- Mercredi 17 mai 2006
- Traités et conventions - Accord Communauté européenne - Suisse pour lutter contre la fraude - Examen du rapport
- Traités et conventions - Protocole modifiant la convention Europol - Examen du rapport
- Afrique - Situation politique et régionale du Maghreb - Audition de M. Benjamin Stora, professeur d'histoire du Maghreb à l'Institut national des langues et civilisations orientales
- Mission d'information en Afrique du Sud et au Sénégal - Compte rendu
- Nomination de rapporteurs
Mercredi 17 mai 2006
- Présidence de M. Serge Vinçon, président -Traités et conventions - Accord Communauté européenne - Suisse pour lutter contre la fraude - Examen du rapport
La commission a examiné le rapport de M. Philippe Nogrix sur le projet de loi n° 201 (2005-2006) autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, pour lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte à leurs intérêts financiers.
M. Philippe Nogrix, rapporteur, a précisé qu'une première série d'accords bilatéraux entre l'Union européenne, ses Etats membres et la Suisse, était entrée en vigueur en 2002, le présent accord faisant partie d'une deuxième série d'accords de ce type conclus lors du Conseil européen de Luxembourg en octobre 2004. Ces accords, a rappelé M. Philippe Nogrix, rapporteur, constituaient autant d'éléments de rapprochement entre l'Union européenne et la Suisse, dans un contexte marqué par le refus, plusieurs fois exprimé par la population helvétique, de rejoindre l'Union européenne.
Le présent texte vise à établir un cadre juridique clair, facilitant la répression des fraudes et des autres activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté européenne, de ses Etats membres et de la Suisse. Son objectif général consiste donc dans la simplification et l'accélération des procédures d'assistance mutuelle de nature administrative et judiciaire en matière de répression des fraudes. M. Philippe Nogrix, rapporteur, a souligné que la Suisse avait accepté que le secret bancaire ne puisse plus être opposé systématiquement aux demandes de renseignements effectuées par la France dans le cadre de la répression des fraudes, ce qui témoignait d'un important effort de rapprochement avec les normes en vigueur dans l'Union européenne. Il a ajouté que ce texte était accompagné de huit accords sectoriels, qui constituaient également des étapes positives dans l'harmonisation en cours entre la Suisse et l'Union, et a donc recommandé son adoption.
Suivant les recommandations du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi.
Traités et conventions - Protocole modifiant la convention Europol - Examen du rapport
Puis la commission a examiné le rapport de M. André Rouvière sur le projet de loi n° 157 (2005-2006) autorisant l'approbation du protocole du 27 novembre 2003 établi sur la base de l'article 43, paragraphe 1, de la convention portant création d'un Office européen de police (convention Europol) modifiant ladite convention.
Le rapporteur a précisé que le présent texte était le deuxième à étendre les compétences de l'Office européen de police, dit Europol, depuis sa création en 1995. Il s'est félicité du renforcement des compétences de cette institution, dont la qualité est aujourd'hui unanimement reconnue au sein de l'Union européenne. Il a cependant regretté que seulement 37 Français figurent parmi les 500 membres de son personnel, alors que la contribution financière française atteint plus de 15 % du budget total de cette institution.
M. André Rouvière, rapporteur, a décrit les modifications contenues dans le présent protocole ; tout d'abord, l'ensemble des services de police, et non plus les seules Unités nationales Europol (UNE), pourront entrer en contact avec cette institution, ce qui sera de nature à accélérer la fourniture d'informations, et donc, l'aboutissement positif des enquêtes de police qui en dépendent.
Puis le rapporteur a brièvement décrit les différents fichiers établis par Europol à partir des informations fournies par chacun des Etats membres, et qui font de cette institution une indispensable base de données en matière criminelle. Il a rappelé que 7 pays avaient déjà conclu des accords de coopération avec Europol, dont les Etats-Unis, le Canada et la Suisse, et que la Colombie, la Russie et la Turquie avaient également conclu des accords de partenariat.
Soulignant qu'Europol travaille en liaison étroite avec Interpol, M. Rouvière, rapporteur, a salué le rôle désormais central d'Europol dans la lutte contre la criminalité internationale, et particulièrement la cybercriminalité. Il a ajouté que le présent texte comportait également des stipulations visant à améliorer l'information du Parlement européen sur les fichiers nominatifs constitués par Europol, ajoutant que ces derniers étaient déjà strictement encadrés par des dispositions antérieurement adoptées par son conseil d'administration.
Estimant que les dispositions du présent texte étaient de nature à renforcer l'action d'Europol, il a proposé l'adoption du projet de loi.
Suivant les conclusions du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi.
Afrique - Situation politique et régionale du Maghreb - Audition de M. Benjamin Stora, professeur d'histoire du Maghreb à l'Institut national des langues et civilisations orientales
La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Benjamin Stora, professeur d'histoire du Maghreb à l'Institut national des langues et civilisations orientales, sur la situation politique et régionale du Maghreb.
Accueillant M. Benjamin Stora, M. Serge Vinçon, président, a rappelé les évolutions récentes intervenues dans les pays du Maghreb, en particulier au Maroc et en Algérie. A propos des relations entre ces deux pays, il a mentionné le souhait, que venaient d'émettre les Nations unies, en faveur d'un dialogue direct sur la question du Sahara occidental. Enfin, il s'est inquiété des incidences, sur la relation bilatérale franco-algérienne, de certains termes tenus au plus haut niveau de l'Etat algérien.
M. Benjamin Stora a tout d'abord évoqué les relations franco-algériennes, actuellement marquées par la difficulté à conclure un traité d'amitié entre les deux pays. Il a souligné que l'on ne pouvait réduire les récentes déclarations algériennes vis-à-vis de la France et du passé colonial à une simple posture à l'usage de l'opinion publique algérienne. Si les arrière-pensées de politique intérieure ne sont sans doute pas absentes de ces propos, elles traduisent cependant une réalité incontestable. En effet, les séquelles de la guerre d'indépendance ne sont pas totalement effacées et le sentiment nationaliste s'affirme aujourd'hui avec une force renouvelée. La guerre civile des années 1990, loin d'avoir entraîné la dislocation de la nation algérienne et l'effondrement de l'Etat, se trouve avoir débouché sur un nationalisme vigoureux. Forte de ses 32 millions d'habitants et de ses ressources pétrolières qui lui permettent de disposer de 60 milliards de dollars de réserves de change et de rembourser, au comptant et par anticipation, ses dettes vis-à-vis du club de Paris, l'Algérie conçoit ses relations avec la France en tant qu'Etat pleinement souverain, et non comme la continuation d'une histoire commune forgée par la colonisation.
M. Benjamin Stora a néanmoins insisté sur l'existence d'un socle culturel commun extrêmement puissant entre l'Algérie et la France. Ainsi, la presse francophone tire à près de 400 000 exemplaires en Algérie et la base de la société demeure très largement francophone, comme en témoigne l'attention que les Algériens portent à la vie politique, économique et culturelle française.
M. Benjamin Stora a considéré qu'il fallait dépasser l'obstacle constitué, pour les relations bilatérales, par la question du traité d'amitié, dont il y a tout lieu de penser qu'il ne pourra voir le jour dans un avenir proche. L'Algérie, a-t-il poursuivi, reste désireuse de développer un partenariat économique, commercial et culturel avec la France. La France, pour sa part, devrait prendre garde à ne pas laisser s'effriter ses positions en Algérie, alors que de nouveaux partenaires lui font concurrence, et en premier lieu les Etats-Unis, qui ont désormais une très forte présence sur les champs pétroliers du Sahara et nouent des coopérations étroites en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme. Selon M. Benjamin Stora, la France conserve des atouts considérables en Algérie, notamment grâce à l'ancienneté des courants migratoires entre les deux rives de la Méditerranée. De ce fait, les relations entre la France et l'Algérie présentent des caractéristiques uniques qui leur interdisent de verser dans l'opposition ou l'hostilité.
M. Benjamin Stora a ensuite abordé la situation politique intérieure algérienne. Il a souligné que la victoire militaire sur les groupes terroristes ne remettait pas en cause la permanence d'un courant islamiste aux manifestations multiples. Il a opéré la distinction entre un islamisme « horizontal », se diffusant dans la société au travers du statut de la femme ou des écoles privées en langue arabe, et un islamisme « vertical », aux objectifs plus directement liés à la conquête du pouvoir. Parmi les bénéficiaires potentiels, sur le plan politique, de cette islamisation de la société, il a cité trois courants principaux : les islamistes modérés, un courant plus radical incarné par Ali Belhadj, ancien responsable du Front islamique du salut (FIS) récemment libéré dans le cadre de la loi d'amnistie, et enfin un courant présent au sein même du gouvernement, à travers les ministres du mouvement social pour la paix (MSP). Aux côtés de la mouvance islamiste, M. Benjamin Stora a évoqué l'émergence d'un courant néo-nationaliste, qui puise ses racines dans le nationalisme arabe et s'exprime à travers la presse arabophone. Une certaine porosité existe entre ce courant néo-nationaliste et les islamistes. Enfin, M. Benjamin Stora a considéré que le courant culturel berbère demeurait aujourd'hui sur la défensive.
M. Benjamin Stora a ensuite abordé la situation du Maroc.
Il a souligné la fragilité de la situation économique et sociale de ce pays, en précisant qu'un Marocain sur six vivait aujourd'hui sous le seuil de pauvreté et que cette proportion tendait à s'accroître. Le recul de la pauvreté exigerait un rythme de croissance de 6 à 7 % par an, objectif très difficile à atteindre pour une économie à dominante agricole.
Sur le plan politique, M. Benjamin Stora a estimé que l'attention se focalisait sur le résultat qu'obtiendrait, lors des élections législatives de 2007, une tendance islamiste aujourd'hui très forte. La question d'une éventuelle intégration du Parti de la justice et du développement (PJD) au gouvernement, après les élections, est posée. Par ailleurs, le mouvement islamiste Al-Adl Wal-Ihsane ("Justice et bienfaisance") du cheikh Abdessalam Yacine demeure non autorisé, mais son influence semble considérable.
S'agissant de la question du Sahara, M. Benjamin Stora a rappelé qu'elle constituait un défi permanent pour le Maroc et ses relations avec l'Algérie. Il a indiqué que le Maroc avait écarté le processus d'autodétermination et certains cercles du pouvoir privilégiaient désormais la solution d'une autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine. L'ancien président algérien Ahmed Ben Bella s'est récemment déclaré favorable à une telle solution, ce qui pourrait témoigner d'une certaine évolution des mentalités en Algérie. Toutefois, seul un signe comme l'ouverture des frontières avec le Maroc pourrait attester d'une volonté réelle des autorités algériennes de débloquer la situation.
Enfin, M. Benjamin Stora a souligné l'importance des questions migratoires, tant pour l'Algérie que pour le Maroc. Il a précisé que les Marocains constituaient la plus importante communauté étrangère dans plusieurs pays européens comme la France, l'Espagne, l'Italie, la Belgique ou les Pays-Bas. Il a également indiqué que plusieurs centaines de milliers de Maghrébins, notamment marocains, avaient quitté leur pays dans les dix dernières années. Il a estimé que le désir d'émigration demeurait extrêmement puissant outre-Méditerranée, surtout dans la jeunesse, y compris parmi les couches de diplômés.
M. André Rouvière s'est demandé si, compte tenu de la contestation dont elle est l'objet en Algérie, la francophonie pourrait perdurer dans ce pays. S'agissant du Maroc, il s'est interrogé sur le rôle de la monarchie face à l'islamisation des comportements dans la société marocaine.
M. Jean François-Poncet a relevé que, d'une récente rencontre avec des responsables du parti islamiste marocain de la justice et du développement (PJD), il en avait relevé la grande modération de langage, à travers le respect de la monarchie, la volonté de ne pas implanter la charia, etc... Cette modération était-elle sincère à l'heure où chacun s'attend à une majorité islamiste dans ce pays ?
Plus généralement, il s'est inquiété de la réislamisation qui semble concerner toutes les sociétés du Moyen-Orient. Ce mouvement est-il le signe de relations nouvelles entre l'Occident et le monde musulman ? Son expression sera-t-elle modérée ou annonce-t-il des réactions identitaires ?
Enfin il s'est demandé si le thème du Sahara occidental, véritable cause nationale au Maroc, l'était également en Algérie.
M. Serge Vinçon, président, a fait part des observations de parlementaires marocains qu'il avait rencontrés récemment et qui faisaient état d'une concentration de forces militaires algériennes à la frontière. Cette situation était-elle vraiment nouvelle ?
M. Didier Boulaud s'est interrogé sur la situation actuelle en Tunisie et sur une éventuelle islamisation de la société. Aujourd'hui fermement contrôlée par le pouvoir, la situation politique intérieure tunisienne n'allait-elle pas évoluer dans un proche avenir ?
M. Robert Bret a reconnu que le fort mouvement de population entre la France et l'Algérie était un atout et constituait un lien unique entre ces deux pays. Pour autant, il s'est demandé si les propos virulents du président algérien sur le passé de la France en Algérie ne posaient pas aussi des problèmes aux Français d'origine algérienne eux-mêmes. A défaut de la conclusion d'un traité d'amitié, il s'est demandé quel pourrait être l'acte politique qui permettrait de dépasser les relations actuelles entre les deux pays et de véritablement tourner la page du passé.
M. Jean-Claude Carrère s'est interrogé sur la réaction des responsables des pays du Maghreb à la notion d'« immigration choisie ».
M. Benjamin Stora a alors apporté les éléments de réponse suivants :
- la conclusion du traité d'amitié se fera sans doute un jour, mais elle semble peu probable à court terme. Dans le rapport franco-algérien, l'aspect mémoriel est central, ce qui impose de laisser leur place à toutes les mémoires, à toutes les souffrances, des rapatriés aux immigrés algériens, des harkis aux civils algériens qui ont supporté le poids très lourd de la guerre. Ainsi la mémoire algérienne, au sens général, devrait être également prise en compte, par exemple dans le projet d'édification, à Marseille, d'un Mémorial des Français d'outre-mer ;
- plus que la question de l'immigration choisie, c'est celle des visas qui aujourd'hui est mobilisatrice en Algérie. Le fait que 300.000 demandes de visas soient en attente aujourd'hui dans les consulats français atteste de la force et de l'attractivité de l'image de la France dans le pays ;
- les fermetures d'écoles francophones, en Algérie, ont entraîné une forte mobilisation, tant de la société civile que des enseignants, et la bataille sur cette question n'est pas terminée ;
- le roi du Maroc ne favorise pas le courant islamiste, il ne peut que prendre acte de la puissance de ce courant, et prendre des initiatives politiques ;
- il y a un islamisme « horizontal » qui traverse l'ensemble du monde arabe et affecte tout le Moyen-Orient. Ce courant ne fait pas que se substituer aux mouvements nationalistes arabes qui se sont progressivement effondrés. Cette réislamisation représente bien davantage : elle est un défi lancé aux pouvoirs en place et l'occident n'est pas sa seule cible. C'est la volonté d'ouverture de l'espace démocratique qui conduit la contestation à revêtir une forme religieuse, mais son projet est bien de constituer un Etat théocratique ;
- deux expériences historiques ont marqué les islamistes d'aujourd'hui : celle, « positive », de la lutte victorieuse des maquis afghans contre l'occupant soviétique entre 1981 et 1989 et celle, « négative », de la défaite militaire subie par les maquis islamistes en Algérie. Du fait de cette défaite militaire, les partis islamistes maghrébins tiennent aujourd'hui un nouveau langage, plus modéré et très différent du discours de radicalité et de rupture. Cet islamisme politique « horizontal » n'est pas dirigé a priori contre l'Occident ou contre l'Etat. Il reste que derrière ces courants demeurent d'autres mouvements, plus puissants, qui ne désarment pas et les frontières entre les deux sont loin d'être étanches. Le débat n'est pas tranché sur l'opportunité d'intégrer ce courant radical ou de le marginaliser. Or, ce débat est essentiel pour l'avenir. Pour la France, compte tenu de sa population immigrée, ce débat est également central et ne relève plus de la seule politique étrangère ;
- depuis la « marche verte » de 1975, la légitimité marocaine s'est construite sur la question du Sahara occidental. Cependant, durant ces trente dernières années, un récit nationaliste s'est enraciné parmi la population sahraouie, dont une partie est devenue indépendantiste, y compris au Maroc. Aussi bien une négociation directe entre le Maroc et le Front Polisario devra-t-elle un jour s'imposer, même si une telle option reste aujourd'hui taboue au Maroc, également dans une moindre mesure en Algérie.
. Dans un premier temps, il conviendrait de mettre de côté le sujet du Sahara occidental et de rouvrir les frontières, car le développement économique et commercial que permettrait cette réouverture est central pour la stabilité des deux sociétés, algérienne et marocaine ;
- en Tunisie, les offensives du pouvoir contre les forces démocratiques contribuent à renforcer un courant islamiste, dont on mesure mal la puissance, d'autant que le développement économique qui a fondé la prospérité tunisienne et permis l'émergence d'une classe moyenne est aujourd'hui menacé par la mondialisation qui entraîne, par exemple, la crise de l'industrie textile tunisienne et menace la classe moyenne de ce pays.
Mme Paulette Brisepierre, présidente du groupe interparlementaire France Maroc, a rappelé que de nombreux Sahraouis entendaient demeurer marocains et que, pour le Maroc, la préservation de sa souveraineté sur le Sahara occidental était essentielle pour ne pas se retrouver enserré entre l'Algérie et l'océan.
Après que M. Benjamin Stora eut fait valoir que l'intérêt de la France était de tenir la balance égale entre le Maroc et l'Algérie sur ce sujet, Mme Paulette Brisepierre a fait observer que tel était précisément l'objectif des entretiens que conduit le groupe interparlementaire qu'elle anime.
Mission d'information en Afrique du Sud et au Sénégal - Compte rendu
La commission a enfin entendu une communication de M. André Dulait sur le déplacement effectué en Afrique du Sud et au Sénégal du 2 au 10 mai 2006.
M. André Dulait, rapporteur, a tout d'abord rappelé que la mission d'information, composée de MM. Yves Pozzo di Borgo et Robert Hue, qu'il avait conduite en Afrique du Sud et au Sénégal du 2 au 10 mai dernier, avait pour objet d'apprécier l'évolution des modalités d'intervention de la France, en particulier au sens de l'intervention militaire, dans la gestion des crises en Afrique sub-saharienne.
Il a considéré, à titre liminaire, que l'on ne pouvait réduire l'image de l'Afrique à celle d'un continent secoué par les crises ou ravagé par les maladies. L'Afrique du sud avait offert à la délégation l'image d'un pays en croissance et, peu de temps après la transition, d'une démocratie aux fondements solides. Il a néanmoins souligné que les crises africaines occupaient 80 % de l'activité du Conseil de sécurité des Nations unies et la moitié des opérations de maintien de la paix. Le continent restait traversé par deux principaux arcs de crises en Afrique de l'Ouest et dans la Corne de l'Afrique.
Pour cette mission, M. André Dulait a précisé que la commission avait choisi deux acteurs principaux dans la gestion des crises du continent, à savoir les deux premiers contributeurs de troupes africaines dans les opérations de maintien de la paix, deux pays avec des profils très différents : l'Afrique du sud s'affirme résolument comme une puissance régionale émergente avec des capacités autonomes, tandis que le Sénégal, partenaire traditionnel de notre pays, accueille des forces françaises prépositionnées et bénéficie du soutien de la coopération militaire française.
La mission s'était appuyée sur un constat : on assistait aujourd'hui à une redistribution des rôles en Afrique. Au désintérêt qui a suivi la fin de la guerre froide, succède une attention nouvelle des puissances extérieures, motivées notamment par des considérations économiques, qu'il s'agisse des Etats-unis, de l'Inde ou encore de la Chine.
Il a rappelé que l'Afrique était un continent très jeune qui vit une relève des générations, liée à une croissance démographique très importante (65 % de la population a moins de 20 ans) et une affirmation identitaire qui conduit au rejet des interventions extérieures.
M. André Dulait a ensuite souligné que la France maintenait un dispositif important en Afrique, qu'il s'agisse de son appareil diplomatique ou de sa présence militaire. Le dispositif militaire français permanent comprend 6 000 hommes, répartis sur 5 bases (Sénégal, Côte d'Ivoire, Gabon, Tchad et Djibouti). La France est aussi liée par une série d'accords de défense et de coopération militaire. En sus des forces prépositionnées, près de 5 000 hommes sont déployés sur des théâtres de crise africains. Par ailleurs, la présence de résidents français (près de 170 000 immatriculés en 2002) reste importante et le rôle économique de la France très significatif dans certains pays.
La crise en Côte d'Ivoire avait constitué à la fois un révélateur et un tournant. Un tournant dans la mesure où en 1999, dans la première phase de la crise, notre pays n'était pas intervenu et où, en septembre 2002, il avait choisi une approche nouvelle privilégiant une gestion à la fois multilatérale et régionale de la crise et l'émergence d'une solution nationale.
La crise ivoirienne a aussi été le révélateur que notre pays ne pouvait plus assurer, seul, le règlement de ce type de crise : il n'en avait plus les moyens, ni financiers, ni même surtout politiques. Dans ce conflit, faute d'avoir pu faire comprendre ses positions, la France avait perdu la bataille de l'image.
Il s'est alors interrogé sur le fait de savoir si la France devait continuer d'intervenir dans les crises africaines. L'ampleur des difficultés rencontrées pouvait plaider en faveur d'un désengagement au profit d'autres solutions, notamment africaines. Cette tentation était forte, mais aussi illusoire. M. André Dulait, rapporteur, a souligné que les crises africaines avaient un impact sur le continent européen, en alimentant les trafics de tous ordres. Surtout, elles constituent le principal obstacle au développement des Etats africains.
La France se devait donc d'explorer de nouvelles voies et de nouvelles modalités d'action. Pour M. André Dulait, rapporteur, le mot d'ordre de la politique d'intervention de notre pays dans les crises africaines pouvait se résumer à l'expression « plus jamais seule ». La France privilégiait donc désormais trois axes d'action : multilatéralisme, « africanisation » de la gestion des crises et implication de l'Union européenne.
Il a souligné que l'organisation des Nations unies était un acteur majeur de la gestion des crises en Afrique et la source indispensable de la légitimité de l'usage de la force dans les opérations de maintien de la paix.
Il a indiqué que le deuxième axe d'action était l'appropriation par les Africains eux-mêmes, des questions de sécurité. Celle-ci doit s'effectuer tant à l'échelon de l'organisation continentale (l'Union africaine) que de celui des organisations sous-régionales.
M. André Dulait, rapporteur, a estimé que dans le processus d'« africanisation » et de régionalisation de la gestion des crises, l'action des puissances régionales était très importante. En Afrique du sud, un consensus existait sur la nécessité et l'intérêt de contribuer au règlement des conflits. Fort de l'expérience d'une transition réussie, ce pays intégrait la gestion des crises dans son projet de « renaissance africaine ». L'Afrique du sud affecte actuellement plus de 3 000 hommes sous casques bleus et son président M. Thabo M'Becki, joue un rôle essentiel de médiation. M. André Dulait a relevé que la délégation avait pu constater non seulement une réelle convergence avec les positions françaises, sur bien des dossiers, mais aussi un besoin réel d'explication.
Il a ensuite indiqué que, pour accompagner ce processus de régionalisation, notre pays avait réorienté son dispositif de coopération militaire. Il a ainsi été mis fin à la coopération de substitution. Dans ce domaine, la formation de personnels en France est devenue l'exception, avec le développement des « écoles nationales à vocation régionale », chargées de former des stagiaires venus de différents pays d'Afrique dans des écoles africaines financées par la France. M. André Dulait a signalé qu'au Sénégal, le recul de l'aide en matériel et la diminution des formations en France étaient vécus comme un signe de désengagement qui exigeait beaucoup de pédagogie.
Enfin, il a rappelé que cette réorientation prenait la forme du programme RECAMP (« renforcement des capacités africaines de maintien de la paix »), décliné en trois volets : formation, entraînement et soutien opérationnel, avec l'objectif d'améliorer la qualité des troupes déployées en opérations. Dans la même perspective, les forces prépositionnées seront réorientées vers le soutien aux brigades régionales de la force africaine en attente.
M. André Dulait a ensuite indiqué que, avec un résultat mitigé pour le moment, la France entendait intéresser ses partenaires européens à ces dispositifs et recherchait également l'implication européenne et le « label » européen pour des opérations de gestion de crise sur le continent africain.
Il a souligné que depuis peu, les institutions européennes avaient pris clairement conscience du lien entre sécurité et développement. En témoignent la stratégie européenne pour l'Afrique, qui comprend un important volet « paix et sécurité », la « facilité pour la paix » qui a permis de mobiliser 250 millions d'euros utilisés en grande partie pour le soutien de l'opération de l'Union africaine au Darfour, mais aussi l'opération Artémis, qui sera suivie par l'opération « EUFOR RD Congo » de sécurisation de la période des élections.
M. André Dulait, rapporteur, a souligné que ces orientations n'étaient pas dépourvues de contradictions et se heurtaient à de nombreuses difficultés.
En premier lieu, le positionnement de la France reste peu visible et n'est pas dépourvu de contradictions. Elle est soupçonnée, dans le meilleur des cas, de vouloir maintenir son influence tout en partageant les coûts avec ses partenaires, voire « d'habiller » de multilatéralisme sa volonté d'intervention.
La réorientation de la coopération militaire consiste à intervenir dans des zones où la France n'était traditionnellement pas présente, comme l'Afrique australe, tout en maintenant une relation forte avec ses partenaires traditionnels, le tout dans un contexte de réduction des crédits de coopération militaire.
La carte des Ecoles nationales à vocation régionale, la densité de notre réseau ou encore la problématique des accords de défense témoignent de la concentration des efforts sur la zone traditionnelle d'influence de la France. Les accords de défense ont incontestablement vieilli. Le cas ivoirien a démontré l'impossibilité de leur mise en oeuvre dans le contexte actuel, mais aussi la difficulté d'une renégociation. Au Sénégal, ils permettent le stationnement des forces dans des conditions très favorables. M. André Dulait a rappelé que le Président de la République avait déclaré publiquement que la France ne resterait pas dans les Etats où sa présence n'est pas souhaitée, et que, de fait, une réduction du dispositif était envisagée à terme au Tchad et en Côte d'Ivoire.
M. André Dulait, rapporteur, a ensuite considéré que les axes privilégiés par la politique française étaient relativement étroits : si les Nations unies sont une source de légitimité indispensable, leur efficacité opérationnelle était limitée. Après l'expérience de la FORPRONU en Bosnie dans les années 1990, la France agit sous mandat des Nations unies, mais en conservant la maîtrise de la chaîne de commandement. Devant le coût global des opérations de maintien de la paix, plus de 5 milliards de dollars pour l'année 2005-2006 (300 millions d'euros pour la France), le chantier de l'efficacité militaire de l'ONU reste cependant ouvert.
Les résultats concrets obtenus par l'Union africaine sont, pour le moment, assez décevants. La mission africaine au Soudan, la plus importante jamais déployée (7 000 hommes), est chargée d'observer l'application de l'accord de cessez-le-feu signé en avril 2004. Elle avait également pour objectif de démontrer la capacité de l'Union africaine à intervenir dans une crise. Or, elle s'est trouvée en grande difficulté pour des raisons liées au mandat, à la faiblesse des moyens, mais aussi à la médiocre qualité des troupes déployées. L'Union africaine est un acteur important, mais qui demande encore à être assuré dans ses moyens et ses capacités politiques.
M. André Dulait a estimé que les organisations sous-régionales soulevaient deux types de difficultés. La première est liée à leurs moyens d'action, financiers, mais aussi politiques, dans un contexte de rivalités fortes entre Etats. La seconde concernait le rôle des puissances régionales africaines sur le continent.
M. André Dulait a relevé que l'Union européenne n'est pas encore perçue comme un acteur majeur. Les interlocuteurs de la délégation l'ont considérée, pour ce qui concerne l'Afrique, comme tour à tour dominée par le Royaume-Uni et la France. Il restait également à s'interroger sur les conséquences des interventions européennes en Afrique, très ciblées géographiquement et très limitées dans le temps. Il n'était pas certain, en outre, que les populations, qui perçoivent négativement l'intervention de puissances occidentales, considèrent plus favorablement une intervention européenne. Il a par ailleurs été précisé que la question du financement restait posée pour 2007, la « facilité de paix » ayant épuisé ses ressources et ne devant pas être reconstituée avant 2008.
Pour leur part, a poursuivi M. André Dulait, les puissances régionales africaines restaient confrontées à des difficultés internes. Le Nigeria est ainsi traversé de graves tensions et sa situation intérieure reste préoccupante. L'action de l'Afrique du sud est certes soutenue par un débat démocratique dans le pays, mais ses capacités, bien que supérieures à celles des autres Etats africains, restent limitées. Le pays, engagé dans un processus de consolidation de la transition, a d'autres priorités dans les secteurs sociaux et l'éducation. L'armée sud-africaine souffre en outre des réorganisations récentes et de l'ampleur de l'épidémie de sida. Le volontarisme sud-africain est aussi tempéré par la perception qu'en ont les autres Etats du continent, qui l'incite à privilégier des vecteurs d'influence plus économiques ou diplomatiques que militaires.
En conclusion, M. André Dulait a estimé qu'en l'absence de toute alternative crédible dans l'immédiat, notre pays devait se préparer à être encore présent pour quelque temps encore sur des théâtres africains, et a formulé les observations suivantes :
- la France ne devait plus intervenir seule : l'implication des partenaires européens, pour qui les enjeux sont identiques, est indispensable. En contrepartie, la France doit accepter de discuter de son action, de confronter ses analyses, de débattre des solutions et de partager les facilités dont elle dispose actuellement : pour attirer les Européens vers l'Afrique, il ne fallait pas que le continent apparaisse comme le « pré carré » français. L'engagement des Européens sur le terrain n'était donc pas acquis, notamment après les épisodes rwandais ou somalien. L'OTAN faisait, par ailleurs, figure d'organisation concurrente avec une première implication au Darfour ;
- le renforcement des capacités africaines est indispensable. Il suppose des investissements importants, dans la formation mais aussi pour l'accompagnement des forces, en appui, lors des opérations ;
- le partenariat avec l'Afrique du Sud doit être renforcé pour accompagner ses efforts, et faciliter une compréhension réciproque ;
- le règlement de la crise ivoirienne est déterminant pour la crédibilité de l'action de la France, qui doit tenir le cap d'une approche multilatérale ;
- la France doit mener un travail d'explication sur la politique qu'elle conduit en Afrique. Tous les interlocuteurs de la délégation ont relevé un déficit de communication, qui nourrit suspicions et incompréhensions. Cette démarche concerne les nouveaux partenaires de la France et les organisations régionales mais aussi, et peut-être surtout, les partenaires historiques de notre pays, qui ne doivent pas ressentir comme un désengagement la réorientation de la politique française.
M. André Dulait a conclu en rappelant que si la gestion des crises doit parfois être militaire, le règlement des crises, lui, ne l'était jamais. L'enjeu de la « bonne gouvernance » reste crucial, qui suppose l'intérêt de tous à la compétition électorale, afin de décourager la tentation de la conquête du pouvoir par des voies autres que pacifiques.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.
M. Robert Hue a estimé que dans la période charnière que traversait l'Afrique, la France pouvait jouer un rôle nouveau, à condition de bien prendre la mesure des transformations en cours. Il convient ainsi de porter sur l'Afrique du Sud un regard spécifique, compte tenu de la place que tient désormais ce pays, bien au-delà de la seule Afrique australe.
Par delà certaines réserves, les interlocuteurs de la délégation ont mis en évidence le rôle de la France comme partenaire privilégié, notamment par la mobilisation de l'Union européenne à laquelle elle travaille. L'Afrique peut ainsi constituer un élément structurant dans la construction européenne. L'Afrique du Sud est consciente de ses faiblesses, notamment, opérationnelles et la France est attendue comme un partenaire stratégique.
Il a estimé que la place de la Chine était aujourd'hui considérable en Afrique, mais qu'elle suscitait peu d'appréhension de la part des pays africains. La perception de la France est cependant encore celle du « gendarme de l'Afrique », même si son rôle est en train de changer. Il a appelé à un nouveau regard sur l'Afrique du Sud, à un renforcement de l'action de l'Union européenne et à un règlement positif de la crise en Côte d'Ivoire, où la position française, en dépit des difficultés, doit être maintenue.
Il a enfin évoqué la situation intérieure du Sénégal, considérant que les évolutions actuelles pouvaient donner lieu à une déstabilisation potentielle à l'horizon de l'élection présidentielle de 2007.
M. Yves Pozzo di Borgo a rappelé que le rapport du Secrétaire général des Nations unies avait identifié, en 1998, quatorze pays africains en guerre et onze en proie à l'agitation politique. En 2006, huit pays africains peuvent être rangés dans la première catégorie et douze, dans la seconde, ces deux catégories étant cependant perméables. D'un entretien récent avec le procureur de la cour pénale internationale, il avait retiré la corrélation entre les crises en Afrique et les intérêts pétroliers, considérant qu'il s'agissait là d'un élément essentiel. Il a considéré que l'Afrique se trouvait dans une situation de transition avec l'émergence de deux puissances africaines, l'Afrique du Sud, mais aussi le Nigeria. Cette situation nouvelle devait conduire à la réévaluation des implantations diplomatiques et militaires de la France. Cependant, la suppression envisagée du poste d'attaché de défense à Dakar et sa fusion avec le commandement des forces françaises n'étaient pas une mesure opportune d'économie.
M. Robert Bret a considéré que le rôle et la place de la France dans la gestion des crises pourraient constituer un sujet de débat de politique étrangère en séance publique et a souhaité que la commission engage une réflexion sur les droits des militaires engagés en opération extérieure.
M. Didier Boulaud s'est interrogé sur la capacité d'intervention globale de la France, compte tenu de sa situation économique. Il s'est dit convaincu de la nécessité de renforcer la présence de l'Europe en Afrique, tout en craignant que le non français au référendum sur le traité institutionnel affaiblisse une légitime revendication de partager des coûts. Il a mis en garde contre la tentation de poursuivre d'un côté une politique autonome, tout en affirmant de l'autre vouloir en partager le fardeau, tentation dont il a estimé que la situation au Tchad constituait une bonne illustration.
M. Serge Vinçon, président, a souhaité savoir si au cours des entretiens, l'attribution à l'Afrique du Sud d'un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies avait été évoquée et si des coopérations en matière d'armement pouvaient être envisagées avec ce pays.
M. André Dulait, rapporteur, a précisé que l'Afrique du Sud pouvait légitimement prétendre à un siège de membre permanent au Conseil de sécurité, mais qu'elle restait en retrait sur ce sujet. Les coopérations en matière d'armement sont rendues politiquement plus difficiles par le rôle joué par la France dans ce domaine du temps de l'apartheid. La France pourrait s'impliquer davantage dans ce secteur.
M. Robert Hue a ajouté que l'Afrique du Sud ne souhaitait effectivement pas apparaître comme trop volontariste pour un siège au Conseil de sécurité, mais que l'hypothèse de deux représentants africains, membres permanents et même dépourvus de droit de veto, avait été évoquée. Il a par ailleurs considéré qu'au-delà des questions d'armement, des opportunités économiques importantes existaient dans ce pays, notamment dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Nomination de rapporteurs
La commission a procédé à la nomination de rapporteurs. Elle a désigné :
- M. André Trillard sur le projet de loi n° 324 (2005-2006) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne relative aux obligations de service national en cas de double nationalité, ainsi qu'à l'échange de lettres franco-tunisien du 17 juin 1982 relatif à cette convention ;
- M. André Boyer sur le projet de loi n° 325 (2005-2006) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française, le Gouvernement du Royaume de Norvège et le Gouvernement de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la propriété commune d'un système de sauvetage sous-marin ;
- M. Robert Del Picchia sur la proposition de résolution n° 336 (2005-2006), présentée par M. Serge Vinçon, au nom de la Délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de règlement du Conseil instituant un instrument de stabilité (E 2727).