Mercredi 8 mars 2006
- Présidence de M. Jacques Valade, président. -Culture - Audiovisuel et médias - Droit d'auteur et droits voisins - Audition de Mme Michèle Bourgeois, MM. Michel Fauchié, Dominique Lahary et Christophe Péralès, représentants de l'Interassociation archives-bibliothèques-documentation
La commission a entendu Mme Michèle Bourgeois, MM. Michel Fauchié, Dominique Lahary et Christophe Péralès, représentants de l'Interassociation archives-bibliothèques-documentation, sur le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.
M. Dominique Lahary, vice-président de l'Association des directeurs des bibliothèques départementales de prêt (ADBDP), a indiqué que cette association existait depuis deux ans et regroupait une dizaine d'associations professionnelles représentant des bibliothèques et des centres de documentation.
Il a d'abord insisté sur les conséquences de la révolution numérique, qui conduit les bibliothèques à ne plus travailler seulement sur le seul support « papier », mais aussi, parallèlement, sur des supports numériques.
Contrairement à l'univers du papier où tout ouvrage acheté peut être conservé, communiqué sur place ou prêté, où l'acte d'achat est simple, où la durée de conservation et les conditions de lecture ne soulèvent pas de difficultés, le monde du numérique est plus complexe : les mesures techniques de protection permettent de pister et limiter les usages, l'acquisition change de nature et relève de contrats complexes nécessitant une puissance de négociation, l'obsolescence des formats et des supports peut rendre nécessaire la réalisation de copies de sauvegarde.
Il a estimé que, dans ces conditions, la poursuite par les bibliothèques, les archives et les centres de documentation, de leurs missions d'accès à l'information et à la culture passait par l'instauration de nouvelles exceptions au droit d'auteur s'inscrivant dans le cadre des exceptions « facultatives » prévues par la directive n° 2001/29 du 22 mai 2001, et respectueuses de l'équilibre entre la diffusion culturelle et l'intérêt des ayants droit.
Il s'est réjoui que la première de ces exceptions destinée à assurer la « conservation » des documents ait été reprise par le Gouvernement, au terme d'une concertation approfondie et fructueuse avec le ministère de la culture et de la communication.
Il a souhaité en revanche que le dispositif soit complété par une exception de « diffusion » qui est autorisée par la directive européenne, même s'il a regretté que cette dernière en exclue les services en ligne.
Il a également demandé une exception de faveur de l'enseignement et de la recherche, ainsi qu'une reformulation de l'exception de citation, de façon à l'étendre à l'ensemble des supports et à autoriser des citations proportionnelles aux oeuvres.
Enfin, il a insisté sur l'intérêt de revoir le dispositif de l'article 7 relatif aux mesures techniques de protection pour que celles-ci n'entravent pas l'application de ces nouvelles exceptions, ni n'empêchent l'utilisation des oeuvres après l'extinction des droits exclusifs.
M. Christophe Péralès, représentant de l'association des directeurs de bibliothèques universitaires (ADBU), a estimé que les bibliothèques universitaires se trouvaient au coeur des transformations en cours. Il a rappelé qu'à la suite du rapport de la Cour des comptes soulignant leur manque de moyens, un rattrapage avait été engagé à partir de 1990. Toutefois, les progrès effectivement réalisés n'avaient pas permis de combler l'écart qui séparait les établissements français de leurs homologues européens.
Il a souligné que les bibliothèques universitaires devaient, en outre, faire face à des charges croissantes, résultat de tout un ensemble de dispositions législatives nouvelles qui ont créé de nouveaux droits : un droit de copie perçu par le Centre français de la copie, le droit de prêt en bibliothèque, le plafonnement des remises consenties par les libraires...
Il a jugé l'instauration d'une exception en faveur de l'enseignement et de la recherche plus adaptée que le protocole négocié par le ministère de l'éducation nationale avec les représentants des ayants droit, relevant que le paiement instauré par ce dernier viendrait s'ajouter aux sommes déjà versées pour l'achat de l'ouvrage, pour le droit de reprographie et pour le droit de prêt.
Il a noté que les éditeurs de revues scientifiques revendaient, en pratique, à la communauté scientifique ce qu'elle avait elle-même produit, relevant que les auteurs des articles n'étaient généralement que pas ou peu rétribués.
Il a rappelé que les établissements universitaires avaient élaboré des annuaires permettant de recenser précisément la communauté universitaire et de subordonner l'accès à une identification de ses lecteurs garantissant le respect du périmètre de cette exception.
M. Dominique Lahary, vice-président de l'Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP), a regretté que ce protocole instaure un paiement supplémentaire sur les supports déjà achetés, insistant sur le fait que la reconnaissance d'une exception permettrait de favoriser les universités françaises dans la compétition internationale. Il a rappelé l'importance des bénéfices réalisés par de grands éditeurs scientifiques.
Mme Michèle Bourgeois, vice-présidente de l'Association des professionnels de l'information et de la documentation (ADBS), a estimé que les exceptions réclamées entraient dans le cadre fixé par la directive européenne et qu'elles satisfaisaient aux exigences du test en trois étapes.
Elle a relevé que l'exception « diffusion-communication » ne bénéficierait qu'à un cercle bien circonscrit d'utilisateurs ; que l'exception de citation répondait aux exigences de tout travail scientifique ; enfin que, dans la mesure où les étudiants n'avaient de toute façon pas les moyens de s'abonner à la plupart des revues publiées, leur communication par la bibliothèque n'était pas susceptible d'entraîner un manque à gagner pour les éditeurs.
De la même façon, elle a estimé que les reproductions adoptées aux handicapés réalisées par les bibliothèques ne concurrençaient pas l'initiative privée, dans la mesure où le catalogue commercial restait très limité.
Elle a considéré que ces exceptions n'étaient pas non plus susceptibles de constituer une atteinte aux intérêts des auteurs.
Tout en reconnaissant les tensions qui existent entre la chaîne du livre et les conditions nécessaires à la poursuite par les bibliothèques de leur mission de faciliter l'accès au savoir, M. Michel Fauchié, président de l'association pour le développement des documents numériques en bibliothèque (ADDNB), a rappelé que les bibliothèques participaient à la chaîne de fabrication du savoir, dans la mesure où elles contribuaient à la création et à la diffusion des connaissances. Il a estimé que les nouvelles pratiques se développaient aussi vite que les techniques, et que les bibliothèques devaient aujourd'hui répondre à des demandes nouvelles du public qui vient utiliser les ordinateurs qu'elles mettent à leur disposition pour les consultations, pour écouter des émissions stockées en format MP3, ou qui souhaite télécharger un document pour l'étudier à domicile. Il a indiqué en outre que les bibliothèques ne devaient pas se contenter de prêter un livre, mais devaient pouvoir, le cas échéant, fournir aussi les outils qui l'accompagnent.
Un débat a suivi ces exposés.
M. Michel Thiollière, rapporteur du projet de loi, a souligné le chemin parcouru par les thèses défendues par les associations de bibliothécaires depuis l'audition qu'il leur avait consacrée, et dont témoignait la nouvelle rédaction proposée par le Gouvernement, leur demandant si elle leur paraissait satisfaisante. Il leur a ensuite demandé les craintes que pouvait leur inspirer le protocole négocié par le ministère de l'éducation nationale avec les ayants droit.
M. Jack Ralite, tout en rappelant son profond attachement envers le droit d'auteur, a estimé qu'il ne fallait pas se cacher que celui-ci s'était en partie transformé aujourd'hui en droit des investisseurs : à côté des dispositions législatives votées dans l'intérêt de l'auteur, il fallait en effet compter avec un volet contractuel, par lequel des industriels procédaient en quelque sorte à un « marchandisage » du droit d'auteur. Il s'est inquiété des risques de captation du droit d'auteur, qui se sont accrus depuis 1985, avec la reconnaissance d'un droit voisin aux producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes.
Il s'est demandé si ce nouveau contexte ne conduisait pas souvent les auteurs et les artistes à plus défendre en réalité le droit des investisseurs que celui des auteurs eux-mêmes, relevant qu'en outre, les groupes de pression des producteurs et des industriels étaient plus puissants que ceux des créateurs et du public. Il a jugé l'idée d'une exception en faveur de l'enseignement et de la recherche à la fois fondamentale et moderne, tout en notant qu'elle se heurtait aux mesures techniques de protection : celles-ci avaient l'avantage de pouvoir s'abriter derrière une apparence d'objectivité technique, donnant une illustration supplémentaire de cette « utopie technique » qu'il avait souvent dénoncée et qui tend à escamoter la dimension politique des problèmes.
Il a demandé aux représentants des bibliothèques de lui fournir des éléments concrets illustrant ces dérives, ainsi que sur le problème général de la concentration dans le monde de l'édition.
M. Jean-Léonce Dupont a demandé des précisions sur la situation des bibliothèques universitaires françaises au regard de leurs homologues européennes, les raisons de leur retard et de la persistance d'un écart non comblé. Il a souhaité savoir si les autres bibliothèques européennes étaient également assujetties au paiement de droits multiples.
Les compléments d'information suivants ont été apportés aux commissaires :
- la rédaction de la nouvelle exception dite « de conservation » présentée par le Gouvernement est issue d'un travail commun avec le cabinet du ministre : elle est satisfaisante et répond aux préoccupations exprimées par le rapport de M. François Strasse quant à l'obsolescence des supports numériques ; mais elle ne représente qu'une partie des demandes formulées par les bibliothécaires ;
- on peut craindre que les bibliothèques universitaires françaises ne soient pénalisées par rapport à leurs homologues européennes, qui bénéficient depuis longtemps d'exceptions consacrées, et qu'elles soient amenées à devoir payer toujours davantage dans un contexte éditorial où les grands éditeurs de revues, sur support papier et sur support électronique, sont placés en situation quasiment monopolistique et peuvent ainsi imposer leurs conditions ; or il faut être conscient que la documentation est aujourd'hui la matière première de toute recherche, et que la plupart des abonnements sont hors de la portée d'un simple particulier ;
- contrairement aux revues « papier », dont on peut conserver les anciens numéros même si l'on résilie l'abonnement, l'abonnement à une revue « électronique » consiste en un accès : son interruption prive l'usager de toute archive ; en outre, les chercheurs sont aujourd'hui confrontés à une profusion de documents qui rend nécessaires des outils de médiation et une indexation méthodique : mais ces inscriptions sont réalisées par les éditeurs dans leur format et leur accès est subordonné à un paiement ;
- l'exception de citation existe certes déjà dans le code de la propriété intellectuelle, mais certains éditeurs de presse tirent argument de son exigence de brièveté pour limiter le nombre de citations dans les panoramas de presse ;
- le protocole signé par le ministère de l'éducation nationale privilégie une approche contractuelle, caractérisée par un rapport de forces qui n'est pas favorable aux universités ;
- les comparaisons entre bibliothèques européennes sont difficiles à établir ; certes, des efforts ont été consentis pour permettre aux établissements universitaires français de rattraper leur retard, notamment en matière de construction de bâtiments, avec toutefois des situations contrastées, les établissements parisiens étant handicapés par la hausse de l'immobilier ; en matière de ressources documentaires, les retards restent importants, mais le numérique pourrait permettre de réduire la fracture ;
- dans une négociation contractuelle avec les éditeurs des grandes revues, le consortium des bibliothèques universitaires françaises a évidemment moins de poids que celui des universités américaines ; des consultations sont en cours pour mettre sur pied un consortium à l'échelle européenne.
Nomination de rapporteur
Au cours de la même réunion, la commission a désigné M. Ivan Renar rapporteur de la proposition de loi n° 224 (2005-2006) de MM. Ivan Renar, Jacques Valade et plusieurs de leurs collègues, modifiant le code général des collectivités territoriales et la loi n° 2002-6 du 4 janvier 2002 relative à la création d'établissements publics de coopération culturelle.