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DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION

Mardi 20 novembre 2001

- Présidence de M. Joël Bourdin, président.

Perspectives macroéconomiques à l'horizon 2006 - Examen du rapport d'information

M. Joël Bourdin, président, a présenté les résultats d'une projection de l'économie française à l'horizon 2006.

Il a d'abord rappelé que ces exercices de projection visaient d'abord à introduire une dimension prospective à moyen terme dans l'analyse des principales lois « financières », la loi de finances et la loi de financement de la Sécurité sociale, et ensuite à rendre compte des résultats de travaux réalisés à l'aide de modèles.

Il a précisé que, depuis la fin des années 70, le Sénat avait souhaité recourir aux instruments modernes de l'analyse économique, utilisés par ailleurs largement par le gouvernement pour conduire ses réflexions.

Il a insisté sur le fait que si les modèles ne permettent pas de prévoir l'avenir, le recours à ces instruments reste indispensable pour au moins deux raisons :

- les évolutions qu'ils décrivent sont cohérentes entre elles et avec les évolutions observées dans le passé, si bien que, si un scénario à moyen terme élaboré à l'aide d'un modèle n'est pas une prévision, c'est un scénario possible, au sens fort du mot, c'est-à-dire un scénario qui peut se réaliser ;

- les projections à moyen terme qui, par construction, prolongent les tendances à l'oeuvre dans l'économie, constituent un instrument de « lecture » tout à fait indispensable pour comprendre les forces à l'oeuvre dans l'économie du moment.

Après ces propos liminaires, M. Joël Bourdin, président, ayant indiqué que le rapport comportait trois chapitres, le premier consacré aux perspectives de l'environnement international, le deuxième à celles de l'économie française et le troisième aux finances publiques, a exposé les principales questions relatives à l'évolution de l'économie mondiale.

A ce propos, il a mis en évidence deux conclusions essentielles :

- contrairement à un discours ambiant, l'économie européenne reste extrêmement dépendante de l'économie américaine ;

- si cette situation appelle une correction, celle-ci ne doit pas être attendue d'un affaiblissement de l'économie américaine.

Ayant explicité la détérioration en cours des perspectives économiques, il a souligné qu'un de ses enseignements était que l'économie européenne se trouvait beaucoup plus dépendante que certains ne le disent de l'économie américaine.

S'il a dit sa conviction que l'Europe avait beaucoup progressé en adoptant une monnaie européenne, il a fait le constat que cela n'impliquait aucunement que l'Europe puisse être indifférente aux évolutions de l'économie du reste du monde et, en particulier, à celle de l'économie américaine. Il a estimé qu'il n'y avait pas de « forteresse-Europe », et que, si l'euro offrait des protections bienvenues, il ne saurait y avoir de « forteresse-Europe » tant que l'Europe n'aurait pas trouvé les moyens d'une suprématie économique.

Il a alors précisé les manifestations de la dépendance européenne en soulignant deux constats :

- le premier, selon lequel est entièrement erronée l'idée forgée sur la base d'une Europe, qui, entretenant la plupart de ses relations commerciales avec elle-même, pourrait être indifférente à l'évolution de l'économie américaine. Ayant rappelé que les résultats de simulations effectuées pour la délégation par le Centre d'observation économique de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris avaient déjà invalidé cette idée, il a indiqué que de nouvelles simulations, récemment présentées par le fonds monétaire international, confirmaient totalement ces précédents résultats.

Il a avancé que, au-delà des échanges commerciaux entre l'Europe et les Etats-Unis, il fallait, pour mesurer la dépendance européenne, tenir compte du rôle prééminent des Etats-Unis dans l'économie globalisée.

Il a indiqué que cette prééminence ne tenait pas seulement à la place de l'économie américaine dans le monde, bien qu'avec une consommation des ménages américains représentant 15 % de la consommation mondiale, un infléchissement de cette consommation pèse très lourd sur l'ensemble du système productif mondial, mais aussi à ce que l'économie américaine avait, du fait du dollar, mais aussi de son exceptionnel dynamisme des années 90, « pompé » une bonne partie de l'épargne mondiale. Il a jugé naturel que, si le monde entier avait financé la croissance américaine, il soit aussi particulièrement sensible à la valeur des créances qu'il détient sur l'économie américaine et réagisse à toute perspective de dévalorisation par des modifications de comportement économique allant bien au-delà de l'impact commercial d'un ralentissement américain ;

- le second constat, selon lequel les politiques économiques européennes semblent suspendues aux décisions américaines. Ayant noté que, face à des situations de ralentissement économique brutal, tout le monde se souvenait de l'utilité de mettre en oeuvre des politiques économiques de stabilisation conjoncturelle, il a constaté qu'à l'inverse des Etats-Unis, l'Europe ne semblait pas en mesure d'activer de telles politiques.

S'agissant de la politique monétaire, après avoir exprimé sa conviction que les hommes politiques ne devaient pas en faire un objet de polémique, il a admis qu'il n'était guère possible d'échapper à la constatation que la Fed américaine avait constamment devancé la Banque centrale européenne dans les récentes initiatives de réduction des taux d'intérêt. Il a expliqué cette circonstance par la faiblesse fondamentale de l'euro. Ayant précisé que, dans son esprit, une monnaie forte n'était pas une monnaie dont le cours est élevé, mais une monnaie dont ceux qui la gèrent peuvent faire ce qu'ils veulent, il a observé que, contrairement aux autorités américaines pour le dollar, l'Europe ne paraissait pas en mesure de contrôler aussi aisément sa monnaie.

M. Joël Bourdin, président, a regretté qu'il en aille de même pour la politique budgétaire. Ayant précisé que les Etats-Unis avaient mis en oeuvre des moyens exceptionnels, puisque près de 150 milliards de dollars seraient injectés dans le secteur privé par l'administration américaine, soit 1,6 point de PIB environ, il a déploré que l'Europe, parce que ses comptes publics n'avaient été qu'insuffisamment redressés au cours de la phase récente d'expansion, soit incapable d'un tel effort, ajoutant que la France avait, dans ce domaine, une responsabilité particulière.

M. Joël Bourdin, président, a alors exposé les principaux résultats de la projection de l'économie française pour la période 2001-2006.

Ayant indiqué qu'il s'était agi de construire un scénario de retour au plein-emploi, il a estimé que, malgré un scénario très favorable, les résultats obtenus étaient décevants : le taux de chômage en 2006 reste élevé, à 6,8 % contre les 5 % nécessaires pour diagnostiquer un retour au plein-emploi.

Il a alors explicité les deux éléments a priori favorables du scénario :

- une croissance effective qui rebondirait dès 2002 et, au-delà, se situerait constamment au-dessus de la croissance potentielle théorique de l'économie française.

Il a précisé que cette croissance provenait d'une demande intérieure particulièrement bien orientée, avec une forte consommation des ménages et des entreprises investissant beaucoup. Il a indiqué que si la consommation des ménages était forte, c'était que leur revenu était dynamique, non pas tant parce que les revenus salariaux progressaient fortement, ce qui serait incompatible avec la diminution du chômage, mais parce que les entreprises versaient d'importants dividendes, dans un contexte de stabilité du taux d'épargne des ménages.

Il a observé que si les entreprises investissaient, en dépit d'une dégradation de leurs comptes, cela se produisait parce que les taux d'intérêt, posés en hypothèses, étaient bas ;

- l'absence de toute tension sur les prix.

Ayant concédé le paradoxe entre ce résultat et une croissance effective surpassant la croissance potentielle, il a indiqué que l'élément central de résolution de ce paradoxe était que le taux de chômage, à partir duquel se déclenche une inflation par les coûts, rétrogradait en projection.

Il a alors souligné le caractère exigeant d'une telle hypothèse, puisque les estimations concluent en général que le taux de chômage d'équilibre tourne, en France, autour de 9 %.

Concluant que les résultats de la projection étaient soumis à de fortes incertitudes, il les a illustrées en présentant plusieurs variantes. Il a indiqué que les deux premières variantes décrivaient ce qui se produirait si la demande intérieure était moins dynamique :

dans le premier cas, l'effort d'investissement des entreprises ne s'accentue pas et reste à son niveau de 2001. Le PIB est inférieur de 0,6 point en fin de période par rapport au scénario central et le taux de chômage est plus élevé de 0,3 point, c'est-à-dire qu'il atteint 7,1 % en 2006.

dans le second cas, c'est le revenu des ménages qui est concerné. Sa part dans le PIB ne varie pas par rapport à 2001. Le PIB est inférieur de 0,7 point en fin de projection et le taux de chômage est là aussi plus élevé de 0,3 point.

Il a estimé que la perspective d'un maintien de la part du revenu des ménages dans le PIB n'était pas la moins probable, puisque, dans le scénario central, le dynamisme de ce revenu dépendait d'une forte augmentation des dividendes des entreprises, qui n'est pas acquise, et d'une stabilité du taux d'épargne des ménages, qui tranche avec la tendance de long terme à son accroissement.

Il a alors présenté une troisième variante montrant ce qui se passerait si le taux de chômage d'équilibre demeurait au niveau de 9 % ;

- le PIB est peu affecté en début de période, mais des tensions inflationnistes surviennent ensuite. Il en résulte une décélération de la demande intérieure - le pouvoir d'achat des ménages souffre de l'inflation - et une dégradation des échanges extérieurs. Finalement, le PIB est réduit de 1,1 point par rapport au scénario central et le taux de chômage est supérieur de 0,4 point. Il a tenu à préciser que, si ces résultats n'étaient pas extrêmement spectaculaires, il en irait tout autrement si l'on prolongeait la projection au-delà de l'horizon 2006, l'objectif d'un retour au plein-emploi devenant alors une utopie.

M. Joël Bourdin, président, a alors souligné l'importance des effets d'une rigidité des salaires et, corrélativement, celle d'une modération des coûts salariaux.

Il s'est alors interrogé sur les conditions d'une telle modération.

Estimant probable que de forts gains de productivité la favoriseraient, comme cela avait été constaté aux Etats-Unis, il a indiqué que la projection n'était pas construite sur une telle hypothèse, l'accélération des gains de productivité supposant les conditions structurelles d'un dynamisme plus grand, qui pourraient n'être pas réunies au cours de la période à venir.

Il en a conclu qu'il restait d'abord à faire appel à la responsabilité des partenaires sociaux, trouvant quelques motifs d'espoir dans la flexion des comportements observés dans le secteur privé, vers davantage d'attention portée au partage du travail que dans le passé.

Il a ajouté que le rôle de l'Etat était tout particulièrement essentiel, estimant que celui-ci avait deux devoirs impérieux :

- le premier, de mieux favoriser le travail qu'il ne le fait, c'est-à-dire d'alléger les coûts qu'il fait peser sur les revenus du travail, mais aussi de supprimer les incitations à ne pas travailler, tant pour éliminer les trappes à inactivité que pour conduire une politique du temps de travail qui favorise l'essor des facteurs de production ;

- le second, de conduire une politique de recrutement qui n'évince pas l'emploi privé et de montrer l'exemple du point de vue de sa politique salariale.

M. Joël Bourdin, président, ayant estimé que telle n'était pas la tendance, a alors exposé les conclusions du rapport, relatives aux finances publiques.

Il a indiqué que les résultats de la projection devraient être a priori très bons, puisque la croissance y était soutenue et que des hypothèses très prudentes de progression des dépenses publiques avaient été formulées.

Il a souligné que, malgré cela, contrairement à ce que prévoyait le dernier programme de stabilité de la France 2001-2004, les comptes publics n'étaient pas équilibrés à cet horizon, un déficit public subsistant alors, et l'équilibre n'intervenant qu'en 2006.

Il a jugé que ce résultat décevant montrait que, dès que la croissance s'infléchissait, comme c'est le cas dans le compte en 2001 et 2002, l'équilibre des finances publiques en pâtissait, ajoutant que la France aurait dû mieux profiter de la phase d'expansion récente pour redresser ses comptes publics.

Il a estimé que ce résultat signifiait aussi que le choc prévisible des retraites n'était pas provisionné.

Il a enfin remarqué que, si ce résultat était décevant, il était pourtant tributaire de deux facteurs, loin d'être acquis : le retour à une croissance dynamique qui, spontanément, améliore l'équilibre public, et une politique volontariste des finances publiques.

Ayant observé que la France n'avait respecté, sur ce plan, aucun des programmes qu'elle s'est fixés depuis 1999, il a montré qu'une variante, retenant des hypothèses plus tendancielles d'évolution des dépenses publiques, donnait des résultats encore moins favorables.

Précisant que les hypothèses alternatives testées dans cette variante apparaissaient prudentes, puisqu'il s'agissait de mesurer une progression des dépenses de santé de 4 %, contre 1,8 % dans le scénario central, et une augmentation de l'emploi public supérieure de 0,4 point par an, il a précisé que dans un tel cas, le déficit public poursuivait sa diminution, mais s'élevait cependant à 0,2 point à PIB en 2006.

Un large débat s'est alors ouvert en délégation.

M. Marcel Lesbros a souligné que la dépendance de l'économie européenne à l'égard des Etats-Unis invitait à trouver les voies d'une croissance plus soutenue en Europe.

M. Jean-Pierre Plancade s'est demandé dans quelle mesure le rétablissement des comptes publics américains résultait d'une politique volontariste, soulignant l'impact de la croissance économique exceptionnelle connue par ce pays.

En réponse aux intervenants, M. Joël Bourdin, président, a tout d'abord insisté sur la nécessité d'améliorer le niveau de la productivité en Europe, pour que cette zone connaisse une croissance robuste. Puis, après avoir concédé que l'élimination des déficits publics américains avait été favorisée par la croissance, il a insisté sur la contribution à cette élimination d'une politique délibérée allant dans ce sens.

MM. Gérard Bailly et Roger Rinchet s'étant interrogés sur la possibilité, dans un exercice de simulation, de prendre en compte les phénomènes de délocalisation, M. Joël Bourdin, président, a précisé que les variations du chômage extériorisées par la projection étaient censées les prendre en compte. Il a cependant précisé qu'au cas où une rupture avec le passé se produirait, les chiffres du chômage devraient être révisés à la hausse.

M. Jean-Pierre Plancade s'étant inquiété des effets de la mondialisation et, en particulier, des accords récemment conclus à la conférence de Doha sur la localisation des industries du textile, M. Joël Bourdin, président, s'est demandé si une nouvelle vague de délocalisations n'était pas à redouter.

M. Joseph Kerguéris a alors considéré que, si ces phénomènes étaient assez largement inéluctables, comme le montre l'histoire économique, ils invitaient à réfléchir plus globalement aux déterminants de l'investissement.

M. Roger Richet a abondé dans ce sens, évoquant en particulier la responsabilité des collectivités locales dans l'accueil des investissements industriels.

La délégation ayant adopté le rapport sur les perspectives de l'économie française à moyen terme a alors décidé d'en autoriser la publication.

Nomination de rapporteurs

La délégation a enfin procédé à la nomination de rapporteurs.

Elle a décidé de confier à M. Joseph Kerguéris un rapport sur lesdéterminants de l'investissement, à M. Joël Bourdin, président, un rapport sur lesréformes fiscales en Europe depuis 1992, et a constitué un groupe de travail composé de MM. Joël Bourdin, président, Pierre André et Jean-Pierre Plancade pour rapporter sur les conditions de l'évaluation des politiques publiques en France.