Mardi 6 mai 2008
- Présidence de M. Claude Birraux, député, président. -Organisme extra-parlementaire - Désignation d'un membre
Sur la proposition de M. Claude Birraux, député, président, l'Office a décidé de reporter à une prochaine réunion la désignation d'un parlementaire au Conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).
Sécurité sanitaire - Audition de Mme Michèle Froment-Védrine, directrice générale de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET)
Puis l'Office a procédé à l'audition de Mme Michèle Froment-Védrine, directrice générale de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET).
M. Claude Birraux, député, président, a indiqué que Mme Michèle Froment-Védrine avait demandé à être entendue pour présenter le bilan de sa direction générale de 2002 à 2008 et le rapport d'activité 2007 de l'Agence.
Il a observé que la création de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE), devenue en 2005 l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET), résultait d'une proposition de loi et que la loi du 9 mai 2001 qui l'a instituée prévoyait que celle-ci devait faire l'objet d'un nouvel examen, après évaluation de son application par le Gouvernement et par l'OPECST, en même temps que la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
Puis il a rappelé que la loi de 1998 avait fait l'objet d'une évaluation dans le cadre du rapport présenté par M. Claude Saunier, sénateur, en 2005, mais que, lors de cette évaluation, l'AFSSET venait d'être mise en place. Il n'a donc pas été possible de l'inclure dans le champ de l'évaluation entreprise par l'Office.
Il a conclu en soulignant que la présente audition permettrait, néanmoins, à l'Office d'examiner les travaux réalisés par l'AFSSET et le mode de fonctionnement de celle-ci.
Mme Michèle Froment-Védrine a indiqué que l'année 2007 a été la première année de plein exercice pour la partie « Travail » de l'Agence, car le décret de mise en place est paru en juin 2006 et les organes nécessaires à son fonctionnement n'ont été créés qu'au début 2007.
En 2007, malgré l'extension de ses missions, l'Agence ne compte que 96 emplois équivalents temps plein, contre 12 en 2002. Ce qui est modique en raison de l'ensemble de ses activités et de la diversité des sujets qu'elle traite désormais.
L'Agence a publié 12 avis en 2007. Ces avis coordonnent le travail de nombreux spécialistes, dont les expertises sont longues et complexes. Il est ainsi difficile de comparer l'AFSSET à d'autres établissements.
Puis Mme Michèle Froment-Védrine a mentionné les principales études de l'Agence.
L'AFSSET a rendu un avis sur les fibres minérales artificielles et a participé à une expertise sur le H5N1. Elle a rendu un avis sur une saisine concernant les éthers de glycol.
Elle s'est autosaisie de la qualité de l'air des parkings couverts et a émis un avis en mai 2007 montrant que les risques pour ceux qui y restent quelques minutes sont négligeables mais qu'ils sont importants pour les personnels d'entretien qui y manient des produits chimiques. Depuis, l'AFSSET a été saisie de l'évaluation des risques pour les travailleurs dans les parkings couverts.
Depuis le 1er janvier 2008, l'AFSSET est saisie, notamment, des principes d'établissement des valeurs toxicologiques de référence (VTR) qui sont déclinées dans le domaine des produits cancérigènes et des reprotoxiques.
En ce qui concerne les éthers de glycol qui présentent des impuretés au moment de leur fabrication (PGMEA), l'Agence a rendu un avis en août 2007, en relevant que ces impuretés n'apparaissent pas sur les étiquettes, bien qu'elles soient susceptibles de contenir des éléments reprotoxiques.
L'AFSSET a également présenté une méthode d'analyse et une liste des polluants présents dans l'air intérieur.
Elle a répondu, en juillet 2007, à une demande d'urgence du ministère de la santé pour évaluer le coût des maladies liées à la pollution.
La crise du chikungunya à la Réunion s'est traduite par trois études concernant la lutte anti-vectorielle. L'Agence devrait être associée à tout travail en cas d'apparition de ces maladies sur le territoire métropolitain.
En dépit de cette montée en charge, le ministère du budget n'a pas souhaité signer le contrat d'objectifs et de moyens qui lui était proposé. Or, l'Agence, qui peut réaliser une dizaine d'études scientifiques de haut niveau par an, doit faire face également à des tâches réglementaires depuis le transfert des compétences du Haut conseil d'hygiène publique.
Parallèlement, l'Agence est confrontée à une « déferlante » de saisines, par exemple sur les lignes à très haute tension. Normalement, elle ne doit que coordonner les études mais, en pratique, elle étudie au fond les sujets qui lui sont confiés.
Cette situation pose un problème de gouvernance, car l'AFSSET réalise souvent des études en parallèle avec d'autres organismes effectuant le même travail dans une ignorance mutuelle. L'AFSSET ne revendique pas de coordonner l'ensemble des études, mais elle souhaite poser ce problème. Il existe aujourd'hui un déficit considérable d'experts en expologie (science des expositions) et il n'est pas sain de les solliciter à de multiples reprises sur des demandes similaires. En effet, la France sera confrontée, pour encore de très nombreuses années, à un déficit de toxicologues ou de médecins du travail, qui devrait appeler à une coordination de l'emploi des moyens humains, et non à sa dispersion.
Dans cette perspective, l'AFSSET a développé des échanges internationaux d'experts, par exemple avec la Suisse, qui permettent de réaliser des gains de temps importants.
La réalisation des études se heurte souvent à des blocages, en raison de la pénurie d'experts ou de données de base indisponibles. En effet, il est nécessaire de connaître la teneur des expositions à des produits pour réaliser l'évaluation des risques.
Aussi bien, l'Agence souhaite-t-elle avoir une meilleure connaissance des travaux confiés à d'autres organismes pour développer les connaissances nécessaires à l'appréciation des dangers dans les années à venir.
M. Claude Birraux, député, président, après avoir remercié Mme Michèle Froment-Védrine de s'être exprimée ouvertement devant l'Office en dressant un bilan sans concession des travaux de l'AFSSET, a observé que la multiplication d'agences était révélatrice de la faiblesse chronique de la Direction générale de la santé et que l'on risquait forcément, si les moyens nécessaires n'étaient pas donnés aux agences, d'affaiblir l'ensemble du dispositif.
Puis il a posé des questions sur :
- les solutions pouvant être envisagées pour simplifier le système français d'expertise, en rappelant que la loi de 2001 ayant créé l'AFSSET prévoyait qu'un rapport devait être élaboré sur la rationalisation du système national d'expertise dans le domaine de compétence de l'AFSSET et que des réflexions avaient été engagées sur ce point à la suite du Grenelle de l'environnement ;
- la situation de l'épidémiologie, qui a toujours été mal traitée en France ;
- l'état des connaissances en matière de « pollution électromagnétique » ;
- et sur la notion d'expertise indépendante.
Mme Michèle Froment-Védrine a tout d'abord souligné la nécessité de développer l'épidémiologie, eu égard à l'insuffisance du nombre d'épidémiologistes en France par rapport à d'autres pays, et indiqué que, dans ce domaine, l'AFSSET prenait appui sur les compétences existant au sein de l'INSERM ou de l'INVS.
Rappelant que la téléphonie mobile avait fait l'objet de deux rapports de l'AFSSET, Mme Michèle Froment-Védrine a indiqué que, sur ces questions, le niveau de connaissances était pratiquement inexistant, tant en expologie qu'en épidémiologie et que, compte tenu de ces lacunes, l'AFSSET s'en était tenue à définir des principes de précaution qui, au demeurant, n'ont pas été appliqués par la population.
Lors de la publication des deux rapports précités, l'indépendance des experts de l'AFSSET a été fortement mise en doute par des associations, alors même que l'AFSSET est l'un des rares établissements d'expertise à appliquer les normes de qualité définies par l'AFNOR.
Les associations considèrent qu'il ne doit y avoir aucun lien d'intérêt, ni vis-à-vis des ministères, ni vis-à-vis du monde industriel, de quelque nature qu'il soit. Et, dans ce domaine, la principale difficulté réside dans l'absence de texte de référence organisant les règles de recrutement des experts. Actuellement, des déclarations sur d'éventuels liens d'intérêts sont exigées des experts, mais cette garantie est jugée insuffisante par les associations. Or, s'il est urgent de définir des règles appropriées, afin d'éviter que l'expertise ne soit constamment déconsidérée, il convient également d'être réaliste, car l'ensemble des spécialistes de la téléphonie mobile ont des contrats de recherche avec l'industrie ; il en est de même dans le secteur de la chimie ou des lignes à très haute tension.
Des réflexions sont engagées actuellement au sein du ministère de la santé sur ce problème de l'expertise. L'exigence de normes de référence est primordiale. On devrait protéger le titre d'expert, en se référant, par exemple, à la publication dans des revues à comité de lecture international, car actuellement n'importe qui peut se présenter comme un expert scientifique.
A titre d'illustration de ces difficultés, Mme Michèle Froment-Védrine a indiqué, qu'ayant reçu trois lanceurs d'alerte particulièrement actifs sur le sujet de la téléphonie mobile, les représentants de ces organisations avaient déclaré ne pas être scientifiquement compétents, tout en récusant les experts de l'AFSSET et en revendiquant d'assister aux expertises organisées par celle-ci.
Elle a, de plus, relevé que certaines associations proposent leurs services à des collectivités territoriales, à des établissements publics ou à des administrations privées, pour un coût qui peut dépasser 1 500 euros, et effectuent ainsi des mesures de champs de radiations sans garanties de qualité. De telles pratiques sont condamnables et une protection des personnes vulnérables contre de tels agissements devrait être assurée.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, s'est interrogé sur la place de l'AFSSET vis-à-vis de l'INRS.
M. David Vernez, adjoint au chef de département « Expertise en Santé Environnement Travail », a précisé que 15 à 20 personnes de l'INRS travaillaient en permanence à l'AFSSET dans les groupes d'experts et que des travaux étaient confiés à l'INRS, en tant qu'institution, pour traiter des saisines, ce qui représentait plusieurs milliers d'heures par an.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, rappelant que l'AFSSET avait été saisie à plusieurs reprises sur les risques liés aux nanoparticules, et qu'une association, revendiquant un moratoire généralisé dans ce secteur, avait produit une expertise, largement reprise par certains journaux titrant : « Les nanoparticules attaquent », a demandé si l'expertise de l'AFSSET ne devait pas être plus offensive, en émettant des avis scientifiques sur de telles publications.
Mme Michèle Froment-Védrine a reconnu que l'expertise sur les nanomatériaux était très dispersée, en raison de la multiplicité des saisines adressées à de nombreux établissements, l'AFSSET ayant coordonné une partie de cette expertise, notamment dans le cadre de l'OCDE.
S'agissant de la dénonciation des avis non scientifiques, l'AFSSET se doit d'appliquer les directives des ministères de tutelle qui lui donnent compétence pour rendre des rapports se basant sur des documents scientifiques, mais n'a pas actuellement pour mission de faire une critique publique de documents non scientifiques.
M. Claude Birraux, député, président, ayant évoqué les travaux annoncés sur les lignes à haute tension, Mme Michèle Froment-Védrine a indiqué que la saisine éventuelle de l'AFSSET sur cette question n'était pas encore confirmée.
MM. Claude Birraux, Jean-Yves Le Déaut et Claude Gatignol, députés, ayant demandé que les notes établies par l'AFSSET puissent être communiquées à l'OPECST, Mme Michèle Froment-Védrine a indiqué qu'elle ne voyait personnellement aucun inconvénient à ce que de telles notes soient communiquées aux parlementaires, mais rappelé que les activités de l'AFSSET étaient encadrées par un protocole de conduite de l'expertise, dans lequel l'intervention du Parlement n'était pas prévue.
M. David Vernez a observé que le débat sur les nanoparticules n'avait pas encore atteint le degré de virulence de celui sur la téléphonie mobile et que, dans ce contexte, l'AFSSET avait rendu un avis sur la toxicité des nanomatériaux en 2006. Un nouveau rapport a été rendu sur les bonnes pratiques d'activité, visant à protéger les travailleurs des filières de production qui pourraient être exposés. Une nouvelle saisine porte sur le cycle de vie des nanomatériaux, afin d'étudier les conditions d'une contamination éventuelle des milieux.
Il a aussi indiqué que ces travaux prenaient beaucoup de temps, d'un à trois ans, et qu'il leur est donc difficile de concurrencer les productions pseudo-scientifiques de ce point de vue. Par ailleurs, si l'AFSSET devait répondre systématiquement à toutes les allégations, elle devrait se doter d'un service de communication au moins aussi important que celui chargé de l'expertise.
M. Claude Gatignol, député, a posé des questions sur :
- les moyens permettant d'éviter la saisine d'une multiplicité d'organismes sur un même sujet ;
- les objectifs recherchés, parfois strictement électoraux ou militants, par les organismes de la « pseudo-science » ;
- les compétences de l'AFSSET en matière de pesticides, notamment dans le cadre du plan interministériel de lutte contre les pesticides et vis-à-vis de l'observatoire des résidus des pesticides (ORP), en direction des professions agricoles et des travailleurs des industries de production des pesticides et, enfin, en matière de contrôle des pulvérisateurs utilisés par les agriculteurs.
Mme Michèle Froment-Védrine a apporté les réponses suivantes.
L'AFSSET, quand un autre établissement est saisi simultanément sur un même sujet peut, quelquefois, en avoir connaissance parce que la saisine a été publiquement annoncée ou parce qu'une copie de la saisine lui a été adressée. Mais ce n'est pas toujours le cas.
Dans le domaine phytosanitaire, par exemple, plusieurs ministères sont impliqués, ce qui peut poser un problème de gouvernance, d'autant que les sujets environnementaux sont transversaux.
En cas de multiplicité de saisines, l'AFSSET interroge les autres établissements, mais les informations dont ils disposent ne sont pas nécessairement transmises à l'AFSSET.
L'AFSSET doit certainement participer au débat public, mais elle ne peut pas prendre l'initiative de le lancer. Elle avait ainsi souhaité organiser un colloque en juin 2007 sur les pesticides, qui a été repoussé après le Grenelle de l'environnement.
La question des produits phytosanitaires mobilise les mêmes effectifs que les nanotechnologies et l'AFSSET n'est pas chargée de coordonner les travaux sur cette question. La définition des compétences respectives de l'AFSSET et de l'ORP dans ce domaine n'est probablement pas assez nette.
Tel n'est pas le cas vis-à-vis de l'AFSSA, qui est compétente en matière de phytosanitaires, alors que les attributions de l'AFSSET se limitent aux biocides et à certains aspects de la protection des travailleurs agricoles.
M. David Vernez a précisé sur ce point que l'AFSSET avait notamment travaillé avec l' Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) sur les risques d'exposition cutanée et les combinaisons de protection individuelle, et que des travaux de recherche avaient été lancés sur l'exposition aux pesticides.
Mme Michèle Froment-Védrine a indiqué que l'AFSSET subventionnait deux organismes et qu'une convention-cadre avait été conclue avec la Mutualité sociale agricole (MSA), car les agriculteurs sont insuffisamment formés à l'utilisation des combinaisons de protection.
S'agissant de l'étude des effets des pesticides sur l'environnement, l'AFSSET est compétente seulement pour l'air, et non pour les autres milieux.
M. Claude Saunier, sénateur, a observé que l'audition débouchait sur des questions très importantes, qui traduisent la sensibilisation de la société aux préoccupations environnementales.
Il est nécessaire pour l'Agence d'aborder les questions de communication, car on ne peut se contenter de faire de l'expertise au sein de laboratoires fermés.
La multiplicité des tutelles aboutit dans ces domaines à un manque flagrant de cohérence. Les ministères ont des points de vue différents et l'Etat n'a pas de doctrine.
Dans le cadre du Grenelle de l'environnement, l'un des groupes, celui chargé de la gouvernance, devrait être saisi de ces questions. Si les moyens sont insuffisants, il faut également recadrer l'appareil de l'expertise, dont l'inefficacité relative constitue un danger pour la population.
L'OPECST devrait interpeller les pouvoirs publics sur l'existence de ces dysfonctionnements préoccupants.
M. Claude Saunier, sénateur, a également rappelé qu'il avait déposé une proposition de loi visant à créer une haute autorité de l'expertise, dont l'objectif était justement de mieux réguler l'expertise scientifique.
Mme Michèle Froment-Védrine a rappelé que, lorsque l'AFSSET avait été créée, son fonctionnement reposait sur des saisines distinctes selon les ministères et que depuis 2005, les saisines sont cosignées, ce qui alourdit la procédure, mais permet de coordonner les saisines.
Elle a, enfin, estimé que le programme de travail de l'AFSSET était tellement dense qu'aucune autosaisine n'était actuellement envisageable.
M. Claude Birraux, président, député, a remercié le docteur Froment-Védrine, ainsi que ses collaborateurs, d'avoir mis en évidence l'utilité de l'expertise scientifique tout en soulignant les difficultés rencontrées pour sa mise en oeuvre.