Mercredi 2 juillet 2008
- Présidence de M. Jean Puech, président. -Démocratie locale - Audition de M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales
Après avoir souhaité la bienvenue à M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales, M. Jean Puech, président, a indiqué que l'observatoire de la décentralisation s'intéressait à la mise en oeuvre effective dans les communes, les départements et les régions de la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République et de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, dans leurs dispositions concernant la démocratie locale et participative.
M. Edward Jossa a déclaré qu'il évoquerait successivement et distinctement les différentes innovations institutionnelles introduites par l'acte II de la décentralisation.
Sur la possibilité pour le législateur de créer d'autres collectivités territoriales ou d'autres catégories de collectivités territoriales, le cas échéant en lieu et place des collectivités existantes (article 72, premier alinéa de la Constitution), il a souligné que le nouveau dispositif intéressait surtout l'outre-mer (Saint-Martin, Saint-Barthélemy) et qu'il allait être prochainement mis en oeuvre dans le cadre de la départementalisation de Mayotte.
S'agissant du principe de subsidiarité, selon lequel les collectivités territoriales ont vocation à prendre des décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon (article 72, deuxième alinéa de la Constitution), il l'a considéré comme un « objectif » permettant de « guider » le législateur, par exemple dans le domaine de la délimitation du pouvoir normatif des collectivités territoriales. M. Edward Jossa a précisé d'ailleurs qu'en ce domaine prévalait le contrôle dit « restreint », c'est-à-dire que le Conseil constitutionnel limitait son contrôle à « l'erreur manifeste d'appréciation » ; le législateur possède donc une grande marge d'appréciation dans la mise en oeuvre du principe de subsidiarité.
Sur la notion de chef de filat (article 72, cinquième alinéa de la Constitution), le directeur général des collectivités locales a indiqué qu'elle intéressait le domaine de l'intervention économique, avec la région comme chef de file, et l'action sociale, avec le département comme chef de file. Il a relevé que la question de l'opposabilité des décisions du chef de file aux autres collectivités territoriales pouvait poser problème. Il a enfin évoqué, comme variante au chef de filat, le développement des coopérations entre les départements ou entre la région et les départements.
S'agissant du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales pour l'exercice de leurs compétences (article 72, troisième alinéa de la Constitution), M. Edward Jossa a estimé que le sujet était sensible, même si le pouvoir réglementaire des chefs de service des collectivités territoriales et le pouvoir de police du maire existent depuis longtemps. Il a signalé deux exemples plus récents de pouvoir normatif local : la mise en oeuvre par les collectivités territoriales du « contrat d'avenir », en application de l'article 49 de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale et l'organisation par voie réglementaire des comités départementaux des retraités et personnes âgées (CODERPA).
Le directeur général des collectivités locales a encore indiqué que la faculté donnée aux collectivités territoriales, par l'article 72, quatrième alinéa de la Constitution, de déroger, à titre expérimental, à des dispositions législatives ou réglementaires ne concernait, dans la pratique, que le domaine social : gestion du revenu de solidarité active (RSA) et du contrat d'insertion - revenu minimum d'activité (CI-RMA). Sur ce point, M. Edward Jossa a insisté sur la nécessité de veiller à la publication officielle des normes locales qui dérogent aux normes nationales. Il a encore souligné l'avantage que présenterait une « autolimitation » du pouvoir législatif, car, actuellement, les lois sont souvent trop détaillées pour que les collectivités territoriales puissent exercer un véritable pouvoir normatif.
Il a enfin évoqué le problème de la « sortie » des expérimentations dont la durée, a-t-il rappelé, a été fixée à cinq ans : le ministère de l'intérieur devra s'attacher à consolider, le cas échéant, ces expérimentations.
S'agissant de la consultation des électeurs des collectivités territoriales, prévue par la loi du 13 août 2004 (article L. 1112-15 du code général des collectivités territoriales), M. Edward Jossa a relevé que les départements et les régions paraissaient privilégier des méthodes plus souples pour connaître l'opinion publique. Quant aux communes, autorisées à procéder à ce type de consultation depuis 1992, elles n'ont organisé, d'après les statistiques du ministère de l'intérieur, que 180 consultations entre 1995 et 2004. M. Edward Jossa a indiqué que les consultations organisées en 2005 et 2006 avaient porté sur des questions relatives à des équipements (l'implantation d'un casino, par exemple) ou encore sur l'opportunité d'adhérer à une structure de coopération intercommunale.
Après avoir indiqué que la procédure prévue pour la consultation des électeurs comportait de grandes similitudes avec celle du référendum local à caractère décisionnel (article 72-1, deuxième alinéa de la Constitution), M. Edward Jossa a souligné que neuf référendums locaux, organisés au demeurant par des petites communes, avaient été recensés, au 31 août 2006, par le ministère de l'intérieur. Les objets en ont été les suivants : déplacement du monument aux morts, programme d'aménagement d'un bassin versant, démolition d'un bâtiment, projet de carrière, implantation d'éoliennes, adhésion à une communauté d'agglomération, création d'une police municipale, projet de construction d'un commerce local, réalisation d'un programme d'habitation sur un domaine communal.
Le directeur général des collectivités locales a, enfin, mis l'accent sur le fait qu'aucun département ni aucune région n'avait procédé à un référendum local ou à une consultation des habitants dans les conditions prévues par la réforme constitutionnelle.
M. Gérard Bailly, sénateur, s'est interrogé sur le contrôle exercé par l'Etat sur les relations entre les communes et les communautés de communes, de même que sur la création des communautés de communes. Sur quelle loi, s'est-il étonné, se fonde-t-on pour refuser de tenir compte de la volonté exprimée par les collectivités territoriales dans ce domaine ou en matière de redécoupage cantonal par exemple ? M. Gérard Bailly a jugé aussi nécessaire une réflexion sur le contrôle de légalité afin que l'Etat soit plus à l'écoute des collectivités territoriales.
M. Gérard Bailly, sénateur, s'est encore demandé si l'Acte II de la décentralisation avait suscité de nombreuses saisines de la commission consultative sur l'évaluation des charges.
M. Jean Puech, président, a jugé que l'Etat exigeait souvent des autres ce qu'il ne s'imposait pas à lui-même. Il a notamment évoqué le cas des routes nationales ou des universités, qui sont des secteurs relevant exclusivement de la compétence de l'Etat mais pour lesquels les collectivités territoriales sont en permanence sollicitées.
M. Pierre Bernard-Reymond, sénateur, s'est demandé si le ministère de l'intérieur avait dressé -statistiques à l'appui- un véritable bilan de l'application sur le territoire des innovations institutionnelles prévues par l'Acte II de la décentralisation. Il a voulu savoir ensuite si l'Etat disposait de statistiques, région par région, sur le montant des dépenses effectuées à titre obligatoire et à titre facultatif. Il s'est encore demandé si une autre statistique faisait apparaître le montant des subventions accordées aux communes par les autres collectivités territoriales.
En second lieu, M. Pierre Bernard-Reymond, sénateur, a évoqué la question de l'empilement des structures territoriales en estimant pour sa part qu'on pouvait raisonnablement s'orienter vers dix régions et quarante départements. Il a jugé, à cet égard, que l'Etat faisait peut-être preuve de trop de prudence et qu'un peu plus de « directivité » serait nécessaire.
En troisième lieu, il a considéré que la concertation entre les collectivités territoriales était très insuffisante. Beaucoup reste à faire, a-t-il souligné, en matière d'intercommunalité, d'interdépartementalité et d'interrégionalité.
M. Louis Pinton, sénateur, a estimé que l'enchevêtrement des collectivités territoriales correspondait à une « maladie de l'esprit » et qu'il était peu raisonnable de croire que les « malades » eux-mêmes pourraient se transformer en « médecins ». Il a ensuite dénoncé la multiplicité des cofinancements souvent affectés à des opérations fort modestes.
M. Philippe Dallier, sénateur, a jugé que l'Etat devrait faire preuve d'un plus grand volontarisme dans le domaine territorial, et notamment en matière d'intercommunalité. Il a jugé que la recherche systématique du consensus pouvait retarder à l'excès les évolutions nécessaires.
En réponse aux orateurs, M. Edward Jossa a notamment apporté les précisions suivantes :
- l'élaboration d'un appareil statistique sur l'activité des collectivités territoriales peut être délicate, car elle peut faire naître des susceptibilités. La source principale des informations est constituée par les comptes administratifs des collectivités ;
- en moyenne, on peut estimer que 80 à 92 % des dépenses des régions sont obligatoires, 8 à 10 % sont facultatives ;
- la « conférence des exécutifs » étudie actuellement les suites à donner au « rapport Lambert », mais la réduction des marges de manoeuvre financières de l'Etat ne manquera pas d'avoir des conséquences lisibles sur le terrain. Des groupes de travail ont été mis en place sur le chef de filat ainsi que sur une option de spécialisation plus complète des collectivités territoriales. Sur ce point, M. Edward Jossa a néanmoins rappelé que les grandes associations d'élus s'étaient montrées très réservées sur la suppression de la clause générale de compétence. Il a néanmoins évoqué plusieurs pistes de réflexion :
. tout maître d'ouvrage d'une opération en financera au moins la moitié ;
. tout financement ou projet local sera le fait soit de la région, soit du département, mais jamais des deux ensemble ;
. toute opération n'impliquera au plus que deux financeurs ;
- une réforme de grande ampleur dans le domaine territorial entraîne toujours une période transitoire difficile ;
- dans le domaine social, en particulier, les interventions publiques sont multiples et concurrentes ;
- depuis la décentralisation, la gestion du revenu minimum d'insertion est incontestablement plus rigoureuse ;
- les lois peuvent faire l'objet de décrets et parfois de circulaires d'application, voire de « lettres d'interprétation », mais ces dernières ne sont pas opposables.
En conclusion, M. Jean Puech, président, a jugé que si, notamment au niveau communal, des processus participatifs (conseils de quartiers, conseils municipaux des jeunes, conseils des seniors, chartes de la participation, budgets participatifs ...) étaient, parfois depuis longtemps, actifs, on pouvait considérer en revanche que les innovations institutionnelles de 2003 et 2004 n'avaient pas complètement atteint leur objectif et n'avaient pas pleinement répondu aux attentes des partisans de l'approfondissement de la décentralisation et de l'autonomie locale.