Travaux de la délégation pour la planification



DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION

Mercredi 2 février 2005

- Présidence de M. Joël Bourdin, président.

M. Joël Bourdin, président, après avoir annoncé l'ordre du jour de la réunion de la délégation, a jugé particulièrement à propos d'entendre une communication sur les suites données au rapport de la délégation sur les enjeux du développement économique du football professionnel, ce rapport se plaçant dans une optique prospective qui justifie d'examiner les événements intervenus depuis son adoption.

Football professionnel - Communication sur les suites données au rapport sur les problèmes liés au développement économique du football professionnel

La délégation a alors entendu une communication de M. Yvon Collin sur les suites données au rapport sur les problèmes liés au développement économique du football professionnel.

M. Yvon Collin a abondé dans le sens des propos du président en justifiant l'intérêt porté par la délégation aux perspectives offertes par le développement économique du football professionnel par la remarque que le football était désormais une activité économique à part entière ayant, de plus, une composante socioculturelle très forte. Il a jugé que ces attributs conféraient à tout travail sur ce sujet une dimension transversale, puis il a insisté sur le fait que les problèmes posés par le développement économique du football étaient autant de cas d'école pour l'analyse économique et invitaient à un travail de prospective afin d'anticiper les évolutions probables.

Après avoir indiqué que ses propos seraient tenus à titre personnel, il a néanmoins estimé très utile que la délégation puisse apporter une contribution en exerçant un suivi de ses travaux.

Ayant rappelé que le diagnostic de la délégation tenait dans le constat que, du fait d'une régulation insuffisante, les déséquilibres économiques, financiers et sportifs s'accumulent dans le football de sorte qu'on peut juger insoutenable son développement actuel et s'attendre à un scénario plutôt sombre, il a indiqué que la délégation avait estimé que, si des mesures adaptées n'intervenaient pas pour mieux piloter le football, celui-ci connaîtrait une série de crises, marquées par une forte pression sur les pouvoirs publics afin que ceux-ci financent les déficits du secteur et, finalement, qu'une remise en cause radicale du modèle traditionnel d'expression du football en Europe interviendrait.

Sur ce dernier point, il a jugé indispensable de souligner qu'un élément devait, selon lui, retenir tout particulièrement l'attention du Sénat. Le football professionnel est présent sur l'ensemble du territoire, à travers l'existence d'une quarantaine de clubs qui participent aux compétitions professionnelles. Ces clubs, qui, systématiquement, bénéficient d'un soutien des collectivités territoriales, contribuent à l'animation récréative des territoires et à leur développement économique. Ils sont aussi, pour beaucoup, un ferment pour les pratiques sportives des amateurs. Le maintien de leur existence est conditionné à la préservation d'un modèle de fonctionnement du football dont les équilibres sont aujourd'hui fragilisés. Si l'on souhaite éviter que, demain, les clubs de l'élite ne soient plus quarante, mais quatre ou cinq seulement, il faut se mobiliser pour préserver des équilibres en danger.

Il a alors concédé que la récente adjudication des droits de retransmission télévisée du championnat de France pouvait inviter à remettre en cause les scénarios pessimistes du rapport.

A son issue, le groupe Canal + a décroché l'ensemble des lots mis en vente pour les trois prochaines saisons contre un versement de 600 millions d'euros par an, soit 225 millions d'euros de plus qu'actuellement, qui représentent environ ¼ d'augmentation du chiffre d'affaires du football.

Cependant, il a déclaré ne pas croire que cette manne puisse constituer une garantie pour l'avenir financier des clubs pour, au moins, deux raisons.

Tout d'abord, c'est peut-être une trop forte somme, si l'on en croit le principal concurrent de Canal + qui s'est publiquement félicité d'avoir « poussé à la faute » cette entreprise en l'incitant à placer une enchère excessive sur les droits du football.

Il faut rappeler que l'existence de deux bouquets par câble et satellite (cabsat) en France singularise notre pays par rapport aux autres pays européens et que la retransmission des matches de football a toujours été présentée par les responsables des deux bouquets comme un enjeu essentiel, susceptible de régler définitivement le sort de la concurrence existant entre eux.

Les semestres à venir devraient répondre à la question de savoir qui, de Canal + désormais détenteur de l'ensemble des droits télévisuels sur le football ou de TPS, qui a évité un investissement coûteux, pourra conduire un processus d'unification de l'offre de chaînes « cabsat » en France, qui paraît des plus probables.

Ainsi, l'engagement financier au profit du football pourrait n'être pas aussi solide qu'il le semble. On peut parfaitement redouter l'hypothèse d'une renégociation de ce prix, soit qu'il se révèle insupportable financièrement, soit que le détenteur des droits se retrouve sans concurrent. Une telle renégociation s'est produite dans le passé, à l'occasion de l'octroi des licences UMTS. Par ailleurs, dans le cas probable d'une concentration de l'offre « cabsat », il est plus que vraisemblable que le prix d'achat des droits baissera sensiblement lors de la prochaine adjudication.

Il existe une seconde raison de douter que l'augmentation des recettes des clubs leur permette de retrouver un équilibre financier durable. L'expérience montre que, malgré une augmentation de leurs recettes de l'ordre de 20 % par an dans la seconde moitié des années 90, c'est au cours de cette période que les déficits des clubs se sont creusés, car leurs charges se sont alors accrues beaucoup plus vite.

Ce phénomène s'explique par des raisons diverses, le rapport de la délégation s'étant centré sur les effets pervers du système d'incitation économique dans le football, expression d'une mauvaise régulation du secteur.

M. Yvon Collin a résumé les mécanismes à l'oeuvre en indiquant que les clubs s'engagent dans une « course aux armements », qui alourdit leurs coûts et qui est systématiquement perdante, puisque les gains distribuables sont toujours plus faibles que les investissements engagés.

Il a ajouté qu'il existait deux « lois » complémentaires : plus l'espérance de gains est forte, plus l'exposition aux risques financiers est élevée, ce qui plaide pour des systèmes de distribution des gains qui ne soient pas excessivement inégalitaires, plus le sentiment qu'il existe un payeur en dernier ressort est fort, plus les risques financiers sont déraisonnables, ce qui plaide pour une surveillance des apports d'actionnaires et une très grande retenue des pouvoirs publics.

Sur ce dernier point, il a précisé que les pouvoirs publics étaient constamment exposés à des revendications de soutien financier de la part des clubs, revendications auxquelles il faut se mettre en situation de n'être pas obligé de donner de suites favorables.

M. Yvon Collin a alors regretté, à titre personnel, qu'aucune des recommandations formulées par la délégation n'ait été suivie d'effet, et qu'au contraire, le chemin emprunté soit allé à rebours des suggestions du rapport.

Les systèmes de répartition des produits suscités par la commercialisation des compétitions de football demeurent extrêmement inégalitaires. C'est d'autant plus étonnant qu'une sorte de prise de conscience des effets négatifs d'une telle situation semble se produire. Par exemple, l'association européenne de football - l'UEFA - a déclaré avoir enfanté un monstre avec sa compétition-phare, la Ligue des Champions. De même, les Anglais disent, par sondage, se désintéresser de compétitions désormais par trop déséquilibrées. Il est préoccupant, dans ces conditions, que la France qui, longtemps, avait pratiqué une répartition assez égalitaire des recettes, semble se diriger vers une amplification du processus de forte hiérarchisation des sommes redistribuées, ce qui ne manquerait pas d'accentuer les prises de risques financiers.

Il a alors abordé les problèmes résultant de l'intervention récente de la loi qui ouvre aux clubs sportifs professionnels la faculté de rémunérer leurs salariés sous forme de « contreparties » à l'exploitation d'un droit collectif à l'image.

Il a souligné que, personnellement, il voyait dans ce processus la matérialisation du risque de voir la collectivité publique appelée en renfort financier de clubs, qui, structurellement, accumulent des pertes.

M. Yvon Collin a observé que ce risque est parfaitement décrit par la théorie économique depuis les travaux de William Baumol sur la crise des théâtres de Broadway, qu'il a été remarquablement perçu par les collectivités territoriales, qui sont mieux protégées contre les pressions des clubs depuis l'intervention de la loi Pasqua de 1995, et qu'il est malheureusement incarné par les pratiques en cours dans différents pays européens, en Espagne ou en Italie, d'octroi d'aides d'État qui sont à l'origine de distorsions de concurrence et devraient d'ailleurs, à ce titre, être condamnées par les autorités européennes de la concurrence.

Revenant à la loi du 15 décembre 2004, il a expliqué qu'elle permettait de faire échapper une partie des rémunérations versées aux sportifs professionnels aux cotisations sociales, et qu'il existait désormais un régime dérogatoire de prélèvements sociaux fortement allégés sur des salaires pourtant particulièrement élevés. Il a alors exposé son sentiment personnel en estimant que cette loi posait plusieurs questions.

Il y avait une question juridique qui a été tranchée par le Conseil constitutionnel. En son temps, le Conseil d'Etat, devant un tel dispositif, avait estimé qu'il pourrait enfreindre le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques. Le Conseil constitutionnel a indiqué que cette rupture d'égalité était couverte dès lors qu'était poursuivi un but d'intérêt général, à savoir l'amélioration de la compétitivité du sport professionnel français.

On peut tirer de cette jurisprudence deux observations :

- la compétitivité du sport professionnel français est un but d'intérêt général qui, pour le Conseil constitutionnel, l'emporte sur la préservation de l'égalité devant les charges publiques, contrairement à ce que le Conseil d'Etat avait jugé ;

- le Conseil constitutionnel semble se contenter de l'allégation de la poursuite d'un but d'intérêt général sans exercer de contrôle, même minimum, de sa réalité.

Il a précisé que l'exercice d'un tel contrôle aurait été, pourtant, très instructif.

La mesure posant de vraies questions, il s'est étonné que le Conseil constitutionnel ne les ait pas examinées, d'autant que le dossier documentaire publié par les services du Conseil constitutionnel mentionne un extrait des travaux de la délégation qui, complété par la considération de la suite du rapport, aurait fourni au Conseil constitutionnel matière à prendre une décision différente de celle qu'il a adoptée.

Poursuivant sur ce point, il a insisté sur le fait que si le rapport de la délégation avait souligné que les charges fiscales et sociales sur les rémunérations versées aux sportifs professionnels sont, en France, élevées, relativement à ce qui se pratique dans les pays concurrents, il avait également envisagé deux questions :

- la réduction des prélèvements obligatoires permettra-t-elle d'améliorer la compétitivité du sport français et est-elle le moyen le plus approprié à cet effet ?

- l'harmonisation des prélèvements obligatoires en Europe implique-t-elle que le régime français s'aligne sur les régimes étrangers ?

Sur cette deuxième question, qu'il a qualifiée d'essentiellement politique, il a fourni quelques observations personnelles :

- première observation, les quelques données relatives aux pays étrangers semblent montrer qu'il y existe des systèmes de prélèvements extrêmement anti-redistributifs. Il serait utile d'approfondir ce sujet et, si cette situation devait être confirmée, la coexistence en Europe de systèmes de prélèvements aussi contrastés viendrait sérieusement remettre en cause l'idée, un peu facilement admise, qu'il existerait un modèle social européen. A cet égard, si on a beaucoup parlé de la concurrence fiscale abusive, il serait plus que pertinent de se pencher sur la concurrence sociale déloyale et la délégation pourrait utilement le faire, en étudiant ce sujet à partir de l'exemple concret qu'offre le sport professionnel ;

- deuxième observation, l'exonération de charges sociales qui va s'appliquer aux rémunérations élevées versées aux sportifs professionnels se traduira par une importante réduction de la contribution de ce secteur au financement de la protection sociale. Il est regrettable pour l'information du Parlement que le chiffre des moins-values de recettes n'ait pas été précisé lors des débats par le Gouvernement. On peut l'estimer approximativement de 100 à 120 millions d'euros. Cette perte de recettes devra être compensée, aux organismes de sécurité sociale, du fait de la loi sur l'assurance maladie votée à l'été 2004. On ne sait pas comment elle le sera, ce qui pose un vrai problème budgétaire. On n'imagine pas que soit créé un prélèvement ad hoc que viendraient acquitter les Français. Par conséquent, il serait logique que la compensation s'impute sur le budget du ministère de la jeunesse et des sports, mais comme elle représenterait environ 15 % de ses crédits totaux, on perçoit que les arbitrages à rendre seront douloureux ;

- troisième observation, au cours des débats, le président de la commission des affaires culturelles et le rapporteur du texte ont très judicieusement souligné la nécessité de progresser sur le dossier de l'harmonisation fiscale et sociale dans l'Europe du sport professionnel. Cela rejoint une des conclusions essentielles du rapport de la délégation et peut-être la délégation pourrait-elle réfléchir aux moyens d'apporter une contribution utile sur ce point.

M. Yvon Collin a conclu en revenant à la première des deux questions posées par la réduction des prélèvements obligatoires sur les revenus distribués dans le sport professionnel : à supposer résolus les problèmes d'équité posés par une telle mesure, celle-ci est-elle bien le moyen le plus approprié pour améliorer la compétitivité du sport français ?

Il a relevé que le dispositif pouvait s'analyser comme un transfert des administrations publiques vers les clubs professionnels, assimilable à une subvention et jugé que l'utilité de cette subvention dépendait de son montant et de l'usage qui en serait fait.

Sur le premier point, il a indiqué que, pour le football, cette subvention ne représenterait qu'une faible proportion des pertes accumulées chacune de ces dernières années et, qu'au niveau des clubs, elle équivaudrait à une part non significative de l'écart entre le chiffre d'affaires des clubs leaders en Europe et des clubs français. Pour illustrer cet écart, il a rappelé qu'il se montait à 170 millions d'euros entre le premier club anglais et le premier club français.

Sur le second point, il a suggéré que le Parlement se livre dans quelque temps à une évaluation ex post de la loi, afin de vérifier que ses objectifs, en particulier l'amélioration de la compétitivité du sport professionnel français, seront atteints.

Il a néanmoins indiqué que, selon lui, tous les éléments d'évaluation ex ante figurant dans le rapport de la délégation, laissaient redouter une utilisation rien moins qu'optimale de cette ressource, du fait des défectuosités de la régulation du football professionnel. Il a, à cet égard, jugé inquiétant, mais peu étonnant, de constater que le club anglais de Chelsea ait réalisé 127 millions d'euros de pertes en 2003-2004, malgré l'opulence financière du football anglais.

En conclusion, il a déclaré continuer de penser que l'amélioration de la compétitivité du sport français passera par la défense de son modèle et par une action vigoureuse menée au niveau européen afin que soit mieux régulée une activité qui, sans cela, risque de perdre l'identité que chacun aime à lui trouver.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Yves Fréville s'est inquiété du niveau atteint par l'endettement des clubs professionnels et s'est interrogé sur l'incidence finale de l'exonération de charges sociales prévue par la loi de décembre 2004.

M. Gérard Bailly, ayant rappelé l'existence d'une Direction nationale du contrôle de gestion, s'est demandé si sa capacité d'intervention était suffisante et si elle avait prononcé des sanctions dans un passé récent.

M. Joël Bourdin, président, s'est inquiété de savoir comment les clubs avaient pu jusqu'alors résorber leurs pertes.

M. Bernard Angels a regretté que les travaux de la délégation n'aient pas été suivis d'effet et, qu'au contraire, les décisions prises contreviennent aux recommandations du rapport.

Il a ajouté qu'elles ne contrevenaient pas moins aux positions défendues par la commission des finances en matière de niches fiscalo-sociales. Il a suggéré que la délégation procède à des travaux complémentaires en approfondissant les questions relatives à l'harmonisation des prélèvements en Europe.

M. Daniel Soulage a souligné l'importance des demandes de soutien adressées par les clubs aux collectivités territoriales.

M. Joël Bourdin, président, a souhaité que M. Yvon Collin exerce un suivi attentif des nombreuses questions encore pendantes dans la perspective d'un futur rapport d'évaluation.

En réponse, M. Yvon Collin a mentionné la forte croissance de l'endettement des clubs professionnels de football et expliqué que celui-ci aurait eu des conséquences catastrophiques sans l'intervention des actionnaires qui, en la matière, obéissent à des motifs divers. Il a indiqué que souvent les sanctions envisagées par la DNCG avaient pu être suspendues grâce aux engagements de ces mécènes, dont la pérennité n'est pas garantie. Enfin, il a exprimé des doutes sur l'incidence finale de la mesure estimant qu'il y avait là un objet d'évaluation particulièrement intéressant.

Audition des responsables de deux groupes de projet du Commissariat général du Plan - Audition de M. Olivier Passet pour le groupe ASTYPALEA

La délégation a ensuite procédé à l'audition des responsables de deux groupes de projet du Commissariat général du Plan.

M. Olivier Passet a tout d'abord présenté les travaux du groupe « ASTYPALEA » sur la promotion par l'Etat d'un environnement financier favorable au développement des entreprises. Il a ainsi rappelé que ces travaux s'inscrivaient à la fois dans une actualité riche (rapport BEFFA, loi Dutreil, propositions sur le financement des PME,...) et dans la continuité de travaux précédents du Commissariat du Plan (rapport « rentabilité et risques dans un régime de croissance »).

Il a indiqué qu'un des principaux axes de réflexion de ce groupe consistait à explorer un clivage ancien, lorsqu'on évoque les politiques publiques en faveur du développement des entreprises, entre soutien aux « champions industriels » ou politique d'essaimage en faveur des PME. Les travaux du groupe tendent ainsi à montrer que cette polarisation, déjà apparente dans le Xe Plan (1989-1992), est en partie artificielle et que les deux approches sont en réalité complémentaires, en particulier pour ce qui concerne l'exécution de la Recherche-Développement.

M. Olivier Passet a par ailleurs souligné que le groupe s'était intéressé à la question du prétendu déficit français en matière de création d'entreprise, à partir d'une étude approfondie de la démographie d'entreprises. Il est ainsi apparu que le diagnostic sur un déficit de la France en matière de création s'appuyait généralement sur des données statistiques le plus souvent non comparables. Une analyse statistique plus fine fait au contraire apparaître que, rapporté au nombre d'habitants, le nombre d'entreprises serait en France comparable à celui des grands pays industrialisés, et même supérieur de 25 % à celui des Etats-Unis.

Le constat le plus important du groupe concerne la structure entrepreneuriale française. Il apparaît en effet que la France dispose, par rapport à son potentiel économique, d'un nombre important de très grandes entreprises (14 entreprises françaises parmi les 100 plus grandes entreprises mondiales) et se caractérise par une prolifération des microstructures. En revanche, on peut observer un déficit notable de « grandes PME ».

Le groupe a ainsi considéré que la problématique qu'il convenait de privilégier, en termes de politiques publiques, n'était pas tant celle de la création d'entreprises que celle de la croissance des entreprises pérennes, et notamment de leur croissance externe. A cet égard, M. Olivier Passet a indiqué que les entreprises devaient aussi être des acteurs du capital-risque, ce qui repose sur le développement du tissu d'entreprises intermédiaires.

M. Olivier Passet a enfin souligné que le groupe avait pu mettre en évidence les problèmes posés par le financement bancaire et notamment les coûts de dossier, ou par la longueur des délais de paiement, qualifiés de « calamité ».

Mme Nicole Bricq, rapporteur spécial des crédits du Plan au sein de la commission des finances, a interrogé l'orateur sur les débouchés des travaux de ce groupe.

M. Yvon Collin a souhaité savoir dans quel délai la délégation pourrait être destinataire des conclusions et propositions présentées par ce groupe de projet.

M. Yves Fréville a jugé nécessaire que le Commissariat général du Plan investisse à nouveau dans la réflexion à long terme. Il a partagé le diagnostic sur la démographie d'entreprises et considéré que d'autres obstacles à la croissance des entreprises, réglementaires ou fiscaux, devraient également être étudiés.

Audition de M. Aurélien Colson pour le groupe ARIANE

M. Aurélien Colson a alors présenté les travaux du groupe « ARIANE » sur la conduite du changement dans le secteur public.

Il a indiqué que l'objet des travaux du groupe l'avait conduit à aborder la question de la réforme de l'Etat sous l'angle des méthodes et à répondre à la question suivante : comment transformer une belle idée de réforme en une réalisation effective ?

Il a insisté sur la dimension très concrète des travaux entrepris qui avaient, pour l'essentiel, consisté en une série d'études de cas concernant des administrations classiques, comme les Douanes, la Direction des relations économiques extérieures, la Direction des constructions navales, une agence, l'Agence nationale pour l'emploi ou des entreprises, comme Nissan.

Il a jugé que de ces travaux se dégageaient un modèle d'analyse applicable à tout projet de réforme, mais aussi le constat de l'existence de trois paradoxes susceptibles de présenter des obstacles durables.

Il a alors précisé les contours du modèle d'analyse de la conduite du changement dans le secteur public en identifiant six points :

- le terrain qu'il importe de bien connaître ;

- le moment qu'il convient de choisir en fonction de l'existence de fenêtres d'opportunité ;

- le projet qu'il faut construire à partir d'une vision articulée et motivée du changement à entreprendre ;

- l'existence d'un soutien politique constant ;

- l'importance des hommes et des femmes en charge du changement ;

- la qualité de son pilotage.

M. Aurélien Colson a alors insisté sur la nécessité, en plus de réunir ces conditions, de surmonter trois paradoxes.

Le paradoxe budgétaire vient de ce qu'il faut réformer pour économiser, mais qu'il faut dépenser pour réformer. La rigueur budgétaire est un des principaux facteurs déclenchant le changement, mais réformer exige des moyens budgétaires, permettant d'accompagner le changement, par exemple pour faciliter le reclassement ou une nouvelle implantation géographique des agents.

Le deuxième paradoxe vient de ce que le changement souhaité doit souvent s'inscrire dans le maintien d'un système inchangé. Or, il est parfois nécessaire, pour conduire le changement, de sortir du système.

Enfin, il faut déplorer un troisième paradoxe : le paradoxe de la réforme réussie. De nombreux acteurs regrettent que, loin d'être récompensé, le changement mené à bien soit souvent pénalisant. Les gains d'efficacité et de productivité se traduisent, du point de vue des acteurs, par une perte de pouvoir. Les efforts supplémentaires sont en priorité demandés aux administrations qui ont déjà apporté la démonstration qu'elles savaient se réformer. Enfin, une réforme réussie ne rencontre pas toujours la reconnaissance attendue.

M. Gérard Bailly après s'être interrogé sur l'acceptation des réformes en France, a souhaité connaître la contribution des nouvelles technologies de l'information (NTIC) au changement dans les administrations. Puis il a observé que le cloisonnement des administrations pouvait constituer un double obstacle, à une bonne administration, mais aussi, pour toute réforme.

M. Joël Bourdin, président, a souligné l'intérêt de considérer les bonnes pratiques étrangères, insistant sur la qualité du processus de réforme conduit au Québec. Il a indiqué qu'une institutionnalisation réussie de l'évaluation des politiques publiques manquait en France et qu'un récent rapport de la délégation avait démontré en quoi elle favoriserait la conduite du changement.

M. Bernard Angels, après avoir remarqué que le modèle d'analyse présenté par l'intervenant s'appliquait en tous points à la réforme manquée des administrations fiscales, qu'il avait eu l'occasion d'observer de près, s'est interrogé sur l'efficacité des contrôles internes et externes sur les administrations et sur leur contribution au changement dans la sphère publique.

Mme Nicole Bricq a dit sa conviction qu'il était impossible de réformer à coûts constants à court terme et regretté qu'il n'existe pas d'instrument permettant d'appréhender sur la durée le rapport coûts-avantages des réformes mises en oeuvre.

Elle a, en outre, interrogé l'orateur sur le meilleur choix de pilotage des réformes entre un acteur central et un modèle plus décentralisé où chaque administration aurait la charge de s'autoréformer.

En réponse, M. Aurélien Colson a observé que si les NTIC étaient parfois refusées dans le secteur public, elles conduisaient après quelque temps à des changements, concernant au moins les processus.

Il a jugé qu'il était très utile de se référer aux expériences étrangères, mais qu'il fallait garder à l'esprit qu'elles n'étaient pas toujours entièrement transposables du fait des spécificités nationales.

Évoquant les contrôles sur les administrations, il a observé que des changements devaient intervenir dans le sens d'un renforcement du contrôle a posteriori des performances mais que le contrôle ne pouvait, en soi, guider le changement.

Il a enfin estimé que le thème de la réforme devrait être porté par un responsable politique de premier plan mais que l'association des administrations et de leurs agents était indispensable au succès.

Nomination de rapporteurs

La délégation a enfin procédé à la nomination de rapporteurs :

- M. Philippe Leroy pour un rapport d'information sur l'évaluation de l'impact de la libéralisation de la publicité télévisée et les perspectives ainsi ouvertes pour l'ensemble des acteurs concernés ;

- MM. Jean-Pierre Plancade et Daniel Soulage pour un rapport d'information sur les principaux enseignements économiques de la libéralisation internationale des échanges commerciaux ;

- M. Joël Bourdin pour un rapport d'information sur la productivité et le niveau de vie ;

- M. Bernard Angels pour un rapport d'information sur une étude comparative de la dépense publique.