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DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION

Mardi 16 novembre 1999

- Présidence de M. Joël Bourdin, président.

Perspectives macroéconomiques à moyen terme (1999-2004) - Examen du rapport d'information

La délégation a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Joël Bourdin sur les perspectives macroéconomiques à moyen terme (1999-2004).

M. Joël Bourdin, rapporteur, a tout d'abord rappelé la finalité de cet exercice auquel, depuis 1982, la délégation se livre chaque année avant la discussion budgétaire. Il vise tout d'abord à introduire une dimension prospective à moyen terme dans l'analyse des projets de loi à caractère financier (loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale) que le Sénat est conduit à examiner. Par ailleurs, ce rapport d'information rend compte des résultats de travaux réalisés à l'aide de modèles.

Si, depuis la fin des années 70, le Sénat a souhaité recourir aux instruments modernes de l'analyse économique, que le Gouvernement utilise par ailleurs largement pour conduire sa réflexion, ce n'est certes pas pour prévoir l'avenir, mais pour décrire des évolutions cohérentes entre elles, tenter de simuler des " chocs " de politique économique ou sur l'environnement international et, enfin, illustrer les principales tendances à l'oeuvre dans l'économie française et, ainsi, mieux répondre aux questions d'orientation de la politique économique qui se posent aujourd'hui.

Évoquant ensuite les perspectives à moyen terme pour l'économie mondiale, M. Joël Bourdin, rapporteur, a illustré la contradiction entre les opportunités, réelles, de croissance mondiale, qui donnent aujourd'hui une tonalité très optimiste à la plupart des analyses, et les risques, tout aussi évidents, de crise financière, tant la situation de l'économie américaine est, à bien des égards, anormale. En effet, si le dynamisme exceptionnel des ménages et des entreprises américaines a permis de soutenir la croissance mondiale et de surmonter la crise des pays émergents (la demande intérieure privée américaine assure depuis deux ans 50 % de la croissance de la demande mondiale, alors que les États-Unis ne représentent que 21 % du PIB mondial), le problème le plus grave pour le court terme vient de l'endettement des États-Unis, lequel résulte de l'attitude des agents privés (ménages et entreprises) qui s'endettent pour acheter des actions, ce qui contribue au gonflement des marchés boursiers.

Le rapport présente ainsi une simulation d'" atterrissage brutal " de l'économie américaine, réalisée par le Centre d'observation économique (COE) de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, à l'aide de son modèle Oxford Economic Forecasting, conjuguant chute du dollar, chute de la bourse (de 30 %) et hausse de 2 points des taux longs, crise se diffusant en outre vers les autres places financières. Cette simulation montre que la croissance des États-Unis serait amputée de 0,4 point la première année, puis de 0,9 point la deuxième année, et celle de l'Europe de 0,2 point pendant deux ans.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a toutefois estimé que ce type de simulation ne pouvait pas décrire les conséquences d'une défiance durable envers le dollar qui se traduirait par une hausse, elle-même durable, des taux d'intérêt, et une dégradation de la compétitivité européenne.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a par ailleurs évoqué les perspectives de croissance à moyen terme en Europe, en rappelant que celles-ci étaient souvent fondées sur la notion de " croissance potentielle ", c'est-à-dire la croissance maximale pouvant être obtenue sans tensions inflationnistes. Il a cependant souligné que l'exemple des États-Unis, longuement analysé dans le rapport, notamment pour les enseignements que l'Europe pourrait en tirer, montrait bien que la croissance pouvait être durablement supérieure à ce que l'on considérait jusque-là comme son potentiel, à condition que l'accumulation du capital productif soit elle-même élevée. Il a ainsi estimé que la clé de la croissance en Europe pour les prochaines années était la rentabilité des investissements et la capacité des entreprises à les financer.

Présentant ensuite les perspectives à moyen terme pour l'économie française, M. Joël Bourdin, rapporteur, a considéré qu'elles rendaient généralement une tonalité optimiste, la croissance affichée pour le moyen terme étant comprise entre 2,5 et 3 % par an, alors qu'elle n'a été que de 1,7 % par an entre 1990 et 1997.

Les projections à moyen terme montrent ainsi que le dynamisme actuel de la demande privée est solide. Ceci peut s'expliquer par le fait que la France a subi, plus que ses partenaires européens, les conditions monétaires très pénalisantes (taux d'intérêt et taux de change) de la première moitié des années 90, en sorte que l'on pourrait assister aujourd'hui, et pour les prochaines années, à un phénomène de rattrapage du retard pris entre 1990 et 1995.

Il en résulte pour la France une inversion nécessaire des priorités de la politique économique : celles-ci ne doivent plus être orientées vers le soutien de la demande, dans la mesure où celle-ci paraît solidement établie, mais vers le soutien de l'offre productive car, comme le montre l'exemple des États-Unis, dans un contexte de demande soutenue, l'accumulation du capital permet d'avoir une croissance durablement élevée.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a ensuite évoqué l'incidence à moyen terme de la mise en oeuvre des 35 heures. Il a ainsi rappelé que l'impact des 35 heures sur l'économie française constituait une forte incertitude à moyen terme. Il a tout d'abord souligné que l'idée selon laquelle les 35 heures auraient d'ores et déjà effectivement créé 100.000 emplois dans l'économie française relevait d'une incompréhension du bilan d'étape effectué par le ministère de l'emploi.

Évoquant les perspectives, il a indiqué que les nouvelles simulations élaborées par l'OFCE, à la demande du Sénat, qui s'appuient sur le bilan des premiers accords, révisaient nettement à la baisse les estimations antérieures de l'impact des 35 heures sur l'emploi.

Mais surtout, ces simulations montrent que la mise en oeuvre des 35 heures pourrait spontanément détériorer les comptes des entreprises, comme ceux des administrations publiques, ce qui n'est pas de nature à créer les conditions favorables à une forte accumulation du capital.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a ensuite présenté les principales tendances des finances publiques. Les projections, réalisées à l'aide du modèle MOSAÏQUE de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), montrent qu'après six années de croissance soutenue (2,8 % par an entre 1999 et 2004), c'est-à-dire un scénario favorable à la résorption des déficits publics, ceux-ci représenteraient encore 1,5 % du PIB en 2004.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a considéré que ce résultat n'était pas rassurant et que cette situation ne placerait pas l'économie française dans les meilleures conditions pour faire face à une récession. Il a en effet rappelé que la France connaissait un déficit public équivalent à 1,6 % du PIB avant la récession de 1993, qu'en un an celle-ci l'avait porté jusqu'à 5,6 % du PIB, et que le déficit prévisible des régimes de retraite atteindrait près de 2 % du PIB entre 2005 et 2010. Il a ainsi estimé qu'il fallait se fixer pour le moyen terme un objectif de réduction du déficit public beaucoup plus ambitieux, que le débat sur les " marges de manoeuvre budgétaires " était à cet égard prématuré et, enfin, que la priorité semblait au contraire devoir aller à une maîtrise encore plus forte de la dépense publique et, en particulier, celle de la fonction publique dont jusqu'à présent on n'a pas réussi véritablement à stopper l'augmentation.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a enfin présenté les perspectives en matière de chômage. Il a indiqué que dans les scénarios présentés dans le rapport, plutôt favorables en termes de croissance d'emploi, le chômage diminuait certes jusqu'en 2004, mais faiblement. A cette date, le taux de chômage se situerait au-dessus de 9 %, soit sensiblement comme en 1990. Il en a ainsi retiré le sentiment que, malgré des périodes de croissance soutenue, l'économie française n'arrivait pas à réduire significativement son taux de chômage et qu'il était tout à fait prématuré de parler de retour au plein emploi.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a estimé que la principale conclusion que l'on pouvait tirer de ces travaux était que, à l'inverse de la première moitié des années 90, la demande intérieure française paraissait établie sur des bases solides, qu'il fallait donc être très attentif aux conditions qui permettront à l'offre d'accompagner ce mouvement, en particulier par une accélération de l'investissement, et que l'orientation de la politique budgétaire, ou encore la mise en oeuvre des 35 heures, ne lui semblaient pas répondre à cette exigence.

M. Marcel Lesbros s'est demandé si on était à la veille d'un krach boursier comparable à celui de 1929 et si une solution aux problèmes d'endettement extérieur des États-Unis ne résidait pas dans une forte chute du dollar.

M. Henri Le Breton a relevé la tonalité globalement optimiste de ces travaux, mais s'est inquiété des risques de délocalisations d'entreprises liés à la mise en oeuvre des 35 heures.

M. Serge Lepeltier s'est interrogé sur le solde des investissements directs entre la France et l'étranger, qui pourrait être un indicateur de l'attractivité du territoire français, et a souligné le décalage de la politique économique française, dans la mesure où celle-ci privilégie actuellement les allégements massifs de charges sur les bas salaires alors qu'elle devrait être orientée prioritairement vers le soutien de l'investissement.

La délégation a alors adopté le rapport d'information présenté par M. Joël Bourdin sur les perspectives macroéconomiques à moyen terme (1999-2004).