- Mercredi 23 janvier 2008
- Audition de M. Philippe Josse, directeur du budget, et M. Frédéric Iannucci, sous-directeur à la direction de la législation fiscale (sous-direction C)
- Audition de MM. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, et Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale
- Les aspects microéconomiques de la dépendance : prévention, prise en charge, accompagnement, soins de la personne âgée dépendante - Table ronde
Mercredi 23 janvier 2008
- Présidence de M. Bernard Cazeau, vice-président, puis de M. Philippe Marini, président -Audition de M. Philippe Josse, directeur du budget, et M. Frédéric Iannucci, sous-directeur à la direction de la législation fiscale (sous-direction C)
Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la mission a tout d'abord entendu M. Philippe Josse, directeur du budget, et M. Frédéric Iannucci, sous-directeur à la direction de la législation fiscale (sous-direction C), en remplacement de Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale.
M. Bernard Cazeau, vice-président, a précisé que les membres de la mission sont soucieux de l'impact de la prise en charge de la dépendance sur les comptes publics et l'évolution des prélèvements obligatoires. C'est pourquoi ils souhaitent connaître les réflexions de MM. Philippe Josse et Frédéric Iannucci sur l'efficacité du système public de prise en charge de la dépendance, qu'il s'agisse des aides budgétaires ou des aides fiscales, sur le bilan des mécanismes aujourd'hui mis en place et leurs voies d'amélioration souhaitables. En particulier, ils s'interrogent sur le partage à opérer entre les places respectives de la solidarité nationale et de l'effort individuel dans le financement de la prise en charge de la dépendance.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a dressé un panorama des dépenses publiques consacrées à la dépendance.
L'exercice présente deux limites :
- d'une part, la notion de dépendance est un concept flou : si elle peut être appréciée selon des critères juridiques (les groupes iso-ressources), un problème de frontière se pose entre la prise en charge des personnes âgées dépendantes, d'une part, et celle des personnes handicapées, d'autre part. En particulier le critère de l'âge, sur lequel repose en partie l'attribution de la Prestation de compensation du handicap (PCH) et celle de l'Allocation personnalisée pour l'autonomie (Apa), paraît artificiel ;
- d'autre part, l'appréciation de l'effort financier consacré à la dépendance est rendue complexe en raison de la difficulté à isoler les dépenses consacrées spécifiquement aux personnes dépendantes parmi celles destinées aux personnes âgées dans leur ensemble.
Sous ces réserves, la dépense publique directement liée à la prise en charge des personnes âgées dépendantes peut être estimée à 18 milliards d'euros, soit l'équivalent d'un point de produit intérieur brut (Pib), ce qui situe la France dans la moyenne européenne.
L'effort consenti par l'Etat ne se traduit pas par une dépense budgétaire directe importante, mais, pour l'essentiel, par une contribution indirecte au travers, d'une part, de sa participation à l'équilibre financier de la sécurité sociale et des collectivités territoriales et, d'autre part, des dépenses fiscales.
Les dépenses fiscales rattachées au programme 157 « Handicap et dépendance » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », dans la loi de finances pour 2008, s'élèvent à environ 10 milliards d'euros, dont 5,7 milliards d'euros directement consacrés aux objectifs du programme et 4,1 milliards d'euros destinés à financer des mesures présentant un lien plus indirect avec le traitement de la dépendance et du handicap.
Ces dépenses fiscales peuvent être classées en trois catégories :
- premièrement, les dépenses fiscales ayant un lien direct, total et univoque avec la prise en charge du handicap et de la dépendance. Leur montant s'élève à 370 millions d'euros. Elles recouvrent, pour l'essentiel, deux dispositifs : d'une part, l'exonération d'impôt sur le revenu sur les ressources de l'Apa, soit 250 millions d'euros, d'autre part, les réductions d'impôt pour frais de dépendance et d'hébergement, soit 120 millions d'euros ;
- deuxièmement, les dépenses fiscales ayant un lien fort, mais indirect avec le traitement de la dépendance. Il s'agit principalement de la majoration du quotient familial pour les contribuables invalides (380 millions d'euros), du crédit d'impôt pour les équipements conçus pour les personnes âgées et handicapées, et de l'application de taux réduits de TVA sur certains matériels ;
- troisièmement, les dépenses fiscales s'adressant aux personnes âgées, qui peuvent avoir un lien assez évident avec la prise en charge de la dépendance, mais qui ne sont pas recensées en tant que telles dans les systèmes de suivi des dépenses de l'Etat. Il s'agit notamment de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a indiqué qu'un travail d'évaluation plus précis de la dépense publique consacrée à la dépendance est en cours. Celui-ci nécessite un effort statistique et méthodologique important en raison de l'absence d'instruments spécialement dédiés à cette question.
Il a ensuite précisé la répartition de la dépense publique consacrée à la dépendance entre ses principales catégories de financeurs : 11 milliards d'euros sont supportés par la sécurité sociale, 2,4 milliards d'euros par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), financés sur ses ressources propres, 4,2 milliards d'euros par les collectivités territoriales et 370 millions d'euros par l'Etat, au titre des dépenses fiscales directement consacrées à la prise en charge de la dépendance. Le total est d'environ 18 milliards d'euros.
S'agissant des dépenses financées par la sécurité sociale, elles se répartissent en trois catégories : la prise en charge des soins d'une part à l'hôpital, d'autre part en établissement social et médico-social et les soins de ville. Leur degré de fiabilité est néanmoins variable : si les dépenses consacrées aux soins en établissement social et médico-social dans le cadre de l'objectif global de dépenses (OGD) sont certaines (environ 4,8 milliards d'euros), les dépenses de soins de ville sont quant à elles établies à partir de résultats de sondages et d'enquêtes (environ 3 milliards d'euros) et ne sont donc qu'évaluatives.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a insisté sur la dynamique très forte de la dépense publique consacrée à la prise en charge de la dépendance. De façon générale, cette évolution tient plus à l'amélioration de la qualité de la prise en charge des personnes âgées dépendantes et à sa socialisation qu'à un effet volume qui résulterait de l'augmentation du nombre de personnes âgées.
La contribution de l'assurance maladie aux dépenses consacrées aux établissements et services sociaux et médico-sociaux pour personnes âgées a ainsi un peu plus que doublé sur la période 2000-2007. Cette forte augmentation n'est pas directement corrélée à l'évolution démographique, puisque le nombre de personnes âgées ne croît qu'à un taux moyen de 1,2 ou 1,3 % par an. Les dépenses au titre de l'Apa connaissent également une très forte progression en raison de la montée en puissance du dispositif. Quant aux dépenses fiscales, leur importante évolution s'explique par l'amélioration des dispositifs proposés, ainsi qu'en témoigne la création du crédit d'impôt pour les équipements conçus pour les personnes âgées.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a indiqué que la question de la soutenabilité de la dépense publique consacrée à la dépendance peut être appréhendée sous deux angles :
- soit en prenant en compte l'évolution démographique de la population âgée dépendante à moyen et long termes : au cours des quinze à vingt prochaines années, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait croître à un rythme compris entre 1,3 et 1,5 % par an, soit une tendance proche de celle constatée aujourd'hui, alors qu'à partir des années 2020-2025, il faudra s'attendre à un choc démographique fort ;
- soit en partant des trois scénarii proposés par Mme Hélène Gisserot dans son rapport de mars 2007 sur les perspectives financières de la dépendance des personnes âgées à l'horizon 2025. Le premier scenario repose sur le maintien, dans la richesse nationale, de la part actuelle de la dépense publique consacrée à la dépendance ; le deuxième envisage une évolution deux fois plus rapide de la ressource consacrée à cette dépense par rapport à la progression du produit intérieur brut (Pib) ; le troisième prévoit l'augmentation de 7 % en volume du financement public consacré à la dépendance en raison d'une socialisation accrue de sa prise en charge.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a ensuite présenté ses réflexions sur la soutenabilité de la dépense publique consacrée au traitement de la dépendance dans le cadre plus général du vieillissement de la population, en s'appuyant sur le rapport du conseil d'orientation des finances publiques rédigé par Gilles Carrez.
Le vieillissement de la population engendrera inévitablement une augmentation des dépenses publiques de l'ordre de 3 points de Pib à l'horizon des vingt prochaines années. Cette forte augmentation des dépenses ne saurait être compensée par une augmentation à due concurrence des prélèvements obligatoires. Une telle solution risquerait, en effet, d'entraver la compétitivité fiscale de la France et ne s'inscrit pas dans les orientations retenues par le Président de la République et le Gouvernement. Il n'est, par ailleurs, pas souhaitable de laisser augmenter le déficit public et la dette publique qui pourrait atteindre, si rien n'était fait, 160 % du Pib. C'est pourquoi il convient de maîtriser à la fois la dépense liée au vieillissement, qu'il s'agisse de la problématique des régimes de retraite ou celle de la prise en charge de la dépendance, et la dépense publique dans son ensemble. Quant aux propositions visant à la création de nouvelles recettes fiscales, au travers, par exemple, de l'assujettissement à la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA) des revenus de remplacement, elles doivent être analysées dans une perspective de redéploiement des prélèvements obligatoires, et non comme un vecteur d'augmentation de ces derniers. A cet égard, la revue générale des prélèvements obligatoires, actuellement effectuée par la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, constitue un cadre de débat adéquat.
Puis M. Philippe Josse, directeur du budget, a esquissé les pistes de réformes pouvant permettre une maîtrise de la dépense publique consacrée à la dépendance :
- la maîtrise de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (Ondam) et, plus particulièrement, de celle de l'Ondam médico-social grâce à une démarche d'amélioration de la qualité des prestations, prônée notamment par le plan « Solidarité-Grand âge » ;
- le renforcement de l'efficience des établissements d'hébergement grâce à une meilleure maîtrise des dépenses de soins et à une diffusion des bonnes pratiques, ce qui suppose la promotion d'une démarche inspirée de la tarification à l'activité mise en place dans le secteur hospitalier et du processus de convergence qui l'accompagne ;
- le développement des groupements de coopération sanitaire qui permettent une mutualisation de certaines fonctions support ;
- une réflexion sur les actes pouvant être pratiqués par les personnels chargés des soins aux personnes âgées dépendantes : médecins, infirmiers et aides-soignants ;
- un redéploiement des lits des établissements de soins vers les établissements médico-sociaux, les établissements de soins présentant de moindres besoins que les établissements médico-sociaux, et les coûts unitaires de ces derniers étant par ailleurs moins élevés.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a précisé que la soutenablité de la dépense publique consacrée à la dépendance suppose également de s'interroger :
- d'une part, sur les bénéficiaires de l'Apa : la question d'un recentrage éventuel des bénéficiaires de l'Apa sur les personnes les plus dépendantes est une question non seulement politique, mais encore légitime ;
- d'autre part, sur la place respective de la solidarité nationale et de l'effort individuel dans le financement de la prise en charge de la dépendance. A cet égard, deux questions peuvent être soulevées : en premier lieu, la restauration d'un recours sur succession, qui a suscité de nombreux débats au Sénat au moment de la discussion budgétaire ; en second lieu, la prise en compte du patrimoine des personnes âgées (hors résidence principale) lors de leur entrée en dépendance, ce qui constitue une piste évoquée par le Président de la République.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a rappelé que trois données sont importantes pour aborder la question de la soutenabilité à long terme du financement de la dépendance :
- premièrement, la France se caractérise par un fort taux d'épargne qui peut être réorientée ;
- deuxièmement, les pouvoirs publics disposent de vingt ans pour se préparer au défi de la dépendance, question qui concerne l'ensemble de la population ;
- troisièmement, la situation actuelle des finances publiques ne permet pas d'accroître le déficit public ou d'aggraver le poids des prélèvements obligatoires qui sont déjà parmi les plus élevés au monde.
Il convient dès lors de s'interroger sur l'opportunité d'un modèle de financement articulé autour de deux axes : d'une part, un net recentrage de la prise en charge au profit des personnes les plus dépendantes et les plus démunies, d'autre part, un recours plus important à l'assurance, qui pourrait être obligatoire ou facultative, aidée ou non par des incitations fiscales.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a conclu en rappelant que la soutenabilité du financement de la dépendance passe par une plus grande efficience et une maîtrise de la dépense, ainsi que par une modification des lignes de partage entre la solidarité nationale et l'effort individuel.
M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est interrogé, d'une part, sur les expériences étrangères, notamment en matière de prise en compte des patrimoines, qui pourraient être sources d'inspiration pour la France, d'autre part, sur le coût de la mise en place d'un droit universel à la compensation de la perte d'autonomie, c'est-à-dire un dispositif unique pour les personnes handicapées et les personnes âgées dépendantes.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a indiqué ne pas être en mesure de donner des éléments sur les expériences menées à l'étranger. Un travail sur ce point est en cours, notamment s'agissant des mesures mises en place en Grande-Bretagne et en Allemagne, pays où la mission envisage des déplacements.
S'agissant de la création d'un droit universel à la compensation pour l'autonomie, M. Philippe Josse, directeur du budget, a souligné deux différences notables entre la prise en charge des personnes handicapées et celle des personnes âgées dépendantes : d'une part, le risque dépendance peut être anticipé, contrairement au risque handicap, d'autre part, la prise en charge du handicap pose, d'abord et avant tout, la question de l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, problème qui ne concerne pas les personnes âgées dépendantes.
Néanmoins des convergences certaines existent, qu'il s'agisse de la nécessité d'une prise en charge individualisée ou des méthodes d'évaluation des besoins et d'élaboration des plans d'aide qui sont assez similaires. A cet égard, la césure de l'âge, sur laquelle repose en partie l'attribution de l'Apa et de la PCH, paraît artificielle.
S'il convient de progresser dans l'harmonisation de la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées, la convergence ne peut, cependant, être totale et fondée sur un alignement par le haut des deux dispositifs. La mise en place d'un mécanisme unique pour les personnes âgées et les personnes dépendantes représenterait en effet un coût total de 12 milliards d'euros, soit une augmentation d'environ 8 milliards d'euros par rapport au système de prise en charge actuel.
Il convient de rappeler, en effet, que les montants moyens respectifs des plans d'aide sont de 12 800 euros pour la PCH, contre seulement 5 800 euros pour l'Apa, ce dernier montant comprenant en outre un fort ticket modérateur.
M. Bernard Cazeau a souhaité connaître l'analyse de la direction du budget sur les propositions visant à créer des recettes fiscales nouvelles, notamment au travers de l'élargissement de la contribution sociale généralisée (CSG) ou de la mise en place de la « TVA sociale ».
M. Paul Blanc a rappelé que les dépenses liées à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes handicapées connaissent actuellement une stabilisation, alors que les dépenses afférentes au traitement de la dépendance des personnes âgées enregistrent un accroissement important. Si le législateur a tranché en faveur d'une prise en charge des personnes handicapées par la solidarité nationale, il n'en est pas de même pour les personnes âgées dépendantes. Dans ce dernier cas, en effet, un recours à l'assurance privée peut paraître légitime, dans la mesure où la dépendance liée à l'âge peut se prévoir. Enfin, le recours aux nouvelles technologies peut atténuer la montée en charge de la dépendance.
M. Guy Fischer a souligné le poids des restes à charge de plus en plus importants supportés par les familles et s'est interrogé sur l'impact de la mise en place de recettes fiscales nouvelles ou d'un recours plus important à l'assurance privée sur le pouvoir d'achat des ménages.
M. Philippe Marini, président, a rappelé que la « TVA sociale » constitue un transfert de fiscalité, et non une création de recettes fiscales supplémentaires. La finalité de la « TVA sociale » est en effet de diminuer les charges sociales grâce à une augmentation de l'impôt sur la consommation.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a précisé que toutes les pistes de réformes doivent être analysées dans le cadre d'un redéploiement et non d'une augmentation des prélèvements obligatoires, déjà particulièrement élevés en France. Il a en outre considéré que l'impact sur le pouvoir d'achat d'une hausse de la CSG ou du développement de l'assurance privée ne présentait pas de différences probantes. Il a précisé que la prise en charge du handicap ne peut effectivement pas être la même que celle de la dépendance des personnes âgées en raison de la prévisibilité de cette dernière. S'agissant des restes à charge supportés par les familles, l'un des moyens sans doute les plus efficaces pour les diminuer, consisterait à agir sur les coûts des établissements d'hébergement en vue de les réduire ou de les contenir.
M. Frédéric Iannucci, sous-directeur à la direction de la législation fiscale, a précisé que les dépenses fiscales consacrées à la prise en charge de la dépendance sont morcelées et peuvent être classées en trois ensembles :
- premièrement, les dépenses fiscales centrées sur le traitement de la dépendance. Elles s'élèvent à 370 millions d'euros et enregistrent une évolution très rapide. Il s'agit de deux dispositifs principaux : d'une part, l'exonération de l'Apa de l'impôt sur le revenu qui connaît une dynamique forte en raison de l'augmentation du nombre de bénéficiaires de cette allocation ; d'autre part, la réduction d'impôt pour frais de dépendance et d'hébergement, progressivement élargie par le législateur ces dernières années. Une fiscalisation de l'Apa, certes théoriquement possible, ne semble cependant pas une voie à suivre, dans la mesure où cette allocation présente plus les caractéristiques d'une prestation en nature que d'une prestation en espèce. S'agissant de la réduction d'impôt pour frais de dépendance et d'hébergement, deux questions peuvent être soulevées : d'une part, le problème de la continuité de cette aide lorsque la personne dépendante quitte son domicile pour entrer en établissement, dans la mesure où les prestations sont plus élevées dans le premier cas que dans le second ; d'autre part, son éventuelle transformation en crédit d'impôt, afin qu'elle puisse également bénéficier aux personnes peu ou pas imposables ;
- deuxièmement, les dépenses fiscales liées à la prise en charge de l'invalidité et du handicap. Ces dépenses recouvrent deux dispositifs : d'une part, la majoration du quotient familial pour invalidité, qui tend à favoriser les personnes imposables et donc les revenus relativement plus élevés, comme l'a souligné le rapport de Mme Hélène Gisserot, même si le phénomène de courbe en « U » qu'il dénonce ne doit pas être exagéré ; d'autre part, les crédits d'impôt ou le taux réduit de TVA pour les équipements des personnes âgées ou des personnes handicapées ;
- troisièmement, les dépenses fiscales en faveur des personnes âgées, c'est-à-dire de plus de soixante ou soixante-cinq ans, dont il est difficile d'isoler celles bénéficiant au public de personnes âgées dépendantes. Il s'agit notamment des abattements applicables sur le revenu global dont peuvent bénéficier toutes les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans sous conditions de ressources et d'invalidité, de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile, de l'abattement de 10 % sur les pensions pour l'impôt sur le revenu, des dispositifs relevant de la fiscalité locale (plafonnement de la taxe d'habitation), du dégrèvement au titre de la redevance télévisuelle et des majorations de quotient familial pour les anciens combattants de plus de soixante-quinze ans ou les personnes seules ayant eu des enfants. Ces dépenses fiscales sont particulièrement difficiles à chiffrer et ne sont pas directement liées à la perte d'autonomie des bénéficiaires.
Le redéploiement des dépenses fiscales est complexe en raison du nombre important de contribuables concernés et de l'attachement de ces derniers à ces avantages dont certains sont anciens.
M. Frédéric Iannucci, sous-directeur à la direction de la législation fiscale, a indiqué que l'encouragement au recours à l'assurance privée dépend du type d'assurance qu'il sera choisi de développer. S'il s'agit d'une assurance facultative en complément d'un financement public, les incitations fiscales peuvent prendre la forme de déductions de contributions et de cotisations, de réductions d'impôt ou de crédits d'impôt. Il conviendra de réfléchir à l'éventuel adossement des produits d'assurance dépendance aux produits d'assurance-vie, d'épargne-retraite ou à l'extension du champ des complémentaires de santé, ainsi qu'à l'instauration d'éventuelles passerelles d'un produit d'assurance à l'autre. Dans le cas d'une assurance obligatoire, les incitations fiscales peuvent être celles de droit commun, à savoir que les cotisations et contributions obligatoires sont déductibles d'impôt sur le revenu.
M. Philippe Marini, président, a indiqué qu'il serait utile de disposer d'une typologie des personnes dépendantes par niveau de revenus et de patrimoine, précisant, pour chacune d'elles, les montants de leur prise en charge. Cette approche par cas-types doit permettre d'analyser les effets de seuils éventuels et les chevauchements entre les différents dispositifs.
M. Michel Moreigne a rappelé l'abondance des contentieux relatifs à la répartition des charges entre les obligés alimentaires suscités par la mise en place de l'Apa. Il a souligné que la question des restes à charge des familles doit également être analysée au regard des potentiels fiscaux des départements payeurs de la prestation.
M. François Autain a souhaité savoir comment le montant total des dépenses fiscales, évalué à 10 milliards d'euros, s'articule avec le montant total de la dépense publique consacrée à la dépendance, soit 18 milliards d'euros. Il a estimé qu'il ne faut pas attendre de la maîtrise de l'Ondam des économies importantes et a également exprimé ses doutes sur la crédibilité d'une politique de maîtrise fondée sur une plus grande efficience de la gestion des établissements médico-sociaux. En pratique, l'exploration de ces pistes conduira inévitablement à une diminution de la prise en charge socialisée de la dépendance. La seule piste crédible de réforme doit être la réduction et non la seule maîtrise de la prise en charge socialisée de la dépendance.
Mme Bernadette Dupont s'est interrogée sur le caractère inégalitaire et l'effet stigmatisant pour les familles les plus pauvres et les plus nombreuses de l'impôt sur la consommation.
M. Philippe Marini, président, a rappelé que la commission des finances préconise depuis longtemps la comptabilisation des dépenses fiscales en dépenses budgétaires, ainsi que l'inclusion de celles-ci dans la norme de dépense. Des progrès sont encore à réaliser dans l'estimation des dépenses fiscales et leur suivi. Cette question est au coeur des travaux réalisés dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
En réponse à M. François Autain, M. Philippe Josse, directeur du budget, a indiqué que le calcul de l'effort consenti au titre de la prise en charge de la dépendance est complexe et qu'il convient de distinguer les dépenses fiscales directement liées à la dépendance de celles indirectement liées à cette problématique. Il a précisé que la direction du budget tient compte du potentiel fiscal des collectivités territoriales dans ses réflexions sur le financement de la dépendance. S'agissant de l'Ondam médico-social, il a rappelé que celui-ci constitue une enveloppe de crédits fermée. Dès lors que des efforts d'efficience seront réalisés, notamment grâce à une convergence tarifaire, des marges de manoeuvres budgétaires pourront être dégagées.
M. Philippe Josse, directeur du budget, a précisé que le principal obstacle à l'intégration des dépenses fiscales dans la norme de dépense est l'absence d'évaluation précise de leur montant. S'agissant de l'instauration de la « TVA sociale », il a indiqué que celle-ci doit s'articuler avec le maintien du niveau actuel des prélèvements obligatoires. Sa mise en place peut soulever deux problèmes : d'une part, celui de son effet sur l'emploi, d'autre part, celui de son impact sur l'inflation. Cette question dépasse toutefois le thème du financement de la prise en charge de la dépendance.
M. Philippe Marini, président, a indiqué que l'instauration de la « TVA sociale » doit être analysée comme un transfert de prélèvements obligatoires : la hausse de l'impôt sur la consommation vient gager, à due concurrence, une diminution des cotisations sociales, qui permet aux entreprises de dégager des marges. Ces marges leur permettent de diminuer leurs prix de vente, de restaurer leur structure financière, ou bien d'augmenter les rémunérations accordées à leurs salariés. Les partisans de la « TVA sociale » estiment que celle-ci aura un effet tel sur la compétitivité des entreprises que des emplois seront créés. L'augmentation de la masse salariale qui en résulte se traduira par des recettes de cotisations sociales supplémentaires. Dans ce schéma, il n'existe pas d'effet mécanique sur l'évolution des prix : la hausse de l'impôt de consommation est en effet contrebalancée par la diminution du prix hors taxe des produits résultant de la diminution des cotisations sociales. L'analyse doit cependant être affinée en distinguant l'effet de la « TVA sociale », d'une part, sur les prix des produits nationaux, d'autre part, sur le prix des produits importés.
Audition de MM. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, et Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale
Puis la mission a entendu MM. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, et Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale.
A titre liminaire, M. Philippe Marini, président, a indiqué que la mission d'information du Sénat a souhaité entendre d'une part, le directeur général de l'action sociale, M. Jean-Jacques Trégoat, d'autre part, le directeur de la sécurité sociale, M. Dominique Libault, sur les grands enjeux du dossier du cinquième risque. Il s'agit d'éclairer les parlementaires sur le coût de la prise en charge de la dépendance, les besoins à couvrir au cours des prochaines décennies, le mode de gouvernance, les circuits de financement, l'architecture institutionnelle, ainsi que sur la place de la solidarité nationale par rapport à l'effort individuel des assurés sociaux.
M. Jean-Jacques Trégoat a précisé tout d'abord que son exposé se limitera à présenter les principaux éléments de la problématique d'ensemble du dossier, dans la mesure où ses services adresseront prochainement aux sénateurs un dossier détaillé sur ses aspects techniques.
Puis il a observé que, même si l'action en faveur des personnes âgées dépendantes demeure encore insuffisante au regard des besoins à satisfaire, d'importants progrès ont été réalisés au cours de la période récente. En seulement quatre ans, 6 000 places nouvelles d'accueil de jours et d'hébergement temporaire ont été créées, auxquelles s'ajoutent 19 000 places supplémentaires dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et 20 000 dans les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Cette forte progression résulte de la mise en oeuvre des plans « Vieillissement et Solidarités » (2004-2007), puis « Solidarité-Grand Age » (2007-2012). Parallèlement, le programme de conventionnement des structures d'hébergement, engagé depuis plus de dix ans, arrive à son terme : au mois de novembre 2007, plus de 84 % des maisons de retraite avaient ainsi signé une convention tripartite avec le président du conseil général et l'assurance maladie. Cette proportion avait atteint 90 % au 31 décembre 2007 et sera de 100 % dans le courant de l'année 2008.
M. Jean-Jacques Trégoat a souligné que la création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et l'institution de la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA) ont fourni un instrument de financement supplémentaire, tout en améliorant le mode de gouvernance de la politique de la dépendance. La nouvelle Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et des services sociaux et médico-sociaux permettra également de définir des références de bonnes pratiques professionnelles.
Dans ce contexte, l'un des enjeux majeurs du dossier du cinquième risque consiste à appréhender les modalités suivant lesquelles pourrait intervenir le rapprochement des conditions de prise en charge des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées, dont le principe a été posé par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. La distinction entre handicap et dépendance ne doit plus reposer sur un critère d'âge (plus ou moins soixante ans), mais doit tenir compte des caractéristiques de la perte d'autonomie. M. Jean-Jacques Trégoat a estimé que cette question est en réalité d'un traitement plus complexe qu'il n'y paraît, car l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa), d'une part, la prestation de compensation du handicap (PCH), d'autre part, ont été créés, respectivement en 2001 et en 2005, dans des conditions différentes et chacune avec leur logique propre.
En premier lieu, les dispositifs d'évaluation et d'attribution des prestations destinées aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées ne sont pas les mêmes. Ensuite, la loi du 11 février 2005 a eu pour effet de réduire assez nettement le reste à charge des familles de handicapés alors que celui des familles de personnes âgées dépendantes demeure relativement élevé.
M. Jean-Jacques Trégoat a mis en relief le coût potentiel de l'harmonisation des deux dispositifs en soulignant tout particulièrement le fait que le nombre des bénéficiaires de l'Apa devrait à terme s'établir à un niveau globalement dix fois supérieur à celui des allocataires de la PCH (100 à 120 000 personnes seulement). Sans aller jusqu'à envisager la création d'une prestation unique, il semble pourtant nécessaire de progresser vers davantage d'homogénéité, notamment en ce qui concerne le reste à charge des familles et les méthodes d'évaluation de la perte d'autonomie ainsi que la définition d'un panier de biens et de services.
Plusieurs aspects importants de l'Apa mériteraient ainsi d'être améliorés, notamment le fait qu'elle ne peut pas aujourd'hui être utilisée pour couvrir le coût des aides techniques destinées à permettre aux personnes dépendantes de rester à leur domicile. Il convient d'ajouter à ce problème les limites de la prestation en termes de solvabilisation des assurés sociaux. L'analyse du profil des bénéficiaires classés en groupes iso-ressources (Gir) 1 et 2 montre ainsi que ces personnes ne sollicitent pas l'intégralité du montant auquel elles auraient droit, car leur reste à charge serait encore plus important si elles venaient à mobiliser la totalité du plan d'aide. Cette situation paradoxale représente un problème en soi, indépendamment même de la question du montant du plafond de l'Apa.
Après avoir estimé à environ 1 500 euros le coût moyen mensuel d'une place en maison de retraite, tout en observant que ce chiffre recouvre une très grande diversité de situations entre les établissements, M. Jean-Jacques Trégoat a constaté que les retraités disposent en moyenne d'une pension de 1 200 euros. Cet écart conduit les pouvoirs publics à agir pour réduire les coûts d'hébergement, notamment en abaissant les charges d'investissement des établissements d'hébergement, lesquelles se répercutent dans le prix de journée. Le taux applicable de la taxe sur la valeur ajoutée a ainsi été ramené de 19,6 % à 5,5 % et les nouvelles places créées en maison de retraite se sont vu accorder une exonération totale de charges foncières pendant vingt-cinq ans. Les places ainsi créées sont également éligibles à l'allocation personnalisée au logement (APL).
Parallèlement, le mode de gouvernance du système institutionnel de prise en charge de la dépendance a été amélioré grâce à la CNSA qui assure désormais un rôle important aussi bien en matière d'expertise que de péréquation des enveloppes de financement et qui vient ainsi compléter l'action de proximité des conseils généraux.
M. Dominique Libault a estimé à 12,5 milliards d'euros le montant annuel des dépenses publiques exclusivement consacrées à la dépendance. Sur ce total, 2,16 milliards proviennent de la CNSA sur ses ressources propres, 6,25 milliards de l'assurance maladie (Ondam médicosocial, unités de soins de longue durée et action sociale), 4,1 milliards des départements et quelque dizaine de millions d'euros de l'Etat. Mais il conviendrait aussi d'y ajouter 1,4 milliard d'euros d'exonération de charges sociales.
Cependant, cette évaluation ne prend en compte ni les dépenses d'hospitalisation, ni celles correspondant aux soins de ville des personnes âgées dépendantes, qui ne peuvent être isolées avec précision, mais que la Cnam a récemment estimées à 4,6 milliards d'euros par an. Au total, l'assurance maladie apparaît donc comme le principal contributeur de la politique de la dépendance, avec plus de 10 milliards de dépenses annuelles.
D'une façon générale, M. Dominique Libault a considéré qu'aucune ressource n'aura à elle seule un dynamisme suffisant pour faire face sur longue période aux besoins imposés par l'augmentation du nombre des personnes âgées dépendantes. De fait, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) médicosocial a connu une nette accélération au cours de la période récente : 5,7 % en 2000, 6,1 % en 2001, 7,9 % en 2002, 9 % en 2003 et 2004, 7,8 % en 2005 et 6,1 % en 2006. Bien qu'il soit difficile d'en apprécier avec exactitude l'ampleur, la poursuite à l'avenir d'une forte croissance des dépenses de prise en charge de la dépendance apparaît donc comme une certitude.
Dans ces conditions, M. Dominique Libault a estimé que, sauf à accepter une forte hausse des prélèvements obligatoires, par ailleurs incompatible avec les objectifs du Gouvernement, couvrir ces besoins supplémentaires supposera de dégager des marges de manoeuvre sur les autres postes de dépenses d'assurance maladie. Outre une meilleure maîtrise des coûts, cette orientation impliquera également de promouvoir une plus grande efficience dans le secteur social et médicosocial et par là même de lier davantage le montant des financements reçus à la qualité des services rendus aux assurés sociaux. Il faudra également accroître les contrôles, en particulier afin de mettre un terme aux phénomènes de double facturation d'actes qui peuvent être pris en charge une première fois sur le forfait soins des établissements médicosociaux, puis une seconde fois sur l'enveloppe des soins de ville de l'Ondam.
Puis il a jugé que les dispositifs privés d'assurance dépendance ne doivent pas être considérés comme une question taboue, dans la mesure où, contrairement au handicap, les assurés sociaux disposent à la fois du temps et de la possibilité de se prémunir contre un tel risque : la prévoyance individuelle et collective peut donc être envisagée comme un complément aux dispositifs publics de prise en charge.
Après avoir souligné que le financement de la politique de la dépendance pose le problème du niveau de la participation des familles aux dépenses engagées ainsi, le cas échéant, que celui de la récupération sur la succession des bénéficiaires, M. Dominique Libault a fait valoir l'importance d'améliorer l'encadrement en personnel des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ainsi que l'attractivité de ces métiers. Sans doute, serait-il possible de progresser dans ce domaine en organisant la reconversion professionnelle dans ces filières de nombreuses personnes âgées de plus de cinquante ans qui n'ont plus aujourd'hui de travail.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur le montant des dispositifs d'exonérations sociales bénéficiant aux personnes âgées dépendantes qui ne font pas l'objet d'une compensation de l'Etat à la sécurité sociale. Puis il s'est interrogé sur la possibilité de parvenir à une définition moins équivoque de la dépendance permettant de garantir que la répartition des dépenses entre les trois sections tarifaires des Ephad repose bien sur des éléments objectifs incontestables.
M. Dominique Libault a indiqué que le montant des exonérations de charges non compensées par l'Etat s'est élevé en 2006 (dernière année connue) à 1,4 milliard d'euros au titre des aides au maintien à domicile des personnes dépendantes, dont 889 millions d'euros pour les employés recrutés directement par les particuliers et 513 millions d'euros pour les aides fournies aux particuliers par les associations et les entreprises. Il s'agit de mesures à la fois anciennes, puisqu'elles datent de 1987, et antérieures à la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale posant le principe de la compensation des exonérations de cotisations.
En ce qui concerne les trois sections sur lesquelles repose la tarification des Ephad, il a jugé souhaitable de maintenir une certaine stabilité dans le temps des règles applicables, d'autant plus qu'un tel exercice de répartition n'est pas chose aisée. Plutôt que de se lancer dans des débats techniques très complexes, il vaudrait mieux vérifier à intervalle régulier qu'il n'y a pas de transferts implicites entre les différents financeurs. Puis il a indiqué que les données en possession de la direction de la sécurité sociale infirment la thèse souvent avancée d'un désengagement de l'assurance maladie du financement de la dépendance.
Observant que le budget des établissements d'hébergement est constitué essentiellement par des dépenses de personnel, M. Paul Blanc a fait part de son scepticisme quant à la possibilité de progresser dans le domaine de la bonne gouvernance, d'autant plus que le passage aux trente-cinq heures de travail hebdomadaire s'est traduit par une dégradation sensible de la qualité du service rendu aux personnes dépendantes. Et quand bien même des marges de manoeuvre seraient finalement dégagées, le manque de place au niveau national conduirait rapidement à les utiliser pour financer la création de nouvelles structures. Enfin, la rationalisation des dépenses risque d'avoir pour effet pervers, faute de personnel suffisant, d'augmenter la fréquence des phénomènes de maltraitance.
M. Philippe Marini, président, a souhaité obtenir des précisions sur le rôle de la nouvelle Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et des services sociaux et médico-sociaux.
Après avoir indiqué qu'il partage les craintes exprimées par M. Paul Blanc au sujet de la maltraitance, M. Guy Fischer s'est inquiété de l'importance du reste à charge pour les personnes dépendantes et leurs familles, notamment dans les quartiers populaires. Ce phénomène se conjugue, d'une part, avec un manque criant de places disponibles, d'autre part, avec l'absence de transparence du mode actuel de tarification des Ephad. Jugeant globalement très excessives les hausses de tarifs intervenues dans ces structures au cours des dernières années, il a fait part de ses doutes quant à la réalité du principe mis en avant par le Gouvernement en matière de liberté de choix des familles dans le mode d'hébergement. Puis il s'est interrogé sur les conséquences du discours qui consiste à prôner une meilleure maîtrise, voire une diminution des dépenses publiques de prise en charge de la dépendance.
Revenant sur l'audition de M. Philippe Josse, directeur du budget, M. François Autain s'est demandé si les réponses formulées à leur tour par MM. Trégoat et Libault ne traduisent pas leur préférence commune en faveur de l'harmonisation de la prise en charge des personnes âgées dépendantes et de la prise en charge des personnes handicapées, qui leur semble manifestement plus réaliste que celle d'une convergence « par le haut » consistant à aligner le régime juridique de l'Apa sur celui, nettement plus favorable, de la PCH.
Au sujet de la maltraitance, il a fait part de son accord avec les propos de M. Paul Blanc tout en reconnaissant la difficulté à identifier des situations de ce type. Puis il a observé que les dépenses des maisons de retraite ne représentent pas seulement un coût pour la collectivité mais aussi une source de profits importants pour les opérateurs privés, dont certains ont d'ailleurs été rachetés par des fonds de pension. Or, dans ce secteur économique, la préservation d'un haut niveau de rentabilité suppose de limiter les coûts salariaux, voire d'employer du personnel sous-qualifié, en remplaçant par exemple des infirmières par des aides-soignantes. Dans certains pays étrangers, tel l'Allemagne, des établissements pour personnes âgées sont transférés dans des pays à moindres coûts salariaux, comme la Hongrie.
M. Philippe Marini, président, a jugé nécessaire pour la mission de prendre en compte dans ses travaux les aspects économiques, et pas seulement sociaux, du marché de la prise en charge de la dépendance. Puis il a souhaité que l'on sorte de l'ambiguïté sur la question de la convergence ou de l'harmonisation des modalités de prise en charge respectives des personnes handicapées et des personnes âgées dépendantes.
Mme Marie-Thérèse Hermange a souhaité savoir si la direction de la sécurité sociale dispose d'une étude prospective sur le nombre de fermetures de lits dans les hôpitaux qui pourrait donner lieu à une reconversion au profit des personnes âgées dépendantes. Elle s'est demandé si les structures de coordination existantes comme les Centres locaux d'information et de coordination (Clic) fonctionnent dans de bonnes conditions. Enfin, elle s'est interrogée sur l'existence de travaux d'expertise en matière de comparaison du coût de prise en charge, pour une pathologie donnée, selon le type d'hébergement de l'assuré social.
Réagissant aux propos de M. Jean-Jacques Trégoat sur l'harmonisation des montants de reste à charge pour les familles dans les domaines du handicap et de la dépendance, M. Alain Vasselle, rapporteur, a jugé nécessaire d'obtenir des précisions chiffrées à ce sujet. Il s'est ensuite demandé s'il existe des réflexions sur les modalités d'une mise en place de la tarification à l'activité dans les établissements sociaux et médicosociaux. Puis il a regretté que, comme souvent en France, la prévention de la dépendance apparaisse insuffisamment développée au regard des activités purement curatives.
M. Philippe Marini, président, s'est interrogé sur les règles régissant l'apport d'un milliard d'euros de la CNSA venant compléter les 12 milliards d'euros de l'Ondam médicosocial pour former l'objectif global de dépenses (OGD) destinées aux personnes âgées et handicapées. Le bien-fondé de ce mécanisme semble d'autant plus sujet à caution qu'il apparaît surtout comme un artifice de présentation : on peut se demander pourquoi le milliard de la CNSA n'est pas directement attribué en ressource à la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).
M. Dominique Libault a réaffirmé qu'il ne prône pas la réalisation d'économies dans le domaine de la dépendance. En revanche, il lui semble indispensable de dégager des marges de manoeuvre ailleurs, pour être en mesure de financer les efforts supplémentaires nécessaires dans ce domaine : la poursuite de l'accroissement à un rythme de 6 % à 7 % par an de l'Ondam médicosocial ne demeurera financièrement soutenable que si l'on maîtrise parallèlement les dépenses de soins de ville et celles des hôpitaux.
Cette démarche supposera également de renforcer l'efficience du fonctionnement des établissements d'hébergement, sur le modèle de ce qui commence à être fait dans les hôpitaux, par exemple en matière de restauration des patients : avec une meilleure organisation, il est possible tout à la fois d'accroître la qualité de service tout en réduisant les coûts.
Après avoir reconnu le caractère ambigu du débat sur l'harmonisation ou la convergence de la prise en charge des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées, M. Dominique Libault s'est déclaré, à titre personnel, beaucoup plus favorable au premier de ces deux termes, ne serait-ce qu'au regard des implications financières de la convergence.
En réponse à Mme Marie-Thérèse Hermange, il a indiqué que la problématique de la reconversion des fermetures de lits programmées dans les hôpitaux se situe au coeur des préoccupations du Gouvernement, en particulier dans la perspective de la tenue prochaine des états généraux de la santé. La création des agences régionales de santé (ARS) devrait en outre permettre une meilleure articulation du secteur médical avec le secteur médicosocial.
Puis il a estimé, d'une part, qu'il conviendrait de réorienter l'action sociale des caisses de sécurité sociale en direction de la prévention de la dépendance, d'autre part, que l'objectif d'amélioration de l'hébergement des personnes âgées dépendantes peut être atteint grâce à une meilleure prise en compte de la problématique du vieillissement de la population en matière de politique d'urbanisme.
M. Philippe Marini, président, a estimé que cette dernière orientation apparaît certes justifiée mais qu'elle ne produira des effets qu'à long terme, d'ici peut-être une génération, compte tenu de l'état actuel du parc de logements et de son rythme de renouvellement. D'autre part, la mise sur le marché de logements adaptés aux besoins des personnes âgées n'est qu'une réponse très partielle, et d'ampleur limitée, aux défis posés par la dépendance.
M. Dominique Libault a précisé que cette réflexion sur l'interaction entre vieillissement de la population et urbanisme s'inscrit dans le cadre des travaux du centre d'analyse stratégie à l'horizon 2020-2030.
En ce qui concerne la question de la lutte contre la maltraitance, M. Jean-Jacques Trégoat a indiqué que Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, annoncera prochainement le détail des mesures arrêtées par le Gouvernement. Mais on sait déjà qu'un numéro de téléphone unique sera mis en oeuvre pour faciliter le signalement de tels événements, qu'une structure dédiée à la maltraitance sera créée dans chaque département et que l'accent sera mis sur la formation des personnels.
Puis il a estimé que contrairement aux inquiétudes formulées par certains observateurs, l'analyse des remontées d'informations émanant des programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (Priac) tendent à relativiser l'idée d'une pénurie de places disponibles pour les personnes âgées dépendantes. Compte tenu du rythme des créations de nouvelles places envisagées à l'horizon 2008-2009 en matière d'Ephad, de SSIAD, de structures d'accueil de jour et d'hébergement temporaire, l'essentiel des besoins de la population devrait être couvert.
Puis, faisant référence à plusieurs expériences réalisées sur le terrain, notamment en Auvergne et dans le Val de Marne, il a exprimé la conviction qu'il convient surtout d'améliorer le mode de gouvernance du système de prise en charge de la dépendance : les 32 000 établissements sociaux et médicosociaux que compte notre pays ne peuvent plus continuer à s'ignorer mutuellement. Tous les acteurs institutionnels devraient à l'inverse multiplier les structures de coopération afin de rendre possibles des redéploiements de moyens. Cette démarche supposerait enfin de renforcer l'évaluation des pratiques professionnelles.
M. Jean-Jacques Trégoat a estimé que les questions de l'amélioration de la gouvernance et de la professionnalisation des métiers sont liées. Il s'est montré prudent sur la possibilité de promouvoir des mécanismes de tarification à l'activité. Une démarche en ce sens ne pourrait pas être identique à celle suivie pour l'hôpital : elle devrait partir d'une évaluation préalable des besoins spécifiques des personnes hébergées dans les établissements médicosociaux. Or, dans ce domaine, même si le secteur du handicap semble beaucoup plus avancé que celui des personnes âgées dépendantes, les données dont on dispose ont encore un caractère beaucoup trop général.
Revenant sur la question de la maltraitance, M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est interrogé sur la portée de la création d'un numéro d'appel unique et s'est demandé si les familles oseront se manifester.
Jugeant qu'il convenait au préalable de se doter d'outils de signalement efficaces, M. Jean-Jacques Trégoat a indiqué que la direction générale de l'action sociale dispose désormais de remontées d'information quotidiennes. Le nombre croissant de cas ainsi révélés traduit en tout cas la sensibilisation croissante de l'opinion publique sur ce thème.
Les aspects microéconomiques de la dépendance : prévention, prise en charge, accompagnement, soins de la personne âgée dépendante - Table ronde
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi sous la présidence de M. Michel Mercier, vice-président, la mission d'information a organisé une table ronde à laquelle ont participé MM. Alec Bizien, professeur au collège de médecine des hôpitaux de Paris, praticien hospitalier et chef du service de médecine interne gériatrique de l'hôpital Georges Clemenceau de Champcueil, secrétaire général du syndicat national de gérontologie clinique (SNGC), Régis Gonthier, professeur d'université - praticien hospitalier (PU-PH), chef de service gérontologique au centre hospitalier régional universitaire de Saint-Etienne, représentant la société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) au sein du conseil scientifique de la CNSA, Jean-Claude Henrard, professeur de santé publique à la faculté de médecine de Paris-Ile-de-France Ouest (Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines), ancien médecin-chef du service des consultations de gérontologie de l'hôpital Sainte-Périne, Benoît Lavallart, conseiller technique chargé des pathologies liées au vieillissement à la direction générale de la santé, membre de la commission chargée de préparer l'élaboration du plan « Alzheimer 2008-2012 », Mmes Simone Pennec, maître de conférences, directrice de l'atelier de recherche en sociologie (EA 3149) de l'université de Bretagne occidentale, Karine Pérès, docteur en sciences biologiques et médicales, chargée de recherche à l'Inserm de Bordeaux, MM. Vincent Rialle, docteur ès sciences, maître de conférences et praticien hospitalier à l'université Joseph Fourier et au centre hospitalo-universitaire (CHU) de Grenoble, secrétaire général de la société française de technologies pour l'autonomie et de gérontechnologie, Jacques Soubeyrand, gériatre PU-PH à l'Assistance publique de Marseille, chef du service de médecine interne et gériatrie à l'hôpital Sainte Marguerite de Marseille.
A titre liminaire, M. Michel Mercier, président, a précisé que la mission d'information a souhaité disposer d'un éclairage sur les aspects concrets de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, ce qui l'a conduite à organiser une table ronde réunissant des personnalités qualifiées, des professeurs de médecine, des médecins et des universitaires, autour de cinq pistes de réflexion : la définition de la notion de dépendance, l'offre de services ainsi que les différents modes de prise en charge, la place de la solidarité familiale, la prévention de la dépendance ainsi que l'accompagnement thérapeutique, enfin les phénomènes de maltraitance.
Après avoir présenté successivement l'ensemble des intervenants, M. Michel Mercier, président, a invité le professeur Régis Gonthier, ainsi que Mme Karine Pérès, à ouvrir la discussion sur le thème de la notion de dépendance, en leur demandant en particulier d'en définir les contours, d'indiquer les modalités d'évaluation des personnes dépendantes et les raisons pour lesquelles les dépendances psychiques constituent un cas spécifique.
A titre liminaire, M. Régis Gonthier a jugé que plutôt que d'employer le terme de dépendance, il est préférable de recourir à la notion d'altération de l'autonomie qui correspond à une incapacité définitive ou durable d'assumer seul et sans aide les gestes de la vie quotidienne et/ou de participer normalement à la vie sociale. Cette notion d'altération de l'autonomie légitime la mise en place d'un droit universel d'aide à l'autonomie visant à en compenser les effets, ce qui suppose notamment d'abandonner toutes les différences de traitement fondées sur l'âge des assurés sociaux. La compensation de l'altération de l'autonomie doit reposer sur une évaluation personnalisée et multidimensionnelle des besoins de la personne et être réalisée par des équipes professionnelles. Il faut également tenir compte dans cet exercice de la situation professionnelle et familiale du bénéficiaire. La mise en place de ce droit implique enfin une gestion de proximité, ainsi que des garanties en termes d'égalité de traitement sur le territoire national.
M. Régis Gonthier a souligné la spécificité des cas de dépendance psychique, dont la fréquence s'inscrit en forte augmentation, à l'inverse des autres pathologies ; elles sont en outre généralement diagnostiquées tardivement et présentent des conséquences très lourdes pour la personne atteinte, comme pour son entourage familial. Les malades se trouvent en effet rapidement placés dans l'incapacité de rester seuls chez eux, de prendre leurs médicaments, de gérer leurs finances ou simplement de s'alimenter. L'accumulation de ces difficultés représente naturellement une charge particulièrement difficile à assumer.
Abordant ensuite la question de l'évaluation de l'altération de l'autonomie, il a noté que plus on recourt à un outil complexe, plus on s'expose au risque de pratiques hétérogènes dans l'appréciation portée sur l'état du patient. Inversement, un outil simple ne permet pas d'appréhender correctement la réalité de la situation de certaines personnes. Au total, l'évaluation très fine des besoins des assurés sociaux nécessite un important effort d'expertise sur lequel la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) concentre actuellement une partie de ses travaux.
Mme Karine Pérès a ajouté qu'il apparaît indispensable de réaliser une évaluation personnalisée de la perte d'autonomie, dans la mesure où une même pathologie, avec les mêmes déficiences, peut se traduire par des conséquences différentes selon les malades. On ne peut donc se contenter de recourir à des données purement biologiques et médicales : l'environnement de la personne doit également être pris en considération.
Elle a indiqué par ailleurs que plutôt que de parler de dépendance psychique, il lui semble préférable d'employer les termes de dépendance d'origine cognitive, car il s'agit d'une maladie évolutive, contrairement par exemple aux accidents vasculaires cérébraux, menant inéluctablement à la destruction des neurones de l'organe central du corps humain. Elle a souligné que les cas de démence sont caractérisés par un taux de mortalité relativement faible, si bien qu'il n'est pas rare que des personnes soient malades, au total, pendant une durée de dix à douze ans. La décomposition des coûts représente une autre spécificité marquante de ce type de pathologie : les dépenses purement médicales ne représentent que 10 % du total de la prise en charge. Ce sont donc les aspects sociaux qui en constituent la plus grande partie, car il faut assurer un suivi permanent de ces malades, soigner les troubles dont ils sont victimes, notamment leur agressivité, et même prévenir les risques de dénutrition auxquels ils s'exposent, puisqu'ils sont incapables de faire eux-mêmes leurs courses et souvent, de s'alimenter.
En ce qui concerne l'évaluation des personnes dépendantes, Mme Karine Pérès a indiqué que l'unité de recherche de l'Inserm à laquelle elle appartient travaille sur des données épidémiologiques, fondées sur les activités de base de la vie quotidienne et recueillies au domicile de ces personnes par des enquêteurs spécialisés.
Après avoir salué la clarté de ces deux exposés, M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité savoir si les travaux d'expertise disponibles sont de nature à éclairer le débat sur la répartition des dépenses entre les trois sections tarifaires des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Puis il s'est demandé si la dépendance psychique représente le cas de figure le plus lourd en termes de perte d'autonomie et si la grille autonomie gérontologie groupes iso-ressources (Aggir) est un outil d'évaluation satisfaisant.
M. Régis Gonthier a précisé que les personnels soignants ont effectivement recours à cette grille, qui constitue également un outil pour déterminer le niveau de la prise en charge sur fonds publics des plans d'aide des assurés sociaux. Mais cette approche est complétée par d'autres instruments d'évaluation plus fins. Puis il a indiqué que les démences, comme la maladie d'Alzheimer, correspondent effectivement aux cas de perte d'autonomie les plus lourds, en raison de la durée moyenne relativement longue de ces affections. Enfin, les frontières entre les trois sections sur lesquelles repose la tarification des Ehpad ne sont pas toujours très claires : il existe donc de petits risques de chevauchement en termes de répartition des dépenses.
Mme Karine Pérès a précisé que les personnes souffrant de démence sont en moyenne malades pendant une durée un peu supérieure à cinq ans. Elles souffrent de troubles très sévères pendant les deux ou trois dernières années de leur vie et constituent environ 75 % du nombre des bénéficiaires de l'Apa classés dans les groupes iso-ressources (Gir) 1 à 4. Cette proportion atteint même 100 % pour celles appartenant au seul Gir 1. Au total, 57 % des déments sont dépendants pour au moins une activité de base et 14 % ne sont capables d'aucun geste. Ils représentent 90 % des 3 % de patients affectés d'une dépendance très lourde.
M. Michel Moreigne a évoqué le « Gemapa », guide d'évaluation multidimensionnelle pour l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa), qui permet d'élaborer des plans d'aide avec précision et a été expérimenté dans le département de la Creuse.
M. François Autain a indiqué qu'il partage la revendication tendant à aboutir à un droit universel à l'autonomie, tout en s'interrogeant sur les conditions concrètes de sa mise en oeuvre. Il a ensuite observé que l'évaluation de la dépendance est encore aujourd'hui un sujet de débat alors qu'il serait souhaitable, dans l'absolu, de pouvoir un jour définir cette notion avec plus d'exactitude.
M. Alain Milon a demandé des précisions sur l'évolution et le suivi dans le temps des personnes souffrant d'une altération progressive de leurs fonctions cognitives.
Revenant à la problématique du financement de la dépendance, M. Eric Doligé a interrogé les participants à la table ronde sur la possibilité de disposer d'estimations précises quant au montant des dépenses que la collectivité nationale sera amenée à prendre en charge.
M. Régis Gonthier a jugé utile l'apport de la grille Aggir, tout en estimant que l'évaluation de la cohérence et des problèmes d'orientation des personnes malades mériterait sans doute d'être améliorée. Pour autant, cette grille permet d'appréhender avec certitude le moment où les personnes se trouvent en situation d'incapacité.
Mme Karine Pérès a précisé que l'Inserm a recours à des enquêteurs à domicile pour apprécier le niveau de dépendance. Certaines personnes, en effet, n'ont pas réellement conscience, voire nient, les problèmes auxquels elles sont confrontées.
Faisant référence aux résultats d'une enquête réalisée dans la région de Marseille auprès d'une population d'un millier de médecins généralistes, M. Jacques Soubeyrand a estimé que ces derniers ne sont pas suffisamment formés aux spécificités de la prise en charge des personnes dépendantes.
M. Charles Guené a souhaité savoir si, au-delà des considérations formulées sur la juste efficience des soins, les participants à la table ronde ne pourraient pas également éclairer les décideurs publics sur les priorités qu'il convient de dégager, dans un contexte de nécessaire maîtrise des dépenses.
Après avoir à son tour souligné la complexité de la tâche consistant à évaluer la dépendance, M. Jean-Claude Henrard a jugé qu'il serait utile de se reporter sur cette question aux nombreux travaux, trop souvent ignorés dans notre pays, menés dans les pays anglo-saxons ainsi que dans ceux du Nord de l'Europe. La confusion entourant cette définition est génératrice de surcoût pour la France.
M. Michel Mercier, président, a fait valoir que ce sujet ne constitue pas uniquement un thème de recherche sur le plan académique, mais recouvre des implications pratiques considérables, puisque le nombre des bénéficiaires de l'Apa dépasse un million de personnes et que les conseils généraux consacrent à cette prestation des sommes très importantes.
Il a ensuite invité l'ensemble des participants à passer au deuxième thème de réflexion de la table ronde consacré à l'offre de services, ainsi qu'aux modes de prise en charge de la dépendance. Il s'est demandé en particulier si l'offre correspond aujourd'hui aux besoins, si elle sera suffisante pour faire face à l'augmentation prévisible du nombre de personnes dépendantes au cours des prochaines années et si la qualité et la coordination des soins apparaissent satisfaisantes. Puis il s'est demandé quel est le bilan de la politique de maintien des personnes dépendantes à domicile, d'une part, de celle consistant à moderniser l'offre d'hébergement, d'autre part.
M. Jean-Claude Henrard a estimé que l'offre de services actuelle relève de différents dispositifs très fragmentés. Par ailleurs, les moyens dégagés en faveur des personnes à domicile sont insuffisants, ainsi qu'en témoigne le drame de la canicule intervenu pendant l'été 2003. Alors que la fréquence des cas de dépendance ne cesse de croître, à mesure que s'accentue le vieillissement de la population, les personnels ne sont pas assez nombreux et manquent de formation. En ce qui concerne les cas de dépendance les plus lourds, l'aide accordée dans le cadre de l'Apa ne permet pas de soulager efficacement les familles et les malades. Sans doute les moyens financiers disponibles sont-ils « saupoudrés » sur un trop grand nombre de bénéficiaires, alors qu'il conviendrait probablement de les concentrer sur ceux qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire sur les cas de dépendance les plus lourds.
Il s'est ensuite prononcé en faveur d'une meilleure coordination, à tous les niveaux, de l'ensemble des acteurs de la politique de la dépendance. L'architecture institutionnelle apparaît, elle aussi, particulièrement fragmentée avec, pour conséquence, une tentation de chaque intervenant de transférer sur l'autre une partie de la charge de financement qui lui incombe. Il existe également des situations d'incompétence négative, comme en matière de rééducation, dont on ne sait à qui incombe réellement la charge du financement.
La création de la CNSA a représenté, de ce point de vue, une amélioration bienvenue, qu'il faudrait cependant compléter par la mise en oeuvre de véritables réseaux opérationnels permettant de coordonner les actions au plan local. Or, jusqu'ici, les réalisations dans ce domaine sont venues d'initiatives expérimentales mises en oeuvre à la demande des acteurs de terrain qui sont confrontés directement aux besoins de la population. Il faut désormais aller au-delà.
M. Jean-Claude Henrard a enfin estimé que, faute de moyens suffisants, la politique de libre choix des familles ne recouvre pas une alternative réelle entre le maintien à domicile des personnes dépendantes et leur hébergement dans des institutions spécialisées. Les familles ignorent souvent les possibilités qui leur sont offertes et l'éventail des choix n'est pas le même partout sur le territoire.
Après avoir constaté la grande diversité sur le territoire national de l'offre de services en matière de dépendance, M. Alec Bizien a regretté, à son tour, qu'il n'y ait pas de politique cohérente dans ce domaine à l'échelle de l'ensemble de la France. En ce qui concerne l'évaluation de la dépendance, il a souligné l'intérêt d'un outil national comme la grille Aggir, même si sa mise en oeuvre donne lieu à des pratiques hétérogènes d'un département à l'autre.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité savoir s'il serait possible de définir précisément une population-cible sur laquelle les pouvoirs publics concentreraient les moyens d'action de la collectivité nationale. Puis il s'est interrogé sur les pistes de réflexion envisageables pour améliorer la coordination des acteurs de la politique de la dépendance.
Faisant référence au caractère global du système d'assurance publique obligatoire mis en place en Allemagne, M. Jean-Claude Henrard a estimé qu'outre la problématique de l'Apa, il convient dans notre pays d'appréhender concomitamment l'ensemble des besoins dans le domaine médical et technique. Il faut adapter une vision globale de la prise en charge. Il a regretté l'insuffisance du niveau actuel de formation des personnels qui ne permet pas un encadrement satisfaisant des cas les plus complexes et n'est d'ailleurs que la conséquence du choix fait dans le passé de privilégier dans ce secteur le recours à des personnes peu qualifiées. Puis il a considéré, s'agissant de la question des moyens à dégager, qu'il faudrait sans doute tripler à terme le niveau des dépenses en matière de prise en charge à domicile, le plan « Solidarité-Grand Age » prévoyant quant à lui un doublement des sommes consacrées aux personnes hébergées dans des Ehpad.
Il a souhaité également que l'on analyse les exemples étrangers de coordination des différents acteurs de la politique de la dépendance. Ainsi, cette responsabilité est-elle confiée en Norvège aux communes, tandis qu'au Royaume-Uni on a recours à un professionnel dit « de première ligne » pour animer le réseau des intervenants. Tirer les enseignements de ces expériences étrangères serait de nature à permettre à notre pays de limiter le recours trop systématique aux services d'urgence des hôpitaux pour prendre en charge les personnes dépendantes.
Faisant référence à l'exemple de son département, la Dordogne, M. Bernard Cazeau a estimé que les besoins de la population en matière de dépendance sont aujourd'hui globalement satisfaits. Au total, pour l'ensemble de la France, plus d'un million de personnes sont ainsi prises en charge par les conseils généraux au titre de l'Apa, ce qui est considérable. Renforcer l'action des départements, notamment en progressant vers une plus grande convergence de la prise en charge des personnes handicapées et des personnes âgées dépendantes, supposerait de définir des modalités de financement en adéquation avec cette ambition. Il a craint que cette convergence ne s'avère, à terme, extrêmement coûteuse pour les conseils généraux.
Après avoir remarqué que la CNSA a permis une amélioration de la coordination de la politique de la dépendance, M. François Autain a observé que cette caisse introduit également un élément de complexité supplémentaire dans des circuits de financement qui en sont déjà passablement affectés. Il a ensuite fait valoir l'absence d'alternative réelle en matière d'hébergement en raison notamment du coût très élevé du maintien à domicile.
M. Paul Blanc s'est étonné des affirmations du professeur Soubeyrand selon lesquelles les médecins généralistes n'auraient pas une connaissance suffisamment approfondie des besoins spécifiques des personnes âgées dépendantes. Puis il a souligné les limites du principe de liberté de choix du mode d'hébergement : à partir d'un certain niveau de dépendance, le maintien à domicile devient impossible compte tenu de son coût de plus en plus élevé, mais également en raison de problèmes élémentaires de sécurité qui se posent dans la vie quotidienne des malades.
M. Jean-Claude Henrard a considéré qu'il appartient aux décideurs publics de se prononcer sur la question des moyens à allouer à la prise en charge de la dépendance. Une fois ce cadre tracé, les membres du corps médical s'efforcent d'agir de la façon la plus efficiente possible.
Il a ensuite observé, qu'à l'inverse de la plupart des pays étrangers où le traitement des cas légers de dépendance n'est guère pris en charge par la collectivité, la France se caractérise probablement par un certain « saupoudrage » des moyens financiers : les personnes les plus dépendantes sont insuffisamment couvertes, tandis que celles qui ne sont pas classées en Gir 1 ou 2 bénéficient d'une aide d'un montant moyen souvent très faible, mais qui représente globalement des dépenses importantes. Au-delà de ce débat se pose aussi la question du retard pris par la France en matière de prévention et d'accessibilité. En ce qui concerne la répartition des rôles entre les acteurs de la politique de la dépendance, il s'est interrogé sur l'articulation des interventions de la CNSA avec celles de la direction générale de l'action sociale.
En réponse à M. François Autain, il a plaidé pour le développement de structures d'hébergement intermédiaires entre le domicile et l'institution, telles les accueils de jour et les formules d'hébergement temporaire.
Puis il a estimé que la sécurité des personnes âgées dépendantes dans les Ehpad constitue largement un mythe en raison du manque de personnel dans ces structures, notamment la nuit. C'est d'ailleurs ce qui explique que paradoxalement l'hébergement en établissement soit moins cher en France qu'à domicile, à l'inverse des autres pays européens et en particulier du Royaume-Uni et de l'Allemagne.
M. Jacques Soubeyrand a précisé que sa critique de l'insuffisante prise en compte par les médecins généralistes des problèmes gérontologiques s'adresse à ceux qui ont eu la charge de les former.
M. Michel Mercier, président, a indiqué qu'il retient de ses échanges l'idée que les réflexions de la mission doivent partir des moyens financiers dont dispose la collectivité nationale, quitte, le cas échéant, à concentrer les efforts d'amélioration sur les personnes qui en ont le plus besoin.
Il a ensuite proposé de passer au troisième thème, consacré à la place de la solidarité familiale, et a demandé à Mme Simone Pennec de bien vouloir présenter ses observations sur le rôle joué par les familles dans l'accompagnement des personnes dépendantes. Il a également suggéré qu'elle aborde quelques pistes sur des questions connexes : la question de la solidarité « pécuniaire », celle de l'impact du développement de l'assurance dépendance sur le reste à charge des familles, ainsi que le statut des aidants familiaux.
Mme Simone Pennec a expliqué que les réflexions sur la solidarité familiale - terme qui ne lui apparaît pas le plus adéquat - conduisent à s'interroger sur la répartition du soutien apporté aux personnes âgées dépendantes au sein de la famille et sur les inégalités qui peuvent apparaître. Les services familiaux constituent la majorité des services apportés aux personnes âgées dépendantes, mais la notion de famille recouvre des réalités différentes selon les situations. Dans le cas des hommes âgés dépendants, le conjoint représente le premier soutien, devant les filles. Dans le cas des femmes âgées dépendantes, le soutien familial résulte d'abord des filles, puis des fils, devant l'aide apportée par les conjoints. Dans le cas de fratries, le soutien apporté aux parents dépendants n'apparaît pas non plus équitablement réparti entre les frères ou soeurs : si l'un des enfants est célibataire, la prise en charge du parent dépendant repose le plus souvent sur lui.
On observe par ailleurs que ce sont les personnes disposant le moins de ressources qui se retrouvent le plus en situation d'aidant à l'égard des parents dépendants. Lorsque l'on compare les familles entre elles, d'un point de vue sociologique, des différences importantes apparaissent entre les catégories socio-professionnelles supérieures et les catégories ouvrières, liées à des différences de capacité économique. Chez les personnes relevant de catégories ouvrières, dans 59 % des cas, les proches assurent seuls la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Chez les personnes relevant de catégories socio-professionnelles supérieures, les proches assurent seuls la prise en charge des personnes âgées dépendantes dans seulement un tiers des cas, les professionnels intervenant seuls dans un autre tiers des cas, tandis que le dernier tiers fait l'objet d'une prise en charge mixte, comprenant les proches et des professionnels.
Le recours à l'aide familiale s'inscrit donc majoritairement dans une nécessité socio-économique et correspond à une obligation pour les ménages les plus modestes. A cet égard, Mme Simone Pennec a estimé que le renforcement de l'appel à la solidarité familiale se traduirait par un accroissement des inégalités entre les familles, les familles les plus aisées conservant en tout état de cause la possibilité de recourir aux services de professionnels.
Elle a indiqué qu'il n'y a jamais eu autant de familles à apporter un soutien aux personnes âgées dépendantes qu'aujourd'hui. L'accroissement de l'effort de la collectivité en matière de prise en charge de la dépendance ne s'est pas traduit par un recul du soutien familial. Celui-ci s'est maintenu depuis la mise en place de l'Apa, avec probablement une aisance financière accrue, de moindres tensions internes aux familles et une diminution des risques de maltraitance.
Elle a ensuite abordé la question du statut des aidants familiaux. Celui-ci « existe sans exister », par le biais de l'Apa attribuée au parent dépendant, qui permet d'indemniser, mais non de rémunérer, le proche de l'aide qu'il lui apporte. Certains pays ont développé un cadre plus élaboré, en considérant les enfants comme des professionnels et en les intégrant dans des dispositifs officiels de prise en charge, ce qui présente l'intérêt d'encadrer les aides apportées, de limiter les risques et de se traduire par une reconnaissance juridique des compétences acquises par l'aidant.
En conclusion, elle a nuancé les approches parfois évoquées tendant à mettre en parallèle l'augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes et la diminution du « vivier d'enfants », qui déboucherait sur un plus faible nombre d'aidants familiaux. Toutefois, l'accroissement global du nombre de personnes relevant de catégories socio-professionnelles supérieures et l'insertion des femmes dans la vie active devrait conduire à un recours accru aux professionnels de la prise en charge de la dépendance.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité que Mme Simone Pennec fasse part de ses réflexions sur l'opportunité d'instaurer un recours sur succession et de faire jouer l'obligation alimentaire, notamment si la solidarité familiale ne s'est pas manifestée, alors que la famille dispose de la capacité financière à prendre en charge la dépendance de la personne âgée. Il s'est ensuite demandé si l'assurance dépendance constitue une voie souhaitable pour alléger la charge des familles, notamment de celles les plus en difficulté.
Mme Simone Pennec a indiqué qu'à titre personnel, elle ne considérait pas le recours sur succession comme une voie à suivre. L'exemple de la prestation spécifique dépendance montre que cette possibilité offerte aux départements amène un certain nombre de personnes à préférer ne pas faire appel aux prestations proposées. La suppression de la possibilité de recours sur succession explique a contrario le succès de l'Apa.
M. Michel Mercier, président, a relevé que le recours sur succession a été maintenu dans le cadre de l'aide sociale à l'hébergement (ASH).
Mme Simone Pennec a noté que le recours sur succession est peu appliqué dans les autres pays européens et que son utilisation engendre des conflits familiaux. Or, tout ce qui accroît les tensions internes aux familles lui paraît être un coup porté à la fin de vie des personnes âgées et doit être absolument évité.
Mme Sylvie Desmarescaux a mis en évidence les différences existant entre le monde rural et le monde urbain du point de vue de la solidarité familiale. Elle a relevé qu'en dépit du recours sur succession, les familles font appel à l'aide sociale, même si elles s'efforcent de répartir la charge différentielle entre les enfants afin d'éviter des recours devant les tribunaux. Elle a ensuite souligné les difficultés financières parfois rencontrées par les familles des classes moyennes et les moins aisées pour faire face à la prise en charge de leurs aînés.
Mme Bernadette Dupont a souhaité que Mme Simone Pennec apporte un éclairage sur l'action des tuteurs familiaux.
M. Charles Guené, après avoir pris note des objections formulées par Mme Simone Pennec à l'encontre du recours sur succession, a relevé que cette problématique ne pouvait être éludée dans un contexte de nécessaire maîtrise du taux des prélèvements obligatoires. Il a demandé à Mme Simone Pennec son point de vue sur la proposition consistant à subordonner à une condition de patrimoine l'ouverture du droit à une prestation.
Mme Simone Pennec a attiré l'attention sur les effets pervers potentiels d'une mise à contribution sélective des patrimoines. Elle a mis en cause la distinction généralement opérée entre le handicap, qui devrait relever de la solidarité nationale, et la dépendance, pour laquelle la solidarité familiale aurait toute sa place. Il existe une part de hasard dans la prévalence de la dépendance : certaines personnes âgées ne seront jamais en situation de perte d'autonomie. Au fond, il n'existe pas de véritable différence de nature entre handicap et dépendance des personnes âgées et si l'on doit recourir à un prélèvement sur les patrimoines, une taxation de l'ensemble des patrimoines, dont le produit serait affecté au financement de la dépendance, paraîtrait plus justifié.
M. Charles Guené a observé que cette proposition s'apparentait en fait à la réorientation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui deviendrait un « ISF dépendance ».
Mme Simone Pennec a noté les différences existant entre les départements s'agissant des modalités de prise en charge de la dépendance, même si celles-ci ont diminué. Elle a ensuite indiqué qu'en cas de conflit interne à la famille, la tutelle des personnes âgées n'est en général pas attribuée à un membre de la famille, mais à une personne extérieure. Elle a également mis en évidence les effets pervers de l'attribution de l'Apa du point de vue des relations internes aux familles, le parent pouvant considérer que son enfant est rémunéré pour l'aide qu'il lui apporte et décider de privilégier les autres membres de la fratrie dans la répartition de l'héritage.
MM. Bernard Cazeau et Michel Mercier, président, ont indiqué qu'il n'est pas possible pour un enfant d'être rémunéré par le biais de l'Apa de son parent.
Mme Simone Pennec a indiqué la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a autorisé les rémunération des conjoints. Elle a noté que, selon une étude menée en 2003 par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), les heures rémunérées aux proches par le biais de l'Apa sont faibles par rapport aux heures de travail constatées (2,06 heures payées pour 13,08 heures de travail effectif).
M. Michel Mercier, président, a relevé que la rémunération ne constitue pas la seule cause de l'implication des aidants familiaux.
Il a ensuite abordé le quatrième thème de la table ronde, consacré à la prévention et à l'accompagnement thérapeutique de la dépendance : comment prévenir la dépendance et que peut-on attendre de la politique de prévention ? Les politiques menées en ce domaine sont-elles satisfaisantes ? Quelles sont les expériences réussies et quel peut être l'apport des nouvelles technologies dans ce domaine ?
M. Benoît Lavallart a indiqué que les actions de prévention de la dépendance doivent commencer dès le plus jeune âge et doivent être ciblées en fonction des publics.
Pour les personnes en bonne santé, les actions de prévention s'intègrent notamment dans le cadre du plan national nutrition santé et du plan « Bien vieillir », qui tend à mieux préparer le départ à la retraite.
Pour les personnes présentant un risque de maladie chronique, les actions passent par des programmes d'éducation à la santé et, notamment, par une démarche de lutte contre les facteurs de risque. Dans le cas de la maladie d'Alzheimer, s'il n'est pas question d'empêcher la progression de la pathologie, la prévention des facteurs de complication de type cardiovasculaire a montré son efficacité.
Les actions de prévention à destination des personnes atteintes de maladie chronique font l'objet d'expériences spécifiques, comme celle de « disease management », afin de rendre le malade acteur de sa maladie. Leur rapport coût-efficacité apparaît toutefois moyen et doit être apprécié sur le long terme. En revanche, des actions de prévention apparaissent efficaces pour faire face à la maladie d'Alzheimer, en particulier le recours aux séances de psychomotricité.
S'agissant des personnes présentant des pathologies complexes, seuls, les dispositifs intégrant soins et services sur le modèle du « case manager » (« gestionnaire de cas ») apparaissent satisfaisants. Trois expérimentations de prise en charge intégrée sont actuellement en cours en France.
M. Vincent Rialle a observé que la croissance du nombre de personnes âgées dépendantes entraîne une grande créativité technologique, notamment dans le domaine des capteurs et de la robotique, même si le développement de ces techniques n'est pas encore très connu. Les gains apportés par les nouvelles technologies apparaissent toutefois importants pour la personne âgée dépendante. Le rapport de la commission nationale chargée de l'élaboration de propositions pour un plan national concernant la maladie d'Alzheimer et les maladies apparentées, présidée par M. Joël Ménard, préconise d'ailleurs de soutenir le développement de la domotique ainsi que des nouvelles technologies de l'information et de la communication en faveur des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.
Ce soutien doit notamment passer par une meilleure prise en compte de la situation des entreprises intéressées par ce marché, tout particulièrement des plus petites, afin de renforcer leur compétitivité.
Le développement de l'utilisation des nouvelles technologies requiert toutefois une réflexion éthique, afin d'éviter toute dérive. Deux questions se poseront également si certains équipements font l'objet d'une prescription médicale : celle de leur prise en charge et celle de l'évaluation de leur efficacité, suivant le modèle d'évaluation du service médical rendu mis en place dans le domaine du médicament.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité savoir si les données disponibles mettent en évidence un impact significatif des politiques de prévention sur le déclenchement de la dépendance des personnes âgées et s'il est envisageable d'aboutir à une efficacité telle qu'elles permettent d'éviter tout basculement dans la dépendance.
M. Benoît Lavallart a indiqué que les données disponibles sont peu nombreuses, dans la mesure où il s'agit d'un travail de long terme. Les politiques de prévention ont eu un impact déterminant dans la prévalence des affections cardiovasculaires. Dans le cas des troubles cognitifs, qui sont, eux, beaucoup plus difficiles à prévenir, les actions de stimulation menées à domicile ont toutefois montré leur efficacité, de même que les systèmes de soins intégrés reposant sur un interlocuteur unique. Par ailleurs, la formation des personnels intervenant auprès des personnes présentant des troubles du comportement revêt une grande importance.
M. Michel Mercier, président, a souhaité obtenir des précisions sur la notion de système de soins intégré.
M. Benoît Lavallart a expliqué que les systèmes de soins intégrés reposent sur l'élaboration d'un langage commun, une négociation impliquant l'ensemble des acteurs et des financeurs, des protocoles de prise en charge communs, un dossier partagé et un point d'accès unique pour tous les cas complexes. Les groupes de coopération médico-sociaux sont généralement le cadre utilisé.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité connaître les lieux où ces systèmes de soins intégrés font l'objet d'une expérimentation.
M. Benoît Lavallart a indiqué que des expériences de ce type sont conduites à Mulhouse, en Essonne à Etampes et dans le vingtième arrondissement de Paris. Chaque acteur conserve ses prérogatives, dans le cadre du groupement de coopération médico-social. Le dispositif peut fonctionner si chaque participant accepte de partager ses prérogatives, ce qui suppose qu'il y ait un pilote capable de rapprocher les différentes démarches. C'est cela qui a manqué aux centres locaux d'information et de coordination (Clic).
M. Michel Mercier, président, a distingué les financeurs des actions et les intervenants directs qui les mettent en oeuvre. Il a estimé que la mission pourrait étudier plus particulièrement l'expérimentation menée à Paris.
M. François Autain, revenant sur l'idée de rendre le malade acteur de sa propre maladie, s'est interrogé sur les similitudes existant entre la notion de « disease management » et celle de « programmes d'observance », qui fait actuellement l'objet d'une étude par la commission des affaires sociales du Sénat.
M. Benoît Lavallart a jugé que les deux notions ne recouvrent pas du tout la même réalité.
M. Michel Mercier, président, a ensuite proposé de passer au dernier thème de réflexion retenu pour la table ronde, consacré à la maltraitance : quelles sont la mesure de la maltraitance et ses différentes formes, quel est le degré de prise de conscience de la gravité de la situation, quelles sont les réponses à apporter pour passer de la « maltraitance » à la « bientraitance » des personnes âgées dépendantes ?
M. Jacques Soubeyrand a tout d'abord défini la maltraitance comme une maladie sociale non infectieuse, mais contagieuse et transmissible : on peut être inconsciemment maltraitant et, au contraire, prendre plaisir à l'être. Il s'agit d'une maladie émergente, d'un problème de civilisation qui reste tabou, ce qui a notamment été relevé par l'Inspection générale des affaires sociales s'agissant de la maltraitance dans les établissements.
Il a rappelé qu'il n'existe aucune enquête nationale valable sur le sujet de la maltraitance, même si la lutte contre la maltraitance a été déclarée cause nationale en 2002 et si plusieurs rapports ont été écrits sur le sujet. En particulier, une enquête départementale met en évidence que 75 % victimes de maltraitance sont des femmes.
S'agissant du lien entre dépendance et maltraitance, il a observé qu'en Grande-Bretagne, les personnes les plus maltraitées sont les personnes atteintes de démence ou de la maladie de Parkinson. Deux types de maltraitance doivent toutefois être distingués :
- la macromaltraitance, c'est-à-dire la violence sous toutes ses formes (physique, intellectuelle...) ;
- la micromaltraitance, qui s'apparente à de la négligence et se traduit par la non-exécution correcte des actes quotidiens de la vie. Cette forme de maltraitance est aussi la plus redoutable.
M. Jacques Soubeyrand a estimé que l'un des obstacles à la prise de conscience du phénomène de maltraitance est d'ordre politique, la France ayant défini une politique pédiatrique, mais pas de politique gériatrique. On refuse ainsi de considérer la dépendance comme un accident de la vie. Il a également mis en avant la transformation de la santé en marchandise, la recherche de la rentabilité ayant des répercussions négatives du point de vue de la maltraitance, comme l'a montré une étude menée par une équipe de recherche de l'université de Harvard.
Des insuffisances existent également d'un point de vue juridique, le délit de maltraitance - entendue au sens de macromaltraitance - n'existant pas en droit pénal, alors qu'un délit de non prise en charge correcte des personnes âgées existe, par exemple, aux Etats-Unis.
M. Jacques Soubeyrand a également mis en évidence les obstacles familiaux. La maltraitance est en effet un facteur de déstabilisation des familles. La population ressent une crainte et ne fait pas confiance aux structures d'accueil. La mise en place d'une réelle culture gériatrique est à cet égard nécessaire.
Plusieurs réponses peuvent ainsi être apportées au phénomène de la maltraitance :
- une définition juridique de la maltraitance, suivant la définition européenne, qui lie micromaltraitance et macromaltraitance ;
- une vision plus globale de la maltraitance et du handicap, les approches actuelles étant trop fragmentées ;
- une pénalisation de la macromaltraitance ;
- la mise en place d'une réelle culture gériatrique, et ce dès le plus jeune âge ;
- la mise au point de formations adaptées et actualisées à destination des acteurs médicaux et paramédicaux qui prennent en charge les personnes âgées dépendantes.
M. Jacques Soubeyrand a conclu à la nécessité de l'action, indiquant que, d'un point de vue opérationnel, celle-ci doit mêler approches locale et nationale.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité savoir si l'on dispose des outils adaptés pour détecter les situations de maltraitance. Il s'est également demandé si l'institution d'un « Numéro vert maltraitance » constitue une réponse adaptée et suffisante au problème de la maltraitance.
M. Jacques Soubeyrand a estimé que les moyens de détecter la maltraitance existent, mais qu'il faut les mettre davantage en oeuvre : il a, en particulier, prôné des contrôles inopinés au sein des établissements d'hébergement. Il a également observé que les règlements intérieurs de certains établissements peuvent susciter des craintes de représailles chez les familles en cas de plainte. Quant à l'institution d'un « Numéro vert maltraitance », il a considéré qu'il s'agit d'une bonne idée, mais s'est interrogé sur l'utilisation qui en sera réellement faite, les personnes âgées dépendantes n'étant pas nécessairement capables d'y recourir. Ce numéro vert pourrait apporter des améliorations, mais ne constitue pas une réponse globale au phénomène de la maltraitance.
M. Paul Blanc a rappelé qu'il avait été rapporteur de la commission d'enquête du Sénat sur la maltraitance envers les personnes handicapées et a noté la similitude des problèmes rencontrés. Le rapport de la commission d'enquête mettait ainsi l'accent sur l'inadéquation de la formation professionnelle des intervenants.
M. François Autain a souhaité savoir si la maltraitance est plus développée au sein des établissements d'hébergement à but lucratif qu'au sein des établissements d'hébergement publics.
M. Jacques Soubeyrand a noté qu'aux Etats-Unis, selon certaines études, la maltraitance est proportionnelle aux gains de l'établissement : 70 % des cas de maltraitance sont constatés dans des établissements privés et 30 % dans des établissements publics. Il a toutefois souligné la qualité de certains établissements privés à but lucratif, indiquant qu'il ne faut pas jeter l'opprobre sur cette catégorie d'établissements.
Mme Sylvie Desmarescaux s'est interrogée sur l'impuissance des citoyens face à la maltraitance, estimant que cette impuissance est plus grande lorsque les personnes âgées sont hébergées en établissement, dans la mesure où les familles vivent dans la crainte que leur parent n'en soit chassé si elles expriment une plainte. Elle a également considéré que le vieillissement et la dépendance ne constituent pas des accidents de la vie.
M. Jacques Soubeyrand a indiqué que cette notion d'accident de la vie a pourtant été retenue en Allemagne et a considéré que la dépendance relève du cinquième risque.
M. Michel Mercier, président, a indiqué que la société française, historiquement et pour des raisons d'efficacité comparée des lobbyings, a fait le choix de mieux traiter les personnes atteintes d'un handicap que les personnes âgées dépendantes, ce qui se traduit par une différence substantielle de prix de journée en établissement. Il a également noté que le département est le seul responsable pour la prise en charge des personnes handicapées, alors que trois acteurs interviennent dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes - le département, l'assurance maladie et la personne ou sa famille. Faisant part de son expérience locale, il a relevé la difficulté que l'on peut parfois rencontrer pour évaluer la situation de maltraitance, compte tenu de la relativité de certaines appréciations.