- Mardi 24 mars 2009
- Echange de vues
- Audition de M. Matthieu Angotti, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc)
- Audition de Mme Catherine Dumont, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? »
- Mercredi 25 mars 2009
- Table ronde avec des représentants des syndicats d'étudiants
- Audition de M. Jean-Baptiste de Foucauld, inspecteur général des finances, ancien président de la commission nationale pour l'autonomie des jeunes
- Audition de Mme Cécile Van de Velde, maître de conférences à l'école des hautes études sur les sciences sociales
Mardi 24 mars 2009
- Présidence de Mme Raymonde Le Texier, présidente -Echange de vues
La mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes a procédé tout d'abord à un échange de vues sur l'organisation de ses travaux.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a proposé que les travaux de la mission commune d'information s'orientent vers la situation des jeunes de 16 à 25 ans et traitent les thèmes prioritaires suivants : l'orientation, la formation - sans aller cependant jusqu'à la réforme du système éducatif - l'insertion professionnelle, les ressources, le logement, la santé, les activités culturelles et sportives ainsi que la citoyenneté. Elle a rappelé que ces thèmes sont également les axes principaux de réflexion de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse, présidée par M. Martin Hirsch.
Elle a suggéré que la mission commune d'information remette un rapport d'étape avant la fin du mois de mai, puis que ses travaux puissent se poursuivre jusqu'à la fin du mois de juin pour développer les propositions élaborées et réagir au livre vert de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse.
Enfin, elle a précisé que les auditions se dérouleraient tous les mardis et mercredis après-midi. Les personnes auditionnées devront présenter non seulement un état des lieux mais surtout les propositions qu'ils considèrent comme les plus urgentes.
M. Christian Demuynck, rapporteur, a suggéré que la mission commune d'information participe au débat qui suivra l'élaboration des propositions du livre vert de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse, notamment en proposant que soit inscrit à l'ordre du jour de la semaine d'initiative sénatoriale du mois de mai un débat sur la politique en faveur des jeunes.
Il a fait part de son intention de permettre aux membres de la mission commune d'information de faire connaitre leurs expériences locales et les propositions qui pourraient en découler, dans le cadre à la fois d'une table ronde et d'un questionnaire précis qui leur sera prochainement adressé.
Enfin, il a proposé la création d'un blog, notamment dans la perspective de disposer d'un accès aux jeunes en difficulté ou éloignés des structures représentatives.
Mme Catherine Tasca s'est interrogée sur la définition de la jeunesse et sur un cadrage qui serait trop précis. Prenant en considération l'évolution des modes de vie, elle a relevé que le seuil de 25 ans ne correspondait plus aux réalités sociales et qu'on assistait à un glissement de l'état de jeunesse et de dépendance jusqu'à la trentaine.
Elle a formulé l'idée de pouvoir rencontrer des jeunes Européens et de jeunes Français ayant bénéficié d'échanges.
M. Patrice Gélard a demandé à disposer des documents remis lors des différentes auditions afin de pouvoir suivre l'ensemble des travaux. Il a souhaité également que les associations de jeunesse et d'éducation populaire, ainsi que sportives, puissent être auditionnées par la mission commune d'information, et a proposé la visite d'une « école de la deuxième chance ».
Tout en soulignant son intérêt pour l'objectif de la mission, M. Jean-François Voguet a considéré que la volonté de s'insérer dans la logique de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse était de nature à en limiter le cadre et la portée. Arguant de la place essentielle de l'école dans la problématique de la jeunesse, il s'est déclaré favorable à une réforme en profondeur du système éducatif. Il a estimé qu'exclure ce thème de la réflexion revenait à ne pas traiter de questions importantes et à s'imposer une démarche préalablement circonscrite.
Mme Catherine Troendle a insisté sur la nécessité de ne pas restreindre le champ de réflexion de la mission commune d'information à une tranche d'âge trop circonscrite qui ne permet pas toujours une approche cohérente des problématiques.
Après avoir jugé nécessaire de sérier les difficultés, déjà largement connues, M. Jacques Mahéas a souhaité que les groupes politiques puissent exprimer leurs propres opinions dans le cadre d'une contribution, qui pourrait être annexée au rapport d'information.
M. Jean-Léonce Dupont a fait remarquer qu'un des défauts français consistait à vouloir traiter tout problème de manière exhaustive, alors qu'une approche plus circonscrite permettait d'apporter des solutions pertinentes. Il a jugé également utile de préciser les limites, y compris dans le temps, de la mission commune d'information.
M. Jacques Legendre a souligné la nécessité de peser sur les décisions de la commission de concertation présidée par M. Martin Hirsch. Relevant la cohérence du programme proposé par la présidente et le rapporteur, il a estimé que l'ensemble des sénateurs devait avoir la possibilité de s'exprimer sur ce sujet et d'y apporter sa contribution.
M. Jacques Mahéas a exprimé le souhait que la mission commune d'information puisse rencontrer le Haut-commissaire à la jeunesse, M. Martin Hirsch, pour obtenir des informations sur le volet financier de la politique en faveur des jeunes. Il a fait observer que les propositions de la mission devraient faire l'objet d'un chiffrage, avec des experts, pour se situer dans une perspective pragmatique et non utopique. Enfin, il a considéré que la mission commune d'information devait étendre sa réflexion aux jeunes en situation de rupture au regard de l'institution judiciaire et de la police, qui, bien que très minoritaires, présentent les plus grandes difficultés.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle a suggéré de se rapprocher des professionnels de santé, notamment des médecins, pour aborder les questions de santé chez les jeunes.
M. Jean-Claude Etienne a relevé que les internes et les externes de médecine avaient un contact privilégié avec les populations jeunes. Il a précisé ainsi que les problèmes de santé publique rencontrés par ces populations étaient souvent méconnus des générations précédentes.
Mme Christiane Demontès a soulevé l'ampleur et la difficulté de la tâche incombant à la mission commune. Elle a fait part de son intérêt particulier pour l'organisation d'une table ronde interne à la mission d'information, comme l'a proposé le rapporteur, et a souhaité qu'elle se tienne assez rapidement afin de pouvoir confronter les expériences et les ressources de ses membres.
Mme Eliane Assassi a souligné la dimension européenne, mais aussi mondiale, de toute réflexion sur la question de la jeunesse, relevant que le bouleversement des modes de vie conduisait à une aspiration plus ou moins forte à l'abolition des frontières.
Elle a attiré l'attention sur le caractère transversal du sujet abordé et sur le souci de ne pas entrer dans une vision caricaturale de la jeunesse.
Elle s'est interrogée sur la mise en place d'un service civil qui avait fait l'objet d'un rapport confié à M. Luc Ferry, ancien ministre en charge de l'éducation nationale.
M. Jean Desessard a évoqué la difficulté à cerner le sujet et a souhaité que les auditions permettent d'en aborder les spécificités. Il s'est interrogé sur la condition du jeune dans la société actuelle : cette dernière aide-t-elle ou non les jeunes à vivre la transition vers l'âge adulte ?
En réponse aux différentes interventions, Mme Raymonde Le Texier, présidente, a précisé que de nombreuses données statistiques étaient axées sur la tranche d'âge 16 à 25 ans, tout en considérant que la question de l'allongement de la durée de la jeunesse surgirait au cours du débat.
Elle a estimé que les propositions du rapport d'information devraient faire l'objet d'un consensus même si des désaccords peuvent s'exprimer.
Elle a proposé le principe d'avancer des propositions de court terme sur les thèmes de l'orientation, de la formation, de l'insertion professionnelle, du logement et de la santé, afin de répondre à des problèmes urgents, tout en considérant que les questions du système éducatif mais aussi du milieu socioculturel pourraient faire l'objet d'une mission ultérieure.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a précisé que la durée de la mission commune d'information était fixée à deux mois et que, au-delà, le mois de juin serait consacré à préciser les modalités des propositions du rapport.
Elle a indiqué que les suggestions d'auditions seraient prises en considération et que la table ronde interne pourrait être organisée au début du mois de mai.
M. Christian Demuynck, rapporteur, a indiqué que, dans la mesure du possible, une synthèse des travaux ou des actions des personnes auditionnées sera envoyée aux membres de la mission commune d'information préalablement à leur audition afin qu'une meilleure connaissance du sujet en amont permette de se concerter sur leurs propositions.
Après avoir souligné l'importance de manifester l'implication du Sénat dans la politique en faveur de la jeunesse, il a exprimé la nécessité de peser sur les décisions du pouvoir exécutif et évoqué l'éventualité de poursuivre la réflexion sur d'autres problématiques à l'occasion d'autres travaux.
Par ailleurs, il a formulé différentes propositions thématiques pour l'organisation de tables rondes et de déplacements dans le cadre des travaux de la mission commune d'information.
Enfin, le rapporteur a souhaité que des contacts puissent être établis avec des jeunes sortis du système éducatif sans qualification.
Audition de M. Matthieu Angotti, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc)
La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de M. Matthieu Angotti, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc).
M. Matthieu Angotti, directeur du département « Evaluation des politiques sociales » du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), a rappelé que le Crédoc, financé par le ministère de l'économie et des finances, réalise pour le compte de ce ministère des études sur certains sujets économiques ou sociaux. En 2008, le Crédoc a été saisi d'une demande concernant la situation des jeunes qui, sortis du système scolaire sans qualification, rencontrent des difficultés d'insertion professionnelle, afin d'envisager des solutions pour leur offrir une deuxième chance d'accéder au marché du travail.
L'enquête concerne plus précisément les quelque 1,7 million de jeunes de 18 à 29 ans sortis d'études et qui peinent à trouver un emploi de qualité, c'est-à-dire un poste offrant à la fois la stabilité du contrat de travail, le confort des conditions d'activité ainsi que des perspectives d'évolution de carrière. On peut considérer que le contrat à durée indéterminée (CDI) à temps plein réunit ces trois conditions et constitue à ce titre une référence.
Le Crédoc a défini ainsi trois niveaux d'éloignement de l'emploi de qualité : l'éloignement relatif (CDI à temps partiel, contrat à durée déterminée (CDD) ou intérim à temps plein) ; l'éloignement fort (CDD et intérim à temps partiel, contrat aidé, chômage) ; enfin, l'exclusion totale du marché du travail (inactivité, sans recherche d'emploi déclarée).
Sont le plus souvent concernés les jeunes femmes, les jeunes ayant un faible niveau de qualification ou résidant dans une zone urbaine sensible (Zus) ou une zone rurale, ou ceux ayant des parents non européens. Toutefois, il est frappant de constater que 40 % des jeunes en situation d'instabilité professionnelle sont titulaires du baccalauréat ou de diplômes d'enseignement supérieur. En réalité, leur formation initiale est souvent en inadéquation avec le marché du travail.
Une analyse plus approfondie de la situation permet de mettre en évidence plusieurs obstacles à leur insertion professionnelle :
- leurs représentations, très souvent caractérisées par une vision pessimiste et angoissée de leur avenir professionnel, constituent le premier « verrou » à leur accès au monde du travail. Il en résulte parfois des comportements soit passifs, soit agressifs des jeunes vis-à-vis des employeurs, qui se révèlent être souvent contreproductifs ;
- les jeunes rencontrent également des difficultés pratiques pour accéder à l'emploi, qu'il s'agisse de problèmes de transports, de santé ou de précarité financière ;
- très souvent, les formations actuelles ne sont pas assez qualifiantes ou professionnalisantes ;
- enfin, n'ayant pas acquis les codes sociaux et professionnels du monde du travail, les jeunes sont dans l'incapacité de franchir la barrière du recrutement.
M. Matthieu Angotti a émis les plus vives réserves sur les politiques qui visent à orienter prioritairement les jeunes en insertion vers les secteurs en tension relevant, selon lui, d'une approche schématique et simpliste du marché du travail, qui ne tient pas compte des aspirations des jeunes. Il a jugé préférable d'agir en amont sur les représentations des élèves ou des étudiants, grâce à une meilleure information sur les voies offrant des débouchés professionnels, et de les aider parallèlement à surmonter les difficultés pratiques qu'ils rencontrent pour accéder à l'emploi (santé, transports, formation, etc.).
Pourtant, diverses initiatives ont été prises :
- à l'échelle européenne, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, des programmes en faveur de l'inclusion sociale ou de la stratégie globale en faveur de l'emploi ;
- à l'échelle nationale, on observe un enchevêtrement des politiques et des approches (emploi, formation professionnelle, précarité, politique de la ville, discrimination, etc.). Les dispositifs se succèdent, sans cohérence et sans continuité : emplois jeunes, contrats aidés, contrats jeunes en entreprise, programmes Pacte (parcours d'accès aux carrières de la fonction publique territoriale, hospitalière et d'Etat) et Trace (trajets d'accès à l'emploi) et, tout récemment, les contrats d'autonomie. Il résulte de cet émiettement des mesures un manque de lisibilité pour les jeunes et pour les employeurs auquel s'ajoute une multiplication des interlocuteurs et des intervenants (collectivités territoriales, chambres de commerce et d'industrie, organismes de formation professionnelle, caisses d'allocations familiales, Pôle emploi, missions locales, écoles de la deuxième chance, structures d'insertion par l'activité économique, groupements des employeurs pour l'insertion et la qualification (Geiq), organismes de placement privés...), si bien que l'on peut parler de « millefeuille de la deuxième chance ».
M. Matthieu Angotti a rappelé ensuite les diverses modalités de prise en charge des jeunes :
- l'accompagnement par un référent professionnel ou le parrainage par un bénévole, généralement assortis d'un soutien financier (bourse) ;
- des actions ponctuelles visant soit à résoudre les difficultés pratiques des jeunes, soit à favoriser une première expérience en entreprise, soit à faire un bilan de compétences avant un éventuel placement ;
- l'accès à un emploi de transition (contrat aidé, insertion par l'activité économique, travail temporaire) ;
- des actions de formation (formation professionnelle, école ou centre de défense de la deuxième chance) ;
- l'accès à des contrats en alternance (contrats de professionnalisation, apprentissage, Pacte).
On observe généralement trois cas de figure : les jeunes pris en charge avec succès, qui ont été orientés vers les métiers en tension, les jeunes en situation d'échec et plusieurs dizaines de milliers de jeunes « invisibles », qui n'ont été intégrés dans aucun dispositif du fait d'un recrutement trop sélectif, fondé sur le seul critère de la réussite. Cette situation conduit à conclure à l'échec relatif des politiques de la deuxième chance.
En grande part, la responsabilité incombe aux employeurs, dont l'action s'inscrit dans un contexte de chômage de masse qui pénalise les jeunes actifs les plus fragiles. Pourtant, on observe un frémissement au sein de l'opinion publique avec le développement de la notion de « responsabilité sociale des entreprises », qui suppose que celles-ci facilitent l'inclusion sociale des jeunes en difficultés. La mobilisation des partenaires sociaux a été également tardive, ceux-ci ayant tendance à défendre prioritairement les personnes déjà intégrées au marché du travail.
Pourtant, les besoins de recrutement dans les métiers en tension et les contraintes réglementaires (quotas d'embauche d'apprentis, obligation d'emploi des travailleurs handicapés) constituent d'indéniables leviers de mobilisation des entreprises en faveur des jeunes. Mais leur insertion professionnelle demeure freinée par les préjugés vis-à-vis des jeunes ou des publics en insertion, tandis que l'absence de diplôme est un Rubicon que les employeurs français ont encore du mal à franchir.
A de rares exceptions près, les actions menées par les entreprises en faveur de l'insertion des jeunes éloignés de l'emploi sont aujourd'hui majoritairement le fait de petites structures confrontées à des difficultés de recrutement dans des secteurs en tension et dirigées par des employeurs sensibles à la problématique de la deuxième chance.
Pour surmonter les obstacles à l'insertion des jeunes, le Crédoc formule trois recommandations :
- l'institutionnalisation d'un service public de la deuxième chance dont les missions locales seraient le coeur ;
- la mise en place de politiques ciblées de lutte contre la pauvreté des jeunes en insertion grâce à la création d'une allocation spécifique pour ceux qui s'engagent dans un dispositif de la deuxième chance ;
- enfin, une mobilisation plus active des employeurs avec des mesures incitatives ou contraignantes, telles que la mise en place de quotas en faveur des jeunes engagés dans un parcours d'insertion.
M. Christian Demuynck, rapporteur, a tout d'abord souhaité savoir quelles étaient les sources de l'étude réalisée par le Crédoc. Il s'est en outre demandé quelles pouvaient être les mesures alternatives à l'orientation des jeunes vers les secteurs en tension et quelles seraient les modalités précises de mise en oeuvre des quotas d'embauche des jeunes en insertion par les entreprises. Il s'est également interrogé sur les conditions d'accès à l'allocation d'insertion pour les jeunes de dix-huit à vingt-neuf ans, proposée par le Crédoc, et sur la façon dont elle s'articulerait avec le revenu de solidarité active (RSA). Enfin, il a souhaité connaître les raisons qui ont conduit le Crédoc à choisir les missions locales comme structures de référence des politiques de la seconde chance.
M. Matthieu Angotti a précisé que l'étude s'appuie à la fois sur des statistiques de l'Insee et sur des rencontres et des échanges avec les jeunes, les différents acteurs de l'insertion, les employeurs et l'ensemble des administrations centrales et territoriales concernées.
S'il s'est dit convaincu que les jeunes doivent davantage être orientés vers les métiers en tension, il a fait valoir que certains d'entre eux, titulaires du baccalauréat, ont d'autres aspirations. La proposition du Crédoc vise à modifier, en amont de la formation initiale, les représentations des élèves ou des étudiants sur des métiers parfois méconnus pour lesquels il existe de nombreux débouchés. Parallèlement, il faut aussi faire évoluer les méthodes de recrutement des entreprises, en les incitant en particulier à ne pas se focaliser sur le diplôme. Enfin, il est indispensable que les formations initiales et professionnelles soient plus qualifiantes et professionnalisantes.
En ce qui concerne les quotas d'embauche imposés aux entreprises, il a précisé qu'ils ne viseraient que les jeunes qui bénéficieraient d'une allocation d'insertion dans le cadre d'un contrat de « deuxième chance ». Ce type de quota existe déjà pour les apprentis dans les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés. L'allocation serait versée de façon différentielle en fonction d'un revenu minimum défini, le cas échéant, en complément d'une rémunération. Elle apparaît d'autant plus nécessaire que les centres de formation pour apprentis sont très souvent contraints de mettre en place des mesures d'urgence pour subvenir aux besoins des jeunes (logement, aides matérielles, santé).
Enfin, il a fait valoir que les missions locales sont actuellement les seules structures en mesure d'instruire les demandes des jeunes sur l'ensemble du territoire, puisqu'elles fonctionnent depuis près de trente ans en réseau avec une efficacité et une légitimité qui ne sont plus contestées. Elles pourraient intervenir en complémentarité avec les caisses d'allocations familiales.
Mme Christiane Demontès s'est dite frappée par la forte proportion de jeunes titulaires d'un baccalauréat ou d'un diplôme de l'enseignement supérieur, éloignés de l'emploi de qualité. Elle est convenue de la nécessité de modifier les représentations des jeunes sur leur avenir professionnel sans pour autant considérer que leur volonté à réussir doive être mise en cause. Elle a déploré qu'ils soient souvent orientés vers des métiers en tension qu'ils n'ont pas forcément choisis.
Elle s'est demandé comment sécuriser les parcours des jeunes actifs dans les entreprises et comment mobiliser les employeurs pour y parvenir. Enfin, elle s'est dite favorable à la mise en place d'un revenu de subsistance.
M. Jean Desessard s'est interrogé sur les causes du délaissement de certains métiers dits en tension, privilégiant l'hypothèse de la pénibilité des conditions de travail et des faibles rémunérations plutôt que la méconnaissance des filières qui permettent d'y accéder.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle a approuvé l'approche globale retenue par le Crédoc, qui permet d'appréhender l'ensemble des problèmes rencontrés par les jeunes pour accéder à l'emploi.
Afin de faire évoluer les représentations des jeunes, elle a estimé que l'accompagnement était essentiel tout au long de la formation et du parcours d'insertion. Elle s'est dite également favorable à la valorisation des missions locales et à la mise en place pour chaque jeune d'un référent qui soit en mesure de traiter tous les problèmes qu'il rencontre.
M. Matthieu Angotti a expliqué que la proposition du Crédoc vise à créer un « service public de la deuxième chance », dont les missions locales seraient le guichet unique référent, chargé d'orienter les jeunes vers les autres dispositifs existants et les structures adaptées. Cela suppose une plus grande professionnalisation des agents des missions locales et l'augmentation du nombre de psychologues pour travailler sur les représentations des jeunes.
Il est également convenu de la nécessité de sécuriser les parcours et de prévoir de façon systématique un accompagnement même si son coût est substantiel.
Il a regretté que le contrat d'insertion dans la vie sociale (Civis) et le contrat d'autonomie créé en 2008 soient mis en oeuvre par des acteurs différents et s'adressent à des publics qui se superposent.
En outre, il a souligné l'intérêt du versement d'une allocation d'insertion pour les apprentis, qui peinent très souvent à trouver un logement lorsque le centre de formation ou l'entreprise sont éloignés du domicile familial.
Enfin, il a relativisé l'idée selon laquelle les métiers en tension se caractériseraient par des conditions de travail difficiles et par de faibles salaires. Leur accès est en réalité souvent mal aisé du fait de l'incapacité des employeurs à embaucher des jeunes ne possédant pas la formation correspondante. Le recrutement ne devrait pas exclure des jeunes titulaires du baccalauréat et de diplômes de l'enseignement supérieur au motif qu'ils ne possèdent pas la qualification requise. Une formation professionnelle complémentaire au sein de l'entreprise doit demeurer possible.
M. Jean Desessard a insisté sur la pénibilité de certains métiers dont les horaires et les conditions de travail peuvent en diminuer l'attractivité. Il conviendrait en contre partie que la nature du contrat de travail assure à la personne embauchée une certaine stabilité.
M. Jacques Mahéas a souhaité que la mission ne se limite pas à l'étude des dispositifs de la deuxième chance mais s'interroge également sur les voies d'amélioration des formations qui permettent aux jeunes de se saisir de leur première chance. Cela suppose en particulier de revoir le fonctionnement des centres d'information et d'orientation (CIO), souvent déficients, et de permettre aux jeunes en situation d'échec d'être plus facilement réorientés.
M. Matthieu Angotti est convenu de la nécessité de repenser l'activité des CIO, qui ne répondent plus aux préoccupations des lycéens et des étudiants. Les missions locales assurent dans les faits bien souvent ce rôle, ce qui nécessiterait le recrutement de conseillers d'orientation ayant une meilleure connaissance du monde du travail, des filières existantes et des secteurs en tension du bassin d'emploi dans lequel ils exercent.
Mme Christiane Demontès a signalé l'existence d'un rapport du conseil d'orientation pour l'emploi (COE) sur la question de l'orientation.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a souhaité que la mission s'interroge sur les raisons de la désaffection des CIO.
M. Jean-Léonce Dupont a rappelé que de nombreux rapports ont fait le même constat de l'inadéquation des orientations proposées aux élèves par rapport aux débouchés qu'offre le marché du travail. Il a demandé si les membres de la mission iraient au bout de cette réflexion et en tireraient les conséquences.
Audition de Mme Catherine Dumont, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? »
Puis la mission a procédé à l'audition de Mme Catherine Dumont, membre du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure au nom de la section des affaires sociales de l'avis sur « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? ».
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a rappelé tout d'abord les principaux champs d'investigation de la mission commune et souligné que les parlementaires s'étaient fixé comme objectif de parvenir à formuler rapidement des propositions concrètes et opérationnelles.
Mme Catherine Dumont, membre du Conseil économique, social et environnemental, après avoir évoqué son expérience de terrain et précisé, en réponse à une question de M. Jean Desessard, qu'elle avait dirigé une mission locale pendant une quinzaine d'années, a ensuite exposé les grands axes de l'avis du Conseil économique, social et environnemental « 25 ans de politiques d'insertion des jeunes : quel bilan ? ».
En préambule, elle a souligné deux caractéristiques majeures de la situation actuelle des jeunes en évoquant d'abord l'allongement temporel de la jeunesse et la difficulté du passage au « statut d'adulte », qui recouvre l'accès à l'emploi, à l'autonomie financière et à la vie de couple. Faisant observer que la jeunesse se prolonge jusqu'à 34 ans dans certains pays de l'Union européenne, elle a signalé que le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) prenait en compte, dans ses travaux, les jeunes jusqu'à l'âge de 30 ans. Constatant que, en dehors des minima sociaux, les jeunes « ne trouvent rien » pour les aider après l'âge de 25 ans, elle a estimé souhaitable d'étendre l'accessibilité des dispositifs de prise en charge jusqu'à 30 ans. Mme Catherine Dumont a ensuite insisté sur le phénomène, inédit dans l'histoire de l'après-guerre, du déclassement de la jeunesse, perceptible non seulement à l'accroissement des écarts de salaires entre les salariés de cinquante ans et ceux de trente ans (l'écart était de 15 % en moyenne en 1975, il est de 40 % aujourd'hui), mais aussi à la dévalorisation des diplômes : à formation égale, le poste occupé aujourd'hui par un jeune est inférieur à celui de la génération qui l'a précédé. Elle a estimé qu'il s'agissait là des composantes du malaise diffus ainsi que du sentiment de révolte et d'injustice éprouvé par un certain nombre de jeunes.
Par ailleurs, elle a rappelé que les jeunes occupaient majoritairement des emplois temporaires et précaires, dont la proportion est très élevée au sein des nouvelles embauches. Puis elle a présenté une série de chiffres particulièrement alarmants : 30 % des non-diplômés du secondaire restent au chômage dix ans après leur sortie du système scolaire ; 9 % des jeunes ménages de moins de 30 ans n'occupaient aucun emploi et ne suivaient aucune formation en 2005 ; 15,3 % des jeunes hommes et 18,3 % des jeunes femmes de 18 à 24 ans vivent au-dessous du seuil de pauvreté ; enfin, elle a chiffré au niveau particulièrement faible de 31,5 % le taux d'activité des jeunes en France, au- dessous de la moyenne européenne, et à 19,4 % le taux de chômage des jeunes, contre 15,4 % en moyenne européenne.
Mme Catherine Dumont a ensuite analysé les politiques d'insertion des jeunes en soulignant tout d'abord que la volonté gouvernementale de réduire le chômage des jeunes se concrétisait, depuis vingt-cinq ans, à travers de nombreux rapports, ordonnances, lois, décrets et circulaires, aboutissant à la mise en oeuvre de divers plans, la création de programmes et de stages de formation ou d'ateliers de pédagogie personnalisée, mais aussi à travers de la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage ou la mise en place de contrats en alternance, avec un budget annuel d'au moins 12,36 milliards d'euros en 2007. Pour illustrer la complexité de la mise en oeuvre de ces politiques d'insertion, elle a énuméré les neuf ministères concernés auxquels s'ajoutent les interventions de deux délégations interministérielles et de l'ensemble des collectivités territoriales. Elle a expliqué le manque de cohérence par un défaut d'inter-ministérialité nuisant à une véritable stratégie globale, par une interdépendance mal maîtrisée entre l'insertion sociale et l'insertion professionnelle, et par un système éclaté et difficilement lisible dans la répartition entre les différents services de l'Etat. Elle a ensuite constaté que la décentralisation manquait, dans ce domaine, de coopération territoriale, une telle situation s'expliquant par une coordination confuse entre les instances régionales, départementales et locales, par une complexité des partenariats institutionnels locaux et des lourdeurs administratives, mais aussi par un partenariat entre les acteurs de l'insertion relevant plus de l'obligation de résultat que d'une véritable dynamique territoriale et par la consultation insuffisante des partenaires sociaux.
Pour remédier à cette situation, Mme Catherine Dumont a indiqué que le Conseil économique, social et environnemental préconisait de renforcer la cohérence des politiques d'insertion au niveau national - l'Etat jouant le rôle de « garant du bien-être social de ces politiques » - en créant un service public de l'accueil de l'information et de l'orientation en lien étroit avec le service public de l'emploi. Elle a également recommandé de mettre en place des politiques de l'emploi reposant sur une approche non seulement curative mais aussi préventive et de prendre en compte les besoins des personnes plutôt que de vouloir à tout prix les segmenter par catégorie d'âge ou de dispositif. Simultanément, elle a estimé souhaitable de favoriser les solidarités fiscales territoriales par la création d'un fonds de solidarité dans chaque région, destiné à faciliter la péréquation entre les communes.
Au titre de l'amélioration de la coordination des politiques d'insertion au niveau territorial, elle a préconisé une « co-construction de la gouvernance » et l'établissement de passerelles entre les collectivités territoriales et l'ensemble des acteurs.
Illustrant par des exemples concrets le foisonnement des structures d'orientation et d'insertion, Mme Catherine Dumont s'est ensuite demandé comment les jeunes pouvaient se repérer dans ce labyrinthe. Afin de remédier à cette situation, elle a émis une série de recommandations tendant à repenser l'accueil, l'information et l'orientation des jeunes, en précisant qu'il convenait simultanément de simplifier et clarifier la lisibilité des services en charge de cette mission, de développer le repérage des jeunes en décrochage dès la classe de cinquième et de mettre en place un « passeport orientation/formation », d'accepter le « droit à l'erreur » et de faciliter les réorientations en multipliant les passerelles entre les filières d'enseignement et, enfin, de proposer à tous les jeunes quittant l'Education nationale sans qualification et sans diplôme un certificat de validation des acquis et une orientation vers des structures leur permettant de s'engager dans un nouveau projet professionnel.
Puis elle a estimé souhaitable, afin de lever les freins sociaux à la réussite scolaire, universitaire et professionnelle, d'aider plus largement les parents, notamment en cas d'enfants en difficulté dans leur éducation, de prendre en considération les questions de santé des jeunes dès l'entrée dans le système scolaire, de rendre le système de bourses plus transparent et plus lisible, de mener une réflexion approfondie sur l'attribution d'une allocation unique d'autonomie pour tout jeune engagé dans un parcours, et de faciliter la mobilité des jeunes sans qualification et sans diplôme dans l'espace européen.
Elle a également insisté sur la nécessité de décloisonner l'insertion pour mieux accompagner les jeunes vers l'emploi. A ce titre, elle a formulé quatre recommandations tendant à :
- favoriser l'enseignement sous forme de modules et permettre la reconnaissance des acquis à tous les niveaux afin de lutter contre l'échec scolaire ;
- développer l'apprentissage à tous les niveaux y compris celui de l'enseignement supérieur, créer des doctorats professionnels en s'inspirant des pratiques de nos voisins européens ;
- rendre plus juste le système de la formation professionnelle par « un droit à la formation différée » pour les jeunes sortis du système scolaire sans qualification et sans diplôme ;
- favoriser un double tutorat au sein de l'entreprise pour accompagner le jeune dans son insertion sociale et professionnelle afin d'éviter les ruptures de contrats.
Mme Catherine Dumont a ensuite déploré la permanence d'une séparation excessive entre le système éducatif et le monde économique en constatant l'insuffisante collaboration entre les responsables de l'éducation nationale et les entreprises, l'absence de « confrontation » entre les éducateurs et les employeurs potentiels sur les contenus de formation et sur les évolutions du travail et des organisations. L'orientation demeure peu ouverte sur les besoins du marché du travail et on constate l'engagement trop limité des entreprises en dépit des aides existantes ainsi qu'une flexibilité croissante de l'emploi qui engendre ou fait craindre la précarité. Différents freins empêchent les entreprises d'embaucher les jeunes, notamment l'insuffisante lisibilité de l'ensemble des dispositifs d'insertion et le nombre excessif de jeunes titulaires de diplômes trop généralistes ou obsolètes, sans aucune expérience professionnelle ou ne souhaitant pas entrer dans les métiers dits en tension, éloignés de leurs aspirations.
Pour remédier à l'éloignement entre l'enseignement et l'entreprise, Mme Catherine Dumont a souligné que son rapport proposait d'identifier un référent « entreprise » dans chaque établissement ou université, de renforcer la présence des personnes issues de l'entreprise parmi les enseignants des lycées techniques et professionnels, de freiner le développement des filières d'enseignement sans débouchés professionnels - M. Jean Desessard s'inquiétant à ce sujet du devenir des effectifs d'étudiants dans certaines filières en sciences humaines et sociales comme la psychologie - et de faire du contrat unique d'insertion un outil dans le parcours d'insertion du jeune.
Mme Catherine Dumont a ensuite déploré les graves insuffisances de l'évaluation des politiques d'insertion des jeunes. Elle a constaté la difficulté de rassembler des éléments pertinents pour chiffrer le coût global et réel des multiples dispositifs existants, seuls les efforts menés en matière de politique de la ville ou de politique éducative étant réellement évalués. Elle a particulièrement regretté le manque d'évaluation et de lisibilité de la politique de l'emploi, notamment dans son volet consacré aux jeunes. Face à cette situation, elle a recommandé de concevoir et mettre en oeuvre une évaluation intégrée à chaque orientation politique, afin de pouvoir mesurer son efficacité à l'aide d'indicateurs de performance et de pouvoir en apprécier la pertinence, de mesurer l'impact des politiques de l'emploi sur les territoires, par la mise en place d'une évaluation de la politique générale d'insertion des jeunes par territoire et de la formation professionnelle, permettant ainsi la réalisation de statistiques nationales exploitables, en créant, le cas échéant, des observatoires de la jeunesse.
Enfin, Mme Catherine Dumont a constaté que les vingt-cinq dernières années de politiques d'insertion des jeunes n'ont pas fait disparaître les difficultés sociales et économiques de ceux-ci même si elles ont permis de limiter l'exclusion durable. Elle a souhaité que trois objectifs fondamentaux puissent guider l'action des pouvoirs publics en direction des jeunes : n'en laisser aucun au bord de la route, leur redonner confiance en l'avenir et enfin valoriser le capital humain que représentent les jeunes pour l'ensemble de la société.
Un débat a suivi cet exposé liminaire.
M. Christian Demuynck, rapporteur, a manifesté son accord avec le diagnostic de complexité établi par l'intervenante et lui a demandé ce que pourraient être les mesures de simplification souhaitables. Evoquant le contexte général de rigueur budgétaire, il s'est ensuite interrogé sur les recommandations qui méritent d'être placées en tête des priorités. Puis il a demandé à connaître la modalité institutionnelle ou contractuelle que l'intervenante préconisait au titre de la méthode de rapprochement de l'école avec le monde économique. Approuvant la mise en place de certificats de validation des acquis à la sortie de l'école, il s'est interrogé sur les structures qui pourraient s'impliquer dans cette démarche ainsi que sur l'évaluation et la définition d'obligations de résultat en matière d'insertion. Enfin, il a sollicité des précisions sur la structuration du concept de « formation différée ».
Mme Catherine Dumont a constaté, à l'occasion des récents débats conduits au sein du comité de suivi des actions financées par le fonds social européen, la volonté de réorganisation des plans locaux d'insertion pour l'emploi autour d'un « pivot » au niveau régional, départemental ou intercommunal. Elle s'est ensuite interrogée sur la structuration précise du pôle emploi qui ne parait pas encore finalisée à l'heure actuelle et a souhaité qu'il puisse fonctionner en collaboration étroite avec les entités « incontournables » que sont les missions locales, s'appuyant sur leur expérience et leur visibilité pour tous les publics concernés. Elle s'est également interrogée sur les « maisons de l'emploi », regrettant l'habitude française qui consiste à empiler les structures au lieu de les simplifier.
Au niveau territorial, elle a préconisé de confier à une « structure chapeau » la mission d'identifier les divers dispositifs et de clarifier « qui fait quoi » afin d'organiser une coordination locale adaptée aux besoins des jeunes, en évitant que les structures cèdent à la tentation de se livrer à une concurrence peu appropriée. Elle a ajouté qu'il convenait d'assortir à cette clarification une démarche d'évaluation systématique et d'adaptation aux besoins.
S'agissant des priorités, outre la réorganisation territoriale, elle a cité :
- l'ouverture des critères d'accès des jeunes aux différents dispositifs d'insertion, au sein d'un dispositif général, le cloisonnement existant étant critiquable ;
- l'adéquation des formations aux besoins d'emplois analysés de façon précise au niveau des bassins d'emplois, en évitant de trop se référer à la nécessité de la mobilité, alors même que, en pratique, les jeunes y sont de moins en moins enclins.
Puis elle a fait observer la contradiction entre l'incapacité d'évaluer les besoins prévisionnels en emplois et l'obligation de résultat qui est assignée aux personnels en charge de l'insertion. Appelant de ses voeux une approche plus qualitative que quantitative, Mme Catherine Dumont s'est inquiétée de l'avenir et des sources du financement des missions locales qui recueillent aujourd'hui encore - contrairement à la stricte orthodoxie budgétaire - des crédits du fonds social européen pour leur section de fonctionnement.
Elle a ensuite regretté l'absence de passerelles obligatoires entre les structures d'insertion et l'éducation nationale, en particulier pour faciliter les reprises d'études par des jeunes remis en selle par ces dernières après un premier échec scolaire, ainsi qu'entre les entreprises et les enseignants. Elle a notamment souhaité que ces derniers puissent contribuer à réduire le décalage entre les préférences des entreprises qui souhaitent recruter à long terme et celles des jeunes qui perçoivent souvent leur emploi comme provisoire.
Elle est alors revenue sur la nécessité de reconnaître aux jeunes qui sortent sans diplôme des « éléments de compétence », ce qui n'existe pas à l'heure actuelle, sous forme de validation des acquis ou de « certificats de compétences » pour leur permettre, dans leur parcours d'insertion, d'établir un lien avec leur passé scolaire. Elle a enfin jugé anormale la règle qui impose un délai minimal d'un an entre la sortie du système éducatif et l'accès à une mission locale.
En réponse à une remarque de Mme Annie Jarraud-Vergnolle, Mme Catherine Dumont a précisé que les Centres interinstitutionnels de bilans de compétences (CIBC) intervenaient comme prestataires des collectivités territoriales. Soulignant que les missions locales, comme celle de Marseille qui doit gérer environ 10 000 jeunes, ont des difficultés pour trouver à chacun un stage d'insertion adapté, elle a plaidé pour accorder des financements prioritaires à la formation professionnelle, à l'accompagnement et à l'autonomie des jeunes.
Mme Christiane Demontès a tout d'abord fait observer que le financement des missions locales par le fonds social européen (FSE) constituait une dérive - qui s'accompagne parfois du retrait de l'engagement financier de certains partenaires locaux - par rapport au schéma initial institué au cours des années 1980, dans lequel seuls l'Etat et la commune étaient censés intervenir. Elle a ensuite indiqué que, progressivement, les missions locales étaient devenues accessibles aux jeunes avant que se soit écoulé un délai d'un an après leur sortie du système scolaire, en précisant qu'initialement l'objectif de cette règle était d'inciter l'éducation nationale à se préoccuper du sort des élèves.
Elle a enfin demandé des précisions sur le financement des contrats d'insertion, sur le décloisonnement des dispositifs et sur l'obstacle que constitue le code des marchés publics au développement de l'offre de formation.
Après avoir partagé les observations ainsi formulées, Mme Catherine Dumont a rappelé que les décisions relatives au financement des contrats d'insertion relevaient de la compétence des partenaires sociaux. S'agissant du décloisonnement de l'insertion, elle a évoqué la nécessité et la difficulté de mobiliser les trois partenaires que sont l'éducation nationale, les entreprises et les acteurs de l'insertion, au service d'une vraie dynamique d'insertion et en surmontant leurs éventuelles divergences d'appréciation. Par ailleurs, elle est convenue de ce que les contraintes budgétaires s'ajoutaient à celles qui résultent de l'application du code des marchés publics. Elle a réaffirmé tout l'intérêt qui s'attache à la création d'un observatoire de la jeunesse chargé du suivi statistique et qualitatif de l'évolution des bassins d'emplois, afin d'adapter l'offre à la demande de formation.
Tout en indiquant qu'il avait a priori été séduit par l'idée de créer un service public consacré à la jeunesse, M. Jean Desessard s'est néanmoins interrogé sur la pertinence des efforts de délimitation des différentes catégories de jeunes et s'est demandé s'il ne convenait pas de réfléchir à l'extension aux jeunes de certaines mesures de soutien aujourd'hui réservées aux adultes.
Se référant à des exemples réussis d'accès à l'emploi à l'issue de formations adaptées aux besoins, il a manifesté son étonnement à l'égard de l'incapacité à remédier au déficit d'indicateurs sur les besoins prévisionnels en matière d'emplois. Il s'est enfin interrogé sur le service civique et sur la multiplication des stages imposés aux jeunes et l'allongement de leur durée, en manifestant sa préférence pour un accès plus rapide à l'emploi.
M. Jean-Claude Etienne s'est également dit frappé par l'ampleur des besoins de main d'oeuvre non satisfaits, qui coexiste avec un fort taux de chômage et témoigne d'un phénomène d'inadéquation. Il a également interrogé l'intervenante sur ses recommandations en matière d'orientation.
Mme Maryvonne Blondin a témoigné d'une expérience réussie : la mise en place, par le conseil général du Finistère, d'une « mission jeunesse » assortie de la création d'un fonds d'autonomie qui, par la suite, a servi de base à l'institution d'un fonds unique rassemblant diverses sources de financement avec, corrélativement, la mise en place d'un guichet unique. Signalant que des procédures d'évaluation étaient en train d'être mises au point, elle a demandé des précisions sur les indicateurs permettant de mesurer l'efficacité des dispositifs d'insertion.
M. Jean-Léonce Dupont, rappelant que la France forme, par exemple, plus de la moitié des étudiants en psychologie d'Europe, a demandé à l'intervenante si elle était préparée à tirer toutes les conséquences du constat selon lequel certains enseignements ne débouchent qu'insuffisamment sur l'emploi, en préconisant des mesures de réorientation à la fois des étudiants et des enseignants vers d'autres filières.
Mme Catherine Dumont a évoqué les débats qui, au Conseil économique, social et environnemental, ont conduit certains à s'interroger sur l'opportunité d'instituer des mécanismes d'orientation plus rigoureux sans pour autant que la notion de « quota » puisse rendre compte fidèlement de cette réflexion. Elle a jugé à la fois difficile et nécessaire l'effort de prévision des métiers de demain, en estimant que cette tâche incombait à l'Etat.
Rappelant ensuite que 40 à 50 % des offres d'emplois demeuraient non satisfaites au niveau du pôle emploi, elle a prôné la simplification des procédures, la formation des personnels en charge de l'insertion - qui ont le plus souvent des profils sociaux - à l'économie de l'entreprise.
Puis elle a expliqué la désaffection des Centres d'information et d'orientation (CIO) tout d'abord par la multiplicité des acteurs de l'orientation, ensuite par leur insuffisante connaissance de la réalité des métiers et enfin par le fait que de nombreux jeunes utilisent désormais Internet pour se guider dans leurs recherches. Tout en préconisant la mise en place d'un site Internet de référence, elle a cependant rappelé l'importance et la richesse des contacts humains dans la démarche d'orientation.
Enfin, se félicitant du caractère interministériel des actions lancées par le Gouvernement en faveur de la jeunesse, elle s'est toutefois demandé dans quelle mesure la méthode qui consiste à multiplier les expérimentations locales, par nature spécifiques, pouvait permettre de dégager les axes d'une politique globale applicable sur l'ensemble du territoire.
Mercredi 25 mars 2009
- Présidence de Mme Raymonde Le Texier, présidente -Table ronde avec des représentants des syndicats d'étudiants
La mission a procédé à une table ronde avec des représentants des syndicats de l'Union des étudiants de France (UNEF), de la Fédération des associations générales des étudiants (FAGE), de l'Union nationale inter-universitaire (UNI), de la Promotion et défense des étudiants (PDE) et de la Confédération étudiante (CE).
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a proposé d'aborder, en premier lieu, les questions d'orientation, de formation et d'insertion professionnelle, avant de se pencher, en second lieu, sur les problèmes de logement, de revenu, et d'autonomie des jeunes.
M. Christian Demuynck, rapporteur, a d'abord posé quelques questions afin de lancer des pistes de réflexion. Il a demandé si le dispositif d'orientation active, récemment mis en place, commençait à porter ses fruits, puis si les universités remplissaient convenablement la mission qui leur incombe, en vertu de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007, en matière d'insertion professionnelle des jeunes. Il a également souhaité savoir comment pourrait être résolu le problème de pénurie de main-d'oeuvre observé dans certains secteurs. Enfin, il s'est interrogé sur les moyens de remédier au très fort taux d'échec dans les premiers cycles universitaires.
M. Jean-Baptiste Prévost, président de l'Union des étudiants de France (UNEF), a d'abord souligné que la jeunesse était une période de transition au cours de laquelle les individus ne bénéficiaient pas des dispositifs de protection sociale qui existent à d'autres âges de la vie. Il a ensuite mis en garde contre certaines fautes politiques qui ont pu être commises par le passé : la jeunesse a parfois été considérée comme un « mal nécessaire », ce qui a pu freiner l'insertion des jeunes dans l'entreprise ; il est arrivé également que l'on oppose, à tort, des catégories de jeunes, en fonction de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent ; or, le problème de la jeunesse doit être appréhendé dans sa globalité ; enfin, les politiques publiques ont eu tendance à aborder les droits des jeunes en procédant par soustraction par rapport aux règles de droit commun, comme l'illustrent le débat autour du « Smic jeune » ou encore la création de contrats de travail spécifiques. Il a insisté sur la nécessité de garantir aux jeunes une plus grande autonomie, afin de les libérer de leur dépendance vis-à-vis de leur famille et des « petits boulots ».
En ce qui concerne l'orientation, il a souhaité qu'elle constitue une aide et non une contrainte pour les jeunes. Chaque jeune devrait bénéficier d'un rendez-vous individuel pour discuter de son orientation puis d'un suivi, ce qui n'est pas possible aujourd'hui faute de moyens.
Pour réduire le taux d'échec dans les premiers cycles universitaires, il convient d'améliorer la transition entre le lycée et l'université. Les enseignements dispensés en premier cycle sont peu individualisés, en raison d'un trop faible taux d'encadrement, et les étudiants en situation d'échec ne sont pas repérés à temps. Les lycéens devraient se voir accorder plus d'autonomie dans l'organisation de leur travail afin qu'ils prennent l'habitude du travail en groupe ou de la recherche documentaire.
M. Jean-Baptiste Prévost a ensuite souligné que les universités contribuaient déjà à l'insertion professionnelle de leurs étudiants avant que la loi leur en fasse obligation. Il a insisté sur le rôle important des stages, qui doivent être encadrés et s'intégrer dans le cursus universitaire. Des modules d'enseignement devraient avoir pour objet de préparer les étudiants à leur future insertion professionnelle. Les bureaux d'aide à l'insertion professionnelle (BAIP), prévus par la loi de 2007, tardent à se mettre en place, faute de moyens.
En matière d'emploi, il a distingué la situation des jeunes non qualifiés, qui doivent pouvoir accéder à des formations offrant de réelles perspectives d'embauche, de celle des jeunes diplômés. Pour ces derniers, il convient de supprimer les stages hors cursus, de lutter contre l'emploi précaire et de créer de nouveaux dispositifs de soutien à la recherche d'emploi. Le coût de la recherche d'un emploi pendant un mois peut, en effet, être évalué entre 400 et 500 euros.
M. Maximilien Cartier, vice-président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), a souligné que la période de la jeunesse déterminait largement l'avenir d'un individu. Il a proposé que les multiples dispositifs existant aujourd'hui soient fondus en un dispositif unique, qui serait plus efficace pour réduire les inégalités entre jeunes. Seraient notamment concernés par cette refonte les bourses étudiantes, les aides au financement d'un projet professionnel, les mesures de remise à niveau des lycéens et des étudiants, mais aussi le revenu de solidarité active (RSA), qui devrait être étendu aux moins de vingt-cinq ans, ainsi que les aides au logement, qui sont fondamentales pour assurer l'autonomie des jeunes.
Il a proposé que l'accès des jeunes à la culture soit favorisé et que l'obtention du permis de conduire soit facilitée. Il a suggéré que l'accès aux restaurants universitaires soit ouvert aux non-étudiants afin qu'un plus grand nombre de jeunes bénéficient d'une alimentation équilibrée dans de bonnes conditions financières. En matière de citoyenneté, il a souhaité que le service civique, sans être rendu obligatoire, soit néanmoins promu et diffusé plus largement.
M. Rémi Martial, délégué national de l'Union nationale inter-universitaire (UNI), a considéré que deux écueils devaient être évités : d'une part, développer des politiques spécifiques aux jeunes, par exemple dans le domaine associatif ou sportif, alors que les jeunes font partie intégrante de la société ; d'autre part, faire preuve de « jeunisme » et développer des institutions représentatives, comme le conseil national de la jeunesse, qui n'ont pas de réelle utilité.
Divers, les jeunes ne doivent pas être enfermés dans un statut : s'ils aspirent à l'autonomie, celle-ci est un processus non linéaire, qui se déroule de manière différente pour chacun d'entre eux. Les pouvoirs publics devraient s'attacher à trois priorités : l'accès à l'emploi, au logement et à la formation. Il faut veiller également à un meilleur accompagnement des familles, dans la mesure où 88 % des jeunes de dix-neuf à vingt-quatre ans reçoivent une aide financière de leur entourage familial. L'autonomie des jeunes doit aussi être comprise comme une autonomie à l'égard des pouvoirs publics.
En matière d'emploi, il serait nécessaire de multiplier les passerelles entre l'université et les entreprises. Si la loi LRU comporte des avancées en ce domaine, d'importants progrès peuvent encore être accomplis. Le travail des étudiants devrait être favorisé : les universités pourraient, par exemple, embaucher des étudiants pour assurer l'accueil dans les bibliothèques. Les BAIP, dont la mise en place est prévue par la loi LRU, n'existent pas encore partout. De manière générale, tous les étudiants devraient connaître le monde de l'entreprise, apprendre à rédiger un curriculum vitae ou une lettre de motivation. Il faut enfin accompagner les jeunes vers leur premier emploi ; un stage réalisé en fin d'études est souvent le prélude à une embauche. Pour les non-étudiants, les contrats d'apprentissage et de professionnalisation devraient être développés, éventuellement par le recours à une incitation fiscale supplémentaire. Il ne faut pas négliger enfin la création d'entreprise, qui pourrait constituer une solution pour certains jeunes non diplômés si leurs initiatives étaient davantage encouragées.
L'orientation constitue une autre priorité : elle suppose un accompagnement des jeunes dès le collège, avec une information sur les filières et leurs débouchés. Les universités devraient publier des données relatives à l'insertion professionnelle de leurs diplômés.
M. Mathieu Bach, délégué général de Promotion et défense des étudiants (PDE), a d'abord souligné que les étudiants différaient par leur origine sociale, leur appétence pour les études ou leur projet professionnel. Il a ensuite estimé que la démocratisation de l'enseignement supérieur était un atout pour le pays.
L'orientation, la formation et l'insertion professionnelle sont indissociables. Les liens entre les lycées et les universités devraient être renforcés et des professionnels devraient venir présenter les filières et les métiers aux lycéens pendant les heures de « vie de classe ». Cela pourrait contribuer à aider certains jeunes à surmonter une forme d'autocensure qui les conduit à s'interdire de s'engager dans telle ou telle formation parce qu'ils estiment qu'elle ne leur est pas destinée. L'orientation devrait ensuite être progressive pendant les trois années de licence.
Pour simplifier la vie des jeunes, un portail unique pourrait être institué sur Internet, au travers duquel ils accompliraient toutes les formalités et auraient accès aux différents dispositifs dont ils sont susceptibles de bénéficier.
La loi LRU a confié aux universités une nouvelle mission : contribuer à l'orientation et à l'insertion professionnelle des jeunes. Les résultats sont cependant variables selon les universités. Les BAIP devraient être renforcés pour permettre aux jeunes d'avoir une meilleure connaissance du marché du travail.
Le taux d'échec en licence est considérable et les raisons en sont multiples : faible taux d'encadrement, mauvaise orientation, faible sentiment d'appartenance à l'université du fait de l'absence de vie de campus... Il devrait être possible de revenir à l'université après s'être engagé dans la vie professionnelle et un compte-formation pourrait être institué dans ce but. De manière plus générale, le contexte actuel de crise économique devrait être l'occasion de refonder le modèle français d'enseignement supérieur.
M. Baki Youssoufou, président de la Confédération étudiante, a tout d'abord précisé que ses propositions ne concernaient que les étudiants car son organisation ne s'estime pas légitime pour s'exprimer au nom des autres jeunes. Il a rappelé que la Confédération étudiante avait demandé, en 2006, à tous les candidats à l'élection présidentielle de s'engager à inscrire l'insertion professionnelle parmi les nouvelles missions des universités. Les principaux candidats avaient pris cet engagement et cette promesse a depuis été tenue.
Pourtant, les étudiants restent encore préoccupés par leur avenir professionnel. La création des BAIP constitue certes une avancée mais leurs résultats tardent à se matérialiser. Les étudiants aimeraient mieux connaître le devenir professionnel de ceux qui sont passés par les mêmes filières de formation.
L'orientation, moment de transition, devrait être proposée à toutes les étapes de la formation. Les étudiants savent qu'ils acquièrent des compétences à l'université mais celles-ci sont insuffisamment mises en valeur. De même, les compétences acquises grâce au travail que les étudiants accomplissent en parallèle à leurs études sont difficiles à valoriser. Pourtant, 50 % des étudiants travaillent pendant leurs études et ce taux atteint même 75 % si l'on inclut les emplois occupés pendant l'été. Les stages étudiants ne devraient pas se substituer à de véritables emplois ; en particulier, ils ne devraient pas être effectués hors cursus car ils concurrencent alors directement des emplois en contrat à durée déterminée.
M. Christian Demuynck, rapporteur, a ensuite invité les représentants des syndicats à présenter leurs observations sur les questions de la réforme des bourses, de l'autonomie financière des étudiants et du logement étudiant.
Concernant l'autonomie financière, M. Jean-Baptiste Prévost a rappelé que l'UNEF était favorable à l'instauration d'une allocation d'autonomie accompagnée d'une remise à plat des dispositifs existants. Il a indiqué que les difficultés financières des étudiants constituaient la première raison d'interruption des études et que la question de la mise en place de cette allocation relevait d'un choix de société, certes coûteux mais prioritaire.
Il a également proposé la remise en cause des dispositifs d'exonérations fiscales dont bénéficient les familles et souligné le désaccord de principe de l'UNEF sur la question des prêts étudiants. Il a précisé que les mesures instaurées en ce sens avaient d'ailleurs eu peu de succès.
Sur la question de la réforme des catégories de bourses, il a souligné les difficultés rencontrées par certains étudiants du fait de la modification de leurs critères d'attribution. Il a demandé le versement d'un dixième mois de bourse destiné à compenser l'absence de dispositif d'aide au moment de la rentrée universitaire.
Constatant l'augmentation du nombre de catégories de bourses, M. Maximilien Cartier a suggéré la création d'un guichet unique au sein des CROUS et s'est prononcé en faveur de la suppression de la demi-part fiscale accordée aux familles en contrepartie d'une aide directe aux étudiants. Il a également dénoncé la trop grande prise en compte du revenu des parents dans l'octroi des aides et rappelé que la rentrée universitaire était un moment important nécessitant une aide renforcée aux étudiants.
Sur la question du logement, il a demandé que des investissements soient réalisés dans une perspective pluriannuelle, et non plus seulement pour faire face à l'urgence des besoins des étudiants. Pour ceux qui ne peuvent bénéficier des logements proposés par les CROUS, il a souligné la nécessité d'une aide pour l'accès au parc immobilier privé.
S'il a admis la nécessité d'une aide financière aux étudiants, il a précisé qu'il n'était pas favorable à la création d'un salaire étudiant, un accompagnement personnalisé destiné à permettre aux étudiants de mener à bien leurs études lui paraissant préférable.
M. Olivier Vial, délégué national de l'UNI, a présenté l'autonomie des étudiants comme un processus découlant d'un revenu issu de l'emploi. Il a précisé que la France avait la plus faible proportion d'étudiants qui travaillent, alors même que le travail pendant la période de formation constitue un atout pour leur future insertion professionnelle. Il a souhaité un renforcement de la défiscalisation du travail des étudiants.
Il s'est déclaré satisfait de la réforme des bourses et a rappelé que le pouvoir d'achat des boursiers avait été préservé, contrairement à celui des étudiants issus des classes moyennes. Il a ensuite dénoncé l'inadaptation des modalités de calcul des bourses, puisque celles-ci prennent en compte les revenus des parents de l'année « n-1 », ce qui est peu satisfaisant en temps de crise.
Pour les étudiants issus des classes moyennes, M. Olivier Vial a considéré que l'obtention de prêts garantis par l'Etat, dont le remboursement serait conditionné à l'obtention d'un CDI et serait fonction du revenu perçu à l'issue des études, constituerait la meilleure solution à leurs difficultés financières.
Par ailleurs, il a estimé que de nouvelles solutions devraient être apportées aux problèmes de logement des étudiants. Il a plaidé pour le recours des universités aux partenariats public-privé et pour la prise en compte des logements étudiants dans le seuil des 20 % de logements sociaux prévus par la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU). En outre, les dispositifs destinés à rassurer les propriétaires privés devraient être renforcés.
Il a enfin relevé que les jeunes apprentis étaient dans des situations encore plus difficiles que les étudiants en matière de logement.
M. Mathieu Bach a indiqué que la réforme des bourses avait rendu le dispositif plus lisible mais qu'il pouvait encore être amélioré, dans la mesure où certains étudiants en demeurent exclus. Il a recommandé d'éviter les effets de seuil et proposé que le versement des bourses soit effectué sur dix mois, avec un montant plus élevé au moment de la rentrée universitaire. Outre l'instauration d'un guichet unique des CROUS, il a plaidé pour que ces organismes soient déclarés ordonnateurs afin de faciliter les versements.
M. Mathieu Bach a ensuite suggéré que les plafonds des bourses sur critères sociaux soient relevés afin d'aider les étudiants issus des classes moyennes. Il s'est prononcé en faveur d'une dotation en capital constituée dès le plus jeune âge, à laquelle participeraient les pouvoirs publics. Il a également estimé que le recours aux prêts devait rester marginal et jugé que le dispositif institué par Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, n'était pas satisfaisant en ce qui concerne les modalités du remboursement de ces prêts.
Sur la question du logement, il a souhaité que l'offre soit renforcée, notamment en Ile-de-France. Il a cependant admis que les CROUS ne pouvaient pas répondre à toutes les demandes des étudiants et qu'il fallait donc trouver des solutions alternatives, telles que l'élargissement du système LOCAPASS ou la labellisation par les CROUS des logements destinés aux étudiants.
M. Baki Youssoufou a rappelé que les étudiants plébiscitaient les systèmes fondés sur des critères sociaux, et donc les bourses. Cependant, soulignant l'insuffisance de ce système, il a rappelé que 40 % environ des étudiants travaillaient, selon les données recueillies par le Conseil économique social et l'Observatoire de la vie étudiante en 2007. Il a ensuite proposé que les pouvoirs publics complètent les revenus que les étudiants retirent de leur travail par une aide correspondant à la rémunération de quinze heures de travail hebdomadaires ; il a, en effet, souligné que cette durée de quinze heures est le seuil au-delà duquel le risque d'échec dans les études était nettement accru.
M. Baki Youssoufou s'est également déclaré favorable à la création de bourses d'entreprises et d'une allocation universelle remboursable, avancée par l'Etat. Il a enfin plaidé pour une grande concertation entre les acteurs du logement étudiant, afin que l'offre et la demande puissent se rencontrer plus facilement dans chaque territoire.
M. Jean-Léonce Dupont s'est félicité que les syndicats étudiants insistent tous désormais sur l'importance de l'insertion professionnelle. Il a ensuite souhaité que les membres de la mission approfondissent le problème de l'inadéquation entre l'offre de formation et les débouchés professionnels. Evoquant l'existence de certaines filières universitaires fortement fréquentées mais offrant de faibles perspectives d'embauches, il a ouvert la réflexion sur l'éventuelle adaptation des structures et des personnels concernés, en vue de remédier à ce déséquilibre.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a estimé qu'il s'agissait là d'une vraie question de fond.
Mme Virginie Klès a rappelé l'existence d'obligations légales en matière de solidarité familiale - les enfants devant notamment soutenir leurs ascendants en cas de besoin - et suggéré aux représentants des syndicats de ne pas vouloir s'en affranchir trop rapidement.
M. Jean Desessard a ensuite affirmé qu'il partageait l'idée de l'UNEF de créer un salaire de formation. Il s'est cependant interrogé sur le caractère éventuellement contradictoire de cette revendication avec le souhait de cette organisation d'une meilleure rémunération des stages.
M. Jean-Claude Etienne a demandé aux représentants des syndicats étudiants de donner leur point de vue sur les problèmes spécifiques du monde étudiant en matière de santé.
Répondant à Mme Virginie Klès, M. Jean-Baptiste Prévost a précisé qu'il ne remettait pas en cause l'importance des liens familiaux, mais que l'aide des familles était par nature porteuse de fortes inégalités. Il a souligné que les positions de son organisation sur la question de l'autonomie financière des étudiants par rapport à leurs familles relevaient d'un véritable choix politique.
Il a jugé que la création d'une allocation d'autonomie n'était pas antinomique avec une meilleure rémunération des stages, considérant que ce dispositif pouvait comporter une part d'individualisation, prenant en compte l'ensemble des ressources des étudiants.
M. Olivier Vial a estimé que l'autonomie se construisait avec la famille et que celle-ci restait un point d'appui pour les étudiants, qu'il s'agisse de les aider à choisir leur orientation ou de leur santé. Il a ajouté que les prêts constituaient la meilleure solution aux difficultés financières des étudiants issus des classes moyennes.
M. Mathieu Bach a évoqué le manque d'éducation à la santé et les difficultés financières comme les principaux obstacles à l'accès des étudiants au système de soins. Il a donc appelé au renforcement du rôle de la médecine préventive et à l'instauration de chèques-santé.
Audition de M. Jean-Baptiste de Foucauld, inspecteur général des finances, ancien président de la commission nationale pour l'autonomie des jeunes
La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Baptiste de Foucauld, inspecteur général des finances, ancien président de la commission nationale pour l'autonomie des jeunes.
A titre liminaire, Mme Raymonde Le Texier, présidente, a présenté les principaux objectifs et axes de réflexion de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes.
Puis M. Jean-Baptiste de Foucauld, inspecteur général des finances, après avoir rappelé qu'il avait présidé la commission nationale pour l'autonomie des jeunes, instituée en 2001, a présenté les principales conclusions des travaux de celle-ci et mis en évidence leur actualité possible.
Il a tout d'abord souligné les spécificités de cette commission créée par voie législative. Composée de soixante-douze membres représentatifs d'intérêts divers et reflétant une jeunesse hétérogène, elle s'est efforcée de ne pas négliger les jeunes en très grande difficulté, les « sans voix » qui sont peu représentés au niveau institutionnel.
La commission a identifié les difficultés croissantes auxquelles les jeunes sont confrontés. Ces difficultés résultent de la contradiction entre, d'une part, une demande d'autonomie accrue et, d'autre part, un allongement de la durée des études et un accès à l'emploi devenu plus aléatoire. Dans la mesure où le taux de chômage des jeunes représente le double du taux moyen et où leur taux de pauvreté est aussi très élevé, il est étonnant que ce malaise social majeur qui touche la jeunesse n'ait pas davantage mobilisé les pouvoirs publics à ce jour. La politique en faveur des jeunes est, en effet, constituée d'une multiplicité de dispositifs empiriques, hétérogènes et insuffisamment efficaces, représentant environ un point de produit intérieur brut (PIB).
Abordant la question de l'autonomie, M. Jean-Baptiste de Foucauld a constaté que l'on était passé d'une autonomie par le travail, qui se traduisait naturellement par le fait de « gagner sa vie », à un processus beaucoup plus progressif de construction de l'individu. Cette évolution n'appelle pourtant pas de mesures trop générales, telles que l'allocation d'autonomie préconisée par une proposition de loi qui avait finalement abouti à la création, en 2001, de la commission nationale pour l'autonomie des jeunes. Ce type de mesure, de type assistanat, outre qu'elle serait très coûteuse, ne ferait qu'accroître la dépendance des jeunes vis-à-vis de l'État. A ce sujet, la commission a adopté, dans son rapport d'avril 2002, une solution de compromis en deux étapes visant à une autonomie « responsable et solidaire », c'est-à-dire avec des contreparties attendues des jeunes qui bénéficieraient des mesures préconisées.
M. Jean-Baptiste de Foucauld a ensuite détaillé les cinq propositions de ce rapport :
- la mise en place d'un véritable service public d'aide à l'orientation ;
- l'instauration, approuvée par les partenaires sociaux, d'un droit pour tout jeune à accéder à une première expérience professionnelle ;
- une révision du système des bourses aboutissant à la mise en place d'une allocation versée à tout jeune en formation, sous condition de ressources de sa famille ;
- la possibilité de reporter cinq annuités de cette allocation dans le temps pour en bénéficier plus tardivement ;
- la mise en place progressive d'un « revenu contractuel d'accès à l'autonomie » pour les jeunes en difficulté ne bénéficiant ni de formation ni de revenu.
M. Jean-Baptiste de Foucauld a jugé que ces propositions demeuraient en grande partie valables. Tenant compte de l'impératif de rigueur budgétaire, il a préconisé de n'appliquer que les mesures les plus nécessaires et les plus efficaces, jugeant indispensable un diagnostic préalable des ressources financières des jeunes en fonction de leur situation. Il faut en effet déterminer le nombre de jeunes arrêtant leurs études pour des raisons financières, le niveau de rémunération de ceux qui exercent un emploi, la nature de la situation des jeunes recherchant un emploi et de celle des jeunes demeurant de façon prolongée à l'écart du système.
Il a précisé que les propositions de la commission avaient, en 2002, été chiffrées à 2 milliards d'euros, finançables par redéploiements de la prime pour l'emploi et de l'allocation de rentrée scolaire ainsi que par la suppression de la demi-part fiscale bénéficiant aux parents isolés d'enfants majeurs.
Dans le contexte actuel, aggravé par la récession économique, M. Jean-Baptiste de Foucauld a recommandé d'agir dans sept directions.
En premier lieu, il a estimé nécessaire de construire ensemble des engagements à l'égard des jeunes, selon une démarche analogue à celle du récent « Grenelle de l'insertion ». Dans cette perspective, il serait utile de disposer d'un rapport annuel sur la situation des jeunes, qui rendrait compte des évolutions en fonction d'objectifs et d'indicateurs prédéterminés, comme dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
M. Jean-Baptiste de Foucauld s'est ensuite déclaré favorable à une meilleure représentation des jeunes dans la société. Une instance plurielle d'expression de la jeunesse devrait intervenir dans les grands débats publics concernant les jeunes. A cet égard, il est regrettable que les emplois-jeunes aient été supprimés sans concertation préalable. Une meilleure représentation des jeunes au Conseil économique, social et environnemental est également une piste, à elle seule toutefois insuffisante. Les mouvements d'éducation populaire doivent par ailleurs être soutenus, pour sortir du dilemme entre individualisme et phénomènes de bandes.
Dans le contexte actuel de la crise économique, M. Jean-Baptiste de Foucauld a plaidé pour faciliter le maintien des jeunes en formation au cours de l'année à venir. Une réforme des bourses, facilitant leur report et accroissant la durée de leur versement, pourrait contribuer utilement à cet objectif.
Par ailleurs, il a jugé que les contrats aidés étaient devenus un instrument indispensable de régulation du marché du travail. Contestant la notion de « traitement social du chômage », il a recommandé que cet instrument conjoncturel ne soit pas utilisé dans une optique purement quantitative. La qualité des emplois aidés doit également être prise en considération. Il convient de privilégier les contrats à plein temps, d'une durée suffisante, et de les compléter par un accompagnement ou une formation adaptés. Cette mesure conjoncturelle serait ainsi porteuse de progrès structurels. Quant au nombre de contrats aidés à mettre en place, il faut le fixer en fonction de critères de coût et selon les objectifs à atteindre en termes notamment de diminution du chômage de longue durée.
M. Jean-Baptiste de Foucauld s'est ensuite interrogé sur l'avenir de Pôle Emploi et de l'assurance chômage. La nouvelle convention d'assurance chômage doit permettre le cumul des droits acquis au titre de deux contrats différents, dans une logique de sécurisation des parcours. L'universalisation de l'assurance chômage - qui suppose que les fonctionnaires y cotisent en contrepartie de la sécurité de leur emploi - doit permettre d'étendre les allègements de charges. L'insuffisance des moyens des missions locales et de Pôle Emploi est préoccupante : s'agissant des missions locales, leur charge budgétaire croissante conduit à diminuer le nombre de référents en raison de crédits insuffisants ; en ce qui concerne Pôle Emploi, les gains de productivité risquent de ne pas suffire à compenser l'alourdissement des charges, ce qui rend souhaitable de lisser les départs à la retraite et d'anticiper des embauches.
Abordant la question d'une extension du revenu de solidarité active (RSA) en faveur des jeunes, M. Jean-Baptiste de Foucauld a estimé que l'idée d'une entrée partielle des jeunes dans le RSA méritait d'être étudiée. Dans ce cas, la mesure devrait être adaptée de façon à s'appliquer aux différentes catégories de jeunes - et pas seulement aux étudiants - et être conditionnelle, sur le modèle du contrat d'autonomie préconisé en 2002 par la commission nationale pour l'autonomie des jeunes.
Enfin, il a mis en garde contre un service civique qui ressemblerait aux contrats aidés, considérant que la problématique du service civique devait être bien distinguée de celle de l'emploi. Il s'est déclaré favorable à la mise en place progressive d'un service civique universel et intergénérationnel.
Un débat s'est ensuite instauré.
M. Christian Demuynck, rapporteur, a tout d'abord remercié l'intervenant pour la qualité de son exposé. Il lui a demandé de détailler les deux principales propositions de la commission mise en place en 2001, à savoir l'allocation de formation et le contrat d'autonomie, et de préciser leur coût et leur lien avec le RSA. Puis il a sollicité son appréciation sur la relance des contrats aidés, en direction de 100 000 jeunes, récemment annoncée par le Gouvernement. Souhaitant des précisions sur quelques exemples étrangers, il a craint que la mise en place de dispositifs d'autonomie ne favorise l'inactivité des jeunes.
Remarquant que les jeunes se représentaient souvent défavorablement le travail en entreprise, Mme Annie Jarraud-Vergnolle a soulevé l'idée d'un rapprochement obligatoire entre l'école et le monde du travail dès l'enseignement secondaire. Elle a également évoqué la question de la validation par les jeunes de leurs acquis non scolaires, notamment dans les domaines associatif et culturel.
M. Yves Daudigny s'est demandé à quelles conditions ouvrir éventuellement le RSA aux jeunes et s'il fallait, pour ce faire, distinguer entre étudiants et non étudiants.
Jugeant que le modèle suédois était sans doute le plus intéressant, M. Jean-Baptiste de Foucauld a toutefois noté que la question des jeunes ne pouvait pas être traitée en faisant abstraction des grands compromis sociaux. En Suède notamment, les jeunes bénéficient d'aides publiques conséquentes, en contrepartie d'un fort développement de la formation en alternance. Il faut également se demander, de façon générale, si l'âge de la « majorité sociale » doit correspondre à celui de la majorité civique.
Il a ensuite détaillé la proposition d'allocation de formation, qui consiste en une revalorisation des bourses, leur extension en faveur des lycéens, et la possibilité d'un report dans le temps, ce qui correspondrait à la mise en place d'une sorte de « droit individuel à la formation » incombant à l'État.
Il a approuvé un rapprochement précoce entre les jeunes et le monde de l'entreprise, afin que l'initiation à la vie professionnelle ne soit pas trop tardive et qu'elle soit mise en oeuvre uniformément sur le territoire. Se prononçant pour un système allégé de validation des acquis, il a lié cette question à celle, plus large, des mécanismes de la reconnaissance sociale, tels qu'analysés par le philosophe Axel Honneth.
Enfin, s'agissant du RSA, il a considéré qu'on ne pouvait pas l'étendre aux étudiants qui travaillent et le refuser aux non-étudiants. Quelle que soit la formule retenue, la conditionnalité doit en être un aspect essentiel, l'autonomie devant s'inscrire dans un contrat avec la société.
Audition de Mme Cécile Van de Velde, maître de conférences à l'école des hautes études sur les sciences sociales
Enfin, la mission a procédé à l'audition de Mme Cécile Van de Velde, maître de conférences à l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS) et auteur de l'ouvrage « Devenir adulte en Europe. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe ».
Dans son exposé liminaire, Mme Cécile Van de Velde a procédé à un tour d'horizon européen des modes de passage de la jeunesse à l'âge adulte. Elle a précisé que la comparaison de trois modèles emblématiques - ceux du Danemark, du Royaume-Uni et de l'Espagne - permettait d'éclairer les traits distinctifs de la situation française en mettant en évidence les raisons pour lesquelles les jeunes Français subissent une « pression » éducative et sociale à l'insertion et au « placement » avant l'âge de 25 ans d'une intensité toute particulière en Europe et qui constitue une des clefs de compréhension de leurs comportements.
Elle a tout d'abord indiqué que, au Danemark, qui a mis en place une des politiques les plus avantageuses à l'égard de la jeunesse, prévalait - tout comme dans les autres pays scandinaves - une forme de jeunesse longue, indépendante et exploratoire, vécue dans une logique de développement personnel qui peut se résumer à la formule « se trouver ». Elle a précisé que le départ précoce de la famille - en moyenne à 21 ans - qui singularise les jeunes Danois se prolongeait par une longue période d'expérimentation, jusqu'à 30 ans environ, au cours de laquelle les trajectoires se caractérisent par des allers-retours entre vie solitaire et union libre, ainsi que par des alternances entre le statut d'étudiant et celui de salarié, jusqu'au terme potentiellement tardif des études. Elle a signalé que cette mobilité n'était pas vécue par les jeunes Danois comme une forme de précarité mais plutôt comme une condition nécessaire de la construction de leur personnalité et de leur positionnement progressif dans la société et l'économie.
Elle a souligné que cette structuration se fondait largement sur des politiques publiques de financement presque intégral de la vie étudiante, le Danemark ayant été un pays précurseur dans ce domaine. Mme Cécile Van de Velde a fait observer que, par contraste avec la segmentation des politiques françaises, les droits sociaux étaient ouverts sans distinction à toutes les trajectoires adultes, ce qui correspond à une tendance générale à l'uniformisation en Europe. Elle a précisé que, au Danemark, les bourses, accessibles sans limite d'âge, prenaient la forme de soixante-douze bons mensuels qui correspondent à des droits de tirage permettant de financer six années d'études : la personne dispose d'une entière liberté de gestion de sa scolarité financée à hauteur des deux tiers par sa bourse et d'un tiers par des prêts qui peuvent être allégés en cas de réussite au diplôme, pour un total d'environ 1 000 euros, sous certaines conditions de réussite aux examens et de suspension en cas de redoublement. En Norvège et en Suède, les poids respectifs de l'endettement et de la bourse sont presque inverses.
Mme Cécile Van de Velde s'est montrée prudente quant à l'éventuelle transposabilité d'un tel dispositif en France en précisant qu'il s'articulait, au Danemark, avec un contexte social, culturel et économique spécifique, et avec un marché du travail qui intègre les jeunes de façon satisfaisante. Elle a également signalé que cette politique avait été mise en place pour favoriser l'accès des jeunes aux études supérieures et contrecarrer une tendance des étudiants scandinaves au surendettement.
Puis Mme Cécile Van de Velde a évoqué les trajectoires d'accès à l'âge adulte dans le cadre plus libéral de la société britannique, en indiquant tout d'abord que le Royaume-Uni favorisait le développement d'une forme de jeunesse plus courte, orientée vers un accès rapide au statut social et familial d'adulte, l'individu étant invité à s'assumer dès que possible. Elle a précisé que l'indépendance résidentielle était tout aussi précoce qu'au Danemark (21 ans en moyenne) mais qu'elle n'était pas garantie financièrement par l'État et relevait plutôt de la responsabilité individuelle et de l'autofinancement par l'emploi ou l'endettement. Elle a insisté sur le caractère extrêmement valorisant, au Royaume-Uni, de ce statut d'indépendance en précisant que la norme sociale invitait l'individu à devenir adulte, c'est-à-dire à pourvoir à ses propres besoins : il en découle des durées d'études courtes et une intégration rapide sur le marché du travail. Elle a rappelé que le système de bourses avait été progressivement remplacé par une politique de prêts garantis par l'Etat et accordés à la grande majorité des étudiants, ce qui, compte tenu du coût élevé de l'enseignement, se traduit par un arrêt relativement précoce des études pour accéder à l'emploi. Elle a signalé que l'endettement, qui exerce aujourd'hui une très forte contrainte sur les trajectoires étudiantes, était au centre des débats suscités par les mouvements de jeunes Britanniques et que le Royaume-Uni devait relever le défi de l'allongement des études lancé par l'Europe dans le cadre de l'harmonisation des cursus d'enseignement supérieur qui s'organise désormais autour de trois diplômes : la licence, le master et le doctorat (LMD).
Mme Cécile Van de Velde a alors tracé les grandes lignes du « modèle méditerranéen » de maintien prolongé des jeunes au domicile parental, le départ étant reculé à un âge médian de 27 ou 28 ans. Elle a indiqué que ce maintien était considéré comme légitime tant que ne sont pas remplies les trois principales conditions d'entrée dans une situation adulte stable que sont l'achat d'un logement, le mariage ou, plus récemment, la vie de couple, et l'accès à l'emploi. Elle a expliqué l'élévation progressive de l'âge de la décohabitation, depuis les années 1980, par la double conjonction des normes culturelles légitimantes et de destins sociaux fortement marqués par le chômage, les sociétés méditerranéennes ayant tendance à restreindre leur ouverture aux jeunes qui subissent en conséquence de longues trajectoires de précarité. Elle a signalé que les mouvements sociaux se cristallisaient en Espagne, en Italie ou en Grèce, sur les faibles salaires des jeunes à l'issue de leur formation en citant l'exemple des « générations 700 euros », portées par des jeunes cadres ou professions libérales constatant l'insuffisance de leur rémunération.
Après avoir dressé ce panorama, elle a relevé le caractère hybride du cas français : l'acceptation partielle du maintien de la dépendance familiale qu'il comporte s'explique par la centralité des études et du premier emploi sur les trajectoires des jeunes. Elle a estimé que la focalisation sur l'obtention du diplôme et l'intériorisation de cette exigence par les jeunes apparaissaient comme une conséquence des caractéristiques de la société française, à la fois stratifiée et méritocratique.
Elle s'est dite fermement convaincue que la jeunesse française, plus que partout en Europe, était traversée par plusieurs tendances contradictoires. D'un côté, les normes d'indépendance sont, en France, plus précoces que celles des pays méditerranéens : l'âge médian de la décohabitation est de 23 ans. A cet égard, la possibilité de l'autonomie financière déclenche le départ des jeunes français du domicile familial mais elle n'intervient, dans les faits, que tardivement.
S'agissant des politiques publiques, Mme Cécile Van de Velde a relevé, aux plans fiscal et social, la valorisation et l'encouragement de la prise en charge des enfants par leurs parents, tout en insistant sur le sentiment de déclassement croissant des jeunes qu'accompagne le phénomène de surinvestissement dans le diplôme. Puis elle a qualifié d'extrêmement anxiogène pour notre jeunesse la double conviction selon laquelle, d'une part, le « salut » vient du diplôme et, d'autre part, le premier emploi marque du sceau de l'irréversible le statut social de l'adulte français. Ces thèmes sont d'ailleurs au centre des revendications portées par les mouvements étudiants.
Evoquant ensuite l'angoisse du retard scolaire alimenté par une « pression parentale » importante, elle a également signalé la très grande précocité et la linéarité des trajectoires d'études supérieures des jeunes Français par rapport à la moyenne européenne. Elle a noté que les syndicats d'étudiants relayaient cette focalisation sur l'horizon du premier emploi stable en défendant l'idée « très française » d'une allocation étudiante pour se consacrer exclusivement à la préparation d'un diplôme et en considérant l'emploi étudiant comme secondaire.
Elle a estimé que ces représentations étaient également alimentées par des politiques publiques construites sur un principe de spécialisation excessive des âges de la vie qui ne correspond plus à la mobilité actuelle des trajectoires.
Au titre des pistes de réflexion, elle a suggéré de :
- lever la linéarité et l'irréversibilité des parcours des jeunes en admettant le cumul de l'emploi avec la poursuite d'études ou en favorisant l'alternance ;
- développer les aides directes aux jeunes adultes pour favoriser leur accès à l'autonomie ;
- remédier au caractère trop segmenté de la conception française des parcours de vie et à la définition de seuils d'âge qui ne correspondent pas à la réalité, notamment en ouvrant les droits sociaux à l'ensemble des adultes.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, s'est félicitée du dynamisme et de la richesse des propos de l'intervenante en convenant qu'en France les parents avaient effectivement tendance à se polariser de façon excessive sur la réussite rapide de leurs enfants à un diplôme conçu comme le sésame de l'accès à un emploi stable.
Après avoir insisté sur le taux élevé de suicide des jeunes imputable à l'anxiété et à la pression parentale, Mme Maryvonne Blondin, a évoqué la pratique britannique de l'année de transition (« gap year ») conçue pour permettre aux jeunes étudiants de découvrir l'autonomie ou de s'investir dans des activités associatives et humanitaires. Mme Bernadette Bourzai a approuvé ces propos.
Mme Raymonde Le Texier, présidente, a alors fait observer que les employeurs français avaient tendance à considérer avec suspicion les zones d'incertitude du curriculum vitae des candidats à l'embauche.
Mme Cécile Van de Velde a estimé nécessaire d'infléchir les représentations des employeurs sur ce point pour les inciter à valoriser aussi le « hors scolaire ». Elle a indiqué qu'au Danemark, par exemple, l'année transitoire « rapporte des points » au moment de l'entrée à l'université.
Elle a ajouté que le taux de suicide français se situait, de manière générale, dans la moyenne européenne mais qu'il était plus élevé parmi les jeunes et qu'une corrélation pouvait être établie avec l'évolution du niveau des taux de chômage.
M. Christian Demuynck a demandé à l'intervenante comment le travail manuel était appréhendé chez nos voisins européens et si des différences notables se manifestaient dans le traitement des difficultés des jeunes dans les quartiers sensibles.
Mme Cécile Van de Velde a indiqué que, dans les pays scandinaves, les jeunes pouvaient occuper des emplois transitoires manuels ou non qualifiés déconnectés de leur niveau d'études sans pour autant éprouver un quelconque sentiment de dévalorisation. Elle a discerné, chez les jeunes générations françaises, une évolution des représentations traditionnelles et souligné, par exemple, leur volonté croissante de créer une entreprise.
Elle a ensuite évoqué les mouvements de jeunesse au Danemark, qui relèvent plus de la rébellion politique ou idéologique que sociale, et signalé que leur contenu idéologique se situe à l'opposé des problématiques françaises puisqu'il s'agit de stigmatiser l'apparition d'une « jeunesse dorée » financée par la générosité des bourses d'études.
M. Jean Desessard s'est alors interrogé sur la méthodologie employée par l'intervenante et sur l'évolution des conceptions de la jeunesse depuis trente ans. Se disant plutôt favorable à l'institution d'un « salaire étudiant », il s'est demandé comment éviter d'enfermer ses bénéficiaires dans une obligation trop rigide de poursuivre des études.
Mme Cécile Van de Velde a précisé que ses travaux se fondaient sur l'exploitation des statistiques du panel européen des ménages, complétée par plusieurs centaines d'entretiens approfondis conduits auprès de jeunes européens âgés de 18 à 30 ans.
Elle a ensuite indiqué que les difficultés économiques avaient joué un rôle révélateur et amplificateur du caractère « anxiogène » du modèle français méritocratique.
S'agissant des aides aux étudiants, elle a estimé que leurs modalités relevaient d'un choix politique, mais que le financement des études devait reposer partiellement sur un emploi, afin notamment de favoriser l'intégration professionnelle future. Elle a donc jugé souhaitable la conciliation d'une activité professionnelle avec les études par un aménagement adéquat des horaires de cours. Elle a également préconisé de favoriser les reprises de formation et de ne pas pénaliser la discontinuité des parcours.
Elle a enfin rappelé que, dans les pays nordiques, les bourses étudiantes étaient dégressives en fonction de la rémunération tirée de l'emploi, ce qui n'empêche pas la quasi-totalité des étudiants d'en solliciter l'octroi et d'occuper des emplois.
M. Martial Bourquin s'est interrogé sur les différences de comportement des jeunes en zone rurale, urbaine ou dans les quartiers difficiles.
Mme Cécile Van de Velde a répondu qu'on pouvait établir un parallèle entre la situation des jeunes isolés en zone rurale et celle des jeunes qui se sentent « piégés » dans les cités : ces deux catégories sont, en effet, soumises à des trajectoires d'insertion d'autant plus difficiles que certains jeunes éprouvent des difficultés à quitter des lieux qui ne leur offrent pas de débouchés professionnels mais où se concentrent leurs attaches identitaires et personnelles.
Enfin, en réponse à une question de M. Jean Desessard sur le service civique et le sentiment d'appartenance à une communauté, Mme Cécile Van de Velde a insisté sur l'importance de la dimension européenne. Elle a évoqué le rôle des bourses communautaires et estimé que, pour la jeunesse, le sentiment d'appartenance dominant relève aujourd'hui « à la fois du transnational et de l'ultra local ».