- Mercredi 16 janvier 2008
- Audition de Mme Hélène Gisserot, procureur général honoraire près la Cour des comptes, et M. Etienne Grass, inspecteur des affaires sociales
- Audition de Mmes Marie-Thérèse Cornette, présidente de la 5e chambre de la Cour des comptes, Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre, M. Jean-Pierre Bayle, conseiller-maître, Mme Marine Camiade, conseiller référendaire, et M. David Gruson, auditeur
- Audition de M. Stéphane Le Bouler, chef de la Mission Recherche (Mire), membre du conseil scientifique de l'Institut national d'études démographiques (Ined)
- Audition de MM. Alain Cordier, président du conseil, et Denis Piveteau, directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA)
- Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité et Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité
Mercredi 16 janvier 2008
- Présidence de M. Philippe Marini, président, puis de M. Bernard Cazeau, vice-président -Audition de Mme Hélène Gisserot, procureur général honoraire près la Cour des comptes, et M. Etienne Grass, inspecteur des affaires sociales
Au cours d'une réunion tenue dans la matinée, la mission a tout d'abord entendu Mme Hélène Gisserot, procureur général honoraire près la Cour des comptes, et M. Etienne Grass, inspecteur des affaires sociales, auteurs du rapport « Perspectives financières de la dépendance des personnes âgées à l'horizon 2025 : prévisions et marges de choix » (mars 2007).
A titre liminaire, M. Philippe Marini a rappelé que Mme Hélène Gisserot, procureur général honoraire près la Cour des comptes, s'était vu confier en 2006 par M. Philippe Bas, alors ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, une mission sur les perspectives financières de la dépendance des personnes âgées à l'horizon 2025. Elle était assistée dans cet exercice, en qualité de rapporteur du groupe de travail, par M. Etienne Grass, membre de l'Inspection générale des affaires sociales, exerçant aujourd'hui les fonctions de chargé de mission auprès de M. Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté.
M. Philippe Marini, président, a souligné que le rapport de cette mission, publié en mars 2007, fournit une vision globale des enjeux de la dépendance, tant en termes financiers que de gouvernance, ainsi que des choix qui peuvent être opérés.
Il a ensuite invité Mme Hélène Gisserot à s'exprimer sur les principaux aspects de ce dossier, qui représentent autant de défis à relever par les pouvoirs publics : l'évolution des coûts, les modalités de prise en charge envisageables, l'équilibre entre la solidarité nationale et le recours à l'assurance privée, ainsi que l'architecture institutionnelle souhaitable. Enfin, il a cité l'une des idées fortes de ce rapport, celle selon laquelle « le coût de prise en charge de la dépendance des personnes âgées est moins fonction de l'évolution démographique, au moins à court et moyen terme, que de choix politiques sur le niveau et les modalités de cette prise en charge ».
Mme Hélène Gisserot, procureur général honoraire près la Cour des comptes, a tout d'abord confirmé que les facteurs démographiques, d'une part, les choix politiques effectués par les pouvoirs publics, d'autre part, devraient entrer, à l'horizon 2025, respectivement pour un tiers et pour deux tiers dans la progression attendue des dépenses par rapport à leur niveau actuel. La croissance du nombre de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans (+ 1 % par an en moyenne jusqu'en 2020, + 3 % par an ensuite entre 2021 et 2050) constitue aujourd'hui une certitude. En revanche, les statisticiens sont conduits à formuler des hypothèses qui restent à confirmer pour ce qui concerne aussi bien l'évolution de l'espérance de vie, que la prévalence des pathologies à l'origine de l'apparition du phénomène de dépendance parmi la population des personnes âgées.
Mais, en définitive, l'évolution future du coût de la dépendance dépendra très majoritairement des décisions politiques qui seront prises. Il s'agira notamment de faire des arbitrages sur le niveau tant qualitatif que quantitatif des dépenses relevant de la solidarité nationale.
Après avoir souligné que, grâce en particulier au plan « Solidarités-grand âge », la France a rattrapé en quelques années son retard par rapport aux pays comparables, notamment l'Allemagne et le Royaume-Uni, Mme Hélène Gisserot a considéré que pour autant la situation actuelle n'est pas encore satisfaisante. Il faudra améliorer la qualification des personnels et promouvoir l'attractivité des filières professionnelles concernées de façon à renforcer le taux d'encadrement des personnes dépendantes. Les coûts salariaux devraient ainsi, à eux seuls, être à l'origine de 85 % des coûts supplémentaires de la dépendance à l'horizon 2025.
Puis elle a estimé que le débat sur l'ampleur des dépenses restant à la charge des familles pourrait utilement être appréhendé sur la base des trois éléments suivants : le niveau prévisionnel des retraites au cours des prochaines décennies compte tenu de leur indexation sur l'inflation, l'évolution du patrimoine des retraités, ainsi que le caractère paradoxalement anti-redistributif des dépenses fiscales mises en oeuvre dans ce domaine.
Sur la base de ce constat prospectif, le rapport formule trois scenarii d'évolution pour les prélèvements obligatoires consacrés à la dépendance :
- le premier consisterait à refuser toute nouvelle augmentation, ce qui impliquerait de mieux cibler l'Allocation personnalisée d'autonomie (Apa) sur des publics prioritaires et de recourir fortement à la responsabilité individuelle;
- le second scénario, qui est également celui retenu par le plan « Solidarités-grand âge », reposerait sur un accroissement modéré du niveau des prélèvements obligatoires destiné à maintenir à leur niveau actuel les prestations servies tout en améliorant la prise en charge des assurés sociaux ;
- le troisième scénario consisterait en un basculement vers une large socialisation du risque dépendance afin de réduire l'effort des ménages. Ce scénario est celui qui se rapproche le plus de la création d'une nouvelle branche de sécurité sociale, gérant une prestation universelle unique soumise à un ticket modérateur.
Sur la question du financement, Mme Hélène Gisserot a constaté au préalable, en faisant référence aux estimations de la Cour des comptes et du Conseil d'analyse stratégique, que la collectivité nationale consacre au total déjà 16 milliards d'euros par an à la dépendance. Cet effort repose majoritairement sur la sécurité sociale (60 % du total, contre 20 % et 11 % respectivement à la charge des conseils généraux et de l'Etat). S'il s'agit incontestablement d'un montant de dépenses considérable, force est toutefois de constater que le budget annuel de l'assurance maladie affiche un montant dix fois supérieur.
Après avoir précisé que les estimations prospectives figurant dans son rapport ont été élaborées sur des bases prudentes, Mme Hélène Gisserot a considéré que la pérennisation de l'effort demandé à la solidarité nationale doit nécessairement s'accompagner d'une refonte de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa). Dans cette perspective, il est tout à la fois nécessaire de réformer la grille autonomie gérontologie groupes iso-ressources (Aggir), de réduire les inégalités de traitement sur le territoire et de poser la question d'une prise en compte du patrimoine des assurés sociaux dans le mode de calcul de la prestation. Il faudrait encore compléter cette démarche par la recherche d'une ressource supplémentaire à la fois dynamique et cohérente, par sa nature, avec la notion de dépendance. Parmi les différentes pistes envisageables, celle consistant à aligner sur le taux de droit commun le niveau de la CSG perçue sur les retraites semble la meilleure.
Mme Hélène Gisserot a estimé que la combinaison du maintien de la solidarité nationale avec un développement des mécanismes assurantiels privés représente une autre piste de réflexion envisageable. Un recours accru à la prévoyance individuelle et collective semble justifié tout à la fois par le souci d'alléger la charge pesant sur les actifs, l'intérêt de coupler le développement de l'assurance dépendance avec celui de l'épargne retraite, ainsi que par la perspective d'une baisse des coûts à la faveur d'une plus large diffusion de ces produits. A cela s'ajoute l'intérêt de pouvoir provisionner un risque futur, ce que ne permet pas aisément une prise en charge sur fonds publics. S'engager dans cette voie supposera toutefois de trouver une solution au problème de la transférabilité des droits acquis par les salariés au cours de leur carrière professionnelle, ainsi que de trancher le débat sur l'opportunité de soutenir le développement de l'assurance privée par une nouvelle incitation fiscale. Sur ce point, la mission a repris les recommandations précédemment formulées par le conseil des prélèvements obligatoires plaidant pour un redéploiement des dépenses fiscales existantes plutôt que pour la création de mécanismes supplémentaires.
Mme Hélène Gisserot s'est ensuite prononcée en faveur de la création d'un « cinquième risque », qui ne saurait toutefois constituer une organisation particulière des droits à assurance maladie pour les personnes les plus âgées ni remettre en cause le principe de l'intervention des conseils généraux qui ont fait la preuve, au cours des dernières années, de leurs capacités de gestionnaires de proximité dans ce domaine. A terme, il s'agit de permettre une convergence de la prise en charge des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées. Ces deux populations présentent, il est vrai, des caractéristiques très différentes, mais elles se rejoignent sur un point commun : leur incapacité commune à effectuer des actes de la vie courante. Il serait possible de parvenir à une plus grande harmonisation entre elles par le biais d'un rapprochement des critères et des outils d'éligibilité, comme la grille Aggir, ainsi que par la définition d'un panier commun de soins et de services.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité connaître le sentiment de Mme Hélène Gisserot sur les questions de l'obligation alimentaire des familles, d'une part, de l'éventualité de réintroduire un recours sur la succession des personnes dépendantes, d'autre part.
Mme Hélène Gisserot a précisé au préalable que ce sujet a été effectivement très peu abordé dans le rapport de la mission, ce qui la conduit en l'occurrence à s'exprimer à titre personnel. A ce sujet, elle a estimé que tout doit dépendre de l'effort consenti par les intéressés et leurs familles sur leur patrimoine : le recours sur succession resterait justifié dans le cas où le patrimoine n'aura pas été sollicité pour assurer la couverture des frais liés à la dépendance. Il n'aura en revanche pas de légitimité si ce patrimoine a été mobilisé ou pris en compte pour le calcul de l'Apa.
M. Etienne Grass, inspecteur des affaires sociales, a fait valoir que cette question se posera dans un contexte inédit, puisque les classes d'âge issues du baby-boom bénéficient d'une situation exceptionnellement favorable : leur patrimoine moyen apparaît en effet très supérieur à celui de leurs parents et de leurs grands-parents. Dès lors, il peut sembler légitime pour la collectivité nationale, au regard du principe d'équité entre les générations, de solliciter un effort plus important des familles.
M. Henri de Raincourt a estimé qu'en ce qui concerne les modalités d'évaluation et de prise en charge des situations individuelles de dépendance, le système conçu et géré par les conseils généraux fonctionne globalement bien. Les difficultés proviennent du rythme d'évolution des dépenses, qui par exemple se situe dans l'Yonne à 5 % par an, ainsi que de l'insuffisant dynamisme des recettes attribuées par l'Etat aux conseils généraux pour y faire face. A ce titre, il a regretté que l'équilibre des différentes sources de financement se soit singulièrement détérioré au fil du temps, puisque les départements assument désormais globalement les deux tiers de la charge de l'Apa, contre un tiers seulement pour la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) alors que le schéma initial reposait sur un partage moitié-moitié. Puis il s'est demandé si le tendanciel de progression de la CSG est compatible avec celui de la population des personnes âgées dépendantes.
M. André Lardeux a souhaité savoir s'il existe des études comparatives sur les deux populations de bénéficiaires de l'Apa : celle vivant à domicile et celle résidant en établissement.
M. Michel Mercier s'est interrogé sur la pertinence de conserver le mode actuel de tarification des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qui repose sur trois sections différentes, correspondant respectivement aux coûts des soins, pris en charge par l'assurance maladie, de l'hébergement, assurés par la famille, et de la dépendance, couverts par l'Apa sous réserve d'un ticket modérateur à la charge des familles : ces financements croisés complexes ne sont pas dénué d'effets pervers. Il s'est par ailleurs demandé s'il ne conviendrait pas d'encadrer, ou tout au moins de mieux définir, les dépenses réalisées au domicile des bénéficiaires de l'Apa. Il s'est enfin interrogé sur l'opportunité de mieux délimiter les contours de la notion même de dépendance, ce qui permettrait à la fois de cibler davantage les prises en charge et d'envisager dans des conditions beaucoup plus sereines la mise en oeuvre du principe de convergence posé par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées.
Mme Marie-Thérèse Hermange s'est demandé si les dispositifs actuels de prise en charge de la dépendance ont bien été optimisés au maximum. Elle a également souhaité savoir s'il ne serait pas possible de reconvertir un certain nombre de places en soins aigus devenues disponibles dans les hôpitaux pour accueillir des personnes dépendantes.
Mme Hélène Gisserot a formulé quelques réserves sur ce point : transformer des lits d'hôpitaux en place d'Ehpad n'est pas une chose aisée à réaliser, car il s'agit de deux métiers différents : soigner des patients dans le premier cas, animer un lieu de vie dans le second. Sur la question des relations financières entre l'Etat et les départements, elle a souligné que, durant la phase d'élaboration du plan « Solidarités-grand âge », en 2006, le ministère des finances avait défendu l'idée d'affecter aux départements une fraction d'un impôt national, pour solde de tout compte, avec pour objectif implicite de contribuer ainsi à une meilleurs maîtrise des coûts. Mais le gouvernement d'alors avait finalement retenu le principe d'un partage des dépenses avec les conseils généraux, sur une base qui était initialement égalitaire.
M. Etienne Grass a précisé que le coût de la dépendance dépendra à l'avenir de l'évolution de quatre grandes pathologies : les accidents vasculaires cérébraux (AVC), l'arthrose, les problèmes coronariens et les démences. La fréquence des trois premières devrait décroître, mais il est impossible de formuler des hypothèses fiables en ce qui concerne la prévalence des maladies neurodégénératives.
Puis il a souligné le motif d'étonnement fourni par le rythme d'accroissement du nombre des bénéficiaires de l'Apa, qui poursuit toujours sa progression au rythme de 8 % par an, et ce plus de six années après la création de cette prestation, alors même que les projections statistiques disponibles tablent sur une croissance tendancielle de 1 % en moyenne par an du nombre des personnes dépendantes. Pendant longtemps, on a expliqué cet écart significatif par la sous-estimation initiale de la population des ayants droit potentiels de l'Apa. Mais continuer aujourd'hui à raisonner sur l'idée d'un processus de rattrapage n'est plus possible, alors que celui-ci est sur le point de s'achever. On observe en outre des disparités non négligeables entre les départements dans les résultats des études comparatives réalisées pour apprécier le niveau des dépenses versées dans le cadre du groupe iso-ressources (Gir) 1 rassemblant les personnes les plus dépendantes de la grille Aggir.
Puis, répondant aux inquiétudes formulées par Henri de Raincourt, M. Etienne Grass a considéré qu'effectivement en l'état actuel des choses le dynamisme sur longue période des recettes de la CSG, que l'on évalue tendanciellement à 2 % par an, est insuffisant pour faire face à un taux de croissance annuel de 8 % du nombre des bénéficiaires de l'Apa.
Mme Hélène Gisserot a rappelé que l'évolution prévisionnelle du coût de la dépendance s'explique à 85 % par la progression attendue des coûts salariaux, rendue d'ailleurs indispensable par l'objectif de rendre plus attractifs les métiers concernés. A ce sujet, il faudra prendre garde à ne pas laisser se développer des situations de surqualification entraînant un surcoût injustifié pour les ménages et les finances publiques.
M. Michel Mercier a observé, à ce titre, que la nouvelle convention collective du secteur se traduira par une augmentation moyenne des salaires de 29 % en quelques années seulement. L'effort est donc réel, mais il faudra également promouvoir la formation pour que cette filière débouche sur de vrais métiers avec des perspectives. Puis il s'est inquiété de l'excessive fragmentation de l'offre de services en raison du très grand nombre de structures associatives, ce qui se traduit in fine par des frais de gestion et de structure supplémentaires qui se retrouvent dans les dépenses assumées par les familles et les départements.
Après s'être associé au souci d'assurer un meilleur contrôle de l'utilisation des fonds publics, M. Philippe Marini, président, a considéré d'une façon générale que le recours aux structures associatives pouvait être aussi bien la meilleure que la pire des choses.
Mme Hélène Gisserot a estimé que l'institutionnalisation, qui permet de limiter les frais fixes, est sans doute le système le plus économique. Mais cette démarche serait d'abord contraire au principe de liberté de choix auquel tiennent les familles. En outre, le Gouvernement a élaboré le plan « Solidarités-grand âge » sur le fondement de ce libre-choix et a entendu développer l'accueil à domicile. Par ailleurs, elle a estimé que le mode de tarification des Ehpad conduit à faire de la section hébergement la variable d'ajustement de leur système de financement, ce qui n'est pas souhaitable.
M. Etienne Grass a souligné que le mode de tarification de ces établissements a fait l'objet de travaux techniques approfondis sur lesquels les pouvoirs publics peuvent s'appuyer pour prendre désormais les décisions qui s'imposent. Il convient maintenant de « transformer l'essai ».
M. Charles Guené a souhaité obtenir des précisions sur la position formulée par Mme Hélène Gisserot quant à l'opportunité de solliciter davantage les patrimoines pour couvrir le coût de la dépendance.
En se fondant à la fois sur le principe que chacun doit contribuer à ce risque selon ses moyens et qu'il convient en même temps de soulager autant que possible les actifs, Mme Hélène Gisserot a indiqué que deux solutions sont envisageables :
- soit une prise en compte du patrimoine dans les conditions de ressources pour le calcul du ticket modérateur de l'Apa ;
- soit l'instauration d'un recours sur succession à hauteur de l'effort qui n'aura pas été fourni.
En outre, il ne s'agit pas dans son esprit de créer un mécanisme analogue à l'impôt de solidarité sur la fortune, mais d'explorer toutes les pistes envisageables, comme par exemple le crédit hypothécaire viager.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a considéré qu'il faut aussi veiller à bien distinguer les patrimoines personnel et professionnel des assurés sociaux.
M. François Autain a souhaité savoir comment Mme Hélène Gisserot envisage de combiner le recours aux assurances privées avec le maintien de la solidarité nationale. Il s'est demandé s'il s'agit bien d'ajouter à une prise en charge de base obligatoire sur des fonds publics des mécanismes de prévoyance complémentaires, assortis le cas échéant d'une aide à l'acquisition de cette couverture complémentaire pour les ménages les plus modestes.
Mme Hélène Gisserot a confirmé qu'il s'agit bien là des grandes lignes de son rapport sur cette question.
Rappelant qu'en réponse à la proposition de loi qu'il avait déposée dans le sens d'un développement des mécanismes de prévoyance complémentaire en 2004, le Gouvernement de l'époque avait alors pris l'engagement de procéder à des études approfondies sur l'incidence des dispositions qu'il proposait, M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est demandé si ces travaux ont été menés à bien depuis.
M. Etienne Grass a indiqué que tel n'a pas été le cas. Il conviendrait pourtant de poursuivre les investigations dans la mesure où les produits actuellement commercialisés dans le domaine de l'assurance dépendance ne répondent pas aux attentes de la population : les produits d'épargne proposés à nos concitoyens prévoient généralement des sorties en rentes alors que leurs souhaits se portent plutôt sur le financement de services. A la décharge des assureurs, il est difficile de prévoir ce que sera le coût d'un service à l'horizon de vingt-cinq ans.
Audition de Mmes Marie-Thérèse Cornette, présidente de la 5e chambre de la Cour des comptes, Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre, M. Jean-Pierre Bayle, conseiller-maître, Mme Marine Camiade, conseiller référendaire, et M. David Gruson, auditeur
Ensuite la mission a entendu Mmes Marie-Thérèse Cornette, présidente de la 5e chambre de la Cour des comptes, Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre, M. Jean-Pierre Bayle, conseiller-maître, Mme Marine Camiade, conseiller référendaire, et M. David Gruson, auditeur.
M. Philippe Marini, président, a indiqué, à titre liminaire, que la mission a souhaité entendre la Cour des comptes à la suite notamment du rapport public particulier qu'elle a consacré, en 2005, aux personnes âgées dépendantes. Dans ce document, la Cour dresse un bilan très mitigé de l'offre de services et souligne l'écart constaté entre les objectifs affichés, les résultats atteints et les besoins de la population. Elle insiste par ailleurs sur la complexité du mode de financement de la prise en charge de la dépendance, en tentant, pour la première fois, de récapituler l'ensemble des efforts financiers réalisés dans ce domaine. Enfin, la haute juridiction financière met en évidence la complexité du schéma d'organisation, ainsi que le manque de coordination entre les différents acteurs institutionnels.
Mme Marie-Thérèse Cornette, présidente de la 5e chambre, a observé que ce rapport présente effectivement l'intérêt :
- de procéder à une évaluation financière jusqu'alors inédite de l'effort global de prise en charge de la dépendance, qui a été ainsi estimé à 15 milliards d'euros pour l'année 2003 ;
- d'apprécier, sur la base d'une étude réalisée dans vingt-sept départements, l'efficacité et l'efficience des politiques menées par l'Etat et les conseils généraux ;
- d'établir une analyse prospective des dépenses à l'horizon 2020.
Déjà complété par un autre rapport, publié en juillet 2006 et consacré cette fois à la mise en place et à l'affectation des ressources de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), ce document fait en outre actuellement l'objet d'un travail de suivi, qui devrait être achevé à la fin de l'année 2008 ou au début de l'année 2009.
Mme Marie-Thérèse Cornette a rappelé également les observations formulées par la Cour au sujet de l'absence de choix net, de la part des pouvoirs publics, entre une logique d'aide sociale ou une logique de prestation de sécurité sociale pour traiter le problème de la dépendance. Cette incapacité à arbitrer explique le phénomène de sédimentation institutionnelle et de dispersion des responsabilités qui rend difficiles le pilotage et l'évaluation de la politique menée en direction des personnes âgées dépendantes. La complexité du dossier s'est d'ailleurs accrue, puisqu'aux schémas gérontologiques départementaux, relevant désormais de la compétence des présidents de conseils généraux, s'est ajouté un nouvel outil, le programme interdépartemental d'accompagnement de la perte d'autonomie (Priac) établi, lui, par les préfets.
Après avoir regretté que près des deux tiers des départements ne disposent pas d'un schéma gérontologique à jour, Mme Marie-Thérèse Cornette a constaté que la multiplication des acteurs concernés est perçue comme une source d'opacité par les personnes dépendantes. Les administrations centrales elles-mêmes ne disposent pas d'outil de suivi adéquat pour apprécier l'évolution des créations de places dans les structures d'accueil. La Cour avait d'ailleurs recommandé en 2005 de confier à une autorité unique le pilotage des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad). Depuis, la création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) a certes permis d'améliorer le suivi de la politique de la dépendance. Mais l'efficacité du nouvel organisme dépend encore largement sur ce point de la qualité des remontées d'informations qui lui sont adressées. Enfin, la mise en place de la CNSA s'est également traduite par l'introduction de davantage de complexité dans les circuits de financement.
Les recommandations insérées par la Cour dans son rapport de 2005 restent d'actualité. La dépendance nécessite aujourd'hui une vraie réforme, permettant notamment un contrôle réel sur les dépenses qui lui sont consacrées.
Puis M. Philippe Marini, président, s'est interrogé sur la proposition formulée par la Cour des comptes relative à l'élaboration d'un compte social de la dépendance des personnes âgées.
Mme Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre, a estimé que la démarche qui consisterait à établir un compte social de la dépendance, à l'instar de ce qui existe pour le handicap, suppose une amélioration préalable des circuits d'information. En tout état de cause, celle-ci ne permettrait pas de régler les problèmes posés par la complexité de l'architecture institutionnelle de la prise en charge de la dépendance.
Elle a ensuite observé que, depuis l'enquête réalisée par la Cour, est entrée en vigueur la loi organique n° 2005-881 du 8 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Ce texte a eu notamment pour effet de modifier la ventilation de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) qui fait désormais l'objet de six sous-objectifs votés par le Parlement, dont « la contribution de l'assurance maladie aux dépenses des établissements et services pour personnes âgées ».
Par ailleurs, la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a exclu du champ de l'Ondam, à partir de 2006, l'apport de la CNSA au financement des établissements et services médicosociaux. En pratique, l'Ondam voté par le Parlement ne comprend donc pas la totalité des montants destinés à ces établissements et à ces services. Il a financé à hauteur de 4,4 milliards d'euros en 2006 et de 4,8 milliards en 2007 l'objectif global de dépenses (OGD) géré par la CNSA, agrégat plus large qui regroupe donc l'Ondam médicosocial « Personnes âgées » et les financements propres apportés par la caisse.
Puis Mme Rolande Ruellan a observé que la forte progression, à un rythme moyen supérieur à 9 % ces dernières années, des dépenses médicosociales s'explique principalement par la mise en oeuvre des plans de création de places dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Les premières estimations disponibles pour 2007 font même état d'une augmentation de 13 % de l'Ondam médicosocial des personnes âgées, ce qui est considérable. Il est néanmoins encore trop tôt pour disposer de davantage d'informations sur ce chiffre, qui rassemble les dépenses au profit des Ssiad et des Ehpad. Le périmètre de cet agrégat, en revanche, ne prend en compte ni les soins hospitaliers, ni les dépenses de médecine de ville des personnes dépendantes, qui relèvent des sous-objectifs correspondants de l'Ondam.
Mme Rolande Ruellan a jugé nécessaire d'aboutir à une connaissance plus approfondie ainsi qu'à une meilleure maîtrise des financements alloués aux établissements et aux soins de ville. Dans l'attente d'une nouvelle enquête, la Cour ne peut toutefois pas apprécier les progrès réalisés par la caisse nationale d'assurance maladie. Toutefois, s'agissant des procédures de contrôle, le fait d'avoir rattaché les personnes âgées hébergées à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) dont relève l'Ehpad où elles résident, et non plus à leur ancien domicile, permet de mieux repérer les comportements des prescripteurs.
En revanche, l'exclusion en 2002, sous la pression des pharmaciens d'officine, du périmètre du forfait de soins des frais de médicaments pour les établissements qui ne sont pas dotés d'une pharmacie à usage intérieur n'a pas contribué à une meilleure maîtrise de la dépense.
Mme Rolande Ruellan a estimé que la complexité des circuits financiers est la conséquence de plusieurs facteurs. Certes, deux objectifs ont été affichés par les pouvoirs publics ces dernières années :
- la volonté légitime de traiter dans un même ensemble les besoins des personnes âgées dans les domaines des soins, de la dépendance et de l'hébergement ;
- le souci, nouveau pour la France, d'envisager globalement la question de la perte d'autonomie, quel que soit l'âge des assurés sociaux.
Mais les systèmes de compétences et de financement préexistants n'ont pas été adaptés pour tenir compte de ces nouveaux objectifs. La réalité apparaît d'autant plus complexe sur le terrain que l'on a ajouté des procédures supplémentaires et de nouvelles sources de financement.
Ainsi, l'article 60 de la loi du 11 février 2005 a fait apparaître dans les comptes de la CNSA l'ensemble des charges et des produits relatifs au financement des dépenses en faveur des établissements médicosociaux, y compris donc ceux relatifs à l'Ondam « Personnes âgées ». Cette procédure se traduit par des écritures comptables croisées entre la Cnam et la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Néanmoins, ces charges demeurent celles de l'assurance maladie, puisqu'elles correspondent à des versements des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) aux établissements médicosociaux. Mais elles sont comptabilisées deux fois : une fois au titre du transfert à la CNSA et une autre fois au titre des dépenses des CPAM. Neutraliser cette double comptabilisation suppose, pour la Cnam, d'inscrire un produit correspondant au reversement de la CNSA aux CPAM. En définitive, ce circuit financier aboutit à un doublement artificiel en charges et en produits dans les comptes de l'assurance maladie. Cette présentation n'améliore en rien la situation des assurés sociaux et force est de constater que, pour la CNSA, sur un budget annuel de 15 milliards d'euros, 12 milliards proviennent de l'assurance maladie.
Mme Rolande Ruellan a ensuite estimé que la notion, souvent évoquée dans le débat public, de création d'une cinquième branche de sécurité sociale pour faire face au problème de la dépendance relève d'une certaine confusion des esprits. A ses yeux, cette option n'est d'ailleurs plus aujourd'hui envisageable, ne serait-ce qu'à cause de la nature de prestation sociale décentralisée de l'Apa sur laquelle il semble difficile de revenir. Par ailleurs, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) n'a jamais été une prestation de sécurité sociale. Il est donc sans doute trop tard pour intégrer l'Apa et l'AAH dans le cadre de la sécurité sociale, notamment parce que les partenaires sociaux n'ont pas su se mobiliser au bon moment en raison de leurs dissensions sur le sujet.
Depuis 1945, la construction de la protection sociale est intervenue autour des grands risques à couvrir : maladie, invalidité, vieillesse, dépenses familiales. On pouvait estimer que ce système était de nature à assurer également la protection des personnes âgées devenant dépendantes et des personnes handicapées, sous réserve de la création de prestations et de services appropriés. La caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav) et la Cnam auraient ainsi pu bénéficier d'une extension de leurs compétences et de leurs ressources pour gérer respectivement les personnes âgées dépendantes et les personnes handicapées. Mais tels n'ont pas été les choix politiques retenus par les pouvoirs publics.
En définitive, Mme Rolande Ruellan a jugé qu'il convient plutôt de réfléchir à la mise en oeuvre d'une cinquième branche de protection sociale.
Puis elle a souligné que les modalités de mise en oeuvre de l'Apa apparaissent singulières à plus d'un titre. En effet, il s'agit tout d'abord d'une prestation sociale nationale, mais financée par les départements ainsi que par un élément de financement national. Les ressources nouvelles créées par la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, c'est-à-dire la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA) ainsi qu'une fraction supplémentaire de CSG couvrent en effet le coût de l'Apa à hauteur de 33 % (1,4 milliard d'euros en 2006 sur un total de 4,3 milliards). Toutefois, ces deux ressources bénéficient aussi pour une toute petite part, ce qui est là encore original, aux dépenses d'assurance maladie. Enfin, la péréquation de l'Apa est assurée par un établissement public administratif national : la CNSA.
Mme Rolande Ruellan est revenue sur le manque de pertinence du schéma faisant transiter les fonds de l'assurance maladie par la CNSA et s'est demandé s'il n'aurait pas été préférable de majorer la CSG maladie de l'ensemble des assurés sociaux au profit de l'assurance maladie des personnes âgées dépendantes, en affectant directement à la Cnam le produit de cette mesure.
Toutefois la CNSA existe et joue sans conteste un rôle très utile de centre de proposition et de référence : il n'est donc pas question de la supprimer, mais le périmètre de son budget pourrait évoluer. A ce titre, Mme Rolande Ruellan a posé la question de savoir si le regroupement au sein de cet organisme des crédits de l'Ondam médicosocial n'obéit pas essentiellement à un objectif d'affichage. Elle a ensuite considéré que les aides aux personnes âgées dépendantes ne devraient être financées que par l'assurance maladie, les finances locales ainsi qu'une part unique de CSG permettant de fusionner les deux fractions de CSG et la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA) qui alimentent aujourd'hui le budget de la CNSA.
Après avoir pris acte des recommandations de la Cour tendant à aboutir à une clarification des circuits de financement de la CNSA, M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est interrogé sur la façon de concilier cet objectif avec l'approche prônée dans le dernier rapport annuel de cet organisme en faveur de la convergence de la prise en charge des aides aux handicapés et aux personnes âgées dépendantes.
Il s'est également demandé quelle est la meilleure façon d'articuler la solidarité nationale avec les dispositifs d'assurance individuelle, la prise en compte du patrimoine des personnes concernées et, le cas échéant, les ressources de leur famille.
Mme Marine Camiade, conseiller référendaire, a indiqué que la Cour n'a pas eu à se prononcer sur la question de la convergence entre les aides aux personnes handicapées et celles accordées aux personnes âgées dépendantes, mais cette orientation aura probablement un coût très important s'il s'agit d'aligner les plafonds de l'Apa sur le niveau, plus élevé, de la prestation de compensation du handicap. S'agissant du développement de l'assurance dépendance, la haute juridiction financière a incité les pouvoirs publics à faire preuve d'une certaine prudence. Mais il conviendrait sans doute de compléter cette réflexion par la prise en compte des nouveaux éléments figurant dans le rapport de Mme Hélène Gisserot ainsi que par une étude comparative avec des Etats étrangers, notamment l'Allemagne et la Suède. Des éléments concernant ces deux pays figureront dans le rapport de suivi que la Cour doit prochainement faire paraître.
M. Jean-Pierre Bayle, conseiller-maître, a regretté qu'à l'inverse de l'Allemagne où a eu lieu un grand débat public sur la question de la dépendance, la politique menée en France a jusqu'ici été la résultante d'une absence de choix clairs des pouvoirs publics. Puis il a souhaité que des investigations approfondies soient menées pour apprécier les dépenses fiscales, au demeurant considérables, consenties dans ce champ. Il a regretté que les administrations compétentes n'aient pas, à ce jour, élaboré les outils qui permettraient d'identifier la part de certaines mesures fiscales de portée générale bénéficiant spécifiquement au public des personnes âgées dépendantes.
M. Philippe Marini, président, a estimé que la Cour peut utilement aider la mission, dans l'optique de l'examen du futur projet de loi, en lui permettant d'expliciter les bonnes questions, dans un souci d'exhaustivité et de transparence.
Après avoir relevé à son tour la complexité des circuits de financement de la CNSA, M. Alain Milon s'est demandé si l'origine de ce problème ne réside pas dans les contours trop larges de la définition donnée à la notion de dépendance. A contrario, n'y a-t-il pas d'autres pays où celle-ci est entièrement assimilée à la maladie, et cette approche ne serait-elle pas en définitive préférable ?
Mme Bernadette Dupont a jugé que la politique menée par les pouvoirs publics ne doit pas reposer sur une séparation nette entre les domaines du handicap et de la dépendance que l'on a trop tendance à distinguer.
Mme Marie-Thérèse Hermange a estimé que la segmentation actuelle des circuits de financement repose probablement sur une confusion intellectuelle : la distinction entre la mission confiée aux hôpitaux de soigner les malades et celle dévolue aux Ehpad consistant à mettre en oeuvre un projet de vie, est largement artificielle. Les deux sont liées. Puis elle a souhaité savoir s'il existe des études permettant, à pathologie identique, de comparer le coût de la prise en charge des personnes âgées dépendantes à domicile et en établissement.
Revenant sur le problème de la tarification des Ehpad ainsi que sur les modalités de création des places supplémentaires dans le cadre du plan « Solidarités-grand âge », M. Eric Doligé a observé que les financements croisés ne font qu'ajouter à la complexité du cadre juridique initial et a souhaité connaître les propositions de simplification de la Cour. Il s'est demandé si l'Etat est bien lui-même à jour des plans qu'il est censé mettre en oeuvre.
M. Bernard Cazeau a souhaité savoir si la Cour dispose d'études pour apprécier le coût de l'objectif de convergence handicap-dépendance dont elle juge a priori qu'il pourrait avoir un impact financier très élevé.
M. David Gruson, auditeur, a constaté, d'une part, que la définition de la dépendance procède en droit français d'une approche transversale et ne se rattache donc pas à une pathologie particulière, d'autre part, que cette notion a été définie à partir d'un angle tarifaire. Puis il a noté, s'agissant de la complexité des procédures d'évaluation de la perte d'autonomie des personnes dépendantes, que la grille Aggir, qui ne prend pas suffisamment en compte la charge en soins impliquée par les maladies neurodégénératives, est progressivement complétée par un autre système baptisé Pathos qui permettra d'apporter des dotations supplémentaires aux établissements. Mais ce nouvel outil n'a pas remplacé le précédent et n'est utilisé que dans une partie des établissements.
M. Bernard Cazeau a tenu à rappeler que la CNSA a réalisé un important travail sur ces questions, notamment en procédant à des comparaisons avec les systèmes d'évaluation de la perte d'autonomie utilisés à l'étranger, par exemple au Québec.
Après avoir observé que la création de la CNSA illustre l'aspiration à la convergence de traitement entre les personnes handicapées et les personnes dépendantes, M. Jean-Pierre Bayle s'est demandé jusqu'à quel point la problématique applicable à ces deux populations est identique. De fait, la dépendance constitue un risque justifiant que les assurés sociaux s'y préparent, alors que le handicap correspond à des accidents de la vie. La Cour a consacré de larges développements à cette question dans son rapport public particulier publié en juin 2003. Mais il s'agit d'un débat de société auquel il lui est difficile de répondre.
Au sujet de la ligne de partage entre les dépenses de soins imputables à l'assurance maladie et celles relevant de la dépendance, Mme Rolande Ruellan a estimé que la présence de plusieurs financeurs avec des intérêts divergents explique l'existence de phénomènes de vases communicants préjudiciables. Le fait que l'Apa soit une prestation financée par l'Etat et par les départements crée une tentation forte de reporter une partie des coûts de prise en charge des personnes âgées dépendantes sur l'assurance maladie, qui s'acquitte ainsi de charges qui ne devraient pas lui incomber.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur le mode de tarification des Ehpad, au regard notamment des conventions tripartites signées par ces établissements avec l'Etat et les conseils généraux. Puis il s'est demandé si la section d'hébergement ne tend pas à devenir, plus que le forfait soins, la véritable variable budgétaire d'ajustement de ce système de financement, ce qui aboutit à faire supporter aux familles une part croissante de la charge de la dépendance.
M. David Gruson a précisé que la réforme de la tarification des Ehpad initiée à partir de la fin des années quatre-vingt-dix avait pour objectif de clarifier leur mode de financement, tout en accompagnant le développement des conventions tripartites. Mais le calendrier de mise en oeuvre de cette réforme est apparu irréaliste.
Audition de M. Stéphane Le Bouler, chef de la Mission Recherche (Mire), membre du conseil scientifique de l'Institut national d'études démographiques (Ined)
Enfin la mission a entendu M. Stéphane Le Bouler, chef de la Mission Recherche (Mire), membre du conseil scientifique de l'Institut national d'études démographiques (Ined) et chef de file sur le rapport du Centre d'analyse stratégique « Personnes âgées dépendantes : bâtir le scénario du libre choix » (juin 2006).
M. Alain Vasselle, rapporteur, a rappelé qu'à la demande du ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, le Centre d'analyse stratégique avait rendu, au mois de juin 2006, un rapport intitulé « Personnes âgées dépendantes : bâtir le scénario du libre choix », rapport dont M. Stéphane Le Bouler était le chef de file. Ce document faisait suite à une première étude, rendue publique au mois de juillet 2005, sur le nombre de places nécessaires en établissements d'hébergement aux horizons 2010, 2015 et 2020.
Il a observé que, dans son rapport, le Centre d'analyse stratégique propose une approche globale, articulée autour de plusieurs principes, en particulier :
- dans un premier temps, le maintien d'un effort soutenu de rattrapage par la création de places en établissement, puis un effort vigoureux en direction de l'accueil à domicile ;
- la sélectivité des dispositifs de solvabilisation publics en faveur des personnes les plus fragiles et la nécessité d'une répartition équitable des coûts entre les financeurs publics et les usagers ;
- la création d'outils de régulation innovants en vue de favoriser la performance et une meilleure allocation territoriale des dispositifs de prise en charge de la dépendance.
Il a également indiqué que le plan « Solidarité-Grand âge », adopté dans la foulée du rapport du Centre d'analyse stratégique, en a repris les principaux objectifs.
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Stéphane Le Bouler, chef de la Mission Recherche (Mire), a précisé qu'il intervenait devant la mission commune d'information en sa qualité d'ancien chef de file du Centre d'analyse stratégique sur le thème des personnes âgées dépendantes, et non au titre de ses fonctions actuelles.
Il a rappelé que, pour répondre à la commande ministérielle et évaluer l'effectif de personnes âgées dépendantes aux différentes échéances, le Centre d'analyse stratégique s'est appuyé sur les données de l'enquête « Handicap, incapacité, dépendance » (HID) de l'Insee, en écartant les hypothèses les plus optimistes. Dans l'hypothèse haute, on observerait ainsi une croissance de près de 35 % du nombre de personnes âgées dépendantes de plus de 75 ans sur la période 2005-2025. Le phénomène ne ferait que s'accentuer après cette date, compte tenu de l'arrivée dans les tranches d'âge les plus élevées de la génération du « baby boom ». M. Stéphane Le Bouler a souligné que 2025 constituera à cet égard une date charnière, avec une accentuation nette de la pente de la courbe de progression du nombre de personnes dépendantes.
M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est interrogé sur la validité de ces hypothèses, dans la mesure où le nombre de personnes bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) a crû rapidement et s'établit d'ores et déjà aujourd'hui à plus d'un million. Or, selon l'hypothèse haute retenue par le Centre d'analyse stratégique, le nombre de personnes âgées dépendantes est inférieur à 700.000 en 2005 et serait à peine supérieur à 900.000 en 2025.
M. Stéphane Le Bouler a indiqué que le graphique présenté dans le rapport ne fait référence qu'aux personnes de plus de 75 ans, alors que l'Apa est attribuée aux personnes dépendantes dès l'âge de 60 ans, ce qui peut expliquer une partie du décalage relevé par M. Alain Vasselle. Par ailleurs, les projections élaborées par le Centre d'analyse stratégique prennent appui sur l'enquête « Handicap, incapacité, dépendance » conduite à la fin des années 1990, aujourd'hui assez ancienne. Un décalage peut ainsi être observé entre le périmètre des personnes âgées dépendantes retenu dans le cadre de cette enquête et celui des personnes âgées dépendantes couvertes par l'Apa, ce qui a incité le Centre d'analyse stratégique à retenir l'hypothèse haute d'évolution du nombre de personnes âgées dépendantes.
Le Centre d'analyse stratégique s'est ensuite interrogé sur la répartition de la prise en charge des personnes âgées dépendantes entre le maintien à domicile et le placement en établissement spécialisé. M. Stéphane Le Bouler a, à cet égard, rappelé que M. Philippe Bas, alors ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, avait très clairement accordé la priorité au maintien à domicile. Le Centre d'analyse stratégique a ainsi proposé une évolution du mode de prise en charge, en considérant :
- que les personnes très dépendantes (groupes iso-ressources - GIR - 1 et 2) n'ont pas vocation à se retrouver davantage à domicile ;
- que les personnes moyennement dépendantes (GIR 3 et 4) ont vocation à sortir ou à moins entrer en institution ;
- que les personnes faiblement dépendantes (GIR 5 et 6) n'ont, quant à elles, pas vocation à être accueillies en établissement.
L'observation de ces principes conduirait à modifier sensiblement le profil des personnes âgées dépendantes accueillies en établissement : le taux d'institutionnalisation des personnes de 70 ans et plus relevant des GIR 3 et 4 reviendrait ainsi de 35 % en 2004 à 23 % en 2025.
En conséquence, le Centre d'analyse stratégique recommande de mener, dans un premier temps, un effort soutenu de création de places en établissement, jusqu'en 2010 (passage de 642.000 places fin 2003 à 680.000 places en 2010), puis de stabiliser le nombre global de places à ce niveau et de faire alors porter l'effort en direction de l'accueil à domicile, en prônant, en particulier, une très forte augmentation du nombre de places de services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) (de 81.900 places en 2004 à 229.000 places en 2025).
M. Stéphane Le Bouler a relevé que le caractère inadapté de l'Apa à domicile constitue une cause d'entrée des personnes isolées en établissement : le Centre d'analyse stratégique recommande, à cet égard, de consentir à un effort important en direction de ce public afin d'enrayer un phénomène évitable, qui ne correspond à aucune nécessité.
S'agissant des besoins en personnel et du taux d'encadrement des personnes âgées dépendantes en établissement, deux hypothèses ont été présentées dans le rapport du Centre d'analyse stratégique :
- une hypothèse basse de croissance progressive des effectifs soignants, en ligne avec la progression de la dépendance des personnes hébergées, un effort particulier étant fait en matière d'animation ;
- une hypothèse haute de croissance rapide, diversifiée et durable des effectifs.
Au total, dans l'hypothèse haute, le Centre d'analyse stratégique envisage une très forte progression des effectifs prenant en charge les personnes âgées en établissement, qui passeraient de 608.900 personnes en 2005 à 1.072.500 personnes en 2025. Sur la période 2005-2015, environ 350.000 postes devraient ainsi être pourvus dans ce secteur, soit une moyenne de 35.000 emplois par an, correspondant à 4,6 % du nombre total des postes à pourvoir au sein de l'ensemble de l'économie française et 11 % du total des créations nettes d'emplois. M. Stéphane Le Bouler a toutefois observé que ces hypothèses impliquent une forte attractivité de ces métiers.
Cet accroissement des effectifs se traduirait par une augmentation des coûts salariaux bruts, qui passeraient de 13,5 milliards d'euros en 2005 à 32,5 milliards d'euros en 2025, en euros constants. Dans l'hypothèse d'une montée en charge rapide des dépenses de personnels en établissement, les dépenses en faveur de l'autonomie des personnes âgées dépendantes passeraient ainsi de 0,94 % du produit intérieur brut (Pib) en 2005 à 1,29 % du Pib en 2015 et 1,55 % du Pib en 2025.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a remercié M. Stéphane Le Bouler pour la qualité de son intervention et a souhaité obtenir des précisions sur la préconisation du rapport du Centre d'analyse stratégique tendant à renforcer la sélectivité des dispositifs de solvabilisation en faveur des publics les plus fragiles. Il l'a également interrogé sur sa vision de l'équilibre à atteindre entre aide sociale, contribution de l'assurance maladie et contribution des personnes âgées et de leur famille.
M. Stéphane Le Bouler a indiqué que l'on peut envisager de deux manières complémentaires une plus grande sélectivité des dispositifs de solvabilisation publics : d'une part, en évaluant mieux les besoins afin de concentrer les dispositifs sur les personnes les plus fragiles ; d'autre part, en prenant en compte les capacités contributives des personnes, tant leurs revenus que leur patrimoine. Il ne s'agit pas d'une alternative, il faut progresser sur ces deux terrains concomitamment.
Le perfectionnement des pratiques d'évaluation des besoins doit permettre une appréciation plus juste des situations individuelles, les équipes médico-sociales des départements ayant un rôle essentiel à jouer en ce domaine. En outre, il incombe aux pouvoirs publics de définir plus précisément le contenu du panier de biens et services socialisés et les catégories de personnes auxquelles ce panier s'adresse.
Par ailleurs, les capacités contributives sont aujourd'hui prises en compte sur la base des seuls revenus. La prise en compte du patrimoine est également envisageable et peut passer soit par l'attribution de prestations sous condition de patrimoine, soit par l'introduction d'un recours sur succession.
Enfin, l'effort public se déploie aujourd'hui à travers des prestations telles que l'Apa, mais aussi à travers les aides fiscales pour l'emploi de salariés à domicile ou en faveur de l'effort d'équipement. Il faut progresser vers une analyse globale de l'effort public, compte tenu tout à la fois des besoins des personnes et de leur capacité contributive.
Mme Sylvie Desmarescaux s'est demandé s'il est pertinent de retenir comme donnée principale l'évolution du nombre de personnes âgées dépendantes de plus de 75 ans, l'Apa étant attribuée dès 60 ans.
M. Stéphane Le Bouler a expliqué que le rapport du Centre d'analyse stratégique a bien été établi à partir des projections relatives à l'ensemble des personnes âgées dépendantes de 60 ans et plus. Le choix a été fait de mettre plus particulièrement en relief l'évolution du nombre de personnes âgées dépendantes de 75 ans et plus dans le but de souligner l'ampleur des enjeux.
Mme Sylvie Desmarescaux a souhaité obtenir des précisions complémentaires sur le coût de la prise en charge des personnes âgées dépendantes à domicile et en établissement, ainsi que sur les préconisations du Centre d'analyse stratégique s'agissant de l'effort à mener en faveur de l'amélioration de la prise en charge de la dépendance à domicile et en établissement.
Elle a également souligné les difficultés particulières auxquelles peuvent être confrontées les personnes des départements frontaliers qui recourent à des services situés dans le pays voisin.
M. Stéphane Le Bouler a rappelé que le Centre d'analyse stratégique prône une démarche en deux temps, les deux actions devant être menées successivement : d'abord, un effort soutenu de création de places en établissement, jusqu'en 2010 ; ensuite, un effort important en direction de l'accueil à domicile.
Mme Bernadette Dupont a mis en évidence les rigidités de l'accueil en établissement et les difficultés rencontrées par certaines personnes âgées dépendantes recherchant des formules plus souples, comme une prise en charge en établissement pour une durée de six mois par an.
M. Stéphane Le Bouler a indiqué que, selon le rapport du Centre d'analyse stratégique, l'architecture générale de l'hébergement en institution doit être revue, en accordant davantage de place à l'accueil de jour et à l'hébergement temporaire. Le rapport prévoit ainsi de porter le nombre de places d'accueil temporaire de 9.260 en 2003 à 68.000 en 2025. Une telle recomposition nécessite toutefois une forte volonté et doit être prévue dans les arbitrages nationaux, ainsi que dans les schémas gérontologiques. Enfin, le prix de journée ne doit pas être dissuasif pour les personnes âgées dépendantes et les gestionnaires d'établissement doivent également être intéressés à la création de ce type d'accueil, dans la mesure où de telles situations sont plus complexes à gérer.
Mme Bernadette Dupont a estimé que c'est l'intérêt des personnes dépendantes qui doit primer en la matière, nonobstant les difficultés de gestion accrues. Une plus grande souplesse permettrait, de surcroît, d'optimiser la gestion des places en établissement.
M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est interrogé sur les déterminants de l'évolution des effectifs des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, présentée par le Centre d'analyse stratégique.
Il a, par ailleurs, souhaité connaître l'appréciation de M. Stéphane Le Bouler sur l'efficacité actuelle du système de prise en charge de la dépendance et sur son architecture de financement, ainsi que sa conception de l'articulation future des compétences et des financements entre les conseils généraux et la CNSA, mais également entre ces acteurs et les organismes de sécurité sociale, l'Etat et les futures agences régionales de santé (ARS).
M. Stéphane Le Bouler a noté que l'évolution des effectifs retenue par le Centre d'analyse stratégique intègre trois facteurs : tout d'abord, un effort de rattrapage ; ensuite, une nécessaire adaptation des effectifs à l'évolution du niveau de dépendance des personnes accueillies en établissement, le rapport ayant recommandé de concentrer la prise en charge en établissement sur les personnes les plus dépendantes ; enfin, un effort volontariste de développement de certains métiers, notamment en matière d'animation.
Il a, ensuite, indiqué que le Centre d'analyse stratégique a pris parti pour l'expérimentation de la délégation des crédits de 1'assurance maladie à des départements volontaires, qui seraient dès lors responsabilisés sur l'ensemble de la prise en charge des personnes âgées dépendantes, à domicile comme en établissement. Il a noté que, dans ce schéma, la CNSA exercerait un rôle important, d'une part comme instrument de péréquation entre les départements, d'autre part en tant qu'opérateur de référence, destiné à éclairer la répartition des ressources et à améliorer les pratiques.
Le Centre d'analyse stratégique plaide également pour une responsabilité accrue des départements sur l'ensemble des prestations, y compris sur l'aide ménagère attribuée aux personnes relevant des GIR 5 et 6. Il prévoit également l'affectation aux départements des ressources dédiées à l'action sociale aujourd'hui mise en oeuvre par les caisses de retraite.
Enfin, M. Stéphane Le Bouler a indiqué que l'extension des compétences des ARS au secteur médicosocial est une recommandation du Centre d'analyse stratégique, afin d'intéresser l'instance de régulation régionale hospitalière à la problématique des personnes âgées et d'organiser une meilleure analyse des besoins régionaux.
Présidence de M. Philippe Marini, président.
Audition de MM. Alain Cordier, président du conseil, et Denis Piveteau, directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA)
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la mission a entendu MM. Alain Cordier, président du conseil, et Denis Piveteau, directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
M. Philippe Marini, président, a rappelé que la mission avait décidé d'ouvrir cette audition à la presse et au public.
Il a observé que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), créée par la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, est devenue un acteur essentiel dans la prise en charge de la dépendance et du handicap, puisqu'elle est à la fois une structure chargée de répartir des moyens financiers et une agence d'appui technique. Le rapport 2007 de la CNSA dressant un bilan des actions menées et comportant une dimension prospective, il a souhaité que MM. Alain Cordier et Denis Piveteau fassent part à la mission de leur vision des enjeux relatifs à la dépendance, en précisant notamment le cadrage financier et les questions de gouvernance.
M. Alain Cordier, président du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, a indiqué que son intervention reprendrait assez largement les idées développées au sein du dernier chapitre du rapport 2007 de la CNSA, intitulé « Solidarité pour l'autonomie : vers un nouveau champ de protection sociale d'aide à l'autonomie, ouvrant à toute personne l'accès à l'autonomie dans ses gestes de vie courante et sa participation à la vie sociale ». Il a souhaité, au préalable, que M. Denis Piveteau présente les principales données budgétaires relatives à la CNSA.
M. Denis Piveteau, directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, a indiqué que la CNSA présente une triple facette. Elle est ainsi :
- une caisse gérant trois milliards d'euros de ressources propres : un milliard d'euros provenant de recettes de contribution sociale généralisée (CSG) et deux milliards d'euros provenant des recettes de la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA) ;
- une agence dotée d'un budget de quinze milliards d'euros : aux trois milliards d'euros précités s'ajoutent douze milliards d'euros correspondant aux crédits inscrits sur les sous-objectifs médico-sociaux de l'Objectif national de dépenses assurance-maladie (Ondam) ;
- un espace public d'échanges et de réflexion.
Les recettes propres de la CNSA servent d'abord, pour deux milliards d'euros, à attribuer des concours financiers aux conseils généraux :
- 1,5 milliard d'euros au titre des actions contribuant à l'autonomie des personnes âgées, ce qui couvre environ un tiers des dépenses supportées par les départements au titre de l'Allocation personnalisée d'autonomie (Apa) ;
- 500 millions d'euros au titre des actions contribuant à l'autonomie des personnes handicapées, ce qui couvre environ la moitié des dépenses supportées par les départements au titre des prestations individuelles en faveur des personnes handicapées (prestation de compensation du handicap et allocation compensatrice pour tierce personne).
Un milliard d'euros vient enfin abonder les crédits de l'Ondam médico-social, pour former l'objectif global de dépenses (OGD), que la CNSA a pour mission de répartir entre les départements, en application de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
M. Denis Piveteau a précisé, d'une part, que les crédits de l'Ondam médico-social n'entrent pas dans les comptes de la CNSA et, d'autre part, que l'OGD se décompose ainsi :
- 5,5 milliards d'euros de dépenses en faveur des établissements et services pour personnes âgées ;
- 7,5 milliards d'euros de dépenses en faveur des établissements et services pour personnes handicapées.
M. Alain Cordier a indiqué que le conseil de la CNSA doit se prononcer tous les ans sur un rapport d'activité qui lui donne l'occasion de formuler certaines recommandations. Le fait que le conseil de la CNSA, qui réunit l'ensemble des personnes concernées par la problématique de l'autonomie, ait réussi à se mettre d'accord sur un certain nombre d'orientations est, de ce point de vue, un élément important. Le conseil s'est, en effet, accordé sur deux axes d'analyse et quatre axes possibles de réforme.
S'agissant de l'analyse, le conseil a tout d'abord jugé nécessaire de prendre en compte une situation de vie, quelle qu'en soit la cause, et non des publics : 89 % des personnes confinées au lit ont plus de 60 ans mais la restriction durable d'activité touche, pour 50 %, des personnes de moins de 60 ans.
En second lieu, le conseil de la CNSA considère que la réponse apportée aux personnes âgées dépendantes ou handicapées doit être personnalisée, en fonction du projet de vie de la personne, qui constitue un élément structurant. Le conseil préfère ainsi parler d'aide à l'autonomie plutôt que de risque dépendance et a évoqué l'idée d'une « convergence sans confusion » des réponses apportées aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées : en basculant d'une logique de publics à une logique de prise en compte des situations, on ne peut que personnaliser la réponse apportée.
Ce raisonnement a conduit le conseil de la CNSA à proposer quatre axes de réforme afin de répondre à la situation de vie au cours de laquelle l'autonomie est altérée.
Le premier axe de réforme consiste à identifier le droit que l'on souhaite garantir. Le conseil de la CNSA s'est ainsi prononcé en faveur d'un droit universel de compensation pour l'autonomie, reposant sur une évaluation pluridisciplinaire et évolutive des besoins des personnes. Ceci permettrait de définir un plan personnalisé de compensation identifiant l'ensemble des aides possibles (aides humaines, techniques, animalières, aides aux aidants familiaux...). Le conseil prône également la création d'une prestation personnalisée de compensation correspondant aux prestations d'aides identifiées comme nécessaires au sein du plan personnalisé de compensation. Ceci suppose qu'un référentiel commun de biens et de services soit établi.
Le deuxième axe abordé par le conseil de la CNSA est celui de la répartition de la charge du financement, une disjonction pouvant éventuellement exister entre le droit universel ainsi conçu et le caractère public de son financement. Le conseil de la CNSA a, en effet, jugé préférable de partir des besoins pour élaborer le droit à compensation plutôt que de partir des capacités de financement public. De nombreux membres du conseil considèrent que le financement de la prestation personnalisée de compensation devrait être d'origine publique, des solutions différentes pouvant être proposées s'agissant de la répartition de ce financement entre ressources nationales et ressources locales. Par ailleurs se pose la question de savoir s'il convient de mettre en oeuvre l'obligation alimentaire et le recours sur succession.
M. Alain Cordier a indiqué que la gouvernance constitue le troisième axe de réflexion du conseil de la CNSA et que trois pistes ont été retenues :
- un exercice des responsabilités au niveau local, les départements voyant leur rôle conforté en matière de prise en charge de l'autonomie, ce qui pourrait notamment passer par la création de maisons départementales de l'autonomie ;
- le maintien d'un opérateur national chargé d'apporter un soutien aux conseils généraux et d'assurer une égalité de traitement ;
- enfin, la réorientation des responsabilités de l'administration d'Etat vers une fonction de stratège.
Le quatrième axe retenu par le conseil de la CNSA consiste à affirmer la nécessité de gérer l'éventail des risques autour de la personne, par la mise en cohérence des politiques publiques. Le conseil considère ainsi que des compétences de « gestion du risque », sur l'enveloppe de crédits d'assurance-maladie destinés aux établissements et services médico-sociaux, pourraient être confiées à l'opérateur national.
M. Alain Cordier a souligné l'ambition de ce projet et son réalisme, le conseil de la CNSA ayant clairement posé la question des modalités de son financement.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a cité le dernier rapport annuel de la CNSA, selon lequel la question du financement public de l'aide à l'autonomie est « un défi sérieux mais qui n'apparaît pas hors de portée : il est à la hauteur de l'exigence d'un arbitrage de priorités au sein des dépenses publiques ». Il a souhaité que M. Alain Cordier développe ce point et précise les données sur lesquelles le conseil s'appuie pour aboutir à cette conclusion.
Il a, par ailleurs, fait état des projections figurant dans le rapport du Centre d'analyse stratégique s'agissant de l'évolution des effectifs travaillant dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Il a mis en évidence les coûts supplémentaires induits par cette évolution des effectifs.
M. Alain Cordier a estimé qu'il faut distinguer l'ambition d'un projet de société et la prise en charge financière de ce projet, la collectivité publique n'ayant pas nécessairement à en assurer le financement complet. La question ne doit ainsi pas être prioritairement posée en termes de prélèvements obligatoires supplémentaires. De même, il a différencié, suivant le distinguo britannique « Cure/Care », les dépenses de soins - c'est-à-dire l'évolution de l'Ondam médico-social qui dépend notamment du rythme de réalisation des équipements - et les dépenses d'accompagnement de la perte d'autonomie - c'est-à-dire les deux milliards d'euros de concours financiers versés par la CNSA aux conseils généraux. L'enjeu financier le plus lourd est celui de l'évolution des effectifs des personnels des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes et de l'attractivité de ces métiers. S'agissant de l'accompagnement de la perte d'autonomie, à législation constante, l'évolution démographique conduirait à un effort budgétaire supplémentaire équivalant, sur une période de vingt ans, à ce que la Nation consacre en une année à l'assurance maladie.
Il a indiqué que le conseil de la CNSA n'est pas en mesure de chiffrer le coût, pour la collectivité, d'une meilleure prise en charge de la perte d'autonomie dès lors que celui-ci dépend à la fois du référentiel et du contenu du plan personnalisé de compensation ; des choix opérés en matière de couverture, publique ou individuelle, du risque ; de l'impact des progrès thérapeutiques opérés ; enfin, de la requalification de la dépense sociale, celle-ci pouvant être perçue comme un important gisement d'emplois.
Mme Sylvie Desmarescaux a souhaité savoir si le conseil de la CNSA envisage de retenir un taux d'incapacité comme principal critère du plan personnalisé de compensation.
M. Michel Moreigne a souhaité que MM. Alain Cordier et Denis Piveteau fassent part de leur appréciation sur les règles actuelles de répartition du concours financier versé au titre de l'Apa entre les départements, en particulier dans le cas de départements faisant face à des besoins importants mais dotés d'un faible potentiel fiscal.
M. Eric Doligé a remercié M. Denis Piveteau pour les explications relatives aux missions de la CNSA. Il s'est toutefois interrogé, d'une part, sur la nécessité de faire transiter les crédits de l'Ondam médico-social par la CNSA et, d'autre part, sur la conception qu'a le conseil des relations entre cette caisse et les départements.
M. Denis Piveteau a indiqué que le conseil de la CNSA a tâché de s'affranchir de la notion de taux d'incapacité entraînant l'attribution automatique d'une prestation. Il faut d'abord définir le projet de vie de la personne en perte d'autonomie et examiner ensuite comment la collectivité nationale peut le prendre en charge.
Répondant à M. Michel Moreigne, il a indiqué que le mécanisme actuel de répartition du concours financier versé au titre de l'Apa prévoit une clause de sauvegarde, afin que la dépense nette supportée par le conseil général, au titre de l'Apa, ne puisse excéder une certaine fraction de son potentiel fiscal. Deux facteurs, en particulier, sont actuellement pris en compte : le nombre de personnes âgées dépendantes de plus de 75 ans dans le département et le potentiel fiscal de ce dernier. Il a estimé que la fixation du niveau maximum de la dépense nette incombant aux départements relève d'un choix politique.
Répondant à M. Eric Doligé, il a jugé que le complément d'un milliard d'euros apporté par la CNSA à l'Ondam médico-social n'emporte pas de surcoût, une convention financière entre la CNSA et la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) prévoyant une opération de compensation en fin d'année. En revanche, cette architecture peut soulever des questions en termes de lisibilité.
M. Alain Cordier a jugé souhaitable que le Parlement puisse, dans le cadre de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale, se prononcer sur l'ensemble du budget de la CNSA.
Il a relevé que des progrès ont été accomplis s'agissant des relations entre la CNSA et les conseils généraux, dès lors que la caisse n'intervient pas comme une instance de contrôle des départements. Le conseil de la CNSA a proposé de conforter les compétences du département comme opérateur en charge de la responsabilité de proximité. Il souhaite également une meilleure articulation entre les schémas gérontologiques et les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (Priac).
Mme Bernadette Dupont a souhaité obtenir des précisions sur la notion, mise en avant par la CNSA, de « prise en compte d'une situation de vie ».
M. Bernard Cazeau s'est interrogé sur le champ de réflexion de la mission commune d'information, se demandant s'il ne convient pas de l'étendre à l'ensemble de la perte d'autonomie, et non de le limiter aux seules personnes âgées dépendantes, comme cela avait été initialement décidé.
M. Philippe Marini, président, a rappelé que cette orientation a été approuvée lors de la réunion constitutive de la mission et qu'il convient donc de s'y tenir. Il a, par ailleurs, noté que la mission devait recevoir, dans le cadre de l'audition suivante, les ministres compétents, ce qui permettra de connaître les orientations du gouvernement en matière de cinquième risque.
M. François Autain s'est interrogé sur l'articulation entre les fonds gérés par la CNSA et l'Ondam médico-social. Il s'est demandé s'il y aurait un inconvénient à affecter directement à la Cnam le milliard d'euros destiné à compléter les crédits de l'Ondam médico-social, aujourd'hui géré par la CNSA.
Mme Marie-Thérèse Hermange s'est interrogée, plus largement, sur le bien-fondé d'une caisse telle que la CNSA, et sur l'intérêt qui aurait pu s'attacher à la création d'une cinquième branche.
M. Paul Blanc a indiqué que la CNSA, dans sa conception, est conforme à l'esprit de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Il s'est également déclaré en accord avec les observations formulées par le président Philippe Marini sur les orientations de la mission, jugeant qu'en dépit de certaines convergences, les réflexions relatives aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées ne peuvent être confondues. Le handicap est du ressort de la solidarité, alors que la dépendance relève d'une logique de prestation.
M. Alain Vasselle a également souhaité obtenir des précisions sur le bien-fondé des relations financières entre la CNSA et la Cnam.
M. Alain Cordier a noté que les maisons départementales des personnes handicapées - qui pourraient devenir des maisons départementales de l'autonomie dans le schéma proposé par le conseil de la CNSA - sont dans une phase de montée en charge, les présidents de conseils généraux s'engageant fortement pour que leur fonctionnement s'améliore. Il a toutefois observé que ces maisons traduisent un véritable changement de culture et qu'il faudra un certain temps pour achever le processus en cours.
Il a relevé que la création de la CNSA émane de la volonté du législateur et que cette caisse a permis de mieux associer les départements et les associations concernées aux actions menées en matière de perte d'autonomie. Il a jugé nécessaire de distinguer les dépenses de soins et les dépenses d'accompagnement de la perte d'autonomie et a noté la légitimité qu'aurait la CNSA à gérer l'Ondam médico-social.
M. Denis Piveteau a estimé que le complément d'un milliard d'euros apporté par la CNSA aux douze milliards d'euros de l'Ondam médico-social a une triple justification :
- une volonté de transparence, afin de disposer d'une vision globale des masses financières en cause ;
- un enjeu de bonne gestion ;
- une responsabilisation comptable de la CNSA sur l'équilibre de l'Ondam médico-social, dans la mesure où il incombe à la caisse de procéder aux ajustements nécessaires en fin d'exercice, en cas d'écart entre les autorisations de dépenses d'Ondam médico-social votées par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale et les dépenses réellement exécutées.
Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité et Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité
Ensuite la mission a entendu M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, et Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité.
M. Philippe Marini, président, a rappelé que la mission a pour but de préparer, dans une démarche large et participative, l'examen du projet de loi sur la dépendance qui sera prochainement déposé par le gouvernement devant le Parlement. Il a souligné l'intérêt ancien du Sénat pour cette question, ainsi qu'en témoignent la création, à l'initiative de la commission des affaires sociales, de la prestation spécifique dépendance (PSD) et la présence, au sein de la mission, de la plupart des rapporteurs des textes relatifs au handicap et à la dépendance adoptés ces dernières années.
M. Philippe Marini, président, a rappelé les propos tenus par le Président de la République lors de son intervention, au Sénat, devant les journalistes de l'information sociale, le 18 septembre 2007, qui avait alors souligné la complexité et l'opacité du système actuel de prise en charge de la dépendance.
M. Philippe Marini, président, a ensuite souhaité attirer l'attention sur les problèmes de chiffrage révélés par les auditions de la matinée. Alors que le nombre de personnes âgées dépendantes augmente de 1 % par an, celui des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) a progressé, pour sa part, au rythme annuel de 8 % ces dernières années. Le taux d'évolution de la contribution de l'assurance maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes âgées atteindrait, quant à lui, 13 % en 2007.
Remerciant M. Xavier Bertrand et Mme Valérie Létard de leur présence, M. Philippe Marini, président, a enfin émis le souhait de travailler en collaboration avec le Gouvernement sur le sujet de la dépendance et de la création d'un cinquième risque.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a salué la création, par le Sénat, d'une mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque. Compte tenu des perspectives démographiques, la prise en charge de la dépendance est en effet un sujet qui concerne l'ensemble de la population et dont les pays développés n'ont pas encore pris toute la mesure. Les arbitrages gouvernementaux sur ce sujet n'étant pas encore pris, il a indiqué qu'il n'est pas en mesure de présenter le projet définitif du gouvernement et a ainsi proposé de revenir devant la mission une fois les grandes directions de ce projet fixées. Il a rappelé que la prise en charge de la dépendance constitue un axe fort de l'action du Président de la République et du gouvernement, conformément aux engagements pris pendant la campagne électorale. La volonté du gouvernement est de développer la concertation afin de dépassionner et de dépolitiser le débat. Le rapport d'activité 2007 de la CNSA, qui semble avoir permis de dégager un consensus, constituera une base utile à la concertation.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a ensuite précisé le périmètre du cinquième risque. Celui-ci correspond aux 19 milliards d'euros consacrés chaque année aux personnes âgées et aux personnes handicapées, au titre, d'une part, des prestations de santé financées essentiellement par l'assurance maladie et, d'autre part, des prestations de compensation de la perte d'autonomie (l'Apa pour le grand âge, la prestation de compensation du handicap (PCH) pour le handicap).
S'agissant des prestations de santé, l'effort consenti en 2008 en faveur des personnes âgées est en hausse de 11 %. Cette augmentation devrait permettre de financer la création de 7.500 places en maisons de retraite, contre 5.000 places initialement prévues, ainsi que de mieux prendre en compte la maladie d'Alzheimer. Concernant les prestations de compensation de la perte d'autonomie, un nouveau modèle de la protection sociale a été défini, qui combine une gestion décentralisée reposant sur les conseils généraux et une péréquation nationale pour assurer une équité de traitement sur le territoire, grâce à la CNSA.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a indiqué que le cinquième risque constitue un risque social nouveau pour le système de sécurité sociale français, actuellement fondé sur quatre risques : la maladie, la vieillesse, la famille et les accidents du travail. La prise en charge de la dépendance, dont le but est de compenser les restrictions dans la réalisation des activités de la vie quotidienne et sociale, a ainsi toute sa place entre les prestations actuelles liées à l'état de santé et celles liées à une perte de revenu.
Abordant la question de la gouvernance de la prise en charge de la dépendance, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a rappelé que le modèle original d'une gestion décentralisée et d'une agence nationale, chargée de la péréquation, de l'animation et de l'information, a donné de bons résultats. Les conseils généraux apportent leur expertise et leur proximité. Quant à la CNSA, elle a désormais acquis sa pleine légitimité. Il a rappelé l'attachement des Français à la participation de l'assurance maladie, autre acteur central dans la prise en charge de la dépendance, en insistant sur le fait qu'il n'est pas question, à ses yeux, de créer un système de sécurité sociale propre aux personnes dépendantes, mais de réaffirmer le principe d'universalité de notre système de protection sociale.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a néanmoins rappelé les limites du dispositif actuel, évoquant les cloisonnements institutionnels et financiers, qui font obstacle à une planification et à une prise en charge coordonnée entre l'hôpital, le secteur médicosocial et la médecine de ville. Les dispositifs de prise en charge à domicile pourraient notamment être davantage centrés sur la personne, plutôt que de refléter les différences institutionnelles.
Le ministre a souligné l'importance des besoins insatisfaits. Compte tenu des projections démographiques, un effort financier supplémentaire est nécessaire pour maintenir le niveau actuel de couverture. La population âgée de plus de 85 ans passera en effet de 1,3 million actuellement à plus de 2 millions en 2015. Cette tendance ne signifie cependant pas une croissance parallèle du nombre de personnes âgées dépendantes, dans la mesure où la proportion des individus valides augmente également. Le nombre de personnes âgées dépendantes progressera ainsi à un taux de 1,5 % par an en moyenne d'ici à 2040, avec des périodes d'accélération. Quant aux bénéficiaires de l'Apa, qui étaient un million en 2007, ils compteront entre 150.000 et 300.000 personnes supplémentaires en 2012. Une telle tendance aura nécessairement des implications sur le système de prise en charge de la dépendance, qu'il s'agisse du nombre de maisons de retraite et de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) ou des besoins en personnel.
Concernant le maintien à domicile, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a indiqué que le gouvernement souhaite permettre aux personnes âgées dépendantes, qui le souhaitent, de rester à leur domicile le plus longtemps possible. Cet objectif suppose un effort accru en direction des Ssiad, ainsi que le développement des formules de répit pour les aidants à travers le développement de l'accueil de jour et de l'hébergement temporaire. L' « Apa à domicile » pourrait également être mieux calibrée pour les personnes dépendantes qui ne disposent pas d'un appui de leur entourage direct et permettre de mieux prendre en charge l'aménagement des logements, ainsi que certaines aides techniques favorisant le développement des nouvelles technologies à destination des personnes âgées.
Des efforts sont également nécessaires en direction des établissements, afin d'inventer les « maisons de retraite de demain ». Cela nécessite, d'une part, de poursuivre la médicalisation et le renforcement des taux d'encadrement en établissement et, d'autre part, de maîtriser le reste à charge des familles. En matière de handicap, les efforts de création de places en établissement seront poursuivis, notamment dans le cadre du « Plan quinquennal de création de places » en cours d'élaboration. Celui-ci doit permettre de résorber les listes d'attente et d'apporter une réponse aux personnes présentant des handicaps, pour lesquelles il n'existe pas aujourd'hui de structure adéquate, notamment les personnes atteintes de poly-traumatismes et d'autisme.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a indiqué que toutes ces politiques ne pourront néanmoins pas être conduites sans un effort en direction des métiers du secteur médicosocial.
Evoquant les pistes de réforme possibles en matière de prise en charge de la dépendance, il a indiqué que, s'agissant des prestations de compensation de la perte d'autonomie, il conviendra de définir le périmètre du « panier de biens et services » devant être pris en charge.
Sur la question plus particulière du financement, une réflexion devra être menée sur le partage entre le recours à la solidarité nationale, la prévoyance individuelle et collective, et la responsabilité individuelle. Tout en indiquant que la solidarité nationale a toute sa place dans le financement de la dépendance, il a rappelé le souhait du Président de la République que soient davantage prises en compte les capacités contributives des personnes concernées. En effet, le niveau de patrimoine des personnes dépendantes devrait croître dans les prochaines années. Il a néanmoins mis en garde contre l'éventuel effet dissuasif de la mise en place d'un recours sur succession, qui a fait l'objet de nombreux débats au moment de l'examen au Sénat du projet de loi de finances pour 2008. S'agissant de la prévoyance individuelle et collective, la question doit être abordée sans tabous, dans la mesure où près de 2 millions de personnes ont d'ores et déjà souscrit ce type d'assurance. Néanmoins, il semble que les produits offerts par les instituts de prévoyance ne correspondent qu'imparfaitement aux besoins des publics concernés.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a insisté sur la nécessité d'améliorer l'organisation et la gouvernance locale du traitement de la dépendance. A cet égard, la mise en place des agences régionales de santé (ARS) devra être l'occasion de remédier aux cloisonnements actuels entre l'hôpital, les soins de ville et le secteur médicosocial. Le gouvernement s'est fixé deux objectifs : d'une part, recomposer l'offre actuelle de soins et, d'autre part, éviter que le secteur médicosocial soit la variable d'ajustement, notamment budgétaire, par rapport aux secteurs de la ville et de l'hôpital. Il a indiqué que les départements et les associations devront avoir toute leur place au sein des ARS. Il a également insisté sur la nécessité de favoriser l'émergence de lieux de coordination et de gestionnaires uniques de patients atteints de la maladie d'Alzheimer, comme le préconise le rapport du professeur Joël Ménard.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a indiqué que la concertation avec l'ensemble des acteurs intervenant dans le traitement de la dépendance débutera dans les prochaines semaines, notamment sur la base du rapport d'activité 2007 de la CNSA. Le projet de loi relatif à la création d'un cinquième risque pourrait être déposé devant le Parlement au second trimestre 2008. Cette date dépend de la fixation de l' « agenda social » pour 2008 par le Président de la République.
Après avoir souligné le caractère ambitieux du projet gouvernemental, qui devrait répondre aux attentes des personnes âgées et de leurs familles, M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est interrogé sur les modalités de financement de ces mesures, et, plus particulièrement, sur la répartition du poids de l'effort supplémentaire à fournir entre les ménages, une prise en charge collective publique et le recours à l'assurance privée. Il a également souhaité savoir si la CNSA est en mesure de faire face aux nouveaux besoins en matière de dépendance qui apparaîtront dès 2015 et, plus encore, à l'horizon 2025. Il a enfin rappelé les propos du Président de la République sur la complexité et l'opacité du traitement de la dépendance, lors de son intervention au Sénat, le 18 septembre 2007, devant les journalistes de l'information sociale.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, est convenu de la complexité du système actuel de prise en charge de la dépendance et a indiqué que, s'agissant des modalités de financement, des arbitrages devront être rendus. Il a précisé que les choix qui seront faits, notamment en matière d'assurance, ne donneront leurs résultats qu'à partir de 2015 et qu'il est nécessaire, dans un tel domaine, de se projeter à un horizon de 25 à 30 ans. En tout état de cause, le développement de la prévoyance n'est pas la réponse « miracle » et d'autres sources de financement complémentaire devront être trouvées. La question des « niches sociales », par exemple, mérite d'être examinée. Cependant, il ne suffit pas d'augmenter les crédits destinés à la prise en charge de la dépendance : il faut aussi s'assurer de leur complète consommation.
M. Bernard Cazeau a souhaité savoir si le gouvernement entend dissocier la question de la prise en charge des personnes âgées de celle des personnes handicapées, ou si, au contraire, il envisage une approche convergente, conformément à la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et aux préconisations de la CNSA.
Mme Sylvie Desmarescaux a souligné le caractère encourageant du projet gouvernemental. Elle a ensuite insisté sur le rôle important joué par les centres locaux d'information et de coordination (Clic) et s'est dès lors interrogée sur l'opportunité du désengagement annoncé des caisses régionales d'assurance maladie (Cram) de ces structures, notamment dans le département du Nord.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a indiqué que si les Clic tiennent une place essentielle dans la coordination de la prise en charge de la dépendance, ce sont surtout les ARS qui permettront de surmonter les cloisonnements actuels, rappelant la volonté du Président de la République de définir un cadre clair pour ces structures. Le gouvernement ne souhaite pas revenir sur la loi du 11 février 2005 qui, comme la CNSA, préconise la convergence des aides destinées aux personnes handicapées et aux personnes âgées. Il s'agira d'une convergence « sans confusion » qui ne se réduira pas à un simple alignement sur les mêmes règles de la PCH et de l'Apa.
M. Philippe Marini, président, a rappelé que la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque sont des questions générationnelles qui doivent être anticipées et abordées sur le long terme.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, a indiqué que les risques maladie, vieillesse et dépendance ont chacun leurs spécificités et n'entraînent pas les mêmes préoccupations aux différents âges de la vie, soulignant qu'un effort de pédagogie auprès des générations les plus jeunes est encore nécessaire s'agissant de la dépendance.
M. Alain Vasselle, rapporteur, a rappelé les propos de M. Xavier Bertrand, qui a indiqué dans son propos liminaire que les deux sous-objectifs médicosociaux de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (Ondam) ont trop souvent servi de variables d'ajustement au profit des sous-objectifs dédiés aux soins de ville et aux dépenses hospitalières. Il a indiqué, par ailleurs, qu'un milliard d'euros est affecté, chaque année, à la CNSA pour ajuster, le cas échéant, les crédits d'assurance maladie destinés à la prise en charge des soins des personnes en perte d'autonomie. Il s'est interrogé sur la capacité financière de la CNSA à faire face à un éventuel dépassement de ces crédits.
M. Michel Moreigne a souhaité connaître les disponibilités actuelles de la CNSA.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, a indiqué que les réserves actuelles de la CNSA s'élèvent à 500 millions d'euros. Dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, 250 millions d'euros seront affectés au financement des dépenses d'investissement en vue de la création de places nouvelles en établissements.
Elle a ensuite rappelé que le nombre de personnes âgées dépendantes augmente à un rythme de 1,5 % par an, que les dépenses consacrées au secteur médicosocial connaissent un taux de croissance de 13 % en raison des efforts de rattrapage menés dans ce secteur, et que le nombre de bénéficiaires de l'Apa enregistre une progression de 8 % en raison de la montée en charge du dispositif. Ce dernier taux connaît d'ailleurs une décélération en 2008.
Elle a estimé inopportun que les Cram se désengagent financièrement des Clic, alors que la réflexion sur la création d'un cinquième risque est en cours.
Elle a précisé que si une approche convergente de la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées est possible, s'agissant notamment des techniques d'évaluation de la perte d'autonomie et de la définition du panier de soins et de services, celle-ci ne saurait, en revanche, porter sur les montants des prestations. A cet égard, la CNSA a montré qu'une convergence est possible, tout en tenant compte des différences entre ces deux types de perte d'autonomie.
Mme Marie-Thérèse Hermange s'est interrogée sur l'opportunité de mettre en place des maisons départementales de l'autonomie, qui risquent de constituer une structure supplémentaire dans un paysage institutionnel déjà complexe.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, a indiqué que la finalité de ces maisons n'est pas de créer une nouvelle structure, mais, au contraire, de rassembler en un lieu unique différents acteurs et de mutualiser leurs moyens.
Mme Marie-Thérèse Hermange s'est ensuite interrogée sur la compatibilité entre, d'une part, le maintien d'un système de financement cloisonné entre ce qui relève de la maladie et ce qui se rattache à la dépendance, et, d'autre part, la mise en place d'un projet de vie global pour la personne âgée dépendante, conformément aux préconisations de la CNSA. Elle a souhaité savoir si le gouvernement entend ouvrir des postes en écoles d'infirmiers et reconvertir un certain nombre de places devenues disponibles dans les hôpitaux pour accueillir des personnes dépendantes.
M. Bernard Cazeau a indiqué que la sous-consommation des crédits affectés à la CNSA peut s'expliquer par le caractère inachevé de la montée en charge de la PCH. Celle-ci est notamment freinée par le nombre restreint de familles qui, percevant l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), ont exercé leur droit d'option en faveur de la PCH. Par ailleurs, les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (Priac) ne se mettent en place qu'avec lenteur.
M. Charles Guené a souhaité savoir si le besoin supplémentaire de financement en matière de prise en charge de la dépendance, évalué par le Centre d'analyse stratégique entre 6 et 8 milliards d'euros à l'horizon 2012, est pris en compte dans l'effort nécessaire pour parvenir à l'équilibre des finances publiques à cette date, et s'est interrogé notamment sur la compatibilité de ce besoin supplémentaire de financement avec les engagements européens de la France.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, a indiqué que les réserves de la CNSA continuent à être affectées à la prise en charge des personnes dépendantes, comme l'a souligné la Cour des comptes.
Elle a précisé que la prise en charge globale des situations et projets de vie suppose une évolution de l'organisation actuelle de la prise en charge de la dépendance.
S'agissant de la question des besoins en personnel, un effort sera entrepris pour augmenter les effectifs, améliorer la formation et l'attractivité des métiers du secteur « médicosocial ». D'ici à 2012, 400.000 emplois seront ainsi créés. En 2008, trois régions pilotes ont été désignées, où les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass), la CNSA et les départements, sont invités à mener conjointement une réflexion sur les besoins en la matière. L'attractivité de ces métiers sera renforcée en développant la validation des acquis de l'expérience et en améliorant la promotion sociale au sein de cette filière.
Mmes Bernadette Dupont et Marie-Thérèse Hermange se sont respectivement interrogées sur le soutien à apporter à deux métiers en particulier : les moniteurs-éducateurs et les infirmiers-référents.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, a indiqué que ces questions s'inscrivent dans la réflexion actuellement menée, avec le ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, sur les nouveaux métiers qu'il convient de développer pour une meilleure prise en charge de la dépendance. S'agissant du besoin de financement supplémentaire à consentir en matière de dépendance, elle a jugé que la question devra être abordée le moment venu.