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DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION

Mardi 29 janvier 2002

- Présidence de M. Joël Bourdin, président.

Réduction du temps de travail - Audition sur les conclusions du rapport du commissariat général du Plan

Sous la présidence de M. Joël Bourdin, président, la délégation a, tout d'abord, procédé à l'audition de MM. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, Henri Rouilleault, président de la commission « réduction du temps de travail, les enseignements de l'observation » du commissariat général du Plan, Pierre Cahuc, professeur d'économie à l'Université de Paris I, et Michel Didier, directeur de Rexecode, sur les conclusions du rapport du commissariat général du Plan sur la réduction du temps de travail.

Après les propos introductifs de M. Joël Bourdin, président, et ses remerciements aux intervenants et aux membres de la commission des affaires sociales présents, M. Jean-Michel Charpin a présenté le contexte du rapport de la « commission Rouilleault » en soulignant qu'à la différence des travaux antérieurs portant sur la réduction du temps de travail (RTT), il ne s'était pas agi de conduire une étude théorique supplémentaire, mais de tenter de tirer les leçons d'une expérience observable. Ayant jugé que cet objectif avait été atteint, il a mis en évidence quelques-uns des enjeux d'avenir identifiés par la commission : la résolution des problèmes résultant de la pluralité des SMIC, dont dépend la pérennité des emplois créés jusqu'à présent, le développement de la négociation collective, afin d'ajuster au mieux le processus de RTT, l'attention portée à la qualité des emplois en résultant.

M. Henri Rouilleault, président de la commission « réduction du temps de travail, les enseignements de l'observation » du commissariat général du Plan, a alors exposé les conclusions du rapport élaboré par la commission au terme de dix-huit mois de travaux, en rappelant que les lois portant réduction du temps de travail comportaient trois objectifs, la création d'emplois, le respect de la compétitivité des entreprises et l'amélioration des conditions de vie des salariés, et une méthode fondée sur un équilibre entre la loi et la négociation sociale. Il a insisté sur la différence entre réduction légale (base de calcul des heures supplémentaires) et réduction de la durée effective du travail dans les entreprises. Il a mentionné que les dispositifs adoptés comportaient, avec le conditionnement des aides et le contingent d'heures supplémentaires déclenchant le repos compensateur, des incitations pour garantir l'effectivité de la réduction du temps de travail.

L'intervenant a alors expliqué que le rapport avait abordé cinq questions principales : l'impact de la RTT sur les créations d'emplois, sur la compétitivité des entreprises, sur les conditions de vie des salariés, sur les négociations collectives et sur l'équilibre des comptes publics.

S'agissant des créations d'emplois, il a indiqué que les derniers chiffres disponibles, ceux du troisième trimestre 2001, démontraient la poursuite de la diffusion de la RTT qui, désormais, couvrait 58 % des salariés et 7 % des entreprises, avec une baisse de la durée du travail d'une ampleur variable : 10 % pour les accords « de Robien » et « Aubry I incitatifs », 5 % pour les accords « Aubry I non incitatifs » et 8 % pour les plus récents accords « Aubry II ».

Il a alors présenté les dernières estimations disponibles sur les créations d'emplois, soit à fin 2001, 325 000 emplois supplémentaires. Il a expliqué l'écart entre ce chiffre et celui présenté par le gouvernement, plus élevé, car fondé sur les déclarations des entreprises, qui, ex-post, doit être corrigé des effets d'aubaine évalués à 15 % des emplois déclarés par les entreprises.

Abordant l'impact de la RTT sur la compétitivité, il a d'abord jugé que l'absorption du choc sur le coût du travail avait été réalisée, pour 40 % par des gains de productivité horaire, pour 10 % par la modération salariale et pour le solde, par les aides publiques. Cependant, deux problèmes restent à régler, a-t-il estimé : la coexistence, au terme de 2005, de huit niveaux de garantie mensuelle du SMIC, dont un rendez-vous à l'automne 2002 devra déterminer le sort, une mensualisation du SMIC paraissant, parmi les différents scénarios envisageables, recommandable pour éviter un contre-effet sur l'emploi ; l'extension des obligations légales aux plus petites entreprises qu'il a jugée souhaitable, à condition de mobiliser les solutions organisationnelles disponibles et d'assouplir, dans le cadre de négociations de branche, le régime du contingent d'heures supplémentaires déclenchant le repos compensateur.

S'agissant des effets de la RTT sur les conditions de vie des salariés, M. Henri Rouilleault a fait état des conclusions de différentes enquêtes, démontrant que si les populations concernées se réjouissaient dans l'ensemble un an après de l'impact de la mesure sur leurs conditions de vie, leur jugement sur ses effets sur leurs conditions de travail était plus nuancé (une moitié sans changement, un quart en amélioration, un quart en détérioration). Il a enfin souligné la variabilité des jugements exprimés selon l'origine socioprofessionnelle des salariés, les femmes-cadres étant les plus favorables, les femmes non-qualifiées étant les moins convaincues.

M. Henri Rouilleault ayant réservé pour le débat les questions relatives à la négociation collective et aux coûts de la RTT pour les finances publiques, M. Pierre Cahuc, professeur d'économie à l'Université de Paris I, après avoir souligné la qualité des travaux conduits par la « commission Rouilleault », a cependant souhaité en souligner quelques limites. A cet effet, il a d'abord estimé que la méthode statistique employée pour mesurer les créations d'emplois résultant de la RTT était discutable puisque comportant des biais de sélection et ne permettant pas de distinguer, parmi les causes des créations d'emplois alléguées, ce qui pouvait revenir à la réduction du temps de travail de ce qui pouvait être attribué aux primes consenties aux entreprises. Il a ajouté que les études microéconomiques citées dans le rapport n'étaient guère concluantes puisqu'elles ne prenaient pas en compte le bouclage fiscal nécessaire au financement des aides, tandis que les données prospectives retenues - 500 000 créations d'emplois à terme - reposaient sur des modélisations macroéconomiques très contestables.

A leur sujet, l'intervenant a observé que, selon leurs spécifications, ces instruments associaient à la RTT, tantôt des créations d'emplois, en nombre parfois manifestement excessif, tantôt des destructions d'emplois. Ayant rappelé que des études documentées, car réalisées avec un recul suffisant, avaient pu établir que la réduction du temps de travail réalisée en Allemagne n'avait créé aucun emploi, il a souligné que les conclusions du rapport sur l'effet de la RTT sur les finances publiques dépendaient entièrement du diagnostic porté sur les emplois pouvant lui être attribués. Enfin, évoquant l'impact de la réduction de la durée du travail sur la compétitivité, il a d'abord considéré que les estimations de gains de productivité citées dans le rapport pouvaient être contestées, dès lors que l'hypothèse sur laquelle elles reposaient, c'est-à-dire le maintien de la production des entreprises concernées, n'était pas vérifiable. Il s'est ensuite inquiété des conséquences de l'extension de la RTT aux entreprises de moins de vingt salariés. Les concernant, il s'est demandé si les solutions organisationnelles évoquées dans le rapport étaient réellement disponibles et quel serait l'impact de la RTT sur les conditions de travail de leurs salariés.

M. Pierre Cahuc a alors conclu en soulignant l'urgence de traduire concrètement la recommandation du récent rapport de la délégation du Sénat pour la planification visant à susciter le renforcement d'instances indépendantes d'évaluation des politiques publiques, au besoin en les appuyant sur le Parlement.

M. Michel Didier, directeur de Rexecode, a ensuite dit sa perplexité devant les chiffres de créations d'emplois dues à la RTT avancés par le rapport, compte tenu de l'absence de recul par rapport au processus. Il a observé que si des emplois avaient pu être créés suite à la RTT, les caractéristiques tendancielles de la relation entre la croissance et l'emploi n'avaient pas été rompues depuis la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail, si bien que, corrigé de la situation particulière de l'Allemagne, le dynamisme des créations d'emplois n'avait guère été différent entre la France, engagée dans la RTT, et les autres pays européens où une telle politique n'avait pas été mise en oeuvre. Il en a conclu que le processus d'enrichissement de la croissance en emplois étant partout à l'oeuvre, il était extrêmement hasardeux d'attribuer à la RTT les bonnes performances récentes du marché du travail français. Face à des gains seulement hypothétiques, M. Michel Didier s'est alors inquiété des effets nocifs, très concrets, que paraît d'ores et déjà exercer le processus de réduction du temps de travail sur la compétitivité française. Ayant observé que la remontée du chômage en France avait été la plus précoce en Europe, il s'est demandé si cette caractéristique, ainsi que les pertes de parts de marché de la France dans le commerce mondial, n'étaient pas imputables aux tensions sur les coûts des entreprises, aggravées par la réduction de la durée du travail.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Jean Chérioux a souligné que la soi-disant préservation de la compétitivité des entreprises était assise sur deux dispositifs artificiels : la modération salariale, qui n'est aucunement acquise, et les aides publiques dont le financement suppose des coûts pour les entreprises.

M. Gérard Bailly a d'abord relevé la rapide dégradation du marché du travail dans son département pour les entreprises passées aux 35 heures. Puis, il a dénoncé les effets collatéraux de la RTT sur les fonctions publiques ainsi que le découragement exercé sur les aspirations au « libéralat ». Enfin, il s'est interrogé sur les vertus des crédits publics consacrés à la RTT par rapport à des utilisations alternatives.

M. Joseph Kerguéris s'est interrogé sur la pérennité de la pause salariale et s'est demandé si, compte tenu de la contagion de la RTT vers le secteur public, il ne fallait pas revoir le bilan de ses coûts en très forte hausse par rapport à l'approche développée dans le rapport.

M. Jean-René Lecerf, mentionnant la dégradation de la compétitivité des entreprises frontalières du Nord, a préconisé de faire des entreprises de cette nature le prisme d'une étude sur les effets de la RTT sur la situation concurrentielle des firmes auxquelles elle est imposée.

Mme Evelyne Didier a souhaité recueillir les recommandations des intervenants en matière de dialogue social.

M. Joël Bourdin, président, a considéré que le bilan de la RTT en matière de coût du travail méritait d'être affiné, afin de prendre en compte les évolutions en dynamique, et s'est inquiété de l'impact de la mesure sur les finances publiques, directement à travers les prélèvements obligatoires supplémentaires, et, indirectement, à travers son extension aux fonctions publiques.

M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, s'est d'abord étonné des appréciations portées sur la méthode statistique employée pour mesurer l'impact de la RTT sur l'emploi, la considérant comme robuste puisque se bornant à constater que les créations d'emplois ont été significativement plus importantes dans les entreprises qui ont réduit la durée du travail.

Il a alors observé que l'enrichissement de la croissance en emplois, phénomène majeur ayant marqué la vie économique française dans la fin des années 90, avait été obtenu par une combinaison de mesures, dont la RTT, et avait permis un partage favorable entre gains de productivité et créations d'emplois.

Il a enfin estimé que le coût financier des « 35 heures » devait être mis en rapport avec ses effets dynamisants pour la croissance, le retour à la confiance des ménages, en particulier, et qu'il s'était agi d'un excellent investissement.

M. Henri Rouilleault, ayant rappelé que le rapport n'évoquait pas la RTT dans la fonction publique, non réalisée pendant les travaux de la commission, mais qui pèsera sur le bilan final, a considéré que les effets que celle-ci pourrait avoir sur l'emploi, assez certains pour les hôpitaux, avec environ 6 % d'emplois supplémentaires, ne l'étaient pas pour les autres fonctions publiques, faute de crédibilité concernant notamment la fonction publique territoriale.

Evoquant les perspectives de l'impact de la RTT sur l'emploi, il a jugé qu'elles dépendraient, en particulier, de la capacité des gouvernants à résoudre les problèmes en suspens concernant le SMIC. Il a souligné que les résultats mis en évidence dans le rapport avaient pour source les déclarations des entreprises des différentes « générations » (de Robien, Aubry I, Aubry II) dans les enquêtes trimestrielles réalisées par le ministère de l'emploi et de la solidarité.

Revenant sur le déroulement de la négociation collective, l'intervenant a remarqué que, si elle avait très mal fonctionné au sommet, le 10 octobre 1997, à la base, de nombreux accords étaient intervenus. Il a alors souhaité que ce succès soit prolongé à l'avenir, estimant qu'il y avait « trop de loi et trop de dérogation », et que, globalement, la place réservée à la loi était excessive. Il a appelé à une relance de la négociation, jugeant que, hors les grands principes et dispositions d'ordre public social, le contrat devait se substituer à la loi sous la condition qu'il débouche sur de vrais accords majoritaires. Il a estimé que le Parlement, plutôt que de légiférer dans le moindre détail, comme « l'habillage et le déshabillage », pourrait jouer un rôle accru en développant son activité d'évaluation des politiques publiques et de contrôle de la mise en oeuvre des lois.

L'équilibre de la RTT en termes de comptes publics dépendrait de ses effets sur l'emploi, a-t-il estimé, avant de souligner que ceux-ci étaient en l'état avérés et, pour l'avenir, suspendus à la résolution des problèmes liés au SMIC. M. Henri Rouilleault a par ailleurs estimé que, si l'Etat devait aujourd'hui, faute de négociation préalable, se substituer aux administrations de sécurité sociale, pourtant principales bénéficiaires de la RTT, pour financer les aides, il faudrait, à mesure de sa généralisation, porter en recettes du Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) différentes ressources.

Il a enfin exprimé à nouveau son souhait que la RTT soit étendue aux petites entreprises, estimant qu'il serait choquant, à terme, d'ajouter aux handicaps salariaux relatifs que subissent leurs salariés un écart défavorable en termes de durée du travail, jugeant toutefois que le rythme de cette extension devrait être souple.

M. Michel Didier s'est inquiété des problèmes de financement des aides, d'ores et déjà apparus, relevant le paradoxe de la coexistence de ces problèmes avec une conjoncture particulièrement favorable pour l'emploi. Puis, il a estimé qu'à supposer que la RTT ait eu, jusqu'à présent, des effets favorables sur l'emploi, les entreprises réagiraient au choc de compétitivité qu'elle a représenté pour elles, si bien qu'in fine, seul en resterait un héritage très lourd : la question des SMIC et les coûts pour les finances publiques et, finalement, plus de dette publique ou de prélèvements obligatoires.

Il en a tiré deux conclusions : la nécessité de laisser davantage d'espaces à la négociation à l'avenir, et celle de croiser les évaluations des politiques publiques en confrontant les analyses de l'exécutif avec d'autres analyses.

Nomination de rapporteur

La délégation a enfin procédé à la nomination d'un rapporteur.

Elle a décidé de confier à M. Yvon Collin un rapport sur les perspectives et les enjeux économiques du football professionnel en Europe.