COMMISSIONS MIXTES PARITAIRES

Mardi 13 mai 2008

- Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président. -

Commission mixte paritaire sur la lutte contre les discriminations

La commission mixte paritaire a d'abord procédé à la nomination de son bureau qui a été ainsi constitué :

M. Pierre Méhaignerie, député, président ;

M. Nicolas About, sénateur, vice-président ;

La commission a ensuite désigné :

Mme Isabelle Vasseur, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale ;

Mme Muguette Dini, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen du texte.

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a indiqué que le projet de loi transpose partiellement ou intégralement cinq directives communautaires relatives à la lutte contre les discriminations, puis a rappelé le contexte de la discussion. Alors que les deux dernières directives, qui datent de 2004 et 2006, n'ont pas encore été transposées, les trois premières, qui remontent à 2000 et 2002, ont déjà fait l'objet d'une transposition. Mais la Commission européenne a estimé cette transposition incomplète et engagé trois actions en manquement contre l'Etat français. Aujourd'hui, il est proposé de mettre le droit français en conformité avec les trois premières directives et de transposer partiellement les deux dernières.

On peut comprendre et approuver le Gouvernement qui souhaite soigner l'image européenne de la France trois mois avant de prendre la présidence de l'Union. Cet objectif est parfaitement légitime mais il ne doit pas conduire les parlementaires à fermer les yeux sur le contenu du texte, et c'est pourquoi l'Assemblée nationale comme le Sénat ont introduit plusieurs modifications.

Le Sénat a, pour sa part, adopté onze amendements.

Les deux premiers précisent à l'article 1er les définitions de la discrimination directe et de la discrimination indirecte, afin que ces définitions ne débouchent pas sur des condamnations fondées sur de simples hypothèses. Il existe en France, en effet, un principe fondamental en vertu duquel nul ne peut être condamné que pour des actes qu'il a effectivement commis et il ne convient pas de le remettre en cause, sauf à accepter les procès d'intention.

A l'article 2, le Sénat a supprimé la dérogation accordée aux médias et à la publicité en matière de discrimination fondée sur le sexe. Cette exception risquait en effet de fournir un fondement légal aux publicités sexistes.

Il a ensuite introduit un article additionnel 4 bis visant à lever tout malentendu sur les incidences de la réduction de trente à cinq ans du délai de droit commun de la prescription en matière de lutte contre les discriminations. L'Assemblée nationale ayant récemment adopté le même article dans la proposition de loi de réforme de la prescription en matière civile, il n'est plus nécessaire de faire figurer cet article additionnel dans le projet de loi.

A l'article 6, deux modifications ont été apportées : plutôt que le dispositif d'affichage sur les lieux de travail et d'embauche prévu par le texte issu de l'Assemblée nationale, dispositif assez complexe et difficilement compréhensible, le Sénat a préféré l'affichage des articles du code pénal relatifs à l'interdiction des discriminations, plus accessibles et sans doute plus dissuasifs ; il a également été jugé que les dispositions précisant la notion de but légitime en matière de différences de traitement légales fondées sur l'âge étaient inutilement restrictives.

Enfin, à l'article 9, il a été mis fin à la distorsion de concurrence entre les assurances et les mutuelles en matière de contrats d'assurance-vie et de prévoyance. Le projet de loi initial réservait en effet aux assurances le droit de mettre en oeuvre, dans ces contrats, des tarifs différenciés en fonction du sexe. Cette possibilité a été étendue aux mutuelles par le Sénat, mais pour éviter toute rupture de concurrence en la matière, il sera proposé à la commission mixte paritaire d'appliquer aussi cette dérogation aux instituts de prévoyance.

Enfin, pour éviter que le présent texte ne conduise à des dérives communautaristes, une autre modification sera proposée au vote de la commission mixte paritaire. Il existe en effet deux voies de lutte contre les discriminations, que l'on peut qualifier respectivement de républicaine et de communautariste. La voie républicaine incite les individus, pour faire cesser une inégalité de traitement, à évoquer un principe commun à tous, le principe d'égalité, et place les individus dans une posture positive. La voie communautariste, au contraire, pousse les individus à faire valoir leurs différences pour obtenir réparation et se placer en position de victime. Parce que la lutte contre les discriminations est si importante pour la France, elle ne doit pas amener à remettre en cause les principes fondamentaux.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a rappelé que ce texte, avant tout pragmatique, vise à mettre la France en conformité avec le droit communautaire s'agissant de la transposition de cinq directives. Ce faisant, il contribue bien sûr à la lutte contre les discriminations.

La lecture à l'Assemblée nationale avait donné lieu, pour l'essentiel, à l'adoption d'amendements destinés à favoriser la lisibilité des mesures adoptées tout en garantissant les droits des victimes de discriminations.

Le Sénat a adopté six des onze articles du projet de loi sans modification et a ajouté un article nouveau ; il reste donc six articles en discussion.

Les points qui restent à trancher ne sont pas très nombreux, le Sénat n'étant pas revenu sur les principaux apports de la discussion à l'Assemblée nationale.

Une question peut d'ores et déjà être soulevée : celle de la définition des discriminations. Si l'Assemblée nationale a veillé à la conformité de ces définitions aux règles communautaires, le Sénat s'est dans le même temps interrogé sur certaines formulations : ne pourraient-elles pas donner naissance à des « procès d'intention » ? Il s'agit d'une question importante, qui sera débattue lors de l'examen de l'article 1er.

La commission mixte paritaire est ensuite passée à l'examen des articles restant en discussion.

A l'article 1er (Définitions), la commission a examiné un amendement de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, visant à substituer, dans le premier alinéa de cet article, aux mots : « ou ne l'a été » les mots : « , ne l'a été ou ne l'aura été ».

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a indiqué que cet amendement vise à mettre en conformité la définition française de la discrimination directe avec le droit communautaire.

Le Sénat a voulu ne maintenir dans le texte que la référence temporelle aux situations passées et présentes, s'agissant de la définition des discriminations directes, en raison des risques d'appréciation fictive des situations litigieuses ainsi que de l'existence de législations étrangères comparables.

Or, sur le fond, le droit français a déjà recours à la méthode comparative, pour les reconstitutions de carrière ou l'indemnisation de la perte de chance en matière de responsabilité hospitalière. Sur les exemples étrangers, la prudence est de rigueur : d'abord, s'agissant de la loi espagnole, on voit bien que la loi de 2007, la plus récente, a fait le choix d'une stricte conformité à la lettre des directives communautaires ; ensuite, il est bien évident que l'enjeu n'est pas de suivre le modèle de transposition fait dans tel ou tel Etat - que dire alors de tous ceux qui ont fait le choix de la reprise à la lettre près de la définition ? - mais de respecter les obligations communautaires, rappelées expressément dans les mises en demeure et avis motivés adressés par la Commission européenne à la France, et il faut s'y conformer.

Cela dit, on peut être sensible aux arguments relatifs à la crainte des « procès d'intention », liée à l'emploi du conditionnel. C'est pourquoi il semble qu'une solution - c'est l'objet de l'amendement - pourrait être de préférer à l'emploi de ce mode un futur antérieur, conformément aux exigences communautaires. En effet, dans la mise en demeure du 21 mars 2007, la commission européenne exige le recours à la méthode comparative en rappelant que la directive « énonce clairement que la discrimination directe peut intervenir dans le passé, le présent ou le futur », mais sans évoquer expressément le conditionnel.

Cette rédaction serait à même de concilier les deux exigences en présence : le texte communautaire ; le souhait légitime d'éviter tout litige fondé sur des éléments par trop « fictifs ».

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a estimé que l'intervention de la rapporteure pour l'Assemblée nationale prouve les réelles difficultés que soulève la définition communautaire de la discrimination directe par l'emploi du conditionnel. L'usage du futur antérieur proposé par cet amendement, même si les termes n'en sont pas très élégants, présente l'intérêt de sauver les apparences au regard de l'impératif du respect de la lettre communautaire. De fait, cet amendement s'écarte du texte communautaire en abandonnant le conditionnel, ce qui démontre que la transposition des textes communautaires laisse au législateur des marges de manoeuvre : celui-ci n'est pas obligé d'effectuer un simple copier-coller. La solution de compromis proposée est de ce fait acceptable.

Mme George Pau-Langevin, députée, a considéré qu'en matière de transposition concernant la lutte contre les discriminations, il faut s'en remettre à la lettre du droit communautaire. Cette obligation est d'autant plus impérieuse que la France a déjà été épinglée et a fait l'objet de plusieurs procédures à l'initiative de la Commission européenne s'agissant de la transposition des directives en question. Il serait donc singulier que la France profite de l'exercice de transposition pour modifier le sens de la directive communautaire.

Cette démarche serait d'autant plus regrettable que le texte communautaire est clair. On ne peut comprendre la suppression de la disposition selon laquelle une discrimination directe se produit lorsqu'une personne est traitée d'une manière moins favorable qu'une autre ne le serait dans une situation comparable. L'emploi du conditionnel, que la rapporteure pour l'Assemblée nationale propose d'abandonner, permet de couvrir toutes les situations.

M. Nicolas About, sénateur, vice-président, s'est montré dubitatif sur l'utilisation du futur antérieur proposé par l'amendement. Le fait de se référer au futur dans une situation passée constitue une démarche étonnante en matière juridique. La rédaction adoptée par le Sénat, qui se limite au cas où une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre « ne l'est ou ne l'a été dans une situation comparable » est plus satisfaisante. Les termes « ne l'a été » sont d'ailleurs ceux qui sont employés par la jurisprudence.

M. Christophe Caresche, député, a reconnu que les termes « ne le serait » ont une apparence quelque peu théorique. Mais ils sont essentiels car ils permettent de comparer, par exemple, la carrière d'une personne victime d'une discrimination telle qu'elle se déroule avec ce que cette carrière aurait dû être en l'absence de discrimination.

M. Nicolas About, sénateur, vice-président, a estimé que cette utilisation du conditionnel revient à demander au juge de créer une jurisprudence à partir non seulement de cas avérés mais aussi de situations purement fictives.

M. Christophe Caresche, député, a rappelé que les syndicats ont élaboré des modèles de reconstitution de carrière qui ne s'appuient pas toujours sur des situations passées mais prennent en compte les carrières telles qu'elles auraient dû se dérouler si la discrimination n'avait pas eu lieu. Certes, cette démarche est abstraite, mais elle est surtout protectrice pour les personnes.

Mme George Pau-Langevin, députée, a souligné la nécessité de pouvoir disposer des instruments juridiques permettant de reconstituer les carrières des victimes de discriminations.

M. Nicolas About, sénateur, vice-président, a fait valoir que, dans ce cas de figure, la comparaison s'établit non pas à partir d'hypothèses mais sur la base de situations affectant les personnes.

Après que Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a rappelé combien il est important de se référer à l'examen de faits constatés, le président Pierre Méhaignerie, député, a indiqué que les membres de la commission mixte paritaire ont le choix entre plusieurs rédactions possibles de l'alinéa en question : la rédaction adoptée par le Sénat, le retour au texte adopté par l'Assemblée nationale, l'amendement proposé par la rapporteure pour l'Assemblée nationale et, enfin, le recours au futur en lieu et place du conditionnel.

Suivant l'avis favorable de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a adopté l'amendement.

Par conséquent, l'amendement présenté par Mme George Pau-Langevin, députée, visant à rétablir le texte voté par l'Assemblée nationale, est devenu sans objet.

Suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a ensuite rejeté un amendement de Mme George Pau-Langevin, députée, visant à insérer dans le texte du projet de loi la définition générique de la discrimination indirecte formulée par l'article 2 de la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000.

Puis la commission mixte paritaire a examiné deux amendements identiques de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et de Mme George Pau-Langevin, députée, visant à substituer, dans la définition de la discrimination indirecte prévue au deuxième alinéa de l'article premier, au mot : « entraînant » les mots : « susceptible d'entraîner ».

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a indiqué que sa proposition renvoie au débat qui vient d'avoir lieu sur la discrimination directe. Il semble toutefois que le risque de favoriser les procès d'intention ne soit pas le même en l'espèce et qu'il soit essentiel, s'agissant des discriminations indirectes, de laisser subsister cette définition dans sa rédaction initiale. Les termes « susceptible d'entraîner », qui figurent dans la définition de la discrimination indirecte, correspondent certes à une transposition textuelle des directives 2000/43/CE et 2000/78/CE, mais ils indiquent bien que c'est la disposition, la pratique ou le critère apparemment neutre qui, par sa nature, est discriminatoire. Les termes « entraînant un désavantage » signifient que c'est l'impact de la disposition, du critère ou de la pratique apparemment neutre, son effet sur un groupe de personnes, qui constitue une discrimination. Dès lors, le juge sera amené à faire une comparaison terme à terme qui sera donc, dans une large mesure, quantitative. Si une telle approche est adéquate pour certaines questions - comme en matière de discriminations fondées sur le sexe -, elle ne l'est pas pour toutes. C'est la raison pour laquelle l'approche qualitative a été privilégiée dans les directives 2000/43/CE et 2000/78/CE, que le droit français doit transposer.

Par ailleurs, selon le droit communautaire, on doit pouvoir supprimer certaines normes dès leur adoption, avant leur mise en oeuvre, si l'on peut établir par des projections qu'elles vont être préjudiciables à tel groupe de population faisant l'objet d'une protection contre les discriminations. La formulation communautaire a le mérite d'indiquer au juge le caractère dynamique et approfondi que doit prendre son analyse de l'existence ou non d'une discrimination.

Pour l'ensemble de ces raisons, il est opportun de revenir au texte adopté par l'Assemblée nationale, seul conforme au droit communautaire.

Mme George Pau-Langevin, députée, a souligné que les députés du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC) présentent un amendement identique à celui de Mme Isabelle Vasseur.

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a expliqué pourquoi le Sénat a supprimé le terme « susceptible », lui préférant une formulation plus précise. Des magistrats ont fait valoir qu'il existe de réels dangers qu'un texte de loi se réfère à des situations hypothétiques ou sanctionnant de simples suppositions de discriminations. L'utilisation des termes « susceptible d'entraîner » va créer une véritable insécurité juridique et rendra le texte très difficile à appliquer pour les magistrats, d'autant plus que le renversement de la charge de la preuve au profit de la victime va accroître les risques pour celui qui sera accusé de discrimination. Si ce texte est adopté en l'état, il mettra en cause la présomption d'innocence et conduira in fine à des procès d'intention.

M. Christophe Caresche, député, a rappelé que les plaignants rencontrent de graves difficultés pour établir la réalité des discriminations malgré les aménagements apportés au régime de la charge de la preuve. La jurisprudence actuelle est très restrictive et les craintes formulées par la rapporteure du Sénat concernant les personnes qui seraient condamnées à tort pour avoir procédé à des discriminations paraissent exagérées. Compte tenu de la difficulté à faire reconnaître en justice certaines discriminations, il est important que la loi n'adopte pas de formules trop restrictives ; sans cela, la lutte contre les discriminations ne fera aucun progrès.

Le président Pierre Méhaignerie, député, a indiqué être partagé : on peut comprendre les craintes formulées par le Sénat au sujet de l'imprécision de l'expression « susceptible d'entraîner », mais il est aussi très important, sur le plan politique, de reconnaître un devoir de correction des inégalités sociales dans la société française, et donc d'être le plus fidèle possible au texte communautaire mais aussi d'éviter ainsi une condamnation de la France. Il aurait d'ailleurs été intéressant que ce texte reprenne la notion de « discrimination positive », tant elle paraît importante pour la cohésion sociale de la France.

Evoquant son expérience d'enseignant en Tunisie lorsque la guerre des Six jours a éclaté et l'impact de celle-ci sur une population qui avait subi de trop fréquentes humiliations, le président Pierre Méhaignerie, député, a estimé que ce texte doit être l'occasion de prouver que la République française se mobilise concrètement contre toutes les formes de discriminations.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, a souligné que les termes trop imprécis ont été récemment supprimés du code du travail à l'occasion de sa révision, tout particulièrement pour éviter de telles ambiguïtés. Il serait donc singulier de les réintroduire par ce texte.

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a rappelé que la Cour de justice des communautés européennes considère que les Etats membres ne doivent pas transposer une directive au mot à mot, sauf si celle-ci l'exige explicitement. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a récemment dégagé un objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, en vertu duquel il invite le législateur à « adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ». C'est pourquoi le guide de légistique élaboré par les services du Premier ministre déconseille « la méthode consistant à recopier purement et simplement des expressions ou des phrases dont la rédaction peut être améliorée ». En outre, d'autres pays de l'Union européenne, comme l'Espagne ou la Grande-Bretagne, n'ont pas transposé les directives mot à mot et n'ont pas repris l'expression « susceptible », sans pour autant faire l'objet d'une action en manquement de la part de la Commission européenne. Enfin, il n'est pas du tout évident qu'une formulation approximative soit plus protectrice pour les victimes.

Mme George Pau-Langevin, députée, a estimé qu'il n'est pas bon pour la cohésion sociale que la France ait l'air de « traîner les pieds » pour transposer les textes communautaires relatifs à la lutte contre les discriminations alors que nombreuses sont les victimes de telles discriminations. Malgré le dispositif de renversement de la charge de la preuve, adopté pour faciliter la reconnaissance en justice des discriminations, il est toujours très difficile de prouver la réalité des faits. On peut se demander si les réticences de certains à opérer une transposition exacte des textes communautaires dans le droit français ne traduisent pas une certaine frilosité dans la lutte contre les discriminations.

M. Guénhaël Huet, député, a fait remarquer qu'en matière de discriminations, il ne convient pas de raisonner en termes strictement juridiques ou procéduraux, mais plutôt en termes d'équité. La jurisprudence française reconnaît d'ailleurs la notion de perte de chances et prend en compte les faits susceptibles de se produire dans certaines situations. L'équité doit donc l'emporter sur le pur droit.

M. Nicolas About, vice-président, sénateur, a proposé une rédaction de compromis pour éviter l'utilisation des termes « susceptible de », suggérant d'y substituer, dans le deuxième alinéa de l'article premier, les mots : « laissant présumer qu'il entraîne ». La notion de présomption est bien établie en droit français et cette rédaction aurait pour intérêt d'éviter les dérives constatées parfois dans les pays anglo-saxons où la tendance à engager des procès à répétition pour de prétendues discriminations se développe.

Mme Marie-Jo Zimmermann, députée, a fait remarquer que le compromis proposé par le président Nicolas About paraît quelque peu compliqué, alors que la rédaction proposée par Mme Isabelle Vasseur a l'avantage d'être très fidèle au texte communautaire.

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, rappelant que l'article 249 du Traité instituant la Communauté européenne définit précisément les modalités de transpositions des textes européens en droit interne, a considéré que la solution proposée par le président Nicolas About s'y conforme : tout en étant proche du texte communautaire, elle sera plus aisée à mettre en oeuvre dans l'ordre juridique français.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a conclu cet échange de vues en indiquant que la solution résultant de l'amendement qu'elle présente paraît plus protectrice des droits des personnes discriminées.

En dépit de l'avis défavorable de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a adopté les deux amendements identiques.

Suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a rejeté un amendement de Mme Martine Pinville, députée, visant à reprendre, à l'article 1er du projet de loi, l'ensemble des motifs de discrimination tels qu'énumérés par les lois des 16 novembre 2001 et 17 janvier 2002, auxquels il est fait implicitement référence à l'article 1er de la loi du 30 décembre 2004 instituant la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

La commission mixte paritaire a ensuite examiné un amendement de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, visant à compléter l'article 1er par un alinéa posant le principe selon lequel une différence de traitement entre les salariés d'une même entreprise ne constitue pas en elle-même une discrimination.

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a expliqué qu'il s'agit de donner force de loi à un principe énoncé par la Cour de cassation dans son arrêt EDF contre Chaize et autres du 7 octobre 1999, plusieurs fois repris depuis lors. La distinction entre la différence de traitement et la discrimination est en effet essentielle car elle détermine l'état d'esprit de la lutte contre les discriminations. Sans cette distinction, en cas d'inégalité de traitement, les salariés sont incités par le droit à invoquer d'emblée un motif discriminatoire, alors que l'inégalité de traitement peut résulter d'autres facteurs et n'est pas forcément due au sexe, à la couleur de peau ou à l'orientation sexuelle de la personne. La distinction entre différence de traitement et discrimination vise au contraire à encourager les salariés, pour faire cesser une inégalité, à se réclamer du principe d'égalité qui est commun à tous, sans enfermer les individus dans leurs différences.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, après avoir rappelé que la réglementation communautaire - et le présent projet de loi - admettent déjà l'existence de différences de traitement fondées sur des exigences professionnelles essentielles et déterminantes, s'est par ailleurs inquiétée du risque de confusion que présente l'amendement et de la lecture d'inspiration communautariste qui pourrait en être faite, contrairement aux intentions de son auteur.

M. Christophe Caresche, député, a jugé l'amendement dépourvu de sens dans la mesure où le projet de loi vise à définir les discriminations ; il risque par ailleurs d'en affaiblir la portée et soulève au surplus de nombreuses interrogations.

M. Nicolas About, vice-président, sénateur, a justifié l'intérêt de l'amendement, en évoquant l'exemple d'un chef d'entreprise qui accorderait une place de parking à un salarié habitant à plusieurs dizaines de kilomètres de l'entreprise et non à un autre salarié domicilié à proximité de celle-ci. Cette différence de traitement, fondée uniquement sur l'équité, ne constituerait pas une discrimination et il est utile que la loi le précise.

M. Christophe Caresche, député, a estimé que le projet de loi permet d'ores et déjà de telles pratiques.

Mme George Pau-Langevin, députée, a considéré que l'adoption de l'amendement conduirait à introduire une ambiguïté dans la définition de la discrimination, qui correspond à une différence de traitement illégitime. Par ailleurs, le principe posé par l'amendement va de soi : par exemple, des rémunérations différentes pour des catégories de salariés différentes ne constituent évidemment pas en tant que telles des pratiques discriminatoires.

Mme Annie David, sénatrice, a fait observer que l'amendement reprend certes un principe posé par la jurisprudence, mais de façon partielle. Il conviendrait de le compléter afin de préciser que la discrimination s'entend « au sens de l'article L. 122-45 du code du travail » : c'est d'ailleurs le sous-amendement que le Sénat avait adopté à son initiative avant de rejeter la disposition.

M. Guénhaël Huet, député, s'est déclaré plutôt favorable à l'idée de fond qui sous-tend l'amendement, puisqu'en effet une différence de traitement ne constitue pas en elle-même, automatiquement, une discrimination : au contraire, une différence de traitement peut apparaître justifiée pour rétablir l'égalité entre des personnes. Le Conseil constitutionnel distingue d'ailleurs clairement l'égalité de l'uniformité. Toutefois, il est vrai que l'introduction de telles dispositions à l'article 1er du projet de loi présente un risque de confusion au regard de l'esprit de ce texte, dont l'objectif premier est de lutter contre les discriminations.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, s'est déclarée défavorable à l'amendement en estimant que, selon une jurisprudence constante, il n'existe guère de doute sur la mise en oeuvre d'un principe d'égalité différencié selon les situations des personnes concernées et que la transposition proposée de cette jurisprudence apparaît en revanche problématique.

M. Nicolas About, vice-président, sénateur, a estimé que l'amendement permet de garantir un équilibre avec celui, précédemment adopté par la commission mixte paritaire, sur la définition de la discrimination indirecte.

Mme George Pau-Langevin, députée, a indiqué qu'en tout état de cause, il serait plus opportun d'introduire ces dispositions à l'article 6 du projet de loi, qui précise la définition des discriminations légitimes.

M. Nicolas About, vice-président, sénateur, en est convenu.

Le président Pierre Méhaignerie, député, a dès lors proposé de poursuivre la discussion de cet amendement à l'article 6 du projet de loi.

En conséquence, l'amendement a été retiré.

La commission mixte paritaire a ensuite adopté l'article 1er ainsi modifié.

A l'article 2 (Régime de l'interdiction des discriminations), suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a rejeté trois amendements de Mme Martine Pinville, députée, visant, d'une part, à reprendre l'ensemble des motifs de discrimination, tels qu'énumérés par les lois du 16 novembre 2001 et 17 janvier 2002, en milieu professionnel et en matière de protection sociale, de santé et d'éducation, et prévoyant, d'autre part, que le principe d'interdiction de discrimination directe ou indirecte en milieu professionnel ne fait pas obstacle aux différences de traitement fondées sur les motifs définis au 2° de cet article 2, dans les conditions prévues par les articles L. 1133-1, L. 1133-2 et L. 1142-2 du code du travail.

La commission mixte paritaire a ensuite examiné trois amendements identiques de Mme Martine Pinville, députée, Mme Jacqueline Alquier, sénatrice, et Mme Annie David, sénatrice, visant à supprimer le dernier alinéa de l'article 2 relatif à l'organisation d'enseignements par regroupements d'élèves en fonction de leur sexe.

Mme George Pau-Langevin, députée, a rappelé que si un amendement similaire a déjà été rejeté par l'Assemblée nationale en première lecture, ces dispositions du projet de loi ont également suscité des interrogations lors de leur examen par le Sénat. En effet, il n'apparaît pas opportun d'introduire de telles dérogations, qui ne sont pas nécessaires pour assurer la transposition de la directive et suscitent au surplus de nombreuses inquiétudes s'agissant du modèle scolaire et notamment de la mise en oeuvre du principe de mixité.

M. Nicolas About, vice-président, sénateur, a souligné que cet alinéa a été adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et par le Sénat, puisque des amendements de suppression ont été rejetés dans l'une et l'autre chambre. Est-il légitime que la commission mixte paritaire revienne sur ce point même si l'article tout entier est encore en navette ?

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a précisé que la directive 2004/113 exclut de son champ d'application l'éducation. De plus, comme il a déjà été indiqué lors de l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale en première lecture, ces dispositions visent par exemple les cours d'éducation physique et sportive pour lesquels il est légitime de prévoir des enseignements et des barèmes distincts selon le sexe.

Mme Annie David, sénatrice, s'est déclarée favorable à l'amendement de suppression dès lors que la directive européenne ne traite pas de la question de l'enseignement par regroupements d'élèves en fonction de leur sexe. Il apparaît rétrograde de faire référence à de tels enseignements, alors qu'il est au contraire essentiel de promouvoir la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a rappelé avoir elle-même déposé, au Sénat, un amendement de suppression de cet alinéa. En effet, la loi de 1975, le décret du 6 septembre 1990 et l'article L. 121-1 du code de l'éducation posent déjà le principe selon lequel les établissements doivent contribuer à favoriser la mixité, ce qui n'interdit pas d'organiser des enseignements distincts selon le sexe. Il est dès lors regrettable que le projet de loi prévoit d'ériger en principe - celui de la non-interdiction d'enseignements non mixtes - ce qui n'est aujourd'hui qu'une possibilité.

Mme Pascale Crozon, députée, s'est également déclarée favorable à l'amendement de suppression en estimant que les dispositions prévues au dernier alinéa de cet article conduisent bien à légitimer un principe de non-mixité dans les établissements scolaires.

Mme Jacqueline Alquier, sénatrice, a confirmé à son tour que les dispositions du projet de loi ne découlent pas du texte de la directive communautaire et qu'elles vont à l'encontre de l'article L. 121-1 du code de l'éducation. À cet égard, il est regrettable que, lors de l'examen de ce texte par le Sénat, le Gouvernement, représenté par la secrétaire d'Etat chargée de la famille, Mme Nadine Morano, n'ait pas apporté d'explications convaincantes sur ce point, et ce d'autant plus que l'amendement avait été adopté à l'unanimité de la commission des affaires sociales et avec le soutien de la délégation aux droits des femmes. On peut dès lors se demander s'il n'y a pas eu d'intervention extérieure pour imposer la présence de cette disposition dans le projet de loi.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a estimé que l'argumentation de la rapporteure pour le Sénat démontre au contraire la nécessité d'introduire les dispositions prévues au dernier alinéa de cet article, qui s'inscrivent dans le prolongement de l'article 3 de la directive de 2004.

Suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et contrairement à l'avis favorable de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a rejeté l'amendement.

La commission mixte paritaire a ensuite adopté l'article 2 dans la rédaction du Sénat.

La commission mixte paritaire a examiné deux amendements de suppression de l'article 4 bis (Régime de la prescription en matière de discrimination) présentés par Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, et par Mme Martine Pinville, députée.

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a expliqué que les dispositions de cet article ont été intégralement reprises dans la proposition de loi relative à la réforme de la prescription en matière civile, qui a été adoptée la semaine dernière en première lecture par l'Assemblée nationale, et n'ont donc plus lieu d'être dans le présent texte. M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois du Sénat et auteur de cette proposition de loi, est favorable à cette suppression.

Après que Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, s'y est déclarée favorable, la commission mixte paritaire a adopté les deux amendements et a donc supprimé l'article 4 bis.

En conséquence, un amendement de Mme Martine Pinville, députée, proposant une nouvelle rédaction de l'article 4 bis afin de modifier les modalités de l'action en réparation du préjudice subi en matière de discriminations, est devenu sans objet.

A l'article 6 (Régime des discriminations dans le code du travail), la commission mixte paritaire a examiné un amendement de Mme Martine Pinville, députée, tendant à supprimer les troisième, quatrième, neuvième et dixième alinéas de cet article, ces dispositions étant déjà satisfaites par les articles L.  122-45-3, L. 122-45-4 et L. 123-1 du code du travail, dont la rédaction apparaît plus favorable à la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement.

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a déclaré s'en remettre sur cette question à la sagesse de la commission mixte paritaire.

Suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire a rejeté l'amendement.

En application de la décision prise lors de l'examen de l'article 2, Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a présenté à nouveau l'amendement précisant qu'une différence de traitement entre les salariés d'une même entreprise ne constitue pas en elle-même une discrimination.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a indiqué que cette proposition introduit une confusion dans le texte, d'autant plus qu'une telle précision pourrait en toute logique également figurer aux articles 2 ou 9 du projet de loi.

Le président Pierre Méhaignerie, député, s'est également prononcé contre cet ajout.

Suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire a rejeté l'amendement.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a présenté un amendement rétablissant le premier alinéa de l'article L. 122-45-3 du code du travail dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.

Cette rédaction, qui correspond à celle proposée par le Gouvernement dans la version initiale du projet de loi, vise en premier lieu à sécuriser les situations existantes de différences de traitement fondées sur l'âge et qui poursuivent un but légitime : la santé ou la sécurité des travailleurs ; l'insertion professionnelle ; l'emploi ; le reclassement ; l'indemnisation en cas de perte d'emploi. En second lieu, elle met en cohérence le droit français avec le droit communautaire, sachant que dans une mise en demeure du 21 mars 2007, la Commission européenne a expressément demandé à la France d'apporter des précisions sur les situations justifiant des différences de traitement. Cet ajout, qui conforte certaines situations existantes, a le mérite de n'être pas restrictif.

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a estimé qu'au contraire cette rédaction est plus restrictive que celle adoptée au Sénat, dès lors qu'elle présente une énumération.

M. Nicolas About, sénateur, vice-président, a rappelé la résistance de la commission des affaires sociales du Sénat à l'emploi du terme « notamment » qui n'apporte en fait aucune sécurité juridique et alourdit inutilement les textes de loi. Les magistrats sont suffisamment avisés pour savoir à quelles situations il est fait référence sans qu'il soit besoin de les détailler longuement.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a souligné qu'il est nécessaire, au contraire, de sécuriser les situations existantes de différences de traitement fondées sur l'âge.

Mme George Pau-Langevin, députée, a confirmé l'utilité de la précision.

Le président Pierre Méhaignerie, député, a indiqué vouloir rester neutre dans ce débat opposant deux philosophies : les partisans d'une législation claire et synthétique et les défenseurs d'une législation précise et détaillée.

M. Nicolas About, sénateur, vice-président, a fait valoir qu'il serait préférable de supprimer le terme « notamment » pour ne retenir que la référence au « souci de préserver la santé ou la sécurité des travailleurs, de favoriser leur insertion professionnelle, d'assurer leur emploi, leur reclassement ou leur indemnisation en cas de perte d'emploi », sachant qu'il n'est pas d'autres cas de différences de traitement fondées sur l'âge et qui poursuivent un but légitime.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a rappelé que l'amendement proposé ne restreint en aucun cas la portée du texte.

En dépit de l'avis défavorable de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a adopté l'amendement.

En conséquence, un amendement de précision rédactionnelle présenté par Mme Martine Pinville, députée, est devenu sans objet.

Suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a ensuite rejeté un amendement de Mme Martine Pinville, députée, visant à insérer deux alinéas après le huitième alinéa de l'article 6, afin d'étendre l'obligation d'affichage sur les lieux de travail de certains textes relatifs à la lutte contre les discriminations.

Suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a rejeté un amendement de précision de Mme Martine Pinville, députée.

La commission mixte paritaire a adopté l'article 6 ainsi rédigé.

A l'article 7 (Mesures de coordination dans le nouveau code du travail), suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a rejeté un amendement de coordination de Mme Martine Pinville, députée, visant à supprimer les quatrième, cinquième, huitième et neuvième alinéas de cet article.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a présenté un amendement de coordination avec la modification proposée à l'article 6 relative au régime des différences de traitement fondées sur l'âge.

En dépit de l'avis défavorable de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a adopté l'amendement.

En conséquence, un amendement de précision de Mme Martine Pinville, députée, est devenu sans objet.

Suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a rejeté un amendement de coordination de Mme Martine Pinville, députée, visant à étendre l'obligation d'affichage sur le lieu de travail.

Suivant l'avis défavorable de Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et de Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, la commission mixte paritaire a rejeté un amendement de coordination de Mme Martine Pinville, députée, visant à remplacer dans le treizième alinéa de l'article 7 le mot « écarté » par les mots « discriminé de ce fait ».

La commission mixte paritaire a adopté l'article 7 ainsi rédigé.

A l'article 9 (Interdiction des discriminations en matière de mutualité et de prévoyance), Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a présenté un amendement visant à étendre aux instituts de prévoyance les dérogations au principe de non-discrimination entre les sexes en matière de contrats d'assurance-vie et de prévoyance. Ces dérogations sont en effet actuellement réservées aux assurances et aux mutuelles, en violation du principe de libre concurrence.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a estimé qu'une telle extension n'est pas opportune, dans la mesure où l'alignement du régime juridique des instituts de prévoyance sur celui des assurances et mutuelles aurait dû intervenir dans un délai déterminé aujourd'hui dépassé.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, a mis en garde contre le danger de ne pas donner aux instituts de prévoyance les mêmes droits qu'aux assurances et aux mutuelles, alors que ces organismes travaillent sur les mêmes marchés.

Mme Muguette Dini, rapporteure pour le Sénat, a fait valoir la nécessité de corriger une distorsion de concurrence, afin de mettre la France en conformité avec le droit communautaire.

Mme Isabelle Vasseur, rapporteure pour l'Assemblée nationale, a alors indiqué que, plutôt opposée en première analyse à un tel amendement, elle s'en remet en définitive à la sagesse de la commission mixte paritaire.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, a appelé l'attention sur le fait qu'il sera en tout état de cause obligatoire d'aligner tôt ou tard le régime des instituts de prévoyance sur celui des assurances et mutuelles et qu'il est donc préférable d'adopter dès maintenant l'amendement.

La commission mixte paritaire a adopté l'amendement et l'article 9 ainsi rédigé.

La commission mixte paritaire a ensuite adopté l'ensemble du texte ainsi élaboré.

Mercredi 14 mai 2008

- Présidence de M. Patrick Ollier, président. -

Commission mixte paritaire sur les organismes génétiquement modifiés

La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés s'est réunie le mercredi 14 mai 2008 à l'Assemblée nationale.

Elle a tout d'abord procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :

M. Patrick Ollier, député, président,

M. Jean-Paul Emorine, sénateur, vice-président.

Puis la commission a désigné :

M. Antoine Herth, député,

M. Jean Bizet, sénateur,

respectivement rapporteurs pour l'Assemblée nationale et pour le Sénat.

M. Patrick Ollier, Président, après avoir remercié le Président Jean-Paul Emorine ainsi que l'ensemble des parlementaires ayant accepté de siéger au sein de la commission mixte paritaire, a rappelé à titre liminaire que la commission mixte paritaire était réunie en vertu de l'article 45 de la Constitution et conformément aux dispositions prévues par les règlements des Assemblées. Il a proposé d'établir une méthode de travail avant de donner la parole à M. Philippe Martin pour une question préliminaire.

M. Philippe Martin a indiqué que l'article 42 alinéa 1 du règlement de l'Assemblée nationale prévoyait que la présence des commissaires aux réunions des commissions auxquelles ils siègent est obligatoire. Or la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire se réunit de manière concomitante à la CMP sur le projet de loi de modernisation de l'économie. C'est notamment la raison pour laquelle le Président du groupe SRC pour la commission des affaires économiques, M. François Brottes, ne peut participer aux travaux de la CMP. La tenue de la commission mixte paritaire est-elle en conséquence réellement conforme aux dispositions du règlement ?

M. Patrick Ollier, Président, a rappelé que lors de la réunion de la commission des affaires économiques en application de l'article 88 du règlement, mardi 13 mai, seuls trois membres du groupe SRC étaient présents pour défendre les quelque 800 amendements déposés sur le texte, ce qui n'avait pas empêché la réunion d'avoir lieu.

M. Antoine Herth, rapporteur, a rappelé la richesse des débats à l'Assemblée nationale en première lecture, la qualité des travaux menés par les parlementaires, ainsi que l'esprit constructif dans lequel ceux-ci s'étaient déroulés. La conduite de ces travaux a pris beaucoup de temps, plus que prévu, mais cela fait partie du jeu démocratique et on ne peut que se réjouir du résultat ainsi obtenu. Le texte initial présenté par le gouvernement a en effet beaucoup évolué, il a été largement amélioré afin de répondre à un double impératif : s'inscrire dans le cadre communautaire régissant l'utilisation des organismes génétiquement modifiés (OGM) et prendre en compte les conclusions du Grenelle de l'environnement. Le texte résultant de la deuxième lecture au Sénat est à cet égard remarquable et sert bien l'intérêt général de notre pays sur la question des OGM.

M. Jean Bizet, rapporteur, a rappelé que le projet de loi s'inscrivait dans le cadre de la transposition d'une directive européenne pour laquelle la France avait pris un retard très important. Le texte voté par le Sénat est relativement équilibré et permet la coexistence entre cultures. Ayant rappelé qu'il avait siégé plusieurs années à la commission du génie biomoléculaire (CGB), il s'est ensuite réjoui du dispositif prévu pour le fonctionnement du Haut conseil des biotechnologies, qui permettra une véritable ouverture vers la société civile, de nature à décrisper les points de vue dans ce dossier. La France ne doit pas être absente de la recherche en biotechnologie à l'heure où ses principaux partenaires y consacrent des investissements très importants.

M. Germinal Peiro a rappelé la position divergente de l'opposition par rapport à la majorité sur la question des OGM et émis en conséquence le souhait de pouvoir faire valoir en commission mixte paritaire une partie des amendements qui auraient dû être examinés en deuxième lecture à l'Assemblée nationale la veille, tout en soulignant que son groupe s'attendait plutôt à voir émerger de nouvelles propositions de la part du gouvernement ou à ce que soit déposé un nouveau texte. La position du Premier ministre lors des questions au gouvernement ne laisse toutefois pas de doute sur la volonté de la majorité de faire adopter par la CMP ce projet de loi en l'état, avant de programmer rapidement une lecture définitive dans chaque assemblée. Le groupe SRC essaiera néanmoins de présenter les principaux amendements qu'il soutenait sur ce texte.

M. Philippe Martin a inscrit son propos en amont de celui de M. Germinal Peiro, s'interrogeant sur les fondements juridiques ayant servi de base à la convocation de la CMP ainsi que sur la teneur du texte soumis à la CMP. Une commission mixte paritaire est en effet conçue pour harmoniser des textes différents or la motion de procédure adoptée hier à l'Assemblée a entraîné le rejet du texte en discussion : quel est donc le texte sur lequel la CMP doit se baser pour travailler ?

M. Patrick Ollier, Président, a rappelé qu'en vertu de l'article 45 alinéa 2 de la Constitution, « lorsque, par suite d'un désaccord entre les deux assemblées, un projet ou une proposition de loi n'a pu être adopté après deux lectures par chaque assemblée ou, si le gouvernement a déclaré l'urgence, après une seule lecture par chacune d'entre elles, le Premier Ministre a la faculté de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion ». Ces deux lectures ayant eu lieu et le désaccord ayant été constaté suite à l'adoption, conformément aux dispositions de l'article 91 alinéa 4, d'une question préalable entraînant le rejet du projet de loi sur lequel s'était prononcé favorablement le Sénat en deuxième lecture, le gouvernement était en droit de convoquer une CMP. Il a rappelé en outre que l'article 109 du règlement de l'Assemblée nationale prévoit que « le rejet de l'ensemble d'un texte au cours de ses examens successifs devant les deux assemblées du Parlement n'interrompt pas les procédures fixées par l'article 45 de la Constitution ». Le processus ayant conduit à la convocation de la commission mixte paritaire est donc parfaitement respectueux de la Constitution et du règlement de l'Assemblée nationale.

Mme Delphine Batho a fait remarquer qu'en dépit des dispositions de la Constitution et du règlement qui viennent d'être énoncées, le gouvernement n'avait pas eu politiquement raison de convoquer la CMP. Cette démarche est en effet contraire à la volonté maintes fois réaffirmée de la majorité d'aboutir à un texte consensuel destiné à régler les désaccords persistants qui entourent la question des OGM. Passer outre la décision de rejet prise par l'Assemblée nationale ne pourra que contribuer à affaiblir la légitimité de ce texte. Par ailleurs, l'adoption de ce projet de loi ne permettra pas d'évacuer le sujet des OGM, ce « petit sujet » comme l'a nommé le Président de la République le 24 avril dernier, et ce d'autant plus que le texte présente des contradictions et des failles béantes. Il aurait ainsi été plus sérieux de retirer ce texte pour en déposer un nouveau plus conforme aux engagements du Grenelle de l'environnement qui ne sont pas aujourd'hui respectés. Pas une association ayant participé au Grenelle ne soutient d'ailleurs le texte qui a été présenté au Parlement, et il faut signaler qu'un député UMP sur quatre ne l'a pas voté. Il est faux d'affirmer que le dispositif instauré par le projet de loi est un des plus protecteurs au monde alors qu'il n'utilise pas de ce point de vue toutes les possibilités données par l'article 26 bis de la directive 2001/18/CE. On ne peut que s'étonner d'entendre dire que l'opposition aurait souhaité éviter un débat de fond en votant hier la question préalable et qu'espérer que ce débat pourra néanmoins avoir lieu dans le cadre de la CMP. Enfin, s'agissant de la conformité aux dispositions du règlement de l'Assemblée nationale, il convient de rappeler que l'article 151-4 alinéa 2 impose que le rapport de la commission sur un projet de loi portant transposition d'une directive ayant fait l'objet d'une résolution adoptée par l'Assemblée nationale comporte en annexe une analyse des suites qui ont été données à cette résolution. Or, il y a bien eu une résolution adoptée sur la directive 2001/18/CE qui est transposée par le présent projet de loi et les rapports de la commission en première comme en deuxième lecture ne comportent pas l'annexe prévue par l'article 151-4.

M. André Chassaigne a indiqué que l'analyse des textes constitutionnels présentée par le Président Patrick Ollier devrait être soumise à validation, même si elle semblait a priori cohérente. La situation présente est le résultat de plusieurs facteurs : tout d'abord, le refus d'organiser un vote solennel sur le texte ; la volonté ensuite de ne pas laisser les députés s'exprimer pleinement en deuxième lecture, comme en témoigne la réduction du temps habituel de défense des motions de procédure ; enfin, l'absence de réponse du ministre et du rapporteur aux motions présentées et la volonté affichée par la majorité d'adopter le projet de loi conforme en deuxième lecture. Le climat ainsi instauré ne permettait pas au débat de se dérouler dans de bonnes conditions : ce n'est donc pas au final le vote de la question préalable qui a évité la discussion, sur laquelle un « rideau de fer » s'était manifestement déjà abattu. Or, des questions fondamentales ne sont pas abordées dans ce texte, ce qui explique d'ailleurs la défection de nombreux députés de la majorité. S'agissant en particulier de l'amendement adopté en deuxième lecture au Sénat, il oblitère la question de savoir quand on considère qu'il y a OGM : si, dès le départ, cette question, qui détermine l'interprétation de l'ensemble des dispositions du texte, avait été traitée, il n'y aurait pas eu autant de confusions. À la place, on renvoie à une réglementation communautaire inexistante alors même que d'autres États membres de l'Union européenne ont décidé de leur propre chef de retenir la référence au seuil de détectabilité.

M. François Fortassin, après avoir déclaré qu'il ne souhaitait pas se prononcer sur les questions de procédure, a exprimé le sentiment que la réunion de la commission mixte paritaire ce jour même ne tenait pas compte du vote de l'Assemblée nationale la veille. L'adoption par l'Assemblée nationale d'une question préalable reflète l'opposition, voire l'hostilité, de l'opinion publique à ce projet de loi. Le Parlement peut-il adopter un texte qui ne prend réellement en compte ni le principe de précaution ni les conclusions du Grenelle de l'environnement ? Ce dossier met avant tout en lumière un manque d'effort pédagogique de la part du gouvernement : celui-ci eut mieux fait de prendre le temps de la réflexion avant la convocation de la commission mixte paritaire.

M. Philippe Tourtelier a estimé que l'article 45 alinéa 2 de la Constitution prévoyant deux cas de figure pour la convocation d'une CMP, après deux lectures dans chaque chambre ou après une lecture en cas de déclaration d'urgence, il n'était pas clair de savoir laquelle des deux avait été utilisée dans le cas d'espèce. Le texte ayant été rejeté hier, peut-on vraiment considérer qu'il y a eu deux lectures dans chaque chambre ou faut-il comprendre que, contrairement aux engagements pris par le ministre, l'urgence n'avait pas été levée sur le texte ? En tout état de cause, il s'agit purement et simplement de la suppression du débat public. Par ailleurs, on ne peut être qu'en désaccord avec le rapporteur lorsque celui-ci avance que le texte est conforme au Grenelle de l'environnement, ne serait-ce qu'en raison de l'introduction des termes « avec ou » dans la consécration de la liberté de consommer et de produire sans OGM qui est une des demandes majeures du Grenelle de l'environnement. L'introduction de ce « avec ou » est d'autant plus incompatible avec les objectifs du Grenelle qu'aucun seuil n'est défini à l'appui de cette insertion.

M. Jean-Marc Pastor a rappelé que l'examen du projet de loi avait été marqué par trois événements notables : l'attitude de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet lors de la première lecture à l'Assemblée nationale ; la déclaration par le gouvernement, lors de la deuxième lecture du Sénat, qu'il ne tiendrait pas compte du travail de l'opposition puisqu'il n'accepterait aucun de ses amendements, ce qui avait conduit l'opposition à dénoncer un débat « fantoche » et à quitter l'hémicycle ; l'adoption de la question préalable lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Dans ces conditions, les sénateurs socialistes n'entendent pas présenter d'amendement, car ils considèrent que le débat a été verrouillé par la majorité. Le groupe RDSE est ainsi contraint sur ce texte d'adopter une attitude se démarquant de sa participation franche et loyale sur de nombreux autres dossiers, dont l'examen du précédent projet de loi sur les OGM en 2006.

M. Patrick Ollier, Président, a rappelé que l'Assemblée nationale, que ce soit en commission ou en séance, avait débattu en première lecture pendant près de 50 heures : la discussion a donc pu avoir lieu librement, les arguments ont pu s'affronter et des amendements de l'opposition ont même été adoptés, y compris pour certains en dépit de leur rejet initial par la commission des affaires économiques, comme par exemple les amendements présentés par MM. André Chassaigne et François Grosdidier à l'article 1er. S'agissant de la question préalable, la majorité s'attendait d'autant moins à son adoption qu'elle avait rejeté quelques instants plus tôt une motion d'irrecevabilité défendue par le groupe SRC. Il ne s'agit donc pas d'un choix politique mais d'un concours de circonstances. La majorité considère que la question des OGM mérite un débat de fond, même s'il peut y avoir désaccord sur les amendements présentés. Par ailleurs, à l'issue des travaux de la CMP, il y aura de nouveau un vote dans chaque chambre. S'agissant des conditions dans lesquelles la CMP a été convoquée sur lesquelles M. Philippe Tourtelier s'est interrogé, le Président a rappelé, d'une part, qu'il y avait bien eu deux lectures dans chaque chambre, la deuxième lecture commençant dès l'ouverture de la discussion générale même si celle-ci est ensuite interrompue, et, d'autre part, que l'article 109 du règlement de l'Assemblée nationale prévoyait bien que le rejet du texte n'interrompait pas les procédures en cours. S'agissant du second cas de figure, celui d'un texte déposé avec déclaration d'urgence, il a demandé à ce qu'il lui soit fait crédit d'avoir demandé que l'urgence ne soit pas appliquée afin que le débat puisse avoir pleinement lieu sur ce texte, comme sur d'autres. Toutefois, il convient également de rappeler que si le ministre peut s'engager à ne pas appliquer l'urgence, celle-ci ne peut formellement être levée et perdure jusqu'à l'issue de la procédure.

M. Jean-Paul Emorine, Vice-président, a souhaité indiquer à Mme Delphine Batho qu'on ne pouvait dire que la convocation de la commission mixte paritaire était de nature à affaiblir la portée de la loi, dans la mesure où il s'agissait d'une procédure classique, dont l'usage avait été particulièrement fréquent dans les périodes de cohabitation. Le projet de loi n'a pas par ailleurs pour objet de transposer la directive 2001/18/CE, qui a déjà été transposée par décret en 2007. Le texte a en outre fait l'objet de deux lectures dans chaque assemblée. En réponse à l'intervention de M. Jean-Marc Pastor, il a rappelé que les OGM ne constituaient pas une question nouvelle pour le Sénat, qui y avait consacré des rapports d'information en 1998 et 2003 et avait eu l'occasion d'examiner un projet de loi sur ce sujet en 2006. Les OGM avaient donc fait l'objet au Sénat d'un large débat, qui avait été marqué par une certaine sérénité.

Mme Delphine Batho a souhaité qu'il lui soit répondu sur la question de l'application de l'article 151-4 alinéa 2 du règlement et a estimé pour sa part que le projet de loi avait au moins pour objet de transposer l'article 26 bis de la directive 2001/18/CE. Le rapport de deuxième lecture de la commission des affaires économiques fait d'ailleurs état de la nécessité d'adopter rapidement le projet de loi en raison du risque de condamnation de la France le 5 juin prochain par la Cour de justice des communautés européennes pour non-transposition de cette directive.

M. Jacques Muller a estimé que le projet de loi sur les OGM constituait une difficulté majeure pour la majorité et que celle-ci peinait à respecter en même temps les conclusions du Grenelle de l'environnement et les exigences du lobby agro-industriel. Sans prendre position dans le débat sur la constitutionnalité de la procédure, on peut néanmoins regretter de devoir travailler dans l'urgence dans la mesure où ce sujet méritait de prendre le temps de la réflexion, en particulier quant à la définition du « sans OGM ». Il a indiqué qu'avec sa collègue UMP Mme Fabienne Keller, il avait lancé le 13 mai un appel pour la définition du « sans OGM » s'appuyant sur une démarche scientifique fondée sur un seuil de détection reproductible et a annoncé qu'il entendait déposer plusieurs amendements dans le cadre de cette commission mixte paritaire qu'il abordait dans un esprit constructif.

M. Philippe Martin, faisant une analogie entre la tenue de la CMP et l'orchestre du Titanic continuant à jouer pendant que le navire sombre, a souligné que les citoyens, qui avaient entendu la veille qu'un projet de loi controversé sur les OGM avait été rejeté par une majorité de députés, ne comprendront pas qu'on leur annonce aujourd'hui que, par l'effet d'une application certes juste mais stricte de la Constitution, moins d'une quinzaine de parlementaires réunis à huis clos vont pouvoir continuer à travailler sur le texte comme si rien ne s'était passé. Cette situation ne peut que contribuer à affaiblir la crédibilité du Parlement, notamment à quelques jours du lancement du débat sur la réforme des institutions censée renforcer son rôle. Lors de l'épisode du rejet du texte sur le PACS en 1998, le gouvernement de l'époque avait fait déposer un texte nouveau et avait pris le temps de l'écoute avant de programmer son examen. À cet égard, il serait intéressant de savoir si une autre voie que celle de la convocation de la CMP aurait pu être utilisée.

M. Dominique Braye, s'opposant aux remarques qui venaient d'être faites, a fait valoir que le débat qui s'était tenu au Sénat sur le projet de loi OGM avait permis d'aller au fond des sujets, certains arguments ayant même été repris de manière répétitive. Le processus d'examen législatif a donc été mené à son terme, y compris au Sénat, et le reprendre à son début n'apporterait pas « une pierre de plus à l'édifice ». Le respect des citoyens consiste plutôt à leur donner l'information qui leur manque puisque, si 80 % des Français ne veulent pas d'OGM dans leur assiette, 92 % reconnaissent n'y rien connaître. La démocratie représentative offre précisément le cadre approprié pour traiter de sujets de société aussi complexes. À cet égard, il est regrettable que la science n'ait pas eu la place qui lui revenait dans le débat sur les OGM.

M. Antoine Herth, rapporteur, a répondu à Mme Delphine Batho que le projet de loi n'avait pas pour objet de transposer la directive 2001/18/CE, comme il l'avait indiqué à de nombreuses reprises dans ses rapports de première et deuxième lecture. Le projet de loi n'en constitue pas moins une mise en oeuvre de la directive, transposée préalablement par décret en 2007, et notamment de son article 26 bis. M. Antoine Herth a rappelé que celui-ci se borne à renvoyer au principe de subsidiarité en précisant que « les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires pour éviter la présence accidentelle d'OGM dans d'autres produits ». À cet égard, le projet de loi ne se limite pas à reprendre les termes de l'article 26 bis mais prévoit bien des dispositions concrètes de coexistence, notamment dans ses articles 3 A, 3 B et 3. S'agissant plus généralement de la portée du projet de loi et des comparaisons qui ont été faites avec des pays comme l'Allemagne qui a récemment complété sa législation sur les OGM, il convient de rappeler que ce pays s'est attelé à cette tâche à quatre reprises successives alors que la France n'en est qu'à son premier texte. Une délégation du Bundestag rencontrée récemment soulignait à quel point ces différentes étapes furent utiles pour faire progresser la réflexion, notamment sur la question de l'étiquetage des produits alimentaires. De nombreuses critiques ont également été émises sur la qualité des travaux menés par l'Assemblée nationale. M. François Brottes a, pour sa part, reconnu à plusieurs reprises que le rapporteur avait essayé d'être le plus objectif et le plus impartial possible ; il est dommage d'entendre aujourd'hui le contraire, même si les circonstances politiques y sont évidemment pour quelque chose.

M. Jean Bizet, rapporteur, en réponse à M. François Fortassin et en appui aux propos de M. Dominique Braye, a jugé que l'état de l'opinion publique vis-à-vis des OGM était fonction de la manière dont étaient posées les questions. Notamment, une étude sociologique conduite par l'Institut national de recherche agronomique (INRA) montre que, s'agissant des OGM, la population française peut se partager en trois tiers : le premier étant favorable aux OGM, le deuxième favorable à condition que le prix des OGM soit incitatif, et le dernier farouchement opposé. Il convient aussi de ne pas occulter le fait que les OGM font déjà partie de notre consommation quotidienne puisqu'ils sont inclus, depuis une dizaine d'années, dans les enzymes, colorants, adjuvants alimentaires...Notamment, la chymosine génétiquement modifiée est déjà intégrée dans le procédé de fabrication du camembert de Normandie, du Beaufort ou du Chabichou.

Faisant allusion au premier rapport qu'il avait publié en 1998 sur le sujet, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, et au rapport suivant qu'il avait élaboré en 2003 avec M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, au nom de la même commission, M. Jean Bizet a rappelé qu'il avait toujours plaidé pour un étiquetage clair des produits contenant des OGM, étiquetage désormais prévu par le règlement européen de 2003.

Concernant le principe de précaution, il s'est étonné que des parlementaires socialistes l'invoquent alors même qu'ils n'avaient pas voté la Charte de l'environnement en 2004. Il est convenu s'être progressivement converti au principe de précaution, sans pour autant négliger l'intégration de la France dans la mondialisation, mais a mis en garde contre une dérive vers un principe de suspicion.

Revenant sur la question du seuil soulevée par son collègue, M. Jacques Muller, il a jugé que cette question était idéologique et que, si les OGM étaient dangereux, ce que n'avaient jamais pu prouver l'Académie des sciences ni aucune autre institution d'expertise indépendante, il faudrait exiger de détecter la moindre trace d'OGM, au niveau infinitésimal ce que permettent désormais les dernières technologies en matière d'analyse biologique.

M. Germinal Peiro, tout en soulignant qu'il était inutile de faire des procès d'intention et de contester la bonne foi des uns et des autres, s'est élevé contre l'interprétation des sondages d'opinion donnée par M. Dominique Braye, estimant que celle-ci reposait sur l'a priori selon lequel si la connaissance du public progressait sur la question des OGM, celui-ci y serait moins opposé. L'expérience au sein du groupe SRC témoigne du contraire : il y a encore quelques mois, nombre de députés socialistes étaient encore plutôt favorables aux organismes génétiquement modifiés, espérant notamment qu'ils constitueraient une solution à la faim dans le monde. Le travail d'analyse mené au sein du groupe afin de comprendre le fonctionnement des OGM et leur utilisation en grande culture les a convaincus de changer d'opinion. Si le fait que l'on consomme quotidiennement des OGM, que ce soit par le biais de levures ou de médicaments, mis en avant par le rapporteur Bizet, n'est pas contesté et n'est d'ailleurs pas au coeur des enjeux sur les OGM, la culture des plantes génétiquement modifiées pose en revanche problème en raison de leur possible extension sur l'ensemble du territoire.

Mme Delphine Batho a donné acte au rapporteur de ses tentatives pour répondre de la manière la plus complète et la plus honnête possible aux questions de l'opposition dans la conduite du débat en première lecture et a estimé que son travail n'était pas en cause. La question de savoir si le texte transpose ou non la directive 2001/18/CE est néanmoins une question de fond, au sujet de laquelle le rapporteur a indiqué dans son rapport de première lecture qu'« en dépit de l'adoption en mars 2007 de plusieurs textes réglementaires permettant d'achever la transposition, la commission ne s'[était] pas désistée ». Mme Delphine Batho a considéré que la Cour de justice devrait donc apprécier les griefs de la Commission européenne en fonction de la nouvelle loi française. Elle a estimé que l'on pouvait en déduire que l'article 151-4 du règlement de l'Assemblée nationale prévoyant que « pour les projets de loi portant transposition d'une directive ayant fait l'objet d'une résolution adoptée par l'Assemblée nationale, le rapport de la commission comporte en annexe une analyse des suites qui ont été données à cette résolution », n'avait pas été respecté.

M. Philippe Tourtelier a rappelé qu'il avait été membre de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les enjeux des essais et de l'utilisation des organismes génétiquement modifiés et a souligné que le débat ne portait pas que sur les manipulations génétiques concernant les plantes, contrairement à ce que pouvait laisser penser le projet de loi. Par ailleurs, les scientifiques soulignent le manque de recul pour mesurer les effets des OGM : 10 ans est en effet une durée insuffisante pour se prononcer d'un point de vue épidémiologique et toxicologique. Pour dresser un parallèle avec un autre sujet majeur de santé publique, il faut rappeler que les premières alertes sur l'amiante furent lancées dès le début du siècle dernier. Enfin, s'agissant de la culture des OGM, il faut rappeler que celle-ci se caractérise par son irréversibilité : ce n'est là qu'un des aspects du principe de précaution, qui, en application de la Charte de l'environnement, s'applique en cas de risque à la fois grave et irréversible, ce que l'on peut d'ailleurs déplorer. Néanmoins, face à l'irréversibilité avérée des OGM, il est logique que les consommateurs s'interrogent sur la gravité du risque qu'ils représentent.

M. André Chassaigne a considéré que l'adoption, la veille, de la motion de procédure qu'il avait présentée ne remettait pas en cause la qualité du débat qui avait eu lieu en première lecture à l'Assemblée nationale. Le rapporteur M. Antoine Herth s'est toujours efforcé de répondre aux interrogations de l'opposition avec précision et sincérité. De nombreux amendements de l'opposition ont d'ailleurs pu être adoptés en première lecture qui, même s'ils ne règlent pas fondamentalement les questions posées sur le texte, contribuent cependant à l'améliorer. Si l'opposition reste néanmoins attachée à la nécessité de définir précisément ce qui est « OGM » et ce qui ne l'est pas, ce n'est pas pour pouvoir mieux assimiler OGM et danger. A contrario, si une définition faisant référence au seuil de détectabilité avait été adoptée, il y aurait aujourd'hui moins de confusion dans l'esprit des citoyens. Plus généralement, on peut être opposé au projet de loi sur les OGM sans être opposé à tout développement des OGM : le groupe GDR a ainsi manifesté à plusieurs reprises son soutien à la recherche publique dans ce domaine. Il est donc regrettable que ceux qui votent contre le présent texte soient assimilés à des fanatiques anti-OGM, alors qu'ils considèrent simplement que celui-ci ne répond pas à toutes les questions qu'ils se posent sur les organismes génétiquement modifiés.

M. Patrick Ollier, Président, a souligné, en réponse à M. Germinal Peiro, qu'a contrario de l'expérience du groupe socialiste, le groupe UMP avait connu un cheminement inverse sur la question des OGM : partant d'un sentiment de suspicion, il a évolué vers un sentiment de conviction, notamment suite au débat avec des spécialistes de ces questions organisé à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 janvier dernier. S'agissant des voies possibles de poursuite de l'examen du projet de loi sur les OGM, le gouvernement avait la possibilité de convoquer la CMP ou de faire se poursuivre la navette. Toutefois, cela revenait à représenter au Sénat un texte qu'il avait déjà adopté et il a été jugé plus correct de ne pas demander aux sénateurs de se prononcer de nouveau sur le même texte alors que celui-ci avait déjà fait l'objet d'une large discussion en deuxième lecture.

Le Président s'est par ailleurs dit en accord total avec les propos de M. Philippe Martin lorsqu'il affirmait qu'il n'appartenait pas à 14 parlementaires de défaire ce qui avait été fait par les deux assemblées. Si chacun des membres de la CMP s'accorde à dire que la commission n'a pas à revenir sur les décisions prises par l'Assemblée Nationale et le Sénat lors des lectures précédentes du projet de loi, il est proposé que la commission ne rouvre pas le débat sur chacun des articles déjà adoptés conformes par le Sénat en deuxième lecture et qu'un vote global sur ceux-ci soit organisé afin de confirmer leur adoption par la CMP dans les mêmes termes.

M. Dominique Braye s'est demandé si la commission mixte paritaire avait le droit d'apporter des modifications à des articles votés en termes identiques par les deux chambres du Parlement.

M. Patrick Ollier, Président, a indiqué qu'il n'y avait pas de règles spécifiques régissant l'organisation des travaux d'une commission mixte paritaire, le principe étant néanmoins, dans le contexte d'un rejet du texte par l'adoption d'une question préalable, de laisser la possibilité de rouvrir la discussion sur l'ensemble des articles du texte.

A la suite d'une suspension de séance, M. Germinal Peiro a indiqué qu'après concertation entre les deux groupes de l'opposition représentés au sein de la commission mixte paritaire, ceux-ci estimaient qu'en dépit de la liberté donnée à la commission pour organiser ses travaux, celle-ci devait laisser le plus d'espace possible à la discussion qui devrait en conséquence porter sur tous les articles du projet de loi. La proposition de vote global sur l'ensemble des articles à l'exception de l'article 1er n'est pas acceptable pour l'opposition : celle-ci ne prendra donc pas part à ce vote et souhaiterait par ailleurs avoir confirmation que la discussion aura bien lieu sur l'article 1er.

M. Patrick Ollier, Président, a indiqué que l'article 1er était pour l'heure réservé.

Mme Delphine Batho a fait observer que la CMP n'était pas réunie dans un contexte classique où elle n'a à se prononcer que sur les articles restant en discussion : suite au rejet du texte par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, tous les articles du projet de loi figurent dans le texte soumis à la commission mixte paritaire et sont ouverts à la discussion. Les membres de la CMP sont donc en droit d'attendre une discussion nouvelle sur chacun de ces articles et c'est la responsabilité du Président que de la leur refuser.

M. Jean-Paul Emorine, vice-président, a souligné que, sur les articles en question, l'Assemblée nationale et le Sénat n'avaient aucune divergence et a donc souscrit à la proposition du président Patrick Ollier de les soumettre à un vote global.

M. Patrick Ollier, Président, tout en reconnaissant que la CMP était saisie de l'ensemble des articles du projet de loi, a souligné que le choix de la majorité des députés et sénateurs membres de la commission mixte paritaire n'était pas de rouvrir une discussion sur les articles adoptés préalablement par l'Assemblée nationale et le Sénat.

La commission mixte paritaire a ensuite adopté les articles 1er A, 2, 3A, 3B, 3, 4, 5, 6, 6 bis, 7, 8A, 8, 9, 10, 11, 11 bis A, 11 bis, 11 ter,12, 13, 14 et 15 dans leur rédaction issue de la deuxième lecture du projet de loi au Sénat, sans modification, l'opposition ne prenant pas part au vote.

La commission est ensuite passée à l'examen de l'article 1er.

M. Patrick Ollier, Président, constatant qu'une discussion générale d'une heure et demie avait déjà eu lieu et qu'aucun des membres de la majorité n'avait manifesté la volonté de rouvrir le débat sur l'article 1er, a proposé de passer directement au vote sur cet article. La majorité ne souhaite notamment pas remettre en cause l'amendement n° 252 de M. André Chassaigne. Il est donc proposé à la CMP de voter sur l'article 1er du projet de loi dans le texte adopté par le Sénat en deuxième lecture sans retenir les nouvelles rédactions qui seraient proposées.

M. Philippe Martin s'est insurgé contre cette proposition, qui signifie la fin de la discussion et l'impossibilité pour l'opposition de défendre ses amendements. La réserve de l'article 1er devrait se traduire par la tenue d'un véritable débat sur cet article : en l'absence de débat, l'opposition prendra acte de la volonté de la majorité de « passer en force » sur ce texte.

M. Patrick Ollier, Président, a réfuté le terme de « passage en force », la majorité étant simplement majoritaire. Il a rappelé son intention d'aller au bout de la discussion démocratique. C'est l'adoption de la motion de procédure présentée par l'opposition hier qui a interrompu le débat que la majorité était tout à fait disposée à poursuivre. Celle-ci compte désormais faire valoir son point de vue qui est de ne pas remettre en cause les amendements déjà votés par le Parlement, y compris l'amendement n° 252 de M. André Chassaigne : il convient de respecter le travail du Sénat et donc d'adopter le texte qu'il propose. Il est excessif de la part de l'opposition de réclamer que le débat reprenne exactement là où elle l'a elle-même interrompu. Le débat reprendra dans l'hémicycle, sur les conclusions de la CMP.

M. Germinal Peiro a indiqué qu'il n'acceptait pas cette façon de procéder. La réserve de l'article 1er ne laissait nullement présager que celui-ci ne viendrait pas en discussion. La CMP est en outre habilitée à aborder tous les articles restant en discussion : or, l'Assemblée nationale n'a jamais débattu de l'amendement adopté par le Sénat en deuxième lecture à l'alinéa 2 de l'article 1er. Enfin, le débat ne pourra pas avoir lieu dans l'hémicycle dans la mesure où il n'y a pas d'amendement déposé lors du vote définitif d'un texte issu des conclusions d'une CMP, sauf accord du gouvernement. Il appartient donc à la CMP d'amender le texte proposé. Le vote de la question préalable hier ne constituait en aucun cas un refus de débattre mais un appel à de nouvelles propositions ; les motions de procédure sont en outre des procédures réglementaires, qu'on ne peut assimiler à des incidents ou des manoeuvres, comme il a pu être dit par ailleurs.

M. André Chassaigne a regretté que les membres de la CMP ne puissent échanger sur l'article 1er du projet de loi et en particulier sur l'amendement adopté par le Sénat en deuxième lecture à cet article. Aucune réponse n'a été apportée par le ministre ou le rapporteur sur les interrogations suscitées par cet amendement. La plus grande confusion subsiste sur le sens et la portée des deux phrases introduites par le Sénat à cet article, dont on ne sait si elles constituent une remise en cause ou une simple précision des dispositions précédentes qui résultent de l'adoption de l'amendement n° 252 en première lecture à l'Assemblée nationale.

M. Philippe Tourtelier a fait part de son étonnement quant à la procédure utilisée. L'adoption de la question préalable hier témoignait de l'existence de nombreux problèmes en suspens qui auraient dû être réglés par le dépôt d'un nouveau texte. Le gouvernement a passé outre en convoquant une CMP qui, à son tour, décide de voter globalement sur l'ensemble des articles à l'exception du 1er qu'elle réserve pour finalement ne pas ouvrir la discussion dessus. Il y avait vraisemblablement des façons plus démocratiques de conduire les travaux de cette commission.

M. Jean-Marc Pastor a déclaré que son collègue M. Daniel Raoul et lui-même étaient des parlementaires socialistes qui n'étaient pas des opposants aux OGM, même s'ils étaient très prudents et plaidaient pour l'application du principe de précaution, eu égard aux incertitudes attachées à la pollinisation et aux possibles applications des OGM dans le domaine animal. Rappelant qu'ils avaient déjà connu cette méthode imposant un vote conforme au Sénat en deuxième lecture, ce qui avait conduit les sénateurs de l'opposition à quitter l'hémicycle, il s'est dit surpris que de telles pratiques se retrouvent en commission mixte paritaire sur un sujet si important, qui mériterait un autre traitement.

M. Patrick Ollier, Président, a estimé que le débat avait bien eu lieu, pendant plus d'une heure et demie en CMP, et a rappelé que la commission des affaires économiques avait, lors de la première lecture, à plusieurs reprises fait droit à des amendements de l'opposition, parfois contre l'avis du gouvernement. Aujourd'hui, une divergence de fond oppose la majorité et l'opposition, la première considérant que le texte proposé doit être adopté en l'état, y compris l'article 1er comprenant les amendements de MM. André Chassaigne et François Grosdidier. La majorité n'avait d'ailleurs pas l'intention de procéder autrement lors de l'examen du texte en deuxième lecture : elle considère en effet que la discussion parlementaire a permis d'aboutir à un texte équilibré qu'il n'est pas possible de rendre désormais plus protecteur. Cet équilibre trouvé au sein de la majorité ne saurait être remis en cause par d'éventuelles nouvelles propositions de rédaction et il appartient aux représentants de la majorité siégeant au sein de la CMP de faire en sorte qu'il soit respecté.

M. Jacques Muller a fait valoir que cette commission mixte paritaire était la première à laquelle il participait et s'est dit « atterré » par la méthode retenue, dans la mesure où l'Assemblée nationale avait adopté, avec sagesse, un amendement protégeant les cultures sans OGM et que le Sénat avait ensuite introduit une définition confuse du « sans OGM ». Le devoir de la commission mixte paritaire est de clarifier tout cela. La définition du « sans OGM » est effectivement centrale puisqu'en dépendra le nombre d'agriculteurs et d'apiculteurs susceptibles d'être indemnisés en cas de dissémination d'OGM. Cette définition peut dépasser les clivages politiques, comme l'atteste la tribune commune publiée dans un quotidien du soir par sa collègue Mme Fabienne Keller et lui-même.

M. Christian Jacob a estimé que l'avis de l'opposition avait été très largement entendu, chacun de ses représentants ayant été mis en mesure d'intervenir à plusieurs reprises. Il est donc choquant que les députés socialistes aient décidé de quitter la salle au cours de la réunion de la CMP afin de tenir un point presse dans le couloir. L'adoption de la question préalable hier s'apparente également à un coup médiatique qui s'est toutefois révélé contre-productif pour l'opposition, celle-ci n'ayant pas pu défendre en séance publique de deuxième lecture les amendements qu'elle avait déposés sur le texte. Il s'est ensuite déclaré favorable à l'adoption de l'article 1er dans sa version issue de la deuxième lecture du projet de loi au Sénat.

M. Daniel Raoul, sans revenir sur la méthode, déjà choisie en deuxième lecture au Sénat puisque le ministre et le rapporteur y avaient d'emblée annoncé leur opposition à tous les amendements déposés, a estimé que l'examen du projet de loi sur les OGM avait été pollué par le cas d'une seule plante génétiquement modifiée, le MON 810. De ce fait, ce texte, au titre trompeur puisqu'il laisse présager des dispositions relatives aux OGM non végétaux -fromage, vaccins...-, ne répond pas à l'attente qui était celle d'une loi fondatrice sur les biotechnologies destinée à assurer l'avenir international de l'entreprise France.

Il a estimé que l'amendement apporté par la commission des affaires économiques du Sénat à l'article 1er, en deuxième lecture, aurait mérité discussion. La représentation parlementaire, après l'excellent travail conduit ces dernières années, notamment au Sénat, a échoué à faire oeuvre pédagogique à l'égard des OGM : alors que chacun consomme des OGM et ne saurait refuser leur usage à des fins thérapeutiques, certains martèlent encore le slogan « Non aux OGM », ce qui s'apparente à une escroquerie intellectuelle.

M. Dominique Braye, pour avoir participé à de nombreuses commissions mixtes paritaires, a remercié le président Patrick Ollier d'avoir ainsi présidé celle-ci. C'est la première fois qu'une discussion générale préalable à l'examen des articles prend autant de temps et laisse la parole à de nombreux membres de la commission mixte paritaire, parfois à plusieurs reprises. Le texte vers lequel s'achemine la commission mixte paritaire est le meilleur texte possible à ce jour et il est choquant que des parlementaires de l'opposition n'assument pas leur vote d'hier, à savoir l'adoption d'une motion de procédure empêchant l'examen des amendements déposés sur ce texte à l'Assemblée nationale, en deuxième lecture. Sans doute, comme l'a déclaré M. Jean-Marc Pastor, le texte méritait-il mieux et le contexte l'en a-t-il empêché mais qui est responsable de celui-ci, et quelle place a-t-on donné à la science dans les débats ?

M. Antoine Herth, rapporteur, a rappelé que lors de l'examen du projet de loi en deuxième lecture par la commission des affaires économiques le 30 avril dernier, le groupe SRC n'avait présenté qu'un seul amendement alors que le 13 mai, lors de la réunion de la commission en application de l'article 88 du Règlement de l'Assemblée nationale, il en avait présenté près de 800 nouveaux en vue de l'examen du texte en séance publique. On ne peut que constater que lorsque l'occasion de débattre de l'article 1er et de défendre des amendements lui a été donnée, en commission comme en séance, le groupe SRC ne s'est pas saisi de cette opportunité, soit en ne présentant pas d'amendement soit en faisant en sorte qu'ils ne soient pas examinés.

M. Jean Bizet, rapporteur, a tenu à revenir sur les motivations de l'amendement que la commission des affaires économiques du Sénat avait adopté, sur sa proposition, en deuxième lecture. Il s'agit d'assurer la conciliation entre le texte de l'article 1er adopté par l'Assemblée nationale et les obligations communautaires de la France. La première phrase de l'amendement rappelle cet environnement juridique communautaire, lequel ne connaît pour l'instant qu'un seul seuil relatif à l'étiquetage, à charge pour le Conseil européen de se prononcer éventuellement sur une autre nature de seuil. La seconde phrase renvoie au Haut conseil des biotechnologies pour la définition, espèce par espèce, du seuil en deçà duquel le qualificatif « sans OGM » est applicable.

Il a néanmoins tenu à attirer l'attention des parlementaires qui voudraient, à travers l'amendement adopté à l'Assemblée nationale, protéger à l'extrême les produits sous signe de qualité : s'ils souhaitent la définition d'un seuil trop bas, proche du seuil de détection, ils risquent de mettre à mal les productions qui, pour prouver qu'elles sont « sans OGM », devront procéder à des analyses multiples afin de détecter leur présence. En effet, ceci devrait être excessivement coûteux, car il faudra multiplier le prix d'une analyse (de l'ordre de 120 euros) par le nombre de traits génétiques autorisés dans tous les pays du monde.

La commission a ensuite adopté l'article 1er, dans sa rédaction issue de la deuxième lecture du projet de loi au Sénat sans modification, puis le texte élaboré par la commission mixte paritaire.

M. Patrick Ollier, Président, a remercié les membres de la commission mixte paritaire encore présents de leur patience et de l'état d'esprit dans lequel ils ont participé aux travaux de la commission et a regretté que lorsque l'opposition n'était pas majoritaire, elle ne puisse trouver rien d'autre à faire que de quitter la salle.