- Mardi 13 janvier 2009
- Mercredi 14 janvier 2009
- Loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 - Audition de M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale
- Mission au Moyen-Orient - Communication
- Situation dans les territoires palestiniens - Audition de M. Yves Aubin de la Messuzière, ancien ambassadeur, chercheur à l'Institut d'études politiques de Paris, et de M. Jean-François Legrain, chargé de recherche pour le CNRS
Mardi 13 janvier 2009
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 - Audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement
La commission a procédé à l'audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009-2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.
M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, après avoir évoqué le contexte général dans lequel s'inscrivait le projet de loi de programmation militaire, a précisé que les crédits d'investissement consacrés au programme 146 « Equipement des forces » devraient s'élever, sur les six années de la loi, à un montant total proche de 64 milliards d'euros, soit une moyenne de plus de 10,6 milliards d'euros par an. Il a souligné le niveau très significatif de cet effort qui bénéficiera du redéploiement intégral des économies réalisées sur les titres 2 (personnel) et 3 (fonctionnement) du budget de la mission défense. En 2014, les crédits d'investissement consacrés à l'équipement des forces devraient atteindre 12 milliards d'euros.
Le délégué général pour l'armement a indiqué que le projet de loi traçait les perspectives de l'équipement militaire à l'horizon 2020, ce qui devait garantir la cohérence entre la programmation 2009-2014 et la poursuite des programmes d'équipement au-delà de 2014. Les besoins de paiement estimés pour la phase 2015-2020 tenaient compte des opérations prévues au cours de la prochaine loi et intégraient les provisions correspondant à des programmes nouveaux qui seraient lancés au-delà de 2014.
M. Laurent Collet-Billon a ensuite signalé les principales caractéristiques du projet de loi en matière d'équipement militaire.
La dissuasion restera une priorité, avec le maintien et l'adaptation de ses deux composantes, dans le cadre du principe de stricte suffisance. Le 4e sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG) équipé du nouveau missile M 51 sera livré à la marine en 2010 et les 3 SNLE-NG actuels seront ensuite transformés pour recevoir le M 51. Les essais de ce nouveau missile balistique se déroulent dans des conditions remarquables. Pour la composante aéroportée, le missile ASMP-A entrera en service en 2009 sous Mirage 2000N, puis ultérieurement sous Rafale. Le projet de loi de programmation permet également la poursuite de la réalisation du laser mégajoule dans le cadre du programme de simulation.
La fonction « connaissance et anticipation » bénéficiera d'un effort soutenu, avec notamment le lancement du programme européen de satellites d'observation Musis, mais également des programmes dans le domaine de la géolocalisation et une amélioration des capacités en matière de drones.
Dans le domaine de la protection, l'un des éléments les plus notables sera, en fin de loi de programmation, le lancement d'un programme d'alerte avancée pour la détection des tirs de missiles balistiques.
Enfin, il a évoqué la fonction intervention qui regroupe la plupart des programmes majeurs intéressant les forces terrestres, navales et aériennes.
Abordant la préparation de l'avenir, le délégué général pour l'armement a indiqué que le projet de loi permettrait de consolider l'effort de recherche. Il a précisé que les crédits d'études-amont passeraient de 647 millions d'euros en 2009, hors plan de relance, à 721 millions d'euros en 2014. Une dotation supplémentaire de 100 millions d'euros est prévue par le plan de relance en 2009. Ces montants alloués sont conséquents, sans toutefois se situer sur une trajectoire de ralliement du niveau de un milliard d'euros qui reste un objectif souhaitable à terme.
Il a détaillé les principales priorités retenues en matière d'études de défense au cours de la loi de programmation : les premières réflexions sur le futur moyen océanique de dissuasion, les différentes capacités d'exploitation du renseignement, la radio logicielle, la protection des combattants, la sécurité et la lutte informatiques.
M. Laurent Collet-Billon a identifié trois facteurs susceptibles d'influer sur l'équilibre d'exécution de la future loi de programmation : les conditions de renégociation des contrats avec les industriels sur les programmes d'armement, la mise à disposition effective des ressources prévues pour l'équipement et les résultats à l'exportation.
S'agissant des renégociations de contrats liées aux nouveaux objectifs prévus par le projet de loi, M. Laurent Collet-Billon a précisé que certaines avaient déjà été conclues ou étaient en voie d'aboutir, dans des conditions favorables et avec des surcoûts très limités. Il a notamment cité les programmes de sous-marins Barracuda, d'équipements Felin, d'hélicoptères NH90 et de missiles sol-air futurs (FSAF).
Il a signalé que les discussions sur le programme de frégates européennes multi-missions (FREMM), dont le nombre avait été réduit de 17 à 11, étaient plus difficiles. Il a estimé que ce contrat devait intégrer les perspectives à l'exportation, même si celles-ci ne sont pas immédiates.
Il a également indiqué que les propositions effectuées par Eurocopter pour le programme Tigre et Nexter pour le programme VBCI n'étaient pas acceptables en l'état. Pour le Tigre, les perspectives à l'exportation doivent être prises en compte. Pour le VBCI, le plan de relance a permis d'écarter la remise en cause des cadences de livraison initialement envisagées.
Il a également évoqué les ajustements opérés avec MBDA sur les programmes de missiles et avec Dassault Aviation sur le programme Rafale, où le principe d'une cadence de production de 11 avions par an pourrait être retenu, en incluant les commandes nationales et des commandes à l'exportation qui devraient se concrétiser.
Enfin, il a indiqué que le déroulement actuel du programme d'avion de transport A400M préoccupe grandement la DGA.
M. Laurent Collet-Billon a évoqué l'importance d'une mise à disposition effective, dans les délais requis, des ressources exceptionnelles prévues par le projet de loi, notamment celles liées à la cession des fréquences au titre de laquelle 600 millions d'euros ont été inscrits au budget de 2009. Il a évoqué la question du financement du surcoût des opérations extérieures pour la part non budgétée, dont le financement ne devrait pas peser sur les crédits d'équipement.
M. Laurent Collet-Billon a mentionné les récents succès à l'exportation au Brésil, l'ensemble des exportations de l'industrie de défense y atteignant environ 6 milliards d'euros en 2008. Il a jugé ce contexte très favorable pour l'équilibre de l'activité des industriels.
Le délégué général pour l'armement a ensuite évoqué le nouveau processus de décision qui serait mis en place pour les investissements du ministère de la défense, et, en premier lieu, pour les programmes d'armement. Un comité d'investissement, interne au ministère et réunissant, sous l'autorité du ministre, le chef d'état-major des armées, le délégué général pour l'armement et le secrétaire général pour l'administration, approuvera toutes les grandes décisions d'investissement. L'instauration d'un comité financier où siègera la direction du budget devrait améliorer les procédures d'information et la coopération entre le ministère de la défense et celui du budget.
M. Laurent Collet-Billon a indiqué qu'au cours de la loi de programmation la DGA participerait à l'effort de réduction des formats et des coûts. Ses effectifs passeront de 13 500 à 10 000 personnes. Les principales fermetures concerneront le laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA) de Vernon et l'établissement technique d'Angers. Le centre d'études de Gramat (Lot) sera transféré au Commissariat à l'énergie atomique (CEA).
En conclusion, M. Laurent Collet-Billon a de nouveau souligné l'enjeu représenté par la renégociation de grands contrats avec l'industrie. Il a indiqué que les acquisitions en urgence opérationnelle pour les forces armées avaient représenté environ 100 millions d'euros en 2008 et que les actions d'amélioration du retour d'expérience, en liaison avec le terrain, verraient leur importance s'accroître. Il a également estimé que l'évolution des relations entre la France et l'OTAN conduirait certainement à ajuster le cadre dans lequel s'exerce la politique française d'équipement.
A l'issue de l'exposé de M. Laurent Collet-Billon un débat s'est ouvert au sein de la commission.
M. Josselin de Rohan, président, s'est inquiété de l'évolution du programme A400M qui semble se heurter à de graves difficultés. Il a ainsi souhaité savoir si le retard de trois ans, annoncé par la société EADS pour la livraison de l'appareil, était lié à des problèmes affectant le moteur ou d'autres éléments de l'avion. Il a évoqué l'audit en cours de réalisation par l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) au terme duquel les Etats parties prenantes pourraient statuer sur l'avenir du programme. Il s'est enfin interrogé sur les conséquences d'une éventuelle annulation de ce contrat, ce qui constituerait un grave échec de la coopération européenne, et sur la possibilité de solutions alternatives.
Dans sa réponse, M. Laurent Collet-Billon a en particulier souligné qu'une revue de programme, conduite par l'OCCAR, est en cours et associe des experts de chacune des nations parties au contrat ; ses conclusions devraient être rendues publiques vers la fin du mois de février. Il estime pour sa part prioritaire d'obtenir au plus vite d'EADS un calendrier de livraison engageant.
M. Didier Boulaud a souhaité obtenir des précisions sur l'avancement des deux projets de directives européennes composant le « paquet défense », qui visent à faire émerger un vrai marché européen de l'armement. Il s'est également interrogé sur le sort des 232 millions d'euros qui ont été investis par la France dans le projet de second porte-avions.
En réponse M. Laurent Collet-Billon a fourni les indications suivantes :
- ces directives doivent être soumises au Conseil de l'Union européenne au printemps prochain ; le Royaume-Uni y est très opposé, alors que la France estime ces dispositions raisonnables. L'opposition britannique semble de nature dogmatique puisque l'article 296 du traité européen pertinent dispose qu'un sujet relevant de la défense nationale dépend de l'absolue souveraineté des Etats : il est donc toujours possible d'évoquer cet article en cas de désaccord avec le contenu de ces textes. Au-delà du « paquet défense », on peut s'interroger sur le rôle que voudra jouer la Commission européenne dans le domaine de la défense ;
- les financements consacrés par la France au programme du second porte-avions correspondent à des travaux de bureaux d'études et au « droit d'entrée » acquitté pour avoir accès aux études britanniques ; les industries intéressées continuent à travailler sur ce projet mais sur financement exclusivement britannique. Le Président de la République française a décidé de réexaminer ce projet de second porte-avions en 2011. Au Royaume-Uni, sont constatés des retards d'environ un an pour la réalisation du premier de ces porte-avions et de deux ans pour le second.
M. André Vantomme s'est enquis de la possibilité de suppléer à l'absence de l'arrivée de l'A400M par une mutualisation européenne des avions de transport. Il a également relevé que la France venait de conclure avec le Brésil un contrat de vente d'hélicoptères d'un montant de 1,7 milliard d'euros, ce dont il s'est réjoui. Il a cependant exprimé la crainte que ces importantes exportations n'entravent les livraisons destinées à notre pays.
M. François Trucy, rapporteur pour avis de la commission des finances, a demandé comment s'effectuerait l'affectation des 22 300 équipements FÉLIN prévus par ce projet de loi de programmation, le nombre total d'équipements étant très inférieur à celui des utilisateurs potentiels. Il s'est félicité de la confirmation de la commande de 11 FREMM (frégate européenne multi-missions) et a souhaité connaître les modalités selon lesquelles elles se substitueront aux frégates actuellement en service.
M. Daniel Reiner s'est interrogé sur la participation de la DGA aux initiatives prises lors de la présidence française de l'Union européenne, notamment pour consolider la base industrielle et technique de défense (BITD) européenne. Il a relevé que le plan de relance actuellement soumis au Parlement comportait des mesures en faveur de l'équipement des forces armées, et a souhaité connaître les parts respectives des projets nouveaux et de l'accélération de projets déjà prévus par la loi de programmation militaire (LPM). Il a demandé des précisions sur le calendrier d'acquisition par la France d'avions ravitailleurs et sur les moyens permettant de soutenir l'activité des bureaux d'études des industriels français.
En réponse, M. Laurent Collet-Billon a apporté les éléments suivants :
- le domaine du transport militaire se prête particulièrement bien à une mutualisation entre pays européens et c'est certainement une voie dont l'approfondissement sera recherché ;
- le haut niveau d'exportations réalisées a conduit la société EUROCOPTER à réaménager son outil industriel pour permettre l'exécution des commandes contenues dans la prochaine LPM, parallèlement aux livraisons faites à l'exportation. La situation en matière d'hélicoptères est globalement positive : ainsi, 22 NH90 terrestres viennent d'être commandés et le NH90 naval doit encore prochainement remplacer, au prix de quelques améliorations, les Super-Frelon en fin de vie. Le Tigre a vu son standard qualifié et pourrait être prochainement envoyé en Afghanistan ;
- les équipements FELIN ne seront pas attribués individuellement à chaque fantassin ; des dotations seront affectées aux théâtres d'opérations et aux besoins de l'entraînement selon les principes adoptés pour la gestion des parcs de matériel des forces terrestres ;
- 11 FREMM seront réalisées contre 17 initialement prévues. Ce bâtiment, tout comme la frégate Horizon anti-aérienne, est doté d'un système d'armes considéré comme remarquable par tous les experts ;
- la DGA a effectivement été associée à la présidence française de l'Union européenne ; elle a ainsi organisé un séminaire entre les représentants des Etats et ceux des industriels qui a élaboré 24 propositions dont la mise en oeuvre a été confiée au nouveau directeur de l'AED, M. Alexandre Weis ; en revanche, la proposition de mutualiser 1 % des crédits de recherche européens en matière de défense s'est heurtée au refus britannique. Un accord a pu être conclu sur la transformation progressive de l'Agence européenne de défense en « pépinière » de programmes, associant officiers et ingénieurs responsables de ces programmes. L'Agence aura pour enjeu de faire passer les projets du stade de la préparation au stade du développement. Cet ensemble de décisions instaure un cercle vertueux en matière d'organisation industrielle et de développement des programmes ;
- le plan de relance comporte un élément nouveau au regard de la LPM, avec la commande de 5 hélicoptères Caracal supplémentaires - ce choix étant lié aux exigences des opérations menées en Afghanistan où les deux engins de ce type déjà présents sont très utilisés ; le plan de relance permet également de revenir à la cadence initiale de fabrication envisagée pour les véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) et porte à 52 au lieu de 50 le nombre de Rafale livrés. Un troisième bâtiment de projection et de combat (BPC) devrait également être construit, la vente à un pays étranger d'un bâtiment de transport de la génération précédente étant envisagée. Au total, le plan de relance comporte comme seul élément nouveau la commande des Caracal, le reste des projets énumérés consistant en une anticipation des projets planifiés ; au total, plus de 20 milliards d'euros de commandes devraient intervenir en 2009 ;
- la réalisation des avions ravitailleurs multi-rôles ne pose pas de problème technique puisque l'Arabie saoudite comme l'Australie possèdent déjà ce type d'appareil. La priorité n'a cependant pas porté sur leur commande car il est possible de louer des capacités d'affrètement par le recours à des avions C-17 ou à des Antonov grâce au programme SALIS (Strategie Airlift Solution) ;
- tous les bureaux d'études des grandes industries françaises disposent d'un financement suffisant pour poursuivre leurs travaux : ainsi, des études nouvelles en matière de missile ont été demandées en juillet dernier à MBDA ; la société Dassault dispose d'un plan de charge substantiel et des études ont été confiées à Thalès en matière d'électronique militaire. Le secteur naval bénéficie quant à lui du développement des FREMM et des sous-marins Barracuda.
M. Jean Milhau a souhaité obtenir des précisions sur le transfert du centre d'études de Gramat de la DGA au CEA.
En réponse, M. Laurent Collet-Billon a précisé que ce transfert, effectué dans le cadre de la réduction de format de la DGA, tenait compte de la proximité des activités réalisées à Gramat avec certaines compétences du CEA. Les investissements et les compétences actuellement répartis entre les deux entités seront désormais regroupés au sein du CEA, le centre de Gramat étant bien entendu pérennisé. Les personnels de la DGA se verront proposer un contrat de travail par le CEA. En outre, des dispositions réglementaires seront prises pour que les agents qui accepteront ce contrat puissent conserver, parallèlement, leur qualité d'agent public.
M. Didier Boulaud, évoquant les moyens dégagés pour maintenir les compétences technologiques françaises dans le domaine des avions de combat, s'est interrogé sur la possibilité d'aborder dans un cadre européen la préparation de la prochaine génération d'appareils.
En réponse, M. Laurent Collet-Billon a précisé que des contacts avaient été pris avec le Royaume-Uni pour réfléchir à l'élaboration de l'avion non piloté du futur. Au-delà du démonstrateur NEURON, développé par Dassault et d'autres industriels européens, il est possible d'imaginer un NEURON 2 visant à réaliser un avion armé non piloté en coopération avec British Aerospace (BAe). Le développement d'un tel projet ne peut s'envisager qu'en pleine coopération entre tous les pays européens.
M. Josselin de Rohan, président, a souhaité obtenir des précisions sur l'avenir de la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE), dont le projet de loi autorise la privatisation. Il s'est également interrogé sur le niveau des crédits de recherche prévu par le projet de loi.
En réponse, M. Laurent Collet-Billon a indiqué qu'une partie des activités de la SNPE rejoindrait la société SAFRAN dans le cadre du projet de consolidation de la filière française de la propulsion solide et que le nouveau Président-directeur général de SNPE avait également reçu pour mission de rechercher les solutions industrielles optimales visant à pérenniser les activités des autres branches du groupe. Il a reconnu que le financement en matière de recherche aurait mérité d'être supérieur et qu'il convenait que la DGA fasse preuve d'une plus grande réactivité face aux projets proposés par les PME.
Mercredi 14 janvier 2009
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 - Audition de M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale
La commission a procédé à l'audition de M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009-2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.
M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que le secrétaire général de la défense nationale avait assuré le secrétariat général de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, et qu'il avait à ce titre participé à l'élaboration d'un document dont le projet de loi de programmation militaire découlait directement.
Il a souhaité que M. Francis Delon précise la manière dont le projet de loi avait pris en compte la nouvelle approche, plus globale, de la défense et de la sécurité nationale, telle qu'elle apparaît dans le Livre blanc, et qu'il présente les modifications prévues en conséquence dans l'organisation des pouvoirs publics.
Il a également indiqué que les articles 12, 13 et 14 du projet de loi, sur lesquels la commission des lois souhaitait être saisie pour avis, concernaient les modalités de protection du secret de la défense nationale dans les procédures de perquisition judiciaire et qu'il était important de connaître les raisons ayant conduit à proposer de modifier le cadre juridique actuel, à la suite d'un avis du Conseil d'Etat.
M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale, a tout d'abord rappelé, dans ses grandes lignes, l'analyse du contexte stratégique effectuée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui a inspiré la préparation du projet de loi de programmation militaire.
Il a évoqué les différents types de crises ou de conflits pouvant affecter la sécurité de la France et il a plus particulièrement mentionné trois menaces qui se sont accrues ces dernières années et placent notre pays et l'Europe dans une situation de plus grande vulnérabilité directe.
Le terrorisme mondial d'inspiration islamiste est la première d'entre elles et constitue une menace durable pour notre territoire ou pour nos ressortissants et nos intérêts à l'étranger. Des tendances particulièrement inquiétantes apparaissent dans le recrutement et la formation des terroristes : un profil de plus en plus anodin les rendant difficilement détectables, une facilité de déplacement accrue grâce à la banalisation des transports internationaux et une grande diversification de leurs modes d'action testés dans les zones de combat et souvent diffusés via l'internet.
La prolifération nucléaire, radiologique, biologique et chimique constitue également une menace majeure qui, conjuguée à la prolifération balistique, constitue dès aujourd'hui un enjeu primordial pour la sécurité internationale.
Enfin, le Livre blanc a mis en exergue l'importance d'une menace nouvelle, la cyber menace, dont le rapport de M. Roger Romani publié en juillet a détaillé les implications.
La mondialisation des risques et menaces a pour effet d'estomper la distinction entre la sécurité extérieure et intérieure, une continuité se créant entre les situations de crise ou de conflit, même dans les points les plus éloignés de la planète, et le risque qui pourrait en résulter pour nos intérêts.
Le Livre blanc a identifié quatre zones critiques pour la sécurité de la France : le continent européen, l'Afrique sub-saharienne, l'Asie et un arc de crise s'étendant de l'Atlantique à l'ouest de l'Afrique jusqu'à l'Océan indien. Le risque, nouveau, d'une connexion des conflits se dessine ainsi, entre le Proche et le Moyen-Orient et la région du Pakistan et de l'Afghanistan.
Innovation majeure, le Livre blanc prend en compte de façon globale nos intérêts de sécurité, sans les limiter aux questions militaires, et il définit une stratégie de sécurité nationale répondant à l'ensemble des risques et des menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation. Il souligne également l'ambition européenne et internationale de la France pour laquelle l'Union européenne doit devenir un acteur majeur de la gestion des crises et de la sécurité internationale, en complémentarité avec l'OTAN dont la rénovation est nécessaire.
Cette stratégie de sécurité nationale repose sur un équilibre nouveau entre cinq grandes fonctions stratégiques : la connaissance et l'anticipation, érigées en priorité, qui constituent notre première ligne de défense et doivent garantir notre autonomie de décision ; nos capacités de prévention des conflits, grâce notamment à nos moyens pré-positionnés ; la protection de la population et du territoire français, qui implique de pouvoir protéger la nation face à des crises de grande ampleur tout en augmentant sa capacité de résilience ; la dissuasion nucléaire, qui demeure un fondement essentiel de la stratégie nationale et constitue la garantie ultime de la sécurité et de l'indépendance de la France ; enfin, la capacité d'intervention, avec l'objectif de pouvoir projeter jusqu'à 7 000 à 8 000 km une force terrestre pouvant comporter 30 000 hommes déployables en six mois pour une durée d'un an, force à laquelle s'ajoutent 70 avions de combat, un groupe aéronaval et deux groupes maritimes.
Le projet de loi de programmation militaire traduit des choix capacitaires et budgétaires cohérents avec les orientations du Livre blanc.
De la priorité accordée à la nouvelle fonction « connaissance et anticipation » résulte un effort dans le domaine du renseignement. Les effectifs des services de renseignement seront ainsi renforcés de près de 700 personnes durant la période de la LPM. En matière d'observation spatiale, les satellites optiques du système Pléiades à partir de 2010 et le programme européen MUSIS permettront de compléter ou de renouveler les capacités actuelles.
S'agissant de la protection, une capacité de détection et d'alerte avancée sera progressivement développée pour faire face aux menaces balistiques potentielles ; deux microsatellites préparatoires Spirale seront lancés cette année et le développement d'un satellite de détection opérationnel débutera en 2011 pour une mise en service en 2019 conformément à l'objectif du Livre blanc.
Face à la menace informatique, la protection des réseaux sera coordonnée par une nouvelle agence de la sécurité des systèmes d'information placée sous la tutelle du futur secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
Dans le domaine NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), la modernisation des unités NRBC des armées sera achevée en 2010. La coordination civilo-militaire sera renforcée avec la création d'un comité stratégique interministériel de défense NRBC qui s'est déjà réuni le 19 décembre dernier, et le renforcement de l'interopérabilité entre unités NRBC de protection civile et militaire.
En matière d'intervention, le transport stratégique et tactique ainsi que la protection des forces constituent des priorités.
M. Francis Delon a ensuite présenté les conséquences des orientations du Livre blanc sur l'organisation des pouvoirs publics en matière de défense et de sécurité nationale.
Un conseil de défense et de sécurité nationale, présidé par le chef de l'État, se substituera au conseil de défense et au conseil de défense restreint, et, pour partie, au conseil de sécurité intérieure créé en 2002. Ses compétences porteront sur l'ensemble des questions de défense et de sécurité nationale. Il traitera de sujets tels que la programmation militaire, la politique de dissuasion, la programmation de sécurité intérieure, la sécurité économique et énergétique, la lutte contre le terrorisme ou encore la planification des réponses aux crises majeures.
Ce conseil pourra se réunir en formations spécialisées, comme le conseil national du renseignement, ou en formation restreinte, pour traiter par exemple des questions touchant à la conduite des opérations extérieures.
Le conseil national du renseignement, présidé par le Président de la République, se substitue à l'actuel comité interministériel du renseignement présidé par le Premier ministre, en ayant des fonctions plus larges que le comité. Il fixera les grandes orientations et répartira les objectifs assignés aux services de renseignement. Il réunira les membres du Conseil de défense et de sécurité nationale, ainsi que le coordonnateur national du renseignement nommé à la Présidence de la République, les directeurs des services de renseignement et le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Le coordonnateur national du renseignement, point d'entrée des services de renseignement auprès du Président de la République, veillera à la planification des objectifs et des moyens du renseignement. Il préparera les décisions du conseil national du renseignement et en suivra l'exécution. Cette volonté de piloter et de coordonner les activités de renseignement au plus haut niveau de l'État illustre très concrètement l'importance accordée à la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation ».
Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, SGDSN, reprendra les attributions de l'actuel SGDN en les étendant aux champs élargis de la sécurité nationale, au sens défini par le Livre blanc. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale assurera ainsi le secrétariat de tous les conseils - conseils en formation plénière ou en formations spécialisées, et conseils restreints.
Ces différentes dispositions seront complétées par des textes réglementaires d'application. Elles s'accompagneront d'une refonte plus globale des dispositions du code de la défense (notamment issues de l'ordonnance de 1959 portant organisation générale de la défense) devenues obsolètes au regard des orientations du Livre Blanc.
M. Francis Delon a également détaillé les dispositions des articles 12 à 14 du projet de loi, qui concernent la protection du secret de la défense nationale et visent à remédier à une lacune et à un déséquilibre du dispositif légal actuel, dommageables pour les intérêts de l'Etat, en conciliant les deux intérêts publics que sont la mission du service public de la justice et la préservation du secret de la défense nationale.
En l'état des textes en vigueur, la consultation de documents, telle qu'elle peut être effectuée lors d'une perquisition, est susceptible de constituer une compromission sanctionnée par les dispositions relatives à la protection du secret de la défense nationale.
De façon très paradoxale, le dispositif législatif et réglementaire protège mieux, en cas de perquisition, les secrets professionnels privés, tels ceux des avocats, des avoués, des huissiers, des médecins et des journalistes, que les secrets de la défense nationale.
Le Conseil d'Etat a indiqué, dans un avis du 5 avril 2007, que ni les juges, ni les officiers de police judiciaire mandatés par les juges, n'ont qualité pour connaître des secrets de la défense nationale. Il a explicitement souligné la nécessité de légiférer pour instaurer des règles précises de nature à permettre l'intervention de l'autorité judiciaire dans des lieux où peuvent se trouver des informations classifiées.
Le dispositif proposé permet aux magistrats d'exercer pleinement leurs fonctions tout en leur évitant les risques de compromission grâce à l'intervention du président de la commission consultative du secret de la défense nationale, autorité administrative indépendante créée par la loi du 8 juillet 1998.
La première modification proposée par le projet de loi vise à organiser d'une manière plus protectrice du secret de la défense nationale les perquisitions dans les lieux qui abritent des documents classifiés. Les magistrats pourront continuer à effectuer des perquisitions dans de tels lieux, s'ils estiment que celles-ci sont nécessaires à l'enquête et à l'instruction, mais le projet prévoit la présence obligatoire du président de la commission consultative du secret de la défense nationale ou de l'un de ses représentants. Celui-ci pourra avoir accès aux documents classifiés sans risque de compromission et pourra donc, en fonction du motif des recherches indiqué par le juge, faire le tri des documents qui pourraient être utiles à ce dernier. Dans un deuxième temps, la procédure habituelle d'éventuelle déclassification des documents sera mise en oeuvre, après que la commission aura donné son avis.
La liste des lieux abritant des documents classifiés devra être établie par l'administration. Le juge y aura accès et pourra donc prendre les dispositions nécessaires lorsque ses investigations le conduisent dans de tels lieux.
La seconde modification majeure consiste à introduire la notion de lieux classifiés. Il s'agira des lieux dont le simple accès donne, immédiatement et nécessairement, connaissance d'un secret de la défense nationale. La liste de ces lieux sera très limitative et comportera des installations militaires ou de renseignement couvertes par le secret de la défense nationale, tels que certains centres de commandement ou centres opérationnels liés à la dissuasion nucléaire, ou bien des lieux qui sont liés au renseignement électromagnétique ou par imagerie. La liste de ces lieux sera fixée par le Premier ministre, après avis de la commission consultative du secret de la défense nationale.
Si une perquisition dans de tels lieux s'avérait nécessaire, le projet de loi prévoit qu'il serait possible de procéder à leur déclassification temporaire pour permettre au magistrat d'y pénétrer. Cette déclassification s'effectuerait après avis de la commission consultative du secret de la défense nationale.
M. Josselin de Rohan, président, a souhaité savoir si les 700 emplois supplémentaires prévus par le projet de loi de programmation au profit de la fonction « connaissance et anticipation » concernaient exclusivement les services de renseignement, où s'ils incluaient également d'autres actions, notamment la défense informatique.
M. Francis Delon a répondu que ces 700 créations d'emplois bénéficieraient pour l'essentiel à la DGSE qui pourrait ainsi renforcer ses effectifs dans certaines spécialités techniques. S'agissant des moyens dévolus à la cyberdéfense, un effort important a été décidé mais il n'est pas retracé dans le projet de loi de programmation dans la mesure où il ne relève pas de la mission « défense ». Dans le cadre de la mise en place de la future agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, un quasi-doublement des effectifs sur trois ans a été prévu, le nombre des personnels étant porté de 130 actuellement à 250.
M. Daniel Reiner a estimé que la redéfinition des attributions au sein de l'exécutif résultant des travaux du Livre blanc se traduirait par un renforcement des prérogatives du Président de la République. Il s'est demandé ce qu'il adviendrait du rôle du Premier ministre. Il a par ailleurs souhaité savoir si les conséquences d'un éventuel retour de la France dans la structure de commandement de l'OTAN, esquissé dans le Livre blanc, avaient été prises en compte dans le projet de loi de programmation.
M. Roger Romani s'est réjoui que le Livre blanc marque une inflexion significative dans la prise en compte de la menace d'attaques informatiques. Il a souhaité que des objectifs précis soient assignés à la future agence de la sécurité des systèmes d'information, afin d'obtenir rapidement des progrès concrets. Il a notamment souligné la nécessité de disposer d'un centre de détection permanent et de permettre à l'agence d'agir réellement auprès des différentes administrations et des entreprises afin qu'elles tiennent compte de ses recommandations en matière de sécurité de leurs réseaux. Il a aussi évoqué le nécessaire développement de produits de sécurité labellisés.
M. Didier Boulaud a demandé des précisions sur les modalités et l'état d'avancement de la mise en place des nouvelles structures prévues par le Livre blanc, à savoir le conseil de défense et de sécurité nationale, le conseil national du renseignement et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
Mme Gisèle Gautier s'est interrogée sur les moyens consacrés à la fonction de prévention.
En réponse à ces questions, M. Francis Delon a apporté les précisions suivantes :
- la nouvelle organisation institutionnelle en matière de défense et de sécurité nationale n'apporte pas de changement fondamental aux prérogatives du Président de la République ; celui-ci est le chef des armées et préside déjà le Conseil de défense et le Conseil de sécurité intérieure ; l'innovation principale touche au domaine du renseignement, dans lequel la fonction de coordination, actuellement dévolue au Comité interministériel du renseignement présidé par le Premier ministre, sera effectivement transférée au niveau du Président de la République, qui présidera le Conseil national du renseignement et auprès duquel sera placé un coordinateur chargé de préparer et mettre en oeuvre les décisions de ce Conseil ; cette réforme, destinée à rendre plus effective la coordination nécessaire du renseignement, ne remet pas en cause l'implication du Premier ministre, membre de toutes les instances décisionnelles, dans la politique de défense et de sécurité ;
- en ce qui concerne la position de la France vis-à-vis de l'OTAN, le Livre blanc a très clairement indiqué qu'il ne fallait pas opposer la politique européenne de sécurité et de défense et l'OTAN, les deux instruments étant complémentaires dans un contexte international où le nombre d'opérations de rétablissement ou de maintien de la paix s'est fortement accru ; la référence aux décisions du Conseil de sécurité des Nations unies comme fondement de toute intervention militaire extérieure a été rappelée ; par ailleurs, aucune décision sur une évolution de notre participation aux structures de l'Alliance atlantique n'ayant été prise pour le moment, ce point n'a pas été pris en compte par le projet de loi de programmation militaire ;
- les travaux du Livre blanc établissent que la menace d'attaques informatiques ira inévitablement en s'accentuant, qu'elle émane de groupes, éventuellement terroristes, ou d'Etats ; face à l'insuffisance de nos moyens, le Livre blanc permettra d'effectuer un pas très important, avec la création d'un centre de détection des attaques informatiques et l'attribution à l'agence de la sécurité des systèmes d'information de moyens humains la plaçant en situation d'agir plus efficacement auprès des administrations ou de développer la mise en place de produits sécurisés ; par ailleurs, il ne sera pas possible de faire l'impasse sur les capacités de lutte informatique offensive ;
- les textes réglementaires permettant la mise en place des nouvelles instances prévues par le Livre blanc, ainsi que la transformation du SGDN en secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, sont déjà très largement préparés et pourront intervenir très rapidement après la promulgation de la loi de programmation militaire ; la fonction de coordonnateur du renseignement a déjà été instituée ;
- les forces prépositionnées constituent l'un des instruments au service de la prévention des crises ; le Livre blanc prévoit que ces forces, qui constituent une spécificité française au regard de nos partenaires européens, seront maintenues, dans le cadre d'un dispositif rationalisé ; il est en effet apparu qu'elles jouaient un rôle stabilisateur dans les régions où elles sont implantées.
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois, a approuvé l'économie générale des dispositions relatives à la protection du secret de la défense nationale dans les procédures de perquisition prévues par le projet de loi ; il s'est félicité que les principes retenus soient cohérents avec ceux régissant déjà les perquisitions dans des domaines où s'applique le secret professionnel, par exemple dans les cabinets d'avocats ; il a souhaité connaître l'ordre de grandeur des procédures de réquisition ayant concerné des questions couvertes par le secret de la défense nationale.
M. Francis Delon a précisé que le dispositif proposé visait notamment à garantir la protection des secrets détenus par les services de renseignement dans des conditions proches de celles aujourd'hui prévues pour le secret professionnel des avocats ; il a estimé que le nombre de cas dans lesquels cette procédure pourrait jouer serait certainement de l'ordre de quelques unités.
Mission au Moyen-Orient - Communication
Puis la commission a entendu le compte rendu de la mission effectuée au Moyen-Orient (premier déplacement : Arabie saoudite, Yémen, Abu Dhabi, Dubaï, Qatar) du 19 au 30 octobre 2008 par M. Jean François-Poncet et Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a tout d'abord rappelé les différentes étapes du déplacement dans la péninsule arabique qui a successivement conduit la délégation en Arabie saoudite, au Yémen, au Qatar et dans les Emirats arabes unis. Elle a précisé que cette mission avait été précédée de 19 auditions de diplomates, de chercheurs ou encore de membres des services de renseignements. La délégation a complété les 46 entretiens effectués au cours de la mission par une série de lectures qui lui ont apporté un éclairage décisif notamment sur les équilibres politiques à l'oeuvre en Arabie saoudite et sur les modes de légitimation de la famille Saoud face aux tribus. Elle a souhaité apporter, en complément des propos de M. Jean François-Poncet, des précisions sociologiques, géographiques et historiques.
Interrogée par M. Didier Boulaud sur les origines d'Oussama ben Laden, elle a indiqué qu'il était issu d'une grande famille de la bourgeoisie commerçante yéménite, alliée avec des familles du Hedjaz et originaire de l'Hadramaout, région frontalière de l'Arabie.
Elle a indiqué que la péninsule arabique était vue comme un grand tout alors qu'elle est marquée par les particularismes et autant de méfiances. Deux Etats de la péninsule sont très peuplés, l'Arabie saoudite, très riche, et le Yémen, très pauvre. Dans les autres Etats, la population est essentiellement étrangère. Il n'y a que 800 000 dubaïotes à Dubaï, le reste de la population est composé d'une majorité d'Indiens, de Vietnamiens ou encore de Népalais, ce qui pose un vrai problème d'identité et d'existence nationale.
L'autre trait marquant de la région est le manque d'eau. Les principales villes du Yémen ne sont pas approvisionnées en eau. Dubaï est dépourvue de systèmes d'assainissement, ce qui conduit à des situations assez effrayantes.
La réserve démographique de la région est le Yémen, alors que les Saoudiens imaginent de construire un mur sur la frontière.
M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que le Yémen semblait une proie pour les islamistes.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a estimé que ce pays, réunifié très récemment, où le pouvoir est usé, pourrait devenir un futur Afghanistan. Le président a tenu le pays, très pauvre, par une politique du « carnet de chèques ». Le voisinage de l'Erythrée et de la Somalie, avec leurs flux de réfugiés, est une source supplémentaire de déstabilisation.
M. Jean François-Poncet a rappelé que la mission confiée par le bureau de la commission avait le double objectif de publier un rapport d'information sur la situation du Moyen-Orient qui serait suivi d'un colloque. Ce rapport devra s'attacher à faire ressortir les caractéristiques principales de la région et à en évoquer les perspectives, en ayant à l'esprit ce que devrait être la politique européenne, la position et les intérêts de la France. Il a indiqué qu'en complément des quatre déplacements dans la région, une mission était prévue aux Etats-Unis, dont la politique constitue une des inconnues pour l'avenir du Moyen-Orient.
Evoquant les nombreuses auditions réalisées par les rapporteurs, il s'est déclaré frappé par la compétence des personnes travaillant en France sur le sujet. Il a indiqué que le déplacement dans la péninsule arabique répondait à deux préoccupations : se faire une idée des problèmes de la péninsule et de la façon dont ses dirigeants voient le Moyen-Orient.
Evoquant l'Arabie saoudite, il a indiqué que bien qu'un des analystes auditionnés ait décrit une situation prérévolutionnaire, ce n'est pas le sentiment qu'en avait retiré la délégation. Après la période de grande incertitude qui a suivi les événements de 2003, l'Arabie reste le pilier de la région, l'Etat le plus peuplé, dont le rôle régional et mondial, notamment comme premier producteur de pétrole de la planète, reste considérable. Le roi Abdallah, qui a exercé la réalité du pouvoir en qualité de prince héritier pendant longtemps, est un homme ferme et prudent, un réformateur déterminé, mais précautionneux. Il a fait adopter en 2006 une loi successorale créant un conseil d'allégeance qui comprend les enfants du roi Abdelaziz Ibn Seoud ou leur descendance, soit 35 membres chargés de désigner le successeur du roi. Il est assisté d'un comité médical qui peut constater une éventuelle incapacité. C'est un organisme stabilisateur alors que le saut de génération que constituera le passage aux petits-enfants du roi Abdelaziz est potentiellement source de déstabilisation.
La sécurité intérieure a été rétablie par une action policière à la fois efficace et intelligente qui s'accompagne d'une politique de réinsertion des personnes impliquées dans les attentats, que la hausse des prix du pétrole a permis d'accompagner financièrement.
Le pays dispose d'énormes ressources financières, 550 milliards de dollars de réserves et mène une politique de développement économique plus intelligente que lors des deux chocs pétroliers, marquée par la diversification et la construction d'infrastructures.
Pour autant, le pays n'est pas sans présenter certaines fragilités.
Il accueille 7 millions de travailleurs étrangers et comporte une minorité chiite installée dans les régions pétrolières et une minorité ismaélienne à la frontière du Yémen.
Les classes moyennes se jugent ignorées face au poids des religieux et une grande partie des jeunes est au chômage. On note cependant une évolution sociale certaine, notamment celle des femmes, dont le rôle dans les entreprises et les administrations est croissant.
Grâce au pétrole, à sa richesse financière, à son rôle de gardien des lieux saints, l'Arabie a un poids régional et mondial considérable. Ses prises de position internationales sont très retenues. Le plan de paix du roi Abdallah proposait ainsi le retour d'Israël dans les frontières de 1967 contre une normalisation des relations avec l'ensemble des Etats arabes. A la demande du président Karzaï, l'Arabie a engagé une entreprise de médiation en direction des Talibans.
Evoquant les Etats du Golfe, M. Jean François-Poncet a indiqué qu'ils étaient marqués par la faiblesse des populations autochtones. Le Qatar est le premier producteur mondial de gaz et dispose de ressources financières en proportion. Son rôle politique et de sécurité est moins lié à des moyens militaires propres qu'à la présence des forces américaines dans la région et à son rôle diplomatique qui contribue aux négociations de crises régionales. La place de la France a crû dans les Emirats où Abu Dhabi est son principal point d'appui. La France a signé avec ce pays un accord de défense en 1996, décision concrétisée par l'ouverture d'une base militaire française.
Evoquant ensuite le Yémen, M. Jean François-Poncet a considéré que s'il était vu en Arabie comme un Etat failli, ce n'est pas encore le cas. Des régions entières échappent certes à l'autorité du pouvoir central. Le nord, zaydite, est marqué par la rébellion huttiste qui a réussi à se maintenir face à l'offensive gouvernementale. Le sud, très longtemps autonome, est en sécession virtuelle. Le reste du pays est constitué de hautes vallées peuplées de tribus très autonomes. Des prises d'otages et des attentats ont lieu dans le pays, l'ambassade des Etats-Unis ayant été attaquée en mars 2008. Il semble qu'il y ait une communication régulière entre l'état-major de Ben Laden et certains groupes yéménites, mais il n'y a pas de traces de relations avec l'Iran.
Marqué par une natalité très élevée, le Yémen est le talon d'Achille sécuritaire de cette région, il faut par conséquent lui accorder de l'attention. L'Arabie saoudite est lasse de soutenir financièrement ce pays où la corruption est très importante. Elle a décidé d'installer une barrière électronique à la frontière.
Le président Saleh a été élu à deux reprises au suffrage universel sans que la sincérité du scrutin ait été mise en cause, mais son pouvoir ne s'étend pas très au-delà de la capitale, ce qui ne donne pas du pays une image très rassurante.
Evoquant enfin la perception par les Etats de la péninsule arabique des grands problèmes du Moyen-Orient, il a observé que si la question palestinienne était mise en avant, la véritable préoccupation de ces Etats était la nucléarisation de l'Iran. L'Arabie saoudite suit de près les événements du Liban avec le sentiment que l'Iran ne renoncera pas à son influence et fera durer les négociations. Questionnés sur ce qu'il convient de faire, les officiels font part de leur opposition à des frappes sur l'Iran, tandis que les think tanks considèrent qu'au-delà des positions officielles de façade elles paraissent à certains comme souhaitables et inéluctables, l'Iran n'étant en aucune façon disposé à renoncer à son programme nucléaire militaire.
Tous ont le sentiment que l'Irak n'éclatera pas et, tout en étant terriblement critique à l'égard de la politique menée par le président Bush, aucun n'envisage sérieusement le départ des Américains.
Situation dans les territoires palestiniens - Audition de M. Yves Aubin de la Messuzière, ancien ambassadeur, chercheur à l'Institut d'études politiques de Paris, et de M. Jean-François Legrain, chargé de recherche pour le CNRS
La commission a enfin procédé à l'audition de M. Yves Aubin de la Messuzière, ancien ambassadeur, chercheur à la chaire Moyen-Orient et Méditerranée de l'Institut d'études politiques de Paris, et de M. Jean-François Legrain, chargé de recherche pour le CNRS au GREMMO (Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient) à Lyon, sur la situation dans les territoires palestiniens.
M. Josselin de Rohan, président, a tout d'abord indiqué que cette audition avait pour objet d'éclairer la Commission, dans la perspective du débat en séance publique sur Gaza, sur la question du Hamas, un mouvement devenu incontournable depuis sa victoire aux élections législatives de janvier 2006 mais également inscrit sur la liste des organisations terroristes.
M. Yves Aubin de la Messuzière a rappelé qu'il avait eu, à plusieurs reprises, des contacts avec la direction politique du Hamas à Gaza. Il a ensuite analysé la situation actuelle comme une tragédie annoncée, compte tenu du contexte général de blocage du processus de paix et relevé qu'en faisant abstraction de la moitié de la Palestine, le processus d'Annapolis était déconnecté de la réalité. De plus, qu'on qualifie le mouvement Hamas de résistance ou de terroriste, il est avant tout une réalité politique et sociale. Même si peu d'éléments ont filtré des négociations, il semble qu'Annapolis marque une régression par rapport aux négociations de Camp David et de Taba.
Le contexte politique en Israël a eu un effet dans le déclenchement de l'offensive, sous l'effet de la surenchère entre les candidats. Les rivalités intrapalestiniennes entre Fatah et Hamas y ont contribué également ainsi que la période de transition aux Etats-Unis d'Amérique.
Comme en témoigne le fait que les Israéliens se soient approprié le terme arabe de tahdiyyeh qui signifie « accalmie », la trêve était une initiative du Hamas. Elle avait pour contrepartie l'ouverture des points de passage entre Israël et la bande de Gaza.
Pendant cinq mois, malgré quelques incidents, le Hamas a montré sa capacité à contrôler les factions armées, ce qui a été reconnu, y compris par les Israéliens.
La rupture a été marquée le 4 novembre 2008 par une action de l'armée israélienne contre les activistes du Hamas, ce qui a déclenché l'escalade puis l'annonce de la non-prolongation de la trêve par le mouvement islamique. Le Hamas a commis une erreur d'appréciation en n'anticipant pas l'ampleur de la riposte israélienne. Sa première revendication, c'est l'ouverture des points de passage dont il est comptable devant la population de Gaza.
Les objectifs d'Israël sont l'arrêt des tirs palestiniens et le contrôle de la contrebande des armes ; ce n'est pas le renversement du Hamas, objectif inatteignable mais l'affaiblissement de ses capacités militaires et de gouverner.
D'aucuns attribuent à Israël un agenda caché qui serait de consacrer la séparation entre Gaza et la Cisjordanie et une forme de « somalisation » de Gaza, par la destruction des infrastructures civiles, dont il faut rappeler qu'elles furent celles de l'autorité palestinienne.
Des indices ont montré que le Hamas était prêt à négocier le cessez-le-feu sur la base du plan franco-égyptien, qui a toutefois été rejeté par deux porte-paroles du mouvement à Damas et à Beyrouth.
M. Yves Aubin de la Messuzière a estimé que la responsabilité internationale dans la crise était certaine dans la mesure où tous les ingrédients d'une explosion étaient présents. Il a estimé que la trêve aurait dû être mise à profit pour faire pression sur l'ensemble des acteurs. L'Europe a été inhibée et peu active. Il était légitime d'envisager le rehaussement de la relation entre l'Union européenne et Israël mais le calendrier de cette annonce a donné un mauvais signal. Il a estimé qu'il y avait une vraie réflexion à mener sur la diplomatie préventive.
Evoquant ensuite les scénarios envisageables, il a estimé qu'un cessez-le-feu interviendrait probablement avant le 20 janvier. Du côté israélien, on fera valoir des succès militaires réels. Dans la négociation d'une trêve à long terme, chacun aura ses propres exigences. Du côté israélien, le contrôle strict de la frontière avec l'Egypte et, du côté du Hamas, l'ouverture des points de passage. Il a relevé une probable perte de popularité du Hamas à Gaza la trêve n'ayant pas permis de lever le blocus. En revanche, le Hamas monte en puissance en Cisjordanie avec la perception que le mouvement assure seul la protection du territoire palestinien.
Devant les images terribles diffusées sur Al Jezira, qui nourrissent de terribles frustrations, on peut s'attendre à de nouvelles violences. Le Hamas retournera probablement sa défaite en victoire.
Le grand perdant, c'est l'Autorité palestinienne qui n'a pas de perspective de retour à Gaza, sauf dans le cadre d'un gouvernement d'union nationale.
Le processus d'Annapolis est probablement mort, il faudra inventer autre chose. On ne peut pas avoir d'avancée sur le volet syrien des négociations sans perspective sur le volet palestinien.
Ce qui peut sortir de cette tragédie, c'est une mobilisation de la communauté internationale et un retour de la centralité du conflit israélo-palestinien.
M. Jean-François Legrain a fait état de sa longue expérience du mouvement Hamas depuis plus de vingt ans, sous un angle différent de celui de contacts politiques. Il a souhaité rappeler à grands traits l'identité de ce mouvement tant l'approche médiatique et même politique qui en est faite est marquée par une série de contresens.
Le premier de ces contresens est l'opposition entre islamistes et laïques telle qu'elle résulte de l'analyse des différences entre le Hamas et l'OLP. La prétendue laïcité de l'OLP est un mythe. Le projet d'état démocratique de l'OLP état un projet « non-confessionnel », le terme de « laïcité », qui renvoie dans l'imaginaire arabe à une forme occidentale de licence morale, n'est jamais utilisé. Il a été plaqué par les soutiens politiques de l'organisation en Occident, majoritairement des partis de gauche.
La place de l'Islam dans leurs institutions fait l'objet d'un très large consensus chez les Palestiniens. Il est la religion officielle et la charia est une des sources principales de la législation, ces principes ayant été posés dans un contexte où le Fatah était largement majoritaire.
Par conséquent, le mouvement Hamas n'a pas ressenti le besoin de modifier le statut de la religion dans la politique palestinienne. Sur le plan juridique, le statut personnel, héritage de l'empire ottoman, selon lequel chacun relève des instances de sa confession pour les actes tels que le mariage, s'applique.
Le second contresens est que le Hamas est parfois présenté comme une marionnette de l'Iran alors que c'est un mouvement social, doté d'une idéologie profonde et ancienne, héritée des Frères musulmans. Ce mouvement, né en Egypte à la fin des années 1920, est présent à Jérusalem dès 1946 et connaît à partir de 1948 une séparation entre Gaza et la Cisjordanie. Après l'occupation de 1967, ces mouvements se sont retrouvés mais ont conservé chacun une certaine autonomie. Ils se sont véritablement réunis avec la création du Hamas en 1987 lors de la première Intifada.
Entre 1967 et 1987, le mouvement s'est inscrit dans la tradition majoritaire des Frères musulmans, qui privilégie une logique quiétiste et fait de la prédication religieuse leur mission première, en s'appuyant sur un réseau associatif particulièrement dense.
L'événement fondateur intervient à la fin de l'année 1987 lorsque ce quiétisme se trouve contesté par la société palestinienne qui fait de l'implication dans la lutte nationale une injonction de fond.
Le mouvement prend alors conscience qu'il risque d'être balayé et de ne plus pouvoir porter sa mission première de mobilisation religieuse s'il n'entre pas dans cette lutte. Cette réorientation reçoit l'approbation de Cheikh Yassine, guide des Frères musulmans à Gaza, qui tolère la création d'un mouvement de résistance islamique dont l'acronyme « Hamas » signifie « zèle », un terme qui n'est pas islamique, à la différence de « Fatah », qui fait directement référence à la geste islamique des origines. Le quiétisme originel évolue vers une résistance active (Muqawama).
Pendant toute la période où Cheikh Yassine reste le leader du Hamas avant d'être assassiné en 2004 par les Israéliens, la prédication reste le coeur des missions du mouvement et lorsque les conditions l'exigent, le mouvement est tout à fait prêt à opérer un repli sur cette fonction de prédication. Depuis 1995, plusieurs trêves (houdna) ou accalmies (tahdiyya) ont ainsi été observées. En Islam, le jihad sous sa forme militaire obéit à des règles de jurisprudence très précises ; il est subordonné à la possibilité d'une victoire et placé au service de l'intérêt général de la communauté islamique. Quand ces conditions ne sont pas réunies, il ne faut pas le mener.
Il faut noter que, même si elle est souhaitée et attendue, la libération de la Palestine n'est pas l'objectif premier du Hamas. Le Hamas n'a jamais imaginé libérer la Palestine avec des tirs de roquettes ou des attentats-suicides qui ne sont que la réponse, selon une forme islamique de la « loi du talion », aux violences de l'occupation.
M. Josselin de Rohan s'est interrogé sur le rôle de l'Egypte. Etant donnée sa méfiance à l'égard du mouvement Hamas, peut-elle être véritablement considérée comme un médiateur ?
M. Yves Aubin de la Messuzière a souligné l'ambiguïté du rôle de l'Egypte mais aussi le caractère irremplaçable de sa médiation. Il a estimé que le Président de la République avait bien fait de réactiver cette médiation que le Hamas avait un temps disqualifiée et à laquelle l'image de Mme Tzippi Livni serrant la main du président Moubarak, à la veille de l'offensive israélienne, avait causé un grand dommage. Il a toutefois considéré que l'Egypte n'avait pas été informée du déclenchement de l'opération. Mais l'existence d'une frontière commune avec la bande de Gaza rend indispensable l'implication de l'Egypte qui ne peut se passer de contacts avec le Hamas. Le Hamas est placé au coeur du discours des frères musulmans égyptiens même s'ils se livrent à une forme d'autolimitation, considérant que le temps joue en leur faveur. Il conviendrait également de favoriser l'émergence d'autres acteurs tels que la Turquie, malgré les réticences de l'Egypte.
M. Jean François-Poncet, revenant sur la notion « d'agenda caché », a souhaité savoir comment Israël voyait l'évolution de la question palestinienne à long terme. Il a fait part de son sentiment selon lequel Israël ne souhaitait pas négocier en vue de la création d'un Etat palestinien. L'alternative ne peut être celle d'un Etat binational et les Palestiniens n'accepteront jamais une « cantonisation ». Dans la stratégie israélienne, l'OLP a toujours été l'ennemi ; Arafat a été marginalisé comme l'est aujourd'hui Abou Mazen. Il s'est interrogé sur ce que pouvait être la stratégie française dans un tel contexte.
M. Yves Aubin de la Messuzière a rappelé la phrase d'Henry Kissinger selon laquelle « Israël n'a pas de politique étrangère, mais une politique intérieure ». Il a souligné l'extrême fragmentation de la scène politique israélienne, marquée par l'affaiblissement du Likoud et du parti travailliste. Aucun des premiers ministres israéliens de ces dernières années n'est allé jusqu'au terme de son mandat. L'échec des négociations de Camp David en 2000 s'explique en grande partie par l'imminence des élections israéliennes. Il faut noter qu'Ehoud Olmert a fait des déclarations sur le retour aux frontières de 1967 et sur Jérusalem capitale de deux Etats après avoir démissionné de son poste de premier ministre. Les dirigeants israéliens n'ont pas réellement de vision stratégique et s'inscrivent dans une vision de court terme qui est de garantir la sécurité du pays.
Le seul espoir dans ce dossier réside dans une véritable implication de Barak Obama dès son entrée en fonction : l'histoire montre que, comme en 1991, quand un bras de fer est entamé à l'initiative des Etats-Unis, Israël recule.
Il a estimé que l'Etat binational était une chimère alors que l'on évoque l'existence de plans pour déplacer les Arabes israéliens et assurer ainsi le caractère juif de l'Etat d'Israël. Ce n'est acceptable ni par les Palestiniens, ni par le monde arabe, ni par la communauté internationale et on peut donc se préparer à des violences.
Si, en situation de conflit, l'opinion israélienne se range derrière l'armée, il faut cependant souligner qu'une majorité d'Israéliens sont favorables, en période de calme, à un Etat palestinien viable dans les frontières de 1967 avec Jérusalem pour capitale. La réalité d'Israël n'est pas celle des 400 000 colons, mais celle des habitants des grandes villes.
Le Hamas a opéré une mutation politique et idéologique. Le mouvement a longtemps refusé de participer aux élections, au motif que ce serait reconnaître l'existence de l'Etat d'Israël ; il y participe désormais. Ce changement s'est concrétisé par des déclarations publiques évoquant « un Etat palestinien dans les frontières de 1967 ». Dans les entretiens avec les dirigeants du Hamas, Israël est reconnu comme une réalité. Le mouvement s'autolimite parce qu'il pense qu'il est trop tôt pour prendre le pouvoir. Il n'a pas à ce stade de stratégie de conquête de l'OLP mais une stratégie de représentation et d'influence en son sein. Il avait d'ailleurs proposé, dans un premier temps, de constituer un gouvernement où le Hamas serait minoritaire. La direction politique est une direction pragmatique, qui devrait être maintenue après les opérations en cours, malgré la pression des radicaux.
M. Jean-François Legrain a souligné que la vision stratégique israélienne de la région était marquée par un déséquilibre radical des forces lié au monopole de la possession de l'arme nucléaire par Israël. Sur le dossier palestinien, la stratégie se situe dans un renouvellement périodique de la tactique. On veut éviter la création d'un Etat palestinien et l'idéal serait, en l'absence d'un tel Etat, le retour sous une forme ou une autre à la situation antérieure à 1967, ce que ni l'Egypte ni la Jordanie ne souhaitent, même s'il est vrai que l'Egypte est revenue à Gaza et que la Jordanie a toujours eu un regard sur la Cisjordanie. Depuis 1994, Israël a été dégagé d'une grande part de sa responsabilité de puissance occupante, la communauté internationale se substituant à lui pour assurer la survie économique des Palestiniens. Puisqu'il n'est question ni d'un Etat binational ni d'un retour à l'occupation directe, il faut donc trouver un nouveau mandataire : le Hamas à Gaza ; le Fatah en Cisjordanie.
M. Yves Aubin de la Messuzière a estimé que l'on ne pouvait faire abstraction du Hamas en Cisjordanie.
Mme Josette Durrieu a estimé que Mahmoud Abbas aurait pu représenter une opportunité mais qu'il avait été discrédité. Elle a considéré que la communauté internationale portait une lourde responsabilité pour avoir refusé de reconnaître des résultats électoraux qui ne lui convenaient pas. Elle a souhaité savoir si le Hamas aurait pu être intégré dans un processus évolutif en 2006. Elle a considéré que le mouvement devait devenir un interlocuteur.
M. Yves Pozzo di Borgo a souhaité connaître le rôle du Quartet.
Mme Catherine Tasca a souligné la grande méconnaissance et les malentendus qui s'attachaient au Hamas. Elle s'est interrogée sur la façon de faire progresser cette connaissance et sur ce que pouvait faire l'Europe dans ce dossier.
Mme Monique Cerisier ben Guiga s'est interrogée sur l'intérêt de maintenir l'Autorité palestinienne et sur la possibilité d'obtenir de nouveau un gouvernement d'union nationale.
M. Christian Poncelet évoquant les propos du président iranien Mahmoud Ahmadinejad sur la destruction d'Israël, a souhaité savoir si les leaders du Hamas avaient pris position contre cette déclaration.
M. Yves Aubin de la Messuzière a apporté les éléments de réponse suivants :
- Le rôle de l'Iran est très certainement surévalué ; il n'est pas un acteur aussi important du dossier palestinien qu'on le dit mais il a une influence. L'Iran se substitue ainsi à l'Autorité palestinienne pour le paiement du traitement des fonctionnaires de Gaza qui continuent à travailler, en dépit de l'injonction qui leur a été faite par l'Autorité palestinienne de rester chez eux. L'influence de l'Iran est plus prégnante en Syrie et au Liban qu'à Gaza.
- Les responsables du Hamas se situent encore dans la perspective d'un gouvernement d'Union nationale de même qu'une partie des responsables de l'Autorité palestinienne mais le président Abbas est entouré « d'éradicateurs » du Hamas. L'accord interpalestinien de Sana'a, en mars 2008, a été suivi d'une forte pression auprès de l'Autorité palestinienne contre sa mise en oeuvre assortie d'une menace d'interrompre le processus d'Annapolis.
Il est aujourd'hui nécessaire qu'un dialogue ait lieu avec la réalité qu'est le Hamas ; le belligérant doit devenir le partenaire. Si Abou Mazen apparaît épuisé et affaibli, il reste la perspective de Marwan Barghouti. D'aucuns considèrent que le dialogue avec le Hamas affaiblirait l'Autorité palestinienne mais elle est de facto déjà très affaiblie. Il faut trouver une opportunité pour reprendre le dialogue.
Pour ce qui concerne le rôle du Quartet, on peut être très critique de l'action de Tony Blair, qui n'a pas résisté à la pression américaine. D'autres personnalités ont été plus déterminées. Il faut ainsi rappeler que la visite de Jimmy Carter aux dirigeants du Hamas, en avril 2008, a débouché sur l'un des documents les plus ouverts de l'organisation, qui prévoyait notamment un Etat palestinien dans les frontières de 1967 et de laisser à l'Autorité palestinienne la responsabilité de mener les négociations, à la condition que leur résultat soit soumis à un référendum.
M. Jean-François Legrain a exprimé son accord quant à l'importance beaucoup trop grande accordée à l'Iran dans le dossier palestinien.
Revenant sur la distinction entre l'Autorité palestinienne et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), il a souligné que la volonté israélienne de mettre en avant l'Autorité palestinienne, une autorité simplement intérimaire et en charge des questions civiles des seules populations palestiniennes de certaines zones de Cisjordanie et Gaza était un piège dans lequel les Palestiniens étaient eux-mêmes tombés. On ne parle plus du tout de l'OLP, seul organe reconnu comme représentatif de l'ensemble du peuple palestinien et doté de capacités diplomatiques.
Yasser Arafat, puis Abou Mazen, ayant cumulé les deux présidences, on en est venu à confondre les deux structures. Aujourd'hui, l'OLP est sclérosée et obsolète et n'a pas su, ou pas voulu, opérer un renouvellement. La crise interne de l'OLP est comparable à celle du Fatah : il faut renouveler les cadres et retrouver une ligne politique claire.
Depuis quelques années, a poursuivi M. Jean-François Legrain, on observe une « dépalestinisation » de la question palestinienne, comparable à la situation d'avant 1967, où le leadership palestinien n'est qu'une caisse de résonnance des rivalités arabes et où il recherche l'aide de médiateurs extérieurs pour résoudre ses tensions internes. La question palestinienne devient ainsi l'otage des rivalités des Etats arabes.
L'Europe est absente. Certes, elle apporte des financements mais elle a accepté de mettre le doigt dans l'engrenage du blocus avec les observateurs de Rafah. Elle est perçue de façon beaucoup plus négative depuis quelques années.