réservé aux jeunes est que son action s'inscrit dans le cadre d'un partenariat fort avec les structures qui leur sont dédiées (missions locales, Permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO), CIDJ, etc.). Ainsi, les jeunes viennent de plusieurs départements de la région Ile-de-France pour recevoir un accompagnement juridique sur des questions relatives au droit du travail, au logement ou aux discriminations liées à l'âge, à l'origine et à leur lieu de résidence. Les avocats du PAD répondent à leurs questions ou les orientent vers des structures adaptées telles que la Halde. Très souvent, les jeunes vivent un sentiment d'exclusion qu'ils expliquent eux-mêmes par une discrimination. En réalité, il s'agit le plus souvent d'un traitement différencié, qui n'est pas systématiquement le résultat d'une volonté discriminatoire.
Toutefois, les jeunes sont souvent victimes d'abus de la part des employeurs qui profitent du fait qu'ils sont peu informés et ne sont souvent pas en mesure d'engager des procédures (périodes d'essai ou stages non rémunérés, ruptures non motivées des contrats de travail...). Les jeunes sont également victimes d'alliances entre les employeurs et les écoles pour rompre à l'amiable les contrats de professionnalisation. Le rôle du PAD est d'intervenir auprès des employeurs ou des personnes concernées pour faire valoir les droits des jeunes et éviter que ces derniers ne réagissent, parfois violemment, faute d'outils juridiques pour se défendre. Il suffit parfois d'un coup de téléphone pour que les droits des jeunes soient rétablis et que les employeurs cessent d'abuser de leur ignorance.
Par ailleurs, certaines lois peuvent se révéler être discriminatoires pour les jeunes. Ainsi, les jeunes de moins de vingt-cinq ans sans enfant à charge ne sont pas éligibles au RMI, et bientôt, au revenu de solidarité active (RSA). On peut, en effet, légitimement s'interroger sur l'inégalité que cela entraîne entre travailleurs pauvres, certains percevant mensuellement à la fois le RSA et la prime pour l'emploi (PPE), les autres ne recevant que la PPE, mais qui n'est versée qu'en fin d'année.
Mme Caroline Bovéro a également souligné les difficultés d'accès à la justice et à l'aide juridictionnelle, cette dernière étant attribuée en fonction des ressources du foyer, ce qui exclut les jeunes vivant encore chez leurs parents, dont les ressources se situent au-dessus du plafond. Les frais d'avocats ne sont alors pas pris en charge. Une expérimentation a été conduite dans un département permettant de prendre en compte les seules ressources des jeunes et, le cas échéant, l'économie que représente l'hébergement chez leurs parents.
Elle a expliqué que son association suit des personnes bénéficiaires du RMI souvent très éloignées de l'emploi du fait de problèmes psychologiques, qui concernent principalement les jeunes. L'accumulation des difficultés rend l'insertion très difficile lorsque toutes ne sont pas traitées simultanément et la situation s'enkyste.
Elle a, en outre, évoqué les difficultés d'insertion que rencontrent les jeunes qui ont été fichés dans le système de traitement des infractions constatées (Stic), les délais d'effacement dans le casier judiciaire étant de dix-huit mois, même lorsqu'il n'y a pas eu de condamnation. L'accès à certains métiers est alors impossible (agent de sécurité, gardien, etc.). La Halde et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ont été saisies de ce sujet.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a souligné la difficulté des jeunes à obtenir un premier emploi puis à se stabiliser dans un emploi pérenne, la durée nécessaire pouvant atteindre près de dix années. Elle a évoqué différentes pistes telles que les questionnaires types élaborés par les directions des ressources humaines et le curriculum vitae anonyme.
M. Pascal Bernard, vice-président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), a indiqué que les actions de son association visent à la fois à soutenir les jeunes, les personnes handicapées, les minorités issues de l'immigration, mais aussi à former les employeurs et les cadres, qui sont à l'origine des comportements discriminants. La sensibilisation à la diversité des âges, des origines et des profils constitue, en effet, un atout pour une équipe. Il s'agit de convaincre les employeurs que la diversité est gage de dynamisme et d'efficacité.
C'est la raison pour laquelle a été mis en place en 2006 un « label diversité » qui atteste de la capacité d'une entreprise et de son encadrement à lutter contre les discriminations et à promouvoir la diversité. Il s'agit peu à peu d'orienter les processus de recrutement vers les jeunes, les minorités visibles et les personnes handicapées. Ainsi, les performances des équipes sont mesurées à la fois à l'aune de leur efficacité économique mais aussi de leur diversité sociale.
Il a également fait valoir l'intérêt des partenariats et des tutorats, notamment pour les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville qui ont peu de réseaux relationnels. Les tuteurs volontaires peuvent, en effet, favoriser l'accès des jeunes à des emplois ou à des stages d'insertion professionnelle.
En ce qui concerne les stages, il s'est dit favorable à une rémunération systématique, à l'élaboration d'un véritable programme de stages et à une durée minimale de deux mois. Il a dit également préférer le terme de rémunération à celui de gratification, qu'il estime peu valorisant.
Il a également insisté sur l'accompagnement du jeune au sein de l'entreprise afin de faciliter son adaptation professionnelle et relationnelle. Certaines associations de lutte contre les discriminations se sont donné comme double objectif de favoriser l'accès des jeunes à l'entreprise par des stages ou des contrats intérimaires ou de courte durée et de les accompagner jusqu'à l'obtention d'un contrat à durée indéterminée (CDI). De nombreuses entreprises ont accepté de nouer des partenariats avec ces associations, ce qui a permis à certaines d'entre elles (une dizaine environ) d'obtenir le « label diversité ».
Enfin, M. Pascal Bernard s'est dit favorable à l'utilisation du curriculum vitae anonyme. Associé à d'autres méthodes innovantes de recrutement, il a déjà fait ses preuves dans les entreprises qui l'utilisent en permettant à des personnes discriminées de passer le premier filtrage.
Mme Sihem Habchi, membre du Collège de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) et présidente de « Ni putes ni soumises », a rappelé que la Halde est une autorité administrative indépendante qui a cinq ans d'existence. De plus en plus sollicitée, elle a émis le voeu que cette institution bénéficie à l'avenir d'outils et de moyens supplémentaires pour lutter contre les discriminations.
L'association « Ni putes ni soumises » a pour vocation de porter le message des femmes des cités et de permettre ainsi de briser la loi du silence. La devise « égalité, liberté, fraternité » constitue à la fois un objectif à atteindre mais aussi une arme juridique pour toute personne qui souhaite légitimement améliorer ses conditions d'accès à l'emploi, au logement, à la culture, etc.
Mme Sihem Habchi a fait valoir que la diversité de la société française est désormais un état de fait que personne ne peut contester. Elle a rappelé que la Halde entend lutter contre l'ensemble des discriminations, que ce soit du fait de l'âge, du sexe, de l'origine, de l'orientation sexuelle, de la religion, des caractéristiques génétiques ou physiques, de la race, du handicap, des opinions politiques ou de l'appartenance syndicale, etc. La loi française comporte plusieurs dispositions qui permettent de sanctionner les comportements discriminatoires (code pénal, loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances).
Elle s'est étonnée qu'une réflexion se soit engagée pour mesurer et mettre en évidence les discriminations alors que ces dernières sont manifestes dans les statistiques relatives au chômage et à la précarité.
Elle a estimé que la lutte contre les discriminations passe d'abord par un combat contre les préjugés. En réalité, il s'agit de faire oeuvre de pédagogie et de faire comprendre aux responsables politiques et économiques que la diversité peut être une chance et un atout pour la France.
Il est désespérant pour un étudiant originaire des quartiers populaires qui s'est battu pour obtenir un diplôme de ne pas pouvoir accéder à l'emploi. Certes, les diplômes en histoire, en sociologie et, de façon générale, en sciences humaines, ne permettent pas d'obtenir des qualifications professionnelles immédiatement opérationnelles. Se pose ici la question des débouchés de certaines filières et de la qualité de l'orientation des jeunes.
Mais la loi crée aussi des inégalités. Ainsi, la délibération de la Halde précise clairement que la non-éligibilité des jeunes âgés de moins de vingt-cinq ans au RSA constitue une discrimination selon le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe.
Mme Sihem Habchi a également souhaité qu'une réflexion soit engagée sur les filières « sexe-typées » (services à la personne, accueil, secteur sanitaire et social) qui ferment des portes aux jeunes filles, notamment dans certains métiers. Elle a souhaité que la mixité soit développée dans toutes les filières, soulignant les progrès qu'elle pouvait entraîner en termes d'efficacité. Elle a en particulier mentionné l'exemple de grutières dans le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP), qui ont été distinguées lors de la dernière remise des « Bourses de la chance ». Dans les pays scandinaves, la mixité des filières est une réalité dès l'école. Elle contribue à ouvrir des perspectives aux jeunes filles.
Elle a plaidé en faveur d'une réforme du système éducatif et d'une « attitude positive » des jeunes issus de l'immigration qui ne doivent pas s'enfermer dans une logique de victimisation permanente mais plutôt être acteur du changement. Elle a estimé que la réforme de l'Education nationale qui a fait l'objet de multiples rapports, depuis plusieurs années, ne peut plus être différée. Elle a souhaité qu'elle s'inspire des conclusions du rapport de M. Claude Thélot.
En outre, elle s'est inquiétée de l'état d'ignorance des femmes s'agissant de leurs droits. C'est tout l'intérêt des actions de prévention menées par les associations qui les accompagnent et les aident à identifier et dénoncer les inégalités de traitement et les discriminations, auprès de la Halde notamment, qui a une véritable mission de service public.
Enfin, elle a estimé que les stages doivent être effectués uniquement dans le cadre d'une formation et non après la fin des études. Un jeune diplômé doit rechercher un emploi et non un stage. Au Royaume-Uni, il est impensable qu'un jeune diplômé postule pour un stage.
M. Pascal Bernard a mis en évidence deux éléments susceptibles de favoriser les comportements discriminatoires :
- le racisme ou les sentiments xénophobes qu'il faut combattre par la loi ;
- le conformisme qui conduit les employeurs à ne recruter que dans certaines filières apparentées à leur secteur d'activité. En réalité, un étudiant en histoire peut s'avérer être très efficace pour un poste de consultant ou d'auditeur grâce à ses capacités d'analyse et de synthèse. Il s'agit de mieux identifier les compétences acquises lors des études, d'objectiver les processus de recrutement en cassant les routines et les habitudes de recrutement.
M. Guillaume Ayné s'est dit peu convaincu quant à l'efficacité des mesures incitatives, celles-ci n'étant bien souvent peu ou pas appliquées. Il a fait observer à cet égard que, outre le faible nombre de procédures à l'encontre des comportements discriminatoires, les amendes infligées sont dérisoires, de l'ordre de 20 000 euros au maximum.
Il a proposé que la France s'inspire des règles en vigueur aux Etats-Unis d'Amérique, les personnes discriminées pouvant exiger des dommages punitifs ou recourir aux actions de groupe (« class actions »).
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a approuvé cette proposition souhaitant que des comportements discriminatoires soient davantage sanctionnés.
Mme Carole Da Silva, membre du Collège du Haut Conseil de l'intégration, a estimé que le contexte actuel de crise économique représente une opportunité pour faire évoluer les pratiques.
Il s'agit d'encourager les jeunes et les employeurs à sortir des schémas préétablis et des normes implicites, qui déterminent les parcours et les méthodes de recrutement.
Par ailleurs, elle s'est inquiétée de l'amalgame dangereux entre discrimination et racisme qui conduit à une certaine victimisation peu souhaitable des personnes discriminées et ne correspond pas forcément à la réalité des opinions de la société française.
En ce qui concerne l'orientation, elle est convenue de l'absence d'information des jeunes sur les métiers et les filières porteuses, souhaitant que les conseillers soient formés plus régulièrement pour mieux en connaître les évolutions.
Mais il s'agit également de mieux préparer les jeunes, y compris les plus diplômés (Bac+2 à Bac+5), à la recherche d'emplois (curriculum vitae, présentation de soi, entretien) et leur apprendre à valoriser leur diplôme sur le marché du travail.
C'est ce que fait l'association pour favoriser l'intégration professionnelle (AFIP), qu'elle a fondée il y a sept ans pour favoriser l'accès à l'emploi des jeunes diplômés issus des minorités visibles.
Mme Carole Da Silva a précisé que son association organise parallèlement des opérations de sensibilisation des employeurs et des cadres.
Il s'agit à la fois de faire évoluer le regard des entreprises sur des diplômes peu reconnus, et que les jeunes ont parfois acquis en s'endettant, mais aussi d'orienter les jeunes vers des métiers plus porteurs. Il est vrai que l'univers familial et les orientations proposées par les conseillers n'encouragent pas les jeunes à « oser le rêve » en s'orientant vers des filières comportant une certaine prise de risques.
Mais il s'agit aussi d'organiser des passerelles entre les filières professionnelles et l'entreprise en définissant le contenu des formations en lien avec le marché du travail.
A cet égard, le tutorat et le parrainage répondent pleinement à ces préoccupations, les personnes en activité étant mieux à même d'orienter les jeunes vers des filières porteuses. Toutefois, cela n'exclut pas une évolution des services des ressources humaines des entreprises pour franchir le Rubicon du diplôme et mieux prendre en compte les qualités intellectuelles acquises au cours d'une formation quelle qu'elle soit, à l'image du modèle anglo-saxon.
De plus, le système français n'autorise pas les ruptures de parcours. Il faudrait qu'après un certificat d'aptitude professionnelle (CAP), un étudiant puisse s'orienter vers une autre filière (université, grande école) plus facilement.
Par ailleurs, se pose le problème de l'insuffisance des ressources pour les jeunes des familles modestes qui souhaitent suivre des études longues.
Mme Carole Da Silva a également déploré que les stages réalisés par les jeunes en entreprise ne soient pas toujours adaptés et valorisables dans le cadre de la recherche d'emploi. Il s'agit également de favoriser le maintien des jeunes dans l'entreprise qu'ils ont choisie, ce que peut permettre le parrainage ou le tutorat.
En outre, elle a estimé souhaitable que les jeunes se déplacent et sortent de leur environnement pour accéder aux services offerts par les associations. Certaines d'entre elles offrent des formations permettant aux jeunes d'élaborer une stratégie pour aborder le marché de l'emploi, à partir d'un bilan de compétences et de l'identification de leurs points forts. Il faudrait que le service public de l'emploi développe ses activités dans ce domaine et que les associations qui offrent ce type d'accompagnement soient davantage soutenues. A cet égard, elle a déploré l'amateurisme des personnels et des travailleurs sociaux dans ce domaine qui gagneraient à être formés et à être soumis à une véritable démarche qualité. Leur incompétence peut en effet se traduire par des erreurs d'orientation qui font perdre beaucoup de temps aux jeunes.
Elle a ensuite souligné tout l'intérêt de la sensibilisation des jeunes à la création d'entreprises. Certaines associations telles que l'association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) proposent des accompagnements à la fois financiers et de gestion aux jeunes souhaitant créer leur entreprise.
Enfin, elle s'est engagée à transmettre plusieurs études réalisées par le Haut Conseil à l'intégration et par son association sur l'efficacité des nouvelles méthodes de recrutement, tel que le curriculum vitae anonyme.
M. Christian Demuynck, rapporteur, a souhaité savoir si l'orientation des jeunes s'était améliorée au sein des missions locales et du Pôle emploi. Il s'est demandé dans quelle mesure il était opportun de fixer des quotas pour favoriser l'embauche des jeunes les plus en difficulté ou s'il ne fallait pas privilégier les mesures incitatives. A cet égard, il a demandé si la charte de la diversité, élaborée en 2004, et l'accord national interprofessionnel relatif à la diversité dans l'entreprise, conclu par les partenaires sociaux le 12 octobre 2006, ont déjà porté leurs fruits.
Puis il s'est interrogé sur les évolutions souhaitables pour tendre vers une certaine égalité des chances dans le domaine de l'insertion professionnelle des jeunes, ainsi que sur les méthodes à privilégier pour évaluer les nouveaux procédés de recrutement des entreprises ayant signé des accords spécifiques dans ce domaine.
Mme Carole Da Silva a souligné l'importance d'une formation régulière des conseillers d'orientation qui, très souvent, ne sont pas assez informés des évolutions du bassin d'emploi dans lequel ils exercent.
En ce qui concerne la fixation de quotas, elle s'est dite favorable à la mise en oeuvre de mesures juridiques contraignantes, à la condition qu'elles s'accompagnent d'actions de sensibilisation permettant aux employeurs de prendre conscience de l'intérêt pour l'entreprise d'un recrutement plus diversifié. Cela peut en effet permettre de rendre l'entreprise plus concurrentielle dans une économie mondialisée et d'améliorer la cohésion des équipes. Elle a toutefois reconnu qu'on assistait, depuis 2005, à une prise de conscience des entreprises et des services des ressources humaines en général, même si les résultats concrets en termes d'emploi et de formation sont encore peu perceptibles.
S'agissant du débat relatif à la mesure de la diversité, elle a souhaité que les objectifs d'une telle évaluation soient clairement précisés, estimant par ailleurs que des indicateurs existent déjà pour apprécier la réalité des efforts engagés par les entreprises.
M. Christian Demuynck, rapporteur, s'est inquiété de la persistance des inégalités et des discriminations générées par le système scolaire et universitaire.
M. Guillaume Ayné a indiqué qu'il ferait parvenir à la mission une contribution de son association, relative à la mesure des discriminations. Il s'est dit peu convaincu par l'affirmation selon laquelle seules les mesures ethno-raciales permettraient d'évaluer scientifiquement le caractère équitable des procédures de recrutement.
Il a également plaidé en faveur de la mise en place d'un service public de l'orientation et d'un service public des stages.
Mme Maryvonne Blondin s'est montrée particulièrement intéressée par la mise en place d'un service public des stages, s'interrogeant sur la durée minimale requise pour acquérir une véritable expérience professionnelle. Elle a également souhaité savoir si les associations s'appuyaient sur les plans locaux pluriannuels pour l'insertion et l'emploi (PLIE), dont les équipes recourent à la méthode d'intervention sur l'offre et la demande (IOD). Puis, elle a demandé que le STIC soit plus précisément défini. Enfin, elle s'est enquis des mesures préconisées pour favoriser les passerelles entre le monde professionnel et l'école.
Mme Sihem Habchi a estimé que la crise représente une opportunité pour remettre à plat un système qui a atteint ses limites. La réforme devra être envisagée avec pragmatisme dans le respect de la culture républicaine et en tenant compte de la place de la France en Europe et dans le monde.
L'origine étrangère doit être considérée comme un atout à prendre en compte au même titre que les compétences. Il ne s'agit pourtant pas de privilégier les politiques de discrimination positive (« affirmative action »), comme aux Etats-Unis d'Amérique, au détriment des politiques de redistribution économique et territoriale indispensables dans le contexte actuel de crise économique.
Elle a également plaidé en faveur du renforcement des contrats d'autonomie et d'une évaluation des politiques de la ville qui n'ont pas toujours été conduites à leur terme.
L'école doit aussi davantage s'ouvrir au monde de l'entreprise en développant les stages de découverte tout au long de la scolarité.
Enfin, les élites doivent être renouvelées pour permettre la mise en oeuvre de politiques innovantes.
Raymonde Le Texier, présidente, s'est dit peu convaincue par la présence de personnes représentatives des minorités visibles au sein des équipes gouvernementales, qui sert très souvent d'alibi et cache la réalité des inégalités sociales.
Mme Sihem Habchi est convenue que les labels ne doivent pas être utilisés pour se donner bonne conscience, préférant que le critère de la compétence soit mis en avant, plutôt que le seul critère ethno-racial.
Mme Carole Da Silva a insisté sur l'importance de la gestion des carrières, encore peu évoquée, les jeunes issus de l'immigration étant encore trop peu orientés spontanément vers des études longues, au motif que leurs familles ne disposeraient pas des moyens financiers nécessaires.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a confirmé que la ghettoïsation gagne du terrain et enferme de plus en plus les jeunes issus de l'immigration dans leurs quartiers.
Audition de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi
La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a tout d'abord indiqué que le nombre de demandeurs d'emploi de moins de vingt-cinq ans a progressé de 30 % en un an, sous l'effet de la crise économique, ce qui a eu pour conséquence de porter le taux de chômage des jeunes à près de 20 %. Cette situation s'explique surtout par la raréfaction des offres d'emploi, qui rend très difficile l'insertion professionnelle des jeunes qui arrivent sur le marché du travail.
Le secrétaire d'Etat a cependant souligné que le problème de l'emploi des jeunes présente en France un caractère structurel : depuis vingt ans, le taux de chômage des jeunes s'est toujours situé 10 ou 15 points au-dessus de la moyenne nationale et 5 à 7 points au-dessus de la moyenne européenne. Ce résultat peu satisfaisant trouve son origine dans des problèmes de formation et d'orientation et traduit le manque de confiance des entreprises à l'égard des jeunes : un demandeur d'emploi de moins de vingt-cinq ans qui adresse son curriculum vitae à une entreprise a moitié moins de chances d'être retenu qu'un candidat âgé de plus de vingt cinq ans et un délai de six à sept ans s'écoule, en moyenne, entre le moment où un jeune achève ses études et le moment où il se stabilise dans l'emploi. En outre, près d'un jeune sur cinq quitte l'enseignement secondaire sans aucun diplôme, alors que les pays européens les plus performants ont réussi à ramener ce taux à seulement 8 %.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a appelé de ses voeux un travail coordonné de tous les acteurs intéressés par la question de l'emploi des jeunes et la mise en oeuvre de réponses simples et rapides face à l'urgence de la crise, en articulant les solutions de court et de long termes. Il a estimé que les pouvoirs publics devaient s'attacher, en priorité, à soutenir les jeunes dans leur recherche d'emploi et s'abstenir de créer une nouvelle allocation, qui risquerait d'induire, chez certains jeunes, un comportement de « chasseurs de primes ».
Constatant que les entreprises rejettent souvent les candidatures des jeunes demandeurs d'emploi en raison de leur manque d'expérience professionnelle, le ministre a souhaité que le système éducatif permette à tous les jeunes d'acquérir, pendant leurs années de formation, une expérience qui puisse être valorisée ensuite auprès des entreprises.
Il a insisté sur les avantages de la formation en alternance qui permet à l'employeur d'apprécier directement les qualités du jeune. Un peu plus de 11 % des jeunes sont aujourd'hui formés dans un dispositif en alternance, avec d'excellents résultats en termes d'insertion professionnelle, puisque 80 % d'entre eux trouvent un emploi durable en moins d'un an. Il serait souhaitable, à terme, qu'un jeune sur quatre soit formé en alternance, d'une part, en diversifiant les secteurs qui ont recours à ce type de formation et, d'autre part, en incitant financièrement toutes les entreprises à accueillir des jeunes. Le contrat de professionnalisation, en particulier, pourrait être rendu plus attractif pour les petites et moyennes entreprises et les très petites entreprises. Les bonnes pratiques de certaines grandes entreprises, comme Véolia, Vinci ou Accor, gagneraient à être généralisées ; de même, les grandes écoles devraient s'inspirer de l'initiative prise par l'Essec, qui a mis en place une voie de formation par l'apprentissage ; il serait très positif que l'école Polytechnique, par exemple, s'engage sur la même voie, non pas tant pour favoriser l'insertion professionnelle des futurs polytechniciens que pour améliorer l'image de l'apprentissage.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a cependant admis que l'on ne pourra jamais totalement éviter que certains élèves quittent le système scolaire sans formation. Il a souligné, sur ce point, le rôle très positif que peuvent jouer les « écoles de la deuxième chance », qui offrent aux jeunes une remise à niveau, concernant les savoirs fondamentaux, et des perspectives d'insertion professionnelle grâce aux partenariats noués avec les entreprises.
Le ministre a ensuite souhaité que le service public de l'emploi (SPE) soit informé, sans délai, dès qu'un jeune quitte le système scolaire sans diplôme, afin qu'un accompagnement puisse lui être apporté très rapidement. Il s'est élevé contre la fiction qui voudrait, comme le prévoient pourtant les textes, qu'un jeune ne puisse être suivi, pendant l'année qui suit sa sortie du système scolaire, que par un conseiller d'orientation. Des expériences ont été menées avec succès dans plusieurs régions pour améliorer l'échange d'informations entre le rectorat et le SPE, avec l'objectif de proposer à tout jeune qui quitte le système scolaire en juin une solution dès la rentrée de septembre.
Le ministre a ensuite insisté sur les obstacles qui peuvent gêner, au quotidien, le retour à l'emploi des jeunes, notamment en matière de transport : un étudiant sans permis de conduire, ou ne disposant ni d'une voiture ni d'un scooter, aura le plus grand mal, si l'offre de transport en commun est insuffisante, à trouver une place en apprentissage loin de son domicile. Il est donc indispensable de construire un plus grand nombre d'internats, de financer l'obtention du permis de conduire ou de mettre un véhicule à la disposition du jeune. L'argent public sera toujours mieux employé ainsi plutôt qu'à verser des allocations à des jeunes sans perspective d'accès à l'emploi. Si les crédits alloués à Pôle emploi pour financer les aides à la mobilité ont été doublés dans la période récente, il convient maintenant d'amplifier l'effort en matière de logement.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a ensuite évoqué les solutions qui pourraient être mises en oeuvre, à court terme, pour aider les jeunes à faire face à la crise. Il a d'abord estimé que les contrats aidés dans le secteur marchand constituaient une piste à ne pas négliger, de même que les contrats aidés dans le secteur non marchand, à condition que ceux-ci s'inscrivent dans une véritable démarche d'insertion professionnelle. Le parrainage ou le tutorat de jeunes issus de quartiers difficiles devrait également être développé.
Pour les jeunes qui ont effectué des études tout à fait honorables mais qui ne parviennent pourtant pas à trouver un emploi, des formations d'une durée ne dépassant pas six à douze mois, très qualifiantes, devraient être mises en place, afin de faciliter leur réorientation. On pourrait imaginer, par exemple, que des jeunes diplômés en psychologie soient orientés vers des fonctions commerciales, où les perspectives de recrutement sont importantes et où leurs compétences pourraient être valorisées.
M. Christian Demuynck, rapporteur, a d'abord relevé le grand nombre de structures chargées de l'orientation et de l'insertion professionnelle des jeunes et a demandé s'il ne serait pas souhaitable de rationaliser ces dispositifs, pour les rendre plus lisibles. Il s'est ensuite interrogé sur la formation dispensée aux conseillers d'orientation et sur les moyens de leur faire mieux connaître les réalités du monde de l'entreprise. Il a également observé que les expériences de mise en relation directe entre les demandeurs d'emploi et les employeurs, dans le cadre par exemple du Train pour l'emploi et l'égalité des chances ou d'émissions radiophoniques, semblent produire de meilleurs résultats que l'intermédiation offerte par le SPE et il s'est interrogé sur les conclusions qu'il fallait en tirer. Il a également fait part de son expérience, en tant qu'élu local, en matière de contrats aidés, et souligné qu'ils peuvent produire de très bons résultats si le jeune bénéficie d'un accompagnement efficace. Puis il a souhaité connaître l'opinion du ministre concernant la réglementation des stages, notamment de ceux réalisés hors cursus universitaire.
Mme Maryvonne Blondin a fait observer que des collectivités territoriales, par exemple dans le département du Finistère dont elle est l'élue, ont déjà mis en place des dispositifs destinés à favoriser la mobilité des demandeurs d'emploi. Elle a ensuite souligné la fragilité financière des comités pour l'habitat des jeunes et des foyers de jeunes travailleurs. Puis elle a insisté sur la très bonne insertion professionnelle des jeunes diplômés des instituts universitaires de technologie (IUT) et s'est inquiétée de l'évolution de leurs moyens budgétaires : alors que les IUT disposaient jusqu'ici d'une ressource affectée, leur budget va désormais être intégré à celui des universités.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a d'abord répondu au rapporteur sur la question de l'éparpillement des structures composant le SPE. Il a estimé que Pôle emploi devait être le point d'entrée dans le dispositif pour l'ensemble des demandeurs d'emploi et qu'il devait ensuite travailler en étroite relation avec les missions locales. Il a souligné qu'il fallait veiller à ne pas créer de guichets supplémentaires, en plus de ces deux intervenants, et a insisté sur l'importance d'une bonne évaluation des missions locales. Il peut en effet arriver, pour une part très minoritaire d'entre elles, que les missions locales aient tendance à considérer les jeunes dont elles s'occupent comme un public captif, qui leur garantit la reconduction de leur budget. Le Conseil national des missions locales a, par ailleurs, reçu pour mission de renforcer les synergies à l'intérieur du réseau.
Le ministre est convenu de l'utilité de développer des forums qui permettent une rencontre directe entre les demandeurs d'emploi et les entreprises, puis il a souligné l'utilité du « CV vidéo » : pour certains jeunes, le fait de se présenter par l'intermédiaire d'un film leur permet de mettre en valeur des qualités de dynamisme et d'imagination qui n'apparaîtraient pas aussi nettement au travers d'un CV classique.
En ce qui concerne les contrats aidés, il a souligné qu'ils bénéficient, à hauteur de 40 %, à des jeunes et il a rappelé que le niveau de leur prise en charge financière par l'Etat avait été récemment relevé lorsque le contrat est conclu par une commune. Il a suggéré que les jeunes employés en contrat aidé par les collectivités locales soient affectés à des tâches qui leur permettront d'acquérir des compétences transposables ensuite dans le secteur privé, qu'il s'agisse d'entretien des bâtiments, d'informatique ou encore de communication. Ces contrats feraient ainsi office de « passerelle » vers le secteur privé et devraient pouvoir être interrompus dès que le bénéficiaire trouve un emploi en entreprise.
Sur la question des stages, il s'est déclaré favorable à l'interdiction des stages effectués hors cursus, considérant qu'ils donnent lieu souvent à des situations d'exploitation intolérables. Il a également jugé intéressante l'idée, formulée conjointement par le Medef et FO, de rémunérer les stages dès que leur durée excède deux mois et a souhaité que les entreprises soient davantage incitées à accueillir des stagiaires.
En réponse à Mme Maryvonne Blondin, il a répondu que les initiatives prises au niveau local doivent être conciliées avec un impératif de solidarité nationale, qui doit conduire à généraliser les bonnes pratiques sur l'ensemble du territoire. Sur la question du logement, il a proposé de s'inspirer d'une initiative lancée en région Rhône-Alpes, qui a consisté à recenser tous les logements disponibles pour les jeunes afin de faciliter les démarches de ceux qui s'adressent aux missions locales. Au sujet des IUT, il a jugé infondées les craintes que leur intégration au sein des universités a pu susciter : il s'est dit persuadé que la culture propre à ces instituts, axée sur l'insertion professionnelle, va se diffuser à l'université et enclencher une dynamique vertueuse.
M. Pierre Martin a déploré que certains jeunes ne témoignent d'aucune volonté de s'insérer au plan professionnel, et semblent satisfaits de recevoir le RMI comme seul moyen de subsistance, et il a demandé comment ces jeunes pourraient être incités à se tourner vers l'emploi.
M. Michel Thiollière a proposé que l'on identifie les secteurs d'activité et les zones géographiques les plus porteurs, du point de vue des créations d'emploi, afin d'anticiper la reprise économique, qui finira par se matérialiser, et d'en faire profiter les jeunes.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a regretté que les agents de Pôle emploi et des missions locales manquent parfois de culture d'entreprise. Elle a ensuite reconnu l'utilité des « écoles de la deuxième chance » mais a dit redouter que l'accent mis sur ces structures ne conduise à se détourner de l'objectif prioritaire, qui devrait être de veiller à ce que l'école s'adapte mieux aux particularités de chaque élève afin de garantir la réussite du plus grand nombre. Elle a enfin soutenu l'idée de recruter des jeunes en contrat aidé dans les collectivités, pour faciliter ensuite leur insertion dans le secteur privé, estimant que les expériences passées, avec les contrats emploi solidarité (CES) ou les emplois-jeunes, avaient démontré la validité de cette démarche.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, a répondu à M. Pierre Martin que la priorité doit demeurer l'accès des jeunes à l'emploi et qu'il n'est donc pas souhaitable, pour cette raison, de créer une nouvelle allocation qui leur serait destinée. Les jeunes qui souhaitent quitter le système scolaire, parce que l'enseignement qui y est dispensé est trop théorique, devraient se voir proposer un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation, ou encore un emploi dans un chantier d'insertion, afin d'éviter qu'ils perdent la culture du travail. Le ministre s'est dit attaché à la préservation d'une logique de droits et de devoirs, comme celle qui préside par exemple au contrat d'autonomie qui offre un « coaching » renforcé en contrepartie d'exigences vis-à-vis des jeunes.
En réponse à M. Michel Thiollière, il a souligné que la France connaîtrait malheureusement encore de longs mois de crise avant que la reprise ne se manifeste. Néanmoins, le ministère de l'emploi recense dès à présent les secteurs et les métiers qui recrutent - services à la personne, services commerciaux, secteurs de l'énergie ou du machinisme agricole... - afin d'y orienter les jeunes dès maintenant.
Il a enfin indiqué, en réponse à Mme Raymonde Le Texier, présidente, qu'il convient de ne pas caricaturer les équipes de Pôle emploi, dont les agents proviennent pour 40% du secteur privé, ni celles des missions locales, qui parviennent à nouer de solides partenariats avec les entreprises. Il a déclaré faire confiance au ministre de l'éducation nationale, M. Xavier Darcos, pour améliorer les performances de l'école mais a souligné que l'on ne pourrait jamais totalement éviter que des jeunes décrochent du système scolaire. Il a déploré que le système français valorise excessivement le diplôme initial et souhaité que les jeunes dont le niveau de formation initial est faible puissent connaître néanmoins une ascension sociale au cours de leur carrière.
Audition de M. Michel Quéré, directeur du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), et de M. Alberto Lopez, directeur adjoint
La mission a enfin entendu M. Michel Quéré, directeur du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), et M. Alberto Lopez, directeur adjoint.
M. Michel Quéré a tout d'abord brièvement présenté le CEREQ, établissement public administratif national délocalisé à Marseille et essentiellement chargé d'analyser la relation entre la formation et l'emploi. Il a précisé que le CEREQ, placé sous la double tutelle du ministère de l'éducation nationale et du secrétariat d'État chargé de l'emploi, s'attachait particulièrement à analyser l'insertion des « primo entrants » sur le marché du travail, les systèmes de formation professionnelle, y compris au niveau européen, ainsi que les transformations et le mode de régulation du marché du travail.
Puis M. Alberto Lopez a présenté les éléments essentiels permettant d'élaborer un diagnostic de l'insertion des jeunes, en précisant que cette démarche nécessitait une analyse simultanée du système de formation initiale, y compris en dehors de l'école, du fonctionnement du marché de l'emploi et de l'articulation entre les deux.
S'agissant de la transition de l'école vers l'emploi, il a tout d'abord fait observer que la France réserve une place assez modeste aux processus combinant formation et emploi et qu'elle favorise plutôt le basculement rapide des jeunes diplômés dans la vie active. Il a précisé que les chercheurs, dans une approche comparative, distinguaient les divers pays, d'une part, selon le degré d'organisation de la transition entre la formation et l'emploi, et d'autre part, en fonction de la réglementation de l'accès aux professions. Enfin, il a noté que le système français, qui occupe une position intermédiaire dans ces typologies, atteint un résultat assez médiocre en matière d'insertion des jeunes.
Soulignant que les taux de chômage des jeunes de 16 à 25 ans apparaissent comme particulièrement inquiétants en France, il a précisé que le CEREQ s'efforçait, dans un souci de réalisme et pour éviter de surestimer les conséquences statistiques de l'allongement de la durée des études, de comparer les taux de chômage selon l'ancienneté des « entrants » sur le marché du travail. Il a constaté à cet égard que, au Danemark, l'écart était ténu entre les taux de chômage des diverses générations, tandis qu'en France, les chiffres manifestent une forte disparité au détriment des personnes qui se sont présentées de façon récente sur le marché du travail, avec un écart structurel de 20 % entre les « juniors » et les « seniors ».
M. Alberto Lopez a ensuite résumé les évolutions les plus marquantes du système français de transition entre l'école et l'emploi au cours des vingt dernières années, en constatant :
- une hausse générale des niveaux de formation, au moins jusqu'en 1998, qui se combine paradoxalement avec le maintien d'un flux important de sorties sans diplôme ;
- la professionnalisation des formations de l'enseignement supérieur ;
- le développement de l'apprentissage, surtout au cours des années récentes dans l'enseignement supérieur : aujourd'hui, un jeune sur cinq quittant la formation initiale est issu de l'apprentissage ;
- le développement de formes particulières d'emploi, comme l'intérim ou les « contrats aidés » : depuis les années 1980, un jeune sur cinq occupe un premier emploi en intérim ;
- une hausse de la mobilité d'une entreprise à l'autre pour les jeunes entrant dans la vie active, qui se conjugue avec une absence de tendance nette en ce qui concerne les sorties d'emploi ; cette dernière constatation est en décalage avec la montée d'un sentiment d'insécurité de l'emploi, même si des variations amples se manifestent en fonction de la conjoncture ;
- une augmentation des niveaux de formation imputable à la montée du baccalauréat professionnel et des effectifs de l'enseignement supérieur. Au total, 18 % de jeunes sortent depuis 2001 sans diplôme du système éducatif, 45 % des jeunes sortent diplômés du secondaire et 37 % des jeunes sortent diplômés du supérieur. Il a mentionné le cas particulier des 12 % de jeunes qui sortent de l'enseignement supérieur avec, comme seul diplôme, le baccalauréat.
Puis M. Alberto Lopez a formulé trois observations relatives aux politiques publiques susceptibles d'améliorer la situation des jeunes.
Il a tout d'abord préconisé des mesures ciblées, plus efficaces que les mesures générales, en expliquant que le risque de chômage était inégal selon les âges, mais aussi entre les diverses catégories d'une même génération.
Il a ajouté que les « catégories à risque » étaient assez bien identifiées, en précisant toutefois que les contours de ces catégories n'étaient pas toujours précis. Il a illustré cette affirmation en analysant les inégalités de taux de chômage après trois ans de vie active parmi les jeunes diplômés et en faisant ressortir les difficultés d'insertion particulièrement accentuées des titulaires du baccalauréat général ou professionnel du secteur tertiaire. Evoquant alors les dangers des mesures trop ou mal ciblées, il a insisté sur les risques de stigmatisation ainsi que sur les effets de seuil ou de substitution qu'elles peuvent comporter.
S'agissant de la pertinence du choix d'agir en aval ou en amont du système éducatif, il a fait observer que, depuis quinze ans, la réduction de la proportion des sorties sans diplôme n'était pas significative, ce qui amène à se demander si le système éducatif est capable de « gérer la queue du peloton ». Il a également abordé la question récurrente de la nature trop générale ou inadaptée de l'offre de formation en exprimant les réserves du CEREQ à ce sujet et en constatant que les élèves issus de formations trop ciblées occupaient fréquemment des emplois différents de la « cible » initiale.
En ce qui concerne l'orientation, il a estimé avant tout nécessaire d'y préparer les jeunes, en faisant référence, sur ce point, au rapport de la Commission du débat national sur l'avenir de l'Ecole présidée par M. Claude Thélot, qui a souligné le risque d'une orientation prématurée. Il a ajouté que, sur le marché du travail, le niveau de formation comptait plus encore que la spécialité et que l'enjeu essentiel était celui de l'acquisition des compétences.
Il a également souligné l'importance de la mise en relation des jeunes avec les entreprises, en constatant que ceux qui occupent un emploi ont, bien souvent, connu préalablement et personnellement leur employeur. Soucieux de nuancer les vertus supposées des actions « en amont », il a estimé souhaitable de se prémunir contre le risque de « l'acharnement thérapeutique à l'école ». Se disant convaincu que l'offre de formation ne parait pas fondamentalement insuffisante en France, il a en revanche estimé que les structures d'information et d'orientation pouvaient sembler parfois pléthoriques, même si des insuffisances peuvent se manifester dans certains territoires. Il a ensuite noté que les mesures les plus efficaces pour favoriser l'embauche des jeunes comportaient, comme le prouve l'expérience, une démarche sélective.
S'agissant de l'alternative entre les mesures à court ou long terme en faveur des jeunes, il a observé que la principale difficulté « structurelle » se manifestait, en France, par le degré extrêmement élevé de la sensibilité de l'emploi des débutants à la conjoncture économique. Il a évoqué, à cet égard, la nécessaire adaptation des politiques publiques à la conjoncture, en constatant la variabilité conjoncturelle excessive des rythmes d'embauche qui évoque des coups d'accordéon. Il a également souligné l'importance du développement de dispositifs publics contracycliques, évoquant à ce propos, l'exemple de la Suède. Au sujet des mesures de soutien à l'insertion annoncées par le Haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté et à la Jeunesse, il s'est interrogé sur la capacité d'accueil d'entreprises françaises dont les carnets de commande sont insuffisants et s'est demandé également comment ces mesures pouvaient s'articuler avec les besoins des jeunes sans diplôme. Rappelant que l'apprentissage était aujourd'hui « tiré vers le haut », il s'est particulièrement inquiété du sort des laissés pour compte dans la mise en oeuvre des politiques contracycliques. S'agissant de l'alternative entre la mobilisation du secteur public ou de celle du privé pour lutter contre les difficultés conjoncturelles, il s'est interrogé sur la capacité des jeunes à effectuer sans transition le passage d'un emploi aidé du secteur public vers le secteur privé.
M. Alberto Lopez a alors formulé deux grandes séries de préconisations. En faveur des jeunes non diplômés, et faisant référence à un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui devrait prochainement souligner la détérioration particulièrement prononcée de leur situation en France, il a recommandé :
- de ne pas verser dans « l'acharnement formatif », par exemple sous la forme d'un allongement de la scolarité obligatoire, en évitant, à l'autre extrémité, de laisser les jeunes non diplômés « au bord de la route » ;
- en ce qui concerne l'école, de relever le défi qui consiste à définir et à remplir des objectifs réalistes de préparation à la vie active et à l'orientation professionnelle, le nombre inéluctable de sorties sans diplômes étant relativement prévisible ;
- après l'école, de procéder à un suivi périodique des jeunes, assorti d'une offre d'accompagnement plus intensif et d'un droit à la formation différée ;
- de sécuriser les parcours d'accès à la qualification sur une longue période, en assurant aux jeunes en intérim une possibilité de financement de périodes de formation entre deux contrats de travail temporaires.
Citant les résultats d'une enquête conduite sous l'égide du CEREQ, il a illustré son propos en témoignant des besoins exprimés par les jeunes non diplômés : « avoir le choix du métier », « éviter le retour à l'école », « avoir un formateur plus proche du collègue que du professeur », « pouvoir subvenir à ses besoins durant la formation » et « être accompagné vers l'emploi ».
En ce qui concerne, en second lieu, les étudiants qui n'obtiennent pas de diplôme de niveau bac + 2, il a recommandé :
- d'éviter les orientations par défaut à l'université, y compris en développant l'offre de formation professionnelle courte ;
- de doter de moyens suffisants et durables les actions d'accompagnement des nouveaux bacheliers arrivant à l'université ;
- et de favoriser les reprises d'études ainsi que la formation par alternance, à défaut d'insertion professionnelle convenable, en mettant en oeuvre les moyens de mesurer et de stimuler la réussite associée à ces retours en formation.
Il a indiqué que les jeunes étudiants signalaient fréquemment, au cours des enquêtes, le poids des aspects financiers dans les explications de leur échec dans l'enseignement supérieur, sans pour autant systématiquement les placer au premier plan.
Un débat a suivi cet exposé.
S'agissant des structures d'orientation, M. Christian Demuynck, rapporteur, s'est interrogé sur la nécessité de cibler les différentes catégories de jeunes et d'améliorer la lisibilité des dispositifs. Il s'est ensuite demandé s'il convenait d'obliger les entreprises à proposer des stages aux jeunes, avant d'interroger l'intervenant sur la transposabilité en France des dispositifs scandinaves de soutien des jeunes.
Mme Maryvonne Blondin s'est interrogée sur la sécurisation des parcours à long terme et sur les possibilités de formation des jeunes en intérim.
M. Alberto Lopez a précisé qu'il était souhaitable, pour les non-diplômés, d'inverser la logique actuelle d'offre de « guichets d'orientation » pour aller dans le sens d'une démarche plus dynamique. Il a signalé l'existence, aux Pays-Bas, d'un dispositif géré par les collectivités locales qui permet à un conseiller d'orientation de se rendre au domicile du jeune en difficulté. Faisant observer qu'un certain nombre de jeunes sans diplôme accédaient à l'emploi sans avoir besoin d'aide extérieure, il a cependant estimé nécessaire de franchir un pallier pour leur proposer une « offre portée » et moins aléatoire.
Il s'est ensuite montré réservé à l'idée de forcer la main aux entreprises pour accueillir plus de stagiaires, en estimant souhaitable d'inclure dans la formation des salariés occupant des postes d'encadrement l'acquisition de la « culture du stage », dans un intérêt bien compris de développement du vivier de recrutement de leur entreprise.
Puis il a estimé que le système danois reposait sur une logique trop éloignée de celle de la France pour y être transposable.
Il a enfin souligné, en matière d'insertion, le besoin de développer les repères et les indicateurs simples, dans un « portail étudiant », pour éclairer les choix d'orientation, ce qui suppose de faire progresser l'évaluation et l'observation de l'insertion des diplômés de l'enseignement supérieur en fournissant au moins aux étudiants la liste des professions exercées par les diplômés des différentes filières d'enseignement.
S'agissant de la nécessaire sécurisation des parcours, il a souligné l'importance de la continuité de la rémunération. Il a enfin distingué les trajectoires d'intérim durable de certains non-diplômés et « l'intérim transitoire » que connaissent, par exemple, souvent les étudiants de la filière technologique, en souhaitant une mobilisation accrue du Fonds d'assurance formation du travail temporaire (FAF-TT).
M. Michel Quéré a conclu ces propos en discernant les prodromes d'une tendance à la personnalisation de l'accompagnement pour les jeunes en errance après un échec dans l'enseignement supérieur et en signalant que de tels signes n'étaient pas, en revanche, perceptibles pour les jeunes sortant sans diplôme de l'enseignement secondaire. Estimant souhaitables les progrès de l'orientation active, il a observé que l'accompagnement personnalisé était efficace mais coûteux, ce qui implique de procéder à de difficiles arbitrages financiers.