Mercredi 2 juillet 2008
- Présidence de M. Jacques Valade, président. -Patrimoine de l'UNESCO - Inscription de la gastronomie - Examen du rapport d'information
La commission a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Catherine Dumas sur l'inscription de la gastronomie au patrimoine immatériel de l'UNESCO.
Mme Catherine Dumas a souligné que ce rapport d'information permettrait de mettre en avant un élément essentiel de notre patrimoine culturel : les arts culinaires.
En effet, le 23 février 2008, à l'occasion de l'inauguration du Salon de l'agriculture, le Président de la République a souhaité que la France soit le premier pays à déposer une candidature auprès de l'UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture) d'inscription de son patrimoine gastronomique au patrimoine de l'humanité. Cette annonce a suscité un grand nombre de réactions, le plus souvent enthousiastes, mais traduisant parfois des incompréhensions quant au sens et aux objectifs de ce projet.
Alors qu'une mission, présidée par M. Jean-Robert Pitte, se met place pour préparer le dossier français de candidature, elle a jugé utile d'apporter un éclairage sur cette démarche. Elle a auditionné, à cet effet, une vingtaine de personnalités : des cuisiniers et « grands chefs », des critiques et chroniqueurs gastronomiques, des représentants de la diversité des produits et des métiers qui oeuvrent dans la « filière » gastronomique, y compris les « arts de la table ». Elle a également consulté des représentants de l'UNESCO, notamment M. Yves Dauge, « correspondant » au Sénat de cette institution.
Elle a indiqué, ensuite, que l'idée de demander l'inscription par l'UNESCO de notre patrimoine gastronomique est portée, depuis 2006, par des chercheurs de l'Institut européen d'histoire des cultures de l'alimentation, centre de recherche placé auprès de l'Université de Tours. Cette inscription s'inscrit dans le cadre de la « Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité », qui relève de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée par l'UNESCO en 2003. Cette convention est entrée en vigueur en avril 2006 et ses « directives opérationnelles » ont été adoptées lors de la dernière session de l'Assemblée des Etats parties, en juin dernier.
Ce texte a d'abord répondu à un souci de rééquilibrage entre « pays occidentaux » et « pays du Sud », alors que la convention de 1972 a plutôt privilégié le patrimoine historique et « matériel » des premiers. La convention de 2003 a été précédée par la proclamation de 90 « Chefs d'oeuvre » du patrimoine oral et immatériel, qui rejoindront la liste représentative : ils recouvrent par exemple des carnavals, le Théâtre Nô, la Samba de Bahia ou encore des espaces culturels tels que la place Jemaa el-Fna à Marrakech...
Mme Catherine Dumas a cité, ensuite, la définition que l'UNESCO donne à la notion de « patrimoine culturel immatériel » : il s'agit des « pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d'identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et de la créativité humaine. »
Puis elle a répondu à certaines des craintes que ce projet a pu soulever, en apportant les éléments de clarification suivants :
- il ne s'agit pas, d'abord, de prétendre que la cuisine française serait la meilleure au monde ; ce qu'il faudra démontrer est l'attachement particulier des Français à ce patrimoine, constitutif de leur identité ;
- il ne s'agit pas, ensuite, de « muséifier » nos arts culinaires, puisque le concept de patrimoine immatériel renvoie aux notions de transmission, de processus permanent de production, de créativité et d'innovation... ;
- il ne s'agit pas d'assurer la sauvegarde d'un « chef d'oeuvre en péril » ; en effet, il existe deux listes : l'une, dite représentative, met en valeur les expressions culturelles que les pays jugent les plus remarquables, tandis que l'autre tend à protéger le patrimoine nécessitant une sauvegarde urgente ; c'est sur la première que porte le projet d'inscription ;
- il ne s'agit pas, enfin, d'une démarche élitiste ; celle-ci doit être fédératrice et populaire, car l'un des critères fixés par l'UNESCO est l'adhésion des populations concernées.
Elle a estimé que le projet répond à des finalités tout autres :
- reconnaître les arts culinaires comme un élément essentiel de notre patrimoine et susciter une prise de conscience de l'importance de maintenir cette culture vivante ;
- ouvrir la voie à la reconnaissance d'autres cultures culinaires ; la démarche est humble, car elle est pionnière : aucune autre forme d'expression culinaire n'a jusqu'alors été inscrite par l'UNESCO, au titre des « Chefs d'oeuvre ».
Elle a précisé que la tâche d'élaboration du dossier de candidature incombe à la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires, présidée par M. Jean-Robert Pitte et réunissant des chercheurs, des historiens et quelques grands chefs. Plusieurs ministères apportent un appui à la mise en place de cette mission, pour lui donner les moyens matériels et humains de commencer à travailler : le ministère de l'agriculture, celui de l'enseignement supérieur, celui du tourisme, des affaires étrangères et enfin le ministère de la culture ; ce dernier sera chargé d'instruire le dossier avant sa transmission à l'UNESCO. Toutefois, il revient à la mission de trouver par elle-même des financements extérieurs, car son fonctionnement doit être à terme autonome.
Elle a relevé, aux termes de ses auditions, que ce projet, perçu comme un signe fort de reconnaissance de nos arts culinaires, offre également une opportunité de réaffirmer, par des actions concrètes, l'importance que nous attachons à la transmission et à la mise en valeur de ce patrimoine vivant et des différents corps de métiers qui oeuvrent en sa faveur.
Néanmoins, elle a insisté, au préalable, sur les précautions à prendre s'agissant de la démarche de candidature en elle-même. Elle a indiqué que cette démarche diplomatique sera délicate dans la mesure où, selon des experts de l'UNESCO, comme le nouveau président de l'Assemblée des Etats parties à la convention, le projet français, tel qu'il est actuellement formulé, ne correspond ni à la lettre, ni à l'esprit de la convention. Cette dernière fait référence, par ailleurs, à des « éléments » du patrimoine, alors que le projet français tend à faire reconnaître notre patrimoine culinaire comme un « tout ».
Elle a donc souligné la nécessité de définir un angle d'approche pertinent pour se donner les meilleures chances de succès. Il s'agit notamment d'identifier le champ de la demande et d'élaborer une stratégie subtile de présentation du dossier, afin d'être en phase avec les attentes de l'UNESCO.
Puis elle a insisté sur le fait que ce projet permet de sensibiliser l'opinion à des enjeux majeurs. Le premier concerne l'éducation au goût : en dehors de la « Semaine du goût » ou d'autres actions ponctuelles, celle-ci n'a pas, contrairement à d'autres pays, toute sa place dans les écoles. Pourtant, des expériences antérieures ont eu des effets positifs sur le comportement des enfants. Des pistes sont à approfondir : développer des jardins potagers dans les écoles, des ateliers d'éveil au goût, voire des cours de cuisine, comme cela existe en Angleterre. Elle a également souligné l'importance de veiller à une meilleure qualité des repas dans les cantines scolaires, mais aussi dans les hôpitaux ou maisons de retraite.
Le second axe de propositions consiste à impulser une nouvelle dynamique au secteur. Il s'agit, d'une part, de « redonner de la noblesse » aux « métiers de bouche », en montrant aux jeunes que ce sont des métiers de passion, où il est possible de s'épanouir et de gagner sa vie. En effet, plus de 50 000 emplois sont offerts chaque année et des professions peinent à recruter. Elle a recommandé de mieux communiquer sur ces métiers, de les « concrétiser » par le contact avec des professionnels, mais aussi de reconnaître par exemple le titre de « maître d'art » à ceux qui excellent dans leur savoir-faire. Il s'agit, d'autre part, de promouvoir l'innovation. Elle a jugé cela fondamental, notamment, dans le domaine des arts de la table, fragilisé par la concurrence, avant d'insister sur la nécessité de promouvoir l'entreprenariat. Elle a suggéré, enfin, de « créer l'événement », une fois par an, en suscitant des rencontres autour de la cuisine et montrer que la France reste un aiguillon. A cet égard, elle a souhaité que le ministère de la culture s'implique davantage, comme le projet de candidature à l'UNESCO devrait y contribuer, pour mettre en avant la dimension culturelle des arts culinaires.
Elle a invoqué, enfin, un dernier enjeu lié au développement durable, estimant que nos arts culinaires portent un message fort à la fois pour promouvoir un modèle d'agriculture respectueuse de l'authenticité du produit, mais aussi pour favoriser les échanges interculturels, la cuisine française étant le produit d'un métissage. Elle a considéré que ces enjeux étaient importants à souligner et valoriser dans le cadre du projet de candidature à l'UNESCO.
En conclusion, Mme Catherine Dumas a souhaité que ce travail ne soit qu'une première étape dans la réflexion de la commission sur le secteur des arts culinaires.
Un débat a suivi cette intervention.
M. Ivan Renar a relevé que le rapport aborde le dossier de façon sérieuse, montrant que la France a un message fort à porter et à défendre, sans arrogance, devant l'UNESCO. Il a estimé que notre pays a une histoire très riche, une agriculture millénaire, et que ce secteur a une importance considérable dans notre économie. S'il a souligné, certes, les problèmes de subsistance alimentaire existant dans le monde, il a considéré, néanmoins, que le sujet n'est pas futile : en effet, ces « arts » sont liés à la fête, à la joie de vivre, ils concourent au bonheur du genre humain et au dialogue des civilisations.
Soulignant que la France n'avait pas d'exclusivité en ce domaine, M. Jacques Valade, président, a estimé normal que l'UNESCO exprime quelques réticences à l'égard de la démarche française, celle-ci étant novatrice. Il a insisté, en outre, sur l'importance de mettre en avant le concept de sécurité alimentaire, garant de la qualité, du goût et de l'authenticité des produits. Il a rappelé, enfin, que notre savoir-faire culinaire est reconnu dans le monde entier, citant le succès des boulangeries françaises implantées à l'étranger.
M. Pierre Bordier a observé que la France est, par ailleurs, l'un des seuls pays à prêter une importance à l'accord entre mets et vins. Il a considéré que le concept de sécurité alimentaire, poussé à l'extrême, pouvait toutefois être un danger quant à la saveur des aliments, notamment du fromage.
M. Jean-Claude Carle a cité Brillat-Savarin, dont l'un des célèbres aphorismes souligne que « la découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d'une étoile. »
En réponse, Mme Catherine Dumas a donné les précisions suivantes :
- il faut, en effet, se montrer parfois vigilant à l'égard des réglementations de sécurité sanitaire, pour qu'elles ne dénaturent pas l'authenticité des produits ; le projet a par ailleurs des implications en matière de santé publique ;
- les acteurs du secteur des arts culinaires ont bien souvent des parcours de vie extraordinaires et sont passionnés par leur métier : le mot « plaisir » est revenu de façon récurrente au cours des auditions ;
- la démarche engagée auprès de l'UNESCO est une démarche tout à fait sérieuse, que la France devra porter de façon modeste ; les Français devront s'emparer du sujet et se l'approprier.
La commission a alors approuvé la communication de Mme Catherine Dumas et décidé de la faire publier sous forme d'un rapport d'information.