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DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION

Mardi 15 mai 2001

- Présidence de M. Joël Bourdin, président.

Nomination de rapporteurs

La délégation a décidé de confier :

- à M. Joël Bourdin, deux rapports d'information, portant respectivement sur le retour au plein emploi et sur les perspectives macroéconomiques à moyen terme de la France ;

- à M. Serge Lepeltier, un rapport d'information sur l'automobile en France et ses effets externes, en particulier environnementaux.

Perspectives de retour au plein emploi - Audition de M. Jean Pisani-Ferry, président délégué du Conseil d'analyse économique

La délégation a procédé à l'audition de M. Jean Pisani-Ferry, président délégué du Conseil d'analyse économique, sur les perspectives de retour au plein emploi.

Après avoir précisé qu'il s'exprimait en tant que chercheur, et non en tant que président délégué du Conseil d'analyse économique, M. Jean Pisani-Ferry a rappelé les principaux points de son rapport « Plein emploi », remis en l'an 2000 au Premier ministre.

Il a souligné, tout d'abord, l'importance de la rupture observée dans le rythme de créations d'emplois depuis 1998. Il a indiqué que ce phénomène s'expliquait à la fois par une croissance du PIB redevenue proche de son potentiel, et par un ralentissement de la productivité du travail, c'est-à-dire un enrichissement du contenu de la croissance en emplois. Il a estimé que si les politiques de l'emploi, en particulier les allégements de charges sociales sur les bas salaires et la réduction du temps de travail, avaient contribué à ce dernier phénomène, d'autres facteurs avaient également joué, comme le délai mis par les entreprises pour prendre en compte le fait que le partage de la valeur ajoutée leur était devenu plus favorable depuis le milieu des années quatre-vingt.

M. Jean Pisani-Ferry a, alors, considéré que la croissance des salaires individuels allait probablement augmenter au cours des années à venir. Il a estimé que cette faible croissance de la productivité du travail ne pourrait par conséquent vraisemblablement pas être maintenue.

M. Jean Pisani-Ferry a rappelé qu'il définissait, dans son rapport, le plein emploi par un taux de chômage inférieur à 5 % et un taux d'activité élevé. Il a indiqué que le taux d'activité était en effet particulièrement faible en France pour les personnes ayant moins de 25 ans ou plus de 55 ans. M. Jean Pisani-Ferry a précisé que, du fait d'une augmentation du taux d'activité, la population active pourrait ne pas décliner à partir de l'année 2005. Il a évalué le nombre annuel de créations d'emplois nécessaire pour ramener le taux de chômage à 5 % en l'an 2010 à 160 000 si l'on retenait les projections de population active usuelles de l'Insee, à 230 000 si l'on prenait en compte les évolutions récentes du taux d'activité, et à un chiffre compris entre 300 000 et 400 000 si l'on retenait l'hypothèse d'un relèvement important de ce taux. Il a estimé, ainsi, que les sous-emplois explicite (taux de chômage) et implicite (sous-activité) étaient à peu près équivalents.

M. Jean Pisani-Ferry a souligné que l'objectif d'un retour au plein emploi en l'an 2010 était ambitieux, puisqu'il supposait une croissance du PIB de l'ordre de 3 % par an en moyenne.

Il s'est alors interrogé sur la stratégie économique à mener.

Il a tout d'abord estimé que si, au début des années quatre-vingt-dix, l'économie française connaissait une insuffisance de demande, elle était aujourd'hui confrontée à des problèmes d'offre, et qu'en particulier la question du taux de chômage structurel allait retrouver son importance. Il a considéré que ce dernier devait être réduit, grâce à des politiques spécifiques.

Il a ensuite proposé de développer l'activité, en reculant l'âge de fin de carrière et en rendant les transitions entre RMI et emploi plus favorables aux salariés.

Il s'est enfin interrogé sur la manière de réduire le taux de chômage des actifs les moins qualifiés. Il a souligné l'importance de cet enjeu, indiquant qu'au mois de mars de l'année 2000, sur 2,5 millions de chômeurs en quête d'emploi, 1 million n'avait pas le certificat d'études et 1 million n'avait pas le baccalauréat. Il a estimé que si la politique de formation initiale et continue ne pouvait pas, à moyen terme, changer radicalement cette situation, le dispositif d'allégements de charges sociales sur les bas salaires semblait efficace. Il a considéré que celui-ci devait être pérennisé, et que la suppression de la conditionnalité des allégements de charges sociales au passage aux 35 heures pourrait constituer un signal en ce sens. Il a également estimé que l'amélioration de l'adéquation entre offres et demandes d'emploi était un enjeu essentiel.

M. Joël Bourdin, président, a souligné qu'une augmentation du taux d'activité pouvait ralentir la diminution du taux de chômage. Il a interrogé M. Jean Pisani-Ferry sur les modalités d'un éventuel arbitrage entre ces deux objectifs. Il lui a également demandé s'il lui semblait souhaitable de prendre en compte la durée du travail, plus faible en France qu'aux Etats-Unis et qu'au Japon, dans la définition du plein emploi.

En réponse, M. Jean Pisani-Ferry a précisé que, de son point de vue, si un taux d'activité élevé était un élément du plein emploi, c'était parce que les inactifs étaient souvent des personnes qui, comme les chômeurs, souhaitaient disposer d'un emploi. Il a donc estimé qu'il n'y avait pas lieu d'arbitrer entre réduction du taux de chômage et augmentation du taux d'activité. Il a également considéré qu'il n'était pas souhaitable de fixer un objectif de durée du travail, celle-ci provenant d'un choix de société.

M. Gérard Roujas a souligné l'efficacité du dispositif d'allégement de charges sociales, et M. Marcel Lesbros a considéré que la politique de l'emploi devait être davantage territorialisée.

Information économique aux Etats-Unis - Examen du rapport d'information

La délégation a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Joël Bourdin sur l'information économique aux Etats-Unis.

M. Joël Bourdin, rapporteur,
a, tout d'abord, souligné le contraste entre la France et les Etats-Unis en matière d'information économique. Il a rappelé l'existence des « Think Tanks », instituts indépendants qui publient des études sur les politiques publiques, et surtout des « offices » du Congrès, comme le « General Accounting Office » (GAO), qui réalise à la demande des parlementaires des contrôles et des audits d'administrations, ou le « Congressional Budget Office » (CBO), qui publie des évaluations du coût des dispositions législatives en discussion. Il a précisé que ces institutions étaient mal connues en France, faute d'information disponible en français.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a estimé que le dispositif d'information économique des Etats-Unis ne pouvait pas être transposé directement en France, du fait de différences, en particulier institutionnelles, entre les deux pays. Il a cependant considéré que l'exemple des Etats-Unis permettait de mettre en évidence certains dysfonctionnements de l'information économique en France.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a souligné deux aspects essentiels de l'information économique aux Etats-Unis : tout d'abord, les garanties apportées à l'exercice de la liberté d'accès aux documents administratifs, avec en particulier des sanctions disciplinaires et pénales contre les fonctionnaires récalcitrants ; ensuite, l'accessibilité des économistes et des statisticiens publics, à qui il est demandé de répondre systématiquement aux questions méthodologiques émanant d'experts extérieurs à l'administration.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a estimé que la France souffrait d'un manque de contre-expertise indépendante dans des domaines aussi essentiels que l'éducation, la fiscalité, l'analyse micro-économique, les politiques sociales et l'évaluation des politiques publiques.

Il a insisté sur quatre propositions présentées dans son rapport : compléter la loi du 17 juillet 1978 par des dispositions relatives à l'accès aux documents administratifs par l'intermédiaire du réseau Internet ; diffuser plus largement les fichiers de micro-données fiscales et sociales nécessaires à l'évaluation des politiques publiques ; assigner pour objectif aux corps d'inspection et de contrôle d'être eux-mêmes des administrations exemplaires et les astreindre à rendre eux-mêmes des comptes ; décloisonner la haute fonction publique, notamment en l'ouvrant à des chercheurs extérieurs.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a ensuite souligné quatre conclusions relatives aux offices du Congrès. Il a estimé que l'existence des offices du Congrès était étroitement liée aux pouvoirs étendus de ce dernier, en particulier dans le domaine budgétaire. Il a considéré que ces offices ne constituaient pas une panacée, et s'étaient par exemple trompés en matière de prévisions économiques, de concert avec les autres institutions d'analyse économique. Il a également jugé que l'étude détaillée de leur fonctionnement permettait d'identifier les difficultés auxquelles seraient confrontées les assemblées parlementaires françaises si elles souhaitaient disposer d'une réelle contre-expertise économique. Il a également indiqué que les offices disposaient de moyens humains considérables, qui paraissaient à ce jour hors de portée des assemblées parlementaires françaises.

Enfin, M. Joël Bourdin, rapporteur, a présenté deux propositions : consacrer l'accès du Parlement aux rapports des corps de contrôle de l'Etat, et poursuivre le rapprochement entre le Parlement et la Cour des comptes.

M. Gérard Roujas s'est interrogé sur l'instauration éventuelle en France d'un office chargé d'informer les parlementaires dans le domaine économique, et M. Marcel Lesbros a déploré que l'administration française ne soit pas plus transparente vis-à-vis du Parlement.

La délégation a alors adopté le rapport d'information présenté par M. Joël Bourdin sur l'information économique aux Etats-Unis.