Mercredi 28 novembre 2007
- Présidence de M. Jean François-Poncet, vice-président.Défense - Audition de M. Jean-Claude Mallet, président de la Commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale
La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Claude Mallet, président de la Commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Accueillant M. Jean-Claude Mallet, M. Jean François-Poncet, président, a rappelé la mission assignée à la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, en précisant qu'était également en cours au ministère une revue des programmes d'armement et, comme dans les autres administrations, la révision générale des politiques publiques.
M. Jean François-Poncet, président, a souligné la nécessité de prendre en compte les évolutions intervenues dans l'environnement international et stratégique et d'en tirer les conséquences sur les objectifs, les priorités et les moyens d'action de la France en matière de défense et de sécurité. Il a évoqué les interrogations portant actuellement sur les perspectives de notre politique de défense, et notamment sur la possibilité de concilier nos ambitions en termes d'autonomie stratégique et de capacité d'action sur la scène internationale, avec la contrainte financière pesant sur la modernisation de notre outil militaire.
M. Jean-Claude Mallet a tout d'abord remercié le Sénat d'avoir mis à disposition ses locaux, à l'initiative du Président Serge Vinçon, pour permettre à la Commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de procéder à ses auditions publiques. Au nombre de 40, celles-ci ont permis d'entendre 52 personnalités, dont les représentants des formations politiques représentées au Parlement ou au Parlement européen, des experts venant d'Europe et des autres continents, ainsi que des acteurs de terrain. Pour la première fois, l'élaboration d'un document stratégique traitant de défense et de sécurité donne lieu à un débat public. La commission du Livre blanc souhaite également, à travers des rencontres régulières avec les commissions compétentes du Parlement, rendre compte de l'avancée de ses travaux et recueillir les réactions de la représentation nationale sur l'actualisation de notre stratégie de défense et de sécurité.
M. Jean-Claude Mallet a souligné que le nouveau Livre blanc couvrirait un champ plus large que ceux de 1972 et de 1994. Il définira un concept de sécurité nationale englobant à la fois une politique de défense et une politique de sécurité générale, cette dernière couvrant tous les aspects de la sécurité intérieure intéressant la vie collective de la nation. L'objectif global de sécurité nationale impliquera une claire répartition des tâches entre les forces armées et les forces de sécurité. Les activités des administrations devront être décloisonnées pour donner au Président de la République et au gouvernement une vision globale des enjeux de sécurité nationale, et mettre à leur disposition une organisation de l'appareil d'Etat cohérente, capable de traiter les différents risques identifiés, susceptibles de mettre en péril la vie de la nation. La commission du Livre blanc souhaite ainsi concrétiser, à travers une doctrine et une réorganisation de l'Etat, la connexion entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure.
S'agissant de l'environnement international et stratégique, M. Jean-Claude Mallet a indiqué que la Commission procédait au bilan des évolutions notables apparues depuis le précédent Livre blanc. En 1994, on constatait une relative dynamique occidentale, consécutive à l'effondrement du bloc soviétique et illustrée par l'élargissement de l'Union européenne et de l'OTAN. L'Europe était confrontée à la crise des Balkans, mais le continent s'engageait résolument dans la voie du désarmement. Le processus de paix enclenché au Proche-Orient semblait prometteur. Enfin, les Etats-Unis s'imposaient comme la force globalement dominante dans le monde. Le paysage est très différent en 2007. Le sentiment d'insécurité et de vulnérabilité s'est accrû et les menaces sur les populations et la vie de la nation se sont diversifiées. La protection de la population et du territoire devient une dimension essentielle de notre stratégie de sécurité nationale.
M. Jean-Claude Mallet a indiqué que le nouveau Livre blanc définirait certainement un nouvel équilibre entre les fonctions stratégiques. Compte tenu de l'environnement international, la dissuasion nucléaire paraît devoir rester un volet fondamental de notre politique de défense. Le renseignement et les missions de protection verront leur place renforcée. La contribution qu'y apportent les forces armées et les forces de sécurité intérieure et de sécurité civile devrait être clairement définie, de même que devra être garantie la bonne coordination entre moyens civils et moyens militaires. Les risques sur les populations civiles et les infrastructures émanant de mouvements terroristes utilisant les moyens de la mondialisation dans des conditions radicalement nouvelles, devront être pleinement pris en compte. La commission constate d'ailleurs une forte convergence des réflexions menées sur ce point dans les différentes capitales européennes dans lesquelles des membres de la commission se sont rendus depuis le début de ses travaux.
Abordant le cadre international de référence de notre politique de défense et de sécurité, M. Jean-Claude Mallet a confirmé la place qui sera accordée à la construction de l'Europe de la défense et de la sécurité par le nouveau Livre blanc. Dans la perspective de sa présidence de l'Union européenne au second semestre 2008, la France entend d'ailleurs proposer pour la première fois à ses partenaires une stratégie européenne de sécurité globale couvrant à la fois la sécurité intérieure de l'Union et son action extérieure à travers la politique européenne de sécurité et de défense. Le traité de Lisbonne offrira de nouvelles possibilités qu'il faudra pleinement utiliser en abordant de front ces deux volets de la sécurité. En ce qui concerne l'Alliance atlantique, la commission du Livre blanc procède, dans un premier temps, à une analyse complète des évolutions majeures intervenues depuis le début des années 1990, période au cours de laquelle la place occupée par la France dans l'organisation s'est considérablement accrue. L'accent est mis avant tout sur la rénovation de l'OTAN et sur les conséquences à tirer de l'affirmation de l'Union européenne.
M. Jean-Claude Mallet a ensuite indiqué que la commission accordait une importance primordiale à la question des relations entre les armées, la sécurité et la société. Il s'agit de sensibiliser nos concitoyens aux risques pesant sur leur sécurité, d'entraîner leur adhésion à la politique mise en oeuvre et de renforcer la reconnaissance, par l'opinion publique, du rôle joué par l'ensemble des personnels, civils ou militaires, sur lesquels repose cette politique. Les relations entre les élus, nationaux ou locaux, et les forces de défense et de sécurité sont à cet égard essentielles. Enfin, la commission voit, dans un rôle renforcé du Parlement sur les différents actes qui guident la politique de défense et de sécurité nationale, un élément important de l'adhésion citoyenne.
M. Jean-Claude Mallet a ajouté que la question des ressources humaines retenait particulièrement l'attention de la commission. Il recevra d'ailleurs, pour des consultations, les organisations syndicales, confédérales et fédérales ainsi que plusieurs associations représentatives. Il est fondamental que les personnels se reconnaissent dans la stratégie de sécurité nationale qu'ils sont chargés de mettre en oeuvre.
S'agissant des autres exercices en cours au sein du ministère de la défense, à savoir la revue générale des politiques publiques et la revue des programmes d'armement, M. Jean-Claude Mallet a précisé que leurs conclusions seraient prises en compte par la commission du Livre blanc. Lorsqu'elle formulera les priorités à retenir pour notre outil militaire, la commission s'appuiera notamment sur les résultats de la revue des programmes qui permettront une évaluation précise, notamment financière, des choix capacitaires. La commission explore différentes hypothèses de travail, en y associant les objectifs et capacités qu'elles permettraient d'atteindre. Le choix appartiendra, le moment venu, au chef de l'Etat puis au Parlement. En tout état de cause, il sera absolument impératif de garantir la cohérence entre nos ambitions, nos objectifs stratégiques et nos moyens.
Enfin, M. Jean-Claude Mallet a évoqué l'importance que revêt, pour la commission du Livre blanc, la dimension scientifique, technologique et industrielle de notre politique de défense et de sécurité. Il a notamment insisté sur la nécessité d'organiser un véritable réseau de recherche sur la défense et la sécurité s'appuyant sur des pôles d'excellence, ainsi que sur la problématique du maintien des compétences dans nos industries. La commission réfléchit également aux moyens de développer la dynamique industrielle européenne, la libéralisation des échanges entre les principaux pays producteurs d'armements paraissant de ce point de vue indispensable.
M. Jean François-Poncet, président, soulignant que les travaux de la Commission du Livre blanc portaient sur le renforcement de la coordination entre administrations, a souhaité savoir si la création d'un Conseil national de sécurité, doté d'une véritable administration, à l'instar de l'organe existant aux Etats-Unis, était envisagée. Evoquant les rapports entre l'Union européenne et l'OTAN, il s'est demandé s'il était vraiment raisonnable de développer ces deux entités qui mobilisent les mêmes forces et s'il ne fallait pas favoriser l'européanisation de l'OTAN en rationalisant, au préalable, ses structures. Il a exprimé son inquiétude sur le fait que l'exercice de revue des programmes d'armement semblait faire l'objet d'un processus parallèle à celui de la Commission du Livre blanc. Il s'est interrogé sur les leviers d'action disponibles sur le déroulement des programmes déjà engagés et a souhaité savoir si la Commission du Livre blanc se prononcerait sur ce sujet.
M. Didier Boulaud, témoignant de sa participation aux travaux de la Commission du Livre blanc, a exprimé sa satisfaction quant à son mode de fonctionnement. Estimant que le Parlement n'était pas doté des instruments nécessaires à la tenue d'un tel exercice, il a considéré qu'il devrait néanmoins débattre, se prononcer et même voter sur ses conclusions.
M. André Dulait s'est associé aux propos de M. Didier Boulaud sur le fonctionnement de la Commission du Livre blanc et a souligné que le point d'étape, attendu dans la deuxième quinzaine de décembre, devrait mieux prendre en compte le risque terroriste et la notion de combat asymétrique, en mettant l'accent sur la prévention et le renseignement. Il a considéré qu'il devait exister une éducation à la sécurité nationale, domaine dans lequel les Britanniques semblaient plus avancés.
M. Jean-Claude Mallet a indiqué que la probabilité, pour la France, de subir une attaque terroriste dans les quinze années à venir, était évidemment élevée. Il convenait d'être lucide et de tout faire pour la prévenir et de préparer le système de défense et de sécurité ainsi que la population.
Les programmes d'armement font l'objet d'un exercice parallèle, sous la forme d'une revue des programmes, dont les résultats devraient être intégrés dans la démarche du Livre blanc au début de 2008. Il a confirmé que la situation des crédits d'équipement semblait critique : en raison de la multiplication des programmes lancés et de l'accumulation des retards, le risque de prise en tenailles entre l'impératif de renouvellement des équipements et la contrainte financière semble avéré. Cette situation appelle des choix de cohérence. Il faudra passer ce cap difficile avec le souci de préserver l'outil militaire, notamment les ressources humaines, qui sont la première ressource nationale en matière de défense.
Il convient également de hiérarchiser les priorités en matière d'interventions extérieures. La commission ne s'est pas encore prononcée sur le cadre général à définir pour ses interventions. Les opérations extérieures, menées dans des environnements lointains, peuvent placer les éléments déployés dans une situation politique « asymétrique » délicate. Cette réflexion doit conduire à faire les bons choix en matière de renseignement, de capacité d'anticipation, d'engagement et d'équipement. Pour concrétiser l'adhésion de la nation, la délibération du Parlement sur les opérations extérieures apparaît essentielle. Les grandes décisions en matière de défense doivent être enracinées dans la Nation.
Répondant à M. Jean François-Poncet, président, qui l'interrogeait sur la possibilité d'interrompre certains programmes d'armement sans payer aux industriels des dédits trop importants, M. Jean-Claude Mallet a indiqué que ce point était en cours d'expertise sous l'autorité du ministre de la défense. Il a rappelé que les dépenses d'équipement se prolongeaient toujours au-delà de la période de programmation pour laquelle elles avaient été prévues. Le phénomène de hausse post-programmations était aggravé dans la période actuelle.
Une réflexion sur la complémentarité entre l'Europe de la Défense et l'OTAN est menée au sein de la Commission du Livre blanc. Certaines questions, comme les questions industrielles, sont en effet directement liées à la dynamique de la construction européenne. Sur le plan militaire, un équilibre reste à trouver entre les deux enceintes. C'est un des sujets qui pourrait faire l'objet de propositions sous présidence française. L'OTAN reste le lieu de concertation officielle et privilégié avec les Etats-Unis sur les questions de défense et il existe un consensus pour considérer l'Alliance atlantique comme un facteur essentiel de notre sécurité.
Mme Maryse Bergé-Lavigne, évoquant la nécessité d'une adhésion des citoyens aux opérations extérieures, a appelé à la vigilance sur le rôle joué dans ce domaine par les médias. Elle s'est interrogée sur la portée juridique d'un vote du Parlement sur les conclusions du Livre blanc et sur ses conséquences sur l'autonomie de décision du Président de la République. Elle a souhaité savoir si les parlements allemand et britannique interviendraient dans le processus actuellement mené par leurs exécutifs respectifs en matière de défense.
M. Robert Bret a rappelé que la revalorisation du rôle du Parlement en matière de défense figurait au nombre des engagements pris par le Président de la République lors de la campagne. Il a estimé qu'un débat et un vote devraient par conséquent intervenir sur le Livre blanc.
M. André Rouvière a souhaité savoir sous quelle forme les propositions de la Commission du Livre blanc intégraient les contraintes financières. Considérant que la suspension du service national avait conduit à la dilution du lien armée-Nation, il a jugé indispensable de développer une alternative où ce lien pourrait se forger. Il a enfin souhaité savoir si la notion de sécurité comprenait la sécurité civile.
M. Jean-Claude Mallet a apporté les éléments de réponse suivants :
- la Commission du Livre blanc travaille également sur les politiques de communication en matière de défense et de crise. Elle a procédé à l'audition publique de plusieurs journalistes et va poursuivre ses travaux en ce sens ;
- le Livre blanc élaboré en Allemagne en 2006 n'a pas été soumis à l'approbation du Parlement allemand. Préparé par l'administration, il a été simplement présenté au Bundestag. Au Royaume-Uni, les documents d'orientation de ce type font systématiquement l'objet d'un débat et d'un vote à la Chambre des Communes. Une demande générale de débat et de vote devant le Parlement français s'exprime et il en sera rendu compte au Président de la République ;
- la lettre de mission de la Commission du Livre blanc prévoit de maintenir l'effort de défense à hauteur de 2 % de la richesse nationale. La Commission étudiera plusieurs options permettant de respecter l'engagement du Président de la République et de ne pas placer le budget de la défense dans une situation financière impossible ou inadaptée par rapport aux défis qu'elle identifie. Il est vrai qu'en l'état actuel des prévisions et compte tenu de la situation des finances publiques, cet exercice peut paraître relever de la quadrature du cercle. Mais c'est bien pour proposer des choix que la commission a été mise en place par le Président de la République. Des économies devront être réalisées d'abord sur l'administratif et le soutien non directement opérationnel. Les réformes nécessitent un investissement et toute restructuration a un coût, qu'il faudra aussi prendre en compte ;
- la sécurité civile intéresse la sécurité nationale, notamment pour la prévention et la gestion des catastrophes, des crises sanitaires ou des attentats NRBC ;
- le rôle du Parlement est pris en considération par la Commission et par le groupe de travail chargé du lien armée-Nation, le président de la Commission jugeant cette dimension prioritaire. La contribution d'élus locaux et des parlementaires est tout à fait souhaitée.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam a souhaité que la réserve citoyenne puisse être développée, notamment à l'international, au service de la prévention et du développement du lien armée-Nation.
M. Robert del Picchia, faisant référence à l'audition par la Commission du Livre blanc de M. Bronislav Geremek, parlementaire européen et ancien ministre polonais, a sollicité l'appréciation de M. Jean-Claude Mallet sur la vision d'une Europe de la défense très forte, qui aurait pour alliés les Etats-Unis et l'OTAN.
M. Jean-Claude Mallet a apporté les précisions suivantes :
- compte tenu du type de risques identifiés sur le territoire national, le diagnostic sur la nécessité d'une mobilisation de la population est établi. La commission réfléchit aux instruments nécessaires à la rénovation du lien armée-Nation. S'agissant des nombreuses déclarations concernant la mise en place d'un service civique, la Commission s'attache à identifier les tâches qui pourraient relever d'un tel service, dans les domaines de la sécurité nationale. Il n'est pas souhaitable qu'un service, si le principe en était retenu, soit à la charge du ministère de la défense ;
- la réserve existe sur le plan opérationnel et elle est soumise à des contraintes très fortes ; la réserve citoyenne semble très dispersée, il faut vérifier son adaptation aux besoins identifiés ; c'est un sujet important que la commission doit également explorer ;
- la politique de communication fait partie du champ des préoccupations de la Commission, qui réfléchit, notamment, au rôle que pourrait jouer l'IHEDN ;
- de nouveaux instruments doivent être développés pour construire une culture du risque et de la sécurité au sein des populations. Tous ces éléments sont passés en revue par la commission ;
- au cours de son audition publique, M. Geremek s'est déclaré très favorable à une armée européenne. Il convient de trouver un équilibre entre notre exigence d'indépendance, l'affirmation de l'ambition européenne et une approche pragmatique à l'égard de l'Alliance atlantique, qui offre les standards communs en matière d'outil militaire. En aucun cas, notre liberté d'appréciation et de décision ne saurait être affectée ;
- l'exercice du Livre blanc devrait avoir un prolongement européen. Il se présente également comme une contribution française à l'actualisation de la stratégie européenne de défense et de sécurité souhaitée par le Président de la République et plusieurs de nos partenaires. La perspective est donc bien européenne.