Mardi 6 février 2007
- Présidence de M. Jean François-Poncet, vice-président.Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense
La commission a procédé à l'audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.
M. Jean François-Poncet, président, a précisé que l'audition du ministre de la défense porterait plus particulièrement sur deux thèmes : l'évolution actuelle de l'Alliance atlantique, notamment la démarche de « transformation » et la recherche d'une nouvelle vocation depuis la fin de la guerre froide ; les perspectives à moyen terme en matière d'équipement militaire au vu de l'évolution des besoins des armées et des adaptations à apporter à notre modèle d'armée.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a tout d'abord rappelé que l'OTAN est une réponse pertinente à l'évolution du contexte stratégique actuel, marqué par des enjeux de sécurité de plus en plus nombreux et complexes : terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, multiplication des crises régionales, accentuation des tensions liées aux enjeux énergétiques et à l'accès à l'eau et aux ressources naturelles, déstabilisations liées aux pressions migratoires, aux catastrophes naturelles et au pandémies. En matière de protection de nos intérêts de sécurité, il devient ainsi impossible de dissocier les dimensions intérieure et extérieure des situations localisées loin de nos frontières, pouvant se traduire par des menaces concrètes sur notre territoire. Il en résulte, pour notre défense, la nécessité d'une capacité d'action hors du territoire national dans le cadre d'opérations multinationales. Au niveau politique, l'Organisation des Nations unies constitue l'enceinte naturelle pour une approche globale de ce type de situations, mais seules des organisations spécialisées, comme l'OTAN ou l'Union européenne, répondent réellement aux critères d'efficacité requis, dès lors qu'une approche militaire globale est nécessaire.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a estimé que par l'ancienneté de son action dans le domaine de la sécurité et par sa composition, qui permet de bénéficier des capacités militaires des Etats-Unis, l'OTAN demeurait la garantie de protection ultime en cas d'attaque massive contre ses membres, tout en constituant également une réponse pertinente aux défis du contexte stratégique actuel, grâce à sa capacité d'action extérieure, quels que soient par ailleurs les progrès indéniables de la politique européenne de sécurité et de défense.
Elle a précisé que la France se situait aujourd'hui au 3e rang des contributeurs financiers et au 4e rang des contributeurs en troupes dans les opérations de l'OTAN, et qu'elle prenait une part active au processus de « transformation » lancé à partir de 1999 (réunion de Washington) et lors du sommet de Prague en 2002, qui vise à renforcer la capacité de projection et la réactivité de l'Alliance. Elle a estimé que sur ce point, l'OTAN connaissait encore des lacunes capacitaires, notamment en matière d'avions de transport et d'hélicoptères. Elle a considéré que l'effort de défense d'un trop grand nombre de pays européens restait insuffisant au regard des besoins identifiés tant dans le cadre de l'OTAN que dans celui de l'Union européenne, le Royaume-Uni, la France et la Grèce étant les seuls en Europe à consacrer plus de 2 % du PIB à leur défense. Elle a précisé que face aux difficultés rencontrées pour la génération de forces, les responsables de l'OTAN avaient tendance à préconiser l'acquisition par l'Alliance, en tant que telle, de certaines capacités et le recours accru au financement collectif des opérations. Elle s'est inquiétée d'une telle orientation qui reviendrait à priver les nations du contrôle d'une partie des moyens qu'elles affectent à la défense. Elle a en revanche estimé qu'il fallait privilégier la réalisation de programmes d'équipement européens, tels que l'avion de transport A400M, qui permettent à tous les Etats, y compris ceux disposant d'un budget de défense limité, d'acquérir des matériels et de mutualiser certains coûts de formation ou de soutien.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a ensuite abordé le débat sur la nature de l'Alliance atlantique et sur les principes politiques devant orienter son action. Elle a rappelé que pour la France, l'OTAN devait fondamentalement rester centrée sur sa fonction d'alliance militaire, de récentes expériences ayant en outre prouvé qu'elle n'était pas pleinement adaptée à une gamme de missions plus large, comme l'assistance humanitaire. Evoquant le souhait du secrétaire général de l'OTAN ou de certains pays, comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni, d'engager l'Alliance dans des missions de reconstruction, elle a estimé que cette dernière devait prioritairement se concentrer sur ses opérations actuelles, pour lesquelles elle se heurte déjà à une insuffisance de moyens. Elle a également estimé que l'OTAN ne devait pas se substituer à d'autres organisations, qui ont clairement des compétences dans le domaine civil, ni prétendre concurrencer l'ONU, alors qu'elle n'en a pas la légitimité. S'agissant d'un élargissement de l'Alliance à des pays situés hors de la zone euro-atlantique, comme l'Australie ou le Japon, elle a mis en garde contre les risques d'une organisation de sécurité qui s'érigerait en représentante du monde occidental et qui ne pourrait que susciter des réactions négatives de la part d'autres pays, notamment dans le monde arabo-musulman. Elle a en revanche considéré que la contribution de ces pays alliés à des opérations de l'OTAN était envisageable au cas par cas.
A propos des relations entre l'OTAN et l'Union européenne, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a rappelé la méfiance qui prévalait initialement au sein de l'Alliance, surtout de la part des Etats-Unis, à l'égard de la politique européenne de sécurité et de défense. Elle a estimé que cette situation était désormais dépassée, les crises étant malheureusement suffisamment nombreuses pour que toute idée de concurrence entre les deux organisations soit écartée. Elle a souligné que l'OTAN et l'Union européenne possédaient des caractéristiques différentes qui les rendent en réalité complémentaires et permettent de faire appel à l'une ou à l'autre selon le type de situation. Elle a ainsi considéré que l'OTAN était particulièrement adaptée aux opérations impliquant un haut niveau d'équipement et des déploiements de longue durée, car elle peut faire appel aux moyens américains et dispose de structures de commandement rodées aux rotations périodiques. L'Union européenne, grâce notamment aux groupements tactiques « 1 500 hommes », dispose d'une capacité de réaction très rapide lui permettant d'intervenir efficacement dans des régions qu'elle connaît bien, dans le cadre d'opérations conçues dès le départ pour des durées limitées, notamment pour des opérations visant à éviter l'extension des conflits.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a ensuite rappelé que l'OTAN comme l'Union européenne devaient pouvoir s'appuyer sur un effort de défense suffisant de la part de leurs Etats membres. Elle a souligné sur ce point que le redressement du budget d'équipement militaire français, au cours de l'actuelle loi de programmation militaire (LPM), avait considérablement renforcé la crédibilité de notre pays vis-à-vis de nos partenaires et avait joué un rôle clef pour le développement de la politique européenne de sécurité et de défense.
Elle a toutefois estimé que si la loi de programmation avait permis de rattraper certains retards dus à l'exécution de la précédente LPM, des besoins importants restaient toujours à satisfaire. Elle a notamment cité les moyens qui concourent à l'autonomie d'information et de communication, estimant qu'au-delà de la mise en service des satellites d'observation Helios II et de télécommunications Syracuse III, l'effort devrait être amplifié dans le domaine spatial, appelé à jouer un rôle clef dans les opérations futures. Citant les travaux du groupe d'orientation stratégique sur la politique spatiale de défense qu'elle avait mis en place, elle a estimé que le niveau du budget spatial militaire français, actuellement de l'ordre de 450 millions d'euros par an, mériterait d'être progressivement porté à 650 millions d'euros par an, ce qui permettrait, si d'autres pays européens amplifient également leur effort dans ce domaine, de doter l'Europe de capacités spatiales militaires réellement adaptées aux enjeux actuels. Elle a également considéré que les moyens de projection des forces devaient demeurer prioritaires, notamment l'avion de transport A400M, l'hélicoptère NH90 et les bâtiments de projection et de commandement, mais également les frégates européennes multi-missions et le 2e porte-avions, qui répond à une véritable nécessité opérationnelle pour assurer la permanence de notre capacité d'action autonome depuis la mer.
Evoquant de récents échos de presse qui mentionnaient une insuffisance de ressources pour mener à bien la réalisation du modèle d'armée 2015, elle a précisé que l'étude qu'elle avait demandée à l'Etat-major des armées visait à recenser, sans considération de coûts, l'ensemble des besoins qui pouvaient apparaître nécessaires ou utiles à l'horizon 2020. C'est l'addition de ces besoins, et non la réalisation du modèle 2015, qui représenterait un coût supérieur de 40 milliards d'euros au niveau actuel des ressources consacrées à l'équipement militaire. Ce chiffre ne tient pas compte des arbitrages qui interviendront nécessairement entre certains de ces programmes d'équipement, du fait de redondances entre les besoins militaires couverts, ni des négociations de prix conduites par la DGA, ni des enseignements tirés des opérations qui conduisent régulièrement à revoir certains besoins. Ainsi, dans le cadre de la loi de programmation militaire, un ajustement annuel est opéré. Il conduit à inclure des programmes qui n'étaient pas prévus par la programmation et, à l'inverse, à supprimer des opérations initialement envisagées par la loi. C'est ainsi qu'a été abandonné le développement de la version biplace du rafale pour la Marine, qu'a été retiré du service le système Sarigue et qu'il a été décidé de remplacer deux frégates anti-aériennes Horizon par deux frégates multi-missions.
A la suite de cet exposé, M. Jean François-Poncet a demandé des précisions sur la situation de la coopération avec les Britanniques sur le second porte-avions. Observant que la France participait activement aux évolutions en cours de l'OTAN et aux opérations, il s'est interrogé sur l'intérêt du maintien de notre position particulière, hors de la structure militaire intégrée. Enfin, il s'est demandé quelle place occupait réellement l'OTAN dans la stratégie de défense des Etats-Unis, au moment où ces derniers réduisent fortement leur présence militaire en Europe.
M. André Rouvière a interrogé la ministre sur les restrictions nationales assignées aux règles d'engagement des différents contingents participant aux opérations de l'OTAN et sur la volonté de certains Etats membres de promouvoir un financement commun des opérations, afin que ces dernières ne reposent pas intégralement sur les contributeurs en troupes. Il s'est montré sceptique sur la possibilité, pour l'OTAN, d'élargir sans limites ses différentes missions, ainsi que semble le souhaiter son actuel secrétaire général.
Mme Hélène Luc a considéré que, depuis la fin de la guerre froide, l'OTAN éprouvait des difficultés à définir sa véritable vocation et que ses relations avec l'Union européenne demeuraient problématiques, les Etats-Unis voyant toujours dans l'Alliance un moyen d'assurer leur prééminence. Elle a estimé que l'OTAN ne devait à aucun prix s'ériger en institution concurrente de l'ONU, cette dernière devant conserver la prééminence politique. Elle a indiqué que, selon elle, l'OTAN devait faire face à trois défis : le renforcement du lien transatlantique, la lutte contre le terrorisme et la prolifération et le partenariat avec la Méditerranée.
M. Robert Del Picchia a souhaité savoir si l'OTAN s'intéressait aux équipements spatiaux. Il a par ailleurs interrogé la ministre sur la nécessité de renforcer l'effort de recherche et de technologie dans le domaine spatial.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a apporté les éléments de réponse suivants :
- la coopération franco-britannique sur le futur porte-avions a permis de bien identifier les éléments potentiellement communs entre les projets des deux pays ; le fait que le programme britannique ait été ralenti par des discussions internes de nature financière et industrielle ne constitue pas un handicap pour cette coopération, les calendriers des deux nations s'étant au contraire rapprochés ;
- avec la « transformation » de l'OTAN, le rôle de la structure militaire intégrée tend à se réduire, l'incidence de la position particulière de la France étant de ce fait de moins en moins perceptible ; sur le plan politique, le statut singulier de notre pays au sein de l'Alliance lui permet en revanche de faire entendre sa voix et d'être écouté ;
- il n'est pas contestable que les Etats-Unis continuent de voir dans l'Alliance atlantique un important vecteur d'influence ; celle-ci leur permet également de partager avec d'autres pays le poids politique de certaines opérations, plus encore sans doute que leur charge matérielle ; il faut en revanche veiller à ce que l'implication de l'OTAN ne soit pas un moyen, pour les Américains, de se désengager de certains théâtres ;
- la France n'a édicté aucune restriction d'engagement à son contingent en Afghanistan ; elle a en revanche toujours souligné le caractère politiquement très sensible du secteur de Kaboul dont elle a la charge, puisque les pouvoirs publics afghans y siègent ; aussi a-t-elle toujours veillé à ne pas affaiblir son dispositif autour de la capitale ; en revanche, la France a accepté de fournir à plusieurs reprises une assistance ponctuelle pour des opérations situées dans d'autres régions du pays ;
- selon le principe en vigueur au sein de l'Alliance, chaque pays assume les coûts de sa participation aux opérations ; il est vrai que certains pays appuient le lancement de certaines opérations sans y apporter par la suite de contribution en troupes ou en matériels ; le recours accru aux financements communs affaiblirait cependant la responsabilité des nations ; celle-ci doit continuer à prévaloir, de même que le principe de décision à l'unanimité ;
- l'OTAN ne doit pas abandonner le critère géographique qui fonde sa composition au profit de critères se référant plus largement à des valeurs communes, ce qui la transformerait en un bloc de nations occidentales et accentuerait les clivages avec un certain nombre de civilisations ;
- en s'engageant en Afghanistan, l'OTAN a rendu dépassé le débat sur les interventions hors de la zone euro-atlantique ; il apparaît aujourd'hui clairement que la sécurité des pays de l'Alliance passe aussi par des opérations hors zone ;
- la complémentarité entre l'OTAN et la politique européenne de sécurité et de défense est aujourd'hui très largement admise ; la mise en oeuvre concrète, dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, des accords « Berlin plus » prévoyant l'accès à des moyens de l'OTAN pour des opérations de l'Union européenne, a joué un rôle très positif à cet égard. En matière de coopération européenne, elle a cité les coopérations renforcées 5 + 5 avec le Maghreb, 8 + 6 avec les pays du Golfe ou encore les actions pour la force de gendarmerie européenne ;
- l'OTAN bénéficie, dans ses opérations, de l'accès aux moyens spatiaux américains ; elle a en revanche certaines difficultés à mettre au point son propre programme de surveillance AGS (Air Ground Surveillance) ; seule, la possession en propre de moyens spatiaux permettra cependant aux Européens de bénéficier d'une réelle autonomie d'appréciation ;
- les crédits de recherche et de technologie ont été fortement réévalués au cours de la loi de programmation militaire, notamment dans le domaine spatial ; le crédits d'études-amont sont désormais sanctuarisés et ne peuvent être redéployés au profit des programmes d'équipement ; il est indispensable de poursuivre cet effort ; le ministère de la défense souhaite jouer en la matière un rôle fédérateur en suscitant, autour des financements qu'il dégage, des participations des industriels et des autres pays européens ; l'Agence européenne de défense aura également un rôle majeur à jouer en ce sens.
M. Jean-Louis Carrère a regretté que la compression des coûts des industries d'armement, pour légitime qu'elle soit, ait des retombées négatives pour le tissu industriel des régions concentrant ces industries, comme l'Aquitaine. Il s'est dit surpris de la différence de volontarisme manifesté par la ministre à l'égard de l'OTAN et de l'Union européenne. Il a enfin souhaité connaître le sentiment de Mme Michèle Alliot-Marie sur le contenu optimal de la prochaine loi de programmation militaire.
M. Robert Bret s'est interrogé sur le rôle assigné au Parlement français dans la transformation actuelle de l'OTAN, à laquelle la France contribue activement, notamment sur le plan financier. Il a déploré que cette transformation, marquée par le récent élargissement de l'Organisation de 19 à 26 membres, n'ait été accompagnée d'aucun débat parlementaire sur son contenu et ses objectifs. Evoquant ensuite la situation en Afghanistan, il s'est inquiété de sa dégradation au profit des Talibans, et a exprimé la crainte que cela n'entraîne les troupes françaises à se trouver, de façon croissante, sous la coupe américaine.
M. André Vantomme a souligné le rôle important que l'armée française assurait au profit des missions de défense civile, et s'est interrogé sur sa pérennité de ce rôle dans un contexte budgétaire contraint.
En réponse, Mme Michèle Alliot-Marie a apporté les précisions suivantes :
- les efforts accomplis, pour que les industries d'armement proposent des coûts « justes », découlent de la nécessité d'une utilisation optimale des deniers publics. Il faut d'ailleurs relever que les industries de ce domaine sont prospères, y compris Nexter, l'ancienne GIAT, qui a été utilement restructurée. Ces entreprises ont besoin d'une visibilité que leur apporte la loi de programmation militaire, pour peu qu'elle soit respectée. La tendance naturelle des armées et des industries à une sophistication toujours accrue des équipements doit être modérée, au vu des besoins exprimés par les troupes présentes sur le terrain, qui réclament avant tout des matériels endurants et d'un entretien facile ;
- la défense européenne a beaucoup avancé ces cinq dernières années. L'impulsion française a été déterminante pour le développement de ses structures et de ses capacités ;
- le premier devoir d'une nation est de protéger son territoire et sa population ; aussi bien l'objectif de 2 % du PIB consacré à l'effort de défense semble-t-il un niveau raisonnable pour les pays membres de l'Union européenne. Cependant, seuls la France, le Royaume-Uni et la Grèce réalisent actuellement cet objectif ;
- la disponibilité du ministère de la défense pour fournir aux parlementaires toutes les informations souhaitées a été totale, sous réserve naturellement des nécessités de la sécurité nationale. Les décisions, en revanche, relèvent du seul Président de la République, chef des armées ;
- la vision multipolaire du monde, défendue par la France, est cohérente avec l'émergence d'une Europe de la défense, qui constitue d'ailleurs un des pôles. La tendance américaine à l'unilatéralisme, apparue après 1989, se heurte aux réalités géopolitiques ; le président Bush a, de façon éloquente, récemment évoqué un monde animé par des « pôles multiples » ;
- la situation sur le terrain afghan est moins dramatique que ne le relatent les moyens d'information occidentaux. Il est cependant indéniable que la coalition se heurte à une triple hostilité venant des trafiquants de drogue, des talibans et des populations locales, déçues de ne bénéficier d'aucune amélioration dans leur vie quotidienne ;
- la France a effectivement décidé le retrait de ses forces spéciales d'Afghanistan ; ce retrait s'est fait au profit d'un soutien accru à la formation de l'armée afghane. De même, au Liban, la France participe à la FINUL renforcée, et contribue simultanément à un renforcement de l'armée nationale ;
- le continent africain est, certes, affecté par de nombreuses crises, mais notre pays ne doit pas y remplir le rôle de gendarme. On constate en effet, parallèlement à la mondialisation, une résurgence des fiertés nationales qui pousse les peuples à manifester une réserve croissante à l'égard des interventions occidentales, surtout lorsqu'elles ne découlent pas de décisions de l'ONU ;
- les armées sont, avant tout, vouées au combat, mais les caractéristiques propres à l'armée française la conduisent parfois à accompagner ses missions offensives d'aide ponctuelle aux populations locales. Ainsi, les forces présentes à Douchanbé ont-elles contribué à la réfection d'un orphelinat. Le ministère de la défense ne saurait néanmoins se substituer au ministère des affaires étrangères pour mener l'ensemble des actions réclamées par les sorties de crise. Sur le territoire national, seules les armées disposent de la réactivité et de la disponibilité nécessaires en cas de catastrophes majeures, comme de graves inondations, des feux de forêt d'ampleur, ou des pollutions maritimes. Cependant, une armée professionnelle ne doit intervenir que lorsque des éléments vitaux de la nation sont en jeu.
A la suite de cette intervention, M. Jean François-Poncet, président, a indiqué que la commission avait décidé de répondre positivement à l'invitation de la ministre de la défense, faite en dernier lieu lors du débat budgétaire, à participer aux réunions trimestrielles de suivi et de contrôle du budget de son ministère.
M. André Dulait a rappelé l'intérêt de cette participation aux côtés de l'Assemblée nationale.
Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé qu'elle avait pris cette initiative, il y a quatre ans, dans un souci de transparence et de coopération avec les assemblées parlementaires. Elle s'est réjouie de la participation du Sénat aux futures réunions.
La commission a ensuite désigné comme membres de la délégation à ces réunions les rapporteurs budgétaires : MM. André Dulait, Philippe Nogrix, André Boyer, Xavier Pintat, Didier Boulaud et Jean Faure.
Mercredi 7 février 2007
- Présidence de M. Jean François-Poncet, vice-président.Traités et conventions - Accord France-Corée du Sud de sécurité sociale - Examen du rapport
Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Gérard Roujas sur le projet de loi n° 143 (2006-2007), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord de sécurité sociale entre le gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Corée.
M. Gérard Roujas, rapporteur, a rappelé que la France était liée à une trentaine de pays par des accords bilatéraux de sécurité sociale ayant pour objet de faciliter le règlement des questions de protection sociale en cas d'expatriation temporaire ou de plus longue durée, des règlements européens s'appliquant par ailleurs dans l'Union européenne, ainsi que pour la Suisse, la Norvège, le Liechtenstein et l'Islande.
Il a précisé que la négociation d'un accord de sécurité sociale avec la Corée avait été engagée dès 1996, à l'initiative de la partie coréenne, qui souhaitait faciliter les démarches des entreprises coréennes s'implantant en France et y envoyant des cadres coréens. Cette négociation n'a abouti qu'à la fin de l'année 2004, après que les points de vue des deux parties fussent rapprochés, pour aboutir à un accord proche de ceux déjà conclus par la France avec d'autres pays.
M. Gérard Roujas, rapporteur, a ensuite présenté les principales stipulations de l'accord.
Celui-ci pose le principe selon lequel les personnes qui travaillent sur le territoire de l'un des deux Etats sont soumises uniquement à la législation de cet Etat, quel que soit le siège de l'entreprise qui les emploie. Toutefois, ce principe connaît plusieurs dérogations, notamment pour les personnels diplomatiques et les personnels bénéficiant du statut de détachement.
Le statut de salarié détaché sera réservée aux salariés envoyés dans l'autre pays pour une mission n'excédant pas 36 mois, avec une possibilité de renouvellement pour une nouvelle période, elle aussi limitée à 36 mois. Les salariés coréens détachés ne pourront continuer à relever de l'assurance maladie coréenne pendant la durée du détachement et devront obligatoirement être couverts par une assurance garantissant la prise en charge de l'ensemble des frais médicaux, y compris des frais d'hospitalisation, pendant toute la durée de leur séjour en France. Cette assurance sera à la charge, soit de leur employeur coréen, soit de l'entreprise qui les accueille en France.
S'agissant des expatriés français en Corée, leur adhésion au régime d'assurance maladie public coréen, moins favorable que le régime français, restera facultative. S'ils le souhaitent, ils pourront opter pour une assurance volontaire, par exemple auprès de la Caisse des Français de l'étranger.
L'accord comporte enfin des clauses classiques sur la totalisation des périodes d'assurance passées dans les deux pays pour le calcul des droits, ou encore sur le libre transfert des prestations sociales.
En conclusion, M. Gérard Roujas, rapporteur, a observé qu'en dehors des Philippines, la France n'était liée par aucun accord de sécurité sociale avec des pays de la zone Asie. L'accord signé avec la Corée en 2004, comme l'accord similaire signé avec le Japon en février 2005, présentent une grande utilité pour accompagner les échanges économiques avec ces pays, notamment les investissements qui nécessitent souvent l'expatriation de cadres ou de techniciens. La France est le 7e investisseur en Corée et cette dernière est également un investisseur important au sein de l'Union européenne, la France arrivant cependant derrière les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou l'Allemagne en termes d'investissements coréens.
M. Gérard Roujas, rapporteur, a estimé que l'existence d'un accord de sécurité sociale pourrait faciliter les investissements coréens en France quand ils impliquent une expatriation de personnels. Aussi bien a-t-il recommandé l'adoption du projet de loi.
La commission a alors adopté le projet de loi et proposé qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.
Nominations de rapporteurs
La commission a nommé rapporteurs :
- M. André Rouvière sur le projet de loi n° 178 (2006-2007) autorisant la ratification du protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme ;
- Mme Paulette Brisepierre sur le projet de loi n° 201 (2006-2007) autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et le Royaume du Maroc, d'autre part.
Audition de M. Roger Auque, journaliste, correspondant de TF1 et de LCI au Liban
La commission a procédé à l'audition de M. Roger Auque, journaliste, correspondant de TF1 et de LCI au Liban.
Accueillant M. Roger Auque, M. Jean François-Poncet, président, a évoqué les différentes étapes de sa carrière. Il a rappelé qu'il avait été correspondant permanent à Beyrouth à partir de 1982 et qu'il avait été détenu comme otage par le Hezbollah pendant un an. M. Roger Auque a ensuite couvert la première guerre du Golfe puis a été, entre 2003 et 2006, correspondant permanent à Bagdad, puis à Beyrouth à partir de juin 2006, où il a couvert, à ce titre, la guerre de l'été 2006.
M. Jean François-Poncet, président, a précisé que l'audition porterait plus particulièrement sur les thèmes suivants : la situation intérieure du Liban et son interaction avec les Etats de la région, notamment la Syrie et l'Iran, le conflit israélo-palestinien et son caractère central pour les crises de la région, l'Irak et la capacité des Américains à gagner la bataille de Bagdad, alors que la situation intérieure irakienne fait l'objet d'appréciations contradictoires, ainsi que sur l'ascension de l'Iran dans la région et sur l'hypothèse d'un conflit entre sunnites et chiites.
M. Roger Auque a tout d'abord procédé à un rappel des faits historiques ayant marqué la région depuis 30 ans, soulignant que les facteurs de crise actuels au Proche-Orient étaient en place depuis cette période. Il a ainsi rappelé que le Liban comptait 10 000 km2 et 4 millions d'habitants répartis en quelque 17 confessions religieuses différentes, et qu'en application du confessionnalisme et du principe de représentation des différentes communautés, le Parlement comptait un nombre égal de parlementaires chrétiens et musulmans, ce qui n'était pas sans soulever un problème de représentativité et impliquait injustices et clientélisme. Il a cependant insisté sur les implications positives de ce système politique pour reconstruire l'unité du pays après les nombreux conflits qu'il a connus. Il a souligné qu'il faisait aujourd'hui l'objet d'une contestation de la part du Hezbollah et du mouvement emmené par le général Michel Aoun. Le parti au pouvoir, soutenu par la communauté internationale, privilégiant, quant à lui, les réformes économiques plutôt que des réformes politiques. Des blocages interlibanais, mais aussi des blocages extérieurs au pays, venaient compliquer cette situation et rendaient difficiles les réformes.
M. Roger Auque a indiqué que, lors de son premier contact avec le Liban, en 1976, il avait déjà pu observer des facteurs de crise encore pertinents aujourd'hui : des affrontements à caractère confessionnel, une fracture liée à la pauvreté et aux conditions économiques, en plus de l'action déstabilisatrice des Palestiniens.
Il a rappelé qu'à partir de 1982, le conflit avait pris une autre dimension avec l'intervention syrienne, puis l'invasion israélienne. A compter de cette date, le destin du Liban avait échappé aux Libanais et le conflit s'était mué en un affrontement entre la Syrie, soutenue par l'URSS, et Israël, soutenu par les Etats-Unis. Evoquant les attentats meurtriers dont avaient été victimes les parachutistes français, les marines américains ainsi que l'assassinat de l'ambassadeur de France à Beyrouth et les prises d'otages, il a rappelé que l'auteur en était le Hezbollah et que l'arrivée des pasdarans iraniens sur le sol libanais avait bénéficié de la complaisance syrienne. Il a souligné qu'en 1983, l'influence de l'Iran dans le pays était déjà considérable et que c'est au demeurant avec ce pays qu'avait dû être négociée la libération des otages.
Il a considéré qu'entre 1982 et 1990, les Libanais avaient souffert d'un affrontement opposant l'Iran et la Syrie à l'Occident et à Israël. Il a indiqué que si les accords de Taëf avaient mis fin au conflit en 1989, les déterminants du conflit étaient restés en place, en dépit du départ des mouvements palestiniens. Il a estimé que les Libanais manifestaient une propension fâcheuse à solliciter l'intervention de puissances étrangères dans leurs luttes politiques internes, sans parvenir à s'affronter pacifiquement sur le terrain politique. Il a indiqué que la cause de la guerre de l'été 2006 se trouvait dans le fait que le gouvernement libanais avait laissé le Hezbollah devenir la seule véritable force armée du pays et passer du statut d'organisation terroriste à celui de force politique ayant conquis ses galons de résistance patriotique et devenue incontournable sur l'échiquier politique. La popularité du Hezbollah, dont les dirigeants n'appartiennent pas aux grandes familles ayant occupé le pouvoir dans le pays, tenait à son image de résistance et à son image d'intégrité. Mais ce parti est aussi un mouvement terroriste, bras armé de l'Iran.
M. Roger Auque a fait état d'informations disponibles trois mois avant la guerre de l'été 2006, selon lesquelles le Hezbollah se préparait à ouvrir un front contre Israël à la demande de l'Iran. Tant l'enlèvement des soldats israéliens que l'ampleur de la riposte israélienne avaient été prévus et devancés. Il a considéré que l'explication de l'ouverture de ce front devait être recherchée dans la situation en Irak.
Evoquant l'intervention américaine en Irak, M. Roger Auque a rappelé qu'il y avait été favorable, considérant que les Etats-Unis étaient intervenus pour de bonnes raisons, comme le renversement d'une dictature, le changement politique au Moyen-Orient vers plus de démocratie et le contrôle des approvisionnements pétroliers. Cependant, les motivations qu'ils avaient invoquées n'étaient pas honnêtes et, par conséquent, il était compréhensible que la France s'y soit opposée. Il a souligné le sentiment de libération ressenti par les journalistes lors de la chute de Bagdad, rappelant que dans un premier temps, l'intervention américaine avait été positive en mettant fin à la dictature, en permettant notamment la floraison de journaux et de radios libres et en ouvrant un processus démocratique. Il a estimé que ce processus démocratique avait paradoxalement ouvert la porte à l'Iran en Irak, en permettant l'élection de chiites radicaux formés dans ce pays.
Cette action positive ne masque pas un certain nombre d'erreurs commises par les Américains, notamment une « débaassification » excessive, qui a fait table rase des cadres du régime, et le renvoi de l'armée. Les Etats-Unis ont fait preuve de naïveté en ignorant la mentalité tribale irakienne et en sous-estimant la guérilla irakienne qui est très vite passée d'une opposition nationaliste à une guerre de l'islam radical. Il a considéré que l'attentat d'août 2003 contre le siège de l'ONU à Bagdad avait marqué un tournant de la guerilla vers un terrorisme aveugle qui dépasse le strict cadre irakien. Les Etats-Unis ont réagi par un changement de méthode et se sont « bunkérisés », renvoyant les tâches de sécurité sur le terrain à une armée irakienne insuffisamment préparée. M. Roger Auque a considéré que cette guerre dépassait désormais complètement les Américains, qui ne maîtrisaient plus la situation, et qu'il existait un risque sérieux de partition de l'Irak, les chiites d'Iran et d'Irak étant en position de jouer un rôle central.
Evoquant le risque nucléaire iranien, M. Roger Auque a fait part de son sentiment selon lequel des frappes sur l'Iran seraient inéluctables et peut-être proches, avant le départ de M. Tony Blair, pour bénéficier de sa neutralité. Le renforcement de 20 000 hommes des forces américaines et la présence d'un second groupe aéronaval dans le Golfe renforçaient cette impression d'imminence. Ce type d'intervention déclencherait des représailles en Irak et au Liban dans un contexte de vive tension. A Beyrouth, les affrontements des 23 et 25 janvier ont très vite dégénéré en combats de rue. Il a souligné que les Libanais avaient de nouveau le sentiment que leur destin leur échappait et dépendait d'une confrontation entre les Etats-Unis et l'Iran. Dans cet affrontement, Israël s'efforçait d'obtenir une certaine neutralité de la Syrie en évoquant la reprise de pourparlers. Il a évoqué le rôle important de l'Arabie saoudite, qui, à la demande des Etats-Unis, est en contact avec l'Iran, pour éviter la guerre au Liban.
Il a considéré en conclusion que la France avait un rôle très important à jouer dans la région, où son image et son influence sont très importantes. Il a appelé les autorités françaises à jouer un rôle plus actif. Il a indiqué que la Syrie souhaitait se voir réintégrée dans la négociation et qu'une certaine incompréhension de la position, jugée émotionnelle, de la France, s'exprimait.
A l'issue de cet exposé, un débat s'est instauré au sein de la commission.
M. Jean François-Poncet, président, a souhaité connaître le sentiment de M. Roger Auque sur la stratégie suivie par le général Aoun. Il a exprimé des doutes sur l'échec, prédit par M. Auque, d'une offensive américaine pour reprendre le contrôle de Bagdad, alors que les forces américaines en présence vont prochainement être renforcées par quelque 25 000 hommes. Il s'est enfin interrogé sur la stratégie des Américains en cas d'attaque de l'Iran : viseraient-ils une simple destruction des sites nucléaires, ou un renversement du régime en place ?
Mme Hélène Luc a souhaité savoir pourquoi le gouvernement libanais avait laissé le Hezbollah s'armer au point de devenir une menace pour le pays ; elle s'est également interrogée sur le rôle de la FINUL renforcée, sur le bilan du commandement du général français Pellegrini à sa tête, sur la contradiction entre le statut de grande puissance régionale de l'Iran et le calendrier précipité que l'ONU voulait lui appliquer pour l'empêcher d'acquérir l'arme nucléaire, alors même que ce pays ne pourrait en disposer, pour des raisons techniques, avant 2 ans. Elle s'est référée aux récentes déclarations de M. Mohamed Elbaradeï, directeur général de l'AIEA, reconnaissant un rôle éminent à la France dans une nécessaire négociation avec ce pays, et estimant qu'il ne disposerait d'une bombe nucléaire opérationnelle que dans un délai minimal de deux ans. Elle s'est enfin étonnée de ce que M. Auque porte une appréciation positive sur l'intervention américaine en Irak, au vu de la situation qui prévaut aujourd'hui dans ce pays.
En réponse, M. Roger Auque a apporté les éléments suivants :
- la personnalité du général Michel Aoun est contrastée : à son actif, il faut mettre son patriotisme et son honnêteté, qui donnent de la valeur à ses dénonciations de la corruption entachant la classe politique libanaise. Cette dénonciation est similaire à celle exprimée par Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah. Cependant, sa très forte ambition politique l'a conduit à une alliance avec le Hezbollah, sur la foi de l'engagement écrit de M. Nasrallah de s'engager dans la construction d'un Etat laïc. Dans cette perspective, il a sans doute reçu un soutien financier de ce mouvement. En dépit de l'ingratitude qu'il manifeste envers la France, qui lui a permis, dans les années 1980, de quitter son pays où il était menacé de mort, puis qui l'a accueilli et protégé, il serait réducteur de le considérer comme pro-syrien ;
- les forces américaines peuvent matériellement neutraliser Bagdad et en éliminer les forces rebelles. Mais cette victoire militaire ne débouchera sur aucun acquis durable, car la situation irakienne réclame une solution politique ;
- les appareils américains basés sur les deux porte-avions qui croisent actuellement dans le détroit d'Ormuz peuvent procéder à des frappes ciblées en Iran, mais les conséquences politiques en seraient considérables et inquiétantes ;
- l'intervention américaine en Irak, quelles qu'aient été ses erreurs et ses imperfections, a eu cependant le mérite d'éveiller toute une génération à des valeurs démocratiques, qu'elle a pu exprimer par ses bulletins de vote. Par ailleurs, le contrôle exercé par les forces américaines sur les gisements de pétrole irakien ont contribué à stabiliser les prix du brut, en dépit du fait qu'environ un tiers de la production irakienne est détourné par la contrebande ;
- la FINUL renforcée exerce une dissuasion très efficace, tant envers les Israéliens qu'envers le Hezbollah. Les troupes françaises, en particulier, dont le contingent est le deuxième en nombre, sont basées au plus proche de la frontière libano-israélienne, où elles ont mis un terme aux infiltrations israéliennes, ainsi qu'aux intimidations du Hezbollah. Leur attitude résolue a été appuyée par de fréquentes patrouilles exercées le long de la frontière dans des chars Leclerc. Cette interposition est indispensable, face aux manoeuvres d'intimidation terrestres et aériennes de l'armée israélienne et aux menaces du Hezbollah. On estime que ce mouvement a sauvegardé environ la moitié de ses moyens militaires, malgré l'offensive israélienne de cet été. Cet arsenal est renforcé par de nombreux armements, expédiés de Syrie, et actuellement stockés au Nord du fleuve Litani, hors de la zone contrôlée par la FINUL ; il s'est inquiété de la résurgence du risque d'attentat contre les troupes de la FINUL en cas de frappes en Iran, auxquelles répondrait l'ouverture d'un second front au Liban ;
- le bilan de l'action menée à la tête de la FINUL par le général Pellegrini est donc considéré comme très positif.
M. André Dulait a exprimé son scepticisme face à la perspective évoquée d'un partage de l'Irak entre Kurdes, Chiites et Sunnites. Il a notamment rappelé que ni la Turquie, ni l'Iran ne tolèreraient un Kurdistan indépendant.
M. Robert Del Picchia s'est inquiété de la situation politique actuelle prévalant au Liban : le président Emile Lahoud accuse, en effet, le Premier ministre, Fouad Siniora, de violer la Constitution, en acceptant la constitution d'un tribunal international chargé de juger les assassins de Rafik Harriri. Il s'est interrogé sur les décisions à attendre de l'initiative prise par le roi Abdallah d'Arabie Saoudite de réunir aujourd'hui à La Mecque le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechal, et le président palestinien, Mahmoud Abbas, ainsi que sur la rencontre entre ce dernier, le Premier ministre israélien et la secrétaire d'Etat américaine, le 19 février prochain. Il a relevé que les déclarations récentes du premier ministre français, M. Dominique de Villepin, exhortant les Etats-Unis à retirer les troupes d'Irak, à l'horizon 2008, pouvaient relancer l'initiative diplomatique de la France.
M. Robert Bret a souligné que la complexité de la région proche orientale réclamait des jugements nuancés. Il s'est donc interrogé sur les modalités d'une reconnaissance internationale du rôle qu'y jouait l'Iran, de nature à atténuer son actuelle capacité de nuisance ; il a également fait état des clivages politiques et sociaux qui traversaient le peuple iranien et a estimé qu'une offensive américaine contre l'Iran conduirait à la politique du pire, d'autant qu'elle serait nécessairement menée hors de tout mandat de l'ONU. De graves répercussions politiques seraient alors à craindre. Il convient donc de redonner toute sa place à la diplomatie, au détriment des actions armées.
M. Jean-Pierre Fourcade a souhaité savoir quel rôle l'Union européenne jouait dans cette région. Il a par ailleurs fait valoir qu'il ne convenait pas de sous-estimer les réactions de l'Iran à d'éventuelles frappes américaines. Téhéran pourrait être alors soutenu par la Chine, plus que par la Russie, car Moscou bénéficierait alors de la forte hausse des prix du pétrole qui découlerait des affrontements.
M. Charles Pasqua a rappelé que toute politique étrangère repose sur des réalités et des rapports de force, et que les puissances se déterminent en regard de leurs intérêts. Ainsi, la population iranienne ne manquera pas de manifester son grand patriotisme en soutenant ses autorités politiques en cas de frappes américaines. Cependant, il faut relever que de telles frappes sont fortement réclamées par Israël. Il a ajouté que la France avait eu à subir, dans un passé récent, les terrorismes d'Etat syrien et iranien ; des négociations n'avaient pu utilement s'ouvrir avec ces pays que lorsque la France s'était dotée de moyens de rétorsion adéquats, avec notamment le « siège » de l'ambassade d'Iran à Paris. Il a estimé que les Iraniens disposaient de capacités d'analyse réalistes de la situation de leur pays, et que leur priorité était de ne pas perdre la face dans le cadre de négociations sur leurs capacités nucléaires. Il a jugé qu'à cet égard la situation actuelle était dangereuse et qu'une éventuelle médiation française ne pouvait qu'être opportune. Dans le cas où une intervention militaire américaine viserait l'Iran, il s'est interrogé sur la nature des buts de ces frappes, selon qu'elles viseraient à détruire les capacités nucléaires iraniennes ou à renverser le régime en place.
En réponse, M. Roger Auque a apporté les précisions suivantes :
- la ville de Bagdad est actuellement aux mains des Chiites, uniquement grâce à la protection des troupes américaines. Le retrait de ces troupes conduirait au retour des clivages entres quartiers chiites et sunnites. La constitution irakienne organise un Etat fédéral qui permettra aux Kurdes de constituer un Etat autonome, mais non indépendant ;
- sous l'égide de l'Arabie Saoudite, des négociations sont en cours entre les responsables libanais pour la constitution d'un gouvernement d'union nationale, en échange d'une modification des statuts du Tribunal international. Ces modifications visent à n'impliquer que les seuls officiers libanais déjà emprisonnés pour leur rôle présumé dans l'assassinat de Rafik Hariri et garantirait à la Syrie qu'aucun de ses ressortissants ne serait impliqué ;
- la Syrie exerce une forte pression sur Khaled Méchal, réfugié sur son sol, en faveur d'un apaisement inter-palestinien. Cet objectif sera facilité par l'argent que l'Arabie Saoudite est disposée à consentir au Fatah. Il faut cependant être conscient que tant le Hamas, d'obédience sunnite, que le Hezbollah, chiite, sont fortement unis par la haine d'Israël, dont l'Occident minimise la diffusion au sein du monde arabe ; cet élément pèse sur toutes les négociations en cours ;
- seule, la France est en mesure d'utiliser les semaines à venir pour entreprendre une médiation entre l'Iran et le reste du monde, qui ménagerait l'extrême susceptibilité de Téhéran ;
- l'Iran et la Syrie ont effectivement pratiqué dans les années 1980, tant à Paris qu'à Beyrouth, le terrorisme d'Etat, et disposent d'un réel pouvoir de nuisance qu'il serait vain de nier. Cet arrière-plan pèse sur toutes les négociations projetées avec ces deux pays. Il est indéniable que la société iranienne n'est pas un tout homogène, mais un dialogue ne peut être entrepris que si des interlocuteurs de ce pays font montre d'une réelle volonté d'ouverture ;
- un profond clivage divise les pays membres de l'Union européenne, entre le Royaume-Uni, traditionnellement fidèle à la vision américaine, et les pays du Sud de l'Europe, comme l'Espagne, l'Italie ou la Grèce, volontiers pro-arabes et anti-américains. Notre pays jouit d'une position intermédiaire, qui en fait l'agent propice à une initiative diplomatique envers l'Iran ;
- une éventuelle intervention américaine en Iran permettrait sans doute, du fait de la précision des missiles employés, d'altérer sensiblement la capacité nucléaire de Téhéran. Mais l'ensemble de la région en serait politiquement déstabilisé, avec des risques de représailles iraniennes envers les différents Etats du Golfe persique. Les forces américaines basées au Koweit se trouveraient alors dans l'obligation de procéder à une intervention terrestre, qui serait inévitablement sanglante. De façon générale, toute intrusion militaire dans cette région très instable et surarmée est vouée à produire des conséquences en chaîne non maîtrisées.
Audition de M. Jean-Michel Severino, directeur général de l'Agence française de développement
Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Jean-Michel Severino, directeur général de l'Agence française de développement.
M. Jean François-Poncet, président, a indiqué que l'audition porterait sur trois thèmes :
- l'Agence française de développement, ses résultats, ses orientations stratégiques et sa place dans le dispositif institutionnel français ;
- les termes du débat international sur le développement, notamment le bilan des objectifs du Millénaire pour le développement, et les relations entre migrations et développement ;
- ainsi que sur le rapport du panel de haut niveau sur la réforme du système opérationnel des Nations unies, auquel M. Severino a appartenu, et sur le devenir de ses propositions.
M. Jean-Michel Severino a indiqué que l'Agence française de développement (AFD) était un établissement hybride, que l'on peut qualifier de prestataire de services sur les sujets nord-sud dans la globalisation. Elle déploie une gamme d'activités très diverses. Cet établissement financier, dont le bilan s'élève à 17 milliards d'euros, a produit un flux financier de 3 milliards d'euros pour l'année 2006. Le groupe emploie 1 600 salariés, 2 500, si l'on ajoute les filiales d'outre-mer, qui représentent environ un cinquième de l'activité.
Il a rappelé qu'en 2004 le gouvernement avait décidé de poursuivre le transfert à l'Agence des activités du ministère des affaires étrangères dans le domaine du développement économique et social. En 2005, le gouvernement a souhaité ajouter aux activités de l'Agence la question des biens publics mondiaux et lui a donné mandat dans les pays émergents sur les thèmes du réchauffement climatique, de la biodiversité et des grandes endémies. L'Agence a donc connu un profond changement à la fois dans son mandat et dans son volume d'activités, qui représentait 1,5 milliard d'euros en 2001 et 3 milliards d'euros en 2006. En dépit de l'élargissement géographique de son mandat, l'AFD reste une institution très africaine, le volume de son activité en Afrique sub-saharienne étant passé de 350 millions d'euros en 2001 à 1,2 milliard d'euros en 2006.
M. Jean-Michel Severino a ensuite évoqué les grandes lignes du projet d'orientation stratégique pour les années 2007-2013, adopté récemment par le conseil d'administration à la suite des décisions prises en décembre 2006 par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). Il a relevé quatre points.
Les mandats de l'Agence ont tout d'abord été définis selon les trois axes que sont la contribution à la croissance économique dans les pays les plus pauvres, la réduction des inégalités dans l'accès aux services sociaux de base, les biens publics mondiaux (la lutte contre le réchauffement climatique, les atteintes à la biodiversité et les grandes endémies). Ces mandats ont été assortis d'indicateurs de performance.
Le champ géographique d'intervention de l'AFD a ensuite été étendu, l'Agence ayant reçu un mandat complet sur l'ensemble de l'Afrique sub-saharienne, ainsi que sur l'ensemble des Etats de la Méditerranée, à l'exception de la Libye. L'Agence a également reçu mandat pour intervenir dans certains pays émergents (Inde, Pakistan, Indonésie, Brésil) dans le secteur des biens publics mondiaux. L'indicateur de performance, associé à ce dernier mandat, est la réduction des émissions de carbone.
L'identification des institutions partenaires et des instruments constitue le troisième axe. Le plan stratégique identifie un principe « d'universalité instrumentale », qui consiste à affronter les problèmes des pays destinataires et à rechercher le ou les instruments d'intervention les plus adéquats. L'application de ce principe a des conséquences concrètes sur l'identité des acteurs du développement que l'AFD retient comme partenaire. Les collectivités territoriales constituent ainsi un acteur émergent dans le monde du développement, dans un contexte de décentralisation quasi universel qui les dote de compétences dans les domaines de l'eau, du transport, de l'éducation primaire ou encore de la santé de base. Ce mouvement a conduit l'Agence à porter un regard neuf sur les collectivités territoriales françaises et la coopération décentralisée. Les organisations non gouvernementales constituent un partenaire important, tandis que les entreprises peuvent être les vecteurs de biens publics par le bon usage de la concessionnalité.
Enfin, le dernier axe développé par le plan d'orientation stratégique est relatif à la production intellectuelle de l'Agence. La France avait un retard dans ce domaine et reste en décalage par rapport à l'ampleur de l'action qu'elle mène sur le terrain. L'Agence finance et accompagne la recherche sur le développement avec l'objectif de peser dans les débats internationaux.
M. Jean-Michel Severino a indiqué que l'AFD devrait enregistrer une nouvelle croissance de ses activités en 2007 et une augmentation de près d'un tiers de ses interventions dans les Etats étrangers. L'effort budgétaire induit par ses activités se répartira à 55 % en Afrique sub-saharienne, 20 % en Méditerranée, 15 % dans les autres pays de la zone de solidarité prioritaire et 5 % dans les pays émergents.
Abordant ensuite les termes du débat international sur le développement, M. Jean-Michel Severino a souligné que la planète comptait actuellement six milliards d'habitants, qu'elle devrait en compter environ 10 milliards à l'apogée de la transition démographique dans une vingtaine d'années, dont 2,5 milliards dans les pays émergents, un milliard dans les pays de l'OCDE et de 6 à 7 milliards dans les pays pauvres, qui concentreront l'essentiel de la croissance démographique. L'Afrique compte actuellement 600 millions d'habitants et devrait en compter un milliard dans 20 ans. La transition démographique pourrait s'y produire vers 2030, à un niveau compris entre 1,2 et 1,5 milliard d'habitants. Dans les années 1960, l'Afrique comptait moins de 100 millions d'habitants, ce qui donne une image saisissante de l'enjeu humain et n'a pas de précédent comparable dans l'histoire de la croissance démographique. La croissance démographique du continent africain se double d'une sensibilité extrême au réchauffement climatique, supérieure même à celle du sous-continent indien. L'épuisement des sols, la déforestation, la disparition des ressources en eau engendrent une dynamique problématique et perverse qui a non seulement un impact sur les grands équilibres climatiques, mais aussi sur les équilibres internationaux. La densification démographique entraîne des mouvements de population qui s'effectuent principalement à l'intérieur du continent.
Prenant l'exemple du Niger, M. Jean-Michel Severino a indiqué que les 15 millions d'habitants de ce pays se concentraient sur l'étroite bande des rives du fleuve, zone qui souffre d'une détérioration écologique. La croissance démographique de ce pays est de 3 % par an et devrait doubler la population du pays dans les années à venir, alors que le Niger n'est qu'un des pays du réservoir démographique africain. Une fraction de cette population devrait chercher à gagner le nord de la Méditerranée, tandis que la majeure partie s'arrêtera sur la rive sud. Les pays du Maghreb deviennent des pays récepteurs de flux migratoires, alors qu'ils ont entamé leur transition démographique et connaissent un succès économique relatif.
M. Jean-Michel Severino a souligné que ces mouvements massifs de population, qui accroissent les risques de conflictualité sur tout le continent, conduisaient à s'interroger sur les perspectives de croissance dans les pays d'origine, ainsi que sur les politiques à mener pour fixer les populations sur leur terre. Il a indiqué que l'Afrique sub-saharienne avait une croissance moyenne de 5 % par an, ce qui était supérieur à la croissance démographique mais insuffisant pour permettre un rattrapage économique. Les mécanismes de cette croissance sont stables : le niveau élevé des matières premières, l'assainissement des politiques économiques, ainsi que le désendettement massif opéré par la communauté internationale et dont l'impact macro-économique peut être évalué entre 1 et 1,5 point de croissance. Elle a cependant des aspects négatifs comme la destruction du capital naturel, le mésusage des fruits de la croissance et l'augmentation des inégalités sans amélioration globale des conditions de vie. Parmi des situations très différentes qui vont des pays pétroliers aux pays en crise, la situation intermédiaire des pays sans ressources naturelles, mais qui connaissent une croissance, est un véritable enjeu pour l'action des bailleurs de fonds.
Evoquant les objectifs du Millénaire, M. Jean-Michel Severino a rappelé qu'il s'agissait d'objectifs de performance dans huit grands secteurs du développement économique et social. Il a estimé qu'à l'égard de ces objectifs, le continent africain était en situation d'échec, aucun Etat sur la pente actuelle ne pouvant y parvenir à l'échéance fixée. Les situations sont contrastées. Un Etat comme le Niger ne pourra atteindre ses objectifs en 2015, ni même en 2050. Tandis que le Burkina Faso n'atteindra pas les objectifs en 2015, mais ne doit pas être considéré en situation d'échec, son rythme d'amélioration de la scolarisation primaire étant supérieur à celui de la France à la fin du XIXe siècle. La fixation des objectifs du Millénaire pour le développement s'est faite sans prendre en compte la situation de départ des Etats. Ce constat suscite un dilemme sur les objectifs de l'aide entre l'instauration d'un transfert redistributif à l'échelle mondiale, indépendamment de toute performance économique, ou la recherche d'investissements permettant aux Etats d'acquérir une autonomie. Il s'agit là d'une question fondamentale : si l'aide publique au développement est considérée comme un investissement, la logique serait de se retirer d'un Etat comme le Niger, alors que si elle constitue une redistribution, il faut au contraire y accroître massivement l'aide. Si l'objectif est d'instaurer une social-démocratie à l'échelle planétaire, l'effort financier additionnel nécessaire représente entre 200 et 350 milliards d'euros.
M. Jean-Michel Severino a souligné que la question migratoire se trouvait au coeur de ce débat. Il s'agit de fixer les populations par l'amélioration de leurs conditions de vie. Il a indiqué qu'une attention particulière était portée aux flux financiers des migrants qui ont atteint un niveau très important, de l'ordre de 250 milliards de dollars. Pour ce qui concerne la France, ils sont principalement destinés au Maghreb, au Mali et au Sénégal. M. Jean-Michel Severino a considéré que la gestion de ces flux était complexe en l'absence de clarté sur les finalités de l'action publique. S'agit-il d'orienter davantage les flux vers le développement, alors qu'ils sont actuellement destinés à la consommation plus qu'à l'investissement ? Il faut alors considérer que les régions d'origine sont défavorisées et offrent un faible potentiel d'investissement. Le soutien à la consommation représente alors une utilisation logique du revenu. Dans certaines zones, ces transferts sont devenus une rente qui pousse les Etats à exporter leurs concitoyens. Les marges de manoeuvre sont réduites. S'agit-il d'améliorer le retour des personnes en favorisant leur propre projet de développement ? Les perspectives sont modestes et la balance coûts-bénéfices est faible pour les personnes concernées. La difficulté du sujet conduit l'AFD à l'aborder dans un esprit d'expérimentation. L'AFD accompagne concrètement des projets d'investissement et elle contribue à simplifier et à faire baisser le coût des transferts financiers. Ces travaux devraient se poursuivre en 2007 et en 2008, selon le même mode de l'expérimentation.
M. Jean-Michel Severino a ensuite évoqué la réforme du système des Nations unies. Il a rappelé que l'ancien secrétaire général avait eu pour ambition de réformer le système opérationnel des Nations unies à plusieurs reprises, ses différentes tentatives s'étant soldées par un échec. Afin de favoriser une appropriation politique des changements nécessaires, il a constitué un panel de personnalités politiques et d'experts reflétant les différents groupes de pression en présence, avec l'objectif de prénégocier un paquet de réformes qui commencent à être mises en oeuvre. Les dépenses des Nations unies s'élèvent à 30 milliards de dollars par an, dont une part considérable est destinée aux actions d'urgence. 13 à 30 millions de personnes sont aussi nourries par l'ONU chaque année. Les différentes actions menées se caractérisent par l'émiettement, l'absence de coordination et la confusion, le secrétaire général n'ayant d'autre autorité que morale, ce qui se traduit par des redondances et des coûts administratifs excessifs.
Dans certains pays pauvres, on peut dénombrer jusqu'à vingt agences des Nations unies présentes. Les raisons de cette dispersion tiennent à la fois aux modalités de financement des agences et à l'absence d'autorité du secrétaire général. Le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a cessé d'être un fonds central pour devenir une agence de mise en oeuvre. Au même moment, les contributions obligatoires sont devenues minoritaires dans le budget des agences (environ 20 %), ce qui a pour conséquence une compétition féroce pour les financements sur les sujets qui intéressent les gouvernements et un délaissement de pans entiers des besoins du développement.
Les propositions formulées par le panel se concentrent sur une rationalisation des actions sur le terrain. Une rationalisation plus générale nécessiterait de revoir totalement l'architecture des traités fondateurs. Le panel a suggéré de donner autorité au représentant local des Nations unies sur les agences et de recentrer le PNUD sur une fonction de financeur central du système, via un fonds central comparable à l'Association internationale pour le développement (AID) pour la Banque mondiale. Les propositions du panel portent également sur la gouvernance. Aucun mécanisme de dialogue ne réunit actuellement les 34 organisations opératrices. Le panel a proposé la création d'une émanation du conseil économique et social, composée de pays membres et chargée de superviser le processus d'élaboration des programmes, de gérer le fonds central et d'évaluer les performances du système. Une instance composée de chefs d'Etat traiterait par ailleurs de la cohérence du système des Nations unies. D'autres suggestions d'amélioration portent sur la gestion et touchent aux systèmes d'information et à la gestion des ressources humaines, domaine où l'absence de logique moderne de gestion se traduit par un chaos pathétique et par la désespérance des personnels.
Puis un débat s'est instauré avec les commissaires.
M. Michel Guerry s'est interrogé sur les outils disponibles pour le renforcement de la cohérence des intervenants sur le terrain. Il a observé que la réduction de la pauvreté ne progressait pas en Afrique, notamment à cause du sida. Il s'est interrogé sur le rôle de la Chine en Afrique et notamment sur la déforestation qu'il induit dans certaines régions.
M. Jean-Michel Severino a souligné qu'un des enjeux de l'efficacité de l'aide était précisément de trouver des mécanismes de coopération entre les bailleurs, ce qui suppose d'accepter de renoncer à « une logique de drapeau ». Le recours à des instruments budgétaires, qui permet la coopération entre bailleurs, ne fonctionne que dans un contexte de bonne gestion des finances publiques. La coordination enregistre des progrès, mais la situation reste largement perfectible. Evoquant la lutte contre le sida, il a noté que les volumes dont disposait la France pour travailler en bilatéral étaient limités en raison de la structure de l'aide française. Sur une aide publique totale de l'ordre de 9 milliards d'euros, l'aide bilatérale utilisable ne s'élève qu'à environ un milliard d'euros, ce qui explique que l'aide des Britanniques, qui fournissent un effort global similaire à celui de la France, soit néanmoins perçue comme très supérieure. Les interventions françaises sont modestes et ne représentent au mieux que 20 millions d'euros dans les pays de concentration comme le Sénégal ou le Mali, ce qui suscite des dilemmes pour l'affectation des fonds. La première demande des bénéficiaires porte sur les infrastructures, la France est attachée au secteur de l'éducation et le troisième secteur de concentration de l'aide laisse souvent de côté celui de la santé. En raison du volume des contributions multilatérales, les activités de santé publique de la France sont désargentées.
La Chine soulève un problème global, dont les questions de développement ne représentent qu'une partie. Elle apporte en Afrique des ressources additionnelles, mais sans aucune discipline sur la coordination de l'aide et avec des attitudes environnementales et sociales dommageables à la fois aux pays d'accueil et aux entreprises occidentales, notamment françaises. Dans ce contexte, l'AFD travaille à impliquer les Chinois dans un dialogue sur le développement, à renforcer les normes environnementales et sociales dans les marchés qu'elle finance en s'efforçant de les généraliser et suggère d'exercer des pressions sur les gouvernements africains eux-mêmes qui restent dépendants de l'aide occidentale et doivent être responsabilisés. Enfin, la diversité du secteur privé chinois permet d'identifier des entreprises disposées à progresser et vulnérables aux critiques des ONG.
Mme Gisèle Gautier s'est interrogée sur le démarrage de la facilité pour la vaccination, sur l'irruption des questions de sécurité dans le débat sur le développement, sur l'aide aux pays émergents, ainsi que sur l'apport financier des Etats pétroliers du Golfe en faveur du développement. Elle a souhaité savoir si le nouveau règlement financier du fonds européen de développement assouplissait les règles en matière de mandat de gestion pour les agences nationales.
Mme Catherine Tasca a considéré que dans l'alternative entre redistribution et investissement, l'objectif restait pour les pays en développement d'acquérir leur autonomie. Evoquant l'élargissement des mandats de l'AFD et la croissance apparemment illimitée de ses activités, elle s'est interrogée sur l'opportunité pour la France de mieux cibler ses objectifs. Elle a souhaité des précisions sur la création d'une direction du ministère des affaires étrangères chargée de la globalisation et a fait part de son intérêt pour les expérimentations menées au Maroc et au Mali sur l'épargne des migrants.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est interrogée sur la planification à l'échelle mondiale du développement de pays aux statuts très différents que sont les objectifs du Millénaire. Elle a souhaité savoir quelle part prenaient les bénéficiaires à la définition de ces objectifs et quelle était leur contribution à la production intellectuelle sur le développement.
Evoquant l'élargissement du mandat de l'AFD, elle s'est demandé si l'Agence ne reconstituait pas l'ancien ministère de la coopération. Elle a souhaité que la production intellectuelle de l'Agence puisse être communiquée aux parlementaires et diffusée.
M. Jean-Michel Severino a apporté les éléments de réponse suivants :
- l'Agence française de développement participe au financement de la facilité pour la vaccination, mais n'intervient pas dans la mise en oeuvre des programmes de vaccination ;
- l'Agence prend en compte les liens entre sécurité et développement et a élaboré à ce titre une stratégie « post conflit » ;
- le nouveau règlement financier du FED assouplit les règles des mandats de gestion, mais ces mandats ne devraient être octroyés que rarement. En revanche, les fonds sectoriels comme le fonds pour l'eau ou le fonds pour les infrastructures, qui font l'objet de cofinancements nationaux, devraient offrir plus de souplesse et constituent une bonne méthode pour amener les différents intervenants à travailler ensemble ;
- les Etats pétroliers du Golfe mettent en place une coopération qui n'est pas négligeable, mais n'est pas à la hauteur de leurs capacités ;
- la logique d'intervention dans les pays émergents est très différente des actions menées en Afrique. En Chine, l'action de l'Agence se borne à contribuer à améliorer l'intensité énergétique de la croissance chinoise en finançant des opérations d'investissement dans le secteur des transports et de l'énergie. Elle joue également un rôle de conseil et d'influence ;
- le ministère des affaires étrangères a engagé un processus de réforme « à la suédoise », c'est-à-dire une démarche de déconcentration de ses activités vers des opérateurs. Cette réforme n'est cependant pas achevée, le ministère n'ayant pas adapté les structures de son administration centrale à ce choix. En matière opérationnelle, il laisse subsister une double commande. L'administration centrale doit être restructurée et recentrée sur une fonction de tutelle. Actuellement, elle se trouve, à l'égard de ses opérateurs, dans une situation de tutelle et de concurrence qui nuit à son autorité et à sa crédibilité. Elle doit se constituer en administration d'état-major et s'investir dans l'animation des dirigeants de ses différents établissements publics ;
- la création d'une direction des affaires globales a été évoquée à plusieurs reprises et, en dernier lieu, par le rapport Gaymard. Elle constituerait une direction de la stratégie internationale de la France qui n'existe pas actuellement et pourrait assister les ministres dans l'exercice de leur tutelle sur les opérateurs. Le ministre chargé de l'aide au développement a une légitimité indiscutable, dans la mesure où il est le seul à disposer de l'autorité politique nécessaire et où il est l'allocataire ultime des fonds. Chaque opérateur n'est, quant à lui, qu'un technicien de son segment particulier ;
- les objectifs du Millénaire pour le développement témoignent effectivement d'une logique Nord-Sud, mais ils présentent la vertu de mobiliser les opinions autour d'objectifs concrets.
M. Jean François-Poncet, président, a exprimé une préoccupation : à effort global comparable, le Royaume-Uni parvient beaucoup mieux que la France à donner à son aide une forte visibilité. Il a observé que le développement n'était pas le seul domaine dans lequel ce phénomène était observé.